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Navigation en Cuissarde

Voilà deux jours que je me trouve à bord de ce navire depuis mon départ d'Orange. Bercé par le craquement du bois et le clapotements des flots sur les parois, je me lève doucement en direction de quelques rations.
Après avoir avalé un ensemble de fruits et de pain, ainsi qu'un bon litre d'eau, je me porte vers mon couchage, simple bannette, pour y ranger mes effets. Une lecture matinale devrait faire passer le temps, et puis, faute d'activité autant apprendre.
Désireux d'apprendre, l'envie n'est que plaisir.

Je dois l'avouer, le premier jour a essentiellement servi à me remettre d'une nuit agitée et arrosée. Toutefois, la pensée revigorante de cette soirée, me porte un sourire au visage et du baume au cœur. En effet, les occasions comme celles-ci ne sont que bonnes à prendre, et puis, très rare dans ma vie.
Enfin bon, aux aurores d'un matin splendide, je me retrouve assis sur ce paquet d’aussière à effectuer une lecture attentive du recueil fourni par l'apothicaire d'Orange. Surplombé d'un doux soleil bas dans le ciel éclaire de reflets rouges les pages du livre.

Néanmoins, l'agitation à bord de La Cuissarde (bateau sur lequel je navigue) me fait bien souvent rompre le file de ma lecture et lever les yeux vers le pont. Les hommes s'affairent déjà, depuis le dernier roulement du personnel, pour mettre en ouvre la navigation journalière.
C'est un homme sonnant la cloche suite à la pose de pavillon haut sur la drisse, signifiant le type de navire auquel correspond La Cuissarde, qui me fait changer de programme.
Après tout, il est vrai que je ne dispose d'aucune connaissance de navigation, du fonctionnement d'un navire et des particularités du métier de marin.

Fermant le livre sur mes genoux, je me plaque contre le bord du bateau en quête d'une observation m'apportant des savoirs ou toutes autres informations. Une légère brise aux effluves salées et fraîche me fait refermer mon manteau sur mon corps encore légèrement engourdi d'un reveil inhabituel.
Je décide dans un premier temps de me concentrer sur la hiérarchie mise en place sur mon embarcation. En effet, j'en déduis que connaître le fonctionnement premier du l'arbre décisionnel m'aiderais à connaître plus en profondeur le rôle de chacun.
L’identification est relativement simple, elle se distingue de part une norme d'habillement, ou une sorte de code vestimentaire.
Voici donc le fruit de mes observations de la première heure :

- L'homme coiffé d'un tricorne de feutre bleu, vêtu d'une redingote de bon goût se fait nommer "Le Pacha". Adjectif utilisé par le reste de l'équipage.
 Il est également chaussé de bottes molles, qui à première vue, semblent seules sur le navire à être cirées. L'homme se tient aux côtés de la barre, et aboie des ordres tantôt motivants tantôt directifs.
 J'en déduis donc qu'il s'agit du Capitaine de La Cuissarde, il se distingue en effet de part sa préstence.

- Deux hommes prennent consignes au près du Pacha, après avoir demandé à un matelot, il s'agirait des "s'cond". Ces messieurs semblent donc être des seconds-maîtres, pour faire simple, ils dirigent une partie de l'équipage selon les ordres reçus.
 L'un s’occupe de la gestion des voilerie, cordages, haussière, amarrage, pavillon, canons et j'en passe.
 L'autre, au visage plus pâlot et à la carrure bien moins charpentée, dirige une partie des hommes dans le faux-pont (Partie au dessus de la cale). On peut les voir, armés de leurs compas, boussoles et cartes tissus ou papiers, tracer un itinéraire et s'assurer de la bonne direction que prend le navire.
 En ce qui concerne le code vestimentaire, exception à la règle, les deux ne sont pas vêtus de la même manière, or, on distingue un brassard pourpre à hauteur de leur bras droit signifiant leur "grade" au milieu de l'équipage.

- Enfin, la grosse partie des hommes présent sur le navire, l'équipage, les matelots, marins, "chouffe" pour les plus anciens d'entre eux me confie un homme. Il se divise en deux bordées, Tribord et Bâbord, permettant un roulement dans les tâches et un repos minimum.
 On les retrouve divisés selon leur spécialité, certains s’affairent uniquement à la voilure, tirant les drisses, ajustant le cordage... Quelques hommes ont à charge l'observation continue de la direction (que l'on retrouve en partie en faux-pont), perché sur sa mire ou scrutant à la longue vue les alentours ces hommes sont les yeux du navire.
Je peux également distinguer le timonier, crampé à sa barre et ajustant la direction du navire sans cesse, l’œil vif sur l'horizon.
Et puis, des jeunes hommes à tout faire, travaillant selon le besoins du moment. Ceux-ci m'expliquent, pour avoir vécu sur plusieurs bateau, que l'organisation varie du tout au tout selon la taille, le type, et la destination du navire.
La Cuissarde étant un bateau de transport, commun à tous les océans et civil, son organisation se présente comme telle, mais tout est différent sur un bateau de l'arsenal de la Marine, pour citer un exemple.

- D'autres part, j'ai également pu constater la présence d'un cuisinier et d'un infirmier à bord, qui aident aux manœuvres en cas de besoin ou de non sollicitude de leur spécialité.

Voici donc, je l’espère clair, l'arbre décisionnel que j'ai pu tirer de mes observations embrumées par le réveil.
C'est une alchimie parfaite, une mécanique huilée qui en découle de cette organisation maritime. Chaque homme dans sa fougue, s'accorde avec précision et en parfaite harmonie avec le reste de l'équipage. Personne ne se gêne, chaque geste est semblable aux minuties d'orfèvres, malgré la poigne de fer appréciée.
Une émulsions de communication, difficilement audible, flotte dans l'air comme les notes d'un orchestre formant une mélodie plaisante et qui pousse au voyage de l'esprit.

Les discussion échangées avec des membres de l'équipage se sont avérés fort instructifs. Tous portent dans leur cœur la mer et la navigation, bien que certains effectuent cette tâche par besoin, d'autres plus jeune éprouvent une passion sans bornes pour l'horizon. Portés par la passion ou le devoir, l'ensemble de l'équipage montrent une cohésion exaltée par des chants qui portent les cœurs et, quelques fois, peuvent faire tomber la larme.
Le Capitaine du navire, demande à un marin à voix portante (nommé Miraï il me semble), de donner le ton qui suit d'un souffle de voix porteur et grave du marin. Il s'agit d'un homme âgé, portant les rouflaquettes noires et fumant le cigare continuellement, donnant à son timbre de voix, je le suppose, cette touche roque et vibrante.
Tous, sans exception, entonnent le chant à leur manière, selon le type de voix, créant une magnifique mélodie mystique proche de l'appel des sirènes, charmant l'oreille jusqu'à les porter aux rêves. Symbole de voyage, de l'esprit des flots, les paroles se répercutent dans les souffles porteur des hommes.
Que ce soit le retour vers l'être aimé, la quête de richesse, le One Piece, la piraterie ou simplement la personnification des océans, chaque chants me transportent dans des rêveries plus douces les unes que les autres.
J'ai quelque fois pu apercevoir, lorsque la houle s’apaisait, des hommes quittant leur activité pour attraper un accordéon ou un harmonica et, debout sur la poupe à l'avant du bateau, entonnaient une danse joyeuse complétée d'une mélodie.

La journée, ponctuée d'évènements similaires, me fait rapidement replonger dans mes livres et le savoir qu'ils y contiennent. La voûte céleste qui s'élève dans l'air noircie les flots désormais uniforme et unicolore.
On entend simplement le mouvement des planches et le coulissement des voiles sur le flot du vent tiède. Le bruit des pas qui résonnent dans la cale et le faux-pont, le crépitement des lampes à pétrole.
Je décide d'aller m'assoupir, dans quelques jours nous arriverons à destination, je dois commencer mes préparatifs, établir dès maintenant un emploi du temps et une programmation exemplaire qui me mènerait au prochain but.
Je dois tout d'abord m'entretenir avec Ragnar.
Le cœur léger et gonflé des divers chants, je m'endors, porté par une symphonie de connaissances nouvelles plein la tête.


Dernière édition par Patrocle le Mar 7 Avr 2020 - 14:46, édité 1 fois
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Depuis que j’ai sauté en hâte sur le navire du capitaine Hart pour quitter ma ville natale, Lonyo, mon voyage n’a pas été de tout repos. Les accrocs sur mes vêtements et les quelques éraflures surplombant mes phalanges en témoignent.
Bien que j’ai pu découvrir des contrées qui m’étaient encore inconnues, rien n’a pourtant, pour l’instant, su satisfaire ce désir insatiable de découverte que je porte en moi. J’ai pourtant était charmée par les jeux de lumières saisissants que le soleil offre en pleine mer, éclairant à l’aube les flots d’une lueur douce, pour quelques heures plus tard laisser place à des rayons chauds se reflétant sur les voiles des bateaux. J’ai également su apprécier la somptuosité architecturale de l’île du Karaté, puis la beauté sauvage de cette petite île sur laquelle j’ai relâché Pouik, la loutre que j’ai sauvée et ainsi renommée au début de mon périple. Tout autant, j’ai su reconnaître le charme de la ville d’Orange, si tranquille mais indéniablement festive.  Cela n’était néanmoins jamais suffisant.
Parfois, j’en arrive à me demander si un jour, je trouverais réellement ce qui serait en mesure d’épancher cette soif. Pourtant, lorsque je fais rouler mon pendentif entre mes doigts, une voix intérieure m’invite à continuer, à persister dans cette recherche de prospérité psychique. C’est dans ces moments que je remercie plus que jamais mon grand-père, Archi, de m’avoir, le temps de son vivant, toujours incité à rechercher ce qu’il pouvait y avoir de meilleur pour moi, peu importe où se trouverait cet épanouissement.

Je me suis alors engagée dans la recherche d’une nouvelle aventure. C’est non sans peine, à la sueur de mon front, et grâce à la lueur de quelques Berries encore en ma possession que j’ai su obtenir l’agrément du capitaine de La Cuissarde, pour embarquer à bord de son navire commercial. Dès que je l’ai aperçu, j’ai été subjuguée par le charisme de cet homme. Il est d’une prestance indescriptible, est finement vêtu et sa barbe brillante est impeccablement taillée sur sa mâchoire carrée.
Si ce dernier sait mener son équipage d’une main de fer, ce n’est pas sans rudesse que l’homme perfectionniste gère ses hommes. Ces derniers sont précis et justes mais leurs visages sont tendus, tant doivent-ils redouter la foudre du commandant. Pourtant, on perçoit en eux une forme touchante de respect envers leur chef. À l’écart, ils en parlent d’une manière étonnamment bienveillante. Cela m’intrigue et j’avoue être curieuse : l’admirent-ils pour ces titres ? sont-ils redevables ?
Le rythme effréné imposé par mon nouveau bourreau est épuisant, et, en me rappelant quotidiennement que ma présence ici n’est que faveur, il m’assigne à des tâches multiples et plus pénibles les unes que les autres. Bien que j’aie parfois fortement envie de lui hurler au visage que je ne suis pas un chien, je me contente d’inspirer profondément avant de continuer ma corvée : l’air marin se veut apaisant, quand il faut.
Heureusement, j’ai pu passer des moments légers avec les hommes d’équipage, quand le rouleau se faisait discret. Quand ils ne chantaient pas, ils se livraient à de grandes discussions qui, bien que sans réel intérêt, libéraient l’esprit.

La cohabitation dans la pièce exigüe servant de dortoir est néanmoins difficile, ma sommaire couchette débordant presque sur celle du voisin. Mes moments de sommeil se résument donc en général à quelques siestes légères, fantasmant sur les images d’un lit et d’un oreiller confortables. Quand cela m’est possible, je profite d’aller m’assoupir une poignée de minutes durant l’après-midi, profitant du luxe de la quasi-solitude dans la chambrée. Et c’est le cas, en cette chaude après-midi.
M’accordant un détour par la cuisine pour quémander un fruit au cuisiner avec qui j’entretiens de bons rapports, c’est alors que j’aperçois un jeune homme que je n’avais alors jamais remarqué. Imposant, il n’en paraissait pas moins serein. Ses yeux, rivés sur un livre en cuir bordeaux dont la reliure était un peu usée par le temps, parcouraient rapidement les pages. Certains semblent donc pouvoir profiter de la traversée pour s’instruire, tandis que d’autres triment.

- « Salut chef ! C’est possible d’avoir une pomme s’il vous plait ? 
Comme seule réponse, il m’adresse ce regard que je connaissais. Lèvres plissées, regard espiègle, comme pour me dire « c’est bien parce que c’est toi ». Il n’avait pas besoin de parler, j’avais compris ce qu’il disait à travers ses grands yeux.
Alors que je tends la main vers le sac de pommes pour en attraper une, il m’interpelle :
- Mais avant, tu dois gouter ça ! 
L’espèce de compotée presque grise contenue dans la cuillère m’inspire peu, mais sous son regard tant enjoué, je dois prendre mon courage à deux mains. Etonnamment, la mixture est agréablement sucrée et ses notes fruitées se marient incroyablement bien avec les notes de cannelle dominantes en arrière bouche.
- C’est agréable ! C’est même super bon !
- Je veux stimuler un peu les troupes, leur donner un truc qui donne la pêche, quoi ! Donc le sucre, je me disais que c’est pas mal.
- Si tu en as, tu peux ajouter quelques gouttes d’huiles essentielles de basilic ou de citronnelle. Dans une si grande quantité, ça ne se sentira presque pas et leurs vertus tonifiantes sont prouvées.

- Toujours de bons conseils toi, aller, file avec ta pomme ! ».

En lui adressant un grand sourire, je fais demi-tour. C’est lorsque je pose mon pied sur la première marche des escaliers de fortune menant au dortoir qu’on m’interpelle, à nouveau.
Je n’arriverais jamais à aller me reposer un peu, il doit me rester quinze minutes à tout casser !

- « Excuse-moi, mais je t’ai entendu parler dans la cuisine, tu t’y connais en huiles essentielles ?

C’est le jeune homme que j’ai aperçu il y a quelques minutes. Au premier abord, je n’avais pas remarqué les marques qui segmentent son visage. Il a le regard profond, et je ne sais trop pour l’instant si on peut y lire de la curiosité ou une forme de dédain.  

- Pourquoi cette question ? 
C’est en entendant le son de ma voix que je me rends compte que je peux être parfois rude. Ses sourcils légèrement remontés, ses yeux à peine écarquillés me permettent de comprendre que lui non plus, ne s’attendait pas à une telle virulence de ma part.

- Disons que j’essaie d’en apprendre davantage.
Son expression faciale a changé en une fraction de seconde et son regard est désormais malicieux. De son index droit, il joue avec le bord de la page de son livre. Il a l’air intrigué.


- Mon professeur de biologie m’en a fait baver avec les vertus des huiles essentielles, du coup, je connais quelques trucs, mais rien de bien impressionnant. Vous vous destinez à être médecin ?
- Qui sait à quoi on est destiné ?

Non mais je rêve, il essaie de me poser une colle là ?! Avant que je puisse avoir le temps de continuer mon chemin, agacée par son regard malicieux qui avait l’air de vouloir me sonder, il pose une autre question :

- Des études de biologie, alors ?
- Des études sur tout et pour tout, par la volonté de mes parents, qui voulaient me pousser à exercer une activité flatteuse, parce que vous comprenez, c’est important de faire quelque chose de flatteur, peu importe le reste.

Mon ton, clairement sarcastique lui vaut un sourire discret.
- Et vous n’aviez pas envie de suivre cette voie. C’est pour ça que vous êtes là.

Bonne déduction, champion. Il est malin, déjà plus que l’ensemble des membres dociles de l’équipage que j’ai pu rencontrer jusqu’ici.

- C’est injuste, non ? De mener une vie qu’on a pas envie de mener, et de se soumettre à des ordres que l’on juge illégitimes ?
- En effet, ça l’est ».
Un léger sourire au lèvre, penchant légèrement la tête sur le côté, il replonge ses yeux vers son livre. Il a l’air satisfait, je ne sais pour qu’elle raison.



Dix minutes de repos, c’est toujours ça. Je n’arrive pour autant pas à fermer l’œil. Grignotant ma pomme, je me demande pourquoi cet homme avait-il tant l’air d’analyser le moindre de mes mots. Je n’ai pas réussi à le cerner, il m’en faudra davantage.



Cette nuit, les relents de moisissures flottant dans l’air de la chambre commune sont particulièrement insupportables. Aussi, comme souvent, je décide d’aller m’aérer quelques minutes sur le pont, pour profiter du spectacle astral qui m’est chaque soir, offert. En détachant les yeux de la belle Pégase, je profite de fermer les yeux pour profiter de la grande bouffée régénératrice d’air frais emplissant mes poumons, quand je sens une présence derrière moi. C’est en me retournant que je l’aperçois : toujours ce jeune homme, rencontré dans l’après-midi. Il regarde l’horizon et ses yeux brillent, d’une lueur qui m’est familière. Je ne sais pas grand-chose, mais, à la vue de son regard, je devine qu’il n’est pas, lui non plus, sur ce bateau en vain.


Dernière édition par Tenku le Mer 8 Avr 2020 - 15:23, édité 1 fois


    Je ne saurais décrire ce qui m'empêche de trouver le sommeil cette nuit, pourtant si paisible.
    Il semblerait que les facteurs soient multiples, malheureusement, je ne peux lutter contre mon esprit qui s'égare et ne cesse de me distraire.

    A vrai dire, je ressent tout de même une forme d'excitation en vue de la planification à venir, plus que cela, je ne dois laisser aucune place au hasard. C'est une forme de concentration subtile que le cerveau met en place de lui même, quelque chose d'implicite. Nous pourrions rapprocher cela à un compositeur, qui lors de son sommeil, reçoit des bribes d'inspiration que l’imaginaire lui transmet et que son cerveau aligne pour créer une symphonie.
    En effet, je ne cesse de composer depuis plusieurs jours, m'informant, apprenant, éclairant ma conscience de savoirs divers et variés. L'invisible mettant bout à bout des informations pour les transformer en idée précise, claire et définie.

    Il se pourrait également que l'avancée indéniable du bâtiment vers la destination me rende un tant soit peu neveux, je devrais être prêt à ce moment.
    Serait-ce donc mon cerveau qui me joue des tours, jouant de sa machine, empêchant le sommeil de faire son effet ?

    Le claquement irrégulier de la lampe à pétrole sur le mât d'artimon ne fait que compléter l’écho des vagues brisées par notre bateau. C'est une nuit chargée d’étoiles, propice à la douceur et légèreté d'âme que je contemple à travers mon esprit embrumé. L'atmosphère, des plus calme, m'extrait de mes pensées chargées d'inquiétude.

    Il serait judicieux que j'arrête d'y songer pour ce soir. Essayer de m'apaiser et de me reposer contribuera certainement plus à sa réussite. Après tout, j'y ai relativement réfléchit, Ragnar appréciera les bases que j'ai pu apporter sur cette planification.  
    Je porte mes mains à mon visage, essuyant les déboires de la journée, aussi nombreux soient-ils. Il est vrai que je manque d'activités physiques sur ce bateau, il me tarde de retrouver terre ferme.

    En me redressant, aperçois de nouveau cette jeune fille parmi les quelques marins de veillée. Je ne peux m’empêcher de repasser notre échange de la journée, avec quelques étonnements.
    C'est un personnage atypique qui se mêle à cette émulsion masculine, bien que je compris nettement son intention de changer de vie, je ne peux que m’interroger sur cette dernière.

    Il est évident qu'elle recherche plus qu'une vie de marin, on tourne vite en rond, et je doute qu'elle s'épanouisse intellectuellement au sein d'hommes de main. Je ne me ferais guère pauvre si je pariais sur des avances quotidiennes que doivent lui faire les bougres. Une femme dans la fleure de l'âge portant un si beau visage ne s'offre qu'à ces hommes qu'en l'échange sonnant et trébuchant de berrys, au sein de foyer de marins, et bien entendu, dans les ports les moins surveillés.

    Un léger sourire se porte sur mon visage suivi d'un soupir de rire.
    Toutes les éducations scolaires du monde ne préparent pas à cette brutalité masculine, à cette simplicité instinctive. C'est donc pour cette jeune fille une école toute autre, celle de la vie, je ne me fais pas de soucis quant à sa capacité d'évolution.

    Me voilà, à cette heure tardive, assis sur la main courante, à prospecter un avenir à une parfaite inconnue. Un avenir, néanmoins, qui pourrait servir nos intérêts, si toute fois elle convient.
    Je ne suis pas contre échanger avec quelqu'un sur ce navire, ayant une autre discussion que la navigation, ou les différents nœuds possibles...

    Sans m'en rendre compte, je fixais le sol, grattant la barbe naissante de mon menton, plongé dans ma réflexion. C'est le pas léger de la jeune femme qui extirpa mon regard des nuées de mon esprit, elle s'approchait de moi sourire aux lèvres, cernes creuses.

    - « Eh bien, il semblerait que le sommeil ne nous ai pas invité. » Dit elle en s'arrêtant les mains dans le dos.

    - « Je ne doute pas qu'il le fasse bientôt, surtout pour toi

    - « Ce n'est pas tant la fatigue, je dois l'avouer, mais plutôt l'odeur des mes compagnons de route. Les journées sont rudes, le corps nous le fait savoir, en résulte une odeur des plus déplaisantes.»

    - « Il en va de soi que tu n'y a pas été confronté auparavant, je me trompe ? » Dis-je avec un léger sourire sarcastique.

    - « Dormir dans un espace restreint au milieu de plusieurs hommes ? Effectivement, j'imagine que tu ne l'as pas expérimenté pour blaguer sur ce sujet. »

    - « Détrompes toi... Chaque chemin mène à des découvertes. »

    Je devais approfondir la discussion, dans l'espoir d'obtenir plus amples informations sur sa façon de penser. Dans un premier temps, il s'agirait effectivement d'une personne vierge de tout voyage, disposant d'un esprit cultivé mais également libre. En connaître davantage sur cette personne pourrait me permettre d’étoffer des savoirs, et à plus long termes, pourquoi pas, servir une case louable.

    Il est évident que personne, sur ce navire, ne connaît ma sympathie et mon dévouement pour la cause révolutionnaire, je dois en garder le secret. Toute personne normalement constituée éprouve un sentiment de rejet face aux injustices, face aux privilèges. Néanmoins, il existe bien ceux qui en usent, ceux qui profitent, ces personnes qui pensent que tout leur est dû. Si je dois poursuivre cet échange, je me dois de connaître ses motivations, faire ressortir subtilement son histoire et sa position vis à vis de la cause.

    - « Il est rare de voir une personne de si bonne éducation tirer le cordage et cirer le pont. »

    - « Ce n'est qu'un moyen de payer ma traversée, aussi longtemps doit-elle durer.»

    - « Tu n'a donc pas de destination en tête, pourquoi ne pas rejoindre la Marine ? Tu servirais une cause louable et tu verrais du pays, d'autant qu'avec l'éducation que tu as reçu, tu évoluerais rapidement. »

    Je propose cette démarche avec un ton motivé, dans l'unique but de connaître ses intentions vis à vis de cet ordre. La questionner sur sa sympathie envers une hiérarchie, les ordres, serait une perte de temps, car cela existe, bien que plus libéral, dans la révolution.

    Je m'efforce de garder une posture neutre, à la fois désintéressé, naïf et optimiste concernant son avenir. Je me dois de garder une distance relativement proche, si je veux recruter une personne de son éducation, elle serait mieux chez nous qu'avec le gouvernement, je ne dois pas l'effrayer.
    La fatigue fait parler le cœur, elle permet de briser les barrières, au même titre que l'alcool.

    - « Pour être encore sous les ordres de quelqu'un qui me pousserait à agir selon ses envies ? Personne ne devrait avoir à subir les volontés de quelqu'un, qu'il ne cautionne pas. »

    - « Tu ne te verrais pas escorter les Dragons Célestes, allant acheter leurs esclaves à Shabondy ? Beaucoup voient ça comme un honneur. »  

    - « L'esclavage est la chose la plus triste qu'il puisse exister dans ce bas monde, je ne sais même pas pourquoi ça existe encore. »
    Les yeux de la jeune femme devenait au fur et à mesure de la conversation plus grave, assombrit par un dialogue qui, à tous points de vue, la touchait particulièrement.

    - « En voilà de belles paroles perdues au milieu de l'océan. »
    Dis-je en me relevant tout en portant une main sur l'épaule de Tenku.
    « Elle peut être là, ta destination. »

    Je me portait vers l'avant en direction de l'échappée permettant d'accéder aux couches. Satisfait de cet échange, je quitte le jeune fille en la saluant d'un geste de la main. Je connais désormais sa position, sa motivation. Il ne me reste plus qu'à en apprendre sur ses capacités intellectuelle et son passé. J’espère ne pas m'être trop dévoilé, je dois garder mon objectif clair.

    Au milieu de cette nuit des plus calme, je retrouve enfin un sommeil reposant, allongé sur ma couche, le regard porté au plafond. Je tire le semblant de couverture, dont je dispose, jusqu'au menton, brisant les quelques coulis d'air sifflants entre les planches usées de la pièce.
    Je trouve rapidement le sommeil, bercé par des rêves dont je ne saurais expliciter le contenu au réveil.
    Mélodie si enivrante, des ronflements des locataires portés par les quelques vagues tumultueuses qui frappent la coque. Le craquement des planches parviennent jusque dans mes rêves, je me vois marchant sur ce pont brillant d'une bruine fraîchement perlée, je revois Ragnar discutant avec la jeune fille du bateau.

    Ce sera la seule image claire de mon rêve.

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    Le sommeil ? Non mais tu parles ! Comment pourrais-je dormir facilement après cet échange si perturbant et stimulant à la fois ?

    Perturbant car il était évident que cet homme inconnu attendait quelque chose de moi. Il avait beau tenter de camoufler ses intentions, avec sa posture décontractée et sa naïveté mal jouée, mais le jeu qu’il engageait avec ses doigts, les frottant les uns contre les autres, traduisait quelque peu sa nervosité, ou plutôt son excitation. Ce jeune homme au regard alors brulant sur le pont voulait en savoir plus sur moi, c’était indéniable. Mais pourquoi ?
    Mais aussi stimulant car l’adrénaline s’est directement emparée de moi, dilatant probablement mes pupilles et accélérant mon rythme cardiaque.
    Mes pensées s’entrechoquent dans ma tête tant elles fusent, et je dois reconnaître qu’elles deviennent de moins en moins cohérentes.
    Un homme malhonnête ? Un homme se vengeant du rapt de Pouik ? Un sbire engagé par mon père pour me traîner à Lonyo dès que possible ? Un criminel ? Un violeur ? STOP !
    Je déteste quand mon esprit s’emballe et que je perds le contrôle de la situation. Mon sang tambourine dans mes tempes, s’assimilant à la pression qu’un étau se resserrant lentement pourrait faire subir à mon crâne.

    Les yeux portés vers l’horizon, je me force à me calmer et à relativiser la situation, en faisant rouler mon pendentif entre mes doigts. Rien ne me prouve en somme que son dessein soit malveillant ni envers moi, ni envers personne. Rien ne sert de s’affoler.
    Je repense à la main qu’il a posé sur mon épaule. Elle était ferme, appuyée, et il m’a regardé droit dans les yeux tout le long de notre échange. Un homme jouant la comédie aurait probablement posé une main plus légère, comme pour ne pas trop en faire et pour se vouloir rassurant, et ses yeux auraient probablement régulièrement roulé vers la gauche. Mais ces constats et leur interprétation ne restent que des suppositions.
    Il faut que je sache ce qu’il est, et ce qu’il peut me proposer. À moi d’être vigilante et maligne. Accorder un peu de vérité pour en obtenir. C’est ça, une bonne négociation.

    En retournant dans la couchette, contenant mes hauts le cœur incessants, me revient la phrase qu’il a prononcé avant de rejoindre d’un pas décidé les parties intérieures du bateau.
    « Elle est peut-être là, ta destination ». Mais à quoi répondait-il déjà ?
    En triant mes souvenirs, je me rappelle que nous venions de globalement discuter de l’esclavage et j’avais évoqué sans crainte mon dégoût pour cette activité malsaine.
    Était-ce ça, la clef de l’énigme ?



    En cette matinée, la fatigue est à son paroxysme. Je n’ai quasiment pas fermé l’œil et les muscles de mes bras tremblent pendant que je cire le pont. Aussi, je ne prends même pas la peine de répondre à une des avances, plus lourde que la précédente, qu’un des marins m’adresse. Je n’ai pas d’énergie à gaspiller pour cet homme. Non, je préfère conserver le peu de vitalité que je possède aujourd’hui pour mener à bien une toute autre discussion.
    L’heure du sommaire repas passée, j’ai quarante-cinq minutes devant moi avant le prochain roulement. Malgré mon envie prégnante de trouver cet homme, dont je ne connais même pas le nom, pour percer à jour ce qui l’a mené à me porter de l’intérêt, il faut que je me repose.
    Le repos de l’esprit est essentiel, et je ne serais que plus à même de mener des investigations satisfaisantes avec une conscience apaisée.
    Il ne me faut que quelques secondes pour fermer les yeux et me délecter d’un court sommeil qui m'est nécessaire.



    Je ne l’ai pas aperçu. Ni cet après-midi sur le pont, ni dans les pièces communes, ni en cuisine. La nuit tombe doucement sur l’horizon maritime infini, signifiant qu’une journée de plus est passée. Le périple sera probablement bientôt terminé et je pourrais enfin quitter ce navire et retrouver la terre ferme. Je reste quelques instants à observer les rouleaux quand j’entends des pas lourds derrière moi. Un sourire se dessine immédiatement sur mes lèvres. C’est lui. Je n’ai pas besoin de me retourner pour le deviner. Une sensation enivrante se répand dans mon être tout entier et je me sens vivante, plus que jamais. Ce seront donc nos rendez-vous, ici, le soir. Il a compris que j’y serais et j’ai compris qu’il viendrait.
    Une partie d’échec, jeune homme ?

    - "Tu vas encore mettre la faute sur les odeurs de la chambrée ?
    Il commence la partie, en posant sa question sur un ton sarcastique. Il me provoque, et pourtant toujours de dos à lui, j’imagine son sourire espiègle. Il essaie de me pousser dans mes retranchements, pour que ma sérénité laisse place à de la contrariété. Un Homme contrarié est moins alerte, il doit bien le savoir.
    Bien, très bien tenté.

    - Et il en sera de même chaque soir. Et toi, tu dors où ?

    - Disons que j’ai le privilège d’avoir une couchette plus à l’écart, mais, on voit bien que ce n’est pas suffisant, puisque je suis là.

    - Il faut dire que ton esprit doit être agité.
    Je me retourne sur cette remarque, main sur la hanche. J’ai attisé sa curiosité. Il est parfaitement immobile, comme un animal pris au piège. C’est bien. Je ne chercherai pas à en savoir plus sur ses projets pour ce soir, chaque chose en son temps. Je veux simplement lui montrer que j’ai compris que son esprit était occupé par la construction de je ne sais quoi, dont je ne connais pas pour autant la nature. Néanmoins, son immobilité laisse rapidement place à un léger sourire faisant briller ses yeux.

    - A qui appartient ce médaillon ? Tu le touches sans cesse.
    Il a compris, un coup pour lui, un coup pour moi.

    - Il appartenait à mon grand-père, c’est grâce à lui que je suis là.
    - J’imagine qu’il t’a transmis beaucoup des valeurs que tu chéris aujourd’hui.
    - En effet. Loyauté, altruisme et justice, entre autres. Il avait réponse à beaucoup de mes questions. Sa vision du monde était profondément bienveillante et contrastait avec celle de mes parents et de la plupart des habitants de Lonyo, vénalement obnubilés par le pouvoir de l’argent qui peut tout acheter selon eux. C’était un homme bon qui croyait aux humaines vertus et qui n’a jamais cédé à la corruption. Il était déterminé à construire son propre idéal. Il m’a beaucoup inspiré.

    Il ne s’attendait pas à ce que j’en dévoile autant. Après quelques secondes de silence, alors qu’il s’apprête à ouvrir la bouche pour m’accorder une réponse, je lui coupe l’herbe sous le pied :

    - Mais assez parlé de moi. Je m’appelle Tenku. Et toi alors ? Dis m’en un peu plus. Si tu commençais par me donner ton prénom et me dire d'où tu viens?"

    Je lui adressais un sourire presque complice. Je sais qu’il n’est pas dupe. Il sait ce que je veux : en savoir plus sur ses motivations. Et je sais qu’il veut en savoir plus sur moi avant de m’exposer quoi que ce soit. À quoi bon tenter de le berner ? Au fond, nous cherchons la même chose.
    Et il faut dire qu’une partie d’échec, pour que ce soit excitant, ça se joue à deux.
    Reste à savoir s’il est joueur.


      Je ne saurais m'exposer plus longtemps face à une personne éclairée, je dois me l'avouer, malgré mes progression, je n'ai malheureusement pas jouis d'une éducation profonde dont elle eu disposé. Tôt ou tard je perdrais ce duel, sans enjeux ni vainqueurs, autre que d'obtenir la vérité de chacun.
      A vrai dire, et comme ressenti, j'ai affaire à une personne très honnête dont le cœur est porté par des sentiments sincères. La fourberie ne se reflète aucunement dans son regard, ses gestes et mimiques ne détrompent pas la moindre faille qui suggérerait une forme de mensonge, de tromperie.

      Il est probable qu'être amené à exposer sa vie, au premier inconnu, peut s’avérer périlleux dans ma position. Que risque-je ? Le destin, ou je ne sais quel dieu, m'a porté jusqu'ici, j'ai survécu à nombres d'affrontements, je dois être sûr de mes forces.

      Très bien, voici le tableau :
      Je « tombe » sur cette personne, fuyant de son cadre familiale oppressant, rêvant d'aventures comme tant d'autres. Elle dispose néanmoins du recul nécessaire à l'évaluation d'une situation, ses risques, ses aboutissements.
      Son éducation fait d'elle une érudit pouvant suivre et débattre de toutes discussions ; l'apprentissage des huiles essentielles dispensé par un professeur particulier relève quasiment du rarissime. Je ne sais depuis combien de temps elle navigue sur La Cuissarde, néanmoins elle semble intégré, ne rechignant pas la tâche c'est une fille laborieuse, en attestent ses mains et fripes.
      Elle ne dispose donc pas d'attaches, ne craint pas de se confronter à l'inconnu, s'aventure.
      A tous points de vue, elle serait d'une grande utilité quant à ce plan d'infiltration ; mi du côté pauvre, elle du côté élitiste dont elle connaît les normes sociales.

      Bien, puisque tu me tend la perche, je vais m'ouvrir à toi.

      - « Eh bien, je m'appelle Patrocle, je viens de la Nouvelle Réa, tu connais ? »

      - « J'ai quelques notions oui, il s'agit d'une ville au sein d'une île d'esclavagiste. »

      - « J'imagine donc que tu as compris, si je suis là aujourd'hui ça ne peut être que pour deux raisons.»

      - « Effectivement, tu as été libéré ou échappé, mais je pencherais plus pour le marchand d'esclaves. On dit qu'il est impossible de s'y enfuir. »

      Un léger rictus se dessine en coin, en effet, c'est dans une affirmation des plus sincères de ma part que Tenku se méprend, de peu certes. Ce dernier disparaît rapidement pour laisser place à un ton sérieux et un regard fixe à l'horizon.

      - « Il est vrai que c'est une prison, un bagne non voulu et sans crime à expier, simplement le fait d'y naître esclave. J'y ai été libéré par un homme des plus courageux, à qui je dois cette nouvelle vie. »

      - « Voici donc ce qui fait de toi un homme mystérieux dans ce navire. C'est effectivement un secret peu perceptible à première vue. »

      - « D'autant que j'y était gladiateur, forcé de porter les armes pour le simple plaisir d'hommes ventripotents et bien trop riches. »

      Tenku relâchait ses bras, comme plus détendu et ouvert à poursuivre la discussion. On la voyait observer, une fois de plus, les quelques cicatrices visibles sur mes avants bras, comme pour valider mon affirmation.

      - « Quelle est donc ta destination à toi, fuis-tu encore ce passé ? »

      « Au contraire, je vais à sa rencontre ! D'autant que cette destination pourrait être similaire à la tienne, ne crois-tu pas ? »

      Cette fois-ci je la fixais de manière à appuyer mes propos, mais également pour percevoir une émotion qui la tromperait ou qui acquiescerait.
      « Tu pourrais lutter pour une cause noble, en usant de tes armes, tes savoirs, que je m'efforce également de développer, ta clairvoyance, ta beauté peut en être une. »

      Au fur et à mesure que j'argumentais je sentais que j'avais surpris Tenku, elle ne s'attendait pas à autant d'ouvertures. Néanmoins, son visage ne trahissait pas de peur, mais au contraire l'engouement succédait à la surprise.
      Je continuais donc.

      « J'ai bien perçu que tu es quelqu'un de valeurs, que tu était sincère quant à tes opinions sur la cause de l'esclavage. Ce voyage, si tu me suit, ne pourrait que te faire grandir et te rendre fière de tes actes. Tu es proche des enseignements de ton grand père ? Loyauté, Altruisme et justice ? Je te propose de les faire vivre à travers des actes symboliques. »

      Tenku est absorbé par mon discours, je ne sais si je suis bon orateur, néanmoins je sais toucher où il faut pour faire vibrer. Elle n'ose pas intervenir, je le sens, comme si la flatterie était plaisante, je penche plus pour la bonne parole.
      La jeune fille tomberait elle enfin sur quelqu'un qui lui offre ce qu'elle veut entendre ?

      « Tu sais on ne change pas, on mets juste les costumes d'autres sur soi. Je te propose de garder le tiens auquel tu y greffera le nôtre, celui de la cause. »

      La nuit était désormais plus avancée, les quelques lampions allumés par les marins portent des ombres dansantes sur le plancher de bois. Rien n’interférait dans la discussion, je serais bien incapable de dire ce qui s'est produit aux alentours pendant notre échange.
      Le jeu était terminé, seule la jeune femme pouvait décider de commencer une nouvelle partie, ou faire chuter son Roi.

      Fort de ses paroles, je m'avance vers elle et, de ce fait, en direction de ma chambrée. Arrivé à son niveau je porte une nouvelle fois la main sur son épaule. Sans dire mots, je clos cette discussion, franchissant les derniers mètres du couloir vers l’échappée menant à ma branle.
      En descendant cette courte échelle, je repense à son visage. Il n'y avait plus de jeu sur la fin, seulement des mots, qui percutent l'âme, qui font ressentir quelque chose de grand, de responsable.
      C'est un pion des plus utiles sur l’échiquier que nous construisons, un atout masqué qui nous permettrait bien des avancées.

      Demain nous devrions arriver proche des côtes, je dois peaufiner quelques détails encore sur ce plan, et le plus important je l'espère, y incorporer notre nouvel élément.

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      Cette nouvelle nuit n'a encore une fois pas été des plus reposantes. Outre la berceuse de ronflements criards des hommes de main, mon demi-sommeil était perturbé par des paroles dont l'écho semblait tournoyer autour de moi, et, plus fort que cela, résonnait en moi.
      Il faut dire que les mots prononcés par Patrocle hier étaient alléchants. Malgré mes récentes aventures, je n'ai pour l'instant su toucher du doigt l'épanouissement qui était l'objet de ma quête. Désireuse de promouvoir les valeurs évoquées dans nos échanges, les propositions du jeune homme s'assimilaient ainsi pour moi à la vision d'une boisson bien fraîche après une journée de dure labeur sous un soleil brulant.
      Restait la question des risques. Bien que j'aie toujours été en mesure de m'extirper de situations délicates, il me faut en savoir plus. Je me connais, et ne pourrais jamais me résigner à réaliser quoi que ce soit sans m'y investir pleinement. Or, s'engager corps et âme dans un projet dont on ne connait pour l'instant pas la finalité ni la mise en œuvre relève de l'inconscience.

      En soi, il semble logique que la cause tienne au cœur de Patrocle, et qu'il veuille accorder un avenir meilleur que celui qu'il a connu à des personnes vivant une situations similaire à son ancienne condition. Il a du attendre ce temps de révolte, derrière des vitres et des grilles, jusqu'à dormir, jusqu'à mourir, mais parait-il, ce jour est arrivé. Dès lors, son projet doit être construit, réfléchi, fruit de longues heures de réflexion guidées par des sentiments d'injustice et  de souffrance.
      J'ai un pincement au cœur en imaginant ce que pourrait ressentir un enfant dans cette piètre situation et reconnais la chance que j'ai toujours eu, de ne manquer de rien.

      J'imagine aussi qu'il me soutiendrait dans cette aventure, dans la mesure où je peux être un des atouts majeurs pour mener à bien ses investigations. J'ai de nombreuses connaissances pouvant être mises à profit, et je pourrais m'habituer à manier l'épée en retrouvant mes réflexes d'escrimeuse. Je souris en pensant au fait qu'il ait évoqué ma beauté. En soi, il a raison, je ne suis pas vilaine et autant tourner le féminisme à son avantage, quand la cause est noble.

      Voir chez les autres ce qu'ils ont de meilleur, laisser derrière soi quelque chose de bon, savoir qu'un être au moins respire mieux parce que vous êtes passé en ce monde, n'est-ce pas ça, réussir sa vie ?
      Les paroles de mon grand père raisonnaient elles aussi au plus profond de mon âme, cet homme, dont je rêvais de répandre l'idéal de bienveillance et d'humanité à travers l'univers.
      J'ai la sensation que me dois d'accepter, si ce n'est pas pour moi, ça sera pour lui, comme un hommage.
      Mon engagement servirait donc mon intérêt concomitamment à celui de Patrocle.

      Au fond de moi, ma décision était déjà prise. Mais, comme à mon habitude, je me devais de contrôler la situation. Non pas que je ne supporte pas l'autorité, la preuve étant que j'ai réussi à tenir bon sur ce navire sans cracher au visage du capitaine. Il s'agit seulement du fait que mon esprit, pour mener une réflexion en bonne et due forme et parvenir à une solution aboutie, se doit d'articuler l'ensemble des données propres à chaque situation.

      C'est ok, Patrocle, mais pas de secrets, tu dois tout me dire, et tu pourras compter sur moi comme  sur un soldat prêt à laisser sa vie au combat pour défendre son roi.

      Hier soir, avant qu'il ne me quitter et me laisse m'adonner à mes riches réflexions nocturnes, j'ai discrètement suivi de quelques pas le jeune homme afin de voir dans quelle partie du bateau il passait ses nuits. Dès lors, en cette fin de matinée, je gribouille sur un morceau de papier emprunté au cuisiner un petit mot que je glisse sous la porte.

      « Tu devras absolument TOUT me dire ». Je n'avais pas besoin de signer. Il saura.



      Cet après-midi, je suis chargée de nettoyer la hune principale du bateau, « et vite » .
      Quel tyran, avec moi, ce capitaine !

      Prenant une rapide pause en raison de mon essoufflement intense, je remarque que de là-haut, la vaste étendue salée semble d'autant plus infinie et l'air semble y être encore plus pur.
      C'est alors que je m’apprête à me recroqueviller à nouveau pour continuer ma tâche, portant ainsi mon regard plus vers le bas, que j’aperçois Patrocle sur le pont du bateau avec un papier à la main. Il se tourne vers la droite, puis vers la gauche, son regard semblant chercher quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Moi.
      Je met alors mes deux index et majeurs de part et d'autre de ma bouche et siffle un grand coup. Il se retourne en hâte mais ne me voit toujours pas. Bien que dans la bonne direction, il faut dire que je suis en hauteur. On dirait un de ces jeux où les enfants se font marronner.

      « En haut, le gladiateur ! »

      C'est au moment où il lève la tête et que nos regards se trouvent enfin qu'un sourire se dessine sur son visage. Avec un air satisfait, il balance dans un mouvement régulier, devant son visage, le mot que j'ai écrit.
      En souriant aussi, je lui adresse un rapide mouvement de tête, un « oui » affirmé, un « oui » de quelqu'un qui est sur de lui, équivalent à une franche poignée de main, avant de me remettre à la tâche. Et si mon aventure débutait enfin?

      La journée est passée à une vitesse éclair, tant je suis excitée et en hâte de découvrir la suite des péripéties, comme quand l'on découvre un bon roman. Sauf que l'héroïne de l'histoire que j'écrivais, aujourd'hui, c'était moi.

      Et cette histoire, je vais l'écrire pour toi, grand-père. Je vais réécrire un présent oppressant. Ou plutôt nous allons l'écrire ensemble, Patrocle. Prouves moi que je peux avoir confiance en toi et je servirais ta cause, qui, je l'espère, deviendra également mienne. Et ce, par tous les moyens!


        L'agitation laborieuse des marins se veut de plus en plus pressante sur le pont. On peut y voir une coordination plus qu'harmonieuse des différents corps de métiers présents sur ce navire.
        Au fur et à mesure que nous nous rapprochons du quai, les braillements et appels se font que plus omniprésents, portant une symphonie des plus inconnues à mes oreilles. Tout se mêle, les cris des marins s'interpellant, les piaillement des oiseaux marins de nouveau autour de nous, les cloches d'appels, le bruit de l'eau sillonnée par la proue.

        C'est voiles rabattues, avirons battants que nous nous dirigeons sûrement vers le port, un second-maître frappant la mesure lente et régulière.

        J'ai permis à la cause d'obtenir, je l'espère, quelqu'un de prometteur. Ce voyage aura était des plus bénéfique, un temps a priori perdu s'est transformé en aubaine. M'abaissant pour appuyer mes avants bras contre la main-courante, je redéploie le billet avec l'inscription de Tenku.

        Un léger rictus me vient, c'est effectivement une sorte de naïveté qui la tiens, ou serait-ce un engouement débordant. « Tout savoir , comment pourrais-je moi même tout savoir, je dois tout de même en parler avant à qui de droit, de ce plan minutieusement élaboré.
        Tout en me retournant je jette à l'eau le billet, après l'avoir chiffonné, pour me porter vers ma chambrée afin d'y prendre mes effets. Personne ne peut se porter garant du projet échafaudé entre Ragnar et moi, je ne peux pour le moment transmettre plus ample informations qui porterait à nous nuire. La confiance, comme toutes autres vertus, se gagne, et bien que je crois en la sincérité de la jeune demoiselle, je ne peux divulguer si vite nos intentions.
        Elle en saura bien assez tôt ou tard, au moment propice, car il ne faut ni l'effrayer ni la faire basculer dans l'autre camp.
        « Le mieux est l'ennemie du bien », voici qui guiderai bien nos actions jusqu'à l'application du projet.

        Repoussant la porte grinçante de ma chambrée, je porte pour la dernière fois les yeux sur ce qui e sert de refuge au sein de la Cuissarde. Cette gargote maritime, constituée d'un matelas râpeux et plus que recousu, cette maigre malle véreuse aux gonds rouillés, enfin, la table bancale qui me soutint quelques heures dans mes lectures et notes tardives. Il n'en faut certainement guère plus pour former un nid de réconfort au sein de cette compagnie de marins, constamment entre eux, l'isolement est étroitement lié avec la vie de groupe. Je m'assoie sur cette banquette rappeuse en relativisant les branles humides des matelots, ainsi, je me sens privilégié du peu de confort à ma portée.

        J'imagine facilement les quartiers libres de ces hommes, obtenus justement, célébrant copieusement leurs traversées, coulant sous un houblon frais, se réchauffant par la chair. Si mes maigres deniers me l'avaient permis, j'aurais souhaité les remercier pour une tournée dans un troquet, nombreux en ces ports.

        Je rassemble relativement rapidement mes effets, peu nombreux, dans ce sac de toile. Finissant de m'habiller de mon équipement habituel, je noue ma lance, aussi fermement que possible, à une corde pour faciliter son transport sur mon dos. La chambrée est remise en état en un éclair, pour d'autant plus aller profiter des manœuvres du pont principal. Je quitte donc l'antre de ce bateau, dont je ne verrai plus grouiller les marins harassés par la tâche, ivre du vin de bord.
        La petite échappée qui permet la jonction du plein air et de ce antre est avalée en deux enjambée, pour redécouvrir le ciel bleu sans nuage.

        Ça y est nous accostons, une dernière effervescence des maris qui jettent ces amarres et haussières sur le quai en vu d'une attache solide.
        Je me décide donc à franchir la passerelle et attendre Tenku en bas, qui à cette heure, doit faire ses adieux à ses quelques compagnons de voyage. J'attends donc assis sur la première caisse qui se porte non loin du bateau, en y posant mon bardas.
        Les discussions fusent, quelques retrouvailles dirait-on entre habitués du port, on se sert la main, on échange déjà des bourses, on retrouve la joie de la terre ferme.

        Bien entendu, La Cuissarde n'échappe pas à cette machination, des marins du port commencent de ce pas à y extraire les balles d’étoffes, tonneaux et autres marchandises destinées à ce lieu.
        L'atmosphère du port relève tout de même d'un contraste important, se mixant toutes la catégories de classes sociales, enfants des rues, filles de joies, et hommes de main. On y retrouve avant tout les laborieux, ceux qui travaillent pour vivre, jusqu'aux plus aisés ne gérant que commerces et navires.

        Voici donc pour la moi la fin de cette traversée, m'amenant jusqu'ici dans un but bien précis. On ne devrait pas perdre plus de temps, dès qu'elle arrive, j'ai un coup de fil à passer.

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        Je ne pensais pas que les adieux pourraient être chaleureux. Pourtant, les quelques accolades échangées sont affectueuses. Surtout celle que je gardais pour la fin. Les multiples discussions échangées avec le cuisinier lors de la traversée n’étaient jamais réellement profondes, mais toutes caractérisées par une certaine complicité qui nous animait, tous les deux. C’était un homme doux, gentil et soucieux de bien faire. Il faisait partie de ces gens qui mènent à bien les tâches qui leur sont confiées avec dévouement. J’aime sa motivation, son engouement pour des choses si banales et la joie constante qu’affiche son visage.
        - « Sois heureuse, et vole haut ! 
        - C’est promis, chef ! »
        Ces dernières paroles échangées et le cœur pincé par cet échange, je franchis la passerelle du navire. Quel plaisir de retrouver la terre ferme. Malgré l’agitation du quai, je retrouve une certaine sérénité à laquelle je n’avais pas gouté depuis un moment.
        C’est en faisant quelques pas et en manquant de percuter un enfant qui courait à vive allure sur le quai que j'aperçois Patrocle. Assis sur une caisse en bois, ses affaires rassemblées près de lui, il regarde dans ma direction. Il est clair qu’il m’attendait.
        - « Désolée si j’ai été trop longue.  C’est la cohue ici. Je suppose que tu sais où aller.
        - En effet. Je dois passer un coup de fil.
        - A propos de cette mystérieuse destination ?»
        Comme simple réponse, un léger rictus se dessine sur ses lèvres tandis qu’il se relève et s’engage dans une marche déterminée.

        Je comprends que ma mission ne se résume donc qu’à cela pour l’instant. Me résigner tant bien que mal à suivre ce jeune homme à l’allure de combattant sans poser de questions.

        Mais jusqu’où va-t-il m’emmener ?