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Le commencement, car il en faut bien un

Dunkan ouvrit ses yeux, qui contemplèrent l’obscurité. Depuis combien de temps était-il réveillé ? Deux minutes ? Cinq heures ? Avait-il seulement dormi ? Sans doute que oui, mais pas longtemps. Tant pis, c’était déjà ça. Il se redressa sans bruit sur son coude, jetant un coup d’œil dans la direction de la fenêtre. Sa forme fantomatique apparaissant furtivement, flottant dans les ténèbres environnantes. Il releva son oreiller et s’assit sur son lit, fixant le volet qu’il devinait dans l’encadrure. Il la regarda se détacher petit à petit, sortir de la grisaille du monde. Lentement, sans qu’on ne puisse vraiment dire quand cela commença, un mince rai de lumière vient éclairer la pierre du dortoir, mettant à jour les imperfections de la pierre. Ici, l’on voyait une teinte plus sombre, là un tailleur trop zélé avait créé un léger trou, ailleurs un éclat de mica scintillait vainement. Quand le petit éclat de pierre fut tout à fait dévoilé, le rayon s’avança pas à pas, presque timidement. On aurait presque dit qu’il avançait juste trop lentement pour que l’œil ne puisse le saisir. Et lui le regardait d’un regard aigu, comme s’il tentait de percer les mystères de cette lumière impromptue. Et la lumière continuait d’avancer de ses pas discrets. Au bout d’une éternité surprenamment courte, il avait conquis toute la distance jusqu’à la rainure du premier carreau et s’attaqua alors à franchir le second, d’une propreté presque aussi inhumaine que le premier. Quelque part au milieu de la poursuite du troisième, le silence explosa.
Le son cuivré des trompettes, ce son savamment strident, se répercuta à travers les couloirs déchirant le voile du rêve des dormeurs. Ce son trop familier semblait annoncer avec ironie l’arrivée de cette lumière grise, camer avec dédain la venue de son glorieux empire. Sans y avoir réfléchi, mué par l’ancienne mécanique de ses habitudes, il s’était levé au milieu des autres soldats et dirigé vers son placard pour enfiler son uniforme, cet uniforme rêche qui était sa vraie peau. Il n’aurait plus été capable de dire comment il faisait pour l’enfiler : il le mettait, c’est tout. Il se levait de son sa couche, enfilait son uniforme puis, tel un automate, prenait le chemin du terrain d’entrainement, puis courrait. Il courrait à en perdre le souffle, il courait comme s’il voulait distancer son ombre. Puis, au bout de la course, dix kilomètres plus loin, il s’arrêtait, toujours aussi vide. Ce vide béant et insatiable que même l’épuisement ne parvenait pas à combler. Ensuite venait la revue. Il parcourait ces couloirs, qu’il ne connaissait que trop pour surveiller le travail de ces hommes, qu’il ne connaissait pas. Il marchait, une ombre qui en surveillait d’autres, vérifiant les aptitudes de son peloton de femmes de ménages.
Ce que ni les cuivres ni la fatigue n’avait su faire fut finalement accompli par la consistance molle et le goût étrange mais bien connu du petit-déjeuner. Tandis que le brouhaha ambiant pénétrait peu à peu le brouillard qui verrouillait ses oreilles, il relevait lentement les yeux de cette bouillie que les cantiniers appelaient « nourriture ». Son regard traversa lentement la table, pour venir se fixer sur la chaise libre en face de lui. Il s’en détacha au bout de quelques secondes pour balayer des yeux la salle bien organisée. Elle était bien entretenue et régulièrement rénové, mais elle n’avait pas changé depuis toutes ces années. La salle était restée la même, mais les occupants avaient changés. Il ne connaissait plus le quart des soldats présent et tous les anciens s’en étaient allés. Maintenant, c’était lui qui était un ancien et, bientôt, ce serait son tour de s’en aller.


Les recrues se regroupaient dans la cour, sentant sur eux le poids des regards de tous les officiers et sous-officier qui allaient encadrer leur instruction. Au-dessus d’eux, le ciel grisâtre semblait hésiter entre laisser éclater une lourde pluie ou se dissiper en léger nuages. A croire que le ciel lui-même avait le sens des traditions. Ou bien peut-être lui faisait-il ses adieux de manière indirecte. Ce jour-là, quand tout avait commencé, c’était à leur place et sous ce même ciel qu’il s’était présenté. Une vie était passée et rien n’avait changé… Enfin… Il allait falloir remplir son devoir, une dernière fois, avant que tout s’arrête.


Il était là, dans ses vêtements trop grands, hésitant entre la peur de l’inconnu (s’il savait…) et la joie d’avoir échappé à la vie de pauvreté qui l’attendait (s’il avait sût…), tentant difficilement de faire montre d’un maintien militaire. Il était fier, alors, fier de sa force, fier de servir… Il n’avait aucune raison d’avoir cette fierté. Mais il se tenait là, confiant en l’avenir, effrayé par ces hommes aux visages fermés, le temps lui-même était à la jonction, le feu et l’eau se disputant son espace. Il avait cru au symbole d’un changement de l’ombre vers la lumière, là où il ne fallait voir que les influences de ces vents qui allaient ponctuer ses nuits les plus sombres. Il se revoyait droit, les mains dans le dos, peinant à rester tranquille, écoutant le discours du colonel sur l’honneur, le devoir et le sens de la vie de militaire. A l’époque, il l’avait trouvé très inspirant, porté par des idéaux, porté par ses idéaux.
Puis il avait rencontré son sergent instructeur comme eux le faisaient désormais et, malgré tous les efforts de ce dernier, il ne l’avait pas haï. Il avait compris le sens de ces cris, de cette autorité débordante, de ses injustices. Il l’avait même admiré pour la manière dont il tenait son rôle. Le vieil homme avait feint de ne pas remarquer cette admiration et ne lui avait jamais offert que des regards vides, dépourvu de la moindre étincelle d’intérêt, le même regard que devait subir de plein fouet cette fille au premier rang.


Dernière édition par Anna Cherchelune le Sam 10 Aoû 2019 - 11:17, édité 1 fois
    Un cri retentit à l’avant du navire et tous cessèrent soudain leurs occupations, ou plutôt leurs manières de tuer le temps, pour se précipiter vers la proue du navire. La cohue était telle qu’Anna ne pouvait trouver la moindre place pour y voir. Après un instant de recherche, elle se saisit de l’un des boutes d’amarrages et, le tenant, se jeta par-dessus le bastingage. Le chanvre lui mordit les mains avec plus de violence qu’elle ne s’y attendait, mais ses pieds rejoignirent fermement le côté de la coque, lui offrant un point de vue intéressant bien qu’exotique. Elle chercha une irrégularité au milieu des vagues, sans succès. Les murmures qu’elle entendait sur le pont semblaient lui indiquer qu’elle n’était pas la seule, jusqu’à ce qu’un second cri se fasse entendre.

    Elle ramena son regard sur les creux mouvants qui délimitaient son horizon, cherchant le moindre signe de ce qui serait sa maison pour les prochain mois. Elle l’aperçu d’abord fugitivement, un point sombre qu’elle n’était pas certaine d’avoir vraiment vu, puis suffisamment pour savoir qu’elle ne l’avait pas rêvé. Petit à petit, la base se dévoila à ses yeux : d’abord, sortant seul des eaux, une tour blanche à l’allure presque luxueuse et agréable. Presque. Elle semblait posséder une aura d’ordre martial et d’inflexibilité, mais rien de tangible ne venait renforcer cette impression en perturbant la pureté de nacre de nacre de la flèche.
    Doucement, d’autres tours, à l’aspect moins prétentieux mais bien plus menaçant apparurent. Le marbre avait été délaissé pour le granit et l’acier, les baies vitrées pour des meurtrières : leur but premier était la guerre et elles le clamaient au monde. Petit à petit, les murailles de la place forte apparurent, bloc gris aux arrêtes saillantes et nettes, qui s’élevait par les tours et qui se prolongeait par une ville fortifiée, d’à peu près la moitié de la taille de la forteresse.
    Anna avait beaucoup voyagé et beaucoup entendu. Elle connaissait la plupart des légendes d’East Blue. Certaines tenaient plus de la vaste farce ou de la théorie du complot. Certaines, bien que vraisemblablement fausses, lui semblaient contenir un fond de vérité. Celle qui concernait la ville était de celles-là : si, partout ailleurs, la marine avait pour mission de protéger la population, ici, en cas de besoin, c’est la ville elle-même qui devrait servir de défense à la forteresse.

    Il leur fallut encore près d’une heure avant d’arriver, heure durant laquelle les détails de la base se dévoilèrent peu à peu à eux, mais ils n’eurent pas réellement l’occasion d’admirer le paysage à cause des nombreuses activités proposées par l’équipage : tout d’abord, l’enguirlandage en règle d’une marine un peu trop téméraire qui s’était à moitié jetée par-dessus bord (« oui mademoiselle, vous savez peut-être pertinemment le faire, mais le fais est que J’EN AI RIEN A FOUTRE ! ») , puis en leur faisant récurer le navire et surtout le dortoir avec un soin méticuleux, avant de finir par un jeu des plus simple : le cache-cache.
    « On va commencer les manœuvres, donc c’est bien simple : j’en vois un seul avant qu’on ait terminé, je m’assure qu’il ne voit pas le soleil avant une semaine, c’est clair ? »
    Le groupe de bleus se réunit donc dans la cale en attendant le signal, tentant de comprendre à l’oreille le déroulement de la manœuvre. Les grincements du navire étant peu parlant, ils orientèrent plutôt leur attention en direction des directives lancées par les marins dans leur jargon mais, trop inexpérimentés, abandonnèrent pour la plupart.

    Anna suivit le moindre de leur déplacement, compris le chant du navire. Elle était plus à l’aise en mer que sur terre et savait sans doute mieux diriger le voilier familial que marcher sur un sol immobile. Malgré son appréhension, elle admirait la maestria de ces hommes, leur coordination, leur froide maitrise de la mer. Il n’y avait pas véritablement d’amour pour le navire chez eux, mais on sentait nettement qu’il ne le négligerait en aucun cas pour autant. Petit à petit, le bruis des vagues qui se brisaient contre les murailles faisait deviner que l’arrivé se rapprochait.
    Le vacarme assourdissant des lourdes portes de métal coupa court à ses réflexions, tandis que les vagues s’agitaient soudainement, faisant danser la coque pour le plus grand déplaisir de certains de ses camarades. Les portes s’immobilisèrent enfin dans un claquement de chaines auquel succéda un silence qui résonna dans le vide laissé. Puis les conversations reprirent de plus belle, alimentées par le stress et la peur de l’inconnu. De son côté, le navire bougea, tangua, ralentis, puis s’arrêta finalement. Au bout de longues minutes qui parurent des siècles, la trappe s’ouvrit et la lumière se déversa à nouveau dans la cale.

    Les nouvelles recrues sortirent au soleil de façon désordonnée et plus ou moins assuré, voir verts, pour arriver au cœur du port militaire. Tout autour d’eux, amarrés à de lourds pontons de pierres, se dressait de puissants galions et d’impressionnantes frégates tandis que l’on devinait plus loin quelques caravelles et des bateaux pilotes, minuscules au côté de ces géants des mers. Une fois encore, l’admiration de la jeune fille fut stoppée par un puissant bruit, qui prit la forme d’ordres lancés par l’officier venu les accueillir. Sous ses directives, elle tenta maladroitement de se mettre en ordre pour former, avec ses camarades, un tout cohérent. Le résultat maladroit était sans doute loin d’être convaincant, mais leur responsable s’en satisfait.
    Il les guida alors à travers les cours et les allées de la forteresse, jusqu’à rejoindre l’immense place centrale, le cœur militaire d’East Blue. Devant eux se tenait, dans un ordre millimétré, un groupe d’officier dont ils ne parvenaient pas à identifier les gallons. Ils se tinrent absolument immobile tandis que les aspirants prenaient place. Quand la formation fut complète, celui qui semblait le plus gradé fit un pas en avant et pris la parole pour un long discours. Il y était question d’un honneur protéiforme, de la joie de suivre les ordres et du fait de faire ses devoirs avant d’aller se coucher, en grossissant un peu le trait. Anna devait bien admettre ne pas être des plus réceptives au discours, seul le paragraphe sur la justice trouvant des échos chez elle. Autour, si certains semblaient de fait transportés par les mots, la plupart variaient d’un accord tiède à un franc désintérêt pour les valeurs de l’armée.
    Le soleil pointa un instant son nez un vers la fin de la palabre mais avait disparu quand ils passèrent à l’étape suivante : la division arbitraire du contingent en groupe de formation, chacun dirigé par un sergent instructeur.

    La section d’Anna comprenait une dizaine de personnes aux profils très divers, mais tous avaient un point commun : elle ne les connaissait pas. Sans avoir pu échanger un mot, le groupe d’inconnu suivi celui qui était désormais leur supérieur en direction de leurs quartiers, le tout au pas de course. Ils traversèrent une enfilade de couloirs et d’escalier en tous sens pour arriver finalement dans le bâtiment qui leur était dédié : des douches, des sanitaires et deux dortoirs, un pour les hommes, l’autre pour les femmes, le tout relié par un couloir.
    A peine cette courte visite fut-elle terminé que le sergent les renvoya courir dans le labyrinthe des murs pour récupérer leurs uniformes et uniformes de rechanges, leurs uniformes de cérémonies. Bon, et aussi quelques affaires de toilettes. Ils reprirent alors le même chemin en sens inverse, suivant le sergent dont il n’avait encore pratiquement que vue le dos. Une fois de retour, ils découvrirent un nouvel élément sympathique de la vie de militaire : l’organisation. La serviette devait être pliée selon un certain schéma de façon millimétré, les uniformes mis dans l’armoire suivant une organisation précise qui était la même pour tout le monde, tous dans un sens, le lit être fait de différentes façon selon le moment… Les explications durèrent véritablement des heures entières. Même en partant en mer pour des mois entiers, l’organisation n’était jamais aussi draconienne.
    Quand fut enfin finie l’improbable tâche d’aligner les piles de chaussettes, ils eurent alors l’occasion de faire connaissance durant la pause repas d’une heure qui leur était accordé. Trouver un sujet pour lancer la conversation peut être une tâche compliquée lors de telles situations, mais la marine leur en avait élégamment fourni un en la personne d’un repas qui semblait être composé de rat mal cuit et de farine humide. Même Anna, qui avait eu à manger des rations de survie en mer, même ceux qui n’avaient pu prendre un repas cuisiné de leur vie l’admire : quoi que ce soit, c’était immonde. Très nourrissant, sans doute, mais ça ramenait le fait de manger au rang de la commission : le seul plaisir qu’on en retirait, c’était d’avoir terminé.
    Ce genre de conversation n’apporte pas grand-chose et n’aide pas à connaitre les autres, mais elles brisent la glace et permettent de souder un groupe, ce qui a toujours été le seul but de l’armée. Faire un plat si mauvais ne s’improvise pas et demande de bonnes doses d’efforts et d’ingéniosité. Surtout qu’il hors de question de rendre les hommes malades. Les bases de formations se devaient donc de posséder des élevages de rat dont on surveillait la santé de très près, il avait aussi fallu mettre au point une technique de cuisson particulière pour stériliser la viande. Quant à la pâte, trouver une recette adaptée avait été une énigme sur laquelle s’étaient acharnés certains des plus grands cuisiniers : elle devait apporter un apport équilibré des oligo-éléments, vitamines et autres sucres tout en ayant strictement aucun gout. L’aboutissement de ce repas était déjà en soit une preuve de la puissance de la Marine.

    La pause fut courte, trop courte à leur goût,  comme le sont toujours les pauses. Ils s’enfoncèrent à nouveau dans le dédale de pierre taillée et de métal pour atteindre enfin l’armurerie. Chacun reçus alors un fusil sans aucune balle et on leur expliqua que ce fusil était désormais le leur, qu’ils en étaient responsables et que ça sous-entendait un nombre certain d’ennuis s’ils n’y faisaient pas attention. L’après-midi fut ensuite dédié à apprendre l’entretiens de leur arme sous les conseils des armuriers et le regard du sergent.
    Anna, placée au premier rang, subissait de plein fouet le regard de son supérieur. Un regard vide, un regard mort. Concentration ! On met cette pièce par ici, on tourne vers… la droite ? Son regard remonta, comme aimanté, vers l’homme.  Il lui rendit son regard avec un désintérêt profond, mais soutenu, impossible d’y échapper. Il était… dérangeant. Elle ramena son regard sur l’arme en pièces, tentant de se souvenir des conseils qu’on leur avait donnés. Elle maintient son attention dessus jusqu’à avoir fini. Le résultat, manifestement, ne ferait même pas une arme contendante correcte. Elle sentit encore une fois ce regard sur elle, comme une brulure à mesure que sa concentration fondait comme neige au soleil. Il ne lui en voulait pas, ne s’énervait pas. En fait, il ne semblait même pas y faire attention, bien qu’il n’y ai pas moyen qu’il n’ait pas vu son cuisant échec. Et il continuait à la regarder, fixement. Ou plutôt, non, il ne la regardait pas, il regardait dans sa direction, sans la voir.
    « Recommence. »
    Elle sursauta, ramenée à la réalité de sa tâche par la voix rauque du sergent. Son regard, bien que toujours indifférent était cette fois clairement braqué sur elle. Elle reprit depuis le début, s’appliquant sur les schémas, assemblant difficilement l’ensemble. Petit à petit, à mesure que les autres finissaient et attendaient, elle pouvait sentir les regards s’alourdirent sur elle, ce qui n’aidait pas vraiment à se concentrer. Elle dût s’y reprendre à trois reprises avant de terminer correctement et tous avaient terminé depuis longtemps.
    « Mademoiselle Cherchelune, vous me faites trente pompes pour avoir retardé tout le groupe. »
    Sans discuter, elle s’exécuta. Elle s’était déjà bien assez fait remarquée. Ses muscles se tendirent dans un silence total tandis qu’elle commençait. Elle était forte et endurante, les 10 premières furent simples. A la fin de la deuxième décade, son souffle était court. Ses muscles criaient pitié pour la trentième. Ses lèvres restèrent serrées, mais, une fois fini, elle s’effondra.
    « Et c’est précisément pour cette raison que vous devez avoir un entrainement ».
    La phrase n’était pas agressive, elle tenait simplement de la constatation.


    Dernière édition par Anna Cherchelune le Sam 10 Aoû 2019 - 13:22, édité 2 fois
      Le contingent de nouveau était réuni sous le regard de Dunkan et des officiers. Des uniformes identiques, répétés à travers la cour en une marée pointilliste, coulant maladroitement vers la porte, se heurtant sans cesse aux ordres des sergents qui les reprenaient et les dirigeaient. Petit à petit, les mouvements étaient plus fluide, la mer moins chaotique, les vagues plus unies.
      L’un était en avance. L’ordre de départ claqua dans le vent, la main se leva, plus vite que les autres. Le pouce était rentré à l’intérieur, dans le creux de la main, les autres doigts légèrement repliés autour de lui, cherchant à le protéger. Le coude commença à se déplier, faisant danser les muscles sous sa peau, tandis qu’autour les mains finissaient de se lever. Ses ongles étaient courts, à peine visibles, ce qui n’empêchait pas un peu de terre de se cacher sous leur surface, qui contrastait fortement avec sa peau pâle. A mesure que l’on remontait son bras, suivant le tracé des veines que l’on devinaient sous sa peau, la transpiration coulait doucement, collant ses poils contre sa peau. Le bras balançait à nouveau vers l’avant, toujours un temps trop tôt. Au moment de passer son corps, ses doigts se referment furtivement en poing, l’espace d’un battement de cil.

      Une goutte de pluie. Elle était la première de l’armée qui allait suivre, mais elle avait touché juste, frappant la pommette de Dunkan dans une petite tâche de fraicheur. Ce serait loin d’une tempête digne de ce nom, mais les jeunes allaient finir bien trempé. L’exercice allait être un peu plus intéressant que prévu. Ils commençaient à apprendre à marcher en rythme, à réagir en groupe, mais il y avait encore du boulot, notamment en ce qui concernait l’abnégation. On ne s’y attaquait en général pas si tôt, mais le ciel avait visiblement préparé une interrogation surprise.
      La marche s’interrompait de moins en moins souvent et la bruine qui les entourait était un agréable rafraichissement. Là où il avait fallu près d’une heure pour le premier kilomètre, le trajet en direction de la porte ne prit qu’une dizaine de minute. Les premiers éclairs zébrèrent le ciel quand l’ordre d’ouverture de la porte fut donné. Une première vague de nervosité parcouru les rangs. Aucun ordre n’était encore nécessaire.
      Ils franchirent les portes tandis que la bruine diffuse se transformait lentement en averse. On devinait encore, loin à l’horizon, que le ciel bleu existait toujours. Mais la forteresse et la ville étaient maintenant recouvertes d’une lourde cape sombre, précipitant le début d’après-midi dans un doux  crépuscule. Le menton levé, la jambe haute et l’œil vif, ils étaient fiers.

      Une vieille tradition voulait que les bleus passent par toutes les rues de la ville pour leur première marche. Un ancien commandant avait calculé le chemin le plus long à emprunter pour y parvenir. Les pavés s’enchainaient sous les chaussures, alors que les pieds les plus faibles étaient partagés entre le froid et les élancements, tandis que la poussière se soulevait sous les coups répétés et coordonnés. On approchait de la fin de la première traversé des grandes avenues.
      La pluie se faisait plus dense, mitraillant les jeunes d’une infinité de petites pointes de froid, comment autant de balles de tissues humides. Une ne faisait rien, on ne faisait pas attention à la dixième, la millième menaçait directement les nerfs. Les têtes se recroquevillaient, cherchant un futile abri derrière les épaules et l’arrondi du dos. Certains tournaient la tête, cherchant des yeux les toits qui bordaient la rue, caressants de leurs cils le doux espoir de ce maigre refuge.
      L’adjudant qui guidait la marche haussa le ton que pour être entendu de tous au-dessus du martèlement de la pluie. Sa voix était détachée, complètement indifférente, parfaite :
      « Vous pouvez allez vous abriter si vous voulez. Mais n’espérez pas revenir après. »
      Tout était dans l’indifférence. Les gens veulent qu’on les aime, qu’on les respecte ou, à défaut, qu’on les déteste. L’indifférence attire l’attention, elle appelle à une réaction. Bien sûr, elle ne suffirait pas, pas longtemps. Mais elle était la première étape.

      La marche continuait. Toujours le même rythme, toujours la même cadence, mais l’énergie n’y était plus. Les violentes rafales couplées à la fatigue faisaient trébucher les marcheurs dans les rues désertées. Sur les pavés, la poussière et la terre s’étaient transformées en boue, de cette boue collante et élastique où il fallait forcer pour en libérer son pied et l’assurer en le posant pour éviter qu’il ne s’enfuit, emmenant le reste du corps avec lui. Les jambes étaient lourdes de se lever, les yeux fatigué de percer le rideau de pluie. Mais devant et sur les côtés, les officiers étaient là, marchant du même pas égal et cadencé, guidant le troupeau, et personne ne voulait être le premier à s’arrêter : la marche continuait.
      Dans le groupe qui précédait le sien, un gamin finit par tomber. Ceux qui le suivait, aveuglés par la pluie et rompu de fatigue ne réagirent pas à temps et trébuchèrent sur lui. La colonne toute entière, dérouté, s’arrêta. Tous se relevèrent rapidement, puis quelques secondes de désorganisation. Enfin, une voix se leva, perdue au milieu de la foule :
      « Y en a marre, j’ai pas signé pour ça. Moi j’voulais attraper des pirates, pas faire des randonnées et prendre des douches !
      -Et d’après toi, si tu tombes sur un pirate maintenant, tu l’attrapes ou il t’étripe ? Vous n’êtes pas prêts, trop faibles, trop fragiles. Si vous êtes là, c’est pour vous endurcir ! Pour apprendre à vous battre ! Et vous avez signé pour mourir pour le GM. Mais votre mort ne l’intéresse pas. Il veut que soyez prêt à mourir pour lui, mais que vous viviez pour le servir, et c’est pour le servir que vous marchez, pour apprendre et vous renforcer, pour ne pas mourir à l’heure des combats ! Et si tu n’as pas signé pour ça, alors va-t’en. Quelqu’un d’incapable de supporter la pluie pour la marine ne pourra jamais mourir pour le GM »
      Un long silence suivi le discours. Certains hésitaient à partir, d’autre sur la conduite à tenir. Les derniers réfléchissaient au sens de ce qui venait d’être dit. Puis les officiers reprirent la marche, ne laissant plus de place à l’hésitation. L’un après l’autre, tous suivirent. La marche reprenait. Fatiguée, trempée, perdue, mais désormais déterminée à en finir.

      La pluie, un moment plus tard, se calma en une simple averse pour ne devenir, alors qu’il traversait les derniers petits chemins de boue, de simples gouttes éparses. Tandis qu’ils revenaient enfin vers les lourdes portes de la citadelle, le ciel retrouva des teintes de bleu, rendant doucement le jour qu’il avait volé. Un jour usé, dont les lumières commençaient à tirer sur le rouge, mais un jour tout de même.
      Ils avaient réussi, et ils en étaient fiers. Leurs bras tiraient, leurs jambes mal entrainées ne demandaient qu’à s’effondrer, les ventres criaient famines, mais ils avaient tenus jusqu’au bout. Il les regarda avec fierté : ils progressaient, l’entraînement se passait bien. Il s’assit, un sourire éclosant tranquillement sur ses lèvres, tandis que les hommes, épuisés, se dirigeaient d’un pas titubant vers l’ordinaire pour calmer au moins l’un de leurs maux. Ils allaient devenir de vrai soldat.
      Le sourire se flétri doucement sur son visage tandis que les pétales de sa bonne humeur se dispersaient au vent. Le mot qu’il n’avait pas prononcé lui restait dans la bouche, distillant un gout amer : « soldat »…


      Dernière édition par Anna Cherchelune le Sam 10 Aoû 2019 - 14:40, édité 1 fois
        Anna s’élança sur la piste de terre battue qui encerclait la base, le claquement de ses pieds se mêlant à ceux de ses compagnons en un grondement sourd. Ses muscles, de manière synchronisée, se contractaient et se dépliaient souplement sous sa peau en une mécanique périodique, répété à chaque pas. Autour d’elle, le groupe commença à se déliter : les plus forts, les mieux entraînés, se permettaient d’aller plus rapidement, dépassant sans difficulté ceux qui n’avaient pas leurs aptitudes. Puis ceux laissés derrières se séparèrent à nouveau en plusieurs groupes à mesure que chacun prenait sa vitesse de croisière. Le premier kilomètre n’était pas terminé et Anna, comme depuis le premier jour, était dans le dernier groupe.

        Au moins, désormais, ceux parmi les moins endurant n’étaient plus laissé sur place mais parvenaient à s’accrocher, à accrocher la course. Chaque groupe avait désormais trouvé son propre rythme, tous courant ensemble, les pas roulant sur le sol suivit d’une courte pause avant que le roulement ne reprenne de l’autre pied. Puis il recommençait, en un rythme régulier et hypnotique. Petit à petit, les consciences s’endormaient, les pensées se détachaient et le corps continuait seul sa route, sans aucune pensée rationnelle pour le guider. La tête, de son côté, rêvassait doucement dans un monde rendu cotonneux par l’effort. Un pas, deux. La vie de soldat, quelque part, n’était pas si loin de celle d’un marin. Trois, quatre, cinq. Tout y était réglé, d’une organisation millimétrée. Il y avait un travail à faire et on le faisait. Six. Sans se poser de question. Sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize. Et à la fin de la journée, on s’écroulait sans dire un mot, rompu par la fatigue de l’exercice.

        Malheureusement, un tel détachement demande que les muscles travaillent sans difficulté et donc qu’ils restent dans ce qu’ils savent faire. Vers la moitié du parcours, le souffle, déjà court, devient encore plus difficile. Elle continua. Encore un kilomètre et les jambes commençaient à tirer désagréablement sur leurs muscles. Elle continua. Bientôt, les bras devenaient lourds à leur tour. Elle continua. Les cuisses se mirent à la bruler. Elle continua. Le point de côté était déjà bien installé, mais se mua soudain en crampe : elle s’écroula.

        Incapable de courir plus longtemps, elle se roula en boule dans le vain espoir de faire disparaitre la douleur qui lui cisaillait le ventre, tentant difficilement de reprendre de l’air. Devant elle, ses compagnons d’infortune avait bien assez de mal à continuer pour avoir même remarqué sa disparition et, à plus forte raison, pouvoir l’aider.
        Petit à petit, le souffle lui revient, l’aidant à supporter la douleur. C’était une douleur vive, violente mais continue. Ça ne la rendait pas moins douloureuse, mais juste un peu plus supportable. Petit à petit, lentement, si lentement, la douleur s’évaporait. Ce n’était pas la première fois de sa vie qu’elle se faisait une crampe, et elle savait d’expérience qu’elle disparaissait en réalité en quelques minutes, mais le savoir n’empêchait pas les heures d’être ressentit. Enfin, la douleur s’en alla tout à fait.

        Anna se releva et repris sa course malgré la fatigue et son corps qui la suppliait de se reposer. Ce serait une très, très mauvaise idée. Il ne devait plus rester qu’un petit kilomètre, mille petits mètres. Ils ne furent pas simple, mais ils étaient d’une difficulté accessible : sa pause l’avait forcé à reprendre son souffle et ses muscles, à l’exception de son ventre, avaient eu l’occasion de se reposer.
        Enfin, après un dernier virage, elle aperçue son point de départ. Une nouvelle fois, elle avait réussi le petit miracle qu’était cette foutu course de dix milles putain de mètres.

        Elle s’écroula aux côtés des autres, se reposant comme elle le pouvait dans le peu de temps qui lui restait.
        « Cherchelune, toujours pas fichu de courir correctement, on dirait ?
        -Non sergent, pas encore.
        -Et qu’est ce qui te fait penser que tu es capable d’être un soldat ? »
        La question la prit au dépourvu, et elle ne sut que répondre, bafouillant seulement un :
        « Je ne sais pas, sergent. »
        Il la regarda un moment d’un air méprisant avant de lâcher « Il va falloir me prouver que tu en es capable. Ce soir, et tous les soirs jusqu’à ce que saches courir correctement, tu vas me refaire ce parcours. »
        Derrière lui, les autres lui jetèrent des regards de pitié.
        « Oui sergent. D’accord sergent. »

        Sans autre répit, il les fit se relever, exécuter un garde-à-vous, puis les renvoya sur une série de pompe. Anna, qui était plus douée pour cet exercice, pu cette fois éviter de se faire remarquer : elle n’avait pas le monopole de la fatigue.
        L’exercice, clairement, n’était pas agréable, loin s’en fallait, mais on était loin de la torture qu’avait représenté la course de fond. Pour elle, tout du moins. Si les pointes de la course se débrouillaient généralement pour tenir les autres exercices, certains s’y montrant même encore plus brillant, d'autres, en milieu et en queue de peloton tremblaient déjà sur leurs bras après la fin de la première série.

        Les exercices de renforcements prirent encore près d’une heure pendant laquelle le sergent instructeur mérita pleinement la réputation de sa profession. Il s’emporta à la moindre occasion, employant un vocabulaire qui, disons, ouvrit de nouveaux horizons à tous ses heureux élèves. Qui furent moins ravis quand trois d’entre eux subirent des punitions à l’image de celle d’Anna, dont une pour un motif bien moins grave que pour cette dernière.
        Transpirante et vidée après une énième série d’abdominaux, désespérant de savoir ce qui allait maintenant arriver, Anna était étendue dans la poussière qui se mêlait à leur transpiration en une boue fine et ocre. L’air et le courage commençaient à lui manquer pour se relever.
        « Terminé pour ce matin. Filez à la douche, votre odeur de porcelet est en train de décaper la peinture ! »
        Il lui fallut plusieurs secondes avant de comprendre le sens des mots et encore près d’une minute pour réussir à se relever. Le contingent se mis lentement en formation sous les imprécations de son supérieur, avant de prendre la route de leur baraquement en formation, marchant au pas cadencé.

        L’eau chaude se mit doucement à couler sur sa peau, emportant la terre séchée et la sueur qui recouvrait sa peau et ses cheveux tandis que la chaleur et l’humidité de la salle se condensaient en une brume diffuse. Elle se laissa doucement aller à la torpeur douce qu’apportait la pluie chaude, sentant ses muscles crispés se délier lentement sous la caresse des torrents puissants qui la recouvraient. Autour, les premières langues commençaient à se délier, pour demander un savon, une serviette, un rasoir.

        Puis, au bout de quelques minutes, une fille se sentit de rentrer dans le vif du sujet :
        « Qu’est ce qui lui prend ? Il était… pas ‘sympa’ mais moins… enfin, vous voyez, avant.
        -Je ne sais pas », répondit une deuxième, « on dirait qu’il nous en veux.
        -C’est peut-être simplement une augmentation du rythme ?
        -Aussi brutale ? Ça m’étonnerait. Pour moi, il est entrain de péter les plombs »
        Anna perdit rapidement le fil de la conversation, préférant se livrer toute entière au massage purifiant de la douche. Quand la disparition progressive des voix en fond lui apprit que le temps de la douche touchait à sa fin, à regret, elle coupa l’eau et attrapa une serviette propre et un uniforme repassé, avant de se diriger vers le petit déjeuner.



        Elle regarda avec désespoir le couloir. Long de pas loin de cent mètres et haut de trois, une bonne quinzaine de portes menant à des bureaux d’officier. La serpillère, le chiffon, les produits d’entretiens et le balai à côté d’elle semblaient la mettre au défi d’un air narquois.  Ce n’était pas exactement ce dont elle rêvait en pensant à la marine. Avec un soupir de résignation, elle se saisit du dernier des cavaliers de l’ennui pour entamer sa difficile mission. La poussière s’entassait en une vague minéral qui semblait avancer en un temps géologique, traversant le couloir en butant sur les rainures du carrelage.
        A la fin de la traversé, une fois que l’amas avait atteint son dernier séjour dans le sac des déchets, elle était déjà surprenamment fatigué. La serpillère puis le chiffon, accompagné des produits s’égrenèrent ensuite en un rythme lent, mécanique, mécanique come le tic-tac de l’horloge qui emplissait l’espace de son bruit.
        Soudainement, ce fut fini. Elle avait tout balayé, astiqué, dépoussiéré, récuré, poli, désincrusté. Un coup d’œil vers l’horloge lui apprit que le temps dévolu à la tâche était désormais terminé depuis un bon quart d’heure, mais le sergent ne semblait toujours pas arriver pour vérifier travail. Il ne restait donc plus qu’à attendre.
        Ses réserves sérieusement usées de patiences se vidait à toute allure, le tic—tac de l’horloge lui portant sur les nerfs. Une minute. Tic-tac, deux minutes. Tic. Trois. Tac. Au bout de cinq, elle entendit à travers le vacarme assourdissant des aiguilles un pas négligent se rapprocher. Un officier entre deux âges aux gallons qu’elle ne parvient pas à reconnaitre tourna au coin et l’aperçu avec un air vaguement surpris.
        « Qu’est-ce que vous faîtes là, soldat ?
        -J’attends la revue du nettoyage mon adjudant ! »
        Le grade avait été donné au hasard en se basant sur sa connaissance encore bancal de la hiérarchie militaire.
        « C’est gallons sont ceux de lieutenant, soldat. Et on parle en général de travaux d’intérêt généraux, ou TIG.
        -Oui, mon lieutenant, pardon mon lieutenant.
        -Bon, je vais régler cette question, tant qu’à faire. »
        L’homme parcouru l’endroit, s’arrêtant par moment pour vérifier un meuble, une plinte ou une porte. Arrivé au bout il lui fit un signe de tête affirmatif.
        « Très bien soldat. Votre nom ?
        -Cherchelune, mon lieutenant.
        -très bien, soldat Cherchelune, je confirme que votre travail a été fait et vous donne quartier libre.
        -Merci mon lieutenant ! »
        Anna s’éloigna d’un pas rapide en direction du terrain d’entrainement. L’heure du repos n’était malheureusement pas encore venue. Avec appréhension, elle se rapprocha de la ligne de départ tandis que le vent du soir se levait doucement et qu’au loin les lumières au bord du ciel se teintaient doucement de couleurs chaudes. Avec un soupir pour tenter de libérer sa gorge de la boule qui l’obstruait, Anna s’élança, seule, sur la piste.


        Elle n’avait jamais été une grande coureuse, la faute à son environnement. Il est difficile de courir bien longtemps quand on passe les trois quarts de l’année sur un bateau. Elle était loin d’être la recrue la plus faible ou la moins compétente d’une manière générale, mais elle n’était clairement pas à niveau pour la course.
        Elle pouvait lever une voile à la force de bras ou tenir la barre pendant un grain, soulever une caisse de plusieurs dizaines de kilos ou se repérer aux étoiles, mais on allait l’empêcher de devenir une marine par ce qu’elle ne savait pas foutre un pied devant l’autre assez vite !
        La course ne fut pas exactement simple. Dans les points positifs, il n’y avait personne pour lui mettre la pression ou de limite de temps. Dans les négatifs, une journée de travail et de ménage pesait sur ses épaules ET C’ETAIT UNE PUTAIN DE COURSE !
        A cinq reprises, épuisée, il lui fallut s’arrêter pour se reposer et éviter une nouvelle crampe ou évacuer un point de côté trop douloureux. Pour répéter ces dix pauvres kilomètres, plus d’une heure et demi lui fut nécessaire. Au côté de la ligne d’arrivée, la silhouette du sergent se détachait dans la pénombre naissante.
        « Eh bien, il y a encore du boulot. »


        Dernière édition par Anna Cherchelune le Sam 10 Aoû 2019 - 14:54, édité 1 fois
          Dunkan ouvrit d’un geste hésitant la porte banale qui se présentait devant lui. C’était une petite porte de chêne de trois centimètres d’épaisseur recouverte d’un vernis sombre, vieux mais toujours bien en place. Elle pivota en silence sur ses gonds, soigneusement huilés par une recrue deux fois par mois, ouvrant sur une salle austère. Des rangées d’étagères soigneusement disposées se suivaient inlassablement sous la lumière blafarde et omniprésente dispensée par les fenêtres réglementaires. Ici commençait le royaume des archives.
          On imagine souvent de telles endroits comme sombres et poussiéreux, suivant une logique malade que seul leur propriétaire pouvait comprendre. Aucun de ces qualificatifs ne correspondait à l’endroit. La lumière et les livres y étaient alignés avec une perfection géométrique, la première éclairant clairement les dates croissantes figurant au dos des seconds tandis que la saleté de la pièce, si jamais elle avait existé, avait été purement effacée de ces livres d’histoire. Non, l’endroit n’était pas lugubre et effrayant. Il était… terne et déprimant.

          Il s’avança, incertain, au cœur du lieu. Sans raison particulière, après une seconde d’hésitation, il entra dans l’une des rangée, fit quelques pas et se saisit de l’un des lourds recueils, vraisemblablement au hasard. Sur sa tranche on pouvait voir apparaitre en lettres de cuivres « 1597 » suivit d’un numéro d’unité. Il parcouru rapidement les noms et les pages, s’arrêtant parfois sur l’un d’eux.  Avec un soupir, il referma avec douceur le volume avant de le replacer précisément à son emplacement.
          La scène se répéta à nouveau un peu plus loin, puis à nouveau. Encore une fois, encore une autre. Lentement, son visage se fermait, s’effaçait. Un livre, parmi les plus récents lui échappa des mains, créant un choc qui résonna dans le silence de cathédrale. Il se rappelait du petit Jhin. Un gars souriant et compétent, qu’il avait formé deux plus tôt. Quand il y repensait, il se disait qu’il avait surement déjà réussi à passer officier. Aux côté de son nom, dans une encre d’un noir banal et tracé d’une main désinvolte apparaissait une mention en quatre lettres : « mort ».

          Délicatement, ses mains reprirent le classeur et le remirent à sa place en tremblant légèrement, sa place, ici, sur cette étagère de bois et de métal, perdue au milieu de centaines d’autres, une vie perdue. Combien d’autres étaient perdues dans cette mer de papier après avoir disparu dans un sombre océan liquide. Etait-ce vraiment à ça qu’il avait dédié sa vie ? À préparer des innocents à la perdre ?
          Depuis désormais cinq jours qu’il parcourait ces archives à la recherche de ses anciens protégés, sa décision ne faisait que s’affirmer : Il n’y en aurait plus d’autre. Il allait faire tout ce qui était en son pouvoir pour qu’ils abandonnent. Puis il serait envoyé à la retraite sans honneurs, en punition pour ses fautes, mais quel honneur y avait-il qu’ils puissent lui donner ? Il avait cessé depuis longtemps de compter ces petites mentions noires à côté de noms anonymes. D’autres mourraient, il n’y pouvait rien, mais il sauverait ceux qu’ils pouvaient quitte à faire de leur vie un enfer.


          Parmi tous ses protégés, seul Anna n’avait pas eu droit de recommencer entièrement son ménage ce jour-là, ayant eu la chance d’échapper à sa revue. Mais cette journée n’était que le début. L’usure, la répétition et la fatigue s’accumulaient rapidement sur les pauvres bleus. Mais les effets voulus ne suivirent pas. Seul cinq baissèrent les bras. Les plaintes que l’on pensait à l’abri de ses oreilles disparaissaient doucement : chacun serrait les dents, gardant le peu d’énergie qui lui restait pour continuer à avancer. Ils étaient perdus au cœur de la base labyrinthique, elle-même dans un coin de la mer, loin des routes de navigations. Et les autres restaient. Ils ne voyaient aucune échappatoire. Rapidement, les punitions commencèrent à devenir injustes, des traitements d’une faveur changeante apparurent. A son plus grand désespoir, ils ne changèrent rien. Son humeur n’en fut que plus massacrante.


          Il ne lui restait plus qu’une semaine. Il réalisa la chose au moment même où il ouvrit les yeux, tiré d’un sommeil léger par la sonnerie stridente du réveil.  Il se leva à contrecœur, un gout amer dans la bouche, enfilant son uniforme avant de se diriger d’un pas vif vers le dortoir. Au-dessus de lui, les étoiles brillaient, en-dessous, les vagues reflétaient la clarté de la lune. Il sortit de ses poches deux de ses coquillages des anges avant de les balancer dans les dortoirs dédiés à chaque sexe. La musique métallique du réveil explosa alors, faisant sortir de leur lit tous les apprentis soldat de leurs lits presque aussi efficacement qu’une pleine citerne d’eau glacé. Dix secondes après la fin de la musique, il entrait dans l’un puis l’autre en hurlant :
          « Je vous veux habillés et avec vos affaires sur le pont dans cinq minutes ! »


          La marche de nuit n’était pas exactement une trouvaille de sa part. Ça relevait plutôt de la tradition, à vrai dire. Du genre ancien. Un soldat doit avoir une confiance aveugle dans la marine, dans ses supérieurs et dans ses camarades. Alors on les mettait dans une situation où les premier devaient suivre leur chef sans rien pouvoir voir d’autre et les suivants devaient suivre les premier. En soi, la marche n’avait rien de si difficile, mais elle était stressante et sortait les bleus de leur zone de confort. Quant à lui… Lui se fiait à sa connaissance de l’île et à la pâle lumière de la lune pour les guider.
          Rapidement, ils étaient là, silencieux, en ordre impeccable. Il les fit monter dans les canots d’un signe de tête, puis trois mots franchirent ses lèvres et les canots descendirent lentement vers la mer sombre, avant de se poser en douceur sur les vagues. Les rames vinrent percuter la surface avec bien moins de discrétion, faisant avancer vers l’île dont la silhouette se détachait plus loin, tâche de ténèbres au milieu de la simple obscurité de la nuit.
          Ramer, contrairement à ce que l’on pourrait parfois penser, est une tâche assez physique, en particulier sur la durée. Mais la demi-heure d’approche se fit sans accroc ou interruption du rythme. S’ils devaient devenir des marines, au moins seraient-il un peu mieux préparé à la chose…

          Dans un crissement, les barques montèrent sur la plage rocailleuse. En sortirent maladroitement les recrues, buttant sur des rocailles invisibles. Personne ne parlait. Au bout de plusieurs minutes et après quelques difficultés, qui comprirent plusieurs chutes et un nombre certains de pieds écrasés, les chaloupes furent tirées sur la terre et les recrues en formation.
          Celles-ci battaient la poussière dans le froid de la nuit, tentant de se réchauffer sans quitter leur garde-à-vous. Dès qu’il se fut assuré que tout était prêt, il se saisit de son propre sac et commença la marche.
          Cette île, il la connaissait par cœur pour y avoir été tant de fois. Et, d’une certaine manière, il l’aimait. Elle tenait davantage de la bande de terre aride que du petit village de pécheur, mais l’endroit, éclairé par la lumière spectrale de la lune, dégageait une aura envoutante. La partie Est, très plate, alternait entre plage de galet, les rochers affleurants et les marais. Au nord, la route et l’endroit s’escarpaient rapidement pour ne devenir qu’un chemin de chèvre entre de lourds rochers, le tout dans un décor minéral, lavé de toute plante par le sel et les embruns. Enfin, après quatre heures de marche, on atteignait le promontoire, à l’autre bout de l’île. De là, un chemin raide d’à peine une-demi-heure permettait de revenir à la plage de départ.

          Les premiers pas furent lents, hésitant. Ils étaient perdus sans leurs yeux. Il augmenta doucement le rythme, les forçant à le suivre pour ne pas être perdus. La chaleur de l’exercice réchauffa doucement ses muscles, faisant barrage à la fraicheur de la nuit. Ses pieds suivaient d’eux même leur chemin entre les pierres et les marres. Il écarta doucement quelques ajoncs, révélant le miroitement d’un plan d’eau à sa gauche tandis que plus loin on entendait le bruit d’une grenouille se cachant précipitamment sous la surface. Il tourna vers sa gauche sans y réfléchir, passant à guet sur quelques pierres pour rejoindre une nouvelle plage.
          Derrières lui, plusieurs bruit d’eau lui apprirent que certains avaient raté les pierres et devraient finir le chemin avec des pieds humides. Presque malgré lui, un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Il était heureux de refaire ce chemin, envers et contre tout. Heureux de se retrouver une nouvelle fois sous la lune à marcher dans le désert.

          La progression se faisait régulièrement, les étoiles tournant doucement dans le ciel au-dessus des marcheurs. La plaine, comme à son habitude, ne posa pas de problème. La monté commença doucement, avant de devenir de plus en plus abrupte et le chemin de plus en plus serré. En journée, beaucoup n’auraient pas osé le suivre.
          Les rares fois où il était venu voir l’endroit à la lumière du jour, il l’avait pourtant trouvé d’une beauté sauvage à couper le souffle. Mais ce que la nuit enlevait en paysage, elle le rendait en mystère.
          Ils atteignaient la dernière étape de l’épreuve à ce moment où le ciel commence à s’éclaircir mais que le soleil, hésitant à sortir de son lit, ne se montre pas encore à l’horizon. Devant eux, la mer et la roche se dévoilaient, retirant doucement leur manteau de nuit. Comme à chaque fois, ils découvraient ce qu’ils avaient traversé, et ils en étaient fiers. Tandis qu’il les observait prendre une pause, un doute subite lui transperça le cœur. Il vérifia à nouveau, blanc comme un linge, mais le doute n’était pas permis : il manquait quelqu’un.


          Dernière édition par Anna Cherchelune le Sam 10 Aoû 2019 - 17:55, édité 1 fois
            Anna tremblait. Elle tremblait de façon incontrôlable, sa vision bloquée par la nuit et les larmes. Elle  était recroquevillée sur elle-même, adossé au rocher, comme pour se cacher du monde. Devant elle, les ombres dansaient.
            Des monstres de ténèbres aux formes changeantes se rapprochaient sans cesse d’elle disparaissant aussitôt qu’elle tentait de les voir. La nuit avait des griffes, et elle ne pouvait pas leur échapper. Au loin, le monde craquait sous leur souffle, bruissait sous leur pas. Derrière elle, elle sentait le regard de l’œil unique de la lune traverser le rocher, l’observant narquoisement.

            Juste à sa gauche, elle sentit un léger son,  tout près de sa main. Elle s’immobilisa de son mieux. Sa respiration était rauque et une goutte de sueur glacée lui glissa le long du dos, tandis qu’elle devinait le mouvement de sa créature, hésitante, montant, zigzaguant en direction de son cou dans un chuintement imperceptible. Quelques instants avant qu’elle ne l’atteigne, elle senti le col de sa tunique bouger contre sa peau.

            Elle Hurla. Elle frappa. De toutes ses forces.

            Il n’y avait rien. Rien que la roche. Dure. Et froide.

            Ses pleurs silencieux se muèrent en sanglots sous le poids du stress, de la peur et de la douleur. De ses phalanges meurtries, elle sentait goutter son sang. Au fond d’elle, dans la petite partie encore lucide de sa raison, elle savait qu’il n’y avait rien, que le noir n’était que l’absence de lumière, pas la demeure de créature bannis du monde. Mais le reste de son être lui hurlait que c’était le cas avec la force d’un ouragan, emportant les lambeaux de ses pensées.


            Depuis combien de temps était-elle là ? Dix minutes ? Une heure ? Trois ? Elle n’en avait aucune idée. La question fut suivie d’une réalisation : elle parvenait à nouveau à penser. Autour d’elle, l’aube était solidement installée, dessinant un paysage encore en nuances de gris. Elle tentant de reprendre le contrôle de sa main, mais le corps ne voulait toujours pas lui obéir. Son bras était contracté autour de ses jambes, sa main tremblait.
            C’était stupide. Stupide. Elle l’avait presque fait : elle avait rattrapé le gros de son retard à la course, avait appris à tirer, à se plier à leurs règles absurdes, il ne restait que quelques jours avant la fin de ce test débile, et elle avait tout fait foirer à cause d’une peur d’enfant ! Stupide !!
            Des sanglots la secouèrent à nouveau, mais ses yeux restaient sec, elle avait épuisé ses larmes durant la nuit. Une vague de désespoir la submergea un instant, la poussant à rester là, recroquevillé, en boule, à se lamenter sur ses erreurs.

            Au prix d’une violente lutte intérieur de plusieurs minutes, elle parvient à se lever sur des jambes branlantes. Elle se raccrocha à la pierre pour éviter de chuter. En respirant profondément, elle reprit lentement le contrôle de ses membres. Finalement, toujours appuyé, elle se sentit assez confiante pour faire un pas. Le deuxième fut plus facile, le troisième également. Elle retrouvait doucement le contrôle d’elle-même. En une dizaine de mètres, elle cessa tout à fait de trembler. Encore cinq et elle put lâcher le mur.
            Une fois cette étape franchie, elle n’eut aucun mal à retrouver le chemin, bande de terre martelé par des générations de marines. Elle reprit la monté, seule. Ils l’avaient malgré tout probablement attendu, ou au moins laissé un moyen de rentrer ou d’attendre. Le chemin était étroit et perché, mais certainement pas difficile. Au moins, cette peur, elle ne l’avait pas. Revenues à ses esprits, la marche tenait de la balade et elle avançait à un bon rythme.

            Alors qu’elle avait parcouru environ un tiers de la distance au sommet, elle commença à entendre un bruit de pas. Un soupir de soulagement et un léger sourire lui vinrent : ils ne l’avaient pas laissé ! Elle accéléra le pas, voulant rejoindre ses secours au plus vite.
            L’écho des lieux donnait l’impression à chaque tournant que la personne qui le cherchait était juste à côté, parfois même derrière elle. Elle cessa rapidement d’y faire attention, aussi fut-elle authentiquement surprise quant au détour d’un roc ressemblant vaguement à une tête de poisson, elle tomba sur le sergent.
            Différentes émotions se bousculaient sur son visage pour prendre le dessus entre l’inquiétude, le soulagement et la colère. Il ouvrit la bouche une première fois, hésita, la referma puis, une fois décidé sur le chemin à emprunter, la rouvrit :
            « Viens. »


            Dernière édition par Anna Cherchelune le Sam 10 Aoû 2019 - 18:07, édité 1 fois
              Anna se saisit de son sac, le soulevant avec difficulté. Elle l’équilibra comme elle le pu en utilisant les sangles et se dirigea vers le port. En deux mois, elle avait appris à se diriger dans les couloirs tortueux de la forteresse, parvenant à retrouver son chemin sans hésiter à la plupart des intersections.  Le sac pesait sur son dos, mais restait supportable. Au pire, elle pouvait se permettre de s’arrêter, voir même de se perdre un peu (mais pas trop). Elle était en avance.
              Après avoir marché encore quelques minutes, elle décida de faire une pause. L’odeur des embruns emplissait l’air et le cri des mouettes les oreilles. Même si pour le second point, ça restait plus ou moins vrai sur toute la base. Mais elle n’était qu’à une paire de rue du port et la marée montait toujours. Alors autant dire adieu tranquillement à ce lieu de tourments, si possible en ménageant un peu son pauvre dos.

              Quelques cri venant du port, dans lesquels elle reconnaissait les premières instructions pour préparer un navire au départ lui apprirent qu’elle avait peut-être attendue un poil trop longtemps. Elle saisit son sac et se précipita en direction du port.
              Trois rues plus tard, les murs verticaux de pierres taillées laissèrent enfin la place aux parois de bois courbé des vaisseaux. Elle tourna sans s’arrêter de courir en direction des cris. Arrivé à son pied, elle vit qu’il se nommait le « Lord Emmelyne ». Le sien était le « Queen Mary’s revenge », elle avait encore un peu de temps, finalement.
              Elle flâna le long du quai, admirant les caravelles qui y étaient stationnées. Elles étaient taillées pour la vitesse, avec une courbe effilée des coques qui se rejoignait à l’avant en une proue pointu, prête à transpercer les vagues. Les coques en planches de pins, de chêne ou de vrande recouvertes de goudrons avaient un côté familier et rassurant. Aujourd’hui, elle reprenait la mer.

              C’était pour ça qu’elle avait voulu devenir marine. Pour les vagues, les vents qui chante dans les voiles, la danse dans les haubans quand il s’énervait, le spectacle mouvant de la mer autour d’elle, partout, à l’infini, les vagues qui se rapprochaient tant du ciel qu’on finissait par ne plus pouvoir dire qui était l’un et qui était l’autre.
              Elle voulait voir des îles qui semblaient venir d’une autre planète, découvrir et maitriser les cinq océans et les douze mers, voir toutes les merveilles que recelait le monde. Les pêcheurs ne connaissait que la côte près de chez eux, les pirates n’était rien de plus que des bandits qui refusaient leur titre et elle n’avait surement pas la fibre marchande. La marine lui offrait le monde, avec en prime la possibilité d’aider les gens autour d’elle. Bien sûr, ce n’était pas une vie facile, mais la mer peut se montrer cruelle et elle ne tolérait pas longtemps ceux qui voulaient d’une vie facile. Mais malgré son caractère lunatique, la mer était bien trop belle pour qu’on puisse ne serait-ce que vouloir s’en séparer.

              Elle retrouva finalement le bon bateau au moment où le « Lord » larguait les amarres. Regardant à moitié les délicates manœuvres de départs, dansant à moitié sur la passerelle elle atteignit le pont, quelques trois mètres au-dessus du quai.  Après quelques questions, elle finit par trouver l’officier responsable auquel elle alla se présenter, lequel lui indiqua sa cabine.
              L’endroit tenait plus du placard que de la suite, au point qu’il fallait sortir des instruments de mesure pour savoir qui de son actuel placard ou de son lieu de vie était le plus large. Elle rangea précieusement ses affaires avant de les sangler pour éviter que les vagues ne les envois traverser les airs. L’endroit sentait le bois et la toile. Tout autour, les doux craquements du bois lui revenaient comme une comptine familière, comme une vielle amie. Autour d’elle le bateau tanguait doucement avec les vagues. Les choses s’étaient bien passé, finalement.


              Elle était revenue sur le bateau accompagné de Dunkan, perdue dans un mutisme par la honte. Les autres, à son arrivé puis au cour du voyage de retour lui avaient lancé des regards gêné de soutiens. Elle-même était restée à l’écart, ne sachant pas ce qui allait suivre, n’osant pas trop espérer. Et puis… et puis ils étaient arrivés. Et à peine avait-il mis pieds à terre qu’un officier était venu voir le sergent pour lui annoncer que le sous-amiral voulait le voir. Il était immédiatement monté, il n’était jamais descendu. Ils ne surent jamais ce qui s’était passé ni pourquoi. Sans doute la hiérarchie avait-elle simplement fait son travail.
              Un autre sergent était venu les voir à la caserne et s’était présenté comme leur nouveau formateur. A partir de ce moment, les choses étaient devenues bien plus simple. Il y avait toujours les exercices, le ménage, la discipline, mais ils étaient revenu à un niveau normal et l’avance qu’ils avaient douloureusement acquise leur permis, sinon de se reposer, au moins de ne plus trop se fatiguer. Et personne ne lui avait jamais reparlé de la marche nocturne.

              La semaine s’était écoulée, la formation s’était terminée. Ils avaient été convoqués pour une nouvelle cérémonie pompeuse où l’on avait officiellement fait d’eux des marines, soldats de 2nd classe, avant de leur distribuer des affectations, ainsi que des indications sur leur moyen pour s’y rendre.
              Elle-même devait se rendre sur un galion, le « Quantiqua II », et avait embarqué sur le premier navire qui devait croiser sa route. Elle retrouvait la mer.
              Perdu dans ses pensées, elle avait rejoint le pont et regardait les préparatifs de l’appareillage. Pour une fois, la dernière avant probablement des années, elle n’avait pas à y participer, juste à regarder et à profiter du spectacle. Sur un dernier cri, ils relevèrent la voile de misaine tout en libérant les amarres. Les marins à quai se précipitèrent sur la passerelle en quelques secondes pour rejoindre le navire avant de sauter lestement sur le pont. Doucement, le navire se mit à tourner, s’orientant vers les lourdes portes de métal qui s’ouvraient pour le libérer de son enceinte. Bientôt, les murailles furent derrière eux et les voiles principales commencèrent à monter le long des mats. Devant eux, l’infinité de la mer.