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Parenthèses et accolades

Le temps passait, emportant avec lui, les rires des agents et les marijoans. Cela n'avait pas grand sens, mais les paroles allaient et venaient tandis que mon regard dépeignait l'horizon qui devançait le palais des vénérables étoiles, visible de ma haute fenêtre. Un banc y avait été soigneusement installé et je m'y étais vissée, jambes croisées, à demi-tournée, un bras posé sur le rebord pour mieux apprécier les embruns qui remontaient jusqu'ici, suivant une course invraisemblable depuis les côtes de Red Line.

« - Doit-on encore attendre longtemps ?

- Je ne pense pas, j'ai vu l'Amiral Tetsuda entrer avant vous ; le vénérable Figura doit s'entretenir avec lui en premier lieu. Depuis sa dernière défaite, l'homme est plus précautionneux qu'il ne l'était auparavant. »

Étonnant. Mais se pouvait-il que la fameuse fierté du Loup Gris avait été entachée par le nouvel Empereur ? Beaucoup de choses s'étaient passées récemment, beaucoup qui laissaient le Gouvernement Mondial pantois face à la montée en puissance de menaces insoupçonnées. Jotunheim avait été un véritable désastre et notre action n'avait pas suffit à empêcher Mandrake de retourner dans les bras de Freeman.

« - Nous aurions pu nous passer de ces formalités et directement nous rendre à Jaya. Browneye est encore entre leurs mains et...

- Sauf que selon nos sources, elle n'est pas la seule agente retenue là-bas. Ce n'est pas uniquement de notre ressort, Sweetsong ; c'est au moins une décision qui doit être prise par une Étoile. »

Je reportai le regard sur Karen, la jaugeant en silence quelques secondes avant d'en revenir à mon point de mire initial : la ville grouillante en contrebas et ses champs alentour. Cette quiétude me semblait bien illusoire, à présent que Mandrake avait retrouvé la liberté et qu'une seconde riposte de la révolution pouvait voir le jour. Ils étaient dans une bonne lancée, on ne pouvait malheureusement pas tout cacher, et le peuple exprimait déjà des doutes, même ici à Marie-Joie.

Finalement, la porte de la salle de réunion s'ouvrit, libérant le son des discussions animées qui avaient lieu à l'intérieur de la pièce. L'agent Jones, assis en face de moi, me délivra un regard comme le majordome qui nous avait ouvert affichait un air perplexe, se demandant bien laquelle des deux pouvait être la Directrice du CP9. En me levant et en me dirigeant vers l'entrée, je donnai la réponse.

Le débat était visiblement houleux entre le chef du gouvernement et le haut-dignitaire de la Marine, aussi décidai-je de rester d'abord en retrait, attendant une accalmie pour me glisser dans l'ordre du jour.

« - ...si nous savons, pourquoi simplement ne pas donner l'assaut et raser l'île ?

- Comme je vous l'ai déjà dit, ce ne serait pas judicieux. Ce serait donner l'opportunité à la révolution de tourner la population de Jaya en martyrs et ainsi rallier davantage de sympathisants. Comme ils n'ont cessé de clamer sur tous les toits la libération de Jonas Mandrake et la fin de Jotunheim. Nos adversaires ne sont pas de vulgaires pirates, ici : ils ont une cause à défendre.

- Qu'entendez-vous par là ? Que je ne sais pas à qui nous avons à faire ou bien que je ne sais m'occuper que de vulgaires forbans ?

- Rien de tout ceci, Amiral... Ah, Miss Sweetsong, vous voilà enfin ! »

Non pas que le regard du vieillard ne se soit pas accroché sur moi peu après mon arrivée, mais il avait aussi visiblement attendu le moment propice pour utiliser un joker capable de le tirer de ce mauvais pas. C'était le moment choisi.

« - Vous m'avez faite mander, vénérable Figura ?

- Tout à fait. Avec l'Amiral Tetsuda ici présent, nous devisions d'une prochaine attaque sur Jaya. Vous êtes toute aussi au courant de nous de la détention de plusieurs agents sur les lieux. Toutefois nous ne pouvons agir imprudemment, il est fort probable que la révolution escompte notre venue...

- Ou bien peut-être est-ce l'occasion pour faire étalage de notre force et éliminer un de leurs plus gros quartiers-généraux sur Grand Line ? Qu'en pensez-vous, vous le Directeur du CP9 qui avez si bien fait à Parisse ? »

À ces mots, le Loup Gris vrilla un regard sombre dans ma direction, montrant qu'il n'aspirait clairement pas à une réponse qui n'abondait pas dans son sens. J'affichais toutefois un air détaché, bien loin de me sentir coupable pour quoi que ce soit, surtout maintenant que ma culpabilité avait été ramenée à des propos calomnieux... mais pour le commun de la Marine, pas pour l'État-Major.

« - Je pense qu'il serait pertinent de tenter une infiltration avant de mener une attaque. Si nous n'exfiltrons pas ces agents, nous risquons de les perdre en victimes collatérales et ce serait dommage de ne pas savoir quelles informations ils ont pu extorquer, outre le lieu d'emprisonnement de Mandrake.

- Effectivement, c'est aussi ce que j'avais en tête.

- Mais, si vous me le permettez, vénérable Étoile, je suis toutefois aussi de l'avis de mener un assaut par la suite. Le Gouvernement Mondial doit sévir, maintenant plus que jamais, pour rappeler à la Révolution qu'elle ne peut agir à découvert, en toute impunité, comme elle le fait depuis quelques temps. »

Un voile traversa le regard du vieillard qui porta la main à son menton. Un sourire pratiquement imperceptible étirait les commissures du visage de l'Amiral, à qui je venais de donner raison. Et à vrai dire, l'homme dégageait une aura malsaine qu'il était difficile d'ignorer : mieux valait lui concéder cette revanche que de le laisser mijoter dans sa frustration. Et cela, Mint Figura l'avait comprit, mais me faire intervenir dans la discussion à ce moment précis pour appuyer sa proposition était probablement une stratégie qui m'échappait encore.

« - Parfait, nous pourrions convenir d'un soutien important de la Marine pour faciliter l'infiltration. La sécurité de la base révolutionnaire doit être particulièrement renforcée pour faire preuve d'autant de témérité, mais si nous coordonnons l'attaque et la libération des agents, nous pourrons profiter d'une brèche potentielle.

- Vous pouvez vous reposer sur moi à ce sujet, je sais exactement quels profils solliciter. Puis-je suggérer de faire le voyage dès demain en compagnie de la 346ème ? »

Tout d'abord pour le confort et la confiance que m'apportaient la division, mais aussi car je savais que Veronica s'inquiétait pour sa petite sœur et souhaiterait faire partie de la mission visant à la récupérer. L'expression de Mint Figura était toutefois insondable, comme à son habitude, et je ne savais si ma demande paraissait aberrante ou non à ses yeux, jusqu'à ce qu'il réponde :

« - Je n'y vois pas d'inconvénient. Amiral Tetsuda ?

- Cela me convient, elle pourra accompagner ma flotte. Nous ne devons pas perdre de temps cependant, il nous sera possible de discuter stratégie et champ de bataille plus tard avec miss Sweetsong, aussi proposerais-je de couper court à cet entretien pour entamer les préparatifs de départ. Je peux sommer mes hommes à être sur le pont, opérationnels, pour demain matin. Faites le nécessaire pour que votre navire suive les mêmes contraintes et ne nous retarde pas ; nous quitterons le G-0 à l'aube. »

Je hochai la tête, certainement satisfaite par la tournure des choses : s'il fallait, je pouvais partir dès maintenant, ce n'était pas un problème.

« - Dans ce cas, mesdames et messieurs, je déclare cette séance levée. Oh, miss Sweetsong, je peux vous retenir encore une minute ou deux ? »
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