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Epilogue

Les murmures du vent qui se faufilait entre les branches des peupliers réveillèrent paisiblement le Fantôme. Quelques éclats de rayons de soleil illuminaient la pièce. Dans le couloir, des voix s'élevaient, sans qu'il ne puisse distinguer le sens des mots prononcés. Paradoxalement, le bruit ambiant était reposant. Il tranquillisait l'esprit du stratège. Mountbatten avait pris quelques congés dans l'arrière-pays de Terra, là où la vie était rythmée au son des animaux et d'une poignée d'hommes. Quitter le tumulte de la capitale et d'Alpha devenait une nécessité. Il avait besoin d'un retour aux choses simples, loin des manigances politiques.

Ainsi, il émergea de son repos pour se sustenter sur la terrasse de l'hôtel. Il devait être dix heures du matin, à en juger la lueur croissante qui illuminait la plaine. Il était seul. Personne n'occupait les cinq autres tables disposées à l'extérieur. Il faut dire que le coin était peu fréquenté. La fille du propriétaire apporta à l'officier une tasse de café noir, ainsi que plusieurs viennoiseries. Elle devait avoir quatorze ou quinze ans, à en juger ses traits juvéniles. Elle le servit d'une façon maladroite, si bien qu'elle faillît renverser son breuvage du matin sur lui. Le Marijoan esquissa un sourire effacé, tiraillé entre son dédain et sa politesse. Tant que ses habits étaient intacts, il n'y avait aucune raison de s'emporter. Mais il n'y pouvait rien, l'incompétence avait le don de l'agacer.

L'accalmie fut cependant de courte durée. Une autre personne s'approcha, dans le dos de Mountbatten, sans s'annoncer.

Le Fantôme leva son poignet pour consulter l'heure, tout en sirotant son café.

"- Pile à l'heure.

- Et même avec cinq minutes d'avance." Rectifia l'inconnu.

L'autre homme prit place en face du stratège. Il était rasé de près. Son visage était parsemé de traits fins et tout à fait agréables à regarder, ce qui contrastait avec l'aspect sec et rugueux de sa peau. Ses yeux transpiraient d'un optimisme communicateur, d'un enthousiasme qui évoquait celui des enfants. Mais en s'y attardant de plus près, on pouvait apercevoir quelques rides – aussi infimes soient-elles. Anormales pour son âge, mais communes pour un soldat comme lui.

"- Sympathique paysage, n'est-ce pas ?

- C'est pas mal, mais pas aussi beau que dans mon patelin.

- D'où viens-tu déjà ?

- Vesucia, plus au nord. On peut admirer le golfe de Cyroos, d'une splendeur inégalée. Il y a fait constamment un temps ravissant. Petit, j'allais sans cesse sur la plage pour jouer avec mes copains. On jouait au ballon, puis on allait se baigner… Mais bon, tu vas inévitablement me dire que mon attachement au lieu trouble mon jugement… Et tu as sûrement raison !" Dit Flika, avant de s'esclaffer.

"- M'enfin, je suis sûr qu'il doit y avoir un peu de vérité, quand même. J'irais, un jour.

- Du reste, ça me fait penser que je n'ai jamais su d'où tu venais.

- Je viens de l'étranger, alors ça risque de ne pas…

- Oui, oui ! Ça, je sais, mais parle-moi un peu du coin où tu as grandi !

- Ah ! Eh bien… J'ai grandi à Marie-Joie. "

Le premier maréchal, qui avait entre-temps attrapé un croissant, s'arrêta de mâcher un instant, avant de reprendre de plus belle.

"- S'il y a bien une ville de l'étranger que je connaisse, c'est bien elle. C'était comment ?

- C'était prodigieux. Ça me manque.

- Pourquoi ne pas y retourner alors ? Pendant tes permissions ?

- Tu oublies, cher Flika, que je ne suis pas forcément bien vu par le Gouvernement Mondial."

Embarrassé par sa propre question, le militaire se gratta la nuque et arbora un air désolé. Son interlocuteur baissa les yeux. Il se remémorait les souvenirs exquis de son enfance, avec ses frères et ses parents. Ils lui manquaient, mais il ne pouvait pas les revoir. Tout ce qu'il avait désormais, c'était une Vive Card qui pointait sur son père. Mais Severus Mountbatten siégeait à la ville judiciaire, Enies Lobby. Impossible de s'y rendre, pour l'instant. Le Fantôme maudissait le Gouvernement pour tout son machiavélisme. Lui qui l'avait utilisé comme bouc-émissaire sur Vindex, et qui l'avait par là même repoussé vers le camp des hors-la-loi. Il avait été forcé d'être ce qu'il avait toujours combattu. Marie-Joie attisait toute sa colère contre l'institution, mais détenait le pouvoir de lui raviver les souvenirs doux et sucrés de sa jeunesse dorée.

"- Mais nous ne sommes pas là pour se remémorer du passé. Si j'ai demandé que tu viennes, c'est pour discuter plus sérieusement du futur. Et surtout de l'avenir de Terra.

- Tu parles des débats autour d'un potentiel rattachement du pays à un Empereur, n'est-ce pas ?

- Tout juste."

Un courant d'air survola la bourgade. Quelques senteurs champêtres arrivèrent aux nez des deux hommes, en train de savourer leur petit-déjeuner. Mountbatten porta sa boisson à ses lèvres, avant de la finir d'un seul trait. Flika termina de déguster une chocolatine, et se cala au fond de sa chaise. Avant de traiter les choses sérieuses, le Fantôme s'attarda l'espace d'un instant sur une perdrix qui volait, au loin. Elle semblait libre, dénuée de chaînes. Elle virevoltait ici et là, sans saisir toute la chance qu'elle avait, sans conceptualiser sa propre condition. Peut-être qu'elle serait amenée à se rendre compte de tout cela le jour où elle sera mise en cage, contre sa volonté.

"- Kiyori me paraît être la meilleure candidate de tous.

- J'ai cru comprendre, oui. Tu sais, j'entends aussi les bruits de couloirs.

- Et toi alors ?

- Honnêtement, Mount, je ne sais pas. Je veux le meilleur pour les miens, c'est indiscutable. Se placer sous l'autorité d'un Empereur pirate pourrait assurer la sécurité de l'île. C'est un argument que je conçois tout à fait, vois-tu. Mais c'est l'idée d'être sous l'autorité de pirates qui me gêne. Ces gens-là… Ces gens-là ne sont pas dignes de confiance. Ils sont sournois, vils, barbares. Et je ne souhaite pas que la Terra se base sur un accord conclu avec des forbans pour s'assurer la paix."

L'exposé était juste. Le Marijoan était même d'accord. Toutefois, il était investi d'une mission : rallier Terra à Kiyori, coûte que coûte. Il avait conclu un contrat avec Daren Livingstone, l'émissaire de Ravrak. Il ne pouvait s'en défaire : pour recouvrer sa liberté, il devait faire en sorte que l'alliance ait lieu. Et ce, même si cela allait à l'encontre de ses propres convictions.

"- Mais Kiyori n'est pas une pirate de bas étage, prompte à piller et voler tout ce qui se trouve sur son passage. La déesse enfant possède des territoires proches de Terra, qui pourront dissuader quiconque de toucher à l'île, sous peine de se retrouver traquer par une demi-douzaine de flottes. Surtout que nous sommes proches de Kyoshima, son fief. Il est vrai que nous sommes également à proximité de certaines îles de Teach : mais il correspond au type de forban que tu as décrit tout à l'heure. Teach, lui, n'est pas fiable. Kiyori, elle, l'est.

- Je suis d'accord pour dire que Kiyori représente un choix raisonnable. Mais nécessite-t-on de la protection d'un Empereur ?

- L'Imperiosa l'a dit elle-même : Terra ne saurait pas se défendre contre des assauts plus puissants de la part du Gouvernement Mondial. Les troubles ont secoué toute l'île, et nous avons mis du temps à y mettre un terme. Et tout ça, alors que ce n'était que le fait d'une équipe du CP9. Une équipe. En conséquence, je te laisse imaginer ce que ça ferait si la Marine débarquait demain avec la force d'un Buster Call. Il faut accepter que Terra se trouve maintenant en opposition ouverte avec Marie-Joie, et tout est envisageable à partir de là. Mieux vaut prévenir que guérir.

- C'est… Pas faux. Alors soit, va pour Kiyori. Mais Terra devra garder le contrôle de ses affaires intérieures. Je ne veux nullement voir des pirates diriger le pays depuis le palais des Cents Familles.

- Ça n'arrivera pas. Sekiza n'accepterait en aucun cas, non. Des îles sous la protection d'Empereurs et qui conservent leur souveraineté, il y en a une myriade."

Le maréchal semblait déstabilisé, presque inquiet. Ce que disait le Fantôme avait du sens. Mais voir sa patrie sous un protectorat heurtait son patriotisme de plein fouet. Il fallait faire avec : c'était soit ça, soit le risque de voir le feu des Dragons Célestes se déverser sur le royaume.
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Avant de partir, il voulait de nouveau sillonner le pays. Apercevoir les lieux qui l'avaient accompagné dans cette drôle d'aventure. Un périple qu'il avait fini par apprécier, mais qu'il n'avait pas choisi. Avant de repartir sur Delta et de débuter un vote à l'issue désormais certaine, il voulait savourer une dernière fois les délices que l'île pouvait offrir.

Il embarqua à bord d'un train à destination de Beta, la ville pionnière du nord. Son wagon de première classe était peu peuplé en ces jours de début d'automne. Ils étaient quatre : deux jeunes femmes, probablement nobles, discutaient entre elles, joyeuses. Elles se racontaient les derniers potins de leur caste. Par moments, elles éclataient de rire, non sans agacer Mount. Le dernier occupant du wagon était un homme en manteau gris qui s'était assis non loin du Marijoan. Il avait l'air d'un fonctionnaire. Froid, rigide, peu expressif. Il consultait un journal qu'il survola en silence.

Sur le chemin, le train arpenta les plaines fertiles de la région de Delta, avant de sillonner les montagnes qui entouraient le Sanctuaire. Ce monument était censé légitimer le pouvoir des Cent Familles. À dire vrai, Mountbatten l'avait trouvé plutôt fade, sans intérêt particulier, lors de son unique visite. C'était un amas de ruines, comme il en existait d'autres ailleurs. Un mur blanc se hissait devant ses hauts, et s'élevait jusqu'aux nuages brumeux qui s'effilochaient à l'approche des sommets. Il contemplait ces montagnes d'un air perdu. Elles lui rappelaient les monts du Kirov, à Vindex, où il avait combattu de longues semaines durant par temps glacial. Il y avait perdu son meilleur ami, et sa fiancée. Quelque part, il y avait perdu une part de son humanité.

Alpha s'offrit enfin aux yeux du Fantôme. La locomotive siffla plusieurs fois pour réduire la cadence de marche. Les abords déserts des montagnes laissaient place à une ville grouillante d'industrie. Les faubourgs étaient de pauvre constitution : les maisons avaient été bâties en briques rouges, avec une cheminée et deux ou trois fenêtres. Toutefois, point de bidonvilles. Les salaires étaient acceptables, le maire en avait fait une promesse électorale. On pouvait également apercevoir les quartiers plus aisés, où Mountbatten avait ses adresses. Une poignée de restaurants s'était faite une solide réputation en l'espace de quelques années. Le centre-ville était une véritable fourmilière, pleine de jeunes gens en quête de bonnes affaires et d'une bourgeoisie naissante qui avait très vite gentrifiée le cœur de la cité. Les trois autres passagers descendirent à la gare d'Alpha, laissant le Fantôme seul dans ses pérégrinations. Après un arrêt bref, le train poursuivit sa route, en direction du grand nord.

Depuis son siège, l'officier pouvait apercevoir l'immense océan. Quelques navires de pêche s'aventuraient sur les côtes. Il y avait fort à parier qu'ils allaient revendre leur poisson à Alpha, au grand marché hebdomadaire. Ici, l'air était plus rafraîchissant. Les conditions de vie étaient plus spartiates. En dehors de la pêche, les habitants vivaient de l'agriculture et du tourisme, bien qu'il fût limité avec l'accession de Sekiza au pouvoir. Mount se remémorait des quelques instants qu'il avait passés ici, à discuter avec les locaux. Ces derniers racontaient volontiers l'âge d'or du tourisme à Terra, la "grande époque". Mais cela était révolu : l'Imperiosa avait voulu consolider son pouvoir et éviter que les étrangers s'aventurent en-dehors d'Alpha et de Delta. Les commerces avaient fermé les uns après les autres, et on ne comptait plus les hôtels abandonnés sur cette côte ouest qui, fût un temps, attirait toute la bourgeoisie des îles civilisées du Nouveau Monde.

Il arriva à Beta, avec un sentiment de vide béant.

Il déambula, il erra. Une heure, puis deux, puis trois. La nuit s'abattait sur l'île. Mais tout cela n'avait plus d'importance, au fond.

L'ancien marin repensait à une foule de gens qu'il avait rencontré, ici et là. Au cours des mois qu'il avait passés sur Terra, il avait fréquenté des groupes d'intellectuels, des cercles d'artistes, des banquiers, des industriels. Même s'il mettait un point d'orgue à mettre de la distance dans ses relations, il n'avait pas pu s'empêcher de s'attacher à quelques-uns. Pourtant, il ne voulut pas les revoir. Il ne voulut plus se lier avec des gens qu'il allait quitter bientôt. En dévalant le boulevard désert qui desservait la gare, il revoyait le visage de certains. De l'épicier du bas de la rue, à qui il avait si souvent sollicité les services après une soirée bien trop arrosée avec ses collaborateurs de son entreprise d'armement. Des écrivains de la nouvelle vague, qui composaient avec fougue des textes qui brisaient les codes établis jusqu'alors. Avec l'arrivée de Sekiza, la jeunesse de Terra toute entière s'était enhardie. Une sorte de Révolution culturelle, que les esprits brillants avaient su canaliser pour faire renaître la grandeur d'un pays qui s'était auparavant imposé ses propres limites. Des limites outrageuses, tant elles avaient bridé un peuple si fulgurant d'intelligence, et qui méritait la libération d'aujourd'hui.

Oui, Mountbatten était tombé amoureux de Terra. De ses paysages, de sa culture, de ses habitants. Il se disait que dans l'infortune qui l'avait touché, il avait décelé une lumière qui éclairait ses pensées obscures.

Mais il allait devoir la quitter et la perspective du départ le rendait mélancolique. Quand reviendra-t-il, une fois tout ceci fini ? Il aimait à penser qu'il retrouverait Terra assez vite. Cependant, il n'en savait rien. Devant lui s'ouvrait un horizon d'incertitude, qui l'inquiétait.

Son attachement à l'île n'était malheureusement pas un argument suffisant pour le convaincre de rester. Il avait deux choses importantes à faire par-delà les mers. Retrouver sa liberté et défendre son honneur.
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Sa frénésie de voyage s'arrêta au bout de quatre jours. Au cinquième, il revint à Delta, décidé à affronter le vote du Conseil sur l'ultime question.

Il régnait dans la capitale une atmosphère de libération, de progrès. La tension s'était relâchée après les troubles. On pouvait voir dans tous les coins de la ville bruyante des bars remplis, des rues bondées et des commerçants ravis de voir que leur boutique engrangeait toujours plus de bénéfices. Ils aspiraient à la paix, à la douceur, à la prospérité. Pourtant, les crimes du passé n'étaient pas oubliés, loin de là. Terra se savait en sursis. L'infiltration de l'équipe du CP9 avait prouvé la vulnérabilité du royaume. L'air de détente était faussement serein. Les gardes impériaux, bien que plus décontractés aux premiers abords, conservaient en permanence l'œil sur les étrangers trop curieux, trop bruyants, ou trop discrets.

Le Conseil se retrouva, désaccordé, divisé, déchiré.

Le sujet du jour était aux bords de toutes les lèvres, et tous ne pensaient plus qu'à ça. Les dossiers se succédaient, sans qu'aucun n'éprouve un véritable intérêt. L'Imperiosa l'avait remarqué, et ne tarda pas à faire accélérer les choses. Les conseillers étaient nerveux. La plupart bougeaient plus que d'ordinaire ; Satori était irritable à souhait. Aucun ne semblait certain de l'issue du vote à venir. Aucun, sauf Mountbatten.

Lorsque Sekiza dévoila enfin le thème de la prochaine discussion, les esprits s'enflammèrent. Un bouillonnement intellectuel et une tornade d'arguments se suivirent. Il y avait les partisans de l'indépendance stricte, et ceux qui penchaient pour un Empereur ou un autre. Dash brilla par son absence des délibérations. Il ne se prononçait pas tout de suite, guettant la fin des délibérations pour exprimer son vote assassin. Le Fantôme faisait également preuve de retenue : il faisait le même exposé qu'il avait fait à Sekiza et à Flika. Bien qu'il ne parlât peu, il voguait sur le débit de ses mots avec ardeur et prestance. Ses interventions étaient remarquées et suscitaient des réactions, en compliments ou en jurons. Il avait pris goût au débat, au bon verbe, à la bonne parole qui saurait changer le cœur d'une foule. Mais au fond, ce jour-là au Conseil, tout était déjà couru d'avance. Et ses talents naissants d'orateur n'y feraient rien, si ce n'est le distraire pour une dernière fois.

Après plusieurs minutes, voire dizaines de minutes d'un débat particulièrement intense, la souveraine appela au vote du Conseil. La formalité de l'instant était presque oppressante : tous sentaient la responsabilité qui s'abattait sur leurs épaules. C'était le destin de tout un peuple, d'une nation, qui se jouait en un point précis. Peut-être que l'espace d'une seconde, ils réalisèrent le tragique de la scène. Ils étaient hommes parmi les hommes, et pourtant imposaient la direction du groupe sans plus de consultations. Il était probable que plusieurs d'entre eux conçurent leur rôle comme une évidence, de par leur ascendance et leur position sociale. Mount s'interrogeait toujours. Quels étaient les fondements du pouvoir ? De l'autorité ? Dans un monde aussi féroce que celui où ils vivaient, est-ce que la force brute dictait tout ? Est-ce qu'elle devait dicter la loi aux autres hommes ? Mais qu'importe, puisque après tout, la logique du monde était un pléonasme.

Les résultats tombaient les uns après les autres. Lushina, Mount, Flika et Enfield s'étaient prononcés en faveur d'un rattachement à Kiyori. Dash avait également rajouté sa voix au dernier moment pour la Déesse Enfant. Satori et Antonov restaient fidèles à leurs convictions, et s'étaient positionnés pour une indépendance totale. Personne n'avait plaidé en faveur d'un autre Empereur. Sekiza réfléchissait.

Elle restait muette, pendant de longues secondes durant. Les regards des conseillers se braquèrent sur elle. La souveraine était pensive. Nul n'aurait pu prédire les cheminements de sa pensée à ce moment-là. Si la décision prise par le Conseil avait été approuvée intérieurement par la reine, pourquoi prenait-elle tout ce temps à faire son choix ? Ce n'était pas net.

"- Le vote du Conseil sera respecté. Terra se placera sous la protection de l'Impératrice Pirate Kiyori." Prononça-t-elle, d'un ton qui respirait l'amertume.

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Le vote du Conseil avait semblé plutôt clair, mais le ressenti des conseillers était plus nuancé. Il y avait un sentiment de victoire à demi-mot. Peut-être que Sekiza avait cru, en prenant cette décision, ouvrir une boite de Pandore. Subordonner son royaume à l'autorité de forbans sans foi ni loi, à des malfrats qu'on ne peut pas croire. Elle ne dévoilât rien, même pas à son mari. En privé, elle éludait ce sujet.

Lushina avait dit "s'occuper" de faire venir quelqu'un qui représenterait l'autorité de Kiyori. Quelqu'un de puissant, sans qu'elle le nomme. Elle cultivait le secret, comme elle savait si bien le faire.
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-Les voila monsieur. Ils arrivent...

Tu finis de gravir les marches pour arriver à hauteur du soldat au moment ou il désigne la mer en face de lui d'un vague geste de la tête. Une indication un peu vaine au vu de l'endroit; le plus élevé des postes de guet de la capitale de Terra, dont les créneaux sont les dentelles de la couronne d'une des gigantesques paire de statues qui encadre l'entrée fortifiée du port, et de ce qu'il y a voir en en mer face au royaume; une flotte, une flotte immense...

Déployée en une impressionnante parade, une centaine de navires s'étale entre la ville et l'horizon. Une flotte disparate, bariolée, écrasante, des navires de toutes tailles et de toutes origines dont le seul point commun, le seul lien ineffable et puissant est le visage à la fois beau, doux et cruel qui s'étale sur toutes les voiles gonflées face à vous, celui de la déesse enfant Kiyori, divinité vivante, impératrice pirate, maitresse du Nouveau Monde, et seule créature à même de fédérer ensemble une telle disparité pour la mener vers un but commun.

A tes cotés les gardes se taisent, inquiets, tendus, hésitants... Depuis le conseil le bruit s'est évidemment répandu, la rumeur a traversé les rues plus vite qu'un coup de den den, Terra pliait le genou devant l'impératrice, le conseil et sa dirigeante acceptait une tutelle, abandonnait l'indépendance ancestrale pour intégrer un empire de pirates et de criminels, rien ne serait plus avant... Mais si l'entendre et en accepter l'idée est une chose, si les bruits de couloirs n'avaient finalement pas causé les troubles attendus tant les habitants de Terra restaient dévoués et confiants en leur dirigeante, faire face à la flotte venue s'installer ici comme en terrain conquis en est une autre.

-Il va falloir les laisser rentrer ?
-Le conseil l'a voté non ?
-Ouais. Et j'espère qu'ils se sont pas trompés sur ce coup la. Parce que ceux la on aura du mal à les chasser...

L'officier en charge de la tour de guet se tourne vers toi, saluant un peu tard mais de façon impeccable avant de te livrer les éléments pour lesquels tu es monté ici.

-Monsieur, nos navires de patrouille se sont repliés mais la flotte qui arrive n'a eu aucun geste agressif. Ils sont visiblement en train de se préparer à mettre en panne au large, sauf ce qui doit être le navire amiral qui devrait atteindre le port dans une heure, il porte le drapeau de la commandante Shota. La première des commandantes de Kiyori. Quels sont vos ordres ?
    "- Laissez le navire amiral accoster au port. Nous l'accueillerons en grande pompe." Proclama Mountbatten, l'air martial.

    Il laissait son regard se porter avec légèreté sur l'armada qui se dévoilait sur l'océan. Une fourmilière de navires, certains aux allures plus saisissantes que d'autres. Il était difficile de croire que tous appartenaient à la même flotte… C'était donc ça, la puissante d'un Empereur. La direction prise par le Royaume avait été causée par le Fantôme, mais celui-ci se mit à douter l'espace d'un instant. Et si Terra finissait par être complètement soumise par les forbans ? Et s'il avait contribué à ruiner la prospérité d'un pays pour un intérêt personnel ? Il balayait ses doutes d'un revers de main. Les invités allaient arriver : il était déjà trop tard pour douter.

    ----

    Le port de Delta grouillait de militaires. La Garde Impériale, maintenant renforcée des Elus, sécurisait la venue des pirates de Kiyori. Quelques manifestants avaient été arrêtés. Une partie de la population restait sceptique. Au centre du dispositif, c'était une Lushina rayonnante de beauté et de gloire qui s'avançait vers les quais, prête à recevoir son invitée. À ses côtés, les autres membres du Conseil, dont Mount, arboraient un air solennel. L'événement allait être gravé dans les annales de l'île pour plusieurs siècles : tous étaient conscients que l'Histoire, avec un grand H, s'écrivait au moment présent. Elle s'écrivait devant leurs yeux, et ils en demeuraient des acteurs de premiers plans.

    Un imposant cuirassé s'avançait dans la baie, confiant. À son bord, Shoti Shota, commandante de la Seconde Flotte de la Déesse Enfant. Depuis les docks, on pouvait distinguer sa silhouette raffinée sur la proue du bateau. Elle portait des cheveux mi-longs noirs, qui couvraient délicatement son visage pâle. Sa tenue contrastait avec son teint par les habits amples noirs et épais, qui la rendait à moitié vulgaire, à moitié respectable.

    Elle débarquait avec une partie de son équipage à Delta, en cette année 1628.

    Les mots furent cordiaux entre Lushina et Shoti, et les conseillers se présentèrent, avant de se diriger vers le palais impérial où l'Imperiosa attendait. Sur le chemin, des banderoles et des bouquets de fleurs avaient été disposés par la Garde. C'était jour de fête pour le royaume, même si l'incertitude restait dans le cœur de nombreux Terrans.

    La pirate se révéla être peu bavarde, presque farouche, face aux tentatives peu fructueuses de Lushina d'entamer la conversation. Le reste du Conseil suivait, muet. La scène était lunaire. C'était deux mondes qui se rencontraient en ce point précis : l'un, mondain et subtil ; l'autre, abrupt et marginal. Le dialogue entre les deux femmes était difficile. Shoti Shota répondait plus par politesse qu'autre chose. Même si les deux se connaissaient de loin, elles n'avaient rien à voir entre elles. Mount s'interrogeait sur la manière dont les deux s'étaient connues. Elles avaient dû se connaître pendant leur enfance ou lorsqu'elles étaient jeunes adultes, et leurs chemins s'étaient séparés, hypothétisa-t-il. Quoi qu'il en fût, le contact était malaisé sans aucun doute.

    Lorsque la procession rentra dans la salle du trône, l'Imperiosa se leva de son siège – chose qui surprit l'ancien marin, étant donné que la chose était hautement inusuelle. Aucune des deux femmes ne se prosterna, en l'absence de relation hiérarchique claire. Mais un respect consenti anima le reste de l'audience, dans laquelle peu de substance fut finalement échangée. C'était un premier contact, une ouverture vers une relation plus étendue. La seconde flotte allait être ravitaillée sur Terra, et Shoti Shota allait rester un peu moins d'une semaine sur l'île pour faire connaissance avec les autorités locales et consolider le nouveau statut de l'île.
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    Après les fastes de l'arrivée on enchaine sur l’innombrable cohortes des passages obligés de l’accueil diplomatique, présentations solennelles, échanges de cadeaux, visites, revues des troupes d'élites, banquet... Un processus aussi fastidieux que parfaitement rodé, et ou les manières des pirates, qui te semblent prendre un malin plaisir à piétiner les codes bien établis du coin, te semblent presque rafraichissantes, ou constituent en tout cas des diversions amusantes malgré l'ambiance tendue qu'elles génèrent au sein de la garde. Et évidemment, on commence en coulisse a finaliser les termes de l'accord qui liera désormais le destin de Terra à celui de l'impératrice Kiyori. On parle de flotte de garde, d'échange de troupes, de garnisons, de temple, de remodeler les statues qui gardent le port à l'image de la nouvelle protectrice... Bref, pour autant que tu puisses en juger, tout semble sur de bons rails, et tout porte à croire que tu seras très bientôt libéré du contrat qui te lie à cet endroit...

    En marge du banquet qui se prépare, tu es en train d'inspecter machinalement le dispositif de sécurité quand le den den qui ne te quitte jamais se met à sonner, et au moment ou tu mets la main dessus, l'escargophone que tu as sous les yeux se met à transpirer, hoqueter, ferme un œil, cherchant visiblement à simuler un type qui souffre, ou qui agonise... Une hypothèse rapidement confirmé par les paroles hachées qui s'échappent de l'escargophone.

    -Général ! Des élus ! aRgh... Des élus veulent tenter d'assassiner Shota !

    En quelques mots, l'officier au bout du fil te trace une description rapide de la conspiration sur laquelle il vient de tomber. Un groupe d'ex élus, visiblement aussi mécontents de la fusion de leur corps avec l'armée impériale, et conscient que leur ancien chef a voté contre le lien avec Kiyori, ont décidés de s'en prendre à la commandante pirate, espérant certainement provoquer un incident diplomatique qui mettra par terre tous le processus d'alliance, voire qui créera une nouvelle guerre nécessitant la recréation de leur corps d'armée...

    Hélas, l'officier n'a pas eu le temps d'en entendre assez avant de se faire remarquer par les conjurés et de devoir s'extraire de la a coups de sabre, il n'a pas le détail du plan, et ne sait pas du tout quand les assassins vont frapper, même si le fait qu'ils savent leur complot peut être découvert ne peut que les inciter à frapper au plus vite...

    -Ils m'ont retrouvés ! Adieu général. Pour Terra !

    La communication se coupe, te laissant presque seul dans un couloir, un den den a la main, sous le regard interrogatif des soldats de garde qui sentent bien que quelque chose vient de clocher..

    A deux murs de la, dans la salle choisie pour le banquet, un silence soudain des bruits de voix indique que Shoti et Lushina viennent de faire leur apparition et gagnent leurs places à tables.

      Le silence suivant la communication fut pesant, terriblement pesant. Le stratège resta là, l'air grave. Il serra les poings et fronça les sourcils, avec une intensité rarement vue auparavant.

      "- Ces enfoirés d'Elus… Cette fois-ci, on va en finir avec eux."

      Il gardait sa voix intentionnellement basse, afin que ses subalternes ne puissent entendre. Malgré sa maîtrise apparente, il enrageait. Son plan n'allait pas être entravé par des nobliaux qui n'avaient fait que profiter sur le dos des honnêtes gens. Et au-delà de ça, ils n'allaient sûrement pas constituer un obstacle dans sa quête pour la liberté. Mount en avait trop traversé. Il voulait devenir libre. Libre de ses choix et de ses actes.

      Dans le même temps, des voix s'élevaient de l'autre côté du mur. Cependant, il pouvait avoir toute la volonté du monde, le Fantôme n'avait aucune idée du timing du complot. Si seulement le brave avait pu parler plus longtemps… Est-ce que le banquet était l'occasion ? Ou plus tard ? Dans tous les cas, Mountbatten était déterminé à arrêter l'intrigue le plus vite possible, et dans le même temps réduire l'influence des Elus. La Garde Impériale avait été honnête avec eux : avec la fusion, les Elus étaient devenus des officiers, alors que peu en avaient le niveau. Beaucoup d'entre eux n'avaient même pas les compétences d'un caporal de la Garde. Il était temps de mettre fin à ce moment de grâce, et ce complot était une opportunité en or.

      Toutefois, au-delà des querelles internes des forces de Terra, la sécurité de Shoti Shota importait en premier lieu. L'île ne pouvait pas se permettre de se mettre à dos Kiyori dans le cas où le plan des factieux réussirait. Terra possédait une armée formidable… Mais face au courroux d'un Empereur, les Terrans n'avaient aucune chance. Avec toutes ces pensées qui surgissaient et s'entremêlaient, il se précipita vers la salle, prit un instant pour remettre son uniforme en ordre, et ouvrit la double porte imposante qui scellait l'entrée de la pièce, sous les yeux incrédules de ses hommes.

      Lorsqu'il pénétra dans la salle, tous les regards se fixèrent sur lui. C'était un Mountbatten haletant, et inhabituellement nerveux qui venait interrompre un dîner d'état.

      Face à lui, une vingtaine de notables du royaume s'apprêtaient à goûter aux mets disposés devant eux. Parmi les convives, Shoti et Lushina sortaient du lot. Les autres membres du Conseil étaient là, eux-aussi. Les plus grands pontes du royaume s'étaient réunis, et voilà qu'un simple officier – étranger en plus de cela – venait déranger l'occasion mondaine. Surtout, Satori, le chef des Elus, semblait triomphant parmi les invités. Le marquis écarlate se distinguait par le soin qu'il avait accordé à sa tenue. En contraste avec les armures de Dash et de Sekiza, et des vêtements simples de Shoti, il ressortait du lot. Par ailleurs, il paraissait encore plus flamboyant que d'ordinaire.

      Ce fut Satori qui rompu l'atmosphère tendue et suspicieuse depuis l'irruption du stratège. L'homme se leva de son siège, pour signifier sa prise de parole, comme le veut l'usage.

      "- Stratège Mountbatten, eh bien en voilà des manières ! Que nous vaut votre venue ? Et surtout – qu'est-ce qui justifie la disruption de ce banquet à l'importance particulièrement vitale ?!" Clama l'orateur, en mettant un point d'emphase sur les derniers mots de sa phrase.

      A son tour, l'Imperiosa se leva de sa chaise avant que l'intéressé ne puisse formuler sa réponse. Celle-ci trônait en bout de table, à l'opposé de la porte d'entrée.

      "- Du calme, Satori."

      Elle marqua une pause.

      "- Chère Shoti, je te présente Mountbatten, membre du Conseil et stratège dans notre armée nationale. J'imagine qu'il doit avoir une bonne raison de venir de la sorte… Que j'adorerai entendre."

      Les yeux perçants de la souveraine se posèrent sur le militaire. Celui-ci se tenait droit ; derrière-lui, plusieurs soldats se tenaient en retrait, hors de la salle. En tant que chef de la sécurité de l'évènement, son entrée en scène n'était pas totalement irrationnelle, mais restait surprenante. Cela ne laissait présager rien de bon, et l'impératrice le savait.

      "- Chers convives… Veuillez m'excuser d'interrompre le dîner, mais nous avons un problème."

      Mount, à son tour, laissa planer un silence. Un silence si lourd, si bruyant, qu'il en devenait dérangeant. Il laissa s'installer un léger climat de suspicion. Il dévisagea chaque visage, jusqu'à se fixer sur celui du marquis écarlate.

      - Un problème ?" Reprit Satori, agacé, et visiblement mal à l'aise.

      "- Car le seul problème que je vois, c'est l'impolitesse dont vous faites preuve, alors que nous avons organisé tout ceci pour accueillir notre alliée ici présente !

      - SATORI !" S'exclama Sekiza, visiblement énervée du comportement de son conseiller.

      "- Taisez-vous ! Cessez d'être une nuisance lorsqu'il essaye de s'expliquer, nom de Dieu !"

      Le marquis se rassit en silence, non sans manifester son mécontentement. Plusieurs têtes se tournèrent sur le gentilhomme. Certains semblaient mécontents de l'attitude de ce dernier ; d'autres étaient simplement surpris par son intervention, sans être choqué. Il faut dire que Satori était un habitué des déclarations passionnées. Il n'avait pas gagné sa place qu'à coup de manigances politiques : c'était un orateur talentueux, qui avait su ravir des foules pour soutenir Sekiza il y a quelques années. Mais les choses avaient changé. Les rapports de force n'étaient plus les mêmes. Plus important encore, les objectifs avaient divergé. Satori avait perdu les faveurs de la souveraine, à mesure que ses positions devenaient gênantes envers les politiques qu'elle avait décidées.

      "- Merci, mon Imperiosa." Reprit Mount.

      "- Je viens de recevoir des informations, selon lesquelles plusieurs personnes tenteraient de s'en prendre à notre invitée." Dit-il, avant de se tourner vers Shoti Shota.

      "- Ah ? Et qui voudrait ma peau ? Je croyais que Terra avait décidé de son plein gré de nous rejoindre. Si ce n'est pas le cas…

      - C'est le cas. Mais un groupuscule s'oppose visiblement à la volonté générale des Terrans.

      - De qui parlez-vous, Mountbatten ?" Intervint l'Imperiosa.

      "- Je ne veux pas incriminer tout le groupe en question…

      - Parlez.

      - Eh bien… J'ai de nombreuses raisons de croire que les Elus veulent s'en prendre à Shoti Shota."

      - CALOMNIES !" Hurla Satori, exaspéré.

      "- Calomnies ?! Allez dire ça à mes hommes qui viennent d'être tués par les VOTRES !" Répondit Mount, dont l'attitude avait changée du calme à la véhémence. Il pointa du doigt le marquis écarlate et s'approchait de plus en plus de l'accusé, avec un pas menaçant.

      Au fond, deux notions conflictuelles s'opposaient en Mount. D'un côté, une rage pure s'exprimait : il n'était qu'à quelques heures de la liberté dont il avait tant rêvé. De l'autre, l'étiquette lui interdisait toute action brutale dans une occasion de la sorte. En vérité, à chaque pas qu'il faisait, il s'interrogeait sur la suite des opérations. Devait-il arrêter Satori ? En réalité, aucune preuve tangible, à ce moment précis, ne pouvait l'incriminer, lui personnellement. Mais ses interventions au Conseil et en-dehors n'avaient fait qu'antagoniser l'ancien marine. C'était devenu personnel, trop personnel. Le Fantôme en avait bien conscience ; mais à quelques heures de la fin, à quoi bon s'abstenir. Non ! Il fallait tenir encore un peu. Un petit peu, et ce cauchemar sans fin s'achèverait. Un rêve obscur dont l'origine remontait déjà à Vindex. En parcourant la pièce, et à chaque enjambée, il revoyait en une fraction de seconde tout ce qui l'avait emmené à Terra. La guerre, huit mois de souffrance, et l'opération du CP9. Et s'enchainèrent Nakajima D. Aoi, Lynbrook, puis l'émissaire de Ravrak ; et enfin, Terra. Une suite d'évènement sans queue ni tête, dont la finalité s'était réalisée au détriment de lui-même. Une partie de sa colère, à ce moment-là, reflétait exactement le caractère infortuné de son existence depuis plus d'un an. L'absence de contrôle. Le sentiment que, malgré tous les efforts et toute la volonté du monde, les événements se passent en dépit de ses vouloirs. L'impression que ses désirs ne soient que des lettres mortes dans la course effrénée du temps. L'observation injuste que ses aspirations étaient en grande part ignorée de l'Histoire, avec un grand H. L'acceptation acerbe qu'il ne vivait qu'en réaction, qu'il n'était plus acteur de sa propre vie. Il voulait se révolter, affirmer son rôle de premier plan à l'épilogue d'une partie de sa vie. Il s'avançait donc, et sa main devint plus entreprenante sur son arme, prête à balayer vents et marées contre sa détermination.

      "- VOUS N'AVEZ AUCUNE PREUVE ! CE NE SONT QUE DES ACCUSATIONS SANS FONDEMENT !"

      La distance entre les deux hommes se réduisait de secondes en secondes. Mount se montrait de plus en plus menaçant et mettait même sa deuxième main sur son deuxième sabre, sans pour autant le dégainer. Sans s'en rendre compte, la pièce s'emplit de son aura, qui se fit écrasante au possible. Après toutes ces épreuves, c'était finalement l'essence de Mountbatten qui enveloppait la pièce. Il avait vécu une vie acharnée, lui qui était né fils de noble de Marie-Joie. Lui qui était destiné à une vie loin du commun des mortels, lui qui devait vivre une histoire sans problème. Un jeune homme bercé dans la richesse et les déboires de la capitale mondiale, qui avait trouvé une noblesse à combattre la piraterie pour le bien du peuple. Et qui s'était fait duper par l'immense engrenage du Gouvernement Mondial. Et qui avait fini, dans un piteux état, dans un royaume du Nouveau Monde, à mille lieux de sa terre natale, et à des milliers de kilomètres des attentes de sa vie. A cet instant précis, ce n'était plus Mountbatten, stratège de Terra qui s'exprimait ; mais un animal au bord de l'agonie, ou un prédateur au point de piéger sa proie. Son instinct primaire ressortait. L'air se faisait écrasant, irrespirable. Et Dieu sait combien un homme poussé dans ses retranchements était dangereux.

      "- Mon Imperiosa, vous n'allez quand même pas rester sans rien faire contre cet étranger ?!

      - SATORI ! Expliquez-vous."

      La tension montait. Les convives ne savaient plus où se mettre. Beaucoup étaient dans l'inconfort, tant par la situation que par la présence écrasante du stratège. Dans le même temps, Shoti, indifférente à l'aura de Mount, lançait un regard noir à Satori. Elle savait pertinemment qu'un innocent ne se monterait pas sur ses grands chevaux comme le faisait l'aristocrate. Mais elle restait également circonspecte sur les intentions de Mount.
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      Du coté des deux puissances, Shoti reste vautrée sur son siège comme un chat sur son sofa, arborant un sourire narquois qui dément son regard calculateur et intéressé, il est clair qu'elle ne se sent pas en danger, mais elle semble très intéressé par ta prestation.
      Du coté de l’impératrice c'est plutôt la réprobation qui règne. Elle prend visiblement cette interruption comme une attaque personnelle, et c'est le genre de choses qui n'est pas puni d'une simple réprimande...

      Autour de Satori les convives s'écartent, attentif à ne pas prendre un potentiel mauvais coup dans ce qui peut devenir rapidement un duel ou une rixe entre deux rivaux. Et c'est précisément ce soudain vide autour du noble qui te permet de capter l'infime mouvement qu'il n'adresse pas à son public, mais à quelqu'un d'autre !

      Ton regard quitte une seconde le marquis et son air de coq offensé et prét à en découdre pour tomber sur deux serviteurs qui ne font pas partie de ceux que tu as toi même choisi pour servir  la table principale lors la soirée. Deux serviteurs qui amènent à table une jarre d'hydromel de bonne taille, et qui semblait se diriger droit sur Shoti Shota avant de capter l'infime signal de Satori, et qui sont maintenant figés, hésitant, avant de se détourner pour reprendre le chemin de la cuisine...

      Il est quasiment sur que tu viens de repérer l'équipe chargé de l'assassinat, et qu'en retardant l'attaque, Satori entend te laisser t'enferrer dans tes fausses accusations avant de frapper à nouveau plus tard.

      -Je n'ai hélas rien a expliquer Imperiosa, et je suis aussi surpris que vous par la grossièreté de cette attaque. J'ai peur que le stratège Mountbatten se soit laissé allé a trop de boissons ce soir, et que la jalousie qu'il me porte parle pour lui. C'est lui qui porte de fausses accusations, a lui d'en apporter des preuves !

      Coté Shoti, les serveurs font demi tour avec leur jarre, et le sourire de Satori se fait soudain plus serein, plus carnassier...
        "- Fausses accusations, Satori ? Et si vous nous disiez ce que cette jarre contient ?" Demanda Mount, en s'arrêtant à quelques mètres seulement de l'intéressé, et en pointant du doigt les deux fuyards.

        "- Vous deux, arrêtez-vous." Ordonna-t-il, calmement.

        Les convives portent alors leur attention sur les serviteurs, qui se stoppèrent sous les ordres du stratège. Ils paraissaient paniqués, hésitants. En tout cas, leur attitude était louche. Le Fantôme ne les avait jamais vus, alors qu'il avait organisé le banquet. Et le léger mouvement du marquis écarlate laissait entendre qu'ils étaient de mèche.

        Un moment de flottement s'installa, dans lequel plus personne n'osa bouger, avant que Mountbatten ne casse le silence.

        "- Satori, on vous écoute."

        Une goutte de sueur perla sur le front de son interlocuteur. Il esquissa un sourire malaisé, et se tourna vers l'audience, pour chercher une quelconque source de soutien.

        "- Vous n'allez quand même pas…

        - Satori, répondez à la question." Intervint l'Imperiosa.

        Il balaya lentement du regard la pièce. Soudainement, son attitude changea d'un homme acculé à un loup fou de rage. Il se tourna en une fraction de seconde vers les serviteurs, et lança un poignard affuté à vive allure en direction de la jarre.

        Mount s'interposa et dévia l'attaque avec ses sabres. Désormais, les intentions opaques de Satori étaient visibles aux yeux de tous.

        "- Bien essayé, sale traître !"

        CRACK

        L'ancien marin se retourna et vit avec stupéfaction la jarre s'écraser sur le sol à quelques pas de lui. Un des serviteurs venait tout juste de la balancer contre les pierres du palais. Un des hommes de Mountbatten s'empressa d'ouvrir le feu, éliminant les deux imposteurs.

        Mais le problème venait à peine de commencer.

        En un instant, des créatures innommables sortirent du contenant. Des insectes difformes, immondes, à l'aspect dégoutant. Des cris d'effroi parcoururent la salle. De part et d'autre, ceux qui étaient capables de se battre dégainèrent leurs armes contre la nouvelle menace. Un étrange bourdonnement résonna, qui n'avait rien à voir avec la mélodie habituelle des hyménoptères. Il était métallique, creux, dénué de vie.

        Toutefois, les invités n'eurent pas le temps de s'attarder sur la nature de ces bestioles. En effet, elles commencèrent à agresser tout ce qui se trouvait à proximité. Chaque bête était remarquablement rapide. Les personnes les plus proches du lieu de l'impact se firent assaillir avec une intensité remarquable. Très vite, les premières victimes tombèrent à terre, inerte.

        "- ALLEZ-TOUS MOURIR EN ENFER !" Hurla Satori, fou de rage, et qui s'empressa de sortir une deuxième dague et de foncer sur Mount.

        Dans le même temps, Sekiza et Shoti s'éclipsèrent, avec Flika, Lushina et Dash en guise d'escorte. Les autres convives essayèrent tant bien que mal s'échapper à la scène de chaos, mais les guêpes mutantes purent en rattraper un certain nombre. Il fallait faire quelque chose pour arrêter l'essaim.

        Le Fantôme attendit quelques secondes, le temps que l'Imperiosa et les autres membres du Conseil soient à l'abri. Face à lui, Satori préparait une deuxième charge.

        "- Et dire qu'à quelques instants près, ça aurait pu marcher… Dommage pour toi, raclure !" Gueula Mount à son ennemi.

        Le vétéran bascula en invisible, ce qui provoqua une réaction bien curieuse chez son adversaire. Il ricanait.

        "- Ça ne sert à rien, l'étranger. Face au Mantra, ton pouvoir –"

        Un courant d'air transperça le marquis sans qu'il puisse finir ses propos.

        "- Assaut éclair."

        Satori cracha du sang, et se retourna pour faire face à son ennemi.

        "- Tu as beau pouvoir me détecter, c'est inutile si tu es trop lent. Soru !"

        Mount se téléporta sur le flanc droit de son opposant, et l'entailla à plusieurs reprises avec ses deux lames supérieures, Yakikatsu et l'Amante. Puis, il lança un puissant coup de pied, qui envoya valser Satori sur un mur à l'opposé. Ce dernier, à cause de l'onde de choc, traversa ledit mur, pour finir complètement sonné dans une autre pièce du palais, sous les yeux horrifiés des domestiques qui s'y trouvaient.

        "- Et maintenant… Tornade !"

        Le stratège parcourt toute la salle, tout en lançant des lames d'air vers le ciel, ce qui créa une tornade à échelle réduite. Celle-ci emporta les guêpes, qui s'écrasèrent sur les murs à pleine vitesse. En revanche, même si Mount avait modéré sa force sur son attaque, les dégâts restaient considérables sur le bâtiment. De plus, la tornade avait emporté les quelques convives restants. La plupart gisaient à présent sur le sol, probablement décédés.

        Au moins, le danger sur Shoti Shota avait été évité.
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        Dans le silence soudain et hébété qui suit souvent les scènes de carnage, juste avant que les premiers râles des blessés ne commencent à user les nerfs, c'est un applaudissement lent qui vient saluer la fin du combat. Trois claquement de mains et le rire déplacé de Shoti Shota qui, revenue dans l’embrasure de la pote par ou on a tenté de l'évacuer, observe la scène d'un air amusée.

        -Et dire que je trouvais ce diner un peu trop protocolaire. Finalement je vois qu'on sait aussi s'amuser sur Terra....

        Revenu aux cotés de la commandante de flotte, l'Imperiosa, s'empresse de jouer les diplomates, minimisant l'incident en expliquant le changement de statut récent des élus et l'origine probable de la rancœur de Satori, ça parle de conjurés, de purge, et surtout, surtout, de ne pas considérer cette attaque comme venant de Terra et mettant en péril la toute nouvelle allégeance de l'ile. Des inquiétudes légitimes que Shota balaie d'un revers de la main.

        -Aucune importance, confiez moi ce type et je m'occuperais moi même de lui faire cracher tous les noms de ceux qui l'ont aidés, et je m'assurerai de faire de lui un exemple qui restera dans les mémoires. Pour le reste, si je devais revoir ma position ou celle de ma déesse a chaque fois qu'on attente a ma vie, je serais une girouette plutôt qu'une pirate. Je m'étonnais de l'adhésion si facile de Terra, maintenant au moins les choses sont claires... Continuons...

        Et redressant une table et une chaise pendant que ses hommes font de même, la commandante se réinstalle et se ressert un verre, ignorant ostensiblement les blessés et les morts que le personnel, en train de revenir prudemment, commence à évacuer.

        Suivant la pirate, l'Imperiosa entreprend de son coté de ramener le calme et l'ambiance perdue, tout en dépêchant des soldats lancer une grande rafle au sein des élus les plus familiers de Satori. Satori que les hommes de Shota ramènent en piteux état mais malheureusement pour lui, encore vivant.

        De ton coté tu es en train de quitter discrètement la salle pour participer à la recherche des complices quand un des hommes de Shota se dresse ostensiblement sur ta route, juste assez présent pour t'interdire de l'ignorer a moins de lui rentrer dedans, et te désignant d'un signe de tête la table ou trône la commandante qui t'interpelle.

        -Hé ! Toi la ! Mountbatten. Tu as gagné ta place, viens donc boire un verre, je t'invite...

        Il semblerait qu'une fois de plus tu ais sauvé le traité.
          Les domestiques du palais s'affairaient à nettoyer la scène. Les dégâts avaient été limités au maximum, mais le dîner s'en retrouvait malgré tout gâché. Dans tous les cas, la tentative d'assassinat avait été stoppée, Shoti Shota était saine et sauve, et l'alliance entre Terra et Kiyori était sur le point de se conclure. Après un moment d'adrénaline, Mountbatten pouvait souffler. Il était passé à deux doigts de la catastrophe.

          À l'invitation de la lieutenant de Kiyori, le Fantôme hésita. Il devait engager une chasse aux sorcières le plus vite possible. Les conséquences de la trahison du marquis écarlate allaient être retentissantes. Enfin, l'armée de Terra allait être purgée de ses éléments factieux. Plus aucune sédition n'allait être tolérée. Une vraie force militaire, efficace et professionnelle, allait émerger de cet incident. Les anciens privilèges, accordés temporairement et de bonne grâce par Sekiza, allaient être abolis. Même s'il ne souhaitait plus être enchaîné à l'île, Mount en ressentait de la satisfaction. Les braves hommes de la Garde Impériale allaient être reconnus à leur juste valeur. Et même s'il était tombé en disgrâce aux yeux de Marijoa, il n'empêche qu'il plaçait beaucoup d'importance dans la notion de justice.

          Toutefois, cette invitation ne pouvait pas être refusée.

          Dans la foulée, Mount prit place à table avec les autres dignitaires du royaume. Il échangea quelques mots avec la pirate. Des mots convenus, des présentations brèves. Rien de très intéressant, en somme. Il faut dire que dans ces réceptions officielles, chaque phrase était calculée minutieusement. Tout ce qui sortait de la bouche des individus avait un caractère officiel qui prohibait toute fantaisie de leurs esprits.

          C'est après qu'une discussion plus attrayante se dessinât. Un bal avait été organisé pour suivre le dîner. Tout le gratin de Delta avait été convié dans cette grande manifestation à la gloire de l'Imperiosa, de Terra, et de la nouvelle alliance. Même si certains restaient sceptiques au sujet de ce traité, ils ne pouvaient qu'afficher un sourire forcé. On ne s'opposait pas à l'Imperiosa, et encore moins à une Empereur pirate. Le bal s'inscrivait bien dans la tradition terranne de la haute société. Les tenues étaient plus resplendissantes les unes que les autres. Nobles et bourgeois, hommes d'affaires et officiers, toute l'élite se rassemblait pour se côtoyer et danser. Shoti Shota, elle, n'était pas dans son élément. Elle ne venait pas de ce monde. Et elle le voyait qu'avec peu de sympathies. Assez vite, elle se dirigea vers le stratège pour s'entretenir avec lui, au calme et à l'abri des oreilles baladeuses.

          "-La forme a beau être plus élaborée qu'à bord de mon navire, ça ne suffit guère à rendre plus attrayant le fond de ceux qui s'y complaisent. Mais toi, tu n'es pas d'ici, n'est-ce pas ?" Entama la commandante de Kiyori.

          "- Effectivement, non. Vous avez peut-être remarqué que Satori m'appelait "l'étranger". Je ne viens pas de Terra, mais de Marijoa. Et vous ?

          -Si c'était un endroit vraiment intéressant, j'y serais resté non ? Mais savoir que tu viens de la capitale du gouvernement te rend encore plus étrange. Qu'est-ce qui a pu bien t'amener à t'ancrer sur Terra ? Tu fuis quelque chose ?"

          Mount eut un rictus. C'était une belle manière de mettre les choses en perspective. En vérité, ce n'était pas tellement qu'il fuyait. C'était plus qu'on l'avait envoyé de force sur Terra pour conclure un traité, symbolisé par la venue de son interlocutrice. Mais ça, elle n'en avait aucune idée, heureusement.

          "- Disons que je suis venu sur Terra pour me construire une nouvelle vie. J'ai eu quelques... Soucis... Avec le Gouvernement Mondial. Alors je suis venu ici pour tout refaire.

          -Et on dirait que ça a plutôt bien marché. Il semblerait que tu ne sois pas pour rien dans les choix qui ont poussé Sekiza à accepter la proposition de la déesse."

          Shoti Shota balaya du regard le bal. Les deux hors-la-loi siégeaient sur une estrade située en hauteur, avec chacun un verre dans la main. La pirate en était déjà à son sixième : vivre sur un navire de forban lui avait donné une bonne résistance à l'alcool. Le Fantôme, lui, sirotait tranquillement son nectar. Il voulait garder le contrôle jusqu'au bout. Ce n'était pas le moment de partir en vrille.

          "- En effet. J’ai prouvé ma valeur." Continua Mountbatten. "D’abord en tant qu’homme d’affaires, ensuite en tant que soldat. Je me rappelle encore d’il y a quelques mois… Marijoa avait voulu mettre Terra sous tutelle. Mais rien n’y a fait, pas même l’équipe du CP9 envoyé ici. L’Imperiosa a fait un choix, et compte bien s’y tenir.

          -Et elle a bien raison. Tant que la déesse régnera sur le nouveau monde, l’influence du Gouvernement Mondial ne dépassera jamais le cercle d’or. Et Terra sera protégée. Mais toi. Tu comptes rester ici ?

          - Je ne sais pas vraiment… J’attends de voir ce que l’avenir me réserve, pour l’instant.

          - Le problème des îles, c’est qu’on ne fait que s’échouer dessus. C’est bon si on veut passer un bon moment ou finir sa vie dans un lit, mais guère plus. Tu attends de voir ce que l’avenir te réserve ? Prends la mer avec moi. La déesse a toujours de la place auprès d’elle pour des gens dans ton genre."

          L'ancien marin sourit. C'était flatteur, il est vrai. Mais il ne pouvait pas se voir dans un avenir proche dans un équipage pirate. L'homme ne souhaitait qu'une chose à cet instant précis : la liberté.

          "- J'apprécie la proposition... Mais je ne me vois pas rejoindre un équipage pirate pour le moment. En tout cas, j'espère que vous appréciez votre séjour sur l'île. Nous nous sommes pliés en quatre pour faire de cet événement un instant remarquable dans l'histoire de Terra... Mis à part l'incident du dîner, évidemment.

          - J'ai particulièrement apprécié l'incident du dîner, et pas uniquement grâce à toi. Sans lui, je pense que tout ça aurait manqué de sincérité. Quand je mets le pied dans un nid de serpents, j'apprécie de pouvoir les entendre siffler. Pour le reste, je vais rester quelque temps ici, tu as le temps de réfléchir. Mais penses-y, qu'est-ce que Terra a encore à t'offrir avant que tu ne finisses par te retrouver dans la même posture que ton adversaire de ce soir ?"

          À ces mots, son compagnon de beuverie souleva un sourcil. C'était un bon point. Sa fulgurante ascension avait créé des jaloux. Satori en était un, mais il n'était pas seul. Plus restait-il sur l'île, et plus sa situation deviendrait intenable. Le fait qu'il soit étranger lui attirera toujours la suspicion de certains. C'était une triste vérité.

          "- Eh bien... Je ne sais pas. Je vais y réfléchir. Mais il est vrai que la mentalité... Pirate... Me laisse perplexe. J'étais de l'autre côté, avant. Du côté de la prétendue Justice, avant que son hypocrisie ne me rattrape.

          - La justice du Gouvernement Mondial n’a jamais concerné que ceux qui siègent à sa tête sur les hauts de Marijoa. Tous les autres ne sont que des esclaves que l’on utilise et qu’on jette. Se rendre compte de ça, c’est déjà être un pirate.

          - C'est ce que je pense aussi. M'enfin, il a quand même fallu que j'assiste à des crimes de guerre et un coup tordu du Cipher Pol pour m'en rendre compte…" Dit-il, avant de porter son verre à ses lèvres, quelque peu pensif.

          Mount s'excusa auprès de Shoti pour vérifier à nouveau les conditions de sécurité de la réception. Il tenait à ce que tout s'exécute parfaitement, comme c'était le cas. Dans les coulisses, la chasse aux sorcières avait commencé. La Garde Impériale avait emprisonné un bon nombre d'Elus, parfois en les tirant de leur sommeil, en les menottant devant leurs familles. Ça avait donné des scènes déchirantes et terribles, mais c'était mérité. C'était le résultat de leurs politiques factieuses, personnifiées en la personne de Satori.
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          L'air était frais en cette matinée d'automne. Le soleil projetait une lueur de faible intensité, mais qui était suffisamment puissante pour éclairer les moindres recoins des ruelles de la capitale que déambulait le borgne. Quelques jours avaient passé depuis le bal. La faction des Elus avait été anéantie. Les leaders avaient été arrêtés, et les sous-fifres avaient été avertis. Terra ne tolérerait plus de faction en son sein. Tous devaient être unis derrière l'Imperiosa, et dans une moindre mesure, derrière Kiyori. Shoti Shota partait ce jour-là, à la tête de sa flotte, qui avait mouillé dans les eaux terrannes depuis plus d'une semaine. Le pacte d'alliance avait bel et bien été scellé, et elle avait accepté de prendre l'homme invisible à bord pour le déposer à la prochaine destination de son escadre : Armada, sur Grand Line.

          Mountbatten avait demandé une audience impériale. Il avait donné sa démission au maréchal Flika, chef des forces armées terranne nouvelle unifiées. Il n'était plus stratège, et il n'allait plus donner de cours à l'académie militaire. Petit à petit, il se désengageait de l'île. Le Premier Maréchal avait, bien évidemment, protesté. Le Fantôme avait beaucoup fait pour la Garde Impériale et pour l'île. C'était un atout de taille, et il avait tout fait pour le retenir. De plus, les deux hommes avaient tissé une relation amicale. Ils se ressemblaient sous de nombreux aspects. Deux militaires, deux hommes d'honneur qui avaient promis de vivre leur vie au gré de l'épée. Le destin les avait faits se rencontrer. Mais le destin les sépara aussi vite, sans témoigner d'émotions. Le grand plan de l'univers se dévoilait aux hommes sans tenir compte de leurs affinités. Et Mount était prédestiné à quitter l'île. C'était écrit.

          En parallèle, le Marijoan avait donné ses dernières directives à Hobart Gabras, le superviseur du complexe militaro-industriel de Terra. Ce qui était une usine d'armement s'était agrandi rapidement grâce aux commandes de la Garde Impériale, en partie due au lobbying effectué par Mount. Il lui avait donné un escargophone pour qu'ils puissent communiquer par-delà les mers. Hobart gagnait la supervision complète du site de Terra. Dans le même temps, Mount prévoyait d'étendre les activités du CMIT à l'étranger, et d'ouvrir des sites de production et de vente ailleurs, notamment sur Grand Line.

          Une dernière chose devait être faite pour permettre à Mountbatten de partir. En parler avec l'Imperiosa.

          "- Mes respects, mon Imperiosa." Prononça Mount, qui se courba légèrement devant la souveraine.

          La rencontre se situait dans la salle du trône, dans le Palais des Cent Familles à Delta. L'endroit était imposant. Le Fantôme se sentait mal à l'aise. Il allait demander de partir, alors même qu'il venait d'acquérir une place au Conseil. Une partie de lui voulait rester à Terra, et y vivre une vie paisible de notable. D'un autre côté, les mots de Shoti Shota résonnaient en lui. À un moment ou à un autre, il pouvait tomber en disgrâce. Et puis il souhaitait recouvrer sa liberté. Enfin, une partie de lui désirait laver son honneur, prouver au monde son innocence dans l'affaire de Vindex. Celle qui avait ajoint une prime à son nom, et qui l'avait expulsé des rangs de la Marine d'élite. Il souhaitait dire à sa famille la vérité, eux qui servaient encore le Gouvernement Mondial. Mais pour ça, il devait prendre la mer.

          "- Je…"

          Sa gorge se noua. C'était la fin. L'épilogue d'un long chapitre de sa vie.

          "- Je vous pose ma démission du Conseil."

          L'Imperiosa ne parut pas convaincue, presque indifférente à ces mots.

          "- Allons, ne me faites pas perdre mon temps, Mountbatten. Cessez de dire des sottises.

          - Je suis sérieux. Ma place au Conseil n'est pas légitime, puisque je ne suis pas de Terra. En quelque sorte, Satori avait raison.

          - Certes, mais vous avez prouvé votre valeur au royaume. Et le royaume sait se rendre reconnaissant."

          Mount serra les dents. C'était plus compliqué que ce qu'il ne pensait. Plus dur de trahir ceux qui avaient accompagné sa route. À part Dash, aucune personne sur Terra ne connaissait ses véritables intentions. Il n'empêche que dissimiler, mentir, et rompre la confiance de quelqu'un restait pénible et douloureux.

          "- J'ai… Des projets, à l'étranger. Je souhaite étendre le complexe militaro-industriel de Terra sur d'autres îles. Augmenter ses capacités, accroître ses parts de marché, trouver de nouveaux clients. Et puis j'ai une âme de marin… Rester trop longtemps sur la terre ferme risque de me taper sur le moral."

          Ces mots finirent par faire réagir la reine des lieux. Elle se leva de son trône. Son expression passive et majestueuse avait été remplacée par du désarroi et de la tristesse. C'était la première fois que Mount la voyait comme ça, et cela aggravait ce qu'il ressentait.

          "- Je comprends. Vous avez déjà fait votre choix, n'est-ce pas ?

          - C'est cela.

          - Il n'y a rien que je puisse faire pour vous garder ?

          - Vous en avez déjà fait beaucoup, et j'en serai à jamais redevable. Mais l'océan m'appelle.

          - Alors quoi. Vous allez embarquer avec Shoti Shota ?

          - Pas vraiment. Enfin… Son navire me déposera sur Armada. Mais je ne rejoindrai pas son équipage, si c'est ça que vous vous demandez."

          L'Imperiosa se rassit et ricana.

          "- Vous avez déjà tout prévu, en fait."

          Plus que se rasseoir, Sekiza s'enfonça dans son trône, lasse. Ses bras tombaient sur les accoudoirs. Elle se montrait faible, épuisée.

          "- Sachez que ça m'attriste profondément. Personne n'aime perdre une personne de confiance.

          - Et je le comprends bien. J'ai grandement apprécié mon temps ici. Je reviendrai."

          Soudain, Sekiza se leva et dévala les quelques marches qui séparaient son trône du centre de la salle, afin de rejoindre Mount. Celui-ci se tenait fièrement, le regard scintillant, presque brûlant. Il ne s'était pas présenté dans son uniforme de militaire, comme d'habitude. Au contraire, il était vêtu d'un costard parfaitement taillé et richement garni. Et c'est justement sur sa tenue que l'Imperiosa fit une remarque, tout en avançant vers l'ancien marin.

          "- Bel accoutrement, Mountbatten.

          - M… Merci ?"

          La distance se réduisait de seconde en seconde, et l'air las de la souveraine avait laissé place à quelque chose de plus obscur. L'aura de la pièce s'emplit d'une énergie maligne, malfaisante. Et ça, le Fantôme le détecta instantanément. Quelque chose avait changé.

          Quand l'Imperiosa arriva à sa hauteur, elle saisit son cou violemment. Elle tenta de soulever Mount du sol à la force de sa main, mais il résistait.

          "- Tu oublies vite ce qui t'as aidé à obtenir tout ça. Tu vas me faire croire que tu as demandé une place au Conseil pour rien, peut-être ? Et maintenant qu'on se retrouve sous la protection de Kiyori, tu pars ? Ce n'est pas louche ça, peut-être ?"

          Mount balaya sa main et se libéra de son entrave. Les deux se faisaient face, seuls dans la salle du trône, à moins d'un mètre de distance l'un de l'autre.

          "- Sekiza, je te l'ai dit. J'ai besoin de ma liberté et de partir."

          L'atmosphère avait basculé. Ils ne se vouvoyaient plus. La relation hiérarchique s'était écroulée en un instant, alors que leur rapport avait évolué pendant plusieurs mois sous un lien de subordonné à supérieur.

          "- MENTEUR !" Cria l'Imperiosa.

          "- J'ai œuvré pour le bien de ce royaume, c'est tout. Il n'y avait pas d'arrières-pensées dans tout ce que j'ai entrepris. Et d'ailleurs, le côté entrepreneurial m'a tellement plu que je compte me lancer à l'étranger, et agrandir le CMIT.

          - Toi ? Toi, un soldat ? Allons, tu ne dupes personne. Un mec comme toi, c'est fait pour se battre, pour livrer des batailles. Ce n'est pas fait pour livrer des cargaisons. Tu crois que je suis arrivée là où je suis en croyant les paroles du premier magouilleur que je croise ? Parle. Et vite."

          L'étau se resserrait sur le Marijoan. Il ne pouvait décemment pas dire la vérité. Cela remettrait en question le pacte avec l'Impératrice pirate, et donc cela mettrait en péril le contrat qu'il avait signé avec Darren Livingstone, l'émissaire de Ravrak qui l'avait envoyé sur Terra. Toutefois, il gardait son calme. Dans ce genre de situation, il fallait rester serein et confiant. En face, son interlocutrice n'était pas née de la dernière pluie. Au moindre faux pas, il ferait face à de graves conséquences.

          "- Bien." Dit-il, en s'affichant plus relaxé.

          "- Comme tu le sais, le Gouvernement Mondial m'a poursuivi – à tort – à la suite de la guerre sur Vindex. J'étais le coupable idéal, comme tu le sais déjà. Alors j'ai fui comme j'ai peu. Je me suis dit qu'aller sur le Nouveau Monde était le bon choix, que ça allait me permettre de me reconstruire. Et ça a été un bon choix ! J'ai eu beaucoup de chance de finir sur Terra. Mais il me reste encore une chose à faire dans ce monde." Expliqua-t-il, en finissant sa phrase sur un ton plus sérieux et moins enjoué.

          "- Je dois laver mon honneur."

          Mount marqua une pause pour souligner la gravité de ses paroles. En se montrant dramatique, il essayait de convaincre la reine de son honnêteté. En réalité, il ne disait que la vérité. Mais il omettait la partie où Ravrak l'avait envoyé sur l'île pour mener à l'alliance avec Kiyori. Ce n'était qu'un mensonge par omission, certes, mais ça restait un mensonge.

          - J'écoute.

          - Mon nom a été sali. Ces enfoirés de Marijoa ont collé une prime sur ma tête, alors même que je les ai servis loyalement pendant de nombreuses années. Je souhaite prouver au monde que j'étais innocent dans cette histoire. Je souhaite prouver que je n'ai pas commis le régicide dont ils m'accusent. Et peut-être plus important encore, je compte raconter la vérité à ma famille. Car tu vois, ma famille travaille pour le Gouvernement. Mes deux frères et mes parents sont tous dans une branche différente. Certains sont dans la Marine, d'autres dans les services gouvernementaux. Mais on a dû leur dire que j'étais coupable, et je ne peux pas rester ici en sachant que les miens me voient en tant que criminel. Sekiza, je sais que tu comprends que la famille est quelque chose de très important, et c'est pour ça que j'ai besoin que tu me laisses partir."

          Un silence s'installa après le monologue de Mountbatten. Même s'il conservait une apparence calme, il avait pris le soin de rajouter quelques touches d'émotions quand il avait évoqué sa famille et son honneur. Il fallait rendre le tout crédible et touchant.

          L'Imperiosa avait écouté religieusement aux paroles de l'ancien marin. Nul doute que l'utilisation de la famille comme prétexte avait une résonnance particulière, étant donné qu'elle était très proche de sa fille et de son mari, Dash.

          Elle tourna les talons en direction de son trône.

          "- Armada, c'est ça ?"
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