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Entraînement crétin


Voilà plusieurs semaines que mes projets et aléas de la vie nous ont menés, le vieux et moi, sur Shikoku.

Shishoku, l'île de la bouffe et de ses excès.
L'île où la faim ne meurt jamais. Shishoku, reine du monde gastronomique, ses mets subtiles, ses recettes secrètes, ses idylliques paysages. Alors...


- Alors pourquoi on est sur ce rocher tout pourri !? ... Pas de réponse ? ... Pour changer tiens.

J'avance sur cet affleurement des plus nus. De la rocaille partout, tout le temps, poinçonnée de quelques touffes vertes d'herbe et de buissons ne dépassant pas mes chevilles.

- Pfff
- Arrête d'te plaindre-hic et enlève tes chaussures.
- Quoi ?
- Enlève tes chaussures-hic.
- Mais ?... Maître ?

Le vieillard est assis en tailleur, une bollinette dans la dextre, sa gourde dans l'autre. Sereinement, il déguste par petites gorgées son saké.
À sa position, je comprends et sais qu'il ne bougera pas de là tant que je n'aurais pas accepté son ordre. Pour être têtu, tenace et patient, il a la palme d'or.

Je reste debout et le regarde droit dans les yeux. Sait-on jamais, peut être changera-t-il d'avis ? Événement que j'espère en vain.
Leï me regarde de temps à autre avec son éternel air placide, attendant que sa requête soit exécutée. Les secondes s'écoulent comme des minutes et les minutes me paraissent encore plus longues.
Au loin, on aperçoit, découpant l'horizon, l'île de tous les fantasmes culinaires...
Qu'est ce que je fous dans cette galère ?
Le pécheur, qui nous a amené, a fait demi-tour illico sans demander son reste et la totalité de son argent lorsqu'on s'est mis à négocier avec le vieux... Ça nous fait un point commun : l'argent.

Quoi qu'il en soit, je finis néanmoins, part dépit, à enlever mes chaussures.
Un sourire en coin, le vieil homme me lance une gourde remplie d'alcool ainsi qu'un sac léger.
J'ouvre, quelques aliments reposent aléatoirement dans le fond.
Je le regarde, sourcil relevé.
Il sourit.
J'aime pas, intuition.

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Et me voilà parti, depuis une bonne heure, nus pieds, sur ces rochers tranchants et végétation piquante. Chaque pas m'arrache une grimace. J'avance petit à petit avec la peur de glisser et de m'écorcher la plante.

-Gneugneugneu pieds nus, gneugneugneu avance au hasard. Gneugneugneu j'suis un vieux alcoolo sénile...
Qu'est-ce que je fous encore avec cette vieille croûte !? C'est bon, j'ai appris ce que j'avais à apprendre. J'ai reçu ses enseignements...
Gneugneugneu la souplesse sera toujours-hic victorieuse face à la dureté...
Aïe !


Une main posée sur un amas rocheux, j'observe un fin filet ferreux couler le long de mon orteil, glisser sur l'arrête avant de finir sa vie en légères gouttes contre le sol.

- Fait chier...

Je m'arrête et ouvre le sac. En sort une pomme que je croque à pleine dent.

- T'es la meilleure pomme que j'ai jamais mangé.

Et pour cause, les aliments de Shishoku sont d'une qualité bien supérieur. Je dois bien l'admettre et ce, même si ça m'arrache la gueule, pour le poisson aussi.
Tout en mâchant la chair juteuse et gorgée de sucre du fruit, je me mets à réfléchir à une possible succursale des Âmes Sonneurs.
La Shishokolatrie en route, les investissements nombreux, les possibles risques de conflits, tout ça rentre en compte.
Tout cela fait parti du jeu.
Si une guerre éclate, il faudrait que j'en gère la dette. C'est moche mais c'est et sera toujours un investissement rentable...

Tandis que je réfléchi au possible et improbable, au loin, derrière un bosquet asséché, se dessine deux oreilles blanches.
A travers le feuillage rare, deux gros yeux globuleux me fixent.
Je reste stoïque.
Un petit être, pas plus grand que mon bassin, regarde le fruit, que je tiens entre mes mains, avec avidité...
Je fais danser la pomme qu'il suit affamé. Je tends la main. Pas de mouvement.
Je croque une nouvelle fois dans le fruit défendu et réitère la proposition. Sa bouche prend une forme idiote ainsi que son regard.
Bon... Je lance la pomme pour qu'elle roule, cahin cahan, au plus près du buisson.
Instant de doute.
Précipitation, récupération du met, retour derrière sa cachette, bruits de mastication.

Un sourire fugace passe sur mon visage car la scène me remémore l'histoire d'un jeune blond essayant d'apprivoiser un renard.

Je fouille dans la sacoche et en ressort une nectarine. Je tends la main et attends. Les secondes passent tandis que le petit être s'approche. Sa démarche est lourde. Pour cause, sa tête, bien plus grosse que son corps, bascule de gauche à droite au rythme de son avancée. Son visage est émerveillé, obnubilé même, par l'objet que je lui propose qu'il en oublierait presque ma présence.
A quelques pas de moi, il s'arrête. Comme s'il découvrait pour la première fois la main qui tient son trésor. Il remonte le long de mon bras avant de fixer son regard sur le mien, la tête penchée à presque 90° sur le côté.
...
...


- Tiens petit gars, c'est pour toi... Tu peux la prendre oui, j'te l'offre.
- Bzaa ?

Je laisse rouler le fruit au sol sur lequel il se précipite en un éclair, l'attrape avant de s'enfuir rapidement en courant. Enfin, aussi rapidement que ses petites pattes le lui permettent. Drôle d'animal. Sans être mignon, il a quelque chose d'attachant.
Mes yeux fixés sûr le point où il a disparu, je laisse mon esprit vide.
Après un temps court, apparaîent les oreilles du lapin. Mon sourire amusé s'efface tandis qu'une seconde, troisième puis cinquième paire se joignent à la première.
Quelques secondes plus tard, une dizaine de ses créatures avancent dans ma direction. L'un d'eux à une passoire retournée sur la tête, d'autres tiennent des ustensiles de cuisine tel qu'un fouet ou une spatule en bois, enfin l'un d'eux semble porter un postiche...

Je me redresse à leur approche.
Ils s'arrêtent.
On s'observe dans le silence des gargouillis de leur ventre.
Je resserre la sacoche autour de mes épaules, j'ai une mauvaise impression...
Un des lapins, la bouche encore pleine d'un fruit mâché pointe un doigt sur moi.


- BAWAAAAAAAAAA !!!

Ses camarades reprennent son cri à l'unisson avant de se mettre à courir sur moi.

- BAWAAAAAAAAAA !!!

- Et merde...

Je me mets à courir aussi.
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Une spatule me frôle de peu tandis que je m'esquinte les pieds sur les amas de roches et autres végétaux épineux.
Impossible de ne pas faire autrement. Les lapins humanoïdes me chassent et me suivent aux traces rouges que je laisse derrière moi.
Leurs cris, entêtant, ne semble pas finir. Ils résonnent autour de moi, rebondissent sur la pierre, s'enlisent dans la flore pour revenir à mes oreilles. J'ai parfois l'impression qu'un de ces goinfres, plus malin que les autres, se cache sur mon chemin pour me sauter dessus.
Il n'en est rien alors j'imagine le vieux, tranquillement allongé, sirotant ses flasques. Les hurlements, qui parviennent à ses oreilles touffues, lui arrachent un sourire ou même un rire mesquin.
Je fronce les sourcils à cette idée.

Une légère pointe.
Mon petit doigt de pied.
Un choc.
Une plainte féroce.
Une chute et une roulade.  
Ils gagnent du terrain.

Les pieds en sang, la chemise blanche déchirée s'empreigne des gouttelettes suintant de mes nouvelles entailles.
Un pas, la douleur me prend la cheville, remonte le long du tibia et me serre la hanche. Autant le dire en mots simples : la course n'est plus envisageable.

Les crétins ne ralentissent pas leur rythme.
Je sors la gourde, la boit d'une traite, tire un peu la gueule.
Je resserre encore la sacoche. Je sens l'alcool réchauffer mon œsophage.
Les pieds positionné à 12h15, je tends les mains, poignés flasques, coudes pliés, j'attends l'avalanche.
Le premier vise bêtement le sac, position Nord-Sud. Il passe dans le vide, la bouche grande ouverte, étonnement dans les yeux.
Le second... Le second suit la même trajectoire. Bizarrement, il a un air confiant et me fait même un clin d'oeil.
Les autres enchainent les tentatives, je tourne sur moi même. Mes pieds jouent au twister et mes mains entrent dans la danse. Je m'appuie, tourne sur moi-même, m'écorche encore une fois et même recommence.
Leurs attaques, désordonnées, sont de plus en plus rapides même si dépourvues de toute tactique.
Ils m'obligent à donner un coup de coude dans le sac qui se place dans mon dos. Paumes contre le sol, je pousse et reste en poirier quelques secondes afin de ne pas recevoir une passoire de plein fouet.
La sangle glisse et se bloque sur mon menton, j'envoie mes jambes dans un large mouvement circulaire afin de reprendre un sens logique à la gravité. Ronds avec les genoux, je remonte l'ondulation dans mes hanches, mon ventre, le buste et enfin le cou.


-Hula-hoop barbatruk.

Je répète la boucle. La musette décrit un large cercle oscillant verticalement avec moi-même comme point centrifuge.

- Allez c'est partiiii ! On attrape le pompon !

Les lapins,  en rond autour de moi, sautent tant bien que mal pour attraper leur précieux que je laisse s'envoler en baissant à un moment la tête. L'objet s'envole, décrit une belle courbe dans les airs.

- Oooooooh
- Waaaaaah
- Bleuuuuuu

Ainsi que d'autres exclamations suivent la course de l'o.v.i  qui disparait derrière un plan du paysage.
Les gloutons me regardent, se regardent les uns les autres, me reportent leur attention tandis que je lève les bras en "v" faisant mine de ne pas comprendre...
Bon...
Je pointe la direction et les voilà qui se mettent à courir...
Enfin libre mais putain...


-Putain qu'ils sont cons !
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Et me voilà de retour,
Vociférant mon énervement
Crachant sans détour
Sur les entraînements.


-J'en ai plus que marre !
Vous m'entendez le vieux ?!
C'est fini, je me barre !
Tchao pantin ! Au revoir ! Adieux !


Sur le semblant de playa,
Personne, queudchi, nada,
Excepté de l'alcool et deux lignes écrites pour moi.

J'ouvre et lis :

-Ton dernier entraînement, le voici :
Grandis, bois, maîtrise, bois et dépasse le roi.

...

Je jette la lettre à l'eau.

- Roi des alcoolos !
Roi des clodos !


...

Désemparé, je me tourne et découvre une vingtaine de gloutons.
Armés jusqu'aux dents de milles et une façons.
J'crois que j'ai vraiment touché le fond...

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