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Tentacula Dentatalia

-Toc toc toc !

Qui est là ? Non, pas de réponse. Aucun bruit ne traversa la porte qui faisait face à la petite équipe des cinq voyageurs qui avaient cheminé depuis leur navire, une construction civile pouvant accueillir jusqu’à soixante personnes et actuellement amarrée à une distance prudente des dangereux récifs de Turpitude et de Fortitude. Un unique bâtiment était présent sur chacun de ces îlots autrement inhabités : deux phares, dont les légendes entourant l’un laissaient présager qu’il était hanté. C’était le phare de Fortitude.

L’autre n’était pas habité par un fantôme mais par quelque chose d’autrement plus tangible, dangereux et mondialement redouté parmi toutes les franges de la population : Anaha Douri, surnommée Sloth parmi les rangs des sept capitaines corsaires inféodés à Marijoa. Et c’est précisément cette femme que la bande des cinq affiliés de la révolution venaient rencontrer.

-Y’a personne ? Y’a personne magnifique, précipita Oboro en tambourinant du bout de l’index sur la porte du phare comme s’il s’agissait d’une bombe susceptible d’exploser à la moindre secousse. Allez hop c’est plié on rentre merci au revoir c’était cool je me givre les miches on se les pèle sévère j’veux un bon thé bien chaud quand on sera au bercail j’ai cru que j’allais mourir ouh là là quelle horreur.
-On ne peut pas partir sans avoir confirmé qu’elle se trouve là ou pas. Et le phare est allumé.
-Wooooh. Tu veux que je grimpe pour vérifier ? C’est juste un coup à se faire maraver la trogne si elle est vraiment là mais tant pis hein, au pire je simule la gogolitude et je sais pas reconnaître un drapeau de shichibukai quand j’en vois un. Elle me trucide quand même si je me risque à ça par contre.
-Ou alors Natalya ouvre la porte avec ses doigts de fées. Vous pouvez… challumer la serrure, par exemple ?

Vodkalewyk n’envisagea même pas de répondre, parce qu’elle lut sur les traits de la grande perche Kanokunite qui lui faisait face qu’elle n’aurait pas à se donner cette peine. Oboro venait de prendre une délicate teinte livide qui mettait en valeur ses pupilles dilatées et ses dents découvertes. Et avant même qu’Ashikaga bredouille quoi que ce soit, Natalya se retourna placidement en direction de...

Elle se tenait là, derrière eux, vêtue d’une simple chemise de marin jaunie et d’un short en coton à motif de vaguelettes appartenant à un ensemble de pyjama. Le tout surmonté d’un épais manteau de cuir brun usé par le temps, pour se couvrir de la météo particulièrement fraîche pour la saison, et de chaussures de danse qui avaient sans aucun doute été magnifiques… dans une vie antérieure. L’ensemble, agrémenté par un élégant tricorne orné de magnifiques plumes de volatile à la teinte d’émeraude qui se mêlaient à se cheveux au gré du vent, détonnait avec ses longues jambes laissées à l’air libre et à la merci de la fine brume qui habillait le paysage.

Anaha Douri, la capitaine corsaire tenait un mug de café froid à moitié vide dans sa main gauche, une cigarette allumée dans l’autre, et revenait distraitement d’une balade matinale le long des maigres sentiers qui faisaient le tour de l’îlot. Elle avait la chair de poule et grelottait légèrement au rythme des rafales de vents qui lui mordaient l’épiderme, une attitude étonnamment humaine pour le danger qu’elle représentait.

Sloth plissa des yeux en les regardant, tellement pas habituée à voir des humains ici, et encore moins de si bon matin, qu’elle ne savait même pas si les personnes qui se tenaient devant elle étaient réelles ou pas. Car ça lui arrivait, des fois. De voir des choses. Et de les entendre. Surtout ici. Surtout après des soirées passées à siroter des rhums et des absinthes d’une qualité telle que même les têtes de bocaux nichées à Marijoa peinaient à acquérir. Des alcools suprêmement délicieux qui accompagnaient à merveille le café du lendemain.

Car même les monstres dans son genre avaient leurs petits plaisirs désuets.

-Qu’est-ce que vous faîtes chez moi ?, demanda Anaha dans un quasi-murmure monocorde.
-Madame, je vous salue !, s’empressa l’homme sur un ton qui se rasséréna rapidement. Je me présente, Tamim, professeur-chercheur en archéo et crypto-botanique à l’IHAS, l’Institut d’Histoire et d’Archéologie des Sables d’Ali Fustat.
-C’est Inu Town, c'est ça ?
-Hinu Town, rectifia le basané en prononçant le H du nom occidentalisé de son pays natal. Inu Town est une île de North Blue à climat tempéré comprenant deux villes surtout connues pour sa station thermale et ses mines de cristaux. Une quarantaine de milliers d’habitants environ. Alors qu’Hinu Town est un royaume composé de plaines, d’oasis et de déserts comprenant plus d’un million et demi d’habitants dans ses deux centres économiques majeurs et encore davantage dans…
-Je vois, coupa sèchement la corsaire en ballotant son impatience d’un geste de tête. Désolée pour l’erreur.
-Oh oui… désolé. Mon équipe participe actuellement à une expédition sur les ilots de Boyn pour étudier la végétation particulièrement vivace de cet écosystème unique… et nous voulions tout simplement vous présenter nos salutations et vous faire savoir que nous ferions de notre mieux pour ne pas troubler votre quiétude pendant notre mission. Si vous nous tolérez.
-C’est ce que vous êtes en train de faire, pourtant. Vous êtes venus chez moi sans autorisation et vous venez me déranger comme ça. Je voulais être tranquille.

Oboro se raidit encore davantage, avec l’impression contradictoire que sa colonne vertébrale venait de se liquéfier. Son rôle ici était celui de gorille, et les consignes qu’elle avait reçu étaient simples : au sein de leur groupe, elle était la plus imposante et la mieux versée dans tout ce qui touchait à la violence et aux rapports de force. Ce serait donc à elle de démontrer à la corsaire qu’ils étaient complètement soumis à son bon vouloir, ceci en s’écrasant le plus possible.

Une tâche qu’elle n’allait avoir aucune difficulté à accomplir : elle était absolument terrorisée par ce qu'elle avait en face d'elle et son corps le traduisait le plus spontanément du monde.

Mais elle gardait quelques recettes en tête. Baisser les yeux et les épaules, se ratatiner ostensiblement malgré sa taille qui dépassait le mètre quatre-vingt-dix. Ne pas donner l’impression d’être une menace, et encore moins une proie susceptible de proposer un défi quelconque pour la prédatrice exceptionnelle qui leur faisait face. Elle devait être en deçà de l’insignifiance et ne pas donner à Sloth la moindre excuse pour qu’elle la décapite d’un frôlement de sabre, ou d’un feulement de souffle.

Car Douri avait la particularité, avant d’être une corsaire, d’être une chasseuse. Pas dans le sens où elle survenait à ses besoins en allant traquer du gibier, même si c’était effectivement la fonction qu’elle occupait auprès du gouvernement mondial. Ce qu’elle recherchait n’était pas tant le frisson de la chasse que le fait de flirter avec la faucheuse et de se tenir en funambule à la lisière entre le monde des vivants, qui n’avait plus la moindre saveur pour elle depuis des années, et le monde des morts, qu’elle refusait encore de rejoindre tant que ses contemporains ne l’y auraient pas précipité au terme d’un combat dantesque qu’elle avait fantasmé à tellement de reprises que la réalité ne pourrait plus que la décevoir une fois son heure venue.

Parmi les hommes, nombreux étaient les hédonistes capables de dépenser des sommes astronomiques dans la recherche de sensations fortes, certains s’adonnant à des passe-temps extrêmes et bien souvent mortels pour s'arracher à la normalité et repousser encore davantage les limites de leurs corps et de leurs esprits. Sauf que rien de tout ça n’atteignait ne serait-ce qu’un dixième de ce qu’elle et les véritables guerriers vivaient à chaque fois que leurs affrontements les amenaient à effleurer la sensuelle étreinte de la mort.

Au bord du gouffre, ce n’était plus le même monde. C’était une autre dimension, et tout apparaissait fade et artificiel en comparaison lorsqu'on revenait aux banalités de la vie civile.

Mais à son stade à elle, la capitaine corsaire dont la puissance démesurée écrasait celle de ses pairs, même ça ne suffisait plus. La seule chose qui parviendrait à la revitaliser, ce serait de sauter à pieds joints dans l’abysse la plus profonde qui soit.

Un voyage sans retour, toutefois.

Sa condition était connue et faisait partie de sa légende : elle était dépressive et suicidaires dans des proportions telles qu’on ne comprenait pas encore pourquoi elle n’était pas déjà allée s’écraser contre les empereurs pirates. La réponse n’était connue que d’elle-même, mais on racontait qu’elle ne les estimait pas capables de lui offrir une mort qui la satisferait. Douri voulait quelque chose de mémorable dont elle pourrait se souvenir toute sa vie… ce qui était paradoxal, puisqu’il s’agirait de sa mort.

D’où le plan des révolutionnaires venus effectuer leurs études sur Boyn : pas un seul d’entre eux n’était primé ni connu des services des cinq étoiles, et leur porte étendard était un chercheur d’Ali Fustat, un royaume réputé pour être le seul territoire incontestablement acquis au gouvernement mondial sur tout le territoire de West Blue. Même le QG de la marine sur cet océan était jugé plus compromis du fait de sa dépendance aux approvisionnements extérieurs.

Alors, plutôt que de mener leurs expériences en essayant de se faire le plus discret possible, ce qui leur aurait donné l’air d’être des voleurs extrêmement suspects qui auraient tôt fait d’attirer l’attention sur leurs activités, ils avaient tout simplement fait le choix extrêmement contrintuitif…

D’aller gentiment demander s’ils pouvaient s’installer dans le voisinage en promettant qu’ils ne feraient pas de bruit. Des fois, il suffisait de faire simple. Et ça n’était pas comme si Douri avait quelque chose à protéger ici. Boyn, ou plutôt Turpitude, n’était que sa retraite coupée du monde, pas un sanctuaire à sa charge.

Bien sûr, dans un monde idéal, ils auraient constaté que Sloth n’était pas là et qu’ils avaient les mains libres pour mener leurs activités de recherche et prélèvement sans danger – ou du moins, sans autre danger que les plantes carnivores et la faune extrêmement agressive qui peuplaient tout l’archipel de Boyn, ce qui était déjà largement suffisant pour justifier leur mort à tous s’ils ne respectaient pas scrupuleusement les consignes données à chacun. Le problème, c’était que ce phare était allumé, ce qui présageait de mauvaises nouvelles pour leur expédition. Alors ils s’étaient préparés au pire… et avaient eu raison.

Elle était dangereuse, dépressive et probablement un peu perchée, mais Anaha Douri n’avait pas la réputation d’être déraisonnable. C’était essentiellement sur ça qu’ils avaient choisi de jouer.

Ils avaient eu raison, constata-t-il en voyant sa réponse.

-Ca ira. J’ai compris. Vous pouvez y aller.
-Merci beaucoup. Eh bien, je vous souhaite une bonne journée. Nous ne vous dérangerons pas plus longtemps. Au revoir.

La corsaire les regarda repartir et progresser laborieusement contre les éléments au travers de l’étendue herbeuse, avec un regard vide à la manière de celui d’un bovin qui observerait une caravane passer devant son champ. Ils empestaient la peur et la faiblesse, les pauvres. C’était même courageux de leur part d’être venu la voir, en fait. La majorité des embarcations se tenaient le plus possible à l’écart d’elle et de son drapeau noir.

Elle était bien assez intelligente et cultivée pour remarquer que les traits typés de la girafe à la crinière d’ébène trahissaient une origine Wanokunite, nation ennemie du gouvernement mondial depuis près d'un millénaire. Et qu’il y avait probablement quelque chose de plus à savoir dans tout ça. Il suffisait de voir l'incongrue rouquine au bras mécanisé pour avoir envie de poser des questions.

C’était juste que tout ça ne l’intéressait pas le moins du monde. Ils n’étaient que de banals lambdas dépourvus de la moindre chance d’influer sur quoi que ce soit d’important, et le resteraient toute leur vie. Ce qui n’appelait même pas de la pitié de sa part, car c’était le lot de la vaste majorité des habitants de ce monde : même ceux qui croyaient être forts dans leur petits bassins ne valaient rien de plus que du krill dans un autre bac à sable. A quoi bon se se soucier d'eux?

Tout ça la renvoya brièvement à une discussion bien plus intéressante qu’elle avait eu la veille avec sa meilleure moitié, le crâne qui pendait à la ceinture de son manteau en y étant soigneusement harnaché grâce à d’épaisses ficelles : pour elle, s’il y avait un dieu, de la même manière qu’elle ne se souciait pas le moins du monde de ce que pouvaient faire les insectes qui rampaient dans l’herbe quand elle vagabondait, il n’avait aucune raison de se soucier des hommes. Il lui avait fallu engloutir une bonne demi-bouteille pour en venir à ce thème. De rhum ou d’absinthe, elle n’en était pas sûre. C’était sans importance : le crâne, pour qui la religion constituait un sujet sur lequel il était intarissable de considérations diverses, remua comme pour marquer son désaccord et relancer le débat lorsqu’elle l’effleura distraitement du bout des doigts, dans un geste de tendresse fugace que personne au monde ne lui aurait soupçonné.

Elle regagna son phare après quelques minutes à profiter de l’horizon orageux et des étendues de bruyères qui échouaient à égayer le paysage de l’îlot décrépit. A l’intérieur, il lui restait pas mal de ménage à faire, la faute à une vaisselle qu’elle avait laissé traîner par pure paresse à son dernier départ et qui avait donné vie à un marécage miniature dans sa cuisine au cours de son long mois d’absence.
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