Partir un jour


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Après des jours d’interrogatoire, il n’avait pu tirer grand-chose de celui qu’il avait pris à Sweetsong. Il l’avait laissé gisant, tel une coquille vide, son esprit gravement blessé. Des secrets sur la fugitive, il en avait pléthore et n’en était pas avare. Mais rien qui ne fut pertinent pour le révolutionnaire. Quant à ce qu’il savait sur le Gouvernement et ses sbires … malheureusement, Rafaelo en savait déjà une grande partie. Il n’avait pas travaillé toutes ces années avec Ombre pour en rester ignorant. Il apprit cependant quelques détails croustillants, notamment vis-à-vis de Drum et de sa première capture, choses qu’il prendrait le temps de décortiquer le moment venu. Il fallait vérifier cela, car cela risquait de remuer dans les rangs révolutionnaires. Tout comme cela lui permettrait de montrer une fois de plus l’utilité de l’Ourobouros.

L’assassin s’en était donc allé pour se ravitailler, laissant les pirates régler leurs affaires. Il avait muselé sa voix et s’était fait discret. Il avait repéré une petite crique où il pouvait trouver de l’eau douce et de quoi se sustenter. La faune ici était très présente et ne représentait que peu de dangers. Ainsi avait-il l’habitude de s’en contenter. S’il pouvait éviter le poisson et tout ce qui avait attrait au sel marin …

Quoi qu’il en fût, cette fois-ci, il n’était pas seul. Un navire de haute-mer mouillait dans la crique et vu les canots et autres activités aux alentours, cela faisait plusieurs jours qu’ils étaient ici. Ils avaient dû arriver peu après le dernier passage de Rafaelo. Un camp avait été monté, des arbres abattus en vue de réparer le rafiot, qui semblait salement amoché. Les voiles étaient affalées, ce qui était déjà étrange à quai, mais surtout on pouvait voir qu’elles avaient été rapiécées en de nombreux endroits. La coque portait les sévices de coups de canon, tandis que le bastingage était brisé en de nombreux points. Ce navire était en cale sèche, les matelots en profitaient pour le rafistoler du mieux qu’ils pouvaient. D’ailleurs, les blessés étaient nombreux, et des tas de sable aux abords de la forêt témoignaient de tombes fraîches. Des gars en misère, donc. Ils ne semblaient appartenir à aucune flotte de connue. Leur pavillon était absent, bien que leur allégeance soit assez évidente. Ils étaient blessés, malades et désespérés. Nul besoin d’être devin pour le comprendre.

Le révolutionnaire s’avança sur la plage, main à la ceinture et écharpe sur les épaules et sur sa tête. On distinguait le bas de son visage, à la rigueur ses yeux. Mais guère plus. Son bras gauche était recouvert de bandages, ne laissant transparaître son gantelet de fer que çà et là. Quant à son gilet, il couvrait à peine son torse bardé de cicatrices. Une tenue légère, mais qui trahissait tout de même le vétéran qu’il était. C’était son ticket vers la liberté, après ces mois passés à supporter Sweetsong pour les beaux yeux de Judas. Ils avaient choisi leur route, et la donzelle leur serait plus utile vive que morte : à montrer toute la vilénie du Gouvernement.

- Hé là ! tonna un imposant marin, dépassant l’assassin d’au-moins deux têtes.

- Je viens en ami. répondit Rafaelo en levant les mains.

Son gantelet cliqueta, ce qui fit reculer le matelot. De bons réflexes, mais pas très doué pour lire les gestes. En quelques secondes, une foule d’une trentaine de marins entoura le nouveau venu. Ils dégageaient une forte hostilité. Une hostilité poisse et visqueuse qui débordait de tous leurs pores. Leur désespoir s’était mué en colère, et la colère ne demandait qu’à s’exprimer.

- Et tu veux quoi, l’ami ?

L’assassin fit mine de baisser les bras, mais le chant d’un sabre qu’on tirait de sa gaine l’en dissuada.

- Disons que c’est ici que j’ai l’habitude de venir chasser pour me nourrir, et je voulais savoir ce qu’un navire en perdition faisait sur ma plage.

- Ta plage ? Ah, elle est bonne. ricana une voix plus nasillarde.

Un petit gars qui payait pas de mine s’échappa du  cercle des matelots. Il avait un bras en écharpe et claudiquait. S’en suivit un silence pesant, qui ne laissa aucun doute sur l’identité de cet énergumène. Il était quelconque, à un détail près. Ses yeux noirs sondaient l’âme.

- C’est Mangrove, ici. Tout appartient à celui qui décide de le prendre. Comme le Nouveau-Monde. Mais vu comment t’es couturé, toi aussi, je me doute que tu connais bien cette règle. continua le Capitaine.

Il était un peu plus petit que Rafaelo, et son accent trahissait une origine lointaine. Peut-être de Grand Line. Java ? Un pur produit de la misère, en ce cas.

- Je cherche à partir d’ici. Et vous m’avez l’air de gars qui ne veulent pas rester. On pourrait trouver un arrangement ? proposa l’assassin, baissant les bras cette fois-ci.

- Droit au but. J’aime ça. Baisse ta capuche l’ami, j’aime voir avec qui je négocie. Je suis le Capitaine Sacks. Et voici l’équipage du … heu … comment on avait appelé le rafiot les gars déjà ?

- Le Pécadille, Capitaine. Parce que vous trouviez ça marrant … même si je connaissais pas ce mot avant.  répondit le colosse qui devait visiblement servir de quartier maître.

Le révolutionnaire marqua un instant d’hésitation avant d’obtempérer. Il fit glisser sa capuche pour révéler sa trogne balafrée et ses cheveux grisonnant. Même si le blanc prenait le pas sur le noir, le tout restait globalement gris. Son œil à la pupille grise se riva sur les pirates. Un long silence s’installa. Difficile de passer incognito, même à l’autre bout du monde.

- Bon sang les gars, c’est … c’est lui non ? La Justice. Rafaelo, des révolutionnaires !  murmura l’un des gars.

Bien entendu … depuis qu’il avait retrouvé son apparence réelle, il était bien plus dur de cacher son identité. Quelques traits caractéristiques ne le trahissaient que trop bien. Les pirates commencèrent à faire quelques pas en arrière, ne sachant quelle posture adopter. Après tout, sa réputation d’assassin le précédait et il était connu pour s’occuper de l’ensemble des criminels : qu’ils soient en uniforme ou non. Ces types n’avaient pas la conscience tranquille, ça se lisait sur leurs traits. Mais beaucoup de légendes couraient autour du Boucher de Goa, que cela lui plaise ou non. Il n’était pas une figure qui inspirait l’amour et l’espoir. Instiller la peur lui allait largement.

- Qu’est-ce que fout un Atout ici ? Tu te planques après Jötunheim c’est ça ? grogna le Capitaine, qui n’avait pas reculé lui.

- Je le redis : je ne vous veux aucun mal. Je veux quitter Mangrove. J’ai besoin de retourner sur Grand Line. Quelques … hum … menus soucis m’ont amené ici, moi et un autre. Nous avons besoin d’un passage et de partir.

- Tu sais quand même le prix que vaux ta tête, révolutionnaire ? Le bordel que t’as mis, les conséquences … Toi et Ragnar, l’Empereur. Je n’ose imaginer ce que t’as dû faire là-bas, pour que lui ait une promotion et pas toi … Bon sang, les gars. Ce type est encore plus recherché que les membres du DRAGON.
frémit Sacks, avant de reculer à son tour.

- Des DRAGONS …. murmura l’assassin. Mais non, je ne connais pas le prix sur ma tête. J’en déduis que la prime a augmenté.

Quelques secondes d’hésitation.

- Ça oui, t’es pas loin du top 5 maintenant. Et le top 5, ça rapporte pas mal.

Aïe. Un frisson glacé commença à glisser le long de l’échine de l’assassin.

- Je vous l’ai dit : je viens en ami. Ne commettez pas d’erreurs. Je peux vous dédommager pour le trajet.

- Oh oui, tu vas nous dédommager … C’est le Nouveau-Monde ici, mon p’tit gars. On a réussi à fuir le G-11, on a réussi à traverser les tempêtes et défaire les monstres des mers. La révo, vous jouez dans votre cour sur les blues et autres. Vous êtes juste du bruit … alors, je me dis que vous n’êtes pas aussi flippants que ça. Surtout quand j’entends ta voix, que je ressens la moindre de tes pensées … Tu n’as pas l’air de mesurer, cher Atout, ce que veut dire arpenter le Nouveau-Monde. Seuls les forts survivent. Et les forts deviennent riches.


L’arrogance était … et bien, l’apanage des puissants mais aussi des faibles. Pour toute réponse, l’assassin cessa une fraction de seconde de canaliser et de museler sa voix. Voilà qui secouerait peut-être certaines forces à l’autre bout de l’île, mais rien de plus. Le Capitaine Sacks fronça les sourcils. Il recula d’un pas, à nouveau, mais ses hommes avaient compris son signal et dégainèrent les armes. Il croisa le regard de Rafaelo et ne comprit pas ce qu’il venait de percevoir. Le révolutionnaire ne dégageait plus rien, après avoir laissé transparaître une force inouïe. Il ressemblait à n’importe quel homme, à un simple matelot. Les pirates du Pécadille levèrent leurs armes et se préparèrent à frapper. Le milliard promis par la prime du révolutionnaire se souciait peu qu’il soit mort ou vif.

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