Convention & Confusion.

Leçon numéro quinze de la navigation en mer : il vaut mieux emporter avec soi des vêtements pour les quatre saisons.

On a pas idée. Vraiment. Si je tenais celui en charge de contrôler le climat sur les îles de North Blue, il entendrait parler du pays. Entendons-nous bien : en tant que digne -mais oui Charlie- descendante d'une famille ayant grandi dans une grotte volcanique, je n'ai pas trop de difficultés à supporter les fortes chaleurs. En sortant d'une aventure sur un archipel glacé, beaucoup plus en revanche. L'écart entre la glace de Sanderr que je viens de quitter et le désert de Hinu Town est extrêmement désagréable, surtout vu la proximité des deux lieux. Déjà parce que je ne suis équipée ni pour l'un, ni pour l'autre, et ensuite parce que c'est le meilleur moyen de choper la crève et que la crève, j'aime pas.

Alors zut.

A vrai dire, j'avais à peine posé le pied sur Hinu Town que j'envisageai de faire demi-tour illico. Mais c'était sans compter sur mon incroyable instinct de fouineuse qui me dictait que cet endroit recelait des aventures qui en valaient la peine. Et mon incroyable instinct de fouineuse, s'il a beaucoup de défauts, ne se trompe que rarement -pour ne pas dire jamais-. Et puis Attalia, le port où je venais d'accoster, m'avait tout l'air d'une ville fort sympathique où les visiteurs sont les bienvenus -ce qui, on ne va pas se mentir, est suffisamment rare pour être souligné-. Alors, dans ma grande mansuétude, je décidai de laisser sa chance à ce four sur pilotis.

C'est pas comme si j'avais des impératifs.

Et grand bien m'en fasse. Quelques jours passés à arpenter les bars et les tavernes, qui ont le bon goût d'être à la fois un endroit de détente, une potentielle source de revenu pour une troubadour telle que moi et surtout la place de tous les ragots et rumeurs, suffirent à donner raison à mon instinct. Ici et là, on disait qu'un certain lord préparait une expédition en direction de la tristement célèbre Route de tous les périls, légendaire mer où les pirates les plus célèbres côtoyaient des dangers si grands que nombre de légendes entouraient les îles qui la peuplaient. Si cela ne sent pas l'aventure à plein nez, je ne sais pas ce qu'il vous faut. Maintenant, il ne me reste plus qu'à trouver ce lord Herbert, lui expliquer que je veux prendre part à son expédition et le convaincre de ma présence lui sera bénéfique -ce dont je ne suis même pas persuadée moi-même, pour être tout à fait honnête-.

Me voilà donc à siroter un verre, payé aux frais du maigre salaire que je viens de me faire en jouant quelques morceaux, à la terrasse d'une auberge, tentant vainement de tordre le cou à cette foutue chaleur avec un peu de fraîcheur liquide, lorsque ma bonne étoile -toujours elle, peut-être devrais-je lui donner un nom, à force ?- m'envoie un nouveau présent, sous la forme d'un groupe d'une demi douzaine de personnes. La petite troupe s'attable à côté de moi et mon oreille, aussi traînante qu'un escargophone dans un marécage, ne peut s'empêcher de se tendre vers leur conversation, et les bribes que j'en perçois m'arrachent un haussement de sourcil à mi-chemin entre la surprise et l'avidité. Vous avez dit Log Pose ?  Attrapant mon verre au vol, je tire ma chaise pour venir me glisser à côté de celle qui vient de parler, un immense sourire sur le visage.

-Faites comme si je n'étais pas là. Plus facile à dire qu'à faire. Vous allez sur Grand Line ?

Je cligne plusieurs fois des yeux comme pour les inviter à reprendre la conversation en m'ignorant, tout en reprenant une gorgée de cette ma foi délicieuse boisson.

Est-ce que je fais des rencontres uniquement dans les tavernes ? Mais je vous en pose des questions moi ?

Étrangement, mon arrivée semble provoquer un émoi tout à fait disproportionné ce qui, en y réfléchissant bien, devient un phénomène de plus en plus récurrent dans mes interventions. On dirait bien que quelque chose m’échappe. Quel mal y-a-t-il à rencontrer de nouvelles personnes ? Et surtout, comment diable pourrions-nous entendre de nouvelles histoires à raconter en ne le faisant pas, je vous le demande. À vrai dire, je regrette à cet instant de ne pas avoir sur moi l’un de ces miraculeux « appareils photo » pour immortaliser ce tableau, tant le patchwork de réactions qui est offert à mes mirettes est mémorable. De la prude surprise -cela va de soi- à la visible gêne -plus étonnant-, en passant par la pure et simple animosité.

Et c’est à moi que l’on demande si je connais les bonnes manières.

Les bonnes manières, ma bonne dame, je ne les connais que trop bien. Et, d’une part, je ne crois pas que le genre de regard que tu es en train de me lancer entre dans cette catégorie, et d’autre part, c’est ce qui a rendu mon enfance aussi ennuyeuse que le manuel d’ingénierie navale de Hubert Von Matternhorn -et j’ai essayé les deux, vous pouvez me croire sur parole-.

Alors je n’y tiens pas.

L’une des membres du groupe semble néanmoins plus ouverte à la discussion. Ce qui, bizarrement, ne me réconforte pas tant que ça puisque je voulais simplement entendre leur histoire, moi. Toutes ces palabres inutiles risquent de me fatiguer rapidement -et pour ceux qui diraient que cela fait à peine trois secondes que j’ai parasité ce groupe et que mon raisonnement est digne d’un sociopathe, on vous fera signe quand on aura besoin de vous- Un subtil air feint de surprise s’installe confortablement sur mon visage tandis que l’un de mes sourcils s’arque -bien trop- ostensiblement.

-Oh. Oui bonjour. Drôle de manière de faire comme si je n’étais pas là.

Je m’arrête là, espérant que l’on puisse passer à autre chose. Mais, au regard du regard qui m’est servi durant les longues secondes de silence qui s’ensuivent, il semblerait que tout le monde ne soit pas de cet avis. Pour être tout à fait honnête, il semble que personne -à part moi évidemment- n’est de cet avis. Soit. Je sens que si je veux obtenir un minimum de collaboration de leur part, je vais devoir y mettre un peu de mien. N’oublions pas qu’il y a mon aventure sur Grand Line en jeu, sans compter le fait que seule je n’ai que très peu de ressources à ma disposition. Plus particulièrement, je n’ai à l’heure actuelle aucun moyen de quitter cette île. Et continuer à voyager sur des navires marchands va être de plus en plus difficile.

C’est qu'elle commence à me coûter un rein, cette épopée.

-Je suis Charlie. Le bruit court que vous pouvez régler mon problème. Vous… pouvez régler mon problème ?

J’ai bien peur que cela ne fasse qu’accentuer leur agacement. Mais moi, je m’amuse comme un bambin à Suna Land, et c’est le principal. Il serait peut-être temps de jeter un œil à ce à quoi ressemblent mes interlocuteurs, vous ne croyez pas ?

On dirait que mes explications n’ont pas vraiment eu l’effet escompté. Tout du moins l’effet que j’en attendais, moi. Il commence à se faire de plus en plus manifeste que je n’ai pas forcément la même conception de la logique que tout le monde -et en particulier que mon audience du jour-. Si je devais mettre un mot sur l’ambiance générale de la tablée, je tablerais sur « circonspection ». Pas exactement l’accueil que j’espérais recevoir, mais qu'à cela ne tienne. La jeune femme -pas celle qui m’a agressée en premier lieu, l’autre, enfin l’autre autre, celle qui m’a demandé mon identité- insiste, arguant qu’ils ne peuvent pas m’aider sans connaître mon problème.

Intéressant, mais inéquivoquement faux.

Il y a, à mon très humble avis, pléthore de manières d’aider quelqu’un sans le savoir. Prenez les tristement célèbres chasseurs de prime tiens -je ne serais pas contre en croiser un à l’occasion d’ailleurs, un métier aussi palpitant doit regorger d’histoires passionnantes, mais revenons à nos moutons-, on raconte qu’ils aident les populations de civils en arrêtant les vilains pirates en quête de pillages. Sont-ils conscients des peurs et des difficultés de chacun des villageois qu’ils sauvent ainsi ? J’en doute. Mais passons, j’ai bien l’impression que mes interlocuteurs ne sont pas particulièrement sensibles à ce genre d’arguments et qu’ils veulent connaître la teneur exacte de mes soucis à moi.

C’est là le hic.

Car voyez-vous, je dois vous concéder que mes « soucis à moi » sont d’une teneur relativement abstraite. Alors si je dois tout expliciter, je crains fort qu’ils ne me prennent pas vraiment au sérieux. Il est évident que pour me venir en aide, ils doivent faire quelque chose. Maintenant, le problème demeure de leur expliquer quoi. Car pour être tout à fait honnête avec vous, je n’en ai moi-même qu’une idée très vague. Il faut qu’ils fassent… eh bien, des trucs. Je vous avais dit que ce n’était pas clair et je suis déjà en train de m’embrouiller. Je sens bien que je suis en train de vous perdre, alors imaginez avec eux. Il me semble plus sage -mot que vous n’entendrez que rarement de ma bouche- de trouver une autre histoire plus… consensuelle. Il va falloir ruser.

Et par « ruser », j’entends bien évidemment « mentir ».

Mes iris noisette se posent sur la jeune femme en souriant. Sa chevelure blonde -pas aussi claire que la mienne, bien entendu- lui tombe sur les côtés de son visage avenant, et elle a eu la bonne idée de ne porter que des vêtements légers -à vue de nez, de quoi ne pas être gênée dans ses déplacements, ce qui est plutôt encourageant-.

-Je dois aller sur Grand Line. J’ai une… affaire à régler là-bas. Je vous ai entendus parler de Log Pose, j’en ai conclu que vous vous y rendiez aussi, et je me demandais si vous accepteriez de me prendre avec vous pour faire un bout de trajet ?

Avec un peu de souplesse et de mauvaise foi, cette histoire était vraie à une vache près. J’ai mis toute ma cordialité et ma sociabilité -autant dire pas grand-chose- dans cette requête, et j’ai un sérieux doute quant à ma capacité à continuer de cette manière. Je déteste que les conversations s'éternisent. Les seuls moments où j’aime parler, c’est quand je suis en représentation. Or comme vous le savez, nous ne sommes pas en représentation. Alors dans ces moments-là, mon truc à moi c’est plutôt l’observation, vous voyez ? Fort heureusement, une serveuse arrive à cet instant précis, interrompant temporairement la discussion. Je m’empresse de m’enfiler le reste de ma boisson d’une traite avant de lui tendre mon verre à présent vide.

-Remettez-moi la même. Puis de me tourner à nouveau vers mon auditoire. Alors, c’est quoi vos projets ? Vous partez à l’aventure ?

Difficile de passer à côté du si grossier tremblement d’excitation dans ma voix.

Cette fois-ci, je sens que quelque chose a changé. On dirait qu'ils me prennent enfin plus ou moins au sérieux. Le fait que plusieurs personnes interviennent soudainement dans la conversation en est un indice. Étonnamment, on ne dirait pas que ce soit le fait que je les rejoigne qui leur pose le plus de problèmes. C'est plutôt un bon point. En revanche, leur obsession à poursuivre cet interrogatoire commence à me monter à la tête. Il s'agirait de trancher. Je ne leur demande pourtant pas la mer à boire -seulement à traverser-. Tout ce qu'ils ont à faire, c'est ce que leur groupe semble fait pour : partir à l'aventure ! Celle qui m'a mitraillée de question jusqu'à présent revient à la charge, secondée par un homme un peu pluvieux plus vieux -encore que- que le reste de la bande, au visage sévère.

-Hum, es tu consciente des dangers que représentent la Mer de tous les Périls ?
-Absolument pas. C'est bien le but, figure-toi.
-En vue de ta dégaine, gamine, je ne suis pas sûre que tu sois de taille à voyager là-bas.
-Es-tu en train d'insinuer que je suis fragile ?

Les mots, à l'instar du tutoiement, ont franchi mes lèvres sans que je ne les contrôle vraiment, s'écoulant naturellement en formant comme par magie -ou par l'intervention d'un narrateur zélé- des rimes -à croire que c'est un don-. Mais il semblerait que l'heure ne soit pas encore à l'envolée lyrique. Ma participation à leur expédition est toujours sous probation. De manière surprenante, le fin mot de cette histoire semble revenir à l'une des seules personnes à n'avoir encore prononcé le moindre mot depuis mon arrivée, comme les regards se tournant dans sa direction semblent l'indiquer. L'intéressée, une rouquine aux traits étonnamment marqués par la vie au vu de son jeune âge -du moins selon mon estimation-, exprime un étrange mélange d'autorité et de timidité, de retenue et de prestance. Mes yeux se plissent comme pour mieux l'observer.

Que voilà un étrange spécimen.

Celle-ci prend finalement la parole, exprimant à son tour ses doutes. Malheureusement pour elle, mon esprit décroche dès sa première phrase. « Périlleuse » ? Vous avez dit « périlleuse » ? Si d'aventure vous souhaitez appâter une Charlie sauvage, vous voici désormais en possession du mot magique. Le reste de son intervention me passe très largement au-dessus de la tête. Nos regards se croisent, tandis qu'un sourire béat traverse mon visage.

Je cille une ou deux fois de trop.

-Alors comme ça c'est toi qui commandes ?

Comme à mon habitude, je laisse quelques secondes de silence s'écouler. Puis, contre toute attente, alors qu'un observateur coutumier aurait pu imaginer que j'en resterais là, un éclair de lucidité vient transpercer la brume dans laquelle mon esprit est embourbé. Il me vient à l'idée que, potentiellement, le fait que je ne leur ai toujours pas révélé mon activité -bien qu'ils auraient pu s'en douter en repérant le violon qui m'accompagne- puisse me porter préjudice. On dirait bien que je suis condamnée à jouer le jeu de cet entretien d'embauche malgré moi. Mais je tiens à le faire à ma manière.

-Ne vous en faites pas, m'intégrer dans votre groupe de joyeux lurons ne vous engage en rien. Voyez-vous, je suis conteuse. Et musicienne. Et troubadour. Et... bref. Tout ce que vous aurez à faire, c'est m'emmener voguer sur Grand Line et... et me faire vivre des aventures dignes de ce nom. C'est tout ce que je demande. Et vous n'en saurez pas plus. Mais vous avez ma parole qu'il n'y a pas de piège. Quant à moi, je sais me débrouiller. Promis, je ne serai pas un fardeau.

Rien n'est moins sûr. Ce n'est pas comme si la parole d'une hâbleuse telle que moi a une quelconque valeur. Mais ça, ils n'ont aucun moyen de le savoir.

-Alors, deal ?

Enfin ! Après au moins une heure -ressentie en tout cas- de déblatérations sans queue ni tête, voilà que la dénommée Akane -étrangement, j’ai la sensation d’avoir déjà entendu ce nom quelque part- met enfin un terme à une argumentation qui m’a épuisée. Les questions se terminent et on entame alors un tour officiel des présentations. Fort bien. Il est tout de même plus pratique, lorsque l’on raconte une histoire, de connaître le nom de ses protagonistes vous ne croyez pas ?

- Fillette.

Haussement de sourcil.

-Monseigneur.

-Zacharie.

-Mademoiselle.
-Monsieur.

-Et enfin, Cait.

-Bonjour, Charlie.
-Coucou, Cait.

Ça en fait du beau monde. Mon regard noisette parcourt l’assemblée qui s’avère pour le moins hétéroclite. Je dois avouer que ma curiosité est piquée au vif devant tant de profils différents. J’ai hâte de voir mes nouveaux compagnons à l’œuvre. Si la plupart -au vu de leur équipement- semble versée dans l’art du combat, ce n’est pas le cas de tous et j’aimerais bien observer comment s’organise tout ce beau monde. Ils partagent cependant tous -à l’exception d’Astrid- un point commun : un air un peu trop sérieux à mon goût sur le visage. On dirait bien que c’est une bonne chose que je me joigne à la troupe -comment ça, « ça dépend pour qui » ?-.

Les interminables formalités enfin terminées, on va pouvoir passer à l’action ! …Non ? Eh bien non, aussi incroyable que cela puisse paraître. On dirait bien qu’il est plus vital à leurs yeux de combler leur appétit de nourriture que le mien d’aventures. Belle mentalité. Soit. J’imagine que je peux patienter une vingtaine de minutes avant d’entamer les choses sérieuses. Mais si ça dure plus longtemps, je jure que j’irai me jeter à la gorge de l’héritière des Al-Jawhara juste pour qu’il se passe quelque chose. Et je le ferai. Même pas peur.

Bon, il me semble assez évident qu’aucune des personnes autour de cette table ne serait prête à me défendre en cas de conflit avec la monarchie au pouvoir sur cette île, ce qui signifie qu’une telle initiative me mettrait dans de beaux draps. Mais je tenais à souligner mon niveau d’implication dans mon art.
Alors autant se remplir la panse avant d’aller risquer sa vie.

Mais ensuite promis on y va hein ?

-Mettez-moi une assiette de falafels également.
-Quelle sauce ?
-Surprenez-moi.

Puis de me tourner à nouveau vers Akane en lui offrant mon plus grand sourire.

-Alors c’est quoi la suite ? On part tout de suite pour Grand Line ?

Mes épaules s’affaissent de déception lorsque j’apprends que non, nous ne partons pas tout de suite pour Grand Line. Je m’affale un peu en avant sur la table en lâchant un petit soupir, faisant une nouvelle fois fi de toute convenance. Fort heureusement, ma déconvenue est de courte durée, s’estompant lorsque Akane prononce le nom de Lord Herbert. Je relève alors la tête, un nouvel air intéressé sur le visage. À vrai dire oui, je sais quelque chose sur Howard James Herbert. Pour commencer, en tant que férue d’Histoire et d’arts son illustre nom m’est déjà apparu dans plusieurs ouvrages -plus ou moins obscurs-. « Illustre » est sans aucun doute un terme un peu fort ici, étant donné que son patronyme n’est pour ainsi dire connu que des excentriques tels que moi qui s’intéressent à ce genre de choses.

C’est de toute façon trop peu pertinent.

Non, ce qui l’est plus en revanche c’est que j’ai entendu son nom à plusieurs reprises depuis que je suis arrivée sur Hinu Town. Les rumeurs vont bon train lorsque l’on est un homme aussi énigmatique que Howard, et il s’avère que le lieu favori desdites rumeurs est par une coïncidence assez folle également le mien : les tavernes. Or, vous me connaissez, je peux parfois avoir les oreilles qui traînent. En de rares occasions. Vraiment exceptionnellement. Toujours est-il que souvent, les ragots parviennent jusqu’à mon attention. « Et en quoi ces indiscrétions peuvent-elles bien t’intéresser ? », me demanderez-vous. Eh bien d’une part ce ne sont pas vos oignons, et d’autre part ce sont ces on-dit qui souvent portent les prémices des histoires les plus épiques.

Et nous, les histoires épiques, on aime ça.

-Pour être honnête oui, j’ai eu vent de son nom. Et de son expédition. Donne-moi trois jours et je nous obtiendrai un entretien avec lui. Ensuite par contre, ce sera à vous de le convaincre de nous embaucher. Chacun son boulot hein…

Difficile de cerner les sentiments que recèle le large sourire que je lui offre à cet instant précis. Je reprends un peu de couleur. De l’investigation, des négociations… tout ceci ressemble de plus en plus à un début d’aventure digne de ce nom. Je me laisse envahir par un frisson d’excitation, mon esprit divaguant déjà vers la suite de nos péripéties. Je suis en réalité à deux doigts de décrocher purement et simplement de la conversation, accomplissant ainsi le classique et élégamment baptisé « Charlie move ». Mais une intervention du dénommé Zacharie parvient in extremis à m’épingler à leur dimension -à ce stade, j’ai de plus en plus de mal à la considérer également comme la mienne-.

-« Tes » précédentes expéditions ? Tu en as fait beaucoup ? Tu es déjà allé sur Grand Line alors ?

J’enfonce mon menton au creux de mes mains, m’avançant sur ma chaise tandis que mes yeux papillonnent, l’avidité visible sur mon visage. Non loin, la serveuse revient vers nous avec ce qui ressemble au début de notre commande.

Bon. Les aventures de Zacharie s’avèrent être décevantes dans ma quête de pépites à consigner -pour, plus tard, les conter-. Entendons-nous bien, loin de moi l’idée de dénigrer son palmarès d’aventurier -d’ailleurs bien supérieur au mien, bien que la chose n’ait rien d’un exploit-. Mais sa gêne évidente et ses explications tristounes sur la relation entre les deux nobles ainsi que ses complications personnelles ont tendance à refroidir mes ardeurs. Les excuses ne m’intéressent pas. Seules les prouesses m’intéressent. On ne divertit pas un public avec des justifications sur pourquoi des choses ne se sont pas produites. Et si vous me trouvez insensible, sachez que votre opinion m’intéresse autant que la raison pour laquelle Whitney et Herbert ne sont plus copains.

Mes épaules s’affaisseraient bien de désillusion pour l’occasion, mais cela serait clairement redondant avec mon précédent post. Et si le contenu des histoires que je vous narre se doit d’être exaltant, le style revêt une importance presque aussi capitale. Alors je change plutôt simplement de position, ma joue venant se planter dans le poing de ma main droite, une mine dubitative toute Charliesque sur le visage. Mais il n’y a pas mort d’homme. Il ne tient qu’à moi -au moins partiellement en tout cas- de rendre l’aventure qui nous attend aussi palpitante que nécessaire.

C’est alors que la serveuse, qui a eu le bon goût de déposer nos commandes devant nous entre temps, s’immisce dans notre conversation -quel toupet- pour nous glisser que l’expédition de toute notre attention aurait été retardée suite à un sérieux imprévu -quand je vous disais que les tavernes étaient le meilleur endroit pour glaner des informations-. L’étincelle au fond de mes yeux se remet à briller -alors même que je me jette sur mon assiette de falafels- et je lève ces derniers en direction de la jeune femme. J’espère que cet « événement grave » ne l’est pas suffisamment pour remettre en question la tenue de ladite expédition, sinon toute cette rencontre -et son interminable entrevue d’embauche- aura été en vain.

On dirait bien que la serveuse n’a pas vraiment l’intention d’en dire plus pour le moment. Ce qui est bien dommage car cela aurait pu nous être utile d’en savoir un peu plus. Mais tant pis. J’ai ma petite idée sur comment on obtiendra un entretien avec Herbert, on pourra lui demander directement. Au moment d’enfourner une bouchée largement trop proéminente pour ma bouche, ma fourchette tâtonnant à la recherche d’un angle pour tout faire rentrer à l’intérieur de cette dernière, je constate que tous les regards sont braqués sur moi. On dirait bien qu’ils attendent quelque chose de moi. Je cligne des yeux plusieurs fois, cherchant à comprendre. Oh. Je crois que je vois. Ah oui mais c’est-à-dire que je suis en train de manger moi. Je suis en pause, là.

…Bon. C’est vraiment pour vous faire plaisir hein.

-… Quel genre d’événement ?

-Son fils est mort hier. Il est probable que ce soit un assassinat.

-Ah. Pas glop.

-C’est une façon de dire les choses, en effet.

-On a une idée de qui a fait ça ? Et pourquoi ?

-Il y a des rumeurs… Rien de bien concret. Mais on raconte que lord Herbert offrirait une grosse récompense à qui résoudra cette histoire.

-Huuum ok. Vous avez une idée de son emploi du temps dans les jours à venir ?

-…Probablement aller à l’enterrement de son fils. Pour le reste, j’en sais rien.

-Ça se tient. Je me tourne à nouveau vers le reste de la troupe. Voilà qui est édifiant, n’est-ce pas ? Je devrais pouvoir amasser plus d’informations là-dessus en allant questionner quelques piliers de comptoir. Et on se donne rendez-vous dès que j’en sais plus, qu’est-ce que vous en dites ?

Pour la première fois depuis le début de notre échange, mon intervention ne semble pas provoquer de réactions négatives chez mes interlocuteurs. C’en est presque louche. J’ai pratiquement perdu l’habitude d’être reçue avec -si ce n’est tout de même pas de l’enthousiasme- un intérêt positif, et je suis à deux doigts d’enchaîner avec une grosse ânerie pour compenser. Fort heureusement je parviens à me retenir, bien aidée par le fait que je viens d’enfourner une nouvelle bouchée de falafels au fond de mon gosier, alors que le reste de la table reçoit à son tour ce qu’ils ont commandé. Le reste du repas se déroule dans un silence assez surprenant qui me met légèrement mal à l’aise, mais je suis bien trop accaparée par mon plat pour m’en formaliser.

Un -excellent- thé plus tard, l’heure est à l’organisation. S’il a été décidé qu’Astrid m’épaulerait dans ma quête de ragots -ce qui, soyons honnêtes, est pour le mieux, vu qu’elle est la seule à m’avoir accueillie sans trop de réticence-, les tâches du reste de la troupe doivent toujours être déterminées. Très sincèrement, celles-ci ne m’intéressent que très peu, aussi je m’éclipse rapidement une fois le repas terminé après avoir donné rendez-vous à Astrid le soir même dans une taverne du quartier que j’ai repérée. Les small talks, très peu pour moi. Et je ne suis pas du genre à me forcer à rester par convenance -au grand dam de mes parents d’ailleurs-. Mais je dois dire que la suite du programme me comble d’excitation.

Fouiner, c’est mon dada.

Le soir venu, je me rends comme convenu à l’auberge. Il est l’heure de faire ce que je fais de mieux. Astrid me rejoint quelques minutes plus tard et l’investigation peut alors commencer. C’est là, alors que je file au bar commander deux verres, que la première difficulté se présente à nous. Voyez-vous, il semblerait que l’informatrice et moi-même n’ayons pas exactement la même définition du mot « investigation ». Alors que celle-ci s’apprêtait à aller à la pêche aux informations, prête à interroger chaque client du bar si besoin, je voyais les choses un peu différemment.

-Tu fais trop de zèle. Laisse donc les rumeurs venir à nous.

-Mais euh, tu es sûre ? Tu fonctionnes toujours comme ça ?

-Bien sûr. Enfin… « toujours » est un bien grand mot, si l’on considère le fait que c’est sans doute la première fois que je cherche des informations sur un noble qui vient de perdre son fils dans l’idée de lui demander de rejoindre l’expédition qu’il dirige en direction de la Route de tous les périls. Mais en dehors de ça oui, à peu de choses près.

Difficile de déterminer ce qui l’emporte entre la déception et le désespoir sur la mine déconfite qu’elle me sert à cet instant précis.

-Ah. Bien, j’imagine qu’on peut commencer par ta méthode. Mais si ça ne donne rien, on passe à quelque chose de plus… professionnel. Deal ?

-Deal. Ne t’en fais pas, à ma manière, c’est mon boulot de glaner des informations.

Et ce n’est même pas un mensonge. Les rumeurs et les histoires sont mon gagne-pain. J’ai simplement une méthode qui laisse libre court à mon imagination et mon côté artiste -c’est-à-dire pas de méthode, si l’on doit dire les mots-. Ma stratégie principale consiste à laisser mes oreilles trainer jusqu’à ce que les informations leur parviennent, et laisser ma bonne étoile faire le reste. Et heureusement pour moi, cette dernière ne tarde pas à prouver une nouvelle fois que je fais bien de lui confier mon destin.

Pratiquement une heure après que nous nous sommes installées à une table positionnée autant au centre de l’assemblée que possible, un murmure parvient à mes oreilles entrainées au milieu du brouhaha ambiant. Un « Herbert » fugace mais suffisamment distinct pour que mon ouïe aux aguets ne le perçoive et passe en mode radar. J’envoie un coup de coude à Astrid en lui pointant d’un geste du menton une table à quelques mètres de nous, d’où proviennent ces deux syllabes tant attendues. À cette tablée, deux hommes visiblement plongés dans une discussion extrêmement sérieuse. Voilà peut-être notre porte d’entrée vers notre objectif. Ma partenaire du soir se lève d’un bond de son tabouret, visiblement résolue à aller confronter les deux larrons sur la question de toute notre attention. Je pose une main apaisante sur son avant-bras.

-Attends. Attendons d’en apprendre un peu plus sur ce qu’ils lui veulent...

-Très bien. De toute façon cette bière m’a donné envie de passer aux toilettes. Mais quand je reviens, si tu n’en sais pas plus, on passe à la phase active.

J’espère que mon instinct ne me fera pas défaut une fois de plus. J’ai la désagréable sensation d’arriver à bout de la patience d’Astrid -ce qui en dit long vu comme elle a été tolérante jusqu'à présent-.  Hélas, j’ai bien l’impression que je suis livrée à moi-même cette fois-ci ; à peine Astrid a-t-elle disparu derrière la porte des toilettes que nos deux suspects se lèvent pour se diriger vers la sortie, mettant visiblement fin à leur soirée. Je jette un œil inquiet à la porte des toilettes. Si je les laisse partir, Astrid ne sera sans doute pas ravie. Mais d’un autre côté, si je pars à leur poursuite seule, il pourrait m’arriver des bricoles…

Oh et puis zut hein. Yolo, comme ils disent.

Disons que je raconterai tout à Astrid. Je saute de mon support et m’engouffre dans les ruelles d’Hinu Town assombries par la nuit à la suite des deux types. Là où je ne m’en sors pas trop mal, c’est qu’ils se sont séparés. J’arrive sans trop de difficultés à suivre la trace de l’un des deux et, après quelques minutes d’une filature qui n’a -presque- rien à envier à Jean Bond, à le rattraper au détour d’une impasse obscure. Mon index vient lui tapoter l’épaule alors qu’un large sourire illumine mon visage.

-Hey, coucou ! Loin de moi l’idée de venir fouiner dans ce qui ne me regarde pas -c’est faux-, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre un bout de votre conversation au bar. Tu veux bien me raconter ce que vous lui voulez, au père Herbert ?

-Et pourquoi je ferais ça ?

Mon sourire s’élargit.

-Alors oui, je me doutais que tu me répondrais quelque chose du genre. En fait tu ferais mieux de me le dire, sinon il pourrait t’arriver des bricoles...

La menace a l’air de n’avoir qu’un effet mitigé sur l’homme qui, soyons honnêtes, possède un physique bien plus imposant que le mien. Comme si cela avait une quelconque espèce d’importance.

-Dis donc miss, tu crois que tu me fais peur ? Je ne dirai rien.

-Huuuum c’est vraiment ton dernier mot, JP ?

-C’est qui JP ?

-C'est vraiment important ?

-Tu fais un peu trop la maligne ! Je vais t’effacer ce sourire arrogant de ton sale visage vite fait bien fait moi tu vas voir !

Alors qu’il plonge la main dans son manteau pour en extraire ce qui m’a tout l’air d’être un couteau, j’enfile le masque noir qui m’accompagne depuis des années maintenant, faisant appel à ses pouvoirs malfaisants que je ne comprends toujours pas. Les yeux du Diable, comme ils l’appellent. Quelle importance. La seule chose qui importe c’est qu’au moment où le malfrat pose à nouveau ses yeux sur moi, ceux-ci s’emplissent d’une horreur indicible, d’une terreur qui le fait reculer d’un pas contre le mur, lâchant sous le coup de la surprise l’arme avec laquelle il s’apprêtait à mettre à exécution sa menace. Un jour, peut-être, je comprendrai l’origine de ces pouvoirs. En attendant, ils font une nouvelle fois montre de leur utilité. J’approche mon visage visiblement terrifiant -c'en est presque vexant- à quelques centimètres de celui de ma victime, le sourire me barrant le visage invisible au travers du loup qui dissimule ce dernier.

-Reprenons. Qu’est-ce que vous lui voulez, à ce cher lord Herbert ?

-Je euh… Oui… Euh… Alors en fait euh… Voilà, on a appris la mort de son fils et on s’est dit…

Wow, regardez-moi ces rides… Sa crème de soin est périmée ou quoi ? À votre avis, tous les gens que je vais croiser sur Grand Line sont du même acabit ? Je ne vais pas vous mentir, ce serait assez décevant. Je veux dire, soyons sérieux cinq secondes : je suis très loin d’être une combattante émérite et pourtant je l’ai maté en un claquement de doigt. C’est pas avec ce genre d’hurluberlu que je vais trouver du grain à moudre pour mes histoires, moi. Et le voilà lancé dans une explication interminable sur leur plan machiavélique qui n’intéresse personne. J’ose espérer que Akane et sa bande sont d’une autre trempe, sinon j’ai la désagréable impression que ce périple risque de ne pas combler mes attentes les plus élémentaires.

-… Et c’est pour ça qu’on s’est dit qu’il était temps de tenter un attentat.

-…Oh tiens, tu es encore là, toi ? Jolie allitération en « t ». Et donc, quand se tiendra-t-il, ce terrible et tant attendu attentat ?

-Je euh…

-Ne m’oblige pas à réinvoquer mon "démon", il déteste qu’on l’appelle pour rien.

-… Demain soir.

-Où ça ?

-Devant le palais.

-Brave garçon.

Et moi de faire demi-tour pour m’en retourner vers l’auberge, non sans avoir au passage pincé de manière très humiliante la joue de notre informateur malgré lui, dont le teint livide le partageait désormais entre la honte et la peur. La bonne nouvelle, c’est qu’Astrid m’attendait toujours là où je l’avais laissée -enfin plus ou moins-. La mauvaise, c’est qu’elle a l’air relativement agacée, potentiellement par le fait que je l’ai laissée en plan sans l’ombre d’une explication. Mais cela peut également être pour une raison tout à fait étrangère à ce fait. On ne le saura sans doute jamais.

-Je peux savoir pourquoi tu m’as laissée en plan sans l’ombre d’une explication ?

Un esprit avisé pourra tout de même peut-être déceler quelques indices.

-Alors oui en fait les deux gus’ sont partis alors du coup je leur ai couru après et…

-Laisse tomber va. C’était presque terminé de toute façon. Tu as appris quelque chose au moins ?

Un nouveau sourire éclaire subitement mon visage.

-Oui. Tu peux dire aux autres de nous retrouver demain soir devant le palais. On ne va pas s'ennuyer...

-Bah non pourquoi ?

Astrid a l’air aussi surprise par ma réponse que moi par sa question. Non, je n’ai pas prévu de passer la nuit à leurs côtés. Je n’ai rien contre mes futurs compagnons de route -bien au contraire-, mais je n’en vois pas spécialement l’intérêt. Ce n’est pas comme s’il risquait de se passer des choses incroyables durant la nuit. Si ? J’en doute. Dans tous les cas, nous allons vraisemblablement déjà passer un temps considérable ensemble dans les jours à venir -si d’aventure nos plans venaient à être mis à exécution- et je ne suis pas sûre que ma présence soit vue d’un si bon œil par l’ensemble de la troupe -gros yeux Roza-. Quant à moi, passer du temps seule fait partie de mes nombreux plaisirs, le quotidien banal du commun des mortels comparé aux méandres de mon esprit ayant la fâcheuse tendance à m’ennuyer plus que de raison.

Alors je m’en tiens à l’auberge dans laquelle je séjourne depuis maintenant quelques jours. Et nous nous retrouverons comme convenu au palais le lendemain à la tombée de la nuit. Palais qui d’ailleurs, si j’en crois mes informations, se trouve tout de même à une demi-journée à dos de chameau, ce qui nous fait une trotte -assez littéralement-. Et Astrid de retrouver donc le reste de l’équipe pour leur transmettre le rendez-vous pris dans la soirée du lendemain. Je dois avouer que l’excitation commence à m’envahir devant la perspective de ce qui nous attend. Si vraiment nous allons devoir empêcher un attentat, cela promet une aventure épique et ce avant même d’avoir pris la mer pour Grand Line.

Cette nuit-là, le sommeil me fuit comme j’ai fui l'intégralité de ce que mon héritage aurait pu être.

Le lendemain, c’est donc avec des valises sous les yeux que je prends la première caravane en direction d’Anataka, capitale d’Hinu Town et siège du pouvoir des Al-Jawhara. Je fais confiance à Astrid pour transmettre mon message, sinon je risque fort de me retrouver plus tard dans une situation assez peu désirable. Le bon côté, c’est que j’ai un peu de temps pour faire du tourisme. Et je vous vois venir, non, je ne suis pas particulièrement anxieuse quant à ce soir. J’ai une foi inébranlable dans la capacité de mes nouveaux compagnons à gérer la situation et surtout, toute forme d'apréhension est instantanément balayée par l'exaltation qui envahit mes veines à l’idée de vivre le début de ma propre épopée -ce n’est pas parce qu’on raconte l’histoire des autres qu’on ne peut pas avoir la sienne-. Et si Anataka m’apporte son lot d’architectures notables et d’Histoire enfouie, mes pensées restent entièrement focalisées sur les événements de la soirée.

Soirée qui pointe le bout de son nez plus rapidement que je ne l’aurais pensé. Sans surprise, je suis la première à me présenter devant le palais. Le rendez-vous a été fixé légèrement à l’écart de la gigantesque entrée de la demeure de la famille royale, histoire d’avoir une ligne de vue directe dessus sans pour autant être à découvert. Alors que le soleil commence à disparaitre à l’horizon et que je commence -gentiment hein- à m’ennuyer, Akane et le reste de la troupe me rejoignent finalement. Bien. Tout le monde est là, et je ne vois étonnamment pas l’ombre d’un air de réprobation sur les visages des nouveaux venus. Eh bien, soit Astrid a été particulièrement convaincante à leurs yeux -ce dont je doute, étant donné le peu que je lui ai révélé de mon « plan », si l’on peut appeler ça ainsi-, soit ce rendez-vous obscur ne leur paraissait pas si aberrant que ça pour une raison incongrue. Pour être tout à fait honnête, je ne sais laquelle de ces deux hypothèses est la moins improbable. Toujours est-il que ça fait bien mes affaires, m’évitant d’avoir à me répandre en explications aussi bancales que superflues.

-Parfait. Vous êtes tous là. J’espère que vous êtes en forme, il risque d’y avoir de l’action. Il ne manque plus que nos invit…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que les immenses portes du palais dans mon dos s’ouvrent dans un grincement assourdissant pour laisser apparaître dans leur entrebâillement Lord Herb… Ah ben non, pas du tout. Plutôt rien de moins que la princesse héritière Sania Al-Jawhara, accompagnée de sa garde rapprochée. Eh bien, voilà qui n’est pas exactement ce à quoi je m’attendais. Mais je n’ai pas le loisir de me laisser aller à la surprise que déjà un sifflement retentit dans la nuit naissante et que l’un des gardes de la princesse s’effondre dans un râle d’agonie.

Tant pis pour le briefing, j’imagine.

-…Nos invités. Bon. Pour vous la faire courte, un attentat envers la personne de Lord Herbet est sur le point de se produire. Mon petit doigt me dit que pour entrer dans ses bonnes grâces, l’empêcher de mourir de manière prématurée pourrait être un bon plan. Je ne sais pas ce que vous en dites ?

Je regarde tour à tour chacun de mes compagnons, un sourire probablement un peu trop joyeux étant données les circonstances aux coins des lèvres. Derrière moi, des silhouettes sombres commencent à s’approcher de la petite unité qui vient de quitter le palais. Si on veut agir, il va falloir le faire rapidement.