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[Mission] Détourner le regard d'un dragon Partie I

Marijoa, trois jours auparavant



Dans l'un des bureaux du joyau architectural qu'était Pangea, une femme s'impatientait. Au creux d'un somptueux siège fait des plus beaux cuirs, elle avait devant elle une pile de papiers indécente. Son bureau était une véritable œuvre d'art et les quatre murs qui l'entouraient étaient couverts de peintures et sculptures de maîtres. Elle appréciait particulièrement les artistes Alabastiens, mais aussi ceux de Saint-Urea et de Luvneel, dont elle s'était confectionnée une belle collection. Face à elle, les problèmes s'amoncelaient.

Sainte Adela était morte de la lame de l'Impératrice pirate Kiyori, elle-même décédée dans la foulée. Ce n'était pas de sa faute, mais les Dragons Célestes avaient tendance à porter leur regard un peu trop loin à son goût. Le Septième Pol avait pour mission de satisfaire les attentes des héritiers de ce monde, elle avait donc également la charge de leur sécurité. Or, ils s'ennuyaient sûrement de Marijoa, tant ils cherchaient de plus en plus à en quitter l'enceinte. Habile politicienne, cette femme mûre avait la délicatesse autant que la poigne nécessaire pour orienter les instincts de ces êtres divins aux ambitions délirantes. Mais le monde évoluait vite, trop vite. Les événements s'enchaînaient, les déboires et les victoires se succédaient et finalement, l'ordre établie vacillait. La famille Albanas était en ébullition après les déboires de Marineford, mais ceux-ci étaient bien loin d'être les seuls desquels il fallait se préoccuper. Le dossier qui trônait devant les fines mains de la quinquagénaire mentionnait le nom de "Yonesku". Une famille parmi les vingt dirigeante, mais sûrement l'une des plus connues d'entres-elles par le bas peuple. Notamment parce qu'ils avaient quittés Marijoa pour rejoindre la terre ferme, jetant leur dévolue sur une île qu'ils firent remodeler à leur image. Ainsi naquit Le Don des Saints, dont le nom fut parfaitement approprié. Car les saints firent don aux simples gens de leur lumineuse présence, ce qui était sûrement l'honneur suprême à leur goût. 
Cette fois-ci, la célébrissime Cassandre Yonesku lorgnait sur les moyens mis en œuvre pour aider son consœur Adela dans sa quête d'aventure. Le Gouvernement Mondial avait mis le paquet pour la suivre dans sa folie, elle voulait donc profiter du même traitement, pour cela, elle faisait peser une pression assez lourde sur l'étoile Kyozu Vagner : qu'on lui donne purement et simple l'Île aux Esclaves. Une pure folie, sachant que cette terre de travail forcé appartenait à Saint-Uréa, l'illustre Royaume de South Blue. La dame n'était pas surprise, Cassandre œuvrait depuis toujours à se constituer un empire dans le milieu de l'esclavagisme, la World Wide Compagny en était le meilleur témoin.

Selon la dirigeante du Cipher Pol Sept, accéder à cette demande mènerait à une vague de révolte sans précédent de part le monde entier. Ne souhaitant pas mettre les Blues à feu et à sang, elle comptait bien détourner le regard de la Dragonne Céleste vers une autre cible. Elle enclencha tapota sur son escargophone blanc, qui sonna aussitôt. A la troisième sonnerie, il fut décroché depuis Marineford.

> ...
> Stemper, c'est ainsi que vous me saluez, j'en suis fort déçue.
> Ma chère Finnegan, s'enthousiasma le chef du Cipher Pol Deux, lorsqu'il reconnut le son de la voix de son interlocutrice. Que me vaut votre appel ?
> Beau parleur, un projet d'une urgence absolue bien entendu, dit-elle sans surprise. Il n'arrivait presque, si ce n'était jamais, qu'un Directeur de Pol en appel un autre par simple courtoisie et chacun redoutait ces communications souvent porteuses de lourds enjeux. 
> Evidemment, comment pourrait-il en être autrement ? Soupira l'explorateur mondialement connu. Alors dites moi, comment pourrais-je vous aider ?
> Eh bien vous ne serez pas surpris si je vous dis qu'il est primordial que nous agissions pour protéger Sainte Cassandre Yonesku de ses propres désirs, or cette fois-ci elle s'est surpassée.
> Vous m'en direz tant, fit-il exaspéré. 
> J'ai besoin que vous m'ouvriez les portes d'un trafic d'esclaves, car la WWC s'est ostensiblement réduite à Grandline et cela lui déplaît fortement depuis qu'elle réside sur West Blue.
> Je vois, dit-il songeur, je suppose que votre dévolue s'est jeté sur Kanokuni, reprit-il perspicace. 
> Votre clairvoyance vous honore monsieur Stemper, le félicita Glawdys Finnegan. Effectivement, au vu des récents événements ainsi que de l'affiliation de cette île qui nous échappe, ses habitants constitueront de parfaits esclaves...
> Mais y établir un trafic d'êtres humains n'en sera que plus compliqué, au vu de ces mêmes événements, constata Henry prudent. 
> Mais si cela fonctionne, une brèche invisible et insoupçonnée sera ouverte dans la muraille des Ming. L'étoile Kyozu Vagner en personne nous ordonne d'agir, avez-vous les ressources pour faire honneur à votre département ? Lui glissa la quinquagénaire, comme un coup d'estoc.
> Il me faudrait un point d'entrée, des agents du CP6 infiltrés pour s'assurer que l'un de mes agents entre sur le territoire, le reste j'en fais mon affaire, lui confirma-t-il alors qu'il échafaudait déjà un plan.
> Parfait, je reprend contact avec vous d'ici une heure au plus tard, soyez réactif mon cher Stemper.
> J'attends votre appel, rétorqua-t-il en raccrochant.

Il lui fallait désormais trouver l'agent aux épaules assez larges pour réussir cette mission ô combien particulière. Car créer de toute pièce une source d'approvisionnement d'esclaves au cœur d'un Royaume ennemi était autrement plus délicat que le transport de richesses.

Il passa alors de nombreux coups de fils, cherchant dans ses effectifs la valeur sûre à qui il pouvait déléguer cette mission de haute importance. Ses recherches avançaient bien, mais il hésitait encore entre plusieurs profils. Selon lui, l'agent se démarquer d'abord par sa capacité à diriger et mener à bien une entreprise. Car, il estimait que pour réaliser l'exploit demandé, il était nécessaire que l'agent en question prenne part aux activités mafieuses de Kanokuni. Ainsi, il lui fallait recruter des membres et mettre en place la ligne d'approvisionnement d'esclaves, autant dire que ce n'était pas une mince affaire.

> Pulu pulu... pulu pulu.. gatcha !
> Oui Finnegan, alors, avez-vous mon assurance que l'un de mes agents entrera sans heurts ?
> J'ai eu confirmation de la part de Devett qu'un de ses infiltrés feraient entrer l'agent de votre choix, alors, avez-vous trouvé votre poulain ?
> D'accord, fit sobrement Henry qui hésitait encore.
> C'est un peu hésitant, non ? Se moqua Glawdys.
> J'ai un agent qui a récemment démantelé un trafic de Dance Powder avant de réhabiliter les locaux en entreprise d'extractions de cristaux, je pense qu'il peut faire l'affaire. Il a également eu un récent succès sur Hinu Town, sauvant la dernière des Al-Jawhara. Bien entendu, il se garda de préciser qu'il ne s'agissait que d'un agent de troisième catégorie, sans quoi son interlocutrice aurait sûrement refusé ce choix.
> Oh, j'en ai eu vent de cet événement, ce cher Edouard, le gouverneur de l'île est un ancien de mon service, je vais l'appeler de ce pas pour qu'il me donne son impression, mais si vous pensez qu'il fera l'affaire, alors qu'il se jette dans la gueule du loup.
> Faites donc, il remplira la mission.
> Je n'ai pas besoin de vous dire que cette mission est d'une sacrée importance, son échec compromettrait la carrière de pas mal de monde, Sainte Cassandre Yonesku peut être très rancunière, laissa-t-elle planer comme une menace.
> J'enclanche la mission, celle-ci relève désormais du CP2, bonne journée Finnegan, conclu sèchement Henry Stemper, qui n'appréciait pas du tout qu'on lui place une épée de Damoclès au-dessus de la tête.


Dernière édition par Wolt Hender le Dim 23 Juin 2024 - 19:23, édité 5 fois
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Retour au présent, Kanokuni


La muraille de Ming se dressait éhontément face à l'autorité du Gouvernement Mondial. Fière, tenace, elle représentait à elle seule l'inflexibilité des kanokuniens face aux ambitions des hautes autorités. Surplombant la baie de Jing, elle toisait la Mer de Jade de toute sa hauteur. Ce port était l'entrée principale de l'île, la voie officielle. Un poste de garde veillait à ce que les entrées et venues à l'intérieur des terres soient régulés, afin d'assurer la sécurité du pays comme pour éviter l'ingérences de puissances extérieures. La brèche qui était en réparation était donc suffisamment surveillée pour éloigner soldats de la Marine comme pirates trop ambitieux. L'île n'avait ployé que sous l'écrasante domination de feu l'Impératrice pirate Kiyori, mais s'assurait que cela n'arrive plus jamais. 

L'agent Wolt était arrivé au matin, à bord d'un navire marchand comme sa couverture le lui demandait. Il avait reçu des ordres de sa hiérarchie et, sans que l'ensemble des tenants et aboutissants ne lui soient expliqués, avait largement compris l'importance de cette mission. Il était honoré qu'on la lui confie, mais devait désormais faire face à la réalité du terrain. Monter une entreprise clandestine en territoire hostile était bien plus compliqué que tout ce qu'il avait pu mener à bien jusqu'à présent. Il s'agissait pour lui d'un test, un challenge poussant le curseur de difficulté bien au-delà de ce qu'il avait connu, mais aussi impardonnable. Un échec ici, qu'importe les raisons qui pourrait l'y mener, signerai une véritable descente aux enfers. Le Kapharnaüm, un empoisonnement, une mise en esclavage ou peut-être bien l'assassinat par l'un des agents surentrainé du Cipher Pol Neuf. Les possibilités étaient multiples, mais l'ex-bureaucrate ne pouvait s'y perdre. L'efficacité était sa seule option.

Il pris contact avec un docker du port, un agent sous couverture du sixième Pol de l'agence gouvernementale. Spécialistes dans l'infiltration de cellules de révolutionnaires, les agents qui y officiaient étaient de véritables caméléons. Les deux hommes échangèrent quelques mots en toute discrétion et il fut donné un papier à l'agent fraîchement débarqué. Il le glissa dans la poche intérieur de sa veste, agrippa sa mallette qu'il ne quittait pas et pris la direction de l'immense brèche qui était en train d'être colmaté par d'innombrables ouvriers. L'espion connaissait la démarche à suivre, il avait longuement répété chaque étape de cette mission. Il se présenta donc au point de passage, où des soldats du régime local filtraient les civils. Aussi, quelques révolutionnaires les assistaient, ayant pour rôle d'identifier les têtes connues à l'extérieur, car les kanokuniens n'avaient qu'une faible connaissances des actualités en dehors de leurs terres. Il resta droit, fidèle à sa ligne de conduite et évita le piège de paraître suspect en ayant le regard fuyant. C'était à son tour, un soldat lui fit signe d'avancer avant de le fouiller. Il lui tâta le corps à travers les vêtements, puis confia la malle à l'un de ses collègues qui l'inspecta. A l'intérieur, il n'y avait que quelques papiers d'identités au nom de Wahr N. Buffete, l'alias de Wolt depuis qu'il était devenu le directeur de la Buffete Exploitation, ainsi que de l'argent. Le garde lui pressait les côtes, cherchant une éventuelle arme de poing, puis passa à ses cuisses en remontant imprudemment.

> Ceci n'est pas un objet dans ma poche, fit sobrement Wolt sans détourner le regard qu'il portait vers l'horizon. Gêné, le soldat arrêta sa fouille.
> Que faites-vous ici ?
> Je suis monsieur N. Buffete, investisseur et homme d'affaires. Je viens ici pour le travail. J'ai, dans la poche intérieur de ma veste, une invitation en règles. L'homme glissa sa main dans l'ouverture de la veste de l'agent et se saisit du morceau de papier. Il hocha la tête, reconnaissant un sceau propre à Kanokuni. 
> Bien, avez-vous quelque chose à déclarer ? Où irez-vous ? Le questionna l'homme qui faisait visiblement bien son travail, hormis ses mains baladeuses.
> Rien du tout, vous avez ici tout ce que je possède, ma mallette et cette invitation, dit-il alors qu'il n'avait pas d'escargophone, donc aucun moyen de contacter l'extérieur. Je dois me rendre à la Capitale, pour faire affaires et je logerais dans un hôtel qu'on m'a vendu comme de très bon standing, glissa-t-il en justification.
> Un hôtel, ma cousine travaille dans l'hôtellerie à la Capitale, de quel établissement s'agit-il, je pourrais sûrement vous confirmer ce qu'on vous en a dit, répondit l'homme curieux. Wolt était quelque peu coincé, il marqua un léger blanc.
> Oh.. le Wo... Huon.. veuillez m'excuser mais j'ai quelques problèmes de prononciation avec les mots issus de vos traditions... 
> Je vois, je ne peux que vous conseiller de faire des efforts à ce sujet, il est apprécié de connaître nos termes pour conclure des marchés ici, lui confia le soldat. C'est bon, il est clean, indiqua-t-il à un autre collègue derrière lui, avant de libérer Wolt. 

Ce dernier repris son équipement et fut stupéfait du contraste entre la baie de Jing et ce qui pouvait se trouver juste derrière l'imposante muraille. Face à lui, de nombreux civiles discutaient, marchandaient et s'ameutaient autour des éléphants colossaux de Kanokuni. Henry Stemper lui avait fait, en personne, un rapide résumé de la situation locale, dans celle-ci, il avait mentionné l'utilisation de ces animaux aux dimensions fantastiques comme moyens de locomotion. Il s'approcha donc de l'un d'eux, le cochet fumant une cigarette alors que son animal était accroché par une fine corde.

> Bonjour monsieur, entama Wolt. Je cherche à me rendre à la Cité Rouge, pourriez-vous m'y emmener ?
> Bien le bonjour cher étranger, chez nous, nous disons "Ni hao". Je suis Tong, et voici Xiong, mon éléphant, enchaîna-t-il avec beaucoup de sympathie. Je n'ai personne pour l'instant, alors oui je vous invite à grimper par là, dit-il en montrant la fine échelle de corde qui menait au promontoire sur le dos de l'animal, la course vous fera donc 100 000 berrys, annonça-t-il avec un grand sourire.
> Oh.. mes contacts ne m'avaient pas parlé d'une si grande somme, on m'avait parlé de 70 000 berrys, tenta-t-il alors que le sens du commerce semblait couler dans ses veines.
> Etonnant, 100 000 est pourtant le prix que nous pratiquons tous, pour éviter la concurrence déloyale, vous comprenez, disait Tong surpris.
> Mes contacts sont d'ici, il s'agit d'un membre de la famille Li, glissa hasardeusement Wolt. Enfin bon, ce n'est pas grav..
> Oh, vous êtes un ami des Li ? Alors disons 70 000 berrys pour vous, je les connais aussi, répondit-il aussitôt, alors que le tarif habituel était de 50 000 berrys. Tous cherchaient à arnaquer touristes et visiteurs extérieurs, pour couvrir le gouffre que représentait la propriété d'un animal d'une telle envergure.
> Je leur dirais combien vous m'avez été agréable.
> Avec joie cher étranger, allons-y alors, je vous laisse grimper.
> Merci à vous, conclu Wolt avant d'entamer l'ascension du dos de l'animal. Lorsqu'il arriva en haut, il pu contempler la végétation luxuriante de l'île, parsemée de forêts luxuriantes et de bambous serrés. 

Des coussins formaient une plateforme accueillante et agréable, permettant alors aux passagers de profiter d'une vue imprenable sur Kanokuni. La peau grise de l'animal était ridée par le soleil, quelques poils drus parsemaient son corps. Le cochet avait défait le lien qui retenait l'animal, puis siffla ce qu'il lui indiqua qu'il pouvait prendre la route. Alors, la bête déploya une foulée lente, lourde et incroyablement reposante. Le trajet vers la Capitale était amorcé, pour la partie la plus simple de la mission était terminée.
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L'éléphant transportant Wolt arriva enfin aux abords de la prestigieuse Cité Rouge alors que le crépuscule plongeait le royaume dans la pénombre. Le trajet s'était parfaitement déroulé, l'animal ayant suivant la route Nord-Ouest, passant devant les Plaines de Feu. L'agent se sentit assez en confiance pour s'assoupir. Lors de sa formation d'agent gouvernemental, il avait appris une règle salvatrice : dors lorsque tu le peux. Car une fois en mission, les occasions de se reposer étaient rares. Alors, il exploita cette longue traversées de paysages magnifiques, bordés de rizières et de plaines verdoyantes, pour recouvrer ses forces. 
Ce fut le barrissement de Xiong, qui le ramena à la réalité, alors que la Capitale se dévoila au loin. L'espion était ravi, il allait pouvoir repérer les us et coutumes, avant d'amorcer son plan d'implantation dans la mafia locale. Située entre un tumulus à l'Est et le Mont Feng au Sud-Ouest, cette ville était le cœur battant de Kanokuni. L'architecture y était unique, regorgeant de pagodes, de toit aux extrémités recourbées vers le ciel et aux sublimes teintes rouges. Il ne s'émerveilla pas, mais reconnu le talent des architectes de ce pays, qui avait réussi à transmettre à leurs créations une aura imposante et solennelle. La cité fourmillait de citoyens locaux, de révolutionnaires et d'étrangers. Bien que par le passé, cette île avait pu être isolationniste, ce n'était plus le cas. Fermé aux navires du battant le pavillon du Gouvernement Mondial, les frontières étaient tout de même ouvertes au commerce extérieur. Ceci, notamment pour faire acheminer biens, ressources et denrées alimentaires bien utiles au peuple. Ce qui était légal arrivait par le port de Jing, ce qui ne l'était pas par le Fort Levant, contrôlé par la très respectée famille Chinjao, les corsaires de Kanokuni. 

Lorsque l'épaisse porte haute de plusieurs mètres qui donnait accès à la Cité Rouge s'ouvrit, Wolt remercia le cochet et lui donna un pourboire. Quelques berrys supplémentaires pour s'attirer la sympathie du peuple, cela n'était pas cher payé. Son rôle d'homme d'affaires bien ancré, il s'élança.
La nuit tombante, il s'empressa de chercher un lieu où dormir. Après une courte déambulation et quelques questions posées à des passants, il fini par tomber sur "Le gîte de la Grue", qui l'accepta. Les aubergistes étaient deux petits vieux, très accueillants et ravis de voir l'une de leurs chambres occupées, car, visiblement, les finances n'étaient pas au beau fixe. On le conduisit alors sous les toits, où l'attendait un futon bien maigre et une pièce pleine d'humidité. L'agent râla intérieurement, mais remercia chaudement ses hôtes.

Il passa une nuit difficile, où le sommeil fut compliqué à trouver et peu réparateur. Qu'importe, il avait prévu le coup en faisant une longue et paisible sieste la veille. Désormais, il lui fallait mettre de l'ordre dans ses idées. Avachi sur son matelas trop fin, il réfléchissait à la suite des événements.

___

Métanoïa, deux jours auparavant


> Agent Hender, fit une voix que Wolt reconnu aussitôt.
> Monsieur Stemper, que puis-je pour vous ? Le Directeur du Cipher Pol Deux était la seule personne utilisant le véritable nom de famille de l'ex-bureaucrate pour le nommer, ce qui l'étonnait toujours, tant il ne se retrouvait plus dans cette identité.
> Une mission vous est assignée, en guise de récompense pour Hinu Town et Inu Town... pff, aucun de ces crétins de bureaucrate n'a pensé à changer le nom de l'une de ces deux îles ? Enfin passons, balaya l'explorateur. Soyez en digne, car il s'agit d'une mission de la plus haute importance, elle sera pour vous une véritable bénédiction comme elle pourrait se transformer en tragédie si vous échouez, autant vous dire que l'échec n'est pas envisageable.
> Je serais à la hauteur, monsieur le Directeur, répondit respectueusement Wolt. 
> Rendez-vous auprès du Coordinateur Dundee, il vous remettra l'ordre de mission exact qu'il a reçu par escargoscanner, soyez efficace, termina Henry avant de raccrocher. 

Depuis son bureau, il se demandait si le choix d'employer un agent avec si peu de bouteille était bien judicieux. Après tout, malgré ses derniers coups d'éclats, il n'en demeurait pas moins un agent de troisième catégorie à peine promu. D'un autre côté, le trentenaire avait été habile quant à la création de la Buffete Exploitation, puis bon comédien auprès de la famille Al-Jawhara. Sa double identité rendue publique de Wahr N. Buffete était un atout, car elle lui offrait une certaine crédibilité dans le monde des affaires et, en cas de problème, il serait aisé de le désavoué, afin de protéger le Gouvernement Mondial de toute ingérence politique ou économique. En repensant à tous ces facteurs, le Directeur se rendit compte qu'au contraire, Wolt était sûrement le meilleur candidat pour la mission, il n'avait donc pas perdu de son instinct légendaire.

Le blond se rendit donc au bureau du Coordinateur Dundee, qui l'accueilli avec plaisir et lui offrit un tasse de thé. Les deux hommes discutèrent de banalités, ils se connaissaient plutôt bien, car quelques jours auparavant, le vieil homme avait entraîné le jeune agent à la maîtrise du Soru, grâce à la méthode dont il avait le secret. Aussi, après leurs quelques paroles et de vives lampées de cette boisson chaude, Angelo présenta l'ordre de mission à Wolt. 

> Il te faudra avoir de larges épaules, dit-il à son élève. On parle de la mise en place d'un réseau de trafic d'êtres humaines, servant à abreuver le Don des Saints. Tu vas donc intégrer la mafia locale et devoir détourner l'attention des autorités pour justifier la sortie de ces gens du territoire, évoqua Angelo qui mettait son apprenti en garde.
> Je vais me débrouiller, enlever des enfants pauvres ou des mendiants serait peu judicieux. La Révolution veille là-bas, après les récents événements. Il me faudrait un moyen détourné... réfléchissait Wolt. Je crois que j'ai une idée, et si je vendait à des citoyens dans le besoin, pauvres ou endettés, le rêve d'un travail bien payé dans les mines de la Buffete Exploitation, peut-être que je pourrais les attirer à moi en toute légalité.
> Voilà qui est très ingénieux, s'enthousiasma Angelo. Il faudrait cependant faire attention à plusieurs points : que tu ne t'attires pas trop rapidement les foudres d'autres clans mafieux, que tu mettes en place le fret des futurs esclaves jusqu'au Don des Saints de manière discrète et que tu t'assures que les proches des volontaires ne viennent pas te causer de problèmes, penses-y.
> Effectivement, il va falloir que je creuse ces pistes. Merci pour votre regard monsieur Dundee, vous êtes toujours très juste dans vos observations, le remercia Wolt avant de partir faire ses valises. 

Sa mission allait débuter et il avait déjà des problématiques techniques à régler.
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Retour au présent, Kanokuni


Prendre la température locale, s'imprégner du peuple pour déceler les subtilités qu'il lui manquait, voici ce qu'avait décidé de faire Wolt. Il avait confiance en ses capacités pour monter une société, son alias était déjà en place et il avait une bonne partie de son plan en tête, cependant, ce qu'il lui manquait c'était la compréhension approfondie des spécificités culturelles de l'île. Il déambula alors, une semaine durant au grès du vent, passant d'une ruelle à l'autre, saluant les commerçants et discutant avec des passants. Il s'intégrait au mieux, cherchant à comprendre le mode de vie de ces gens. La vie semblait plutôt paisible, quoi que régit par des règles assez stricts. L'honneur, la face et le respect en étaient les piliers. Les récentes évolutions politiques divisaient encore très largement les avis, car le respect des traditions étaient profondément ancrées dans les mœurs locales. Ainsi, la dynastie Quang était désormais mise au retrait, reléguée à un rôle symbolique alors qu'une assemblée d'élus décidait des questions politiques. L'agent gouvernemental se rendit rapidement compte de la popularité grandissante de la Révolution en ces terres. Opposés à eux, les traditionnalistes militaient pour la réhabilitation de l'illustre dynastie, mais ils étaient en infériorité numérique. Le Gouvernement Mondial s'y était cassé les dents par la manière forte, l'ex-bureaucrate compris qu'au-delà de l'intérêt économique de sa mission, c'était le potentiel de déstabilisation politique de cette entreprise qui avait motivé cette action sur Kanokuni. Bien qu'il dénotait des caractéristiques physiques dominantes, son statut d'homme d'affaires n'était nullement remis en cause et à raison. La Buffete Exploitation marchait à pleins régimes, la filière d'extraction de cristaux d'Inu Town retrouvait ses lettres de noblesses, inondant les ateliers des bijoutiers du monde entier. 

La semaine d'infiltration se mua, aux alentours des deux derniers jours, en reconnaissance et prise d'informations. L'agent Wolt savait quels étaient ses ordres, mais pour les mettre en application, il se devait d'enquêter et de trouver le terreau le plus fertile. Bien évidemment, la capitale n'était pas le lieu le plus adéquat pour mettre en esclavage une partie du peuple. Il devait, avant tout, miser sur la discrétion. La Cité Rouge, que les locaux nommaient Chang Hyai, était une ville tentaculaire et effroyablement disputée. Mafia, traditionnalistes et réformateurs s'y débattaient dans une bienséance apparente, masquant les pires traîtrises par de grands sourires. Selon ses investigations, il n'était pas à exclure d'y faire fleurir un réseau de trafique d'êtres humains, mais pas encore. Pour l'heure, il lui fallait s'attaquer à des rebus de la société, des sans-noms, sans-valeurs. Ceux de qui la disparition n'alerterait personne. Pour se faire, il fallait qu'il s'éloigne du Pouvoir et des intrigues politiques.

La fin de la journée approchait et l'ex-bureaucrate arpentait encore les rues agitées de la Cité Rouge. Il avait repéré, la veille, une bibliothèque. Il s'y présenta et demanda à consulter une carte de Kanokuni, sous couvert d'en apprendre plus sur les spécificités locales. En fin de compte, ce n'était pas si éloigné de la réalité, quoique l'objectif final en aurait fait frémir la pauvre bibliothécaire.

Il étala la carte qui se présentait sous la forme d'une épaisse feuille de riz, d'au moins un mètre sur presque le double. Là, il prenait connaissances de la province, où il cherchait la juste cible pour mener à bien sa mission. Après quelques dizaines de minutes d'une étude approfondie, il se rendit à l'évidence, son plan était prêt. Le soir même, sur le futon fourni par l'auberge qui l'accueillait, il méditait à ses futures actions. En temps normal, il aurait sûrement cherché à contacter Henry Stemper, le directeur du Cipher Pol Deux, mais cette fois-ci il n'était pas équipé pour. En terre hostile, les agents ne pouvaient compter que sur des escargophones blancs, mais n'étant que simple agent de troisième catégorie, il n'en était pas pourvu. Il aurait dû s'en acheter un avec ses propres économies, erreur de débutant.

Wolt se laissait vivre, enfin si on pouvait appeler cela ainsi. Il survivait plutôt, allant de mission en mission sans autre but que de servir. Il n'avait subit aucune lobotomie, n'avait pas vécu une vie entière de propagande intensive, ne s'était pas fait implanter une puce de commandement, mais vouait malgré tout son existence au Gouvernement Mondial. Il n'avait plus rien d'autre, voici tout ce qui le rattachait à ce monde.
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Le matin s'était levé depuis une demi-heure et Wolt avait déjà réuni ses affaires, il descendit de l'escalier qui le menait à l'entrée de l'auberge ou il paya pour son séjour. Il resta muet, discret sur ses intentions et pris la route. Sa montre à gousset à la main, il suivait la course des aiguilles avec grande attention. Il lui fallait rejoindre des terres moins gardées, mais surtout plus propices à ses desseins. Il fendit la foule matinale, qui s'amoncelait autour de luxueux étales de marchands et producteurs, jusqu'à rejoindre la porte Nord-Est de la capitale. L'armée royale avait maintenue ses fonctions, malgré le changement de régime et filtrait donc les entrées et sorties de la Cité Rouge. Wolt était au pieds des remparts, face à l'immense porte que relevaient des soldats lorsque les visiteurs montraient patte-blanche. A l'aller, il avait montré le papier qui l'invitait pour affaires. Il se fit alors arrêter par l'un des soldats, portant une armure faite de lanières de cuirs, un casque de fer et une épée à double tranchant. L'homme lui fit signe de s'arrêter de la main.

> Bonjour étranger, dit-il d'un ton sec, vos papiers s'il-vous-plaît.
> Bien entendu, répondit aussitôt Wolt en les sortant de l'intérieur de sa veste. Je suis Wahr N. Buffete, un homme d'affaires, glissa-t-il sobrement.
> D'accord, pourquoi quittez-vous Chang Hyai ? 
> Mes quelques négociations sont terminées ici, répliqua l'agent gouvernemental.
> Et où allez-vous ?
> Je m'en vais chercher un cochet pour rejoindre la Péninsule des Tigres, j'ai également des affaires à y mener, avant de repartir d'où je viens.
> Hum, et d'où venez vous ? Le questionna le garde, dont les suspicions s'exacerbaient.
> Je suis d'Inu Town, affirma Wolt.
> Vous n'êtes pas vraiment semblables aux gens de là-bas, le confronta l'homme.
> Oh mes excuses, je parlais d'Inu Town sur North Blue, non pas de celle que l'on nomme la "Petite sœur d'Alabasta", fit mine de se repentir l'agent.
> Hum, d'accord... puis-je y jeter un œil ? Dit-il en pointant la mallette du doigt. 
> Bien entendu, regardez, fit l'ex-bureaucrate en l'ouvrant et dévoilant son contenu au garde. Il n'y a là que des affaires et de l'argent, le strict nécessaire pour mes affaires, se justifia-t-il.
> Allez-y, bon séjour sur nos terres, conclu l'homme qui se mordait les lèvres.

Wolt parvint à masquer son sourire, satisfait d'avoir berné les autorités locales par ses quelques mots. Pourtant, il n'en restait pas moins assez loin du compte. Deux soldats enclanchèrent un mécanisme, qui par le biais de rouages complexes, firent se soulever la porte gargantuesque, dans un vacarme d'enfer. Aussitôt le blond avait-il passé la frontière qui délimitait la capitale, que l'homme qui l'avait interrogé contacta ses supérieurs grâce à un escargophone qu'il avait dans sa poche. 

> J'ai eu un homme étrange à porte Nord-Est, un étranger, blond, des lunettes, deux mèches encadrant son visage et une tenue d'homme d'affaires. Il se dit en être un, mais sa prochaine destination m'interroge, laissa-t-il en suspend.
> Eh bien dites donc, répondit une voix lourde.
> Il dit se rendre à la Péninsule des Tigres.. mais j'ai l'impression que c'est avant tout pour la proximité avec le Fort-Levant qu'il s'y rend, mon instinct me dit que quelque chose cloche..
> Connaître autrui n'est que science ; se connaître soi-même, c'est intelligence, récita la voix avec sagesse. Si votre instinct vous crie ces mots, alors regroupez un "Go", suivez-le et découvrez ce qu'il manigance, je vous fait relever de la garde.
> Oui capitaine, nous y allons de ce pas, fit l'homme qui avait rameuté à lui ses collègues. Il rassembla les quatre gardes et forma ainsi un "Go", une formation de cinq dans le jargon militaire local. Aussi, ils prirent le soin de laisser à Wolt une certaine avance, afin qu'il ne les repères pas.
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L'agent du Gouvernement Mondial héla l'un des nombreux cochets, se positionnant à la sortie de la ville pour proposer leur service de transport. Propre aux coutumes locales, les déplacements ne se faisaient presque exclusivement que grâce aux éléphants. Cela rajoutait un côté très typique et traditionnel à l'île qui, au fur et à mesure de son ouverture au tourisme se verrait inévitablement grignoté. C'était le cas partout, le monde s'uniformisait, lentement mais sûrement. 
Le plus prompt à réagir fut un homme d'une trentaine d'années, il était normalement constitué, seule sa chevelure blonde le distinguait réellement de la foule. Le visage enthousiaste, une fine barbe qu'il taillait comme une pointe à son menton, il portait des vêtements de bonne facture, mais leur état trahissait un paraître masquant la misère. L'agent ne s'y trompait pas, l'homme n'était pas très argenté et travaillait visiblement dur pour le reste de sa famille. Paraissant agréable, l'ex-bureaucrate accepta de prendre la route avec lui, grimpant aux cordages pour se hisser sur le promontoire d'étoffes trônant sur le dos de l'animal. Un léger coup de bambou plus tard, ils partaient enfin, en direction de la Plaine des Tigres.

Là-bas, Wolt avait identifié une ville qui l'intéressait, elle se nommait Huongzi et comptait pas moins de cent mille habitants, c'était le chef-lieu de cette région de l'île. Stratégiquement située non loin du célèbre Fort-Levant, elle permettrait de faire sortir du territoire les futurs esclaves assez rapidement, car il n'y avait qu'une demi-journée de trajet jusqu'à la brèche dans la muraille. Une position salutaire, qui permettrait alors à l'agent d'installer le réseau clandestin, pour lequel il avait été missionné. Pour autant, cela n'en faisait pas une mission pliée d'avance. Déjà, le trajet jusqu'à Huongzi serait long, le forçant à traverser presque la moitié de l'île. Alors, pour tuer le temps, il décida de faire connaissances avec cet homme qui l'y conduisait.

> Dites-moi, fit-il assez fort pour interpeller le cochet, comment vous appelez-vous ?
> Je suis Kan Ki, cochet itinérant cher monsieur, répondit-il avec sympathie.
> Enchanté Kan Ki, moi je suis Wahr N. Buffete, je suis ici pour affaires. Le métier de cochet paye-t-il bien ?
> Egalement, a vrai dire ce n'est pas incroyable, loin s'en faut, je parviens à peine à subvenir aux besoins des miens, mais c'est déjà ça, n'est-ce pas ? Disait-il avait la bonhommie de ceux qui n'ont rien.
> Vous avez une famille nombreuse ? J'ai moi-même femme et enfants, j'ai longtemps su combien les fins de mois pouvaient être dures... mentit Wolt, dont le passé familial était infiniment plus désastreux que cela. 
> Oh oui, on a eu cinq enfants avec ma femme, je dois donc travailler très dur, heureusement que j'ai ma belle Maï, dit-il en caressant affectueusement le crâne de l'éléphante qu'il montait.
> J'ai remarqué que généralement ce sont des femelles qui sont montées, pourquoi pas de mâles ? 
> Ceux-ci sont trop imprévisibles, d'autant plus lorsqu'ils sont en période de rut, ils deviennent incontrôlables et violents, du coup, on a depuis longtemps arrêté d'essayer de les dompter et on se concentre sur les femelles, bien plus dociles.
> Je vois, c'est très intéressant, fit l'agent, qui à vrai dire s'en fichait pas mal. Globalement, ça vous permet de tirer combien par mois, d'être cochet ? 
> Veuillez m'excuser, mais ici il n'est pas dans nos mœurs de parler d'argent aussi librement, botta-t-il en touche.
> Excusez mon impolitesse, j'essaie de comprendre un peu les coutumes de votre beau pays, mais je ne suis pas au fait de toutes les subtilités. De là où je viens, l'argent n'est pas réellement  un tabou, je ne dis pas que c'est mieux, c'est simplement une autre façon de voir les choses, philosopha le natif de Poiscaille.
> Il n'y a pas de mal, disons que le principe de "face" nous incite à cultiver l'humilité, pour ne pas mettre autrui dans l'embarras ou le faire se sentir inférieur, c'est pour cela qu'on ne parle pas d'argent.
> J'avais déjà perçu certains pans de ce concept depuis mon arrivée, mais c'est vrai que pour nous étrangers, cela peut paraître un peu complexe. Enfin, je ne vous embarrasserez pas plus, se ravisa Wolt. Combien de temps pensez-vous que l'on mettra pour se rendre jusqu'à Huongzi ? 
> En moyenne, on met trois jours pour l'atteindre, mais je suis prudent alors j'annonce en général une demi-journée supplémentaire.
> La surprise est plus belle si c'est moins que plus, vous avez bien raison d'agir ainsi, loua Wolt qui cultivait de plus en plus d'intérêt pour son interlocuteur. A vrai dire, il lui fallait s'attacher les services d'un natif, pour mener à bien ses plans. Peut-être que Kan Ki était l'homme qu'il lui fallait. L'agent décelait en lui de nombreuses qualités qui en ferait un intermédiaire de choix, quoiqu'il était encore trop tôt pour statuer à ce sujet.

Ils passèrent la journée à discuter, de tout et de rien. Kan Ki transmettait à son client les us et coutumes de son pays, tandis que Wolt le trompait. Le terreau de ses futures machinations était de plus en plus fertile, il le sentait. Pourtant, il ne se précipitait pas, car c'était là l'erreur classique des débutants. Lorsqu'il avait fait ses gammes comme agent en formation, on lui avait longuement rabâché cette maxime : tout arrive à point, à qui sait attendre.
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Du côté du "Go" poursuivant Wolt


Le soldat, chef d'une équipe de quatre personne se prénommait Yuan, son nom était sans gloire. Issu d'une lignée d'agriculteurs, il s'efforçait de gravir les échelons pour apporter la lumière sur sa famille. C'était son devoir et il s'en acquittait avec ferveur. Rentré moins d'un an auparavant dans la garde impériale, il s'était rapidement fait remarqué par son adaptabilité, le cœur qu'il m'était à l'ouvrage et ses compétences de meneur d'homme. Si bien qu'il devint chef d'un "Go" en moins de six mois, performance plus qu'honorable et pas loin des records de précocité. Le trentenaire était l'un des jeunes les plus prometteurs de sa génération, en témoignant là encore sa méfiance envers Wolt. D'aucun l'aurait laissé passer, ses papiers étant en règles, mais lui faisait toute confiance en son instinct et il était plus aiguisé comme celui d'un loup. Accompagné de ses hommes, il pris la suite de l'agent gouvernemental, choisissant une filature à pieds. L'éléphant n'étant pas un animal rapide, ils n'avaient pas besoins de chevaux pour les suivre et préféraient de loin la discrétion que cela leur offrait. Ainsi, ils le pistaient, tout en s'assurant de toujours être hors de portée de vue. Les troupes de Kanokuni n'étaient pas spécialement connues pour leur expérience de ce genre de mission, mais sous la direction de Yuan, ils paraissaient être de véritables troupes d'élites. 
Voyageant à pieds, ils parvinrent à suivre le pachyderme au pris d'une longue marche harassante, laquelle se termina dans les environs du célèbre Temple Xiao. Ils virent leur cible s'y inviter, accompagné du cochet, demandant l'hospitalité pour la nuit. La bonté des moines ne se fit pas attendre et ils les invitèrent pour la nuit, leur offrant le gite et le couvert. Les soldats, eux, bivouaquèrent non loin, tout en assurant un tour de garde pour surveiller les mouvements éventuels du suspect. A couverts, ils passèrent une nuit exécrable qu'une ration militaire vint plomber par son austérité. Si bien qu'au matin, ils s'impatientaient de ne pas voir l'espion s'en aller.  Yuan pris alors le temps, de faire un rapport à sa hiérarchie, les informant de la direction prise ainsi que des faits et gestes du fugitif. Finalement, ce ne fut qu'aux alentours de dix heures, qu'ils aperçurent l'étranger sortir du temple, accompagné de son cochet. Tous deux montèrent de concert sur l'éléphante qui enclencha la marche, suivi par quelques moines les saluant gracieusement. Ainsi, il reprirent leur filature en faisant gare à ne pas se faire repérer.


Au même moment à Marijoa


Constamment en déplacement, l'illustre directeur du Cipher Pol Deux posait le pied sur la terre des Dieux. Il foulait le marbre à grandes enjambées, faisant fi des dorures, sculptures et richesses démentielles qu'il croisait. A vrai dire, il les avait déjà vu des centaines de fois. Il arpenta les couloirs jusqu'à rejoindre un salon, situé dans une aile d'un vaste manoir immaculé. Plusieurs sofas étaient disposés en cercle, permettant ainsi de recevoir une vingtaine de personnes au moins. Assise, Glawdys savourait un thé d'exception, importé directement de Kanokuni, comme un pied de nez aux événements actuels. Devant elle, une seconde tasse attendait, une discrète fumée s'en échappait, indiquant qu'elle venait d'être servit.

> Mon cher Stemper, comment allez-vous ? Dit-elle sans se lever, en lui indiquant de s'assoir. 
> Fort pressé, mes obligations m'empêchent de me la couler douce vous savez, puis l'air marijoan ne me sied guère, soupira-t-il en prenant place face à Glawdys. Et vous, Finnegan ?
> Au moins ça vous tient encore un peu frais, plaisanta-t-elle. Je dirais plutôt bien, quoi qu'un regard un peu trop insistant pèse sur mes épaules, reprit-elle, sachant que son interlocuteur en déduirait le sens derrière cette métaphore.
> Il y a de ces regards aussi lourd que des montagnes et tranchants comme des sabres, mais la situation est sous contrôle. Mon agent est sur place, l'entrée sur le territoire s'est faite sans heurts a confirmé le passeur du CP6, maintenant, c'est une entreprise qui demande un tant soit peu de préparation. Je compte sur une prise de contact d'ici quelques jours, il en était convenu ainsi.
> Je vois, c'est très bien. J'ai eu l'avis du Gouverneur d'Hinu Town, il me dit que c'est un homme de confiance ce qui m'en voit ravi. Par contre, j'ai mené mes propres recherches et j'ai découvert le pot aux roses, chercheriez-vous à me faire virer ? Dit-elle cinglante, son regard était désormais celui de la tueuse qu'elle savait être.
> C'est à dire ?
> Pas de ça avec moi Stemper, haussa-t-elle le ton. Vous avez envoyé un agent IIIème Catégorie, pour une mission d'une telle importance ? La dangerosité s'entendait à travers sa voix. Êtes-vous complètement dénué de raison ?
> Ma chère Finnegan, si j'ai envoyé cet agent, c'est bien parce que, d'après moi, ses dispositions sont parfaites pour cette mission.
> D'après vous ? Marmonna-t-elle en pestant.
> Oui très juste, je ne permet aucunement que vous remettiez en cause mon jugement, ni même mes décisions, s'emporta Henry dont l'égo était piqué. Lui aussi dévoila des intentions hostiles, les gardes qui assistaient à la scène entre les deux directeurs de Pol en eurent le sang glacé. Vous m'avez délégué cette mission, elle ne vous appartient plus alors laissez-moi faire, tonna-t-il d'une voix grave.
> Que je vous ai délégué ? Il s'agit de votre domaine d'intervention et c'est bien ma tête qui sert de bouc-émissaire en cas d'échec, je vous conseille de vous assurer de la réussite de cette mission, laissa-t-elle en suspend, comme une épée de Damoclès.
> Des menaces ? Vous me décevez Finnegan, j'espérais plus de classe venant de vous, la tacla l'explorateur. A vrai dire, n'importe qui aurait agit comme elle, au vu des révélations concernant le rang de l'agent Wolt, mais le directeur du CP2 ne pouvait pas dévoiler ses propres doutes, il répondait ainsi par fierté.
> Vous me parlez de classe ? Vous n'avez pas même l'audace de vous présenter à moi sous votre vraie identité, monsieur Kirkin, glissa-t-elle, lui dévoilant qu'elle en savait bien plus qu'elle n'en montrait. Voilà qui est bien triste venant d'un explorateur de renom.
> Je n'ai visiblement rien à vous dévoiler, votre réseau à fait le nécessaire. Justement, mes obligations font que je dois vous fausser compagnie, s'esquiva-t-il abruptement. Les rides de son front trahissaient sa contrariété. Je vous souhaite une agréable journée ma chère Finnegan, conclu-t-il d'une révérence avant de s'en aller, sans attendre la moindre réponse.


Dernière édition par Wolt Hender le Dim 23 Juin 2024 - 19:28, édité 1 fois
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Le matin du troisième jour du voyage


Le pachyderme avançait lentement mais sûrement, dans une majesté que Wolt ne soupçonnait pas à un tel animal. Depuis le départ de la capitale, il avait noué des liens bien plus amicaux avec son cochet, que que jusqu'à présent il n'avait pas encore su briser les dernières barrières de la proximité. Au fil de ce voyage, ils avaient piqués vers la Forêt Noire, à l'est du Temple Xiao, puis étaient remontés vers le Nord-Est en direction du Fort-Levant. A cet instant, il n'en étaient pas très loin, l'observant de loin depuis la route qu'ils arpentaient. Les deux hommes avaient discutés de leur vie respectives, l'agent du gouvernement connaissait désormais les noms de chacun des enfants de Kan Ki et lui continuait à lui mentir sans le moindre remord. Le soleil était encore doux, ses rayons n'agressaient pas encore l'épiderme de leur ardeur. La route de terre n'étaient pas pavée, mais restait malgré tout bien tracée, ce qui leur permettaient de ne pas s'égarer. L'objectif était de dépasser le domaine des Chinjao, pour entrer dans la région de la Plaine des Tigres. Soudain, un cliquetis de fusil se fit entendre et une balle fut tirée. La détonation surpris les deux voyageurs, Maï s'arrêta terrorisée, maîtrisée non sans difficultés par le cochet. Trois hommes déboulèrent alors de derrière un bosquet,  fusils et sabres en mains. 
Ils tinrent en joue Kan Ki, qui leva une main, gardant l'autre sur la longe qui lui servait à diriger son destrier. Wolt en fit de même, restant parfaitement calme et observant les brigands. 
L'un d'eux, un natif visiblement, possédait une chaîne d'or et une dent du même métal, son sabre était celui d'un pirate mais ses vêtements étaient similaires à ceux des locaux. Il en déduisit alors qu'il n'était qu'un malfrat d'ici, cherchant à leur extorquer leurs biens. 

> Donnez-nous tout ce que vous avez, vociféra l'homme. 
> J'ai quelques berrys, dit aussitôt Kan Ki, j'ai des enfants, je veux rentrer vivant auprès d'eux.
> Alors fait ce que je dis, toi aussi l'étranger, reprit l'homme alors que le sous-fifre au fusil mit Wolt en joue. 
> Voici mon argent, indiqua l'agent en désignant sa mallette de la tête.
> Ouvre moi ça, dit le chef des brigands à son autre acolyte. L'homme s'exécuta et découvrit qu'à l'intérieur, des centaines de billets annonçaient une journée fructueuse. 
> Regardez chef, c'est un sacré morceau.
> Pas mal, j'ai eu du flair ! Bon, descendez de l'éléphant, on le prend aussi, dévoila-t-il.
> Quoi ? Non ce n'est pas question, il ne s'agit pas d'un bien, c'est mon animal, un membre de ma famille, protesta Kan Ki. L'homme au fusil tira une balle qui ne passa pas loin du visage du cochet, dont le souffle fut coupé. 
> Tes gosses vont grandir sans père si tu ne m'écoutes pas, c'est pas ce que tu veux, si ? Alors descend ! Ordonna-t-il fermement. Kan Kis'exécuta, comme résigné. L'agent Wolt en fit de même, cherchant le moment opportun pour agir. Il ne voulait pas dévoiler ses compétences trop tôt et compris que c'était l'occasion rêvée pour lui, de se faire un allié de choix.
> Tout va bien se passer Kan Ki, pensez à votre famille, tenta de le rassurer l'espion sous couverture.
> Allez, embarquez-moi l'éléphant, reprit le bandit.

Alors que le sbire au sabre commença à avancer vers Maï, Kan Ki se mua en bête féroce. Il sauta à gorge du chef et lui envoya un coup de poing au visage, le projetant au sol, avant de s'en retourner pour rattraper l'homme au sabre qu'il combattit avec ses poings. Il se battait comme un forcené, avec la rage de ceux qui défendent plus que leur vie. 

> Tue-le, hurla le chef des brigands.

Le tireur ajusta la mire et appuya sur la détente. La balle sortit en trombe du canon de l'arme, prête à ôter la vie du père de famille, quand elle fut arrêtée en plein vole par une protection de chair et d'os. Wolt s'était interposé, essuyant le tir pour protéger le cochet. La balle s'était logée dans son épaule, lui causant une blessure plutôt bénigne quoique sanguinolente. Il fondit sur le tireur, agrippant son arme de la main gauche et la décalant plus encore dans cette direction. Son shigan transperça le cou de son opposant, qui se vida de son sang alors qu'il le repoussa d'un coup de pied. Puis, il sauta sur le chef, lui assénant une pluie de coups de poings qu'il ne pu esquiver, car il était encore sur le dos. Au début, il tentait de se débattre, cherchait à bloquer les coups, mais rapidement il perdit conscience sous l'impact de ceux-ci et ne fut plus qu'un pauvre ballot de paille, cogné encore et encore. De son côté, Kan Ki pu désarmer son opposant, qui s'enfuit en courant face à une défaite cuisante. Alors, le cochet accouru jusqu'à son client et l'aida à se relever.

> Merci... merci infiniment, comment va votre épaule ? S'inquiéta le cochet, cherchant à soigner la blessure en la compressant avec un morceau de tissu.
> Ne vous inquiétez pas, c'est superficiel, le rassura Wolt, qui accepta malgré tout le bandage de fortune. Vos enfants vous verront à nouveau, n'est-ce pas là l'essentiel ? 
> Si... mais merci, c'est formidable ce que vous avez fait... mais vous n'auriez pas dû, cette balle m'était destinée. 
> Pas tant que ça, sinon je n'aurais pas réussi à m'interposer, glissa modestement l'agent.
> Je vous en suis infiniment reconnaissant, sachez que la dette que j'ai envers vous sera honorée, s'empressa de dire Kan Ki, pour qui les traditions étaient très importantes. Ici, un serment ou une dette de sang ne se prennent pas à la légère et je m'en acquitterez, croyez moi.
> Je vous crois, fit Wolt en riant. Pourrions-nous reprendre notre route ? 
> Vous devriez faire voir votre blessure...
> Mais non, partons de cet endroit malfamé et rejoignons Huongzi au plus vite, je verrais un médecin là-bas.
> Bon, si vous insistez, n'oubliez pas de récupérer votre mallette, lui indiqua Kan Ki.
> Bonne idée, je n'y pensais plus, merci encore, vous avez été incroyablement courageux en vous opposant à eux, lui fit remarquer Wolt alors qu'il reprenait place sur le promontoire douillet. 
> Cette activité, c'est ce qui fait vivre ma famille, je ne voulais pas leur laisser la possibilité de tout réduire à néant, jusqu'à conduire les miens à la famine, j'ai pas vraiment réfléchi...
> Vous avez fait preuve d'un courage hors-norme, je reconnais en vous un père de famille, j'aurais fait n'importe quoi, même les choses les plus folles pour protéger mes enfants. Ce dernier mensonge laissa un goût amer à Wolt, qui avait abandonné sa famille suite à sa tromperie, avant de sombrer dans l'alcoolisme. Depuis, il n'avait jamais revu les siens, car sa femme et sa fille étaient mortes d'une épidémie avant qu'il ne revienne. Un léger dégoût envahi son gosier et son cœur. Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus ressentit cela.


Dernière édition par Wolt Hender le Ven 21 Juin 2024 - 17:40, édité 2 fois
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La fin du trajet jusqu'à Huongzi fut quelque peu éprouvant, car les deux voyageurs n'étaient pas au mieux. Kan Ki, subissait la redescente d'adrénaline, liée à leur agression, de plein fouet. Or, pour quelqu'un n'ayant pas l'habitude d'être confronté à de pareils événements ce n'était pas simple à gérer. Il était en sur-vigilance, tout en étant exténué à la fois. Son cerveau travaillait sans relâche, se repassant chaque scène des centaines de fois. Il cogitait aussi beaucoup à la situation de son sauveur qui, lui, était blessé. Dans la société kanokunienne, l'honneur et la fierté étaient des piliers de la vie d'un individu, plus encore d'un homme. Ces valeurs traditionnelles le liaient désormais à l'étranger, par une dette, de celles qui ne s'effacent pas. Aussi, ses pensées se tournaient vers ses enfants, qu'il avait cru ne plus jamais revoir. Pour ceux qui n'étaient pas bien nés, la vie pouvait ne tenir qu'à un fil. Une tragédie, un accident, une maladie et tout pouvait s'écrouler pour une famille. Après cela, que seraient-ils advenus des siens, des mendiants, des servants ? Il chassa ces idées sombres, se raccrochant à l'instant présent. Il sentait le soleil dans ses cheveux, le vent s'engouffrant dans ses poumons et le touché rugueux de la peau de Maï sous ses mollets. Il la câlina affectueusement, tout en gardant le cap. La ville n'était plus très loin.

> Monsieur Buffete ? Appela-t-il à l'aveugle.
> Ou... oui ? Répondit Wolt tant bien que mal. Il avait légèrement sous-estimé la blessure, qui saignait assez abondamment pour le rendre complètement groggy.
> Vous n'allez pas bien ? On arrive d'ici quinze ou vingt minutes, tenez le coup, s'inquiéta Kan Ki qui pressa le pas de son éléphante.

Ils arrivèrent enfin au chef-lieu de la Plaine des Tigres, cette vaste terre située au Nord-Est de l'île indépendante. La cité était bien moins impressionnante que Chang Hyai, mais semblait être bien plus étendue. Ici, ce n'était pas l'aristocratie qui séjournait, ni de riches marchands, mais justement les classes moyennes et basses de la société. Les rues étaient plus étroites et n'étaient, pour la plus part, pas pavées. Les étales des marchands s'imbriquaient les uns dans les autres, dans un bazar indescriptible. Certains d'ailleurs, auraient mérités d'être fermés par les autorités de l'île, tant ils faisaient courir un risque sanitaire à leurs clients. En province, la garde impériale était bien moins nombreuse, ses forces s'étant d'ailleurs étiolées avec le récent changement de régime. Ainsi, loin d'être une zone de non-droit, Huongzi restait un zone où il fallait rester prudent. Misère et instabilité politique ne faisaient jamais bon ménage.

Blême, Wolt fut mené jusqu'à un médecin de quartier, qui fut adressé à Kan Ki lorsqu'il se renseigna auprès des passants. Le tissu qui lui serrait le bras était imbibé d'un sang poisseux, en train de coaguler. L'homme reçu l'étranger blessé, quoique sur la réserve, et s'occupa de lui. Il le garda quelques heures, le temps de lui faire reprendre des forces avec une décoction de son secret, retirer le morceau de balle qui restait dans son épaule et de le recoudre proprement. L'agent gouvernemental fut bien vite remis sur pieds, quoi que légèrement affaibli. Devant l'officine, Kan Ki s'apprêtait à remonter sur sa fidèle Maï, lorsqu'il fut arrêté par une main posée sur son épaule. Il se retourna aussitôt, découvrant l'espion, qui lui souriait.

> Kan Ki, je vous remercie infiniment de m'avoir emmené jusqu'ici...
> C'est moi, regardez dans quel état vous êtes, que puis-je faire pour vous ?
> Il faut que je vous le dise, comme vous le savez, je suis dans les affaires... Or, si je suis venu jusqu'ici c'est dans un but mercantile.
> Je n'en doute pas, mais vous semblez grave, est-ce que vous allez bien ?
> Oui, ne vous inquiétez pas, j'ai à vrai dire une proposition à vous faire. Je possède une mine de cristaux sur North Blue, une affaire très lucrative, mais qui requiert une main d'œuvre à la fois nombreuse et de qualité. Lors de mon séjour dans ce pays, j'ai pu observer les locaux et vous, kanokuniens êtes des gens à qui le labeur ne fait pas peur, constatait-il pour enorgueillir son interlocuteur, qui hocha la tête en guise d'approbation. Bien que vous m'ayez longuement parlé de vos coutumes et traditions, je crains que cela reste trop superficiel pour commerce intelligemment ici. Je souhaiterais donc faire de vous mon bras droit, le directeur de mes affaires sur Kanokuni, annonça-t-il avec sympathie et une once de solennité dans la voix. Embarrassé, Kan Ki n'en revenait pas. Il ne savait quoi répondre, complètement paralysé par le concept de "face" propre à son peuple.
> Je.. Heu..
> Attendez, je ne vous presse pas, mais je pense que cela pourrait nous être bénéfique à tous les deux. J'ai besoin de quelqu'un pour faire le pont et recruter ceux qui iront travailler dans mes mines. Un œil expert, quelqu'un qui sache déceler les bons travailleurs des mauvaises graines, car je dirige une société respectable. Vous, vous connaissez les gens, vous êtes à leur contact tous les jours et je vous ai vu, vous êtes un homme fiable. Aussi, je vous paierais bien plus que les courses de Maï ne pourraient le faire, non pas que je veux vous la faire abandonner, mais justement votre pain et celui de vos enfants ne reposeraient plus sur son échine. N'est-ce pas ce que vous cherchez ? Mettre les vôtres à l'abri du besoin ?
> Si si... bien sûr... mais... je ne peux pas arrêter comme ça, hésitait-il.
> Et pourquoi donc ? Chez moi, on dit que lorsqu'une opportunité se présente, il faut la saisir, tentait de le rassurer Wolt. Le but est simple, trouver des volontaires, sélectionner les meilleurs et les emmener jusqu'à un navire que j'affréterais personnellement, rien de plus, rien de moins que cela.
> Mais... ici ? Ces gens, pourquoi iraient-ils travailler loin de chez eux, s'inquiétait Kan Ki.
> Tout simplement pour l'appât du gain. Le concept des 36 mois vous parlent ?
> Pas du tout hélas...
> Alors laissez-moi vous l'expliquer, lorsque nous recrutons un travailleur, il n'est pas payé, c'est directement sa famille qui l'est. Lui, reste sur l'exploitation, y dort et y mange chaque jour pendant 36 mois. Une fois ce délai écoulé, il peut repartir en bénéficiant d'une solide rente, indexé sur le profit réalisé par la société. Cela permet aux travailleurs de ne passer que 3 ans à trimer, avant de couler des jours plus tranquilles et heureux par la suite. Cela permet aussi un meilleur niveau de vie à leur famille, c'est gagnant pour tout le monde. L'offre était alléchante, mais Kan Ki était prudent de nature. Je vois que vous êtes réticent, je comprend, c'est peut-être abrupt et je m'en excuse. Mais j'ai besoin de confiance et après ce que nous venons de vivre, je sais que vous êtes quelqu'un sur qui je peux compter, reprit Wolt en posant à nouveau sa main sur l'épaule du cochet.
> Je ne sais pas quoi vous répondre... je ne m'y attendais pas... répondit Kan Ki toujours hébété.
> Je vous propose quelque chose, allez retrouver vos enfants, ils méritent de voir leur père. Discutez de cette offre à votre femme, réfléchissez-y. Si vous êtes partant, je vous attends ici même dans 10 jours. Voici ce que je pourrais vous payer, glissa-t-il en sortant un papier depuis l'intérieur de sa veste, sur lequel était écrit un montant qui fit douter Kan Ki. Je ne veux pas plus vous importuner, les vôtres vous réclament. Si d'aventure nous ne nous revoyons pas, sachez que je vois en vous un homme bien, comme on en fait plus, merci pour tout et oubliez cette histoire de dette, je vous l'efface pour qu'elle ne pèse pas dans la balance, pensez simplement à votre bonheur.

Wolt allait s'abaisser pour saluer le cochet selon les coutumes locales, mais Kan Ki le devança et lui serra la main chaudement. Son œil gauche brillait. Il venait de s'affranchir de ses traditions, pour embrasser celles de l'étranger. Il avait cent chose à lui dire, mais il s'abstint. D'un coup de bambou, il repris la direction de la Cité Rouge, son village se trouvant non loin de la Capitale.

Ainsi commença le décompte de dix jours pour Wolt.
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