Vous ne passerez pas !

Mais Aedric n’eut aucune réaction. Fronçant les sourcils, le regard d’Ada se faisait plus intense sur son collègue, augmentant la pression de la scène. Pourtant, le jeune garçon se contentait de continuer de manger tranquillement. L’avait-on encore collé avec un peureux ? C’était bien décevant. Soit, alors elle agirait d’elle-même.

- “Bah alors, on vous a coupé la langue à votre procès ?”

L’homme posait ses deux mains sur la table, se penchant en avant entre les deux agents. Il tournait la tête pour regarder l’un, puis l’autre des infiltrés, avec un regard provocateur. Lorsqu’il tourna les yeux vers Ada, cette dernière lui colla un coup de paume dans le menton. Ses dents claquèrent sous le choc et le prisonnier fit deux pas en arrière. Ada attrapa avec hâte le plateau d’Aedric pour venir frapper un des genoux de son adversaire avec, le faisant chuter au sol. Et lorsque la tête descendait, Ada en profita pour lui coller un second coup avec le plateau, écrasant son instrument sur le visage de sa cible et provoquant un crac sonore qui finit de faire tourner les derniers regards vers eux.

Complètement sonné, le nez cassé, le prisonnier venait s’étaler de tout son long sur le sol alors que les marines répartis aux quatre coins de la pièce rappliqués rapidement pour dissiper la foule qui s'amassait autour des deux nouveaux prisonniers. L’agent Viper avait fini par se rassoir, finissant son repas sans rien rajouter à cet acte de pure violence. Après tout, elle cherchait en premier lieu à se faire respecter. Pas à se faire des amis.

De leur matraques noirs, les marines venaient repousser les prisonniers pour atteindre la responsable de ce brouhaha. Un brouhaha autant composé d'acclamation que d’incompréhension.

- “Si tu penses que c’est comme cela que ça se passe ici !” Criais un des gardes avant de dresser le bras pour venir frapper Ada avec son “outil de travail”. D’un geste de recul, l’agent l’évita, laissant la table amortir le coup. Dans un regard noir, le marine ajoutait alors : “La nouvelle, à l’isolement !”

Et rapidement, d’autres gardes s’étaient activer de venir plaquer la Kindachi sur son repas pour lui passer les menottes et la redresser de force en la guidant vers la sortie du réfectoire. Cependant, continuant d’observer les lieux, le regard d’Ada se posa tout de même sur une tablé de criminel qui n’avait pas bougé et dont un des hommes attirait son attention. Les yeux bandés, sa tête suivait tout de même le trajet de l’agent vers la sortie et un large sourire se dessinait sur son visage. Elle avait réussi à attirer l’attention d’une des cibles.

Elle tourna la tête de l’autre côté pour voir un visage familier, elle sourit alors à cette collègue qui se retrouvait, étrangement, encore au milieu de ses missions. Puis elle fut poussée par des mains impatientes hors de la pièce. Tout droit pour l’isolement.

Plusieurs minutes qui se transformaient rapidement en plusieurs heures. Ada attendait, assise en tailleur dans sa pièce sombre. Sur les murs, de nombreux dessins gravés à même la pierre, sûrement par les doigts de désespérés passés avant elle. Mais elle, elle ne réagissait pas. Elle attendait, patiemment, les yeux fermés. Elle s'accordait un temps de réflexion, de méditation. Devant elle, la porte en acier trempée ne semblait pas vouloir bouger alors qu’elle entendait distinctement celles environnantes se refermer sur les complaintes d’autres prisonniers. Aucune fenêtre et une lumière minimum qui se résumait aux faisceaux lumineux glissants sous la porte. Ada était plongée dans un repos profond sans pour autant baisser sa garde. Elle ne souhaitait pas gaspiller son énergie inutilement alors qu’elle ne pouvait rien faire qui ne mettrait pas en péril sa mission, autre que de patienter.

Puis la porte en métal s’ouvrit dans un grincement métallique. Un garde vint faire claquer sa matraque contre les parois rocheuses en hurlant :

- "Allez la dormeuse, on se bouge. L'isolement c'est fini !"

Il attrapa le bras de l'Agent qui se laissait relever brusquement, ouvrant les yeux et émergeant de ce moment de repos et de réflexion. Menottée, elle était alors trainée jusqu'à sa cellule dans les murmures des prisonniers s'interrogeant toujours sur son compte derrière les barreaux de leur propre cage. Tirant la grille pour la laisser entrer et retirant les menottes d'Ada, le garde se contentait d'ajouter :

- "Ah et, t'as une nouvelle copine. Bon courage avec elle."

Comme si cette nouvelle camarade de cellule était une des pires de la prison. Et cela, Ada ne pouvait pas jauger. Elle ne la connaissait pas en tant que prisonnière, seulement en tant qu'Agent du Cipher Pol 3.

- "Alors, où est mon collègue et qu'est-ce qui t'envoie ici ?"

Ada s'était assurée qu'aucune présence indiscrète ne vienne laisser trainer ses oreilles avant d'interroger sa collègue d'un ton bas. Elle ne savait pas vraiment à quoi s'attendre, mais au vu de la passivité d'Aedric, elle trouvait pas plus mal de le remplacer par quelqu'un qu'elle savait bien plus compétent. D'ailleurs, elle se demandait bien si son absence était un fait du Cipher Pol qui l'avait rappelé, craignant pour son inexpérience, ou une mise à l'écart des matons de la prison sous pression de l'albinos ? Surement qu'elle aurait une réponse plus tard et si elle ne recroisait jamais l'agent qui l'avait accompagné à l'origine, elle se douterait de son triste sort. Qu'il soit infligé par la prison, ou par le CP directement. Après tout, personne n'a besoin d'incompétent.

Ada restait méfiante. Non pas qu’elle n’avait pas confiance en l’agent en face d’elle. Elle n’avait simplement confiance en personne. Mais elle ne pouvait pas contredire l’efficacité de l’abinos en mission jusqu’ici alors elle écoutait avec attention le récit de la femme. Puis lorsque cette dernière eu fini, Ada se rapprochait de la triste fenêtre au barreau de métal pour se dresser et essayer d’observer la vue qu’elles avaient de leur cellule.

- “Tu as bien fait d’écarter Aedric. Il n’aurait été qu’un poid mort à balader.”

Le travail d’équipe, ce n’était pas vraiment son truc à la Kindachi et pourtant, ses coordinateurs s’obstinaient à vouloir lui coller des jeunes agents à encadrer et à traîner en mission. Alors elle se voyait heureuse de se faire retirer ce boulet au pied. Elle pourrait agir bien plus efficacement ainsi.

- “Je cherche un prénommé Ethan. Et sa complice, une certaine Erina. Mais je ne suis arrivée que ce matin, je n’ai pas encore une vue d'ensemble de l’endroit.”

L’agent scrutait l’extérieur alors qu’elle terminait ses quelques mots. Sa cellule donnait sur la cour, et malgré la hauteur de la fenêtre, elle arrivait à distinguer les quelques constructions auxquelles avaient accès les prisonniers. Un terrain de basket avec un unique panier penché, quelques barres métalliques et poids de musculation dans un coin du grillage et plus loin, deux, trois tables de bois dont une complètement fracassée. La violence semblait être classique dans l’établissement, mais les gardes étaient bien équipés pour se défendre. Et comme l’endroit n'accueillait jamais de possesseur de Fruit du Démon, l’autorité locale ne semblait pas inquiète. Une chance pour l’agent du Cipher Pol 5.

- “La mission aurait dû être confiée à un agent du Cipher Pol 3 d’ordinaire, mais il y a une variable que nos supérieurs ont préféré nous confier.” Ajoutait Ada en tournant alors la tête vers la blanche. “Une certaine Riku Shinjaya, Capitaine pirate des deux prisonniers que je cherche et aussi, traître au gouvernement mondiale. Une de plus …”

Dans un long soupire, Ada se rendit compte qu’elle avait passé un nombre impressionnant de missions à chasser les traîtres du gouvernement mondial. Qu’ils soient du Cipher Pol, de la Marine ou parmi les corsaires. Lorsqu’il s’agissait d’ennemis ayant franchi la barrière pour goûter l’herbe du voisin, c’était bien souvent le Cipher Pol 5 qu’on envoyait. Un pôle permissif et modulable qui évitait aux coordinateurs de trop réfléchir à l’origine du traître en question. Après quelques secondes de silence, l’agent Viper reprit :

- “Une évasion est en prévision et Riku doit venir chercher ses hommes d’ici peu. Il me faut intégrer leur groupe pour mener à l'échec leur tentative de fuite. Et au mieux, capturer la traîtresse.”

Un situation idéale pour l’agent qu’elle visait en première intention. Car ceux qui n’essayait pas d’obtenir le meilleur résultat dès le début méritaient-ils de se faire appeler Agent du Cipher Pol ?

- “Ton aide est la bienvenue. Surtout si tu as des informations sur le fonctionnement de leur groupe.”

- “Sans le vouloir …”

Ada n’était pas tout à fait d’accord. Car fracasser du gros lourdeaux faisaient partie de sa stratégie pour attirer l’attention d’Ethan. Il ne fallait pas longtemps pour comprendre que, dans une prison de criminel, c’était la violence qui régissait plus que la raison. Alors si tu étais plus violent que ton voisin, tu le dominais. Et tous les criminels ne voulaient s’entourer que des plus forts. Le pattern était si simple que même les nourrissons du Cipher Pol pouvaient le comprendre.

- “Reposons-nous et laissons-le nous approcher. Je ne veux pas qu’il se méfie de moi en me montrant trop insistante.”

Et Ada allait se vautrer dans un des lits inconfortables pour fermer les yeux et dormir. Il n’y avait rien de bien compliqué, l'entraînement des agents les avait formés à se reposer dans des endroits les moins pratiques pour forger leur peu d’exigence. En mission, tous n’avaient pas la chance d’avoir un lit ou une auge le soir.

Aux premières lueurs du matin, les matons venaient réveiller tout le monde à grand coup de matraque entre les barreaux et d’insultes profanés. C’était presque cliché. Bien sûr, à peine cinq minutes furent laissées aux prisonniers pour émerger et se débarbouiller dans leur lavabo crasseux avant d’être sorti de leur cellule et rangé en rang de deux, direction le réfectoire. Ada trouvait déjà luxueux qu’ils aient un petit déjeuner mais elle changeait bien vite d’avis devant le pain rassis et le verre d’eau servie.

Le regard de l’Agent Viper parcourait alors l’assemblée avant de se poser sur un groupe d’homme étrangement peu bruyant dans cette marée criminelle. Sur leur table venait se poser une jeune fille souriante et qu’aucun des gros bras ne semblait vouloir chasser bien qu’elle ait poussé l’ensemble des rations par sa présence. Elle s’adressait à jeune homme aux yeux bandés par un linge grisâtre et taché de sang. Sûrement pas du sien.

- “Ce sont eux, n’est-ce pas ?” demandait Ada à l’Agent Danse-Lame qui acquiesça. “Bien, je pense que tu as raison, je l’intrigue.”

Le regard d’Ada aurait croisé celui d’Ethan s’il avait pu voir mais elle savait bien que pour les infirme et les sens développés qu’ils possédaient, c’était tout comme. Alors elle laissait un sourire se dessiner sur son visage en finissant son bout de pain et son verre d’eau.

Et rapidement, le repas se terminait par une sortie dans la cours pour tous les prisonniers.

Le regard d’Ada ne se contentait pas de rester concentré sur Ethan. Régulièrement, elle lâchait des coups d'œil aux brutes environnantes, se craquant les doigts et la nuque comme pour s’échauffer, se tenant prêt pour le départ de leur chef ouvrant le combat. Mais pas de chance pour eux, ce ne serait pas pour aujourd’hui. Sans que la Kindachi ne le demande, Chang’e semblait avoir travaillé efficacement à la réussite de cette mission. Il ne leur avait fallu que deux jours pour attirer l’attention de l’objectif, mais la confiance était-elle complètement acquise ?

- “Et pourquoi on ferait ça ?”

Ada avait prouvé à tous les prisonniers qu’elle était largement capable de se défendre seule. Et par-dessus tout, elle ne voulait pas sauter sur la proposition d’Ethan si rapidement. Non. Il fallait lui laisser penser qu’il avait le pouvoir, le contrôle sur elles. L’égo des hommes était bien souvent leur premier ennemi. Surtout quand ils étaient des criminels, et encore pire, des pirates.

- “Parce que je vous aime bien. Vous en avez dans le froque.”

Une réponse vaseuse, faite pour convaincre les plus idiots d’accepter sans plus s’interroger sur les conditions que cela entraînait. Mais encore une fois, Ada était loin d’être une débutante, et le personnage préconstruit par les agents du Cipher Pol ne l’était pas non plus.

- “Et qu’est-ce que ça nous apporte ?”
- “Vous évitez d’être assassiné dans votre sommeil, empoisonné à la cantine ou tabassez sous les douches. Ma compagnie me semble un prix que vous seriez prête à payer, non ?”

On entrait si rapidement dans les menaces que cela faisait esquisser un sourire à l’Agent Viper. C’était bien tous les mêmes. Mais Ethan avait raison sur un point, Rosa n’était pas prête à risquer sa vie pour simplement suivre les ordres d’un caïd. Et à vrai dire, tout cela l’arrangeait bien. Mais si elle avait endormi la méfiance d’Ethan, elle préférait l'enterrer définitivement.

- “Cela me semble presque trop facile …”
- “Tu as raison !” Répondait Ethan en se relevant tout en dressant un doigt comme si une idée subliminale venait de lui traverser l’esprit. “Vous devez me prouver votre allégeance si vous voulez entrer dans mon groupe.”

Et maintenant qu’il avait proféré ses menaces en cas de refus, il devenait tout de suite bien plus simple d’avancer comme argument que c’était les deux petites nouvelles qui cherchaient à le rejoindre. Cela devait mieux rendre à ses oreilles que lui venant quémander de nouveaux membres.

- “Vous allez me rapporter une caisse de Nouilles déshydratés saveurs Boeufs épicées.”

Et devant le regard d’incompréhension d’Ada, le leader continua sa demande par des explications.

- “C’est vrai que tu es là depuis peu.” Il se rapprochait alors doucement pour parler un peu plus bas. “Ici, toute forme de drogue est de nourriture extérieure est complètement proscrite, en dehors de celle vendu à la cafet’. Et la saveur Boeuf épicé est rapidement devenue indispensable pour les drogués en manque reportant leur addiction sur n’importe quoi d’assez fort pour se sniffer sans discontinuer.”
- “Tu veux que je te fasses tes courses à la cafétéria ?”
- “Si la saveur était présente ici, elle serait dévalisée en un rien de temps et on serait tous complètement accro. Non, c’est une saveur de la rue. Uniquement disponible à l’extérieur.”

Et Ada aurait aimé se frapper le plat de la main sur son front dans un claquement bruyant pour marquer la stupidité de la chose, mais elle devait rester sérieuse devant la situation. Alors elle plissait simplement les yeux, laissant penser qu’elle s'intéressait à ce qui lui paraissait parfaitement idiot. Mais dans ce monde-ci, tout l’était toujours un peu.

*Ding, Ding*

- “Allez les poupoules, on rentre au poulailler ! Et plus vite que ça !”

Le gardien sonnait la cloche pour la fin de cette pause légère et le retour en cellule. Maintenant, elle savait quoi faire pour se faire accepter par l’aveugle et elle ne manquerait pas de demander plus d'information sur comment s’en procurer auprès de l’Agent Danse-Lame. Depuis le temps qu’elle était là, elle avait dû entendre parler de cette drôle d’addiction.