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[FB 1587] B.Boys : a bad band

Une mer sous un ciel bleu et blanc, mais plus blanc que bleu. Au loin, le ciel plus noir que bleu grondait, les mouettes tournaient en rond au-dessus d'un vieux mât cassé, aux voiles déchirées et rongées par le temps, et un gros phoque du sud (une sorte de mammifère quadrupède aux doigts palmés mais pouvant tout de même marcher aussi bien que chat ou chien) beuglait son ennui. Sur une petite barque de bois moisi, cinq enfants voguaient. À la tête, un jeune garçon, cinq ans tout au plus, le bras pointant la grande silhouette du bateau échoué avec son auréole d'oiseaux, criant, émerveillé. Derrière, les jumeaux du barbier — le seul d'Hook Island — prenant à deux l'une des rames, celle de gauche, et avec coup de coudes et autres chamailleries, s'énervaient en ramant ; à droite, 'tit Jo, un enfant un peu solitaire, un peu naïf mais doté d'une grande force — ce pourquoi il ramait seul. Puis, celle qui tenait le gouvernail, Sarah, la fille des Crow, qui, avec un chapeau haut de forme chipé à son oncle sur la tête et une petite cape de tissu usé emprunté à son lit, se prenait pour le capitaine. La carte du vieil ivrogne du port en main —dérobée alors qu'il se tapait son énième sieste de la matinée — et la petite bande narquoise avait volée une légère embarcation aux pêcheurs se revigorant avant de repartir en après-midi. Puis, le cimetière d'épaves comme destination, ils étaient partis bien vite, priant que les parents ne se rendent compte de rien.
Bien sûr, Thomas (le petit garçon au devant de l'embarcation) ne savait pas lire une carte malgré son affirmation, et après bien des claques derrière sa tête, Sarah (ou Crow pour les plus vieux), en était venue à décider qu'ils feraient route selon ce que 'tit Jo dirait. Une chance que le pauvre enfant — le plus vieux du groupe — avait appris avec son père, chaque matin, avant que ce bon bonhomme ne disparaisse entre les vagues gigantesques d'une tempête tropicale typique de la mer du Sud : sans cela, aujourd'hui, la légende d'Old Crow n'aurait rien de plus intéressante que la façon qu'elle précipita ses amis et elle-même à une mort certaine.

Donc, ils arrivaient, dérivant un peu — les jumeaux ralentirent la cadence tandis que 'tit Jo la maintenait malgré les courbatures qui lui grugeaient le bas du dos. Dans la coque bien exposée de l'ancien fier galion que le vaisseau avait dû être, une immense ouverture se dessinait peu à peu, définissant l'entrée d'un monde que les enfants (excités) ne connaissaient guère. Thomas (toujours celui en avant) sautillait sur place, et Sarah X. Crow le frappa de nouveau pour le calmer. Puis, replongeant dans la carte qu'elle ne comprenait même pas un peu, la petite de six ans s'imagina un peu l'aventure qu'elle allait vivre. Car bien sûr, ces cinq enfants néo-aventuriers recherchaient un trésor pour devenir de riches marines, comme le voulait si bien la tendance de rêves des mioches de Hook Island. Un grand trésor ! Un énorme trésor !! Un gargantuesque trésor !!! Gardé pas des monstres tous plus grands les uns que les autres (bien que Crow ne comprenait pas comment le plus petit pouvait être plus immense que le plus grand) ! Gardé par des seigneurs des mers tous plus grands les uns que les autres !! Gardé par... Des dieux marins !!! Recherché par de viles pirates ! De viles et primés pirates !! De...
Sarah frappa de nouveau Thomas.

Il accostèrent du mieux qu'ils purent, lassant leur barque à un morceau de bois fracturé. L'ouverture, de loin si grande, était en fait toute petite, et les gamins durent rentrer leurs rames pour passer. Heureusement, le pont inférieur détruit était presque parallèle à la mer, légèrement en angle, un peu comme la plage d'une baie, et cela facilita l'amarrage. Débarquant la première, suivie rapidement de l'autre énervé sautillant, Sarah fit un bref tour des lieux, tandis que les jumeaux commençaient à se frapper et que 'tit Jo débarquait le matériel. Alors que le sang des frères remontait à leurs gorges, les trois autres installèrent rapidement leur campement : une tente de toile, des lits de draps et un petite nappe pour un pique-nique sous la voûte de la coque du galion.
Une fois prête, Crow déroula la carte, trouva un très vieux couteau rouillé et placarda le parchemin sur l'un des murs miteux mes secs du vaisseau. 'Tit Jo vint la rejoindre.

« Qu'est-ce t'en dis, Jo ? C'pas beau, ça ? »

Il eut un silence. Il fit lentement oui de la tête. Crow sourit. Elle aimait bien 'tit Jo. Puis elle se retourna, poings aux hanches et torse bombé. Malgré ses six ans, elle avait en elle l'étoffe d'une femme d'action, et le respect d'un vieux capitaine d'expérience, ou du moins, sa sombre silhouette. Souvent, lorsqu'elle retrouvait son vieux père et sa vieille mère à la taverne d'Hook, les plus habitués la regardaient gentiment, lui tapotaient la tête et disaient en riant que plus tard, tout Hook serait à ses pieds. Qu'il fallait une femme comme ça à la tête de l'île... Ils n'avaient pas si tord, dans le fond.

« Bon, les gars, par où qu'on commence ? »
    Bien qu'ils semblaient vivre de chamailleries, d'insultes et de mauvais tours, les jumeaux du barbier étaient de loin les meilleurs grimpeurs et fouineurs que l'on pouvait piger dans la belle ribambelle d'enfants qui résidait à Hook Island. De leurs mains agiles aux petits doigts vifs, ils agrippaient les parois qui les supporteraient puis s'élevaient, d'abord aidant un, puis aidant l'autre, tels des singes en parfaite harmonie. Ils sautaient, glissaient et grimpaient, tout ça sur une paroi parfaitement horizontale, et c'était à se demander si ils n'avaient pas un centre de gravité inversé. Pourtant, les pros de l'escalades n'étaient pas parfaits, et souvent, ils s'arrêtaient pour se bagarrer un peu, se donner des taloches, des coups, risquant leur vie ainsi suspendus. Ce pourquoi Sarah au bas, les mains en cône, crachait des ordres à les faire pâlir. Veut, veut pas, l'enfant, ç'a a l'imagination fertile hein.
    Les jumeaux se trouvaient sur le grand mât observé plus tôt, cassé et tombé. En hauteur, ils tentaient d'analyser les environs, trouver un bateau à la coque morte plus surprenant qu'un autre, et voir une pointe d'île inondée d'or. Pourtant, il n'y avait rien de cela.

    « Alors, les gars, vous voyez quoi ? »
    « Rien, cap'taine, nous n'voyions rien ! »


    D'une même et unique voix, légèrement doublée (ils avaient presque le même ton de voix) et étrangement claire. Ils parlaient toujours ainsi, malgré la certaine compétition régnant entre eux. Au Nous, une façon sûrement unique de voir la vie, selon la parole d'une seule entité.

    « Redescendez, on vous attend pour chercher, en bas ! »


    Comme elle pouvait s'y attendre, les gamins s'obstinèrent encore, pour décider qui descendrait le premier. Soufflant, la petite se retourna, et 'tit Jo la regardait d'un sourire, haussant les épaules. Thomas était prêt de l'eau, jouant, la bouche en O, avec un morceau de bois. Crow s'assit. Ramenant ses genoux vers son torse, elle posa son menton entre ceux-ci. Au loin, les grandes vagues de la tempête à venir se fracassaient entre elles, se gobaient et se détruisaient. 'Tit Jo s'installa à ses côtés. Il voyait d'un mauvais oeil cette grosse tempête. Thomas les rejoignit. Ses bras tournoyaient, comme de grands moulins. Les yeux tout aussi ronds que la trajectoire de ses mains, il agitait les lèvres, sans qu'un son n'en sorte. Étrange. Thomas avait toujours été étrange. Et il le demeurerait, sûrement.
    'Tit Jo se mit à rire, tout doucement, pour ensuite éclater d'un chant gutturale entrecoupé de respire. Il riait rarement, le pauvre, suite à la mort du paternel. Enfin, mort, il ne croyait pas à cela. Chaque mois, le jour où son père avait disparu — un 11 —, le garçon se rendait au port, patientant. Il espérait qu'un jour, il pourrait voir les silhouettes de la barque et de son père fendre les eaux, pour ensuite pouvoir l'embrasser et pleurer dans ses bras. Ce pourquoi que Crow, qui n'avait pas vraiment de mère ni de père, elle aussi — bien que Papa X. Crow était présent, il la regardait rarement, si ce n'était qu'il oubliait de s'en soucier — appréciait grandement 'Tit Jo.
    Thomas arrêta ses cabrioles. Il leva un doigt tremblant, pointant là où se trouvait les jumeaux. Il bégaya. Crow sourcilla. Lentement, elle tourna la tête. Une ombre passa sur son visage.

    Le mât se trancha net, d'une belle coupe et les jumeaux sautèrent de cris unis. S'écrasant au sol, les deux gamins sortirent vite leurs canifs. Être fils de barbier, semblait-il, fournissait quelques atouts lors des rixes d'enfants. Aussitôt, les trois autres se mirent en garde : Thomas se cacha derrière les poings du plus vieux de la bande tandis que Sarah croisait les bras, d'un air méprisent. Un être élancé se posa sur le nouveau mât, alors que l'autre extrémité mouillait sa voilure dans l'océan stagnant. Recourbé, il posait ses coudes sur ses genoux, une drôle de lame à sa main. Plus large au centre, elle s'amincissait vers la poignée et à la pointe. Le manche était courbé.
    C'était un type de la race des cornus. Un sourire édenté et carré et deux yeux qui ne regardaient pas vers la même direction. Cette particularité attira rapidement les moqueries des enfants, qui se mirent à parler bas, oubliant le danger. Choqué, l'homme se leva et s'élança. Les cinq se dispersèrent, évitant le coup. Sarah prit la parole.

    « Oh ! Caméléon-boy, j'suis ici ! Regardes pas ici ! »


    Il s'élança. Son coup était prévisible. Crow l'évita sans mal, tombant au sol et passant rapidement entre ses jambes. De nouveau, dans son dos, elle l'insulta.

    « Ah bah non ! T'as pas les yeux dans les bons orbites, ma paroles ! »


    D'un saut arrière, l'homme, fort bien plus rapide que précédemment, se campa derrière la petite chef. Il l'empoigna au bras. Elle se débattit.

    « Je te tiens. »


    Il leva son bras. Du coin de l'oeil, Sarah paniqua. Les jumeaux agirent. Ensemble, ils sautèrent dans son dos, d'un cri. Mais d'un coup de pied rotatif — sans défaire sa prise de Crow — le cornu s'en débarrassa. La jambe en l'air, ce fut ce qu'attrapa 'tit Jo. Pour sa taille, il avait tout de même une force incroyable. Il lui cassa le genou d'un coup sec. Le cornu râla. Sarah se dégagea. Puis il trancha à l'épaule le garçon. La petite en profita pour sauter à son cou, s'agrippant vers l'arrière. L'étranglant de ses petites mains, le brigand toussa avant de sautiller et de cabrioler pour se débarrasser de la fillette. Mais elle tenait bon. C'est pourquoi qu'il leva sa lame, voulant bien sûr tailler en pièce celle qui la maltraitait. Les quatre autres enfants retinrent leur souffle.

    Il eut un coup de feu. Le cornu tomba.

      Un gros homme releva son canon vers le ciel. Accompagné de gars plus petits, plus sveltes, sa forte taille contrastait fortement. L'homme — le brigand ! — sourit. Édenté. Un second vint chercher le pistolet, qu'il rangea dans une petite boite faîte de bois et de cuivre. L'insigne de La Pieuvre, chercheurs de trésors reconnu du coin, honorait le contenant. Le second se recula, refondant dans la masse de gus aux sourires narquois. L'homme dit :

      « ZWEHEHEHEHE ! Vous m'faîtes bien rire, p'tits gars ! Tenir tête à Momo le Dingue, faut être fou ! ZWEHEHEHEHEHEHE !! »


      Il puait. Tellement que Crow plissa le nez, malgré la bonne distance qui le séparait du gros homme. Le cadavre de Momo se trouvait aux côtés des enfants, glissant tout doucement sur la coque moisie de ce galion centenaire. Son sang brouillait l'eau. Crow croisa les bras, avalant difficilement. Un air de défi résidait en ses prunelles, bien que la peur avait depuis longtemps pris contrôle de ses membres. Les jumeaux, Thomas et 'tit Jo se trouvaient derrière elle. Seul Jo eut l'audace de poser une main sur son épaule, signifiant qu'il la suivrait malgré une commande impulsive. Thomas était sur le point de craquer.

      « Mais vous savez où vous êtes, p'tits gars ? Vous êtes dans mon royaume, sur mon territoire, au creux d'mes terres ! Croyez pas qu'j'vous laisserez passer la frontière sans payer un tribut, ZWEHEHEHEHE !! »


      L'homme était affreusement laid. Des cheveux lichés d'humidité, il suintait comme un porc. De tout petits yeux dans leur orbites, affreusement profonds, comme aux creux de deux cratères... Un nez pas plus grand, long, morvant. Et sa bouche fétide. Cependant, ce n'était pas les oreilles minuscules ou les verrues du cou qui l'enlaidissait au maximum : c'était cette rondeur extrême du faciès ! Une face de lune ! Moon-face! Le front fondait dans les joues qui n'étaient que le prolongement du menton. Tout était à équidistance l'un de l'autre. Une face immense, beaucoup plus large que son cou, presque aussi que ses épaules. Laid ! Affreux !
      Crow rit à son tour.

      « Face de Lune ! T'es aussi moche que Caméléon-boy ! 'Est où l'cirque, que j'ailles admirer les monstres du coin ! Hahaha !! »


      Elle redevint sérieuse. Sa réplique semblait avoir fait son effet. La face plutôt pâle du chef de La Pieuvre devint subitement pourpre. De la boucane sortit de ses oreilles. Il semblait vouloir exploser. 'tit Jo sourit. Crow lui rendit son amusement d'un bref hochement de la tête. Moon-face disparut.
      Il réapparut devant les mômes. Son gros poing s'abattit sur la pauvre Sarah, qui rebondit au sol, criant de douleur. Les quatre autres prirent peur. À la vue de la détresse, M.f. se calma, et il éclata de son rire gras et laid une nouvelle fois. Crow était sonnée et inconsciente.

      « Ça vous apprendra, p'tits gars !! Embarquez moi les, on va s'amuser un peu, les gars. Pas question passer la journée à s'emmerder avec le temps qui vient ! ON VA S'FAIRE UN BARBECUE ! »


      Ses hommes éclatèrent de joie. Ce fut les derniers sons que la brute entendit.
        Le petit corps de Crow fut lancé au fond de la tente, contre un coffre de fer. Se cognant durement le bassin, la petite poussa un cri. Ça faisait vachement mal. Les quatre autres gamins entrèrent à leur tour, vivement intimidé par l'aspect peu chaleureux des quatre murs de toiles avec ces lances et ces crânes pour décoration. Ils étaient suivis bien évidemment par les malfrats, M.f. en tête — oh ! ce visage ! Sarah plissa les yeux, sur ses petits genoux. Elle était complètement soumise, son chapeau haut de forme devant elle, sur son top. Ses mains étaient ligotées dans son dos. Sarah rageait. Moon-face s'avança, déposant sa botte crasseuse dans le visage de la petite. Il prit son temps pour estomper sur sa joue la marque de sa semelle. Mais ne se laissant pas faire, Crow dégagea sa bouche, venant mordre la pointe en cuir. Ses dents transpercèrent presque la botte et le chef de La Pieuvre sentit la douleur. Rapidement, il dégagea son pied et botta de toute ses forces dans le ventre de la petite, si bien qu'un de ses gars réprima son geste, s'avançant. M.f. claqua des doigts, on lui donna son coffret, il en sortit son arme, la pointa sur le maladroit. Rapidement, le pauvre gus s'excusa. Il tira. L'autre tomba. Les cinq mômes poussèrent un cri. Un nouveau corps, encore du sang, toujours de la peur ! Sarah bava, pour retirer la boue de sa bouche. Elle resta calme.
        Moon-face s'en détourna. Il s'assit sur un siège à l'aspect confortable, bien que droit et craquant. Un doux velours recouvrait les coussins où il posait son énorme fessier.
        Il leva une main et on lui échangea son fusil de nouveau rangé contre un plateau d'argent remplie de victuailles. Le gros s'empiffra, léchant ses doigts, du coin de l'oeil fixant ses hôtes. Le ventre de Sarah gargouilla. M.f. rit.

        « Et vous pensiez trouvez des trésors dans l'coin, j'suppose ! ZWEHEHEHEHE !! Même pas foutus d'rester discret, sûrement pas plus pour dégommer les emmerdeurs su' vot' chemin, j'me trompe ? ZWEHEHEHEHE !! Et encore, y'a nous ! ZWEHEHEHEHE ! »


        Il se passa une main dans ses cheveux, mêlant à son gel naturel la graisse de la cuisse de poulet qu'il eut englobé. Il rota ensuite, posant l'assiette maintenant vide d'un geste banal au sol. Elle rebondit jusqu'aux gamins. Moon-face se pencha alors vers eux, joignant ses doigts boudinés. Un être immonde, de graisse et de chaire.

        « Alors, qui vais-je manger en premier, mmh ? »


        Thomas gémit, puis cria. Affolé, il tenta de reculer, mais deux hommes de main l'attrapèrent et le soulevèrent de terre. Qu'ils réagissent ou non, 'tit Jo et les jumeaux étaient cernés. M.f. leva son gros cul de son trône et vint caressé le tout petit menton de Tom. Sarah rugit :

        « Toi, espèce d'enfoiré ! Si tu touches un seul cheveux de... »


        Crack.
        D'une simple pression sur le bras, M.f. le lui avait cassé.

        « Tu dis ? »


        Les cris du garçon augmentèrent.

        « GROS PORC !! J'VAS T'BUTER !!! »


        Le canon s'engouffra dans la bouche de Tom. Le silence tomba.

        « Là là, c'est mieux ainsi. Vous m'cassez les oreilles, p'tits gars. Pas la peine d'gigoter d'même, vot' tour viendra bien vite. Bon, amenez-le. »


        Tous sortirent, à l'exception de quatre derniers otages.

        « Fait chier... »


        Crow pleura.
        'Tit Jo aussi.
        Thomas ne pleurerait plus, lui.