Bassine à foutre.
Putain de Bassine à foutre.
Voilà ce que je pense de mon adversaire. Un grand benêt avec une petite moustache bien dessinée, les cheveux plaqués en arrière et gras à cause du gel qu’il s’appliquait chaque matin dessus, l’air condescendant et peu avenant, le nez froncé en permanence. Sa compagnie aurait pu être agréable, s’il n’avait pas tenté à au moins six reprises de me faire rater mes plats. Un mauvais joueur, un mauvais perdant. Ça voulait au moins dire qu’il me considérait comme une adversaire à sa mesure.
Et quelle mesure.
Je le surclassai, aisément. Oh, me pensez pas narcissique. C’était juste une évidence. En cuisine, il fallait être sûr de ses talents, aussi du plaisir qu’on aurait a savouré nos assiettes. Si ce gars savait suivre des bouquins de cuisine à la lettre, probablement préparer des morceaux succulents, il restait mauvais. Intérieurement, je veux dire (non pas que j’suis quelqu’un de louable, hein, qu’on s’entende bien… Mais y’avait des limites). Ses préparations étaient agréables à l'oeil et à l'odeur, comme au gout selon les jurés, mais je n'étais pas certaine qu'il avait ce qu'il fallait pour plaire. Là ou moi, j’allai au pifomètre, l’habilité dans le poignet et un compas dans l’œil, lui mesurait ses ingrédients, les pesait, les soupesait, les épluchait. C’était la recette, qu’il répétait sans cesse. C'était presque pathétique... Et je disais cela probablement parce qu’il était mon adversaire le plus féroce et que je le considérai comme un concurrent honorable.
Je l’aurais à l’usure, y’avait que ça.
En fait, tout ça, c'est un truc qui vous monte vite à la tête... l'esprit de compétition, je parle. Je suis pas quelqu'un à la base qui s'amuse à faire des concours. Nan, ça me gonfle. Je suis plus du genre à vraiment faire ça pour le plaisir de voir les autres se remplir la panse convenablement. Pour le coup, j'avais pas vraiment le choix. Fallait que je continue à avancer, et les postes qu'on me proposait dans le coin n'avait rien pour me régaler. Lia n'était plus très loin. Je m'en rapprochai, tous les jours. Le problème étant que je ne m'en rapprochai pas assez vite à mon goût, et qu'un gros coup de pouce n'était jamais de refus.
De l'argent facile, une petite renommée, c'était ce qu'il me fallait. Et un concours de cuisine, c'était toujours le pied, pour ça.
Alors en gros...
Putain de Concours.
Il m’avait fait suer sang et eau. J’en pouvais plus. Arriver à ce stade de la compétition, en final avec mon adversaire, je pouvais dire que j’en avais bavé. Le concours, d’ailleurs, était reparti sur une semaine entière, avec des concurrents venus de toutes les Blues. Un truc qui attirait masse de monde, tant c’était réputé. Et pour le jury, il ne se faisait pas prier pour mettre la crème de la crème.
Je ne vais pas vous bassiner avec ça, ceux sont des gens que vous ne connaissez pas, et dont vous vous fichez. Mais disons que devant des cuisiniers comme nous, c’est comme mettre Mickey sous le nez d’un gamin de six ans. Ça fait son effet, vous suivez ?
En bref, je me retrouvais là, avec cette face de raie, en final, alors que ces enfoirés tentaient de nous départager sur un plat. Cuisinez nous de l’orange, qu’il nous avait dit, pour la finale. De l’orange, un truc qu’allait pas avec tout, qui faisait doucement suer et qui cuisait jamais comme on le voulait. Ouais, ce truc-là. Un truc qui imprégnait tous les plats, et pas forcément comme on l’entendait, qu’en faisait qu’à sa tête, qui se décidait parfois à déverser sa pulpe. Et bordel.
Le gus m’avait pondu un canard à l’orange. J’lui avais sorti des coquilles st jacques au caramel d’orange.
On arrive pas à vous départagez, qu’ils nous avaient sorti.
Un truc qui m’irrite. Un truc qui me donna envie de leurs balancer la table sur la tête, tant ma patience avait atteint sa limite. Mais j’avais besoin de la thune de ce premier prix. Alors, pour balancer des tables, j’attendrais encore un peu.
Pour Lia, j'attendrai.
Une semaine, qu’il nous avait dit. Une semaine, le temps de faire venir quelqu’un qui vous départagera convenablement. On vous demandera de refaire le même plat, sans changer la recette. Nous vous prions de jouer le jeu, et vous serez départagés en fonction.
On n’avait pas vraiment le choix.
Alors voilà une semaine de passée, et pour en revenir à la Bassine à foutre du début, bah il est toujours là. Droit, frais, pimpant comme toujours, l’air suffisant du gars qui crache dans la soupe et qui pète comme un prince. Il m’irrite toujours autant. Et je suis à peu près sûre qu’il a bossé toute la semaine pour trouver un petit quelque chose en plus qui rendra son plat irrésistible.
Il avait la hargne. C’est bien. Parce que je n’ai pas l’intention de lui laisser une chance.
En bref, nous voilà. Là, prêts, dispos.
Et on attend comme deux couillons. Patientez encore un peu, elle ne devrait plus tarder. Elle ?
Et c’est qui, « Elle » ?
Cheese Cake and Friend.
« Elle », c'était la reine de la casse, la déesse des idioties et la maîtresse des emmerdes. « Elle » avait deux poings dont elle usait pour régler ses problèmes ou encore pour parler. « Elle » avait une bonne réputation sur South Blue et dans le monde de la cuisine. « Elle » était craint. « Elle », c'tait elle, la femme qui venait, en ce moment, vers la table des jurés. Grand gourde dans le bas du dos, sirène sur les épaules — la queue de poisson en écharpe — et manteau pourpre tombant sur ses mollets. Et tricorne sur le front, avec des plumes extravagantes. Des godasses de bois, des getas, ainsi qu'une importante, impressionnante, affolante poitrine qu'elle remontait avec ses bras croisés sous celle-ci. Sa démarche, droite et assurée, et la pipe au bec. Un doux voile de fumée entourait sa silhouette, et ses sourcils mi-froncés mi-neutres en disaient long sur son caractère soupe-au-lait. Traversant rapidement la place, les regards se tournaient vers « Elle ». On la connaissait ou on la connaissait pas, tout simplement. Le juriste principal se retourna vers elle, ouvrant les mains, souriant nerveusement. Il s'empressa d'ajuster son veston lorsque la femme y jeta un coup d'oeil. Il lui présenta son siège. Comme convenu, le trône de la Walkyrie était prêt.
Old Crow s'y écrasa non sans un grognement de contentement !
Elle abattit ses deux pieds sur la table, ignorant son voisin qui récolta les talons sur ses feuilles de juge. Il grogna, mais Crow lui fit comprendre de la même façon qu'elle était la dominante. Il se tut, marmonnant dans sa moustache. Elle jeta ensuite un regard aux participants. Un sourire narquois teinta ses lèvres.
Elle bâilla, refusant de prendre une position plus assise, gardant cette arrogance. Elle n'était pas reconnue pour son talent, ni son expérience (enfin, si, un peu) mais pour son caractère de cochon. Ses décisions éclaires, tranchantes, justes. Les participants n'osaient jamais se taire, et on la contestait toujours. Mais les journaux avaient beau l'insulter ou la remercier, dans le monde culinaire, on faisait confiance en son jugement. Il y avait de cela dix ans, la grande Old Crow avait tranchée entre les deux meilleurs cuistots de South Blue, à l'époque. Une victoire écrasante aux premiers abords, mais qui, lorsque le vainqueur s'était rendu en final — dans le cadre d'un concours ouvert à toutes les Blues —, Crow, qui l'y attendait comme juriste finale, elle choisi son adversaire — pourtant, celui qu'elle avait sauvée avait fait des pieds et des mains pour qu'elle soit reconnue comme juriste officielle.
Un des participants. L'autre, c'tait une fille à l'afro. Afro-girl, tel serait son surnom pour les Crow. Riant avec sa fille — d'un rire fort et gras —, la mère fit signe qu'elles étaient prêtes. Pouffant encore, le présentateur fit de brefs topos sur les finalistes, puis choqué qu'on ne l'écoutait même pas, annonça rapidement le plat qu'ils devaient préparer. Aussitôt tait, Old Crow se leva. Il y avait foule aujourd'hui. Bien longtemps qu'elle n'avait pas juré devant tant de monde. Elle s'amuserait.
Elle se leva sur son trône, son pied droit se posant le dossier. Pour les plus chanceux, elle montrait sa culotte. Dans la foule se trouvait plusieurs apprentis chefs qui comptaient sûrement gros sur l'expérience des participants, souhaitant leur prendre quelques trucs. Son discours porterait alors.
Elle pointa du doigt un spectateur, tout proche, rapidement absorbé par son discours. Rosianne rajouta :
Un autre. L'ambiance commençait à s'échauffer. Un peu comme les oeufs qu'on laisse sur la cuisinette trop longtemps, alors que le saumon émietté supposé l'assaisonner repose sur le comptoir. Se retournant, les Crow ouvrirent ensemble les bras, faisant maintenant face aux participants.
Old Crow s'y écrasa non sans un grognement de contentement !
Elle abattit ses deux pieds sur la table, ignorant son voisin qui récolta les talons sur ses feuilles de juge. Il grogna, mais Crow lui fit comprendre de la même façon qu'elle était la dominante. Il se tut, marmonnant dans sa moustache. Elle jeta ensuite un regard aux participants. Un sourire narquois teinta ses lèvres.
Elle bâilla, refusant de prendre une position plus assise, gardant cette arrogance. Elle n'était pas reconnue pour son talent, ni son expérience (enfin, si, un peu) mais pour son caractère de cochon. Ses décisions éclaires, tranchantes, justes. Les participants n'osaient jamais se taire, et on la contestait toujours. Mais les journaux avaient beau l'insulter ou la remercier, dans le monde culinaire, on faisait confiance en son jugement. Il y avait de cela dix ans, la grande Old Crow avait tranchée entre les deux meilleurs cuistots de South Blue, à l'époque. Une victoire écrasante aux premiers abords, mais qui, lorsque le vainqueur s'était rendu en final — dans le cadre d'un concours ouvert à toutes les Blues —, Crow, qui l'y attendait comme juriste finale, elle choisi son adversaire — pourtant, celui qu'elle avait sauvée avait fait des pieds et des mains pour qu'elle soit reconnue comme juriste officielle.
« Rosianne ! dit-elle d'un grognement encore plus prononcé. C'qui qui est l'plus laid ? »
La fille sirène sourit et pointa du doigt.« Lui maman ! C'est lui, avec le gros nez, là ! »
Un des participants. L'autre, c'tait une fille à l'afro. Afro-girl, tel serait son surnom pour les Crow. Riant avec sa fille — d'un rire fort et gras —, la mère fit signe qu'elles étaient prêtes. Pouffant encore, le présentateur fit de brefs topos sur les finalistes, puis choqué qu'on ne l'écoutait même pas, annonça rapidement le plat qu'ils devaient préparer. Aussitôt tait, Old Crow se leva. Il y avait foule aujourd'hui. Bien longtemps qu'elle n'avait pas juré devant tant de monde. Elle s'amuserait.
Elle se leva sur son trône, son pied droit se posant le dossier. Pour les plus chanceux, elle montrait sa culotte. Dans la foule se trouvait plusieurs apprentis chefs qui comptaient sûrement gros sur l'expérience des participants, souhaitant leur prendre quelques trucs. Son discours porterait alors.
« Réunis, nous sommes aujourd'hui ici pour déterminer qui entre Afro-girl et Gros-pif sera l'vainqueur ! Mes p'tits gars, la compet' 'tait rude, j'sais ben. C'pendant, ça c'termine aujourd'hui, pis c't'aujourd'hui qu'on va savoir si y'ont assez de savoir pour performer dans l'domaine !
Vous savez, la cuisine, c'est à porté de tous. Vous vous dîtes : chuis ici pour les emmerder ? Et ben non, mes aminches ! Si chus là, c'est parc'qu'il faut ben des gens comme moi, qui détermine les vrais vainqueurs des vrais perdants. Mais dîtes vous bien : le vainqueur, ça pourrait être.... TOI !! »
Vous savez, la cuisine, c'est à porté de tous. Vous vous dîtes : chuis ici pour les emmerder ? Et ben non, mes aminches ! Si chus là, c'est parc'qu'il faut ben des gens comme moi, qui détermine les vrais vainqueurs des vrais perdants. Mais dîtes vous bien : le vainqueur, ça pourrait être.... TOI !! »
Elle pointa du doigt un spectateur, tout proche, rapidement absorbé par son discours. Rosianne rajouta :
« OU TOI ! »
Un autre. L'ambiance commençait à s'échauffer. Un peu comme les oeufs qu'on laisse sur la cuisinette trop longtemps, alors que le saumon émietté supposé l'assaisonner repose sur le comptoir. Se retournant, les Crow ouvrirent ensemble les bras, faisant maintenant face aux participants.
« CUISINEZ D'L'ORANGE !! »
« Pincez-moi, je rêve. »
Elle, c’est Old Crow.
Old Crow, quoi ! Dites pas que vous savez pas de qui je parle ? Si ? A savoir que dans le milieu de la cuisine, c’est un peu une star. Avec des manières, une façon très particulière d’exercer son métier de critique culinaire… mais de loin la meilleure. Je suis pas forcément ravie de la voir, parce que je la sais très crue dans ses mots, et pas du genre à prendre des pincettes : son avis est assassin lorsqu’il n’est pas de votre côté. Et elle le prouve, rien qu’en arrivant dans le coin. Son rire gras, ses atouts, sa dégaine provocante, sa fille sur l’épaule qu’à un rire plus fluet que sa maman.
Seigneur dieu doux Jésus, la caricature est si belle. Je fronce un sourcil, j’attends de voir ce qu’il se passe. Et sa première question me troue littéralement. Le plus laid ? C’est déplacé, non ? Je me surprends à être curieuse de la réponse, aussi d’en être ravie. Je souris et la fixe avec attention.
J’ai l’honneur, la chance, de pouvoir croiser cette femme. Elle a sa petite réputation, j’en suis assez admirative. Pour plein de raisons, mais principalement pour sa condition de femme et de mère. Elle est de celles qui ont réussi à allier le pouvoir et la vie de famille, là ou moi, j’ai lamentablement échoué après m’être fait rouler dans la farine. Un petit pincement au cœur, de quoi me dire que je devrais prendre la donzelle comme exemple à suivre, à vivre surtout ; Mais pas de quoi m’emballer pour l’instant, il faut rester concentrer.
Le gros-pif avale péniblement, il n’a pas l’air content de voir la Crow dans le coin, encore moins de savoir que c’est elle qui va nous départager. Pas le temps d’en penser plus qu’Old Crow reprend la parole avec un air conquérant, assuré, limite victorieux. De quoi vous sentir pousser des ailes, ouais.
Je l’écoute avec passion, attention, ce qu’elle dit me parait presque comme la parole bénite. Je crois que je suis fan, raide dingue, un truc qui donne le groove et le courage. Bon, ce qu’elle nous bave n’a pas toujours de sens, mais faut avouer que le ton qu’elle y met nous oblige à être d’accord avec elle. Fortiche, nan ? Par exemple, là : j’ai une main sur la hanche, les yeux pétillant derrière mes lunettes, je ne comprends pas tout ce qu’elle balance, mais j’hoche la tête machinalement en me disant « elle a grave trop raison, waou ! », ou un truc du genre.
Et puis, elle rejette de l’huile sur le feu de la compétition. Et ça, ça a de quoi vous remuez les tripes et vous donner l’envie de gagner, pour mieux faire. Et impressionner Old Crow, n’étant pas une chose aisée, pouvait être au moins mon objectif du jour.
Empoignée au fond de la gorge par la passion dévorante, celle de cuisiner j’entends, il ne suffit que de son top pour qu’on se mette au boulot sans même chercher à comprendre plus loin.
J’ai fait les achats qu’il faut le matin même, j’ai tout amené comme il faut. Je me suis pas spécialement entrainé dans la semaine, mais j’ai le mordant des victorieux. D’un geste vif, je tranche les quatre oranges fraiches, avant de les presser avec vigueur.
Le plat ne me prenait pas plus de 30minutes, à tout casser. Et je savais très bien le faire. Versant le beurre et les feuilles d’endives dans une cocotte, j’les fais revenir doucement en mélangeant. J’y ajoute enfin le jus d’orange avec une touche de miel. Un mélange sucré-salé qui fait son effet, car déjà le parfum du miel et de l’orange se fait sentir. Ça bulle doucement, très doucement, c’est délicat et presque harmonieux.
Dans ma poêle fétiche, je fais revenir les noix de Saint-Jacques dans le beurre restant. Deux minutes, pas plus et puis hop, on sort ça avant de verser le jus des endives dans cette poêle pour la faire réduire. Ce jus s’est imprégné de l’orange et du miel, et maintenant qu’il mousse délicatement avant de caraméliser, je prends le temps d’y remettre les noix pour les imprégnés du jus.
Ça frétille, de quoi mettre l’eau à la bouche.
La préparation de l’assiette maintenant ?
Les feuilles d’endives sont posées en fond, recroquevillés pour faire un nid. Sur celles-ci, je place les noix de St-Jacques avec attention, y versant un fil de caramel d’orange. Je répète l’opération avant d’éplucher une orange et de découper les quartiers, que je dispose à côté.
La fraicheur de celle-ci, la chaleur des noix, c’est un mariage subtil, plein d’arôme et d’un petit goût de voyage. Une fine décoration avec le caramel qui reste, pour faire des courbes sur le bord de la sieste, j’essuie ce qui dérape avec un mouchoir pour finaliser, je nappe le tout de la sauce à l’orange…
Et y’a plus qu’à attendre.
Ça se laisse manger, qu’il parait.
Posant une fourchette à côté de l’assiette, tendant l’ensemble vers le jury qui circule entre nous, je jette un regard à la dernière arrivée.
« Si vous voulez bien prendre la peine… »
Les cuisiniers firent vites. Et biens. Pas finalistes pour rien. Les assiettes furent apportées, les fourchettes présentées. Tous les regards sur la Famille Crow. Las, la bonne femme dormait un peu, une bulle gonflant à son nez. Seule restait éveillée Rosianne, sa queue de poisson enroulée au cou de sa mère, le dos bien droit, les bras croisé, un air de professionnel au visage. Ses cheveux jaunes remontant en couettes farouches, elle avait tout d'une gamine normal. Hors, Rosianne était la fille d'une des plus grandes Critiques culinaires de South Blue, voir des Blues entières. Elle avait appris, de par sa mère, de par ses observations qu'elle faisait de sa mère et de son travail, à juger peut-être aussi bien que Old Crow. La fille de la Walkyrie n'était nul autre qu'une petite bougre au comportement calqué sur la brute en terme de bouffe. Question de goût ? Ou question de choix ? Elle-même ne savait pas.
Elle ouvrit les bras, les mains bien tendues. Ses petites nageoires clapotèrent contre le visage de Crow. Cette-dernière, d'un grognement, porta son bras vers une fourchette, qu'elle envoya d'un coup de poing sur la table. La fourchette remonta dans les airs, puis sa fille l'attrapa. De son air froncé mais ô combien attendrissant, Rosianne informa la populace :
Elle avança vers les assiettes. Comme en suspension, elle avait la langue sortie. La tâche serait rude pour la petite de quatorze hivers. Ses doigts habilement armé de l'ustensile, elle piqua d'abord dans les noix de St-Jacques, vérifiant la texture. Son regard sembla s'allumer. Puis, du bout d'une dent, elle joua avec les feuilles d'endives. Mouais, pas mal... Elle se tendit vers le canard de Gros Pif. La chaire du palmé était tendre, et les arômes qui s'en dégageait emplissaient le nez d'une douce aura fruitée. Ainsi, les adversaires ne pouvaient, semblait-il, se démarquer. Pas pour rien que Old Crow avait été appelée. Lentement, Rosianne revint au plat d'Afro-girl.
La bouche salivante, un doigt sur les lèvres, elle allait manger... Son souffle était haletant, ses yeux miroitant. Doucement, sa fourchette cueilli quelques noix, qu'elle fit sautiller sur les dents. Des pointes de celles-ci, elle craqua une feuille, qui vint, comme une plume, se poser délicatement sur les noix. De légers, très légers filets de sauce à l'orange vint suinter de l'amalgame, comme un relent d'eau de source des profondeurs d'une montagne endormie. Oui, sur sa fourchette, Rosianne avait une petite montagne St-Jacques. Et elle goûterait. Elle croquerait dans la montagne.
Old Crow poussa un grognement dans son sommeil. Affolé, la petite enfourna la bouchée dans sa gueule de sirène. Refermant durement les lèvres sur le métal froid, elle resta cambré. Ses petites dents mastiquait silencieusement le plat. Las, son attention tourné vers sa mère, Rosianne n'en profita malheureusement pas. Elle déglutit sans ne rien goûté.
Elle commit la même erreur sur le plat de Gros Pif....
Les jurys étaient tous tournés vers la famille Crow. Une perle de sueur glissa le long de la tempe de Rosianne, qui se positionna droitement sur les épaules de sa mère. Elle croisa encore les bras, mais son courage de faire comme les grands s'était perdu en route. Elle dit alors :
Il eut un murmure dans la foule. Bien sûr, les spectateurs ne voyaient pas la mine affolée de la petite. Doucement, Rosianne vint chuchoter à l'oreille de sa mère. Ce ne fut pas long. D'un coup de pied, d'abord, la table revola et emporta les délicieux plats. De coups de poings, le trône se détruisit. Cri de bête caverneuse, la Walkyrie se leva, comme hantée par une quelconque présence démoniaque. Regard sombre. La belle était réveillée ! Sur South Blue, on pouvait lui pardonner son mauvais caractère... Ici, cela semblait plus difficile. La foule recula et un juge s'approcha.
Pas le temps de finir sa phrase qu'un poing rapide, invisible, se plaçait devant son nez, à quelques millimètres de ses yeux. Suspendu. Fort. La belle n'avait pas dit ce qu'elle avait à dire.
S'approchant nonchalamment des deux morceaux au sol, elle regard d'un oeil de maître la nourriture. Elle n'avait jamais accordé de points pour la présentation. Seul le goût comptait pour Miss Crow. Elle s'accroupit et d'un doigt gauche, elle pinça une noix et un quartier d'orange. D'un droit, elle arracha un morceau de canard. Puis, d'un geste unique, elle les enfourna. Sans même prendre la peine de faire revenir les morceaux dans sa bouche, elle envoya sa tête vers l'arrière et avala. Elle resta alors ainsi, accroupit, le nez vers les nuages, les mains sur les genoux, une fille poisson qui évitait son regard clos. C'était silence.
Old Crow articula :
Elle sortit sa pipe, qu'elle passa à son bec. Qui gagnerait ? Elle n'avait toujours pas annoncé le vainqueur, dans ce coin qu'elle avait ravagé. Elle tira une longue bouffée, puis sa pipe se coinça entre ses doigts. Son regard sévère souriait. Une longue fumée grise s'échappa en spirale de ses narines. Elle ouvrit la bouche.
Elle se leva, débouchant son énorme gourde. Elle ne mesura pas les litres qu'elle déversa sur le reste du plat de la participante. Puis, de son talon, elle écrasa les dernières noix naufragées. Elle enjamba les décombres de ce massacre. Sa main se posa sur l'épaule de la fille. Elle lui chuchota deux mots à l'oreille. Seule elle put entendre. Puis, levant un doigt d'honneur, faisant sursauter Rosianne, elle beugla encore et partit aussi rapidement qu'elle était venue.
Plus tard, dans un bar de Kage Berg. Crow dégustait son saké. La nouvelle de la victoire avait été depuis longtemps annoncée. Plusieurs remettaient en cause les méthodes de Old Crow. Mais les jurys officiels refusaient toutes questions et explications quant aux manières de la belle. Au moins, Gros Pif profitait de sa nouvelle petite fortune. Old Crow aurait bientôt son cachait. Tout finissait bien.
Cependant, Old Crow patientait. Rosianne avait but son lait et dormait présentement. Quant à la mère, elle se remémorait les paroles qu'elle avait susurrer à Afro-girl.
Elle ouvrit les bras, les mains bien tendues. Ses petites nageoires clapotèrent contre le visage de Crow. Cette-dernière, d'un grognement, porta son bras vers une fourchette, qu'elle envoya d'un coup de poing sur la table. La fourchette remonta dans les airs, puis sa fille l'attrapa. De son air froncé mais ô combien attendrissant, Rosianne informa la populace :
« Maman, n'voyant pas d'plaisir dans ces deux compétiteurs m'a d'mandé d'le faire à sa place. J'vas donc juger pour Maman ! Nah ! »
Elle avança vers les assiettes. Comme en suspension, elle avait la langue sortie. La tâche serait rude pour la petite de quatorze hivers. Ses doigts habilement armé de l'ustensile, elle piqua d'abord dans les noix de St-Jacques, vérifiant la texture. Son regard sembla s'allumer. Puis, du bout d'une dent, elle joua avec les feuilles d'endives. Mouais, pas mal... Elle se tendit vers le canard de Gros Pif. La chaire du palmé était tendre, et les arômes qui s'en dégageait emplissaient le nez d'une douce aura fruitée. Ainsi, les adversaires ne pouvaient, semblait-il, se démarquer. Pas pour rien que Old Crow avait été appelée. Lentement, Rosianne revint au plat d'Afro-girl.
La bouche salivante, un doigt sur les lèvres, elle allait manger... Son souffle était haletant, ses yeux miroitant. Doucement, sa fourchette cueilli quelques noix, qu'elle fit sautiller sur les dents. Des pointes de celles-ci, elle craqua une feuille, qui vint, comme une plume, se poser délicatement sur les noix. De légers, très légers filets de sauce à l'orange vint suinter de l'amalgame, comme un relent d'eau de source des profondeurs d'une montagne endormie. Oui, sur sa fourchette, Rosianne avait une petite montagne St-Jacques. Et elle goûterait. Elle croquerait dans la montagne.
Old Crow poussa un grognement dans son sommeil. Affolé, la petite enfourna la bouchée dans sa gueule de sirène. Refermant durement les lèvres sur le métal froid, elle resta cambré. Ses petites dents mastiquait silencieusement le plat. Las, son attention tourné vers sa mère, Rosianne n'en profita malheureusement pas. Elle déglutit sans ne rien goûté.
Elle commit la même erreur sur le plat de Gros Pif....
Les jurys étaient tous tournés vers la famille Crow. Une perle de sueur glissa le long de la tempe de Rosianne, qui se positionna droitement sur les épaules de sa mère. Elle croisa encore les bras, mais son courage de faire comme les grands s'était perdu en route. Elle dit alors :
« Je comprends pourquoi Maman doit goûter... Ces plats sont... Inqualifiables ! »
Il eut un murmure dans la foule. Bien sûr, les spectateurs ne voyaient pas la mine affolée de la petite. Doucement, Rosianne vint chuchoter à l'oreille de sa mère. Ce ne fut pas long. D'un coup de pied, d'abord, la table revola et emporta les délicieux plats. De coups de poings, le trône se détruisit. Cri de bête caverneuse, la Walkyrie se leva, comme hantée par une quelconque présence démoniaque. Regard sombre. La belle était réveillée ! Sur South Blue, on pouvait lui pardonner son mauvais caractère... Ici, cela semblait plus difficile. La foule recula et un juge s'approcha.
« Madame... Vous venez de... Détruire les plats de nos participants... Vous avez gâchés le concours Miss... »
Pas le temps de finir sa phrase qu'un poing rapide, invisible, se plaçait devant son nez, à quelques millimètres de ses yeux. Suspendu. Fort. La belle n'avait pas dit ce qu'elle avait à dire.
« Un bon plat reste bon, même lorsqu'il touche l'assiette des pauvres. Tais-toi homme, ou j'te rentre mon poing où c'la fait mal. J'vas voir si c'bon tout ça... Sinon, ce s'ra vos chiens qui lèchouilleront... »
S'approchant nonchalamment des deux morceaux au sol, elle regard d'un oeil de maître la nourriture. Elle n'avait jamais accordé de points pour la présentation. Seul le goût comptait pour Miss Crow. Elle s'accroupit et d'un doigt gauche, elle pinça une noix et un quartier d'orange. D'un droit, elle arracha un morceau de canard. Puis, d'un geste unique, elle les enfourna. Sans même prendre la peine de faire revenir les morceaux dans sa bouche, elle envoya sa tête vers l'arrière et avala. Elle resta alors ainsi, accroupit, le nez vers les nuages, les mains sur les genoux, une fille poisson qui évitait son regard clos. C'était silence.
Old Crow articula :
« Un bon plat laisse sa marque en bouche, même lorsqu'il ne fait qu'effleurer le palais. Un bon plat est plus fort en bouche que tout autre plat. Un bon plat, ça se fête en fumant. »
Elle sortit sa pipe, qu'elle passa à son bec. Qui gagnerait ? Elle n'avait toujours pas annoncé le vainqueur, dans ce coin qu'elle avait ravagé. Elle tira une longue bouffée, puis sa pipe se coinça entre ses doigts. Son regard sévère souriait. Une longue fumée grise s'échappa en spirale de ses narines. Elle ouvrit la bouche.
« Un mauvais plat s'arrose toujours d'un bon saké, pour masquer son goût. Afro-girl, j'vais pas t'faire de fleurs... T'as perdu. Tu mérites un bain dans l'saké, Baka! »
Elle se leva, débouchant son énorme gourde. Elle ne mesura pas les litres qu'elle déversa sur le reste du plat de la participante. Puis, de son talon, elle écrasa les dernières noix naufragées. Elle enjamba les décombres de ce massacre. Sa main se posa sur l'épaule de la fille. Elle lui chuchota deux mots à l'oreille. Seule elle put entendre. Puis, levant un doigt d'honneur, faisant sursauter Rosianne, elle beugla encore et partit aussi rapidement qu'elle était venue.
Plus tard, dans un bar de Kage Berg. Crow dégustait son saké. La nouvelle de la victoire avait été depuis longtemps annoncée. Plusieurs remettaient en cause les méthodes de Old Crow. Mais les jurys officiels refusaient toutes questions et explications quant aux manières de la belle. Au moins, Gros Pif profitait de sa nouvelle petite fortune. Old Crow aurait bientôt son cachait. Tout finissait bien.
Cependant, Old Crow patientait. Rosianne avait but son lait et dormait présentement. Quant à la mère, elle se remémorait les paroles qu'elle avait susurrer à Afro-girl.
« Tu voulais gagner hein ? Viens m'voir dans l'bar l'plus miteux qu't'auras trouvé, j'vas t'dire pourquoi t'as perdu... »
« Un mauvais plat s'arrose toujours d'un bon saké, pour masquer son goût. Afro-girl, j'vais pas t'faire de fleurs... T'as perdu. Tu mérites un bain dans l'saké, Baka! »
Oh… Ok.
Qu’est-ce qui tournait pas rond chez elle ? Y’a visiblement quelques neurones qui manquent, ou alors simplement pas de neurones du tout... Enfin, je dis ça parce que j’ai les boules qui me remontent dans la gorge, ou un moyen subtil de vous dire que perdre, ce n’est pas quelque chose que j’ai l’habitude de faire. Surtout dans ces moments-là. Surtout face à une tête de cul. Surtout quand je me rappelle que l’argent devait me permettre de passer jusqu’à la prochaine île ou je devais retrouver la trace de ma fille. Surtout que perdre, c’est pour les perdants, et que je m’étais toujours montrée comme la gagnante.
Alors merde.
Mais je suis bonne joueuse : perdre, d’accord. Oui, ça peut encore passer, un truc comme ça. C’est pas la fin du monde, même si ça me fait doucement chier. Ça arrive parfois, on peut pas toujours l’emporter. Mais me faire humilier comme elle l’a fait, ça me donne juste envie de lui coller mon plat dans la tronche et de lui faire bouffer par tous les orifices possibles, même les moins adaptés. Se contenir lorsque les envies les plus sales nous traversent la tête et nous disent d’être une psychopathe en pleine décompensation, c’est vraiment très dur. Accepter de se faire marcher sur la gueule sans avoir le loisir de répliquer parce qu’on connait le respect, on connait la galère, c’est aussi très dur.
Surtout pour une grande gueule. Comme moi. Quelqu’un qui aime bien dire ce qu’elle pense, qui a du mal à tenir sa langue, qui a les pensées qui fusent dans tous les sens et qui ne sont pas aussi sympathique qu’au début. Tu peux être une grande femme, renommée, ça n’a jamais empêché la politesse, l’égard. Un minimum.
« Tu voulais gagner hein ? Viens m'voir dans l'bar l'plus miteux qu't'auras trouvé, j'vas t'dire pourquoi t'as perdu... »
Mh ?
Je sens sa main sur mon épaule, sa voix sur mes tympans. Ça calme pas ma colère, ça pique au moins ma curiosité. Parce que je suis une bonne âme, un peu fair-play, que je sais reconnaitre mes erreurs et que j’ai vraiment les nerfs contre elle. Tu veux me voir dans un endroit miteux pour me dire mes quatre vérités, sur ce qui me manque ? Ok, je peux écouter. Mais t’inquiète pas ma grande que tu devras écouter ce que j’ai à te dire, à ton putain de sujet.
Elle quitte le devant de la scène. Je crois qu’il est bon pour moi d’en faire autant. Je m’essuie les mains en les tapant l’une contre l’autre, je fais demi-tour, fourre mes affaires dans mon sac avant de mettre ce dernier sur mon dos.
J’ai rien à dire à mon adversaire, mais je lui serre un petit sourire. Il a l’air vraiment content, c’est toujours ça de pris pour lui. Et je tourne les talons avec la dignité sous les talons, ou tout du moins ce qui m’en reste. Disons que la dignité, ça ne reste pas intact quand une gamine mi-sale gosse mi-poisson, te tabasse ta décoration en qualifiant ton plat d’inqualifiable, quand une critique culinaire réputée se fout ouvertement de ta gueule en public, réduisant ce qui te reste d’amour propre à l’état de… Bah de rien.
Alors en gros, lorsque je sors de ce concours culinaire, après des semaines de boulot pour arriver en final, j’ai les nerfs.
Mais je fais la philosophe : je relativise. Y’a pire.
….
« Mh. J’suis là. »
Le bar le plus miteux de l’île, je l’ai trouvé. J’ai mis du temps, j’ai fait le tour. Mais il faut ce qu’il faut pour mettre la main sur une bonne femme dans son genre. Elle passe d’ordinaire pas inaperçu, mais tout le monde ne sait pas où se trouve l’endroit le plus horrible du coin. Surtout les gens fréquentables. Alors j’ai franchi les portes, mes lunettes sur mon nez, mon sac sur l’épaule, pas fâchée mais frustrée.
« Je crois que t’as des trucs à me dire, nan ? »
Voilà, et perdu la sympathie du vouvoiement, le respect qui allait avec qui lui procurait son statut. Ici, on était entre nous. On avait à causer, de femme à femme, de cuisinière à « cuisinière ».
« J’vais pas y aller par quatre chemins. J’ai les nerfs, d’avoir perdu. Du temps et de l’argent sur ce concours culinaires. J’ai peut-être à apprendre, mais j’ai les nerfs. Et je suis encore plus en colère quand on m’humilie en public. Alors je suis là et j’ose croire que tu vas pas me faire perdre plus de temps, d’argent et d’amour-propre. »
Dans tous les cas, y’avait pas intérêt. Je vois sa gosse dormir à côté, son verre de saké sur la table. Alors je m’assoie à côté et je la regarde. D’un mouvement sec, je commande deux autres sakés.
Un pour la dame, un pour moi.
Autant de pas se fâcher tout de suite.
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