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- C'quoi ça, un lièvre ? - J'aurai plutôt dit une biche...

Mission d'Infiltration






Fin 1621. Port de Suna Land. Début matinée.


    Un p'tit croc'. Et puis un deuxième. Pourquoi pas un troisième pour la route ? Même s'il y a aucun trajet à parcourir. Parce que c'est sacrément bon.
    Pan D'Or grignote. Ces sablés sont vraiment un délice pour le palais de la fille-Panda. Allongée dans son hamac préalablement installé dans l'ombre d'une armature du navire, sa capuche bien enfoncée sur sa petite tête, Pan se prélasse sans se soucier du bruit alentour. Elle devrait pas. En fait, elle n'a même pas le droit de faire la fainéante. Mais son chef n'est pas là.
    Pour une fois.


    ***



    Pour la première fois en plusieurs mois, Pan se permettait ce qu'elle n'avait pas pu jusqu'alors : ne rien foutre.
    C'est que son cap'tain était sacrément lourdingue quant à la flemmardise de son équipage. Juché sur ce qui apparaissait comme des chevaux aux yeux de Pan, Gharr Hadoc était de loin l'homme le plus imposant qui lui ait été donné de rencontrer depuis son arrivée dans le Monde-d'en-Bas. Et le plus flippant aussi. Pourtant, son humeur de grizzly capitonné dans l'apparence du Papa ours avait tendance à faire mourir de rire Pan.
    Non que Gharr soit du style à la plaisanterie, d'ailleurs, mais Pan ne parvenait pas à faire passer son air bourru et intransigeant comme étant son train de caractère le plus évident. Lorsqu'elle l'observait à la dérobée, elle notait non pas le fait qu'il soit son commandant et le chef incontesté du navire, mais plutôt le fait qu'il apparaisse comme une fichue muraille infranchissable et protectrice. C'était certainement l'instinct de survie de Pan qui faisait ça, d'ailleurs.
    En fait, Pan respectait énormément son capitaine.
    Depuis leur première rencontre, certainement. Il ne lui avait pas beaucoup adressé la parole, car il semblait alors quelque peu... perturbé et soucieux, et l'arrivée d'une gamine dans son équipage n'avait pas franchement eu l'air de le réjouir. Mais le soir même après son embarquement à bord de son navire, Pan s'était approchée de Gharr, et lui avait aimablement - pour une fois ! - proposé de gouter les bambous qu'elle avait elle-même cuisinés. Et oui, les bambous, ça se cuisinent. Mais l'art culinaire de Pan D'Or, c'est une toute autre histoire.
    En bref, elle avait joyeusement brandit son déjeuné sous le nez de son tout nouveau capitaine - façon d'instaurer des bonnes bases et de l'amadouer, m'voyez ? - en lui assurant que ce simple bout de roseau arborescent règlerait tout ses soucis. Ce n'était pas la stricte vérité, soit dit en passant, mais l'alcool que contenait ces tiges cuisinées par le bon soin de Pan suffisaient à vous arracher la gorge comme si vous aviez tenté de bouffer le soleil.
    Pan avait d'ores et déjà fait son petit effet l'instant d'après.
    Les jours qui avaient suivis s'étaient déroulés de façon presque... normale. Gharr avait pris un soin tout particulier à éduquer Pan D'or à ce tout nouvel univers qu'était la marine et le Monde-d'en-Bas. Ça n'avait d'ailleurs pas toujours été facile. Inculquer un sentiment de discipline et de responsabilité civile à une gamine de 15 ans essentiellement préoccupée par la nourriture qu'elle allait ingurgiter dans la journée n'était pas une mince affaire... Au moins avait-elle le sens de la fraternité, ce qui était déjà pas mal. Mais pour ce qui était de l'autorité... là encore, l'enseignement de son capitaine avait été rude, et avait mis leur patience à tout deux à rude épreuve. Heureusement, le concept du : Capitaine Hadoc = Ô Grand Seigneur du Navire avait germé avec une rapidité étonnante sous le petit crâne de Pan D'Or. Le réel problème se situait au-delà. Plutôt dans l'acceptation que Gharr n'était pas son seul supérieur. Et CA, Pan avait un mal fou à avaler la pilule. L’obéissance n'étant franchement pas sa tasse de bambou, l'adolescente ne parvenait pas à réfréner ses ardeurs et se plier aux ordres des autres membres de l'équipage.
    Mais étant donné que Pan capitulait automatiquement à la moindre instruction de son capitaine, ce dernier avait eu l'air d'abandonner l'espoir de la voir obéir de manière identique avec tout le petit monde. Et puis, l'important était qu'elle écoutait son capitaine. Non ?
    Dans le fond, Gharr Hadoc prenait certainement son mal en patience. Pan D'Or savait qu'il n'abandonnerait jamais tout à fait l'idée de faire plier sa volonté, mais elle se doutait aussi qu'il était suffisamment malin pour comprendre qu'il était inutile d'insister de cette façon. Alors qu'à long terme, peut-être...

    Plus d'une année s'était écoulée depuis son enrôlement. Pan D'Or avait évoluée, sans aucun doute, et l'arrivée de nouveaux membres de l'équipage lui avait ouvert les yeux. Elle se prenait d'affection pour certains, ne pouvait pas en encadrer d'autres. Mais elle avait dû apprendre à vivre avec les joies d'un équipage marine. Pan D'Or avait réalisé que c'était comme une grande famille. Une très grande famille. Distante, obéissante et très sage, peu encline à la plaisanterie et aux jeux. Mais une famille tout de même.
    Pan ne l'avait peut-être pas choisie, mais elle s'en satisfaisait clairement.



    ***


    Port de Suna Land. Fin Matinée.




    Pan bailla. Au début, elle profitait de la détente que lui procurait l'absence de son capitaine, et du calme - tout à fait relatif - qui régnait sur le pont. Mais à mesure que le soleil s'élevait à son zénith, Pan trouvait le temps sacrément long, et même se prélasser dans son hamac ne parvenait plus à étouffer l'ennui grandissant qu'elle éprouvait. Elle s'imaginait même entendre la voix tonitruante de son chef hurler à son équipage un ordre quelconque. Elle s'ennuyait de son capitaine, oui, c'était parfaitement ça.
    Cela faisait plusieurs heures qu'il avait déserté le navire, laissant ce dernier entre les mains de son fidèle équipage. Il avait ordonné à ce que personne ne fasse de bêtises avant son retour, qu'il n'en avait pas pour longtemps, et avait menacé Pan que s'il la retrouvait jouant dans le sable ou dans l'eau, il s'occuperait personnellement de son cas.
    Et Pan D'Or n'avait pas le moindre désir de savoir ce qu'il entendait par là.

    Bref, Pan avait chaud. Trop chaud même. Et elle ne portait même plus l'uniforme ! Pour la bonne raison qu'elle était parvenue à passer caporale. Pas un grade très élevé, mais il lui permettait de s'habiller comme bon lui semblait dans la mesure du possible. Pas souvent, en fait. Mais au moins ne se battait-elle plus avec son capitaine pour arborer les couleurs de la marine.
    Le deuxième avantage à être caporal était sans aucun doute la possibilité d'avoir à remplir des missions un peu plus palpitantes qu'à l'accoutumé en accompagnant son capitaine au gré de ses envies. Et de ses directives, aussi. Et c'était la raison de leur présence à Suna Land.
    Pan D'Or n'était pas franchement fane de ce lieu. Les nuages fuyaient le ciel de tel sorte que ce dernier était essentiellement occupé par un soleil brulant. Un soleil à vous déshydrater rien qu'en l'imaginant au-dessus de votre crâne. Bien entendu, elle ne pouvait pas nier que cette île aux allures balnéaires n'avait aucun charme : les bâtiments arboraient fièrement les couleurs de l'arc-en-ciel ; des marchants de glaces à tous les coins de rues vantaient les délices de leurs produits ; les plages étaient bondées de parasols, tachant ainsi le sable d'une myriade de couleurs toutes plus explosives les unes que les autres ; de gigantesques toboggans ondulaient au-dessus des édifices de l'île dans un entrelacs complexe de courbes et de pentes vertigineuses.
    Cet îlot avait tout de l'attrape-nigauds touristiques. Avec ces airs de paradis, qui pourrait se douter que ce lieu paisible regorgeait de bandits en tout genre ? Même Pan ne s'était doutée de rien avant que son capitaine ne lui explique la raison de leur présence. On leur avait confié une mission d'un genre nouveau pour Pan D'Or : mettre en œuvre l'infiltration d'un groupe de terroriste.
    C'était d'ailleurs dans le cadre de cette intervention que leur navire avait ravalé toutes les couleurs de la marine qu'il aurait pu arborer. Il fallait dissimuler au maximum leur présence avant d'en connaître davantage sur le sujet de leur venue. Raison pour laquelle Gharr Hadoc s'était éclipsé : Il ne désirait en aucun cas partir à l'aveuglette. Il avait vaguement expliqué à Pan que la marine avait deux agents d'élite dans la place, et qu'il voulait qu'elle épluche leur dossier à chacun. Ce qu'elle avait fait avant de roupiller allégrement sur le pont tandis que son capitaine allait leur rendre une petite visite.
    Mais là, la visite s'éternisait un peu trop au goût de Pan.
    Elle n'avait pas le droit de quitter le navire, mais peut-être que si elle faisait sauter un ou deux tonneaux de poudre, son Capitaine reviendrait au galop en entendant les explosions. Mais c'était trop risqué ; Si Pan se prenait à faire ça, nul doute que ce serait sa tête la prochaine sur la liste. Peut-être même s'en servirait-il comme d'une boule de bowling...

    Pan D'Or poussa un long soupir déchirant en émergeant de son hamac avec une flemmardise assurée. A tel point qu'elle fini le cul sur le bois lustré du vaisseau, sa capuche lui retombant sur les yeux. Nouveau soupir. Pan D'Or souffla sur sa capuche dans l’espoir qu'elle s'envole comme lorsqu'on le faisait sur une mèche de cheveux. Évidemment, ça ne fonctionna pas. Flemme, quand tu nous prends...
    Alors forcement, sa main prit la relève et retira la peau de Panda de devant son minois.
    Et Pan réalisa qu'elle était plongée dans l'ombre. Dans l'ombre de son Capitaine, pour être exacte. Alors elle leva les yeux, puis la tête. C'est qu'il était fichtrement grand, le Gharr Hadoc.
    Ce dernier baissa les yeux sur elle, la dominant de sa carrure d'ours des montagnes. Pan D'Or lui offrit alors son plus beau sourire commercial - sourire qu'elle avait appris à son arrivée dans le Monde-d'en-Bas - , réalisant qu'elle n'avait pas seulement imaginé la voix de son Grand Manitou, mais qu'il avait bel et bien crié un ordre.
    La fille Panda fit la moue. Elle tendit la main à son capitaine, dans l'espoir qu'il l'aida à se redresser.
    Futile tentative.

    << - Hey ! Cap'tain... vous pouvez répéter la question ? >>



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