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Et en guise de Soleil...

Le premier jour fut le plus difficile.

Non pas tant à cause de la barque qui avait chaviré que la peur de l'inconnu qui se profilait à l'horizon. Un horizon aussi vide que ce que le futur promettait à la jeune Louve. Un horizon effrayant qu'elle chercha par tous les moyens à fuir la première journée, et ce malgré le blessure qui lui zébrait la cuisse. Pas grand chose. Dans deux jours, elle n'aurait plus mal. La barque, elle, devait plus se plaindre car le trou que les récifs et rochers lui avaient infligé était bien plus inquiétant pour eux-deux que la simple entaille de la jeune Louve. Une feuille de palmier et de quoi la fixer avec un bout de vêtement, des bouts de bois ou tout ce qui lui tombait sous la main et déjà elle n'y pensait plus. Or pour la barque, s'en était fini d'elle.

Fuyant donc l'horizon et cette mer qui dorénavant, pensait-elle, ne lui voulait que du mal, elle s'enfonça dans une végétation assez sauvage et habitée uniquement d'insectes pullulants, des petits rongeurs et de singes bruyants, dans l'espoir de trouver une autre échappatoire, une issue plus resplendissante que de rester croupir là pour le restant de ses jours. Et puis en pleine forêt, elle sut observer, apprendre et s'imprégner d'une nature d'ordinaire hostile. Faisant fuir les mammifères inoffensifs pour s'approprier leurs rations de groseilles et mures, imitant les singes, tant bien que mal, pour se nourrir comme elle le pouvait de quelques bananes, pommes et autres grappes de fruits aux allures étranges et au goût fade quoique extra-ordinairement nourrissants.

Malgré tout, elle tomba sur un singe un peu plus protecteur et agressif que les autres qui lui fit faire une chute d'au moins trois mètres dans un buisson plein d'épines ; elle rencontra un lapin qui en cachait onze autres et qui démontrèrent à la jeune pirate, qu'en effet, l'union fait la force ; ainsi qu'un mignon petit tamanoir duquel elle s'éprit, du moins jusqu'à ce que sa mère prenne Louve pour un repas plutôt coriace.

A ce rythme, il lui fallut deux jours pour s'y habituer, mangeant peu, dormant moins encore, constamment sur le qui-vive. Et puis ses rêves étaient depuis peu devenus cauchemars...
Elle découvrit ainsi le lait de coco, la sève d'un arbre au goût de miel et même une fougère géante qui se refermait la nuit et dans laquelle Louve put passer une nuit tranquillement.

Puis vint la pluie. Les pluies tropicales.

Elle n'avait aucune idée de l'endroit où elle s'était échouée, n'avait aucunes connaissances climatiques, aucun savoir sur les mers, mais elle apprit à ses dépens que la fougère géante ne s'ouvrait pas du tout par temps de pluie. Et que les feuilles de palmier, dans le coin, se rétractaient lorsqu'on les touchait et que s'en faire un abri relevait de l'exploit. Heureusement pour notre petite poupée de porcelaine, il ne faisait pas bien froid et elle finit par trouver une cavité à peine assez large pour elle dans une roche calcaire non loin du rivage.

C'est là qu'elle comprit le concept de territoire dans un lieu inhospitalier.

Et c'est également là que Maman Ours qui n'avait rien demandé à personne autre qu'un endroit pour sécher le poil de son fils, apprit que la jeune Louve qui occupait la cavité n'était pas partageuse et qu'elle constituait un adversaire de taille. Fière de son exploit, la jeune ex-pirate s'endormit d'une nuit complète et uniquement brouillée par la marée en furie contre les falaises un peu plus loin.

Dans ce contexte, elle arrivait à faire abstraction de tout ce qu'elle venait de vivre. La perte de son équipage, la mort de son père, son naufrage et ses trois jours d'errance sur une mer désespérément vide pour finalement arriver jusqu'ici. Elle ne savait plus comment elle était passée de l'état prostrée et morte de peur contre le bastingage de son navire à celui d'unique rescapée, mais son esprit, la nuit, faisait le lien, tissant des souvenirs de ce qu'il lui manquait pour garder un semblant de stabilité -mentale. Échec diraient certains. Mais plus elle se passait et repassait sa propre version en tête, seule dans sa cavité, transie de froid, les yeux dans le(s) vague(s), plus elle lui paraissait logique et immuable. De toute façon, à part elle, qui aurait pu tuer cette monstruosité qui se disait être son père ?


Après une semaine, la survie lui semblait moins difficile.

Elle avait retrouvé la barque, maintenant éventrée, et l'avait utilisée pour se faire un feu, comme elle le pouvait et après une trentaine d'essais et une douzaine de crise de nerfs infructueux. D'une branche particulièrement solide, elle s'était faite une lance pour la douzaine de lapins. Elle ne reçut qu'une bonne dizaine de blessures supplémentaires, et décida qu'un harpon serait plus évident. Et moins dangereux. Et pour la première fois depuis une bonne semaine, elle mangea de la chair cuite et si c'était le pire des repas qu'elle ait pu mangé dans toute sa vie, elle en pleura de soulagement et de plaisir.
Le feu, elle l'entretint sans cesse, l'empêchant de mourir, le ravivant toutes les heures s'il le fallait et ce comme si ce modeste brasier représentait la propre flamme de sa volonté. Après tout, elle était en vie et s'en tirait pas trop mal. Même seule. Même terriblement seule. Et effrayée par ce qui l'attendait.

-C'est l'histoire d'un gentil garçon et d'une prison toute blanche... se répétait-elle le soir pour se rassurer.

Ce qui ne manquait pas d'échouer.


La deuxième semaine passa trop vite et trop bien.
Louve prit enfin sa revanche sur le singe trop protecteur en le passant à tabac à coup de bois mort. Et de coups de pieds.
Les Lapins, elle finit par avoir les douze à la broche en trois repas. Accompagnés de quelques fruits, ils constituaient sa victoire la plus glorifiante à ses yeux émeraude, plus encore du haut de ses douze ans. Ainsi que le repas le plus calorifique qu'elle ait eue depuis déjà trop longtemps à ses yeux.
Bref, cette vie lui aurait convenue jusqu'à ce qu'un navire passe non loin des côtes qu'elle ne quittait plus du regard. Jusqu'à ce qu'enfin une voile blanche lui apporte un salut demandé, chéri et souhaité.

Comme par exemple ces trois mâts à l'horizon.


Dernière édition par Blacrow L. Rachel le Ven 12 Avr 2013 - 17:37, édité 1 fois
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La détonation la fit sursauter une seconde ou deux après que la balle se soit fichée dans le sable à quelques pas d'elle. Sans comprendre, elle regarda tour à tour les grains tourmentés à ses pieds et les voiles blanches qu'elle pouvait maintenant distinguer clairement. Immobile, dans la position qu'elle avait adopté pour faire de grands signes au navire, elle s'était figée les bras levés, son regard de jade était empli d'une perplexité impressionnante. Puis une fumée blanche s'éleva une seconde fois du navire et une nouvelle gerbe de sable à ses pieds la firent se recroqueviller pour qu'enfin la détonation sonne comme un glas macabre : celui du Destin.

Une nouvelle détonation la fit frémir, mais cette fois-ci, si la fumée blanche signe qu'un nouveau mousquet venait de claquer s'élevait au-dessus du navire, pas de gerbe de sable ou de douleur prouvant qu'elle avait été touchée. Par contre, elle discerna clairement un corps jeté à l'eau. Le corps du tireur qui l'avait raté jusqu'à maintenant. Enfin, juste du tireur... peut-être.
Pourtant, puisqu'elle fixait toujours ces voiles blanches avec un espoir agonisant, un nouvel écran de fumée fit son apparition à l'horizon et une balle alla arracher une feuille bien plus loin derrière elle. Notre jeune Louve ne comprenait pas. On lui tirait dessus ? Pour de vrai ? Pourquoi à côté d'elle uniquement ? Et surtout, pourquoi ?

Le silence qui suivit fut long et tourmenté. Il lui semblait entendre des rumeurs, des clameurs, des cris et des rires, mais ça aurait tout aussi bien pu être le vent qui se jouait d'elle. Tout comme ses yeux devaient la tromper... Il ne pouvait pas y avoir une dizaines de nuages de fumée blanche à l'horizon... Ils n'étaient pas en train de la prendre pour cible... pas pour de vrai.
Horrifiée, pourtant, elle n'attendit pas que les détonations lui écorchent les tympans avec la force et la puissance de la désillusion et ne resta pas longtemps les bras en croix à attendre qu'enfin l'un deux parvienne à la toucher. Ventre à terre, bras par dessus-tête comme une maigre protection innée, elle courut aussi vite qu'elle le put sous le couvert d'un arbre fruitier aux branches aussi épaisses que le cuir d'un monstre marin. Dans le tonnerre qui avait grondé autour d'elle et sous la pluie dont elle était la cible, il lui sembla qu'uniquement une balle parvint à lui arracher une mèche de cheveux. Mais de certitudes, elle n'avait pas, trop occupée à fuir une chose qu'elle s'efforçait de croire irréelle. Tout cela n'était qu'un rêve ou un cauchemar. Bien que la lèvre mordue avec force lui prouve le contraire.

Cachée derrière la branche d'arbre, bravant toutes les cellules de son corps qui lui hurlaient de s'enfuir le plus loin possible, elle observa le navire se diriger vers elle, vers l'île où, vraisemblablement, elle était la seule âme qui vive. Et soudain, au large, le gigantesque navire fut déporté. Voiles bien trop gonflées, la silhouette du vaisseau prit de la gîte et faillit se retourner sous les affres d'un coup de vent bien plus sournois et violent qu'une simple bourrasque. Louve se surprit alors à prier pour qu'ils se noient tous. Mais seul le mât finit par se briser, empêchant le navire de sombrer totalement. A moins qu'ils n'aient dû le couper à la hache en urgence. Au grand dam de Louve qui observa, aussi impuissante que nauséeuse les barques et bicoques qui furent mises à la mer et qui prirent le cap de sa plage. Et la santé de Louve n'était sûrement pas leur inquiétude principale... Ce devait même être le contraire. C'est donc par peur et par volonté d'échapper à ces hommes qui lui tiraient dessus qu'elle s'enfuit vers la grotte prise à maman ourse quelques jours plus tôt. Maintenant qu'elle savait ce que signifiait un territoire en milieu hostile, elle le défendrait jusqu'au bout ! Et cela même s'il s'agissait d'un maigre rempart qui ne faisait que repousser l'échéance.


Une échéance qui fut repoussée durant deux jours. Autant dire une éternité lorsque l'on ose pas mettre le nez dehors, que l'on boit les gouttes d'eaux qui tombent du plafond lors des averses quotidiennes et que l'on mange les salamandres qui vivent au fond de la modeste grotte.
Sa plus grande perte fut les flammes rassurantes qu'elle avait eu la vivacité d'esprit d'éteindre. Ou la stupidité. Car la nuit fut humide et froide, et si elle était morte de peur à l'idée de dormir, elle pleura son feu. Elle pleura sa situation, maudit ces hommes qui lui tiraient dessus. Elle maudit aussi son père qui avait perdu la raison, et le pleura dans la même heure, regrettant une vie paisible sur les mers qu'une maladie, qu'une folie passagère lui avait arrachée. Elle était seule, elle était perdue, elle était désespérée. Elle avait froid, elle avait faim, elle avait peur, était terrifiée. Elle était traquée. Toute la journée elle entendit les appels et rires gras, les discussions de ceux qui passaient non-loin de son refuge, elle discerna que l'on fouillait les fougères, les arbres, les côtes, les tanières et les autres cavernes que l'île abritait. Elle, recroquevillée dans un coin sombre et froid et humide et vaseux, elle chantait tout bas, tentait de se rassurer...

-C'est l'histoire d'un gentil garçon dans une prison toute blanche... Retenu captif par des monstres habillés de blanc et aux yeux globuleux qui lui faisaient mal, chaque jour, perturbant son corps et son esprit...

C'est finalement les restes de sa barque qui les aiguillèrent en la fin de journée. Par petits groupes de trois, ils avaient sillonné l'île tant qu'ils le purent avant de parvenir jusqu'à sa cachette. Bruyants, riants aux éclats, médisant sur d'autres membres d'équipage, le premier à se montrer arborait un sourire mauvais. Un sourire qui s'effaça comme le harpon puis la lance archaïques vinrent se planter dans son buste. Il s'effondra en hurlant de douleur au pied du deuxième qui bondit dans la cavité calcaire. Il y fut reçu en grande pompe avec un nuage de cendres qui l'éblouit et sembla lui arracher les yeux. Reculant précipitamment, il trébucha sur son collègue, augmentant la terrible douleur de ce premier, avant de se prendre le pieds dans les roches et de tomber tête la première parmi les cailloux du lieu. Le troisième homme trouva alors dans la grotte une jeune fille en larmes, le regard enflammé, et telle une démone désespérée, elle se jeta sur lui, prête à lui faire subir le même sort qu'aux deux autres, quitte à y perdre la vie.

Lorsqu'on a un territoire et une vie à défendre...
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Elle se sentait transportée, portée sans ménagement. Louve sentait sa tête se balancer au rythme des pas rapides du dernier homme qu'elle n'avait pas su repousser. Et son sang battre à ses tempes, douloureusement, sans n'y pouvoir rien faire. Son crâne lui faisait mal, et elle avait le goût du sang à la bouche, la mâchoire ankylosée. Elle avait été frappée à n'en pas douter, et si l'homme y était allé avec ses phalanges, elle avait l'impression d'avoir été battu avec un bâton tant elle avait mal. Il la transportait sans précautions et telle un sac de riz, rapidement, presque en courant. Elle fermait les yeux pour ne pas avoir le vertige et pour se protéger de ce qui l'attendait, de sa peur. La peur, qui la tenaillait, le prenait au ventre. Qu'est-ce qui l'attendait donc ? Que lui voulait-on ? Que lui réserverait-on pour avoir envoyé sur les roses deux des leurs ? Louve grelottait, ses dents claquaient à une vitesse plus effrénée que les pas de l'homme, si effrayant, qui commençait à hurler, à crier à l'aide, qu'il avait trouvé la gamine et que deux autres étaient en mauvais état. Un pointe de satisfaction la gagna à l'écoute de la panique dans sa voix. Elle s'y accrocha comme à une bouée, pour ne pas sombrer dans la peur et la panique qui la glaçait. La satisfaction d'avoir pu se défendre, un minimum.

Les yeux toujours fermées, elle sentit autour d'eux beaucoup de mouvements, des pas précipités, des appels et des directions. Elle savait que si elle ouvrait les yeux, en plus de réveiller la douleur dans sa tête, elle se ferait noyer sous la marée de ces hommes, de cette agitation.

Elle fut jetée sur le sable. Comme ça sans cérémonies. Elle reconnut la brise marine et les odeurs de la mer, qu'elle n'avait su repérer avant alors qu'elle était encore transportée. Elle eut droit à quelques secondes de répit, comme ça, à reprendre son calme et son souffle, puis de nouvelles mains la saisirent et elle fut de nouveau soulevée du sol. Des voix graves, bourrues, l'apostrophaient mais elle gardait un silence religieux. Elle sentait les sanglots la gagner et la seule manière de les entraver était de garder les lèvres closes. Tremblantes mais closes. D'ailleurs, elle ne comprenait pas ce qu'on lui disait. Elle était paniquée, elle était perdue, elle était fatiguée. En revanche, les cordes autour des poignets, elle les sentit. Une fois de plus traînée dans le sable, elle n'opposa aucune résistance et ainsi devait se faire passer pour évanouie, les yeux fermés et les membres lourds. La souche contre son dos, elle la sentit aussi sûrement que la seconde paire de cordes qui vint lui entraver les jambes cette fois. On toucha à ses liens à ses poignets puis on la laissa là pour s'occuper des deux hommes qu'elle avait salement amoché. Un rictus fleurit malgré elle sur ses lèves, cette bulle de satisfaction, puis elle éclata, la laissant seule, dans le noir avec pour seule compagne, la panique qui reprit le dessus.

Elle préféra alors s'endormir.
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La nuit été tombée.
Son visage a demi-enfoui dans le sable encore chaud, souvenir réconfortant d'une journée passée à brûler bien plus que de raison -jusqu'à en maudire l'astre solaire- et qui à ces heures plus sombres la laissait aussi froide qu'une stèle funéraire, Louve dédaignait le bol de soupe tiède qu'on lui apportait. Sans un mot, l'homme venait, posait l'écuelle et repartait. Elle ne levait même pas le visage sur cette personne et ne posait pas son regard sur sa silhouette. Fusse-t-il être le diable incarné, elle ne l'aurait pas regardé.

On avait donné du mou à ses liens pour qu'elle puisse manger seule, mais tout ce qu'elle accepta de faire ainsi lâche dans ses entraves était de s'allonger face contre terre pour reposer comme elle le pouvait les quelques muscles plus fourbus que les autres. La crampe de sa cuisse droite par exemple. Et depuis, elle respirait le plus profondément possible, dans le noir, en rythme avec le ressac des vagues sur le rivage où elle vivait. Calme plat. Pas un brin de vent pour décoiffer ses cheveux sales en bataille. Heureusement, sinon elle en aurait grelotté de froid. Déjà qu'il ne faisait pas bien chaud.
Les yeux fermés, elle avait conscience du grand feu qui crépitait plus loin sur sa gauche. Comme du nombre d'hommes qui s'étaient installés sur cette île depuis plus de deux semaines. Ils étaient une douzaine en tout. Le reste était reparti pour voler, piller, détruire, tuer, que savait-elle encore. Car ils ne pouvaient vivre d'amour et d'eau fraîche sur cette île déserte. Alors à tour de rôle, ils faisaient une navette vers le reste du monde. Tandis que les autres restaient à boire, fumer, manger et rire-gras-er. Tandis qu'elle restait attachée à cet arbre mort, planté sur la plage de sable fin, pour avoir tué deux des leurs. Justice à la noix.

Elle avait pleuré, supplié, essayé de négocier, hurlé ; supporté leur colère, leurs pulsions et leurs envies de vengeance. Elle avait enduré, elle, du haut de ses treize petites années. Oh oui elle avait enduré. Tant qu'elle ne se souvenait plus de journées entières. Des journées où on la laissait mourir de chaud et de soif face à ce sel et ce sable trop blanc. Où les mirages qu'elle s'inventait lui tenaient compagnie comme ils l'ignoraient. Où ce soleil, trop brûlant et oppressant, ne la laissait dormir et où ces cordes, trop serrées sur ses frêles poignets, ne lui permettaient pas de se tordre pour faire circuler son sang convenablement.

Ils n'avaient pas voulu entendre. Ils n'avaient pas voulu comprendre. Ils n'avaient voulu écouter qu'eux. Et la laisser là, en pâture à la nature selon les bons soins de leur sadisme. Et puis le chef avait été clair : elle les rembourserait bientôt. Bientôt, elle paierait sa dette. Et si elle n'avait pas compris, et s'ils n'avaient pas pris la peine de lui expliquer, elle redoutait tant cet instant que, même soulagée par la fin d'une journée infernale, elle arrivait à en trembler de peur et d'appréhension. Même le visage dans le sable, elle pleurait ce qu'elle n'avait pu transpirer à l'idée de devoir payer plus qu'elle ne le faisait actuellement. Des pleurs silencieux. Des sanglots étouffés. Et qui même s'ils avaient été assumés, ne seraient pas parvenus jusqu'à leurs oreilles sourdes. Et comme tous les soirs, pour se calmer, à défaut de manger le bouillon qu'on lui servait, comme tous les soirs, pour tenter de s'apaiser, elle se récitait un conte qu'elle n'arrivait pas à oublier. Une histoire qu'elle connaissait par chœur et qu'elle chérissait dorénavant plus que tout.

-C'est l'histoire d'un gentil garçon dans une prison toute blanche... Retenu captif par des monstres habillés de blanc et aux yeux globuleux. Ils lui faisaient mal, tous les jour, abimant son corps et son esprit... jusqu'à ce qu'il en perde le sommeil. Jusqu'à ce qu'il en perde les souvenirs de sa mère. Jusqu'à ce qu'il en perde l'envie de vivre. Et depuis longtemps il ne vivait plus, n'était plus, ne rêvait plus. Juste son cœur avait une importance pour les monstres de blanc vêtus. Mais tel une fleur sans soleil, son cœur pourrissait. Puis, son espoir mourut...

Louve releva le visage et ouvrit les yeux sur son bol abandonné là. Un bol empli d'un morceau de viande encore rouge. Elle réprima un hoquet et des larmes qui n'avaient que trop coulées et tourna la tête vers le camp de vacance de ses tortionnaires. Là où, sur une broche géante, Maman ourse cuisait lentement.


Dernière édition par Blacrow L. Rachel le Mar 9 Avr 2013 - 1:58, édité 1 fois
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Les yeux hermétiquement clos, Louve attendait en tremblant le son de cloche qui annoncerait sa perte. Et elle tardait à venir, sa perte. Certains parlaient des trompettes du jugement dernier. Elle, elle espérait que son dernier jugement ne soit pas trop brutal. Un claquement sec, c'était rapide. Peut-être ne souffrirait-elle pas.

Obstinément aveugle à tout ce qui lui faisait face, le soleil qui la rougissait n'en nimbait pour autant pas moins sa vision d'un voile blanc éclatant. Elle s'éviterait peut-être ainsi de devoir marcher le long du couloir sombre et accèderait directement à la lumière. Elle y pensait fort, à cette douceur qui lui tendait presque les bras, s'y accrochant comme à un dernier et mince espoir alors que les larmes salées traçaient des sillons sur sa peau brûlante. Déjà plus si blanche après deux semaines en plein soleil. Il avait fallu qu'elle s'échoue en cette période de l'année. Étonnamment, elle savoura la fraîcheur relative de cette goutte sur sa joue, nourrissant d'autant plus ses sanglots silencieux qui exaspéraient tant les deux hommes un peu plus loin. Elle entendait leurs voix, mais depuis longtemps restait imperméable aux sens de leurs mots qu'ils réservaient à eux-même et dont on ne lui faisait que rarement partag

Louve se tendit comme si elle avait été frappée par la foudre alors que le coup redouté claquait soudainement, puis n'avisant aucune douleur de quelques sortes, elle se laissa aller à de nouveaux sanglots qu'elle n'essayait plus de retenir. De soulagement. Ou de découragement...

Et cent mile berries dans nos poches, qu'ils annoncèrent goguenards à quelques pas d'elle. Les deux hommes riaient de bon cœur. Ils lui apportèrent de l'eau. Elle but goulûment. Elle releva le regard.

Au loin, une barque, avec trois hommes parmi ceux qui avaient élu domicile sur cette petite partie de l'île. L'un assis, occupait les rames et la longue vue. Un deuxième, dans la même position, gardait un fusil sur l'épaule. Le dernier, debout celui-ci, se payait la bavette avec un type à bord du grand navire qui mouillait au large. L'un des plus gros qu'elle eut jamais vue. Tant qu'elle pouvait en compter les voiles et toutes les nommer -ou presque car d'aucunes lui étaient inconnues. A bord, des hommes tous armés d'un fusil, d'un colt, d'un canon. Et tous se moquaient de l'homme qui l'avait ratée, elle. Pauvre cible humaine, devenue stand de foire truqué pour venger la mort de deux hommes.

Pour s'être défendue.

Des fourmillements gagnèrent ses jambes. Elle remua vivement ses orteils dans le sable chaud sous ses pieds pour les oublier. Non les fourmillements, mais eux tous, marchandant un prix pour sa mort éventuelle. Alors elle jouait avec ce sable qu'elle côtoyait depuis plus de deux semaines, laissant des sillons de ses petits pieds liés, se tortillant pour les enterrer plus avant. Pour oublier le reste. Plus tard dans la soirée, elle demanderait à ce qu'on lui délie ses liens pour faire des pâtés de sable mouillé. Plus tard, oui, elle demanderait.

Mais pour l'heure, elle se tétanisait sous l'impact d'un boulet de canon de la taille d'une tête, venant creuser un cratère à trois pas d'elle et emporter un torrent de sable comme résonnait les tambours infernaux à ses oreilles fragiles.

Et cinq cent mile de plus...
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Cette fois, elle avait les yeux grands ouverts. Et elle voyait clairement tout ce qui l'entourait depuis que les larmes avaient fui ses yeux. Elle voyait chaque visage qui l'encerclaient. Elle discernait chaque couche qu'ils occupaient à tour de rôles. Elle avisait les douze possibilités de fuites qui lui murmuraient de saisir cette chance inespérée.

Ça faisait trois mois qu'elle était là, vivant, survivant avec ces hommes qui la tenaient prisonnière. Et depuis trois mois que Louve servait de cible humaine à la place de l'ourson qui avait été chassé comme des rois chassaient à courre les cerfs, jamais elle n'avait eu à se plaindre d'une autre morsure que celle du sel et du soleil. Jusqu'à cette journée qui avait vu accueillir de nouveaux clients. Vents peu cléments, pluies battantes toute la journée, houle agitée et un équipage de truands en tout points identiques à la météo. D'humeur aussi exécrable que le ciel pouvait l'être. Mauvais joueurs qui plus est, car après avoir perdu un million de berries en paris stupides, ils avaient passé leur frustration en libérant sur la pauvre Louve transie une pluie nouvelle d'aucuns plus mordante que les gouttes était fourbes. Et pour la première fois en trois mois, Louve connut la réelle douleur, celle d'un balle qui se taille un chemin à travers les chairs et entre les organes pour planter dans son corps frêle la graine de la souffrance et du désespoir.

Le désespoir d'avoir survécu.

Alors elle était là, assise devant le feu des forbans dont elle était la chose, les cris depuis longtemps ravalés, la gorge nouée d'avoir trop gémi, admirant impuissante les doigts experts du médecin qui retirait d'une main agile les deux balles qui s'étaient logées dans son épaule et sa hanche. Personne ne parlait dans le cercle de ces hommes qu'elle haïssait chaque jour un peu plus, car les tensions avec ces voleurs leur avait coûté un homme également. Et devant leur mutisme et leur défaitisme, Louve ravalait une colère sourde et un dégoût qui l'emplissaient à chaque fois qu'elle posait ses yeux verdoyants sur ces mines abattues.

Alors qu'on lui faisait payer au centuple une faute qui s'en trouvait beaucoup moins grave.

Ils avaient dû faire ces têtes d'enterrement lorsqu'elle avait tué sans le vouloir leurs camarades, Mais cette fois, ils n'avaient pas poursuivi les coupables. Trop couards. Trop faibles. Alors elle ravalait sa rage, la jeune louve. Elle ravalait sa haine comme elle contenait ses cris alors que le médecin cautérisait les plaies et qu'il bandait les blessures comme les autres noyaient la leur dans un alcool trop vieux et plus très spirituel.
Et pour éviter que ses blessures empirent - « comprenez, elle devait rester vivante et présentable pour le lendemain » - le médecin exigea qu'elle dormit sur place, auprès du feu. Elle resta impassible, les lèvres closes, mais en dedans, elle jubilait d'une joie malsaine qu'elle ne se connaissait pas. Car elle avisait les douze sorties qui lui murmuraient de les emprunter.

Et elle en choisit une, notre Louve ; tandis que tous dormaient ou presque, un insomniaque dégarni que les rêves avaient depuis longtemps quitté restait éveillé à tisonner des flammes en veille. Le médecin se retourna dans son sommeil en grommelant, un homme toussa grassement tout en dormant, et une noix de coco s'écrasa sur le crâne de la vigie. Il s'effondra dans un silence sépulcral et une ombre nimbée par l'astre lunaire s'éloigna à la hâte du camp qui la séquestrait.

An old man dies

A young girl lives

Fairtrade
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Autour d'elle, la pluie. Battante. Violente. De celles dont on ne pouvait échapper même sous un grand arbre, dans une grotte, ou sous la mer. Des trombes d'eaux déversées par un ciel d'un gris trop sombre pour l'heure avancée de la journée. Qui trempaient jusqu'à la moelle et effrayaient toute la faune locale. Même la flore au vu de ces gigantesques plantes qui les fuyaient.
Le sol n'était que mares de boues traitres. Et l'horizon plus même visible. On n'y voyait qu'à quelques pas seulement à tel point que s'orienter devenait impossible. Les animaux se faisaient rares et agressifs et avec eux la nourriture. Des fruits trop murs, des racines caoutchouteuses, et des feuilles sucrées étaient le repas quotidien de Louve dans cette jungle hostile. Mais l'avantage indéniable de ces jours de pluie était l'absence de ses poursuivants. Pas question de mettre une mèche ou un orteil hors de leurs toiles par ce temps. Alors Louve n'avait plus à s'inquiéter qu'on la retrouvât.

Tout ce dont elle devait s'inquiéter, c'était de trouver un abri tout subjectif qu'il fut, grâce auquel elle pourait éviter le gros de la soupe que les nuages déversaient sur l'île, emmitouflée dans une couverture trop fine qui lui tenait aussi chaud que la comptine qu'elle avait pris l'habitude de se chanter.

Les cordes d'eau résonnèrent avec force et fracas pendant une heure, puis une autre, puis encore une autre, et enfin d'autres en suivant. Louve restait abritée de son mieux sous diverses feuilles qu'elle avait arrachée à la forêt après en avoir délogé les larves de la taille de son propre bras. Et depuis elle somnolait, grelottante, reniflant et se répétant en boucle cette histoire qu'elle finissait par modifier à chaque récitation.
Jusqu'à ce que la pluie cesse d'être un rideau, qu'elle puisse voir au delà de quelques mètres, et qu'un orang-outang la déloge de son abri.

La voilà donc errante de nouveau sur une plage au sable détrempé comme à marée basse, les cheveux noirs dégoulinants sur son visage et ses bras pelotonnés contre son corps frêle. Arpentant des rivages vides et désespérément déserts, la mine inexpressive face au spectacle qu'une mer trop calme pour la météo lui offrait de bon cœur.

Face à elle, d'épars morceaux calcinés d'épave échouée. Le reste d'un mât noyé et de bastingages en bois flotté. Et guère plus. Mis à part une figure de proue détruite de pied en cap et malgré tout familière, c'était tout ce qu'il restait du navire avec lequel elle avait arpenté des mers, grandi, aimé ; de simples planches de bois éparpillés par un courant qui l'avait elle-même conduite à cette île infernale.
Sans même sentir ne serait-ce qu'une larme couler, elle laissa ses pas la guider jusqu'à cette alcôve inattendue. Inexpressive, à peine nostalgique. Sur son visage, la pluie avait lavé toutes émotions en larges sillons d'eau pure.
Mystérieusement, elle y fut à l'abri du crachin qui s'installait quand des feuilles ne purent la préserver d'énormes gouttes. Elle s'y lova, en boule, mystifiée par cette présence et bordée par des odeurs et souvenirs qu'elle s'imaginait plus qu'elle reconnaissait. Et elle y resta. Et elle y dormit...

-C'est l'histoire d'un gentil garçon et d'une prison toute blanche, entouré de monstres blancs et aux yeux vitreux. Aspirant son âme comme des moustiques boiraient le sang d'un agneau. Et ils lui faisaient mal, chaque jour. Et ils épuisaient son corps et son esprit. Chaque jour. Jusqu'à ce qu'il en perde le sommeil... jusqu'à ce qu'il en perde les souvenirs de sa mère... jusqu'à ce qu'il perde l'envie de vivre... et depuis longtemps il ne vivait plus. Depuis longtemps il ne rêvait plus. Depuis longtemps, il n'était plus. Pourtant, les monstres de blanc continuaient, chaque jour ; car seul son cœur avait une importance. Tant qu'il battait. Mais tel une fleur que l'on prive de soleil, son cœur mourut peu à peu. Jusqu'à ce que se meure son espoir et avec lui le gentil garçon.

On l'y laissa, dans la blanche prison ; on l'y abandonna. Les monstres blancs venaient, mais ne lui faisaient plus mal. Ils voulaient que reparte le cœur. Qu'il s'abreuve de soleil. Et en tant que soleil, vint un monstre blanc aux cheveux rouges...


...Et on l'y retrouva.
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Il faut que tu manges.


Bois.


Tu dormiras ce soir. Mieux, même.


Laisse moi. Je panse tes blessures.


Tes chevilles ne vont pas guérir si tu t'obstines à te lever.


Allez, mange.
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Elle était entourée de monstres qui aspiraient son âme comme des moustiques. Qui lui faisaient mal, chaque jour...


Des mots. Ce n'était que des mots. Comme ceux qu'elle se répétait chaque soir pour ne pas passer une nuit trop seule. Elle les ignorait, au début. Elle ne les entendait même pas. Pourtant, dès que le médecin s'approchait, elle sentait que c'était à elle qu'il s'adressait. Que l'air qu'il soufflait et que les lèvres qui remuaient n'étaient pas juste là pour respirer. Qu'il lui parlait à elle.

Elle ne répondait pas. Qu'aurait-elle eu à dire ? Non, elle laissait glisser les mots sur elle comme le sang sur ses lèvres gercées. Elle n'avait rien à répondre. Alors elle gardait le silence. Restait enfermée dans un mutisme qu'elle partageait avec ce sable chaud qu'elle finit par trouver agréable. Qu'elle arrivait presque à apprécier.
Tout comme le Soleil de la journée était le témoin de ses supplices, la Lune, elle, devait supporter les rêves qu'elle ne faisait plus. Quels rêves ? Ceux où elle vivait heureuse avec ses pères sur le navire qu'elle avait trouvé échoué sur la plage de l'autre côté de l'île ? Quels pères ? Ceux qui avaient été tués par son père ? Quel père ? Celui qu'elle avait été obligé de tuer pour ne pas qu'il lui fasse la même chose qu'à tout l'équipage ? Tout ça pour une maladie. Une vraie maladie ? Un accès de folie plutôt. Oui, les yeux dans la lune, elle savait que son père avait été fou. Et qu'à parler à l'astre blanc sans même remuer les lèvres, elle aussi le devenait. Il lui suffisait de fermer les yeux, pendant ces nuits où la souffrance se repaissait d'elle, pour se souvenir de son regard fou. De la lame de son couteau, rouge du sang des autres. Mais de son visage, elle n'en distinguait plus la forme. Louve serra les dents à s'en faire mal à la mâchoire. Elle ne se souvenait même plus de cette nuit. Juste des cauchemars. Alors autant ne pas dormir. Oui, Lune. Tu penses comme elle.

Elle en perdait le sommeil. Elle en perdit les souvenirs de son père. Elle en avait perdu son espoir...



Tiens, une couverture. Le vent souffle cette nuit.


Vrai qu'il faisait plus froid cette nuit là. Ils l'avaient laissée dormir contre son arbre mort. Le tronc était aussi érodé par son dos que la falaise par l'écume. Parfaitement moulé sur elle. Et ces rares moments de solitude où on la laissait se détendre, elle les savourait. Car ils étaient trop endormis pour faire attention à elle. Une chance par jour qu'elle avait saisi de nombreuses fois les deux derniers mois. Depuis sa première échappée fructueuse. Lors des nuits calmes où ils dormaient, elle avait réussi à se défaire des pire nœuds qu'ils avaient eu l'inventivité de créer. Elle se sciait les poignets, lui semblait qu'elle se les tranchait pour se défaire de ses liens, mais après deux semaines à les détendre petit à petit, elle trouvait immanquablement le moyen de s'en extirper. Et de fuir. Mais à chaque fois on l'avait rattrapée et ça avait été pire encore. Alors cette fois, dans le froid de la nuit, couverte plus qu'à l'accoutumée, elle ne tenta rien.

Car on lui avait brisé les pieds.

Elle avait hurlé, pleuré, supplié. Puis fut suppliciée. Ils n'avaient jamais eu de pitié. Le monstre, le grand, le chef, ne l'avait jamais regardé comme autre chose que de la fange trop sale pour son monde. Il l'avait regardée une fois. Juste une. Après qu'elle eut tué les deux premiers hommes à sa poursuite. Et il avait dit ces mots qui faisaient d'elle une cible. Mais depuis... Elle n'attendait plus rien de lui. Pas un regard. Pas une parole. Elle ne s'attendait pas à la rédemption. Elle préférait la Lune à lui. Elle préférait le sable et le sel à lui. Elle préférait le médecin à lui. Alors non, elle n'espérait plus. Et ses journées ne ressemblaient plus à des journées. Elle les passait, les yeux dans le vague ; dans les vagues. Et elle laissait le soleil lui brûler la peau et la rétine. Les coups de soleils n'étaient lavés que par la pluie froide des nuits glaciales. Elle ne dormait que par phases minuscules. Elle était tiraillée par les douleurs dans ses pieds qu'elle ne pouvait plus enfouir dans la chaleur douce du sable, pendant la nuit. Le bois dans son dos, bien qu'à sa forme, l'empêchait de fermer les yeux et de dormir plus d'une heure sans qu'elle ne se réveille avec une crampe ou des douleurs dans les reins. Elle ne pouvait détourner le regard du soleil. Et quand elle le faisait son reflet sur les vagues l'éblouissait de plus belle.
Elle oubliait alors. Qu'on lui apportait à boire et à manger. Que les balles sifflaient à côté d'elle comme les navires de passage remboursaient pour elle les deux hommes qu'elle avait tuée. Que le médecin lui soignait ses pieds. Qu'il lui parlait. Qu'elle souffrait, simplement, douloureusement.

Mais à ce stade, elle s'en fichait. Elle ne le remarquait même plus... Elle ne savait même plus comment elle s'appelait. Ou plutôt avait décidé de l'oublier. Puisque personne ne l'appelait plus. Que plus personne ne se souvenait d'elle. De son prénom. De ses yeux verts fermés au monde. Tout comme elle ne se souvenait plus de personne.

Depuis longtemps elle ne vivait plus. Ne rêvait plus. Ne ressentait plus. N'était plus. Mais comme une fleur que l'on prive de soleil, ayant perdu l'espoir, son cœur mourrait... Son cœur mourut.


Le vent souffla cette nuit, en effet. Mais pas de ce vent froid qui faisait frissonner ou hérisser les cheveux sur la nuque. Non. Ce vent là fut de ceux, bruyant, qui arracha Louve à sa torpeur quotidienne. Qui aida à la faire émerger de ce monde dans lequel elle se terrait depuis près de deux mois. Un vent, chaud, rougeoyant.

Mais il en était un qui ne lui faisait plus de mal. Qui voulait que reparte le cœur...

Le camp qu'elle avait appris à ignorer était baigné d'une lumière irréelle, nimbé de flammes jaunes, de couleurs rouges. Les cris... elle parvint presque à entendre, à comprendre ces cris. Trop faible pour se hisser sur ses genoux, elle dressa juste le cou pour observer le ballet des hommes qui éteignaient le foyer qu'ils avaient laissé se répandre à leurs tentes.

Qu'il s'abreuve à nouveau de soleil. Mais d'un soleil différent que celui qui la brûlait.

Le halo surnaturel éclairait la scène comme si elle était en train de rêver. Elle ne comprenait pas vraiment ce qui se passait, mais elle essayait. Il se passait quelque chose. Et pour la première fois depuis tout ça de temps, elle voulait se raccrocher à cet élément si singulier. Car elle sentait qu'il était important. Que les choses changeaient pour elle. Qu'elles allaient changer...

Il fallait qu'elles changent...

Allez...

Changez !


Au milieu des flammes, une silhouette grossissait comme elle se rapprochait d'elle. À pas vifs. A son bras, un couteau, luisant, reflétant les flammes.

Et en guise de soleil vint un monstre aux cheveux jaunes.

La lame brilla un instant et trancha instantanément les liens qui la retenaient contre l'arbre. Ainsi libérée, elle s'affala contre le sable tiède, le regard tourné vers cet homme qui se pencha sur elle, visiblement hâtif. Mais pourtant, il lui souriait d'un doux sourire. Comme pour la mettre en confiance. Elle n'avait pas peur.
Il tourna les talons, dos aux flammes et aux hommes paniqués et prit la direction de la forêt.

Alors, comme son espoir renaissait, son cœur repartit.

-Tu es en sécurité maintenant.
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