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Le début de la fin [FB 1611]

L'ambiance à la maison était festive. Maya fêtait ses huit ans. La jeune fille était heureuse. Maman rayonnait, Papa sifflotait, et l'air embaumait le ragoût de mouton tout juste prêt. Pendant que la grosse marmite marinait encore un peu et que Papa s'en occupait, Maya épluchait les pommes de terre avec Maman. Cette dernière lui racontait en même temps l'Histoire du Vilain Petit Canard.

_ Comme il faisait bon dans la campagne ! C’était l’été. Les blés étaient dorés, l’avoine verte, les foins coupés embaumaient, ramassés en tas dans les prairies, et une cigogne marchait sur ses jambes rouges, si fines et si longues et claquait du bec en égyptien (sa mère lui avait appris cette langue-là). Au-delà, des champs et des prairies s’étendaient, puis la forêt aux grands arbres, aux lacs profonds.

Maya ferma les yeux un instant, essayant d'imaginer la scène.

_ En plein soleil, un vieux château s’élevait, entouré de fossés, et au pied des murs poussaient des bardanes aux larges feuilles, si hautes que les petits enfants pouvaient se tenir tout debout sous elles. L’endroit était aussi sauvage qu’une épaisse forêt, et c’est là qu’une cane s’était installée pour couver. Elle commençait à s’ennuyer beaucoup. C’était bien long et les visites étaient rares les autres canards préféraient nager dans les fossés plutôt que de s’installer sous les feuilles pour caqueter avec elle. Enfin, un oeuf après l’autre craqua. " Pip, pip ", tous les jaunes d’oeufs étaient vivants et sortaient la tête.

La mère et la fille posèrent en même temps leur pomme de terre épluchée dans le plat tandis que le père sortait chercher du bois pour mettre dans l'âtre.

_ Coin, coin, dit la cane, et les petits se dégageaient de la coquille et regardaient de tous côtés sous les feuilles vertes. La mère les laissait ouvrir leurs yeux très grands, car le vert est bon pour les yeux.

Comme le monde est grand, disaient les petits. Ils avaient bien sûr beaucoup plus de place que dans l’oeuf.

Croyez-vous que c’est là tout le grand monde ? dit leur mère, il s’étend bien loin, de l’autre côté du jardin, jusqu’au champ du pasteur - mais je n’y suis jamais allée. " Etes-vous bien là, tous ? " Elle se dressa. " Non, le plus grand oeuf est encore tout entier. Combien de temps va-t-il encore falloir couver ? J’en ai par-dessus la tête. " Et elle se recoucha dessus.


Maya laissa sa pomme de terre en plan et préféra s'asseoir tout simplement pour écouter.

_ Eh bien ! comment ça va ? demanda une vieille cane qui venait enfin rendre visite.

Ça dure et ça dure, avec ce dernier oeuf qui ne veut pas se briser. Mais regardez les autres, je n’ai jamais vu des canetons plus ravissants. Ils ressemblent tous à leur père, ce coquin, qui ne vient même pas me voir.

Montre-moi cet oeuf qui ne veut pas craquer, dit la vieille. C’est, sans doute, un oeuf de dinde, j’y ai été prise moi aussi une fois, et j’ai eu bien du mal avec celui-là. Il avait peur de l’eau et je ne pouvais pas obtenir qu’il y aille. J’avais beau courir et crier. Fais-moi voir. Oui, c’est un oeuf de dinde, sûrement. Laisse-le et apprends aux autres enfants à nager.

Je veux tout de même le couver encore un peu, dit la mère. Maintenant que j’y suis depuis longtemps.

Fais comme tu veux, dit la vieille, et elle s’en alla.


Maman, aussi blonde que Maya, imitait à la perfection les voix caquetantes des deux canes, rendant le récit encore plus réel et amusant.

_ Enfin, l’oeuf se brisa.

Pip, pip, dit le petit en roulant dehors. Il était si grand et si laid que la cane étonnée, le regarda.
En voilà un énorme caneton, dit-elle, aucun des autres ne lui ressemble. Et si c’était un dindonneau, eh bien, nous allons savoir ça au plus vite. Le lendemain, il faisait un temps splendide. La cane avec toute la famille S’approcha du fossé. Plouf ! elle sauta dans l’eau. Coin ! coin ! commanda-t-elle, et les canetons plongèrent l’un après l’autre, même l’affreux gros gris.

Non, ce n’est pas un dindonneau, s’exclama la mère. Voyez comme il sait se servir de ses pattes et comme il se tient droit. C’est mon petit à moi. Il est même beau quand on le regarde bien. Coin ! coin : venez avec moi, je vous conduirai dans le monde et vous présenterai à la cour des canards. Mais tenez- vous toujours près de moi pour qu’on ne vous marche pas dessus, et méfiez-vous du chat. Ils arrivèrent à l’étang des canards où régnait un effroyable vacarme. Deux familles se disputaient une tête d’anguille. Ce fut le chat qui l’attrapa.


A la mention du chat, Maya intervint.

_ Comme le chat de la Tisseuse ? Un gros chat qui griffe tout ceux qui l'approchent ?
_ On peut le supposer oui. Mais contrairement à Griftou, ce chat-là sait attraper les poissons.

Ayant fini d'éplucher les pommes de terre, elle les lava et les coupa en morceau pour les rajouter dans la marmite, tout en poursuivant son histoire.

_ Ainsi va le monde ! dit la cane en se pourléchant le bec. Elle aussi aurait volontiers mangé la tête d’anguille.

Jouez des pattes et tâchez de vous dépêcher et courbez le cou devant la vieille cane, là-bas, elle est la plus importante de nous tous. Elle est de sang espagnol, c’est pourquoi elle est si grosse. Vous voyez qu’elle a un chiffon rouge à la patte, c’est la plus haute distinction pour un canard. Cela signifie qu’on ne veut pas la manger et que chacun doit y prendre garde. Ne mettez pas les pattes en dedans, un caneton bien élevé nage les pattes en dehors comme père et mère. Maintenant, courbez le cou et faites coin ! Les petits obéissaient, mais les canards autour d’eux les regardaient et s’exclamaient à haute voix :

Encore une famille de plus, comme si nous n’étions pas déjà assez. Et il y en a un vraiment affreux, celui-là nous n’en voulons pas. Une cane se précipita sur lui et le mordit au cou.

Laissez le tranquille, dit la mère. Il ne fait de mal à personne.

Non, mais il est trop grand et mal venu. Il a besoin d’être rossé.


A ces mots, Maya se renfrogna légèrement. C'était exactement comme ceci que la traitait les autres enfants.

_ Maya n'aime pas ces autres canards.
_ Tu as bien raison ma chérie, ils sont très vilains.

Elle remua doucement le ragoût tandis que le patriarche rentrait et rajoutait deux bûches au feu qui brûlait dans l'âtre. Maman reprit :

_ Elle a de beaux enfants, cette mère ! dit la vieille cane au chiffon rouge, tous beaux, à part celui-là : il n’est guère réussi. Si on pouvait seulement recommencer les enfants ratés !

Ce n’est pas possible, Votre Grâce, dit la mère des canetons ; il n’est pas beau mais il est très intelligent et il nage bien, aussi bien que les autres, mieux même. J’espère qu’en grandissant il embellira et qu’avec le temps il sera très présentable. Elle lui arracha quelques plumes du cou, puis le lissa :

Du reste, c’est un mâle, alors la beauté n’a pas tant d’importance.

Les autres sont adorables, dit la vieille. Vous êtes chez vous, et si vous trouvez une tête d’anguille, vous pourrez me l’apporter.

Cependant, le pauvre caneton, trop grand, trop laid, était la risée de tous. Les canards et même les poules le bousculaient. Le dindon - né avec des éperons - et qui se croyait un empereur, gonflait ses plumes comme des voiles. Il se précipitait sur lui en poussant des glouglous de colère. Le pauvre caneton ne savait où se fourrer. La fille de basse-cour lui donnait des coups de pied. Ses frères et soeurs, eux-mêmes, lui criaient :

Si seulement le chat pouvait te prendre, phénomène !

Et sa mère :

Si seulement tu étais bien loin d’ici !

C’en était trop ! Le malheureux, d’un grand effort s’envola par- dessus la haie, les petits oiseaux dans les buissons se sauvaient à tire d’aile. "Je suis si laid que je leur fais peur", pensa-t-il en fermant les yeux. Il courut tout de même jusqu’au grand marais où vivaient les canards sauvages. Il tombait de fatigue et de chagrin et resta là toute la nuit.


Maya leva les yeux vers sa mère qui venait de retirer la marmite du feu pour la poser sur la table.

_ Qu'est-ce qui lui arrive ensuite ?
_ Tu le sauras après manger, avant de dormir.

Maya hocha la tête et sautilla jusqu'à sa place tandis que ses parents servaient les trois assiettes. Maya mangea avec appétit, à grands renforts de "Slurp" lorsqu'elle buvait la sauce dans son assiette.

Quand le repas fut fini, Maya eut la surprise de trouver un petit paquet sur son oreiller. Elle le déballa, et découvrit alors une petite sculpture représentant le visage de Maman lui souriant. Maya la mit sous son oreiller et remercia sa mère. Son père était en retrait, sans vraiment paraître vouloir s'insérer dans la scène.


_ Merci Maman.
_ Mais de rien. Bon anniversaire ma chérie. On reprend la suite de l'histoire ?

Maya frappa dans ses mains, heureuse.

_ Au matin, les canards en voyant ce nouveau camarade s’écrièrent :

Qu’est-ce que c’est que celui-là ? Notre ami se tournait de droite et de gauche, et saluait tant qu’il pouvait.

Tu es affreux, lui dirent les canards sauvages, mais cela nous est bien égal pourvu que tu n’épouses personne de notre famille. Il ne songeait guère à se marier, le pauvre ! Si seulement on lui permettait de coucher dans les roseaux et de boire l’eau du marais. Il resta là deux jours. Vinrent deux oies sauvages, deux jars plutôt, car c’étaient des mâles, il n’y avait pas longtemps qu’ils étaient sortis de l’oeuf et ils étaient très désinvoltes.

Ecoute, camarade, dirent-ils, tu es laid, mais tu nous plais. Veux-tu venir avec nous et devenir oiseau migrateur ? Dans un marais à côté il y a quelques charmantes oiselles sauvages, toutes demoiselles bien capables de dire coin, coin (oui, oui), et laid comme tu es, je parie que tu leur plairas. Au même instant, il entendit Pif ! Paf !, les deux jars tombèrent raides morts dans les roseaux, l’eau devint rouge de leur sang. Toute la troupe s’égailla et les fusils claquèrent de nouveau. Des chasseurs passaient, ils cernèrent le marais, il y en avait même grimpés dans les arbres. Les chiens de chasse couraient dans la vase. Platch ! Platch !


Maya se cramponna un peu à sa couette, inquiète du sort du petit canard.

_ Les roseaux volaient de tous côtés ; le pauvre caneton, épouvanté, essayait de cacher sa tête sous son aile quand il vit un immense chien terrifiant, la langue pendante, les yeux étincelants. Son museau, ses dents pointues étaient déjà prêts à le saisir quand - Klap ! il partit sans le toucher.

Oh ! Dieu merci ! je suis si laid que même le chien ne veut pas me mordre. Il se tint tout tranquille pendant que les plombs sifflaient et que les coups de fusils claquaient. Le calme ne revint qu’au milieu du jour, mais le pauvre n’osait pas se lever, il attendit encore de longues heures, puis quittant le marais il courut à travers les champs et les prés, malgré le vent qui l’empêchait presque d’avancer. Vers le soir, il atteignit une pauvre masure paysanne, si misérable qu’elle ne savait pas elle-même de quel côté elle avait envie de tomber, alors elle restait debout provisoirement. Le vent sifflait si fort qu’il fallait au caneton s’asseoir sur sa queue pour lui résister. Il s’aperçut tout à coup que l’un des gonds de la porte était arraché, ce qui laissait un petit espace au travers duquel il était possible de se glisser dans la cabane. C’est ce qu’il fit. Une vieille paysanne habitait là, avec son chat et sa poule. Le chat pouvait faire le gros dos et ronronner. Il jetait même des étincelles si on le caressait à rebrousse-poil. La poule avait les pattes toutes courtes, elle pondait bien et la femme les aimait tous les deux comme ses enfants. Au matin, ils remarquèrent l’inconnu. Le chat fit "chum" et la poule fit "cotcotcot ".

Qu’est-ce que c’est que ça ! dit la femme. Elle n’y voyait pas très clair et crut que c’était une grosse cane égarée. " Bonne affaire, pensa-t-elle, je vais avoir des oeufs de cane. Pourvu que ce ne soit pas un mâle. Nous verrons bien. " Le caneton resta à l’essai, mais on s’aperçut très vite qu’il ne pondait aucun oeuf. Le chat était le maître de la maison et la poule la maîtresse. Ils disaient : " Nous et le monde ", ils pensaient bien en être la moitié, du monde, et la meilleure. Le caneton était d’un autre avis, mais la poule ne supportait pas la contradiction.

Sais-tu pondre ? demandait-elle.

Non.

Alors, tais-toi. Et le chat disait :

Sais-tu faire le gros dos, ronronner ?

Non.

Alors, n’émets pas des opinions absurdes quand les gens raisonnables parlent.

Le caneton, dans son coin, était de mauvaise humeur ; il avait une telle nostalgie d’air frais, de soleil, une telle envie de glisser sur l’eau. Il ne put s’empêcher d’en parler à la poule.

Qu’est-ce qui te prend, répondit-elle. Tu n’as rien à faire, alors tu te montes la tête. Tu n’as qu’à pondre ou à ronronner, et cela te passera.

C’est si délicieux de glisser sur l’eau, dit le caneton, si exquis quand elle vous passe par-dessus la tête et de plonger jusqu’au fond !

En voilà un plaisir, dit la poule. Tu es complètement fou. Demande au chat, qui est l’être le plus intelligent que je connaisse, s’il aime glisser sur l’eau ou plonger la tête dedans. Je ne parle même pas de moi. Demande à notre hôtesse, la vieille paysanne. Il n’y a pas plus intelligent. Crois-tu qu’elle a envie de nager et d’avoir de l’eau par-dessus la tête ?

Vous ne me comprenez pas, soupirait le caneton.

Alors, si nous ne te comprenons pas, qui est-ce qui te comprendra ! Tu ne vas tout de même pas croire que tu es plus malin que le chat ou la femme ... ou moi-même ! Remercie plutôt le ciel de ce qu’on a fait pour toi. N’es-tu pas là dans une chambre bien chaude avec des gens capables de t’apprendre quelque chose ? Mais tu n’es qu’un vaurien, et il n’y a aucun plaisir à te fréquenter. Remarque que je te veux du bien et si je te dis des choses désagréables, c’est que je suis ton amie. Essaie un peu de pondre ou de ronronner !

Je crois que je vais me sauver dans le vaste monde, avoua le caneton.


Les yeux grands ouvert, la petite Maya attendait avec appréhension la suite.

_ Il va vraiment partir ?

Maman ne répondit pas, déposant un baiser sur le front de sa fille avant de reprendre :

_ Eh bien ! vas-y donc. Il s’en alla. L’automne vint, les feuilles dans la forêt passèrent du jaune au brun, le vent les faisait voler de tous côtés. L’air était froid, les nuages lourds de grêle et de neige, dans les haies nues les corbeaux croassaient kré ! kru ! krà ! oui, il y avait de quoi grelotter. Le pauvre caneton n’était guère heureux.

Un soir, au soleil couchant, un grand vol d’oiseaux sortit des buissons.

Jamais le caneton n’en avait vu de si beaux, d’une blancheur si immaculée, avec de longs cous ondulants. Ils ouvraient leurs larges ailes et s’envolaient loin des contrées glacées vers le midi, vers les pays plus chauds, vers la mer ouverte. Ils volaient si haut, si haut, que le caneton en fut impressionné ; il tournait sur l’eau comme une roue, tendait le cou vers le ciel ... il poussa un cri si étrange et si puissant que lui- même en fut effrayé.

Jamais il ne pourrait oublier ces oiseaux merveilleux ! Lorsqu’ils furent hors de sa vue, il plongea jusqu’au fond de l’eau et quand il remonta à la surface, il était comme hors de lui-même. Il ne savait pas le nom de ces oiseaux ni où ils s’envolaient, mais il les aimait comme il n’avait jamais aimé personne. Il ne les enviait pas, comment aurait-il rêvé de leur ressembler...

L’hiver fut froid, terriblement froid. Il lui fallait nager constamment pour empêcher l’eau de geler autour de lui. Mais, chaque nuit, le trou où il nageait devenait de plus en plus petit. La glace craquait, il avait beau remuer ses pattes, à la fin, épuisé, il resta pris dans la glace. Au matin, un paysan qui passait le vit, il brisa la glace de son sabot et porta le caneton à la maison où sa femme le ranima.

Les enfants voulaient jouer avec lui, mais lui croyait qu’ils voulaient lui faire du mal, il s’élança droit dans la terrine de lait éclaboussant toute la pièce ; la femme criait et levait les bras au ciel. Alors, il vola dans la baratte où était le beurre et, de là, dans le tonneau à farine. La paysanne le poursuivait avec des pincettes ; les enfants se bousculaient pour l’attraper... et ils riaient ... et ils criaient.

Heureusement, la porte était ouverte ! Il se précipita sous les buissons, dans la neige molle, et il y resta anéanti. Il serait trop triste de raconter tous les malheurs et les peines qu’il dut endurer en ce long hiver. Pourtant, un jour enfin, le soleil se leva, déjà chaud, et se mit à briller.

C’était le printemps. Alors, soudain, il éleva ses ailes qui bruirent et le soulevèrent, et avant qu’il pût s’en rendre compte, il se trouva dans un grand jardin plein de pommiers en fleurs. Là, les lilas embaumaient et leurs longues branches vertes tombaient jusqu’aux fossés. Comme il faisait bon et printanier ! Et voilà que, devant lui, sortant des fourrés trois superbes cygnes blancs s’avançaient. Il ébouriffaient leurs plumes et nageaient si légèrement, et il reconnaissait les beaux oiseaux blancs. Une étrange mélancolie s’empara de lui.


Maya tombait de sommeil, mais elle se forçait à garder les yeux ouverts pour savoir la fin.

_ Je vais voler jusqu’à eux et ils me battront à mort, moi si laid, d’avoir l’audace de les approcher ! Mais tant pis, plutôt mourir par eux que pincé par les canards, piqué par les poules ou par les coups de pied des filles de basse-cour ! Il s’élança dans l’eau et nagea vers ces cygnes pleins de noblesse. A son étonnement, ceux-ci, en le voyant, se dirigèrent vers lui.

Tuez-moi, dit le pauvre caneton en inclinant la tête vers la surface des eaux.

Et il attendit la mort. Mais alors, qu’est-ce qu’il vit, se reflétant sous lui, dans l’eau claire ? C’était sa propre image, non plus comme un vilain gros oiseau gris et lourdaud ... il était devenu un cygne !

Car il n’y a aucune importance à être né parmi les canards si on a été couvé dans un oeuf de cygne ! Il ne regrettait pas le temps des misères et des épreuves puisqu’elles devaient le conduire vers un tel bonheur ! Les grands cygnes blancs nageaient autour de lui et le caressaient de leur bec. Quelques enfants approchaient, jetant du pain et des graines. Le plus petit S’écria :

- Oh ! il y en a un nouveau.

Et tous les enfants de s’exclamer et de battre des mains et de danser en appelant père et mère. On lança du pain et des gâteaux dans l’eau. Tous disaient : " Le nouveau est le plus beau, si jeune et si gracieux. " Les vieux cygnes s’inclinaient devant lui. Il était tout confus, notre petit canard, et cachait sa tête sous l’aile, il ne savait lui-même pourquoi. Il était trop heureux, pas du tout orgueilleux pourtant, car un grand coeur ne connaît pas l’orgueil. Il pensait combien il avait été pourchassé et haï alors qu’il était le même qu’aujourd’hui où on le déclarait le plus beau de tous ! Les lilas embaumaient dans la verdure, le chaud soleil étincelait.

Alors il gonfla ses plumes, leva vers le ciel son col flexible et de tout son coeur comblé il cria : "Aurais-je pu rêver semblable félicité quand je n’étais que le vilain petit canard !


Enfin, la voix de Maman s'éteignit.

_ Et il s'est bien amusé avec ses nouveaux amis ?
_ Oui ma chérie. Toute sa vie il a été heureux. Il est resté honnête. Jamais orgueilleux. Et par-dessus tout, il n'a jamais menti. Il est resté tel qu'il était. Et ça, c'est le plus important ma chérie.

Maya hocha la tête.

_ Alors Maya, surtout, ne ment jamais. Sinon, Maman ne t'aimera plus. Tu comprends ? Tu serais une mauvaise fille.

Maya lui sourit, et s'endormit rapidement.

Le lendemain, le surlendemain et le jour suivant, l'histoire du vilain petit canard lui trottait encore dans la tête.

Un jour, quelques semaines plus tard, en rentrant de l'école, Maya trouva sa mère qui pleurait. Elle alla lui faire un câlin, peu habituée à ce spectacle. Elle resta là un moment, jusqu'à ce que les leurs de sa mère cesse.


_ Pourquoi tu pleurais Maman ?
_ Pour rien mon coeur. Je vais dans ma chambre. Mange, et attends Papa. J'ai juste besoin de me reposer.

La petite blonde hocha la tête et partit se chercher à manger comme une grande. Elle s'installa à table tandis que Maman allait dans sa chambre. Dans sa tête, elle se répétait l'histoire du vilain petit canard, s'imaginant qu'elle était l'héroïne de l'histoire et que les gamins du village qui l'embêtaient était les autres animaux, vilains et moins beaux.

Après un quart d'heure, elle entendit le bruit d'une chaise qui tombe venant de la chambre de Maman. Puis des p'tits cris étranglés, des gémissements étouffés. Au début, elle n'y prêta pas attention. Puis après quelques minutes, elle alla quand même voir ce qui se passait.

Quand elle ouvrit la porte, elle tomba sur un spectacle étrange. Maman se balançait au bout d'une corde passée par-dessus la poutre en bois du plafond. Elle tressaillait par moment, agitant ses bras et ses jambes dans des mouvements confus mais énergiques. Comme si elle s'amusait bien.


_ Maman ? Maya peut jouer avec toi aussi .

Maman ne répondait pas.

_ Maman ?

Pas de réponses. Qui ne dit mot consent, dit-on souvent. Alors, avisant le morceau de corde qui retombait de l'autre côté de la poutre, elle redressa la chaise et grimpa dessus. Elle fit un noeud comme le lui avait montré Papa quelques mois plus tôt. La langue coincée entre les incisives, elle était concentrée. Maman ne bougeait plus. Elle prenait une teinte bleue peu à peu.

A force de concentration, Maya réussit à nouer la corde comme elle le voulait. Elle la passa autour de son cou, comme Maman semblait avoir fait, et fit glisser la chaise du bout des pieds. Elle tomba. Comme quand elle l'avait trouvée en entrant dans la chambre.

L'air manquait un peu à Maya. Elle se balançait en souriant, mais la corde lui serrait le cou de plus en plus. Finalement, c'était moins amusant que ça ne le paraissait. Elle ne pouvait pas bouger comme elle le voulait. C'est son corps qui était agité de soubresaut, comme pour chercher à se défaire de la corde. Et puis l'image devenait de moins en moins nette. Maya voyait trouble. Elle étouffait. Elle voulu lever les mains pour tenter d'enlever la corde, mais ses bras ne lui répondaient plus.

La porte de la chambre s'ouvrit à nouveau. Papa était rentré.

Maya le vit vaguement se jeter su sa femme, couper le lien et recueillir son corps tandis que Maya était toujours suspendue par le cou. Elle l'entendit vaguement crier, pleurer, etc... Elle ne vit bientôt plus rien. Elle sentit vaguement la corde que l'on décrochait de son cou. Elle perdit connaissance en entendant son père crier quelque chose à propos d'inconscience, de mauvaise blague, etc...

Quand elle reprit conscience, quelques heures après, elle sentait que sa gorge était endolorie. Elle n'avait pas mal, mais ça la gênait pour parler, tousser et respirer. Papa était absent. Maman aussi. Il n'y avait que le médecin qui était là.


_ Tu as eu de la chance Maya. Un peu plus, et tu étais morte aussi.

Haussant les sourcils, la blonde regarda le médecin d'un air curieux, demandant d'une voix enrouée :

_ Pourquoi ? Et elle est où Maman ?

Le médecin la regarda sans comprendre.

_ Son jeu n'était pas si drôle que ça en tout cas. Maya ne s'est pas beaucoup amusée.

Se raclant la gorge, l'homme de science allait parler quand la porte s'ouvrit brusquement.

_ Ta mère est morte ! Et c'est de ta faute Maya ! Tu es une erreur de la nature, tu es folle !

Le docteur se leva et alla calmer Papa. Quand il revint, il reprit la parole :

_ Ta Maman est morte Maya. Et tu as failli y rester toi aussi.

La blonde ne comprenait pas.

_ Mais... C'était pas un jeu ?

Secouant la tête, le médecin essaya de lui expliquer, encore et encore. Ce n'est qu'une heure plus tard que Maya comprit. Maman n'était vraiment plus là. Maman était morte. Et Maya avait failli mourir aussi. Mais Papa l'avait sauvée.

_ Alors... Maya ne verra plus Maman ?

Le médecin secoua la tête. Alors, pour l'une des rares fois dans sa vie, Maya pleura. Elle pleura à chaudes larmes, mais sans un bruit. Le médecin tenta de la réconforter mais elle semblait ailleurs.

Elle pleura longtemps. Elle resta prostrée dans son lit, à manger la soupe que lui apportait son père sans grand enthousiasme.

Après cette fameuse soirée, dont elle garda la trace pendant plusieurs semaines, tout le monde la regarda bizarrement. Encore plus que d'habitude. Maya finit par reprendre la routine de sa vie, se faisant progressivement à l'absence de sa mère. Malgré tout, l'histoire du vilain petit canard resta gravé dans sa mémoire, ainsi que la voix de Maman la racontant.
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