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[1625] Pink is the new black


    L'orage qui avait éclaté pendant la nuit ne me réveilla pas. Pour autant, il ne fut pas le messiah que tous attendaient. L'aube pointa misérablement son nez au-delà d'un horizon trempé, bouché par des masses de nuages grisâtres. La pluie drue nocturne s'était peut-être transformée en crachin fin matinal, mais la froideur des gouttes était comme des aiguilles qui transperçaient les vêtements et la peau, pour se loger au creux des os. Marie-joie n'était pas plus rafraîchie qu'hier, trempée et transie qu'elle était. La lourdeur s'était transformée en moiteur, et avec elle, la cité s'embourbait dans une magma nauséabond qui vous collait aux pieds. Les bourrasques de vent rabattaient l'iode de la mer, mais aussi cette odeur bien caractéristique de la tempête qui approchait. Marie-joie puait, Marie-joie tremblait.

    Jade avait été considérée comme élément non essentiel au bon fonctionnement de la base Marine de la capitale et je me retrouvai donc envoyée sur le front de mer à préparer les digues. Les vagues étaient déjà hautes et comme animées d'un sentiment terrible de tuerie, léchant les bottes des mousses et des agents, rendant la plage vaseuse, tentant de vous aspirer, de vous retenir, de vous exposer encore plus à cette pluie qui n'en finissait pas.
    Quelque part, pouvoir sentir les ampoules se former dans mes paumes, à force de manier cette satanée pelle, était la seule preuve que j'avais que d'être encore en vie. Le monde autour de moi s'était réduit à la vision de cinq dos courbés des pauvres âmes qui constituaient avec moi l'équipe Delta-2, au haut de la butte derrière laquelle nous travaillons et à la lueur faible et lointaine qui suintait du poste de commandant.
    Le seul problème, dans ces moments de souffrance physiques, c'était bien que pour les fuir, pour les occulter, vous vous mettiez à penser, pour trouver consolation dans un souvenir ou une espérance. Mais à ce moment précis, d'espérance, je n'en avais plus, et des souvenirs... il ne me venait à que des moments honteux qu'on voudrait oublier à jamais. Comme quoi, la mémoire pouvait être sélective et sacrément casse-bonbons.
    Et encore et encore ces mêmes doutes. En aurai-je jamais fini avec les doutes ? J'avais l'impression de douter de tout depuis... depuis l'attaque de North Blue. Et ça, ça faisait mal, car je pensais avoir tourné la page, avoir arrêté de me lamenter et avoir pris en main ma vie. J'avais décidé d'être forte, et petit à petit j'avais construit – ou reconstruit – un sol sur lequel je me savais stable.
    Cette mission était en train de tout détruire.
    De me détruire...

    Ce fut dont avec de très, très sombres pensées, un moral qui atteignait le niveau de la fosse marine la plus profonde et l'amabilité d'un putois réveillé en pleine sieste que je me traînai vers le Quartier Général, avec pour seul objectif de changer de chaussures et d'uniforme, et même de peau si je pouvais. Alors que nous passions le point de contrôle, j'aperçus, là, au coin de ma vision, la masse trapue et étrangement déliquescente des Écailles.
    -  « Et là ? » demandai-je au chef d'équipe.
    -  « Quoi, là ? »
    -  « On ne va pas creuser des digues ? Ou c'est une autre équipe qui s'en charge ? » J'espérais vraiment que c'était la seconde solution. Mais le Marine me regarda de travers, comme si j'avais parlé dans une autre langue.
    -  « Ben pourquoi ? Ce sont des poissons, ils s'en foutent, de la tempête. »
    La stupidité de ces paroles balaya l'auto-apitoiement dans lequel je me complaisais et attisa les cendres de ma colère.
    -  « Mais ce ne sont pas des poissons, mais des hommes-poissons ! Personne ne peut survivre à cette tempête-- »
    -  « Bah, ils sont protégés par ces rochers là-bas, et les arbres. Et s'ils sont assez intelligents, ils resteront bien sages chez eux. »
    -  « Mais leur chez-eux, ça ne va pas tenir le coup ! Ce sont des ruines, et c'est dangereux ! »
    -  « Pff, dans ce cas, c'est une bonne chose, on sera débarrassé ce taudis abject. »
    Le mépris et presque la haine que je lus dans le regard me tétanisa dans un premier temps. L'homme me dévisagea encore une fois, eut un reniflement dédaigneux et tourna les talons. Libérée de son emprise, je me mis à frissonner. Et à ce moment précis, je réalisais que je ne devais rien à personne. Jade n'existait pas et au diable les blâmes que je donnais à la fille dont j'occupais la place. En tant que CP je ne risquai rien, et ce que j'allais faire... aucune idée des conséquences que cela pourrait avoir sur la mission de Grand Bob. Après tout, s'il m'en avait un peu plus dit, peut-être me sentirais-je plus concernée. Au point où j'en étais arrivée, j'en avais conclus que tout cela n'était qu'une vaste farce ou un plan tellement diabolique, tellement ambitieux, que mes potentiels dérapages ne pouvaient menacer.

    Je pris mon élan d'une impulsion du pied pour courir vers le pont reliant les Écailles à la ville. Je ne sais pas ce qui me prit, ce jour-là. Je savais parfaitement que je n'avais aucune chance de passer le barrage des sentinelles Homme-Poissons constamment tenu à l'entrée de leur ghetto mais je savais aussi que ma conscience déjà bien torturée et tortueuse ne me laisserait en paix si je n'agissais pas, même en vain. Il y a des fois où je me trouvais d'un compliqué...
    Pourquoi est-ce que je me souciais du devenir de cette poignée de misérables ? Par compassion ? Ah, il n'y avait en moi ni pitié ni bonté en quantité suffisante pour remplir un dé à coudre. Par devoir ? Mais envers qui ? J'avais trahi le Cipher Pol et le Gouvernement Mondial, et je n'étais pas sure que la Révolution et moi étions sur la même longueur d'onde. Par moralité, alors ? Ah, j'en ris encore. Donc, ne resterait plus que ma conscience et mon envie de pouvoir dormir la nuit en paix ? J'agirais par pur égoïsme, pour moi-même ? Oui, ça je le savais déjà. Je suppose que le fait de me trouver révoltée par l'injuste traitement envers une minorité justifiait mon allégeance changeante. Au fond, bien au fond, j'étais quelqu'un de bien. Mes parents m'avaient bien appris la différence entre le bien et le mal, et c'était vraiment ironique, vu qu'eux-mêmes s'engageaient dans la mauvaise voie, en jouant les aveugles ou en n'agissant pas contre cette injustice criante qu'était l'esclavage et la domination d'une structure sclérosée sur un grand nombre. Si j'avais grandi dans un autre milieu, serais-je devenue révolutionnaire ? Devrais-je remercier Père d'avoir fait de moi une personne responsable, d'avoir fait de moi une insurgée ? Devrait-il à ses principes à sa propre destruction ? Aurait-il conçu avec moi la graine de sa déchéance ?

    Ce n'était pas des considérations très joyeuses, et le fait de mettre récemment réconciliée avec Père n'apaisait pas mon état d'esprit.
    Je vivais un cauchemar éveillé où chaque événement venait embrouiller d'avantage l’écheveau des sentiments qui me torturait. Je ne savais plus ce que je désirais. La mort des Cinq Étoiles, la vengeance pour les miens (mes frères révo et les opprimés), l'apaisement de cette haine inextinguible ? Ou le pardon, retourner une vie sereine, accepter que tout était fini, que rien ne pourrait jamais nous ramener en arrière ? Quelque chose en moi se révoltait contre le renoncement qu'impliquait la clémence, un aiguillon de jalousie qui me remettait sans cesse en mémoire la vision heureuse d'une famille complète.
    A chaque décision que je prenais, je m'enferrais davantage. Ce n'était pas le monde qui devenait fou, c'était moi. J'étais scindée en deux, entre haine et lassitude, et je n'arrivais pas à choisir.
    Un moment, je songeai à sauter des falaises, à mettre fin  mes jours, imaginant mon corps qui se brisaient sur les rochers, le craquement des os, la douleur fulgurante, et l'instant suivant, j'envisageai de m'enfuir loin de Marie-Joie, de me terrer dans un coin perdu des Blues ou de Calm Belt et de me faire oublier du monde.
    Finalement, je continuai à cavaler pour arriver devant le pont.

    Ma course avait été tout sauf discrète et les deux hommes-poissons avaient largement eu le temps de prendre leur disposition à mon encontre. Mais je pense que quelque part, ils ne savaient comment réagir. Ce n'était pas tous les jours qu'une Marine détalait en leur direction dans ce qui était une évidente insubordination.
    – « Que veux-tu, la fille ? » m’interpella l'un d'entre eux alors que j'étais à deux pas.
    -  « Un gros orage approche, presque une tempête. Il faut que vous construisiez des digues et--- »
    – « Ouais, on sait. On n'est pas idiots, et la mer, c'est un peu notre domaine. » se moqua-t-il.
    -  « Je m'en doute, mais personne de la Marine ne va venir et--- »
    – « Tu ne nous apprends rien, petite. La Marine n'a jamais rien fait de bien envers nous. On se débrouillera très bien. Maintenant, casse-toi. On n'a pas besoin de ta pitié... »
    Je commençai à m'insurger de cette rebuffade avant de comprendre toute l'inutilité de ma démarche. Mais à quoi pensais-je ? Qu'ils allaient m'accueillir les bras ouverts, louant mon altruisme et ma perspicacité ? Avais-je moi aussi attrapé ce satané syndrome du « chevalier en armure au secours des causes perdues, des faibles et autres malheureux » ?
    Mouchée et surtout, blessée dans ma fierté, j'allais faire demi-tour quand un troisième larron se présenta. Comme il venait de la ville, il arriva dans mon dos, me prenant dans un filet assez hostile et l'espace d'un instant, je sus que ma vie pouvait se compter en secondes, selon la tournure que prendrait l'échange avec le trio.
    - « Qu'est-ce qu'on a, une suicidaire ? » Sans même me retourner, je savais le sourire mauvais qui décorait ses lèvres. L'homme-poisson posa une main sur mon épaule – la blessée, bien entendu – enfonçant ses doigts dans la chair pour accentuer sa prise et la douleur, me forçant à me retourner.
    J'obéis, puisque je n'avais pas le choix, mais surtout parce que rien au monde n'aurait pu m'en empêcher : à la pression de ces paumes, j'avais reconnu Mains, celui en charge de me ligoter, interrogatoire après interrogatoire, le tout en un silence quasi-morbide. Je voyais enfin son visage et ce n'était pas quelque chose qui lui plaisait. Je crus que j'allais avoir droit à une mort instantanée.
    -  « Je venais pour vous avertir, mais il semble que vous n'avez pas besoin de moi. Puisque vous avez la situation sous contrôle, je m'en vais. Bonne journée. » Mes mots étaient assez sibyllins pour le faire douter de leur réelle portée. Parlais-je juste de la situation présente, ou faisais-je des allusions à notre relation plus houleuse, déclarant ainsi mon indépendance par rapport à leurs demandes ?
    - « Tout doux, l'humaine. On n'en a pas fini avec toi. » Et d'une poussée, il me fit rentrer dans les Ecailles, les deux sentinelles s'écartant pour me laisser passer.
    Ça, j'avouerai que je ne l'avais pas envisagé. Pour moi, Mains était intelligent, et je m'en méfiais bien plus que Baryton. Les quelques réactions que j'avais récoltées au cours de mes interrogatoires me laissaient penser que l'homme-poisson n'appréciait pas les manières de procéder de son chef, ses manières d'être... pour faire court, il n'aimait pas son chef. Or, il me semblait autrement plus compétent que l'autre, avec ses déclamations magistrales et autres envolées lyriques.
    Me faire entrer dans un « no-man-land » à la vue de tous, sachant le contexte actuel, c'était donner à la Marine la raison qu'elle cherchait pour investir le quartier des marais.

    - « Qu'ils viennent. Ça ne fera que renforcer la légitimité de notre action. » Mains semblait avoir lu mon esprit.  « Que veux-tu ? C'est quoi, l'urgence ? Pourquoi tu n'as pas utilisé le signal ? »
    Oui, ça pouvait paraître logique que je m'étais présentée ici pour communiquer avec eux. Eux la révolution, non pas eux les hommes-poissons. Dans un premier temps, je ne compris pas le sens de la dernière question, avant de me rappeler cette histoire de foulard rouge. Je l'avais complètement oubliée. Et impossible de dire que j'étais là parce que j'étais assez bête pour penser que ces hommes et femmes n'étaient pas capables de prendre soin d'eux-même. A bien y réfléchir, cette attitude maternelle, ce n'était pas plus, pas moins, que de la condescendance. Pauvre pitits n'hommes-poissons.  C'était insultant.
    Par contre, je venais de réaliser que c'était Main qui me surveillait. N'était-il pas arrivé peu de temps après moi ? Or, je n'avais jamais remarqué qu'un homme-poisson me suivait, quelque fut le moment. Il était quel que peu « visible », le Mimines.  Donc oui, définitivement, ce gars était dangereux.
    -  « Je... je ne pouvais pas. Je n'ai pas de foulard rouge sur moi, et je viens d'apprendre qu'avec la tempête, la plupart des effectifs seront postés en prévention sur les murailles, les digues et à la protection. Les bâtiments seront vides ou presque. C'est le moment de faire un grand coup, d'infiltrer la base Marine pour trouver notre contact, ou de profiter de l'occasion pour récupérer de l'information. Je sais où sont les locaux du Sixième Bureaux... et --- »

    Nous fûmes interrompus par un brouhaha violent venant de l'entrée du village. Craignant le pire, nous nous dirigeâmes vers le pont, pour assister à ce qui était la scène tirée de mes craintes : une mini-émeute entre hommes-poissons et Marines.
    - « WOOOOOO ! » Menottes-la-Terreur beugla un bon coup, le tout suivi d'un sifflement à vous percer les tympans. Merci, j'étais à côtés.  « Qu'est-ce que c'est que ce bordel ! Vous autres, revenez par-là. Et vous, la Marine, c'est quoi, votre problème avec mes hommes ? »
    Si jamais je doutais encore qu'il fût un meneur pour les hommes-poissons, me voilà servi.
    -  « Nous sommes à la recherche du Caporal Kawalsalski. »
    Qui ça ? Merde, c'était moi, ça. Quel nom atroce. Jade Kawalsalski. Si avec ça, je n'avais pas l'air louche. A croire qu'ils voulaient flinguer le personnage.
    -  « Ben, je suis là... » fis-je d'une voix plate, presque accompagnée d'un « duuh » méprisant.
    - « Et pourquoi est-ce que vous avez agressé nos compagnons, d'honnêtes citoyens du Gouvernement Mondial ? » Ah ! Il ne serait pas si glauque, le Paluche-man, que je l'aimerais bien.
    -  « Ils ont refusé de nous laisser passer. »
    – « Ils nous ont accusés de l'avoir enlevée ! »
    -  « Des témoignages ont clairement dit qu'elle avait été emmenée de force. »
    – « C'est elle qui est venue nous emmerder !. »
    -  « Hé oh, mes cocos. Je ne vois pas en quoi inspecter vos défenses, c'est vous emmerder. Ne me manquez pas de respect, je suis une Marine, moi ! » J'intervins avant que la situation n'eut tourné au drame. Contrairement à Mains, je ne voulais pas que les Ecailles fussent la victime collatérale des combats. Parfois, oui, il faut savoir faire des sacrifices. Mais aujourd'hui n'était pas ce jour. « Je n'ai peut-être pas été accueillie à bras ouvert, mais quand j'ai déclaré l'objet de ma venue, il n'y a eut aucun problème. J'ai même reçu de l'aide pour passer ce pont tout pourri.. »
    Mon attitude ferme et quelque peu hautaine envers les hommes-poissons venait avec mon rôle. Jade était une bonne petite Marine, butée et pleine de préjugés. L'escouade qui était venue à mon secours approuva mon petit laïus avec des persiflages de leur cru, tandis que Mains calmait à sa manière ses frères et sœur.

    -  « Adjudant, je viens d'examiner leurs défenses et c'est absolument pas conforme. Dois-je vous rappeler que ce... quartier... est aux pieds d'une des grandes artères de Marie-Joie. Si les digues cèdent ici, ça sera un goulet d'étranglement pour l'activité de Marie-joie. » Bien entendu, pas un mot sur le fait que cela voudrait dire la destruction du domicile d'une centaine de personnes. C'était acquis d'avance, que le futur des hommes-poissons n'intéressait personne. « Il faut renforcer les défenses, ne serait-ce avec des sacs de sable. Nous étions en train de mettre en place une équipe de volontaires qui viendraient les chercher à la caserne, car Freddy ici présent... » je désignai ainsi Mains, à son plus grand déplaisir « a compris que la Marine avait des priorités. Les habitants seront donc chargés de conforter les digues de protection de notre ville. »

    Freddy acquiesça. Il avait compris rapidement pourquoi je proposais de faire entrer une bonne douzaine d'hommes-poissons dans la base Marine, sous le prétexte de ravitaillement en sacs de sable. Quelque chose me disait qu'un ou deux de ses gars allaient se « perdre » dans les couloirs... J'avais bien fait mon boulot, et sans avoir besoin de Grand Bob. De toutes les façons, je savais que j'allais avoir droit à une avoinée, qu'elle vint du CP6, du CP5, de Baryton ou de ce mystérieux contact soit-disant révolutionnaire. C'est fou, la concentration de révo au mètre carré, sur la capitale.

    Et nous partîmes, les Marines devant, moi au milieu avec Freddy, les locaux derrière, à la queue-leu-leu.


Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Mar 27 Aoû 2013 - 20:34, édité 2 fois
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    – « Je peux savoir ce qui se passe ici!!? »

    Le beuglement qui tonna soudainement me fit remonter l'estomac au niveau des dents de sagesse. Le souffle coupé mais le cœur battant la chamade, je pivotai pour voir de mes propres yeux s'avancer vers le groupe de Mains celui-là que je ne pensais pas rencontrer si tôt : l'inconnu du salon. Impossible de me méprendre sur cette voix. Je ne comprenais pas pourquoi il n'avait pas pris la peine de la dissimuler lors de notre bref entretien. Avait-il déjà « confiance » en moi à ce moment-là ? Ou était-il plutôt certain de ne jamais avoir à être reconnu ? Je ne sais pas. Tout ce que à quoi j'arrivais à penser était « je veux le voir ». Écarquillant les yeux, plissant les paupières à travers l'averse, je dévisageai presque de la silhouette qui venait vers nous.
    Découvrir que le Lieutenant-colonel en charge des troupes d'assaut de la base de Marie-Joie n'est nul autre qu'un révolutionnaire infiltré avait été une situation qu'aucune formation n'avait couverte. J'en restais bouche-bée un « ben ça, merde alors » en boucle au bout de mes lèvres. Lentement mais sûrement, je perdais prise sur le sac de sable que je portais, jusqu'à ce que l'homme-poisson qui était à l'autre bout grogna sous la pression.
    – « Alors ? J'attends des explications ? » Nos regards se croisâmes et nous nous reconnûmes. Lui avait dû suivre un cours spécial parce qu'un ours jaune avec un kilt à pois lui aurait tiré aucune émotion plus visible que cette pupille presque méprisante qu'il porta sur moi. Il fallait dire que je ne ressemblais plus à rien et que les hommes-poissons avaient mis une sacrée pagaille dans la cour – et je soupçonnais que c'était le moment d'escarpette pour certains d'entre eux. « Soldat, au rapport ? »

    Et comme je continuai à faire mon imitation du grand mime, mon chef d'escouade vint à mon secours. Enfin, il s'auto-vint à son propre secours, peu désiré de se prendre un blâme et tellement volontaire pour s'approprier les mérites de mes idées.
    -  « Monsieur, nous effectuons un travail de renforcement des digues. Le quartier... bas... présente une faiblesse et nous ne voulons pas prendre le risque qu'à travers le... ce lieu, la Porte Ouest soit bloquée. On fait distribuer des sacs de sables aux habitants, charge à eux de faire le nécessaire. Et toi ! Ne reste pas là planter comme une gourde. Retourne donc là-bas et vérifie que le boulot est bien fait ! Dossier de sécurité nationale !!! »
    Pas le temps de protester. Nous eûmes un dernier regard, regrettant l'un comme l'autre d'être séparés  alors que nous avions tant à nous dire, soupirant cependant aussi de soulagement de ne pas avoir à tenir cette conversation là, maintenant, tout de suite.
    Je quittai donc la cour avec mon chargement de sacs avec l'espoir de pouvoir m'échapper rapidement au détour d'une rue, de rentrer chez mon faux-chez-moi pour me changer avant de retourner affronter cet espion-là. Ce qui était étonnant restait le fait que j'étais incapable de le décrire, si ce n'était ses yeux d'un bleu-gris perçant.
    Mais les choses ne se déroulent jamais comme on le veut ; à croire d'ailleurs que l'empêchement est proportionnel à l'envie qu'on a : plus on veut, moins ça arrive. Et dans mon cas...

    Freddy garda sur moi un œil de faucon et m'empêcha de partir quand je fis le premier pas. A ce moment, il m'attrapa par le bras, enfonçant ses doigts dans mon biceps avec une force que ne cessait de m'étonner. Au bout de trois minutes, je savais que j'avais déjà des hématomes.
    -  « Et où menez-vous, hein ? » Allez savoir pourquoi lui, je le vouvoyais ? Instinct de survie, peut-être ? Ou envie primale de bien montrer la séparation entre lui et moi : le sale brigand d'un côté et la gentille révo de l'autre ?
    – « D'après toi ? On va parler de ce plan un peu plus en détail, la fille. »
    -  « Mon nom est Jade ! »
    – « Et je m'en fiche comme de la première chaussette de ma grand-mère. »
    Que voulez-vous répondre à ça ?

    Je fus donc emmenée dans les Écailles, puisque j'étais censée surveiller l'avancée des travaux. Quelle 'chance' pour moi, je n'eus pas à rester sous la pluie puisque je fus plus ou moins in-cordialement invitée à m’asseoir sur une chaise, autour d'une table, dans ce qui semblait être une cuisine. Tout en moi se révoltait contre la misère et l'humidité ambiante : non seulement la rebelle, mais aussi la fille de bourgeois que je serais toujours. Qui pouvait bien vivre dans de telles conditions ? Ils étaient pauvres, je le comprenais, mais quelque part, je ne pouvais m'empêcher de penser que s'ils le voulaient, les Hommes-Poissons pourraient facilement retaper les Ecailles en un quelque chose d'au moins salubre. A croire qu'ils se complaisaient à moisir sur pieds, comme des cochons se roulant dans la fange. Comme s'ils voulaient continuellement rappeler au monde leur condition de « peuple affamé et mal-aimé ». Finalement, tout n'était qu'hypocrisie, dans ce jeu de dupe et de doute.
    -  « Bon, on attend votre chef ou quoi ? » Autant en finir tout de suite, et s'il y avait une chose que je détestais, c'était bien cette sensation de vêtements mouillés séchant sur soi.
    – « Un humain aux Ecailles ? Tu nous prends pour qui ? » Et Freddy posa sur la table un escargophone d'une couleur non caractérisable, entre le vieux rose fané et le beige dégueulis.
    -  « Comme si vous étiez surveillés 24/7. Vous pourriez avoir toute une escouade d'humains planquée ici, pour peu qu'on ne la vit pas entrer, elle y serait laissée tranquille. Mais bon, parlons donc affaire »
    Je ne savais pas ce que j'allais pouvoir dire, puisque je n'avais aucune information valable. Peut-être était-ce le moment de clore cette histoire et de tendre un piège à Baryton. Mais pourquoi est-ce que je questionnerais son allégeance, et pas celle de ce lieutenant-colonel ? Encore une fois, je devais choisir et je ne savais que faire. Me faire confiance ? Ah, je ne me confierais pas un secret, alors me donner la responsabilité de faire le BON choix ? Ah. Des fois, j'aimerais pouvoir mettre la main sur ce Monsieur Destin, que je lui fasse comprendre que son sens de l'humour était pourri.

    Mes pensées m'avaient coupée du reste de la conversation où les membres de la cellule mâchonnaient depuis déjà plus de dix minutes une donnée vraie mais peu sensible sur la façon dont les rondes, les patrouilles et les équipes de gardes étaient constituées. Qu'ils en fussent encore à ce point m'étonna. Enfin, une troupe de révolutionnaires aguerris devraient connaître ça sur le bout des doigts ! Genre, cours Ennemi 101.
    -  « Hum ? »
    -  « Un peu de concentration, voyons. Cette opération est cruciale pour notre action. » Même à travers l'escargophone, la voix de Baryton me débectait. Légèrement prétentieuse, mais maniée avec savoir-faire, depuis le roulement léger de tons les graves, jusqu'aux inflexions... Un chanteur, un acteur. Oui, maintenant que je n'étais pas vaguement distraite par des liens, je pouvais identifier ces qualités, comme autant de défauts. Ce fut là que tout bascula pour moi.
    -  « En fait, j'étais en train de me demander ce que Yusuf ferait à ma place. »
    -  « Yusuf ? »
    -  « Ben oui, Yusuf. Vous savez, le grand révolutionnaire, le héros de South Blue ? C'est mon maître, c'est lui qui m'a formée. Ne me dites pas que vous ne connaissez pas Yusuf ? »
    -  « Bien entendu que je connais Yusuf. Qui ne connaît pas Yusuf ? Je ne savais pas qu'il avait eu des disciples, mais je comprends mieux pourquoi vous avez échappé à notre perception. Au début, bien entendu et--- »
    Et je n'écoutais plus. Il avait bien mené sa barque, mais là, il s'était planté. Un vrai révolutionnaire aurait bondi en m'entendant parler de cet homme en tant que héros. Tout le monde dans les hautes sphères du mouvement DRAGON savait que c'était un traître.

    L'affaire était réglée. Je ne savais peut-être pas qui était exactement ce type, mais il n'était pas révo. J'avais des doutes sur Freddy et ses copains. Eux étaient naturellement insurgés et tout laissait à croire qu'ils ne faisaient que suivre les instructions de Baryton, avec plus de ferveur et de professionnalisme que ce dernier. Je frissonnai malgré moi, car je venais de caresser l'idée de les retourner contre ce chef, et de me les adjoindre. J'aurais là une force d'appui non négligeable. Puis je secouai la tête. En tant qu'espionne je n'avais pas besoin d'appui. Bien au contraire, je devrais aspirer à la solitude. C'était justement ça : seule, je l'étais depuis trop longtemps et j'avais besoin d'avoir une personne de confiance à qui me confier. Un maître ou un apprenti, un compagnon, qu'importe le rapport hiérarchique. J'avais besoin de quelqu'un proche de moi, autant moralement que physiquement. Quelqu'un avec qui je pouvais prendre un café une fois par mois, échanger rapidement si nécessaire... Peut-être étais-je arrivée à ma limite en tant qu'agent double. Peut-être devrais-je quitter ce poste et rejoindre mes frères et sœurs ?
    Mais encore et toujours cette fierté à la noix. Quoi, j'abandonnerais si vite ? Après juste deux ans ? Précisément au moment où j'allais pouvoir monter en grade au sein du CP, et réellement justifier le coût de mes décisions ? Allons, je n'étais pas si lâche. Juste... lasse.

    La stratégie fut enfin arrêtée, et je fus libre. Ou plus précisément, je pus quitter les Écailles. Car libre, non, je ne l'étais pas. Il était attendu de moi que je retournasse à la base Marine sous prétexte de faire mon rapport – les travaux ont été bien faits – et surtout, de surveiller tel et tel point, car ce soir, on attaquait. Enfin ils attaquaient. Je les avais persuadée que ma couverture pouvait encore servir, et que je ne pouvais me trouver sur les lieux. Du coup, je devais m'arranger pour me faire bien voir en train de quitter les lieux. Oui, Papa, oui, Maman. J'avais l'impression de me retrouver gamine de 3 ans. Pourtant, je leur avais servi le laïus convenu, et ils devaient connaître de Jade son parcours irréprochable pour la cause depuis maintenant plus de cinq ans. Mais à leurs yeux, ce n'était pas suffisant.

    Bah, je m'acquittai de mes tâches avec zèle, faisant mon rapport à Grand Bob via le système de rapport et m'apprêtai à sortir pour rentrer chez moi (tentative numéro.... trois ou quatre, je crois), quand ledit Grand Bob me sauta dessus. Presque littéralement : au détour d'un couloir, nous nous heurtâmes et assez violemment, puisque nous marchions tous deux d'un bon pas. Lui pour m'intercepter, moi pour m'échapper. Étrangement, ce fut lui qui gagna ce corps à corps improvisé.
    Et là, je fus forcée de lui dire et redire tout ce que j'avais mis dans mon rapport, pourtant bien détaillé – non je ne l'avais pas bâclé. Faire un truc trop vite, c'est la meilleure façon de se retrouver à devoir le revoir. Autant le faire bien tout de suite.
    Et de répéter, et de revenir sur chaque point de leur attaque.
    Et de me faire enguirlander.  Et je reste polie.
    Gnagnagna, je ne devais pas prendre d'initiative, gnagnagna, je venais de détruire des mois de travail, gnagnagna, j'allais en entendre parler.

    J'éternuai et je décidai que c'était le moment de péter un câble.
    -  « Ecoutez-moi bien, Bob, ou quel que soit votre nom ! » Et d'enfoncer mon doigt dans sa poitrine. « Vous pouvez dire ce que vous voulez, ce qui est fait, est fait, et c'est comme ça. J'ai agi du mieux que je pouvais, étant donné les circonstances. Et si vous avez des reproches, commencez par vous. C'est vous qui m'avez choisie pour cette mission ! Vous n'aviez qu'à prendre l'une de vos agents, puisque le Sixième Bureau est tellement meilleur que tous les autres ! Vous n'aviez qu'à me traiter en un agent assermenté, plutôt que de me garder dans l'ombre ! Pour autant que je sache, vous ne m'avez pas une seule fois dit la vérité ! Un « classé secret » aurait suffit, mais non, vous m'avez bassiné avec des foutaises aussi gros que votre cul, ce qui n'est pas peu dire, vu votre superficie posterieurale !! Et je m'en fous si vous me mettez un rapport ! J'en ferai un de mon côté et on verra qui sera cru. Je me contrefous de vos mois de travail. Z'aviez qu'à être plus doués. Maintenant, je rentre dans ce cloître que vous appelez appartement jusqu'à demain soir, et je ne veux pas voir un de vos agents, je ne veux pas les sentir et encore moins sentir leurs regards sur moi !!! Sinon, je rentre chez moi, le vrai, et demain je serai Shaïness Raven-Cooper première du nom ! Et avisez-vous de toucher à ma carrière, que je vous fais ravaler vos dents et vos intestins. Parfaitement, je les sors par un trou fait entre deux plis de votre ventre et vous les mangez !!! Maintenant, dégage de mon chemin, cul d'ours !!!! »

    Spoiler:


Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Mar 27 Aoû 2013 - 20:36, édité 1 fois
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    Je pense que ce fut la surprise qui l'empêcha de bouger, plus que sa décision de suivre mon conseil. Le choc de me voir me rebeller, et en ces termes, moi, la délicate Shaïness, plutôt que la force de conviction de mes arguments. L'un dans l'autre, il resta immobile et coi, et je passai le moment levé à ses côtés, avec un « humph » de fin de conversation bien senti. Oooouh, la rebellitude ! Mais dans mon état, c'était le summum de mes possibilités.
    Je rentrai chez Jade et restai dans mon bain jusqu'à ce que la peau de mes doigts flétrisse. Trop fatiguée pour manger, je me contentai de m'enrouler dans mon peignoir pour me jeter au lit, refermant la couette au dessus de moi. La pensée que ce soir, des hommes allaient se battre, certains être blessés ou même tués, révolutionnaires ou soldats, ne m'empêcha absolument pas de m'endormir comme une bienheureuse.
    Par contre, la sensation persistante d'une paire d'yeux sur vous, là, à votre nuque – ou là où votre nuque devrait être, puisqu'une montagne de tissu la recouvre – ça oui, ça me réveilla. Et être tirée du sommeil alors que j'en avais tant besoin. Autant vous dire que j'étais prête à étrangler ce propriétaire de ces deux yeux, fut-il Adam en personne.
    -  « Je vais te massacrer Bob, toi et tes hommes et---.. » Je pestai et menaçai en me relevant, certaine qu'il s'agissait de surveillance laissée en place par l'agent du CP6. Je ne m'attendais pas à prendre un coup de poing qui ressemblait presque à une claque, qui m'envoya bouler de nouveau sur mon matelas.
    – « Espèce d'abrutie hystérique !!! Qu'est-ce que tu as fait ? » Presque à moitié assommée par la beigne, je mis du temps à reconnaître la voix. Il fallait ajouter qu'elle était déformée par une colère monstrueuse. Je n'aurais pas été dans cet état second que je me serais pissée dessus de peur. Ce mec... qu'il fut révolutionnaire ou non... il était dangereux. Plus que Freddy. Plus qu'un lieutenant-colonel ne le devrait.
    Le type me saisit à la gorge et serra juste ce qu'il fallait pour m'immobiliser sans pour autant m'ôter la faculté de parler ou de respirer. Une chose cruciale pour qui veut des réponses à ses questions, mais que tant oubliaient.
    -  « Les révo... vont attaquer... la base... et le CP6 sera.. là pour... les recevoir. »
    Il jura avec profusion pendant un court instant, avant de m'empoigner par les cheveux, me sortir du lit à la force du poignet et me propulsa vers mon armoire. A cette instant, la seule pensée encore cohérente au-delà de cette panique qu'il provoquait en moi, fut de me demander comment il avait pu, par deux fois, entrer chez moi.
    – « Habille-toi, on va devoir agir.  Fais-toi discrète, et rapidement. »
    -  « Que... que se passe-t-il ? »
    – « Si le CP6 met la main sur les gars du Conquistador, il ne se passera pas deux heures avant que ma position soit compromise. Il faut arrêter ce massacre ! »
    -  « Et pourquoi ne pas simplement fuir ? »
    – « Je suis en poste depuis 10 ans. Je ne peux pas simplement fuir, la perte pour la Révolution serait trop importante. »
    -  « Qui est Yusuf ? » J'avais mis la main sur mes bobines de fils, et à présent, j'étais prête à l'attaquer, chose que je ne pouvais avant. Parce que j'étais Jade, parce que j'étais trop bête de m'être laissée embarquée dans cette mission dans de telle condition. Donc si sa réponse ne me convenait pas, je pourrais mettre fin à cette mascarade une fois pour tout. Déjà, je préparai une première ligne...
    – « Tu ne fais pas le poids, petite, laisse tomber les fils. Mais tu agis bien. Yusuf est un traître dont la chute doit partiellement t'être partiellement accordée. Mais nous n'avons pas le temps de nous attarder ici, Scarlett. »
    -  « Est-ce que je peux au moins savoir quel nom je dois vous donner ? »
    – « Ici, on me connaît comme le Lieutenant Colonel Sisa. Mon nom de code est Mosca de Torcy. »


    -  « Pff, vous n'avez pas plus court ?. »
    – « On peut être révolutionnaire et avoir bon goût, petite. »
    Je ne savais pas s'il me plaisait ou s'il m'énervait. Le fait qu'à sa place, j'aurais eu exactement la même réaction que lui ne me satisfaisait pas. Etais-je à ce point imbuvable ?



    -  « Comment se fait-il que je n'ai jamais entendu parlé de toi ? » Nous courrions dans les rues en direction de la base, nous arrêtant souvent pour nous dissimuler d'une patrouille dans un recoin de rue ou autre. Le vent avait forci, la pluie aussi, et si la tempête avait dégarni les rues de civils, les Marines circulaient, l’œil aux aguets pour prévenir toute dégradation. Marie-Joie était une vieille ville, et peu entretenue passée les hauts quartiers du commandement et des dragons célestes. Plusieurs incidents précédents avaient inculqué la prudence aux autorités. Un jour, un feu avait brûlé près de dix maisons avant d'être circonscrit. Plus tard, c'était tout un pâté de maisons qui s'était écroulé. Chaque détérioration fragilisait l'architecture de la capitale, et la crainte d'une destruction à l'effet domino n'était pas infondée. Or, si les puissants se contrefichaient de la vie des dizaines de milliers d'habitants, ils ne pourraient jamais survivre à la honte de voir la première ville du Monde Civilisé s'écrouler comme une chaise mangée par les termites.
    – « Tu dois être une dévoyée. »
    -  « Pardon ? »
    – « Une traître, une ancienne fidèle au Gouvernement. »
    -  « Ah ça... oui... et alors ?»
    – « Moi, je suis un infiltré. On ne mélange pas les deux catégories. »
    -  « Sympa, la confiance. » Je grommelais, mais je comprenais parfaitement le pourquoi de la chose. N'empêche, au bout d'un certain temps, on pourrait oublier ce genre de chose... Cela voudrait-il dire que même dans dix ans de ça, je serais toujours mise à l'écart ?
    – « C'est comme ça. Maintenant, tu me connais. Et moi, je sais mettre un visage sur un profil. »
    -  « Comment ça ? »
    – « Parce que tu crois vraiment qu'à mon niveau, j'ignore tout des activités des autres révo dans le coin ?  »
    -  « Ignorer tout, non, mais de là à savoir tout. Le principe de précaution, on s'en fout, dans ton cas ? »
    – « Quand tu seras dans mon cas, oui, plus ou moins. Vu les missions, je sais qu'il y avait un agent double au CP, mais pas quel CP ni qui. Suffisamment pour m'être utile en cas de besoin, et pas assez pour mettre en danger quiconque en cas de capture. » Comment savait-il que j'étais justement cet agent ? Je ne devais pas être la seule révolutionnaire agissant au sein des Bureaux, non plus...
    -  « Pff, tu parles. Fais-toi capturer par les Marines et tu parleras de choses dont tu ignores tout. »
    – « Je suis capable de résister à la torture. »
    -  « Attends de rencontrer mon frère. »
    A ce moment, je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça. A quel moment avais-je décidé de lui faire confiance, de croire qu'il était un révolutionnaire, un vrai, contrairement à Baryton ? Quand avais-je fait mon choix dans cet emberlificotage de mensonges et jeux d'ombre.
    – « … … Bon, assez papoté. Ces pseudo-révolutionnaires sont résistants, mais ils finiront par craquer, et c'est toute ma mission qui tombe à l'eau. La révo ne peut pas se permettre. »
    -  «Ok. Quel est le plan dans ce cas ? J'intercepte les gars de Baryton en disant qu'il y a différé ? Grand Bob ne va pas être content que je conchie sa mission. »
    – « En effet, on ne peut pas te mettre en danger non plus. Je ne vois qu'une solution : ils doivent attaquer, et ils doivent tous en réchapper. »
    -  « Quoi, à nous deux, on va sauver d'eux-mêmes une bande de clampins ?. »
    – « Si tu étais venue me parler AVANT... »
    -  « Si tu m'avais dit qui tu étais AVANT... »
    – « … tu peux être très énervante parfois... »
    -  « Quoi, que parfois ? »


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    Ayant fini son verre, Baryton fut pris d'un léger vertige. Un autre que lui aurait songé qu'il n'avait rien mangé depuis la veille et y aurait remédié. Un autre que lui aurait songé qu'il avait besoin de sommeil et serait rentré chez lui. Or Baryton était Baryton, et il reprit une eau-de-vie tout en élaborant un plan. Une voix en son fort intérieur lui disait que ce plan était très certainement une mauvaise idée, mais il s'agissait là d'une voix que le « révolutionnaire » écoutait peu afin que la vie continue à le surprendre. L'alcool, en outre, avait tendance à la faire taire.
    Baryton sécha un troisième verre et partit faire quelques courses dans le quartier.
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    La taverne était située dans les bas-fonds des Ecailles, sur l'îlot aux allures de ghetto. Le jour n'y pénétrait jamais et l'air y stagnait, moite, sous les poutres basses d'un plafond noirci par la fumée des lampes à huiles. Les hommes-poissons qui se retrouvaient ici étaient de la pire engeance ; voleurs, mercenaires et assassins y venaient pour se distraire et s'enivre, mais aussi pour trouver une embauche ou une occasion de rapine, parfois s'y cacher entre deux mauvaises actions.
    L'homme libéra brusquement son aura en poussant la porte.
    Aussitôt le silence se fit dans la grande salle qui, à cette heure du soir, se trouvait bondée. Tous les regards se tournèrent. Certains étaient craintifs, la plupart hostiles et méfiants ; quelques violemment haineux. Puis l'on se désintéressa de lui quand il s'approcha d'un homme-poisson aux écailles rouges qui dînait seul d'une épaisse soupe. Grand et maigre, le sang-mêlé était vêtu en spadassin, avec un vieux pourpoint en buffle ouvert sur une chemise crasseusse dont le col baillait sur sa poitrine écailleuse. Derrière lui, un de ses semblables, musculeux à la peau plus noire,  se tenait immobile et les brais croisés.
    Le rouge ne leva pas les yeux quand l'homme se planta devant lui et jeta une lourde bourse sur la table.
    - « Départ dans une heure ».
    L'autre acquiesça sans interrompre son repas.
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    Se faufiler dans la base fut d'une facilité déconcertante. Mosca de Torcy avait bien mis à profit ses nombreuses années ici et nous fit prendre un chemin évitant toutes les sentinelles et les alarmes. Certes, c'était un peu compliqué et il ne fallait pas faire une taille quarante-huit, mais bon.
    Silencieusement, nous parcourûmes les couloirs, tandis que dehors la tempête approchait. Les rafales de vent commençaient à chasser l'air stagnant, que la pluie froide n'avait pas réussi à rafraîchir – pourtant, elle était glaciale, cette foutue pluie. Désormais nous étions passés de rien à tout, et c'était des claques de blizzard qui s'abattaient sur vous. J'avais été contente de trouver refuge dans la QG, dans un premier temps. Puis je trouvai lugubre cette enfilade de pièces à l'éclairage très chiche, avant de me sentir suer à profusion sous la cagoule que j'avais passé, pour dissimuler mes traits et mes cheveux. Mosca avait fait de même, et nous étions deux fantômes noirs sans visage à hanter à pas feutrés la forteresse de Marie-Joie.
    -  « Donc, il faut qu'ils suivent le plan et pénètrent dans la cour, mais il faut les évacuer avant qu'ils ne se fassent capturer, c'est bien ça ? » chuchotai-je. Ce n'était pas la première fois que je demandai confirmation, mais Mosca devait comprendre que ce genre de « on y va free style » ne me satisfaisait pas, étant donné les enjeux en place.
    – « Les meneurs. Il faut évacuer les meneurs. » insista-t-il. « L'équipage doit être dans sa grande totalité ignorant des plans au-delà de la mission en cours. »
    -  « Quel équipage ? » Ce n'était pas la première fois que mon allié mentionnait ce fait. « Le Conquistador ». J'avais interprété ça comme étant un nom de code, mais soudainement, il m'apparut clair que Mosca et moi n'étions pas sur la même longueur d'onde. « C'est une cellule, pas un navire, vous savez. »
    De Torcy se retourna vers moi, et malgré la pénombre ambiante – puisque nous n'avions pas de source de lumière, nous reposant uniquement sur l'éclairage de sécurité et les éclairs qui parsemaient le ciel de nuit – je perçus son froncement de sourcils et son exaspération.
    – « L'équipage du Conquistador, voyons ! » Comme si cela allait de soit.
    -  « Ah, je n'avais pas compris que c'était tout un équipage. Baryton ne me donne pas particulièrement l'impression d'être un homme à sa place en tant que capitaine. Freddy-les-Mimines par contre est un marin, ça, je te l'accorde. » Je haussai les épaules. Équipage ou cellule, que m'importait...
    – « Qui ça ? » Il commençait à s'énerver et encore une fois, je ne pus que constater que pour un révo, il était vraiment à fleur de peau. En tous les cas, avec moi. Il n'avait été que insinuation en sournois, agression, colère et moquerie.
    -  « Baryton, le chef de la bande, qui a une voix grave et qui s'aime plus qu'il ne le devrait, et Freddy-les-Mimines, un homme-poisson qui est à mon avis bien plus compétent que Baryton, et dangereux. Il sait faire les nœuds et n'hésiterai à faire couler le sang si nécessaire.. »
    – « Ce n'est---. »
    Le reste de sa phrase ne passa pas à la postérité alors qu'une explosion à en faire trembler les fondations du vénérable QG nous faisait vaciller.


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    Armés de lourdes rapières, de poignards et de pistolets, les hommes-poissons se tenaient prêts dans la ruelle, sous le ciel invisible tant les nuages se bousculaient. Assassins, pillards et mercenaires, ils obéissaient à l'un des leurs, un dénommé Keress Karn. La plupart n'étaient guère plus grands, mais tous étaient plus massifs que ce homme aux écailles rouges à la musculature sèche et aux réflexes de serpent. Dédris un homme-poisson colossal et silencieux, noir de peau et d'âme, complétait la troupe. Il était le garde du corps de Karn.
    Intelligent et dénué de scrupules, volontiers cruel, Keress Karn exerçait une autorité sans partage. Il n'expliquait jamais ses ordres, que nul songeait à discuter. Ses « égorgeurs » avaient pour lui un mélange d'admiration et de respect superstitieux. D'ailleurs, auraient-ils accepté d'un autre que lui de se mettre au service d'un humain ? Pour un homme-poisson, c'était comme retourner en esclavage et demander à recevoir le fouet. Or, pas un n'avait contesté la décision de Karn, ni n'avait renâclé à marcher derrière cet humain dont l'aura était si puissante qu'ils ressentaient, à leur plus grande honte, une fibre servile fibrer au plus profond d'eux-mêmes. L'homme se faisait appeler « monsieur ». Au bivouac, il ne se mêlait pas à eux et ne parlait qu'à Karn, que ses manières brutales et méprisantes ne semblaient pas impressionner le moins du monde. L'écailleux rouge relayait ensuite les consignes.
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      – « Mais ce n'était pas dans le plan, ça ! » De Torcy était accusateur, comme si j'y étais pour quelque chose.  La fumée dégagée par l'explosion que la pluie rabattait nous empêchait de voir ce qu'il se passait exactement dehors.
      -  « Bah, il semblerait que le Grand Bob est un subtil qui s'ignore... » répliquai-je en désignant la cour, où des hommes déferlaient. Depuis notre point d'observation, il était difficile comprendre les détails, mais nous pouvions au moins distinguer que la Marine venait de passer à l'action. Chose étrange. Cela ne correspondait pas au Grand Bob, que de hâter sa riposte alors qu'il avait passé tant de temps à monter un jeu de poupées russes pour tromper, détromper et détremper ses ennemis, ses cibles et ses adversaires.
      – « Se pourrait-il qu'il ait eu vent de notre action et qu'il cherche à régler la chose au plus vite ? » Mosca se parlait à lui-même. Je savais qu'il faisait comme moi, dressant le tableau de la situation, pesant le pour et le contre de chaque option. Enfin, comme moi je l'aurais fait, si je l'avais fait. Personnellement, je le considérais comme plus vieux, plus expérimenté, donc en charge de la réflexion et de la stratégie. J'étais là pour obéir.
      Naturellement, cette prise de position m'aurait été imposée que je me serais égosillée au titre du machisme, sexisme et injustice flagrants de cette remarque. Mais là, j'étais bien trop fatiguée pour réfléchir, et pour faire exercer mon droit féministe à l'égalité de traitement. Des maux de têtes constants, à la limite de la migraine me martelaient les tempes depuis plusieurs jours. Je blâmai le temps orageux. Ça et les plans foireux. Ça et ma tendance à papillonner qui n'arrangeait rien.
      -  « Je n'ai parlé à personne, et toi sûrement pas. On aurait été suivi et espionné ? » Hum, à bien y regarder, ce n'était pas la Marine qui avait provoqué cette explosion. Enfin, il semblerait. Mais dans ce cas, qui ?
      – « Tsss, quand vas-tu apprendre à penser au-delà de ton nombril ? » me corrigea-t-il avec dureté. « Le monde ne s'arrêta pas à ta personne. Il y a infiniment plus d'agents infiltrés, de traîtres, d'informateurs et de réseaux ici à Marie-Joie que n'importe où dans le monde. Ton Grand Bob a bien plus d'information à sa disposition que celles que tu lui fournis. Il joue avec un jeu bien plus complet que toi et ta donne de base. » La rebuffade me fit mal, bien entendu, non seulement par le ton employé, mais surtout par la vérité contenue dans ces mots.
      -  « Donc quoi ? Quelqu'un qui ne nous connaît pas lui a dit que nous allions tout faire pour faire caboter son coup de filet ? »
      – « Non. Il aura réalisé tout seul qu'il s'est planté de A à Z. » Et avec cette déclaration unilatérale n'appelant à contestation, il s'éloigna à grande vitesse. Je dus trottiner pour rester à ces côtés, le questionnant entre deux respirations, car là, j'avoue que je ne comprenais pas. Il faut dire qu'il ne m'expliquait rien, lui qui avait tant de cartes en main. Égoïste va, tu pourrais partager... Il s'arrêta soudain et se tourna vers moi. Mosca m'agrippa aux deux bras, ses doigts s'enfonçant douloureusement dans mes biceps. Mais qu'est-ce qu'ils avaient tous à faire ça ? Bientôt, je serai couverte de bleu des pieds à la tête! « Jade, tu vas me conduire auprès de ce Grand Bob. »
      Je compris à moitié ce qu'il voulait : un Marine haut gradé allait s'adresser à un agent pour obtenir des informations. Surtout si le lieutenant-colonel Sisa n'avait pas été averti de cette attaque. Par contre, on avait dû lui glisser un mot concernant « Jade » et le fait de ne pas chercher à savoir qui elle était et à quoi elle servait. Pas étonnant donc que les circonstances présentes, il y eut rencontre au sommet, avec introduction faire par la petite Jade. Par contre, je ne voyais pas l'utilité de la chose, présentement, avec justement les circonstances en cours.
      -  « Ah bon ? Et Baryton ? »
      – « Fais ce qu'on te dit, gamine !!! » S'il avait pu, il m'aurait retourné une claque. Il savait parfaitement que ce faisant, il provoquerait chez moi une colère aveugle qui me pousserait à agir contre lui, dans tous les sens du terme. Ce Mosca de Torcy avait un sens du contrôle impressionnant et ces mots étaient autant de coups. Il n'avait pas levé la main mais je sentais le rouge brûlant de l’empreinte de ses doigts sur ma joue – ça changeait du bras, ceci dit – et me voilà morveuse, à baisser le nez comme une enfant.

      Comme je le détestais, ce type. Finalement, mieux valait seule que mal accompagnée...

      Trouver Grand Bob dans le chaos qu'était devenu la base se révéla bien plus facile à dire qu'à faire. Nous savions qu'il serait là, pour assister au combat et diriger les troupes, pour ensuite mieux coordonner l'interrogatoire des prisonniers. Mais d'où ? Dans la cours, il y avait un affrontement en camp rangé, et la logique voulait que le groupe venant du trou dans le mur était les envahisseurs rebelles, et que les défenseurs fussent les Marines. Encore une fois, pourquoi Baryton avait-il cru bon de provoquer une explosion plutôt que de suivre le plan ? Non, rectifions : pourquoi Freddy avait laissé Baryton exprimer son amuuuur du théâtre avec cette satané putain d'explosion ? A cause de ce manque singulier de bon sens, nous voilà pas dans un bordel pas possible !!! Raaah, qu'on me donne une hache, j'avais des envies de sushi sanguinolents bien frais !!!

      Nous dûmes déjà nous rapprocher de la bataille, pour obtenir des informations. Plus d'une fois, nous attrapâmes un gars en uniforme qui se hâtait vers tel ou tel point, avec une mission sûrement prioritaire. Personne ne savait rien. Mosca de Torcy tirait la tronche. Le Marine en lui était déçut de la réaction des hommes qu'il avait entraîné. Je pouvais le comprendre, quand je faisais mon boulot de CP, je le faisais bien, pour ne pas être découverte et parce que j'aimais le travail bien fait. Comme nous étions assez semblables... Oh lala, il avait raison, je ne pense vraiment qu'à moi, même dans ces moments-là. Et dire que je venais de penser que JE ressemblais à CE type, odieux, suffisant, prétentieux, monsieur-je-sais-tout. Il me fallait des vacances, et vite...

      Finalement, un sergent nous indiqua un poste de commandant, plus loin dans un bâtiment de trois étages. Nous y galopâmes, et quelque part, je savais que ce n'était pas la course qui faisait battre mon cœur à la chamade. C'était bien le fait d'arriver à une résolution, à une épiphanie. La confrontation Grand Bob Vs Mosca de Torcy – il fallait vraiment que je demande son prénom, ce nom de code n'était vraiment, mais vraiment pas pratique – allait enfin éclaircir une partie du ciel nuageux. Enfin, c'était la théorie et tous mes espoirs.
      – « Tu resteras à la porte, pour qu'on ne nous dérange pas. » commanda-t-il alors que nous approchions de la porte du rez-de-chaussée. Heeeein ?
      -  « Mais je croyais que Jade devait être là, moi ! » Pitié, ne me dites pas que je venais de geindre ! Un peu d'amour-propre, ma fille !
      – « Tu n'es pas en tenue. »
      -  « Parce que tu l'es plus, peut-être ?. »
      – « Je ne suis pas « Jade » moi. Réfléchis un peu ! »
      Justement, c'était le problème.
      -  « Et s'il t'attaque ? »
      – « Je sais me défendre, et il n'aura aucune raison de m'attaquer et au pire des cas, tu seras à la porte. Mais ton rôle est vraiment d'empêcher tout le monde de rentrer. Je dis bien tout le monde. »
      Je grommelai mon accord, et je ne sais pas s'il entendit quoi que ce fut, avec le vacarme ambiant. Je ne sais pas ce que Baryton voulait faire, à part se suicider avec perte et fracas.
      -  « Hé ! Si Baryton n'est pas un révo, et s'il fait partie d'un équipage, comme tu le penses, c'est qu'il est quoi ? Un pirate ? »
      – « Non, mais il y a de l'idée. Tu vois que quand tu veux, tu peux. »
      Et sur ces mots, il me planta devant la porte. J'eus le temps d’apercevoir la masse de Grand Bob, plusieurs figures 'uniformées' à ses côtés, avant de me retrouver dans un couloir morne et aveugle. Aucune fenêtre ne donnait sur l'extérieur et si je ne savais pas ce qu'il se passait, j'aurais pu prendre les cris et déflagrations pour un exercice de manœuvre. Toutes les conditions réunies pour faire monter mon stressomètre dans les rouges et vu que Jade n'avait pas de manucure (et le creusement des digues n'avait pas arrangé l'affaire) je pus, pour la première fois depuis... dix ans ?... me ronger les ongles avec un mixte de béatitude et de culpabilité.
      Et comme à chaque fois que mon esprit pouvait prendre la tangente, je me mis à réfléchir sur 'ce que j'allais faire si quelqu'un se présente'. Il était gentil, le Mosca, mais comment appliquer ses ordres ? Je n'étais pas en uniforme CP, donc je ne pouvais interdire quoi que ce fut à un Marine. Jade n'était qu'un pion, un caporal, et n'avait encore moins d'autorité que Shaïness en civil. Attaquer ? Et faire passer les coups pour des attaques des assaillants ? Ici, des « révolutionnaires », dans ce couloir à l'écart de tout ? Et attaquer avec quoi, d'abord ? Mes rouleaux ? Autant jeter Jade aux orties directement et en finir avec la discrétion. A coup de Rokushiki ? Mouais, des Marines touchés par des techniques propres aux gouvernementaux. Pff, j'vous jure, les hommes, parfois, ça ne pense vraiment pas.

      Et évidemment, ce fut à ce moment d'indécision totale que se manifesta un bruit de cavalcade dans les escaliers. Avec la lueur diffuse des lampions de sécurité, j'aperçus une silhouette au bout du couloir, qui avança vers vous avec le canon de son fusil pointé vers moi. Puis je le reconnus : c'était un jeune des Ecailles, un qui m'avait accompagnée dans cette taverne plutôt dans la journée, qui était venu porté des sacs de sables. Un « coupain », quoi.
      Je m'approchai donc de lui, les mains en position neutre :
      -  « Pss, c'est moi ! »
      -  « Hein ? Ah... mais... »
      -  « Mais qu'est-ce que tu fous là ? Ce n'était pas le plan !! Vous êtes malades ? Où est Ba... le chef ? »
      -  « Je... euh... ELLE EST LA !!!.. » bafouilla-t-il d'abord avant de beugler comme un cochon qu'on égorge.
      -  « Mais chuuuut ! » Oui, des fois, je pouvais manquer de réactivité. Des fois, je me foutrais des baffes. Des fois, je me trouvais conne. Pourquoi n'avais-je pas intuité à ce moment là ?
      Moins de trois secondes après, Freddy arriva, menant une troupe d'hommes-poissons et d'humains.
      – « Ouais, c'est bien elle. On y va. »
      -  « Freddy, qu'est-ce.... »
      Et VLAN ! Je me mangeai une torgnole qui m'éjecta vers le mur le plus proche, ma tête cognant douloureusement contre la pierre. Je titubai, sentant le sang couler de ma pommette que Minime m'avait éclaté, et de mon crâne, là où ça avait craqué méchamment. Le jeune avait tout aussi bêtement que moi assisté à la scène, la bouche ouverte – oserai-je dire comme un poisson hors de l'eau – et tendit automatiquement les bras pour me récupérer. Faut dire que sinon, je lui rentrai dedans. Ceci dit, il bégaya à l'adresse du « révolutionnaire » :
      -  « Mais, mais... »
      Je tentai de me relever, de faire face, ne serait-ce pour m'indigner, mais pour le coup... ouais, c'était bien un coup. Jo Patchett, petite lavette. Freddy, lui, il faisait mal.

      A travers le brouillard qui me faisait chavirer le cœur et la vue, je regardai Freddy passer, puis un autre grand homme-poisson qui ne me jeta même pas un regard, et deux autres encore, dont un qui murmura:
      – « Karn, il arrive... »
      Il, c'était un homme, dont je n’aperçus absolument rien, si ce n'était une aura glacée, qui me congela sur moi... je ne sais pas si c'était le froid ou le contrecoup ou quoi, mais soudainement, une migraine comme jamais auparavant me vrilla les tempes. Avant de tomber dans l'inconscience, j'entendis une nouvelle explosion et parmi les cris, il me sembla distinguer particulièrement la voix de Mosca.
      – « C'était donc toi ! »
      – « Attrapez-le. »
      Puis un grand cri de douleur.
      Bien, il avait mal, lui aussi.


Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Mar 27 Aoû 2013 - 20:48, édité 1 fois
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    Je me réveillai avec un sursaut que je regrettai immédiatement. Non seulement avais-je le corps raide, mais également un mal de tête qu'aucun lavement d'estomac ne pourrait guérir, à la différence d'une gueule de bois. Ma vue était encore brouillée et mes oreilles... j'entendais encore en résonance l'explosion se répéter, mais en plus doux, moins fort, comme des petites cloches sur lesquelles un salopiaud de lutin s'acharnerait.
    Mon compagnon d'infortune, le jeune homme-poisson, était encore dans les vapes à mes côtés. Il semblerait qu'il eût en fait adsorbé le gros de l'impact, expliquant pourquoi j'étais déjà remise.
    Comme pour la première attaque, une épaisse fumée flottait, clouée au sol par la pluie. L'odeur de poudre, de cendre et de sang prenait à la gorge, me faisant larmoyer qui plus était. Je clignai des yeux, pour chasser tout ça – le coup et la fumée – et lentement, je compris que le couloir devant moi n'existait plus. La paroi avait disparue, et la pièce dans laquelle Grand Bob, Mosca et je ne savais qui avaient siégé n'était plus que ruine éventrée. Une partie de la façade extérieure s'était écroulée dans le passage en dessous. Si j'en croyais mes oreilles, les gravats avaient bloqués les entrées et les Marines cherchaient donc un moyen pour accéder à ce troisième étage.
    -  « Hé toi ! » Et je mis une claque au gars, déçue que ce ne fut pas Freddy mais savourant dès à présent le moment où je pourrai le faire. Oh oui, ça, il ne l'emporterait pas au paradis. Qu'il me trahisse, pourquoi pas, c'était de bon jeu. Mais qu'il m'en retournât une ?
    -  «Huumrgph... heeeein ?... je.... quoi... mais... »
    -  « Ok, le mioche, viens me voir quand tu auras appris à articuler. »

    Son expression éperdue catalysa mon sens des responsabilités. Puisque nous étions seuls, il fallait bien que quelqu'un prît les décisions. Et j'en avais... ma claque... de me faire mener par autrui. On n'est jamais mieux servi que par soi-même. Je me mis debout, conscience cruellement de l'urgence de la situation. Je n'avais au mieux qu'une poignée de minutes avant que les troupes ne débarquassent. J'avais beau me moquer, et ils avaient beau être dirigés par une élite plus que sclérosée, ils étaient du genre débrouillard. Létal, même.

    La pièce ne ressemblait plus à rien. Impossible de savoir s'il y avait eu des tables et des chaises, une cuisine ou une salle-de-bains ici. Encore chancelante sur mes pieds, bien qu'à chaque seconde je me retrouvais de plus en plus, j'enjambais le corps – ou le cadavre – de plusieurs hommes, me dirigeant vers l'endroit où j'avais vu Grand Bob. D'ailleurs, trouver Grand Bob était mon objectif. Si le devenir de l'homme en lui même m'indifférait au plus haut point, sa masse le rendait un poil plus difficile à passer inaperçu. Chiant comme De Torcy pouvait l'être, je me doutais que même inconscient, il pouvait fusionner avec le plancher et la poussière. Après tout, n'avait-il pas par deux fois pénétré chez moi, dont une au nez et à la barbe de plusieurs guetteurs y compris des hommes bien entraînés du CP6 ?

    Le bidon de Grand Bob était tel un phare dans la tempête. Ou une soufflerie de forgeron. Sa respiration sifflante m'indiquait qu'il n'était pas mort. Je furetai autour de lui, mais force me fut de constater que Mosca avait disparu. Avait-il déjà pris la poudre d’escampette ? En me laissant ?
    -  « Arpghl.. » grommela la cause de tous mes soucis.
    -  « Ah, vous... » Je me penchai sur lui, et étonnamment, il me saisit le poignet avec une force ! Mais lâchez-moi, par pitié !!! Devrais-je me faire tatouer « petite chose fragile » sur le front pour que vous compreniez ?
    -  « Ils ont.. pris...Sisa... ... ... un... révo... » me murmura-t-il entre deux quintes de toux et quelques postillons ensanglantés. Ah, tout le glamour de la carrière militaire. Mais pour le moment, et avec le recul, je me demande comment j'ai fait – ne serait-ce que d'un point de vue hygiénique – je me contentai d'essuyer ma joue avec le revers de ma manche. Pourquoi Freddy and co s'en étaient pris à Mosca ? Il était clair qu'il avait été la cible de toute cette action kamikaze. Et qui Grand Bob désignait-il pas « révo » ? Mosca ou Freddy ? Ou son copain, l'homme qui fait froid dans le dos ? Dans le doute, exprimons-le. Le doute, hein.
    -  « Merde, merde, et re-re-re-remerde. »
    Bon ça, c'est fait.
    – « M'zelle ? »
    -  « Ah, tu tombes bien, toi. Aide-moi, prend l'autre côté.. Ah, choppe une cape ou un truc pour te faire passer de loin pour un Marine ? » J'empoignai Grand Bob par un bras pour signifier qu'on allait le transporter.
    – « M'zelle ? »
    -  « Quoi ? Tu préfères attendre là qu'on vienne d'arrêter ? Tes gars t'ont oublié, et moi... moi j'sais pas. Alors aide-moi à  transporter Grand Bob. »

    Ou plutôt, Gras Bob. Heureusement que le jeunot était du genre costaud. Nous venions juste de le hisser sur nos épaules quand les Marines arrivèrent et voulurent immédiatement prendre les choses en main.
    -  « On se pousse ! » gueulai-je de ma voix la plus sévère possible. -  « Agent du Sixième Bureau, affaire prioritaire et classée secrète. On se pousse, on n'a pas le temps !! »
    Et ça fonctionna. Grand Bob devait s'être faire connaître des chefs, puisqu'il était responsable de ce « piège ». Bien entendu, je ne restai pas là pour leur laisser le temps de réaliser, et leur conditionnement à obéir aux ordres et à l'autorité joua en ma faveur. Une fois dans la cour, je pensais que j'aurais plus de difficulté à sortir, mais en utilisant deux-trois détours que Mosca m'avait montrés, nous fûmes dehors sans être arrêtés.
    -  « OK Benji, voilà ce qu'on va faireu vas me donner l'adresse de votre quartier général en ville. Pas les Ecailles, là où je peux trouver votre chef. Tu vas y aller direct et moi, je t'y rejoins, après avoir vérifié qu'on n'est pas suivi. Tu ligoteras bien ce gars, et surtout, tu ne lui fais pas confiance. C'est un agent CP et il est capable de beaucoup de choses... Ok, Benji ? »
    – « Je m'appelle Caïus, M'zlle.. »
    -  « Ça fait pas trop Marine et en ce moment, tu veux être Marine... Benji... »
    – « Oui M'zlle, bien M'zlle. »
    Comme quoi, c'était pas bien compliqué de donner quelques explications de temps à autre. A croire que j'étais un génie.

    Ils partirent et moi, je restai en arrière, utilisant tous mes sens et tout mon entraînement pour être certaine que notre échappée relevait du miracle et pas d'un énième mouvement de pion dans le Cycle de la Vie by Grand Bob.
    Bon, il semblerait que le CP 6 n'eusse pas vu venir le coup de l'attaque des hommes-poissons, et que je n'avais pas de babysitter attitré. Je pus donc me rendre dans l'arrière salle d'une taverne miteuse, en tout point semblable à celles des Écailles à quelques exceptions près, à laquelle on accédait uniquement par une petite cour.
    Je pensais à beaucoup de choses, notamment à tous ce que Grand Bob allait me dire, tout ce que Caïus allait me dire, et qu'enfin, je comprendrais. Il me fallait aussi sauver Mosca, de quel que fut le danger dans lequel il s'était fourré. Mais comme d'habitude, rien n'alla comme prévu.

    Tout commença avec la grille de la cour simplement fermée et non verrouillée. Étrange. Cela continua avec l'absence de lumière pour éclairer le carré de pavés inégaux. Et cela se termina avec la vision d'apocalypse dans la salle, avec les tables brisées, les éclaboussures de sang, et l'agonie de Baryton.
    -  « Qu'est-ce qui c'est passé ici ? » m'écriai-je en m'agenouillant près du corps de l'homme. Sa blessure était grave, et nous savions tous qu'il ne survivrait pas.
    – « Je l'ai trouvé comme ça. Je les ai tous trouvé comme ça. » Il me désigna un coin de la pièce où plusieurs masses allongées me laissèrent comprendre que Baryton était le seul survivant. « Je ne sais pas combien de temps il était comme ça. Je l'ai trouvé attaché à la chaise. M'zlle Jade, il va pas mourir ?. »
    -  « Si, il va mourir. Très bientôt d'ailleurs. Mais avant ça, il doit me parler. Qui êtes-vous, et où est Mosca ? »
    -  « Qui ? »
    -  « Mosca de Torcy, le révolutionnaire haut gradé que nous cherchions tous et que Freddy a capturé. »
    – « En fait, il s'appelle Keress Karn. » Caïus baissa le nez, penaud.
    -  « Je---il m'a trahi... »
    -  « Qui êtes-vous ? » insistai-je. Je craignais qu'il ne succombât avant d'avoir livré suffisamment de secret.
    -  « Le Chevalier des Embrumes. Le grand révoluti- »
    -  « Oh, pour l'amour de tout ce qui a une valeur sur terre, vous n'êtes pas plus révo que je ne suis Marine. JE suis une révolutionnaire. Mosca de Torcy est un révolutionnaire. Vous ? Vous êtes mourant, mais vous pouvez faire quelque chose de bien avant. Aider cette révolution dont vous avez utilisé le nom. Que vous avez mis en danger. »
    -  « … Je suis... Chevalier des Embrumes... Capitaine... du Matador... »
    -  « Matador ? Pas le Conquistador ? »
    Malgré la douleur qui ternissait ses yeux, je lus la terreur absolue dans le regard de Baryton à la mention de ce nom.
    -  « Je suis peut-être un pirate... mais lui, c'est un monstre... un traître... »
    -  « Qui ça ? Fred---non Keress Karn ? »
    -  « Non, le Bunker... du Conquistador. Traître... révo... »
    Et il mourut.


Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Mar 27 Aoû 2013 - 20:51, édité 1 fois
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    – « Non, moi, j'suis pas du Matador. Le navire, il est ancré un peu plus loin dans une crique de la côte. Moi, je suis de Marie-Joie, j'suis né aux Ecailles. C'est Karn qui est venu me recruter, en me disant qu'un révolutionnaire voulait monter un coup et que c'était un ami des hommes-poissons. »
    -  « C'est qui, ce Keress Karn, exactement ? »
    – « Ma mère dit que c'est à cause de type comme lui qu'on n'aime pas les hommes-poissons. Moi je crois qu'à force de s'être fait craché dessus, Karn est devenu exactement ce qu'on pensait de lui, quelqu'un de méchant sans âme. Ils lui ont pris son âme. »
    -  « Caïus... Tu es un brave petit, mais tu n'as pas la fibre d'un révo ou d'un pirate. Qu'est-ce que tu t'es fichu dans ce pétrin ? »
    – « Quoi ? » cracha-t-il soudain. « Vous pensez que j'aime vivre aux Ecailles ? Que quiconque aime vivre aux Ecailles ? Y'a des frustrés comme Karn pour aimer les Ecailles. Moi... on me dit que j'ai une chance de faire bouger les choses, alors j'ai dis oui. »
    -  « D'accord, donc tu pensais que tu étais révolutionnaire, sous les ordres de Bar--- du Chevalier. Quel était son plan, à la base ? »
    – « J'sais pas trop. Je crois qu'il ne savait pas trop en fait. Il parlait de l'égalité entre les races, de changer le monde, d'agir, une fois qu'on aurait contacté le grand révo en charge ici à Marie-Joie. »
    -  « Le Chevalier des Embrumes, c'est du flan. » La voix de Grand Bob sortit de la flaque d'obscurité dans laquelle je l'avais oublié. « Un pirate manqué... quelques razzias, rien de bien solide. Sa spécialité, c'est se faire passer pour un autre, et de jouir de la réputation pour faire peur et extorquer à la population civile de l'argent en échange de sa mansuétude. »
    -  « Oh... mais dans ce cas, pourquoi vouloir jouer au révo ? »
    -  « Parce qu'il a eu les yeux plus gros que le ventre. Il voulait trouver ce traître dans les rangs de la Marine, et se faire passer pour ce révo plus tard. C'est devenir trop dangereux pour lui de se faire passer pour un pirate. »
    -  « D'accord. Mais alors, qu'est-ce que je viens faire dans cette histoire ? »
    Grand Bob eut un sourire mauvais.
    -  « Pourquoi parlerais-je ? Tu vas me tuer, de toutes les façons. »
    -  « Quelle idée stupide. Non, juste te torturer. Tu as beau être un agent assermenté et gnagnagna, je pense que tu ne tiendrais pas trois jours avant de craquer. »
    – « Je connais deux-trois personnes prêtes à vous rendre ce service, M'zelle Jade. »
    -  « Elle ne s'appelle pas Jade, abruti ! Elle, c'est---. »
    -  « Woa, on se calme. Qu'importe mon nom, puisque tu sais que ce que je suis, tu sais que tu ne repartiras pas. Et puisque tu bosses au CP6, tu sais aussi bien que moi que la révolution n'a pas tort dans tous ses principes. Tu peux donc collaborer et rester en vie, ou souffrir et mourir. »
    -  « Vivre pour quoi faire ? »
    – « Se venger, l'humain. Mon peuple trouve que c'est une très bonne raison d'être encore ici. » Il y avait quelque chose de carrément terrifiant dans le sourire de Caïus. Finalement, ce petit, je l'aimais bien.
    -  « D'accoooord. On reste souple sur les papattes arrières. Le Chevalier des Embrumes, OK, je vois. Dans ce cas, c'est ce Bunker ? De Torcy avait réellement... peur... de se faire retrouver par ce type. Pas Bary---le Chevalier, mais le Bunker... il est bien le capitaine du Conquistador, hein ? Et c'est quoi, cette histoire de traître révolutionnaire ? »
    Grand Bob eut un sourire mauvais.
    Je venais de décider que je détestais les sourires mauvais.

    Quelques mises aux poings plus tard, Grand Bob avait décidé que se murer dans un silence boudeur serait sa réponse à nos interrogatoires philosophiques. Ce fut comme ça que j'appris que la peau d'un humain, c'était comme les écailles d'un poisson, que ça se gratte à rebrousse-poils et que Caïus avait en lui ce qu'il fallait pour être révolutionnaire.
    Mais ça n'avait pas fait avancer cette histoire, et je ne savais pas ce qui reliait Mosca de Torcy au Bunker. Cette histoire de traître me faisait froid dans le dos. Mosca est-il un félon ? M'avait-il utilisé ? Le Bunker était-il venu le chercher pour le traduire devant qui de droit ? Avais-je révélé mon identité à tort ?

    -  « Bon... voilà ce qu'on va faire. Tu vas retourner aux Ecailles, et tu vas rassembler ceux et celles qui veulent bien aider. Le fait que Karn ait agi comme il l'a fait...  le fait qu'il ait été vu dans le QG... c'était voulu, c'est pour discréditer l'ensemble des hommes-poissons. Dans moins d'une heure, la Marine fera une razzia chez toi. Que les agitateurs disparaissent, et que les civils se cachent, ou coopèrent. Tu leur feras comprendre hein ? »
    – « Oui, je vois très bien. On n'a pas le choix... »
    -  « Oui, dans cette histoire, tout le monde a profité de vous, et moi, je vais continuer. » Il haussa les épaules, désabusé.
    – « Au moins tu es honnête. »
    -  « Ça ne fait pas de moi une bonne personne pour autant. »
    – « Non, ça fait de toi une révo, et quand tout ceci sera fini, tu me feras rentrer dans ta cellule. » Comme si j'avais le choix. Il était encore bien naïf, le petit Caïus. Puisqu'il connaissait mon visage et ma double identité, il pliait ou crevait.
    -  « Tu vas amener Grand Bob avec toi, et tu vas envoyer une partie de tes hommes prendre d'assaut le Matador. Tu m'as bien dis que tu savais où il était ? »
    – « Oui. La mer, c'est notre domaine, même si vous les humains, vous l'oubliez. »
    -  « Ouais bon... Vous mettez Grand Bob aux fers et vous vous débrouillez pour rester en contact. Toi et le reste, vous me retrouvez devant la caserne principale, le plus tôt possible. »
    – « HEIN ? »
    -  « Oui, la Marine va m'aider à délivrer Mosca, et vous, vous allez capturer la Marine. Tu voulais devenir révo ? Voilà ton baptême du feu. »
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