
Hiromichi, maître de l’archipel y exerçait davantage ses devoirs que ses prérogatives et se comportait en bon vassal respectueux du gouvernement. A ses devoirs de petit seigneur s’ajoutait sa charge de chef d’entreprise, là où il excellait, là où il aimait exercer son art millénaire et à partager ses connaissances et ses recherches avec sa fille. Yoko sourit tristement en pensant que ces moments privilégiés appartenaient désormais au passé.

La mélancolie fait place à la crainte, au refus.
« Je ne suis pas prête. Je ne suis pas prête !»



Lors des longs exposés d’Hiromichi concernant ses futures responsabilités, parfois, à dessein, elle dissimulait à demi un bâillement et le maître interrompait la leçon ; lui aussi pensait qu’ils avaient le temps. On pense toujours qu’on a le temps…


Hikaru, pusillanime comme à son ordinaire, selon l’opinion de Yoko, s’est refusé à assurer la sorte de régence qu’elle sollicitait.
Ce qu’ignore la jeune fille, ce que personne ne savait en dehors de son frère, c’est qu’Hikaru travaille en secret depuis des décennies sur des applications défensives des poudres. Et qui dit défensives...
Une pensée toute neuve traverse l’esprit de Yoko qui en reste sidérée un instant.
« Mais… nom d’un hippocampe… il ne reste plus que moi pour… pour… Je ne suis pas prête. Ah ça non, je ne suis pas prête !»
Plop Yoko sursaute. L’écureuil chapardeur vient de sauter sur son épaule. Elle sourit.
Tap tap tap Et voilà qu’il tente de casser sa noisette sur la tête de Yoko !
« J’ai la crâne dur mais pas à ce point, stupide bestiole ! »
Craaaack, scratt, scratt, scratt. L’écureuil grignote le fruit dont il a forcé la coque à coup de dents, et laisse tomber les débris dans le beau chignon de Yoko qui n’y prend pas garde.
Elle n’a rien fait pour apprivoiser l’animal, elle ignore pourquoi il a choisi sa compagnie… Elle sourit avec amertume.
« Je peux être responsable d’un écureuil… mais pas de trois mille âmes, pas d’une entreprise. Pourquoi mon fichu oncle ne semble t-il pas le comprendre ? Trop heureux depuis toujours de ne rien avoir à décider ou simplement incapable de le faire ? ».

Que se passe t-il ? La milice reste habituellement cantonnée sur le port, seul point d’accès à l’île car Koneashima est entourée de hauts fonds dangereux qu’aucun navire ne peut franchir en dehors d’un étroit chenal. Les bâtiments qui veulent aborder doivent demander l’assistance d’un des pilotes du port pour être guidé jusqu’aux quais car ces fonds sont dangereux en raison de l’activité volcanique sous marine. Quant au chenal, seuls les « pilotes » qui le parcourent quotidiennement en connaissent le tracé capricieux et éphémère.

Quelques canons pointent leurs fûts sombres vers la mer, à l’entrée de la rade et le long du chemin de ronde qui entoure l’île. A ce propos, Yoko n’a jamais compris pourquoi l’entretien de ces armes avait échu à Hikaru. Elle hausse les épaules. Peu lui importe, les abords marins, naturellement semés d’embûches valent bien mille canons.


Dernière édition par Yoko Akitsu le Ven 13 Sep 2013 - 23:14, édité 1 fois