J’ai craint que tout ce qui peut se faire en matière de pirates d’Arkham me déboule sur le coin du visage pendant un certain moment, je le connais. Je me suis préparée au pire, éliminant rapidement les trois pirates dans un premier temps heureux de pouvoir donner l’heureuse information à leur capitaine, puis malheureusement assommé sans espoir de salut. J’aurais pu les laisser se noyer dans les quelques décimètres d’eau souillée, mais je suis une bête et je les ai empilés sur l’un des bords d’un passage menant probablement vers l’extérieur, prêt à pousser du plat du pied le trio de pirates sur leurs potes qui allaient débouler. Mais rien. Ils ne sont pas venus. J’ai attendu, j’ai tendu l’oreille, mais seuls les couinements des rats et les clapotis de l’eau coulant dans l’égout me parvenaient. Je pensais à un piège, j’ai surveillé mes arrières, prêts à trouver un assassin sur le point de me planter sa lame dans les cottes. Mais rien. Toujours rien.
J’en ai marre d’attendre.
Alors, je prends le temps de réveiller l’un des pirates d’un aller-retour du plat de la main qui fait son petit effet. Son réveil est lent et douloureux, mais je ne lui laisse pas le temps de hurler, mon doigt vient se poser ses lèvres, intimidant.
-Je ne te demanderais qu’une seule chose. Qu’est ce que c’est que ça ?
Ça, c’est l’espèce de fresque à moitié effacée qui semble être la clé pour le trésor du père au petit Robert. Et si pour moi, c’est très nébuleux, ça semblait très évident pour lesdits pirates.
-Ça ? Je .. je … je ne sais pas. Un tag je présume. Franchement, les jeunes ne devraient pas faire ça de nos jours. Ça dénature les lieux.
Je le fixe. Je ne souris pas. Il déglutit.
-Non … mais … sérieusement, je sais pas …
-Nous savons tous deux que c’est faux.
-Oui … mais il vaut mieux qu’Arkham pense que c’est faux. Ça vaut mieux … pour moi.
-Arkham ?
Je regarde à gauche et à droite pour bien montrer qu’il n’est pas là. Il ne comprend pas tout de suite.
-Oui, c’est notre Cap…
-Je sais qui c’est.
-Ah ?
-Et je sais aussi qu’il n’est pas venu vous aider.
-Ah … oui … c’est vrai…
-Tu sais ce que ça veut dire ?
-Euh, il est occupé ?
-Pour lui, vous êtes morts. Vous n’existez plus. Ils vous abandonnent.
-Vous êtes sûrs ? c’est un chouette capitaine, tout de même, Arkham, sauf quand il s’énerve …
-Bref. Tu me dis, ou c’est moi qui m’énerve.
-On peut pas remettre ça à demain, non ? Z’êtes sûrs ?
-Grrr.
J’obtiens mes informations rapidement. Le dessin représente une sorte de chaumière délabrée avec un petit panneau à l’entrée : Möh. Derrière, des arbres, des gribouillis et une croix. D’après le pirate qui a retrouvé les bras de Morphée, c’est la taverne où les pirates avaient l’habitude d’aller à Saint-Uréa, enfin, du temps du prédécesseur d’Arkham. Et évidemment, ils connaissent tous le coin. J’ai récupéré des indications ; une direction et un nom de rue. Parfait. Je les abandonne avec la détermination d’arriver pas trop en retard à la taverne de Möh. Et alors que j’avise une échelle menant vers l’extérieur, j’ai quelque chose en moi qui sonne la cloche de l’alerte. Il manque quelque chose. Un objet ? Quelqu’un ? Non. Je n’arrive pas à mettre un mot sur ce manque, mon esprit étant totalement préoccupé par ce qui s’annonce. Finir sur une bataille de taverne, on aurait pu trouvé mieux niveau qualité.
♥♥♥
Une heure plus tard, trois raccourcis s’avérant n’en être pas un, des passants importunés par mon odeur d’égouts qui refusent de m’indiquer le chemin et un môme qui voulait absolument que je lui laisse porter ma hache et j’arrive enfin en vue de ladite taverne. C’est une rue calme, pas très passante ; le coin est limite désert. La taverne paye pas de mine. Complètement délabrée, elle parait à l’abandon. Il semble qu’il y ait personne. J’évite de tenter le diable et je m’approche de la maison à côté où une vieille dame profondément enfoncée dans un fauteuil à bascule grinçant horriblement fixe devant elle comme si rien n’existait pour elle, sous le couvert de sa pergola. Je m’approche, je fais signe. Pas de réaction. Je ne fais plus attention à elle et je me plaque contre le mur de sa maison, m’approchant de la taverne de Möh, jetant un regard à l’intérieur au travers d’une vitre encrassée par la saleté.
Pas un mouvement. Pas un bruit. Le calme plat.
-Ils sont partis il y a dix minutes, gamine.
Je sursaute, prête à frapper ce qui s’avère être la mamie, me toisant avec un profond dédain. Mon souffle se calme aussitôt et j’engage la conversation.
-Comment cela ? Qui ça ?
-Arkham et ses marmots. Ils ont déguerpi.
-Vous le connaissez ?
-Je le connais depuis qu’il l’époque où il pouvait pas ouvrir la bouche sans dire une bêtise. Ça fait quarante ans que je vis ici, gamine. Et des têtes pareilles, ça s’oublie pas.
-Du coup, ils ont … embarqué le trésor ?
-Un trésor, j’ai pas vu de trésor.
Etrange. Comme pour illustrer son propos, elle se lève, se saisit d’une canne et se dirige vers le bar. Je la suis avec prudence, même si la vieille dame ne semble pas le moindre du monde sur ses gardes. Ça peut être un piège. On entre. Je remarque très rapidement que l’endroit a été méthodiquement fouillé, entendre détruit, par le probable équipage d’Arkham.
-Ce vieil imbécile de Möh. Voir son trou à rat dans cette état, ça lui metterait son foie dans tout ses états.
-Vous avez l’air de bien le connaitre.
-Comme on peut connaitre un voisin habitué au tapage nocturne tous les soirs. Et les jours ou c’était fermé, il se décrassait la gorge au rhum dans son arrière-cour.
Son visage ridé ne fait pas transparaitre beaucoup d’émotions.
-Alors, vous ne les avais pas vus avec l’argent ?
-S’il y avait un magot dans ce taudis, Möh serait pas mort dans la misère.
-Ah ? Il est…
-L’année dernière.
-Désolé.
-J’suis pas sa famille. Heureusement que son fils est venu pour l’enterrement.
-Son fils ?
-Oui. L’ancien chef d’Arkham.
-Comment ça ?
-L’ancien capitaine, c’est son fils.
-Vraiment ?!
-J’ai une tête à mentir, gamine ?
-Mais alors, le capitaine a pu déplacer le magot !
-Rien vu de ça. Il a embarqué le corps et il est parti l’enterrer sur son ile natale.
-Son … vous savez où c’est ?
-C’est quelques heures en bateau, vers l’est. Un rocher avec vingt pecnots. Möh arrêtait pas de raconter que dès qu’une ile se fait coloniser, il faut que le vingtième type fasse une taverne. C’est une loi d’la nature, il parait.
-ça voudrait dire qu’il y a une autre taverne, sur leur ile natale ?
-Oui, gamine. Et elle doit être pas en plus bel état que celle-ci.
Tous les rouages se font dans ma tête. Arkham a dû comprendre, s’il connaissait bien son capitaine et le lien qu’il avait avec Möh. Il a dû partir pour cette ile. Mais j’ai une chose qu’il n’a pas. Je me souviens encore du gribouillis dans les égouts. L’endroit approximatif où ça serait caché. Arkham l’ignore, les seules personnes ayant cette information étant moi-même et les pirates assommés dans les égouts. J’ai encore une chance.
-Par contre, gamine, ce bruit de grincement, ça vient pas de mes articulations, ça vient vraiment du plafond.
Le bruit s’arrête aussitôt. Il y a quelqu’un.