Curieux de voir Charlène dans cet état. Autant, je peux comprendre le stress d'Elie vu son manque d'expérience, autant, ma collègue de travail aussi jeune soit-elle, certes, c'est étrange. Même si elle reste une adolescente encore à la découverte du métier, je trouve que Charlène a un avenir prometteur, je la connais depuis un an et je sais qu'elle arrivera à faire carrière. En ce qui concerne Elie, le peu que j'ai vu d'elle, me donne une bonne raison de croire en ses capacités incroyables. Je sens qu'elle est capable de devenir une excellente comédienne pour son âge, elle peut avoir une vie prestigieuse si elle se donne à fond et qu'elle le désire vraiment au plus profond de son âme. Elle a la possibilité de jouer tous les rôles sans exception sans éprouver la moindre difficulté, c'est certain, seulement, elle manque encore d'assurance et semble avoir de la timidité. Avec de la pratique et du temps, elle arrivera un jour à se prendre en main, gagnant ainsi le cœur de la populace. Le mien est déjà conquis. J'espérais pouvoir l'utiliser à mes fins, mais son esprit semble être destiné à quelque chose de beaucoup trop pure pour qu'elle se laisse avoir par les désirs terrestres. Je dois donc faire une croix sur mon espérance d'avoir une fille qui puisse reprendre mon rôle, mais ce n'est pas pour autant que je cesse d'être soucieuse pour le bien-être d'Elie. Disons que mon côté maternelle que j'ai à l'égard de mes enfants me donne l'envie d'aider cette jeune femme.
Pour ma part, pour revenir au début, je trouve que le filage n'a rien de bien méchant et qu'il s'agit tout bêtement d'un jour comme un autre. C'est grâce à mon expérience et aux enseignements de mon professeur que j'ai pu prendre de l'assurance et savoir me tenir sur la scène. J'arrive à évacuer la peur et devenir le personnage que je veux jouer sur le moment. Je vois la comédie plus comme un jeu qu'un métier technique et difficile. Il faut avoir le don dès le départ pour tenir un rôle à la perfection, chose que j'arrive merveilleusement bien depuis des années, surtout quand on a un pied dans des affaires sombres. Avec mon esprit diabolique tel que le mien, un acteur aussi doué qu'Elie est capable de faire de grandes choses, c'est une évidence. Bref, je m'éloigne du sujet. Là, Gabriel veut juste calculer le temps qu'on va mettre concrètement durant notre prestation en plus des personnes chargées d'installer les décors entre chaque scène, voir notre coordination avec l'équipe entière et finaliser les différents détails. Bien sûr, tout ceci se déroule sans la présence d'un quelconque public, il n'y a donc aucune raison d'avoir le trac. Je pense que cette histoire de mauvais rêve n'est qu'une simple coïncidence.
Maintenant, tous les employés du théâtre se retrouvent dans la salle du spectacle, tous sans exception. Acteurs, chef cintrier, chef d'atelier de décor et son équipe, le chorégraphe, les coiffeuses, le concepteur de costume, l'assistant qu'on ne voit jamais du metteur en scène, le metteur en scène et même le sous-directeur se rassemblent dans la pièce, se mettent à leur poste et se préparent avec agitation. C'est un grand jour, on a l'impression d'être le soir même où se déroulera le spectacle, sauf que ce n'est pas le cas. Je regarde Elie et Charlène du coin de l'œil, la nouvelle semble toujours aussi stressée. Je me tourne alors face à mes collègues comédiens, mais plus en particulier aux jeunes femmes.
▬ Allez, courage les amis. Et ne vous en faites pas les filles, tout va bien se passer. Dites-vous qu'on a juste deux heures à tenir, ce n'est vraiment rien d'extraordinaire. Dans le pire des cas, si vous oubliez votre texte, le souffleur est là pour ça.
Avant même que l'un de mes camarades remuent les lèvres, je m'empresse d'ajouter une dernière chose pour redonner du courage et de l'assurance, un peu comme une récompense pour se stimuler.
▬ Vous savez quoi? Je vous paye le repas de ce midi après le filage, ça vous dit?
Étant nouvelle, Elie n'a pas pu rencontrer les autres employés du théâtre, et en particulier, les maquilleuses, les coiffeuses et ceux qui s'occupent du décor. Il faudra bien qu'elle se familiarise, car on est tout de suite envoyé auprès d'eux pour qu'on puisse ressembler à quelque chose de potable. Certes, l'habille ne fait pas l'acteur, mais il faut un minimum quand même. Hors du théâtre, le maquillage et le déguisement permettent de bluffer plus d'un! Alors, se mettre dans la peau d'un personnage, ça multiplie les chances de se faire passer pour un autre aisément!! Ainsi, dans les coulisses, on s'installe pour se changer. Une fois tout le monde vêtu de la tête aux pieds, il est temps de passer à l'esthétique. M'asseyant près d'Elie, je lui demande si elle va mieux pendant que des femmes s'empressent de modifier l'apparence de mon visage et me bichonner.
Il reste 5min avant que j'entre en scène. Contrairement à d'autres, je suis toute excitée, ce qui peut intriguer certain. Elie se demande même comment je peux déborder d'énergies et être en joie dans un moment pareil. En fait, je suis la première comédienne à jouer la première scène de l'acte I et j'adore simplement mon travail. Installé dans un siège en velours du cinquième rang, Gabriel débite ses dernières recommandations à d'autres membres du personnel comme s'il répétait lui-même un numéro. Il est sur le point d'annoncer le feu vert. Et même si on demeure caché par les rideaux des coulisses, il n'hésite pas à nous encourager une dernière fois.
▬ Et n'oubliez pas, souffler un bon coup, profitez de cet instant pour faire le vide dans votre esprit et évacuez-moi tout ce stress, mes lapins. Il n'y a aucune raison d'avoir peur.
Du côté de Charlène et d'Annabelle, elles me font un peu la tête suite à mon encouragement, car il faut le reconnaître, j'assure mieux mes rôles que n'importe qui et elles me trouvent un poil arrogante à cause de cette vérité. Je suis connue pour mon talent certain. Je n'ai pas fait d'étude dans le Grand Théâtre Royal d'Alabasta pour rien et je remercie pour cela mon professeur Miyazaki Watanabe qui reste un formidable et un excellent mentor. Bref, je m'emballe, mais je ne préfère pas parler de mon passé, il y a tellement d’événements sombres à cette époque qu'il est plus judicieux que je me concentre sur l'instant présent. Je n'ai pas le temps de reprendre mes esprits et de savoir si le cauchemar d'Elie ne va pas la perturber que notre metteur en scène donne sans attendre le top-départ.
▬ Totototototoc!! Toc! Toc! Toc!
Aussitôt ayant le feu vert, je marche sur place pour imiter le pas dans la rue, puis, au bout du quatrième, je sors des coulisses par le rideau du fond et je me retrouve devant le public que j'imagine sans peine. J'ai une expression joviale non pas pour le plaisir de voir une foule inexistant venu pour me voir, mais parce que la scène le demande. En effet, mon personnage commence dans la rue toute contente. Elle est tellement ravie qu'elle se parle à elle-même à voix haute, mais c'est surtout pour que les spectateurs entendent et comprennent la situation de départ. Puis, après cela, mon perso prend place sur une terrasse d'un bistro populaire, car elle a un rendez-vous amoureuse. Ainsi, le premier acte met en avant chaque personnage dans son univers propre. Moi en tant qu'Elisabeth avec mon amant, Hélène avec Anna, etc...
J'exécute mon rôle parfaitement sans le moindre tracas, je ne regarde même pas le souffleur caché dans son soupirail tellement je connais mon texte par cœur. Il faut dire que j'ai l'expérience, vu mon âge. J'ai bien peur que Charlène ou Elie bafouille un peu à cause de leur stresse. Elles sont jeunes, elles peuvent encore éprouver de la difficulté, surtout si elles prétendent avoir mal dormi cette nuit... D'ailleurs, c'est au tour d'Elie et de Charlène d'entrer en scène maintenant. On ferme aussitôt les rideaux, je me retire avec Victor illico, le chef d'atelier change le décor en deux deux et la nouvelle se place au centre de l'esplanade avec sa camarade en un instant.
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D'après les testaments de la Reine des Masques, dit Hathor.