Rio Bravo

Je me suis jetée dans la douche dès que Red a fini d’ouvrir la porte de sa nouvelle planque secrète d’agent ultra secret, balançant mes vêtements à travers la salle pour me séparer de cette horrible odeur d’égout, me lançant dans la baignoire après avoir allumé l’eau bouillante. Enfin une bonne chose. Vingt minutes à frotter comme une tarée pour faire partir la boue sur la peau, vingt autres pour m’occuper de mes cheveux qui s’étaient imbibés de cette odeur écœurante.
Finalement, je mijote dans l’eau bouillante en chantonnant une horrible chanson pour apprécier le moment. Le pire est passé. Du moins, je l’espère. Et la présence de Bee barbotant dans l’eau ayant débordé de la baignoire me rassure déjà sur l’avenir. Je lui parle même, entre deux refrains mal chantés pour savoir s’il va bien, si je lui ai manqué parce que lui, oui, énormément, comme si une partie de moi m’avait été arrachée, et c’est pleine de joie que je lui dis ces choses en lui gratouillant le sommet du crâne avec ma main savonneuse. Ses kwak vigoureux me certifient qu’il ne me quittera plus jamais, et moi, je lui promets de ne plus jamais signer de contrat pour des bêtises comme celle-ci.

Nous voilà mieux.
Rassurés.

Mais si le pire moment est passé, il ne faut pas oublier que la mission n’est pas terminée et pour le moins incomplète. La famille Endemolia ne perd rien pour attendre ma vengeance ! La contre-attaque sera terrible, épouvantable, elle achèvera d’un seul coup ce groupuscule d’escrocs en leur faisant payer au centuple ce que j’ai éprouvé ces dernières semaines. On ne me vole pas un ami impunément, on ne me laisse pas pour morte sur une île pourrie, on ne me fait pas prendre un bain de boue avec des crocodiles ! Non mais ! Et d’ailleurs…

J’AI UN PLAN !

J’hurle ça en bondissant de ma baignoire, sans prendre le temps de rincer la mousse dans mes cheveux. Je prends juste la peine d’enfiler le peignoire à porter pour foncer comme une furie dans le salon ou attend Red depuis que je monopolise totalement égoïstement la salle de bain. Il pue, et je le lui souligne mesquinement. Mais au moins, il a pris le temps de se mettre à l’aise avec une bière et une tartelette à la fraise.

Regarde bien, et sois super attentif !

J’attrape la tartelette et la place devant lui, pour ensuite la lui désigner du doigt :

Ça, c’est eux !

Puis, je m’empare de la bouteille de bière pour la placer juste à côté de la pâtisserie :

Ça, c’est nous !

Jusque-là, Red a l’air de comprendre. En même temps, ce n’est pas la partie la plus compliquée de mon histoire. Je lui dis que je simplifie au maximum pour qu’il saisisse toute l’envergure de ce que je prévoie, alors il se concentre d’autant plus en acquiesçant, s’attendant probablement à une histoire très compliquée…

Voilà ce qu’on va faire !

J’attrape la bouteille de bière d’une main et l’écrase violemment sur le gâteau qui s’éclate en mille morceaux dans un splosh dégoutant. Au moins, l’idée de base est très claire pour l’un comme pour l’autre. Il n’y a pas de doute qu’avec ça, la famille Endemolia sera annihiler. Me reste juste à régler deux trois détails et tout roulera comme sur des roulettes ! Le regard dur et profond, les cheveux dégoulinants d'eau et de savon, j’avise Red pour voir ce qu’il pense de ma fabuleuse trouvaille. Il semble ne rien avoir à dire, probablement parce que cette idée est absolument géniale et infaillible. Mais son soupir à vite fait de me dire ce qu’il en pense vraiment : je le désespère.

Tout ce qu’il doit comprendre, c’est que j’ai réduit en bouillie son encas.

Non mais, forcément vu comme ça, ça n’a pas l’air très très clair, mais c’est symbolique ! On ne va pas vraiment écraser des tartelettes avec des bouteilles de bière, ça n’a aucun sens. Non, on va rentrer dans leur palace sans frapper à la porte, et puis… Non mais d’ailleurs, on va défoncer la porte, et on va les atomiser !

Nouveau silence.

Quoi ?

Qui s’éternise.

Ne me regarde pas comme ça, il y a bien un jour ou ce plan va marcher…

Toujours à moi de faire le sale boulot. On leur sauve la vie et faut qu’on ne recommence même pas deux secondes après ; y’en a sérieusement qui ne perdent pas le nord. Pour faire tout exploser, y’a du monde, mais pour nettoyer les conneries derrière, y’a bizarrement plus personne ! Foutue Red. Les deux mains autour de la corde, j’accepte sans vraiment avoir le choix et forcément pas de gaité de cœur… Parce qu’il faut le dire, avoir à ma charge la vie de tout ce beau monde, ça m’enchante pas des masses… Et puis en plus, j’ai l’air conne comme ça à boire la tasse…
Bon, trêve de bavardage inutile, c’est à la force de mes bras que je tente de me hisser sur le navire. Mais si j’avais de la force dans les bras, ça se saurait, et j’suis maintenant obligée de m’aider de mes jambes en poussant sur ce que je peux avec les appuis que je peux. Les mains de Red, la tête de Red, j’ai l’impression de mettre un temps considérable à regagner le pont, tandis que la barque avance toujours et que je me prends les remous des vagues en plein visage. Mais finalement, mes doigts s’agrippent au rebord et je réussis à me remettre debout, en puant le sel et les algues, avec un Red derrière qui n’hésite pas à me motiver à grand coup de « bloup » et de « dépegloutloua » et un Bee surmontant son crâne pour ne pas trop frôler l’eau qui râle quand l’homme ne flotte pas assez bien à son goût…

Et me dépêcher, c’est ce que je fais. Je n’ai peut-être pas l’air comme ça mais je sens l’urgence de la situation, surtout quand on me parle d’explosion, tout ça. Je crois qu’on a assez fait sauter de trucs pour la soirée… Et ce n’est pas monsieur Endemol qui me dira le contraire, bizarrement. Et puis la soupape, la soupape ! Bordel, c’est urgent quoi ! Les deux mains sur la canalisation encore chaude pour essayer de libérer la dite soupape des magouilles de Red, c’est en accompagnant ma force de mouche d’un cri de rage que je tente de nous sauver la vie…

GNAAAAAAAAAH !

En vain.

J’y arrive paaaas !

Et c’est bien connu, s’en plaindre arrange toujours les choses. Retentant l’expérience, j’y mets toutes ma force et ma conviction, sans réussi à nouveau. Relâchant ma propre pression en soufflant un bon coup alors que mes joues sont rougies par l’effort, c’est nerveusement que j’envoie mon pied se coller dans la tête de cette saleté…

Fait chier putain de merde ! Et cling, les choses se remettent en marche et la soupape siffle en relâchant ce qu’elle doit relâcher. Tout le monde le sait : quand un truc fonctionne pas comme il faut, suffit de taper un grand coup dessus… Victoire ! J’ai réussi ! Youhou ! Faites péter le champagne !

Enfin, toute seule, ça risque d’être un peu triste… Et si ma mémoire est bonne, y’en a encore deux à la flotte, dont un qui boit bien la tasse… Donc avant de sauter de joie, j’ai deux zouaves à retrouver pour partager mon bonheur. Fonçant vers la corde, je l’attrape et tire de toutes mes forces. Bon, ça ne change pas grand-chose, mais Bee gagne assez de terrain pour sauter de la tête de Red jusqu’au pont, libérant l’agent d’un poids dérangeant. Et tendant la main vers lui pour le ramener à bord, l’homme retrouve le plancher de notre embarcation et prend le temps pour récupérer son souffle.

Endemol lui, nous regarde toujours sans vraiment comprendre tout à fait cette guerre inter-CP ni son rôle dans tout ça. Et alors que nous nous effondrons tous plus ou moins de fatigues en cherchant le réconfort d’après l’effort, le vieux que la vie a bien assis ne trouve rien mieux à nous dire que :

Quelqu’un va m’expliquer ?

Ouais, le canard !

Entre deux souffles, je fais un bond prodigieux pour me remettre sur mes jambes et designer du doigt la bestiole qui s’ébroue juste à câté de nous :

CE Canard !

Et la bête tape la pose pour bien se montrer, affichant des plumes lisses et soyeuses, un bec brillant, des petits yeux malins… Irrésistible le canard. Mais Endemol semble trouver ça juste parfaitement curieux, avec un argument qui brise un peu l’ambiance :

C’est qu’un canard. Je peux en avoir mille en claquant des doigts…
Espèce de sale enflure de merde !
Kwak !
Vous avez faux ! Et vous le savez ! Ce n’est pas qu’un simple canard ! C’est un canard-robot lourdement armé ! Et vous, mon petit bonhomme, vous avez essayé de me faire tuer dans votre jeu télévisé dégueulasse juste pour pouvoir l’acquérir ! Vous êtes vraiment qu’un putain d’enfoiré !
Kwak !
Vous me l’avez volé puis vous avez tenté de le revendre ! Mais hein, on s’est pas laissés faire vous pensez bien !
Kwak.
Et maintenant, il va méchamment vous botter le cul et vous foutre en taule ! Parce qu’être un sale enfoiré, c’est parfaitement illégal !
Techniquement, non.
Ah bon ?... Bah on en fait quoi alors ?
Vous n’avez aucune preuve… C’est pathétique…
Red, il mérite une baffe, pas vrai ?
Ouais.

Baffe !

…
Est-ce qu’on a « techniquement » besoin de preuves ? Est-ce que le regarder et l’écouter parler de suffit pas à le mettre en prison pour le reste de sa vie ? Parce que… C’est un con, tout le monde le sait. Y’a trop de présomptions, non ?
Des présomptions ne sont pas des preuves…
Et alors ? On peut au moins l’arrêter pour tout le reste, non ? C’est pour ça qu’on est là ! On n’a pas foutu tout ce bordel pour le regarder dans le blanc des yeux, hein ? Je veux dire ! Kidnapping d’un agent du gouvernement et d’un noble, enlèvement d’un canard ! Tentative de meurtre, recèle de biens volés ! Et puis… Et puis… Non mais merde, pour la paix dans le monde et l’équilibre de la justice, soit on le liquide, soit on l’arrête !

Tous ces agents du CP8 morts dans la bataille épique… Tout ça pour Endemol… Tristesse…

Puis… Maintenant que tu l’as cogné deux fois et qu’il a l’air de ne vraiment pas apprécier… Il va sûrement désigner une cible sur ton dos, tu sais ?

Trop cool !

Touchant le sable humide de mes bottes, je me retourne juste le temps de saluer Red du bras, lâchant un « A tout à l’heure ! » plein d’entrain et de joie, ajoutant aussitôt que je lui trouverais très probablement une tartelette à la fraise pour lui rembourser celle que je lui avais écrasé la veille. L’homme se contente d’un sourire avant de faire demi-tour avec ce cher Endemol au pays des songes. Tout est bien qui finit bien, top non ?

Et c’est pleine de cette joyeuse naïveté que je regagne le QG de l’agent secret, comme convenue et entièrement convaincu. Le temps d’enlever cette odeur d’algues en décompositions et de sel, de la troquer pour le parfum du savon et des bulles, et de sortir le champagne pour célébrer ça comme il se doit… Satisfaite de cette « mission » qui n’en est pas vraiment une mais presque un peu, j’ai l’impression d’évoluer dans un monde juste et bon ou le bien triomphe toujours du mal en définitive de la meilleure des manières, parce qu’on vit et qu’on évolue dans un monde de super-héros de l’ombre et que peut-être, j’en fais un peu partie… Enchantée déjà par cette idée, je suis contente également d’avoir contribué à rendre l’univers un peu meilleur, et pressée par avance de savoir Endemol au fond d’un trou à rat à réfléchir sur le sens de la vie et de ses actes, du pourquoi de sa peine de prison et de savoir si un jour il saura regagner cette liberté.
Les pieds en éventail, je me permets de siroter ma coupe de champagne en attendant le retour de l’agent Red, alors que Bee se roule sur un coussin avec la ferme attention de roupiller. Je suis bien trop existée pour dormir de mon côté, et je ne vois pas les heures de la nuit passé à toute vitesse pour que le matin pointe le bout de son nez. Mais l’adrénaline retombe vers les dix heures et je sombre finalement dans un lourd sommeil, le nez dans les coussins du canapé et les bras battant le vide.

Lorsque je me réveille enfin, sortie de mes rêves par Bee réclamant des gratouilles sous le bec, aucune trace de l’agent Red ni d’une quelconque nouvelle de lui. Le champagne a eu largement le temps de s’éventer et n’a plus aucune bulle, et la coupe que j’ai fini roule quant à elle sur le parquet du sol. Un soupir m’échappe alors que l’évidence frappe :

J’aurais dut m’en douter.

L’absence et le mensonge de Red me font regretter d’avoir été aussi crédule : A présent, difficile pour moi de certifier de l’état d’Endemol, même si je peux plus ou moins m’en douter… A croire qu’on n’entend que ce qu’on veut bien entendre, et que ce genre de choses ne changera jamais. Ne pas croire la parole d’une personne qui en a plusieurs. Le champagne m’a toujours donné mal au crâne et il faut que je m’abstienne à l’avenir de célébrer des évènements « sans importances ». Les super-héros n’existent pas. Il n’y a que des hommes de l’ombre qui retournent à l’ombre une fois les méfaits accomplis… Et des leçons à tirer de ces enseignements.

Un nouveau soupir m’échappe alors que je me relève finalement, me dirigeant vers la porte d’un pas décidé mais sans vraie rancœur. Bee sur mes talons, nous décidons de partir, jetant un dernier regard à l’intérieur de cette planque devenue abri de choix lors d’une crise mafieuse digne d’une tempête sur une vie presque tranquille… Avec une dernière pensée pour Red :

Mon plan était quand même carrément mieux.