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Adieux.

Spoiler:


Je déplie et replie cette vareuse pour la quatorzième fois. Mes doigts tremblent tellement qu’elle se retrouve encore une fois froissée. Mon champ de vision ne se détourne pas de la valise remplie à la hâte. Je ne le veux pas. Sans que je ne le souhaite, les seuls habits pliés correctement tombent sous mes mains qui se ferment et se referment encore et encore. Mon regard se trouble, humide, et je le focalise sur les marques de mes ongles encore visible dans le creux de mes mains.

Mon souffle… ma respiration semble faire un barrouf de fou dans cette petite pièce. Mon nez à lui seul produit autant de boucan qu’une usine. Mais heureusement il ne renifle pas… se serait me trahir. Je ne veux pas qu’ils sachent tous les deux ce que je ressens en ce moment.
Moi qui voulais expérimenter les sensations communes, je suis servie. Une cuillerée aurait servie, merci bien. J’ai fait l’effort de gouter. Maintenant je passe mon tour pour la suite de l’histoire.

Le soleil fait encore son timide. Il joue le malin avec son auréole de lumière rouge typique de l’aube. Elle arrive vite, la garce… il doit me rester moins d’une demi-heure, en tout et pour tout.

C’est quoi cette tâche qui prend naissance sur ma culotte ?... Puis sa petite sœur sur mon débardeur ? Ha. Je comprends. Je pleure. Il faut une première expérience à tout. Drôle de se dire qu’à mon âge une jeune femme peut encore être vierge de larmes.
C’est… un peu honteux. On se sent… je me sens sale. Faible. Humide, quoi. Faut pas que les deux zouaves s’en rendent compte. Nan. Pas question. Ce genre de trucs, c’est intime.
Et merdasse… ça coule même du nez ?
Faut que je respire par la bouche… puis calmer ces spasmes dans mes épaules.

Un enfant qui pleure, c’est déjà laid… mais alors une femme. Je me devine rouge, sur le visage. Si c’est ça pleurer… le chagrin… je ne veux même pas effleurer les autres plaies. Le remords. La lassitude. La peine, tout simplement. Je donnerais un bras pour retirer toutes ces choses de moi.

Les deux pitres, dans mon dos. J’en aie une conscience aiguë. Ils n’osent pas approcher. Par peur ou par pudeur. Me voir à quatre pattes sur le bord de mon lit, la tronche dans le linge… z’ont pas l’habitude.
Pour la première fois dans ma vie je ressens de l’angoisse pour autrui. Ils vont devenir quoi, sans moi ?
Si l’un deux approche et me pose la main sur l’épaule, je suis cuite. Faite et refaite.
Je guette depuis le début de la scène un bruit de pas qui indiquerait que l’un deux se rapproche.

Ma froideur me faisait les considérer comme des boulets. Des points morts. Des gens qui pendant que je me noie me tirent vers le bas. J’ai eu tord. Enfin, je comprends.

Ces deux cons, c’était ma famille.

Ce n’est pas une main, mais deux qui tombent sur les épaules. Puis, sans que je ne puisse me retourner, deux paires de bras qui m’étreignent. Pourquoi ça doit se passer comme ça…
Je peux juste me retourner, cernée comme je le suis par leurs étreintes. Puis je sens aussi leur larmes sur les joues. Bien, nous sommes trois. L’équipe des pleureuses. Quelle division ? Je l’ignore et je m’en contrefou.
Les dents serrées et les yeux plissés de toute la force de mes paupières, je voudrais me cacher encore plus.

J’ai honte d’aimer. Je ne veux pas aimer.

Ils vont ouvrir leur gueules, je le sais. Ils vont dirent des choses tristes tout en reniflant, entre deux coulées de larmes…

- Nous allons nous revoir, on pensera à toi tout les jours, Soph…

- Oui…Puis on pourra s’écrire.
- Quand tu seras une huile, tu nous fera venir à ta nouvelle base… On sait bien que c’est juste une question d’temps.
- Ont sait bien qu’tu pars pas de ta propre volonté. On t’en veux pas.
- Nous…
- Nous ont…
- Nous ont t…

Fred Gibbons et Louis Domino. Mes deux frères. Que j’ai toujours renié.
Ma phrase suivante sort dans un cri. Il faut que je leur dise. Je vais crever à petit feu si je ne le fais pas.

- Je vous aime aussi, pauvres idiots !


Je te hais, Stramgram. En ce moment même je te déchiquetterais avec mes dents si tu étais là. Tu m’enlèves des parties de ma vie.

- Ont t’aime !

- Ont peut pas t’oublier !

Entre la prison de mes cils et de mes paupières filtre l’or de l’aube.

- Je dois partir. Fred, Louis. Je suis… désolée d’avoir commis une telle erreur.


Je prends leurs têtes entres mes mains, chacun leurs tours, puis j’embrasse leur fronts. Je vais rompre avec les deux seuls vestiges qui me rattachent encore à la raison.

- Je fais tout faire en mon pouvoir pour que l’ont se revoit le plus vite possible…


On se retourne tous les trois, le visage rivé sur la fenêtre de ma chambre. Ont sait tous ce que cela veut dire…

Je vais devoir partir vers l’inconnu. Plus seule que je ne l’ai jamais été.