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Seeds of Madness


Royaume de Luvneel, 1600

C’est un terrible boucan qui règne. Le jour du marché à Luvneel est toujours un véritable évènement. Les artisans et les commerçants sont intimement persuadés que leur chiffre d’affaire évoluera en fonction du nombre de décibels qu’ils parviendront à atteindre. Du grand et réputé boucher, apprécié des petites vieilles bourgeoises, au modeste cordonnier, chacun y va de son slogan, soigneusement appris, hurlé à pleins poumons, encore et encore, sans jamais se lasser. Au milieu des hauts remparts de la ville, les rues sont bondées, si bien que la circulation est interrompue. Les riverains ont appris à vivre avec cela. Le dimanche, on ne sort pas. A moins bien sûr de vouloir faire des emplettes soi-même. Sinon, on reste tranquillement chez soi, avec un bon journal ou un bon livre en attendant quatorze heures que les rues se libèrent.

Cette fois encore, le marché attire les foules. Une masse grouillante de personnes sans visages se faufile avec difficulté entre les différents étals ou se vendent pêle-mêle de la nourriture, des vêtements, des bibelots, mais également des denrées rares et exotiques provenant de par-delà Reverse Mountain. Le soleil est haut et contribue à renforcer le sentiment de confinement que l’on ressent à l’intérieur. La chaleur est étouffante pour le grand bonheur des vendeurs de glace et d’éventails. Même ceux n’ayant pas besoin d’acheter quoi que ce soit s’y rendent, simplement pour profiter de l’ambiance, admirer le mélange de couleurs des étoffes et humer le parfum des épices. Chacun profite de l’occasion pour dilapider ses économies en gourmandise ou en babioles qui finiront à la poubelle d’ici un mois, peut-être deux. La bourgeoisie et la noblesse jouit du sentiment de dépenser pendant qu’à une centaine de mètres, juste derrière les murs de la ville, s’étend Luvneelpraad.

A Luvneelpraad, l’ambiance est tout autre. L’endroit a été dévasté récemment par un terrible raz de marée qui n’a pas eu la décence de laisser un mur debout. Ce quartier étant, à l’époque, occupé par la classe populaire, les habitants aisés de Luvneel ont décrété, à l’unanimité, qu’ils ne pouvaient se permettre de débloquer les fonds nécessaires à la reconstruction de ce terrier à rats puante et sales. Et tout est resté en l’état. Les débris d’habitations, les éclats de verre, les jouets d’enfants, les corps, le sang et surtout la détresse. Les cadavres ont pourri ne laissant que les objets et la pierre, mais apportant une flopée de maladies aux survivants, assurant une nouvelle génération de cadavres qui pourriront à leur tour et cætera et cætera… C’est le perpétuel cycle de la mort de Luvneelpraad.

Depuis, les vagues et la marée ont nettoyé la majorité des traces de la société qui avait un jour vécu ici. Des ruines et rien d’autres sur lesquelles la nouvelle génération tente de renaître, comme celle qui l’a précédée sans franchement y parvenir. Des planches, des plaques de tôles et des bidons associés pour singer grossièrement ce que l’on appelle une maison. Il est inutile de tenter de faire quoi que ce soit de mieux car les vagues ou les pillards auront vite fait de tout ramener au niveau du sol. C’est donc un bric à vrac de matériaux de récupération associés, mais non fixés, dans un capharnaüm géant qui s’élève à présent. Et au milieu de tout ça, la lie de la société. Des crève-la-dalle, des prostituées, des drogués et des dealers, des échappés de prison, des malades, des pirates en fuite, des révolutionnaires à la recherche d’un coin où la Marine ne mettrait jamais les pieds… Et des enfants. Intrus dans cette sinistre liste, ils sont pourtant les plus nombreux, innocents, purs, ne demandant qu’à avoir le droit de tenter leur chance dans la vie. Le sexe étant le passe-temps le plus populaire, le plus agréable et surtout le moins cher du monde, les lardons pullulent dans ce quartier.

Petits, débrouillards et sales, ils provoquent toujours des hurlements quand ils s’approchent des murs de la ville. Les marquises soulèvent leurs robes bouffantes à froufrous pour éviter d’être effleurées par cette racaille malodorante en poussant des petits cris aigus. Les ducs et les comtes se contentent de se détourner en secouant lentement la tête d’un air contrarié, les lèvres pincées, se demandant pourquoi la Marine ne fait rien pour protéger les honnêtes gens de cette vermine. Parmi eux, un a en plus la tare d’être noir. Un sale bâtard probablement issu de l’accouplement d’un pirate de passage et d’une fille de joie. Henry Morgan. Un petit garçon espiègle au sourire ravageur, ses dents blanches ressortant sur son visage d’ébène. Du haut de ses huit ans, il connaît toutes les techniques pour pouvoir entrer et sortir de la ville sans se faire voir des gardes afin de trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Et aujourd’hui, c’est le marché !

Accompagné de Paulo, Gilou et Riri, ses amis de toujours, le petit Henry se faufile à travers le trou sous le mur d’enceinte qu’ils ont découvert le mois dernier. Ils passent tout juste, d’ici quelques années, ils devront trouver un autre moyen d’entrer. Ils surgissent derrière le vendeur de vieux journaux, un sexagénaire à la barbe blanche hirsute qui se balance dans un vieux rockingchair aussi croulant que lui en beuglant à qui veux l’entendre que c’est en connaissant le passé que l’on peut espérer fonder l’avenir. Personne ne les a encore remarqués. Ils se dispersent en deux groupes de deux qui partent dans des directions opposées. Il est important de rester par deux. L’un reste un peu en retrait pour pouvoir aider l’autre en cas de pépin. Henry part en éclaireur, suivi de Gilou, le petit brun aux yeux noirs. Ses cheveux ondulés, coupés mi-longs lui donnent un air cool. Il veut ressembler à Ace. Henry sait déjà ce qu’il cherche.

D’après ses souvenirs, le poissonnier est toujours au coin de la rue de la mairie et de l’avenue principale. Cela fait longtemps qu’il n’a pas pu mordre dans de la chair de poisson ou de la viande. Il est impensable de tenter d’approcher le boucher, la foule est trop dense autour de son stand. Tendant l’oreille, il parvient à le trouver. L’odeur caractéristique de la morue fumée lui agresse les sinus mais lui arrache un sourire. Il court en zigzagant entre les jambes, les bas et les collants, trop rapide pour être aperçut par les visages hauts, les menons levés par la fierté. Le temps qu’ils regardent ce qui leur frôle les mollets que les petits garnements ont disparus dans les robes des passantes endimanchées. Au terme de sa course effrénée, Henry plonge sous la bâche du poissonnier empêchant le jus de poisson et l’eau de pourrir les tréteaux de bois. Bien à l’abri des regards, il attend Gilou mais celui-ci n’arrive pas.


-Ho mon Dieu ! Des pauvres !
-Encore ?! C’est un scandale !
-Attrapez-le ! On va lui montrer ce qu’il en coûte de ne pas avoir d’argent !

La clameur gronde au loin. Probablement Riri et Paulo. Henry leur fait confiance. Ils sont rapides, habiles et rusés, ils ne se laisseront pas attraper par cette bande d’adultes, hauts sur pattes et maladroits, ralentis par tous les gâteaux qu’ils ingurgitent à longueur de journée. Mais en attendant, cela lui donne une superbe diversion. Sortant timidement sa main de la bâche, le jeune garçon tente de se saisir d’un poisson, tâtonnant au milieu de la glace gardant les créatures fraîches. Ses doigts se referment alors sur la queue d’un énorme saumon faisant à peu près sa taille. Alors que ses dents apparaissent pour montrer son contentement, il quitte sa cachette et s’élève dans les airs en hurlant. La soudaine clarté lui fait plisser les yeux tandis qu’il se retrouve nez à nez avec un marchand de merlu, le visage déformé par la haine. Sa barbe grise en bataille est jaunit au coin des lèvres par la pipes qu’il mâchonne en permanence. Ses yeux verts, surmontés d’épais sourcils, jettent des éclairs. Sa main est fermement crispée sur l’avant-bras du petit délinquant en herbe.

-Par ici ! J’en tiens un ! Alors, p’tit salopiot, tu pensais pouvoir te servir ? Sale voleur !
-Mais lâches moi, pov’nul ! Laisse-moi !
-Pas question, pas avant que tu n’ailles en PRISON ! C’EST LA QUE LES VOLEURS VONT ! Et crois-moi que AÏE ! Bon sang !

Surpris par un coup dans les tibias, le marchand lâches Henry qui se précipite sous l’étal, rejoignant un Gilou riant aux larmes. Ce dernier siffle en apercevant le gros saumon et donne une tape dans le dos de son compagnon pour le féliciter. Henry lui fait un clin d’œil et lui lance la pièce. Il se retourne et donne un coup de poing dans l’entrejambe du pauvre poissonnier avant de lui baisser d’un coup son pantalon. L’homme titube, trébuche et s’écroule sur son stand, faisant voler les raies et les esturgeons dans tous les sens dans un grand fracas. Les badauds se reculent, terrorisés à l’idée de recevoir du jus de poisson sur leurs plus beaux habits. Les enfants en profitent pour décamper. Personne n’ose plus les arrêter. Ils sont bien trop sales. En quelques minutes, ils ont disparus. Discrètement, ils ressortent par là où ils sont entrés, jetant le saumon dans le trou pour le récupérer de l’autre côté.

A la sortie du trou, Riri et Paulo sont là. Ils brandissent de grandes baguettes croustillantes et un pain de campagne recouvert de farine. Riri, le plus petit, souris en exhibant sa bouche où sept ou huit dents manquent à l’appel. Son visage est parsemé de taches de rousseur, encadré par des cheveux roux et bouclés. Paulo, déjà très charpenté pour un enfant de sept ans, promet de devenir un Gaillard costaud. Sa mâchoire est large et ses arcades proéminentes. Ses cheveux blonds sont coupés courts. Les quatre gamins s’enfuient avec le fruit de leur larcin en riant aux éclats. Ce soir, ils s’endormiront avec cette sensation peu familière d’être rassasiés.

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La mer s’étend à l’infini sous le ciel étoilé. Les vagues arrivent, parcourant des milliers de kilomètres pour finalement s’écraser sur le sable. Cela a un côté décevant. Elles s’écrasent, sont absorbées par la plage et repartent. Inlassablement. La lune est pleine et donne un aspect fantomatique à ces masses d’eau mouvantes. Sur le sable, une colonne de fumée s’élève d’un petit feu de camp sur lequel grille le saumon. Les quatre garçons se sont réunis autour, profitant du délicieux fumet qui s’en élève. Ils sont silencieux, observant presque religieusement le spectacle des flammes léchant les écailles dans une danse magnifique. Ils ont eu de la chance, la mer a charrié beaucoup de bois. Un navire a certainement sombré récemment dans les environs. Seuls les gargouillis de leurs estomacs impatients brisent le silence.

Lorsque, enfin, ils peuvent se mettre à table, ils coupent le poisson en cinq et se jettent dessus sans plus attendre. Henry garde toujours un morceau de ce qu’il trouve pour sa mère. Ils dévorent tout, la tête, la peau, les écailles, les viscères… Ils ne connaissent pas le gâchis, ne se payent pas le luxe de choisir leurs morceaux. Ils mangent. Et c’est déjà un grand jour.


-Hummmmm ! C’est krop bon !
-Haha, si vous aviez vu comment Henry a baissé le pantalon du poissonnier, c’était trop rigolo !
-Vous savez pourquoi ils nous aiment pas ?
-Non. Cherche pas. C’est des nuls.
-Mais… Ils nous aimeront jamais ?
-J’crois pas, non.

Une fois leurs estomacs remplis, ils prennent leur dernier morceau et le calent dans un morceau de pain et vont s’allonger sur le sable froid. Finissant leur repas, bercés par le doux bruit des vagues, ils se mettent à deviser en regardant les étoiles, en rêvant d’un autre endroit, un meilleur. D’aucuns racontent qu’au-delà de la mer, d’autres îles existent, des îles de toute sorte où les gens sont totalement différents. Paulo est sceptique. D’autres îles ? Surement des légendes. Mais Henry y croît lui. Il traine souvent du côté du port, pour regarder les marins aller et venir d’un endroit inconnu. Il écoute leurs histoires dans les tavernes. Bien sûr, il se doute qu’ils racontent des bobards pour profiter de sa crédulité de petit garçon des fois. Des hommes avec des pouvoirs magiques ? Comme Ace et Luffy ? Ça n’existe pas pour de vrai, voyons. Des escargots qui parlent ? Des poissons de cent mètres ? Une mer qui monte le long d’une montagne ? Des coquillages qui crachent du feu ? Allons. Un peu de sérieux.

Chacun donne sa vision des choses et la conversation s’étend au fur et à mesure que la lune suit son chemin, traversant les étoiles. Riri et Paulo se sont endormis. Gilou et Henry se lèvent sans faire de bruits. Eux deux ont la chance d’avoir une bicoque où passer la nuit. Ils se tapent dans la main et se séparent à l’entrée du bidonville. Gilou à la chance de vivre avec ses deux parents, près du mur d’enceinte. Il est à l’abri du vent et des vagues, même les jours de tempête. Le petit garçon noir slalom entre les ivrognes avachis et les détritus pour se frayer un chemin jusqu’à chez lui. La façade est un grand morceau de bois dans laquelle une porte a été découpée et montée sur gonds. La grande classe. Sa mère en est très fière. Les trois autres murs sont des barils métalliques coupés dans le sens de la longueur et tirés jusqu’à donner des plaques. Enfin, le toit est constitué de planches posés en vrac jusqu’à isoler plus ou moins bien. Il y a quelques infiltrations les jours de pluie mais aucune ne coule sur son matelas, ni sur celui de sa mère. Alors ça va. Ils y sont bien. Une demi-baguette et un morceau de saumon grillé sous le bras, Henry pousse la porte de chez lui.


-Maman ! C’est moi ! Regarde ce que…
-Henry ! Bon sang, fiches le camp d’ici !

Henry se précipite dehors, emportant ses cadeaux avec lui. Maman n’est pas toute seule. Elle travaille. Il sait qu’il ne doit pas rentrer pendant qu’elle rend service aux messieurs. Mais il n’a pas pensé à écouter cette fois. Décidément, il ne comprend vraiment pas ce métier. Ils sont tous nus… A quoi ça peut bien servir ? Enfin, ça ne dure jamais bien longtemps. Il s’assied sur la petite pierre devant la maison et attend. Cinq minutes après, le monsieur sort en reboutonnant mal sa chemise. Il jette un regard furtif au garçon et disparaît en courant presque. Il ne savait pas qu’elle avait un gamin…

Timidement, Henry entre chez lui. Ça sent mauvais la sueur et autre chose. Sa mère a les cheveux en bataille et sa robe est toute froissée. Son sein droit dépasse mais elle s’en moque, trop occupée à s’allumer un clope roulée avec ce qu’elle a récupéré des mégots trouvés sur le chemin entre le port et l’entrée de Luvneel. Henry repère une trace de morsure au niveau du cou et une autre au mamelon.


-Ça va, maman ?
-Ça va, ça va Henry. Je t’ai déjà dit d’arrêter de m’appeler maman.
-Mais alors je dois appeler qui ?
-Personne. Ta mère est morte en accouchant de toi. Je t’ai juste récupéré. Je te l’ai dit des dizaines de fois alors cesse de faire l’enfant.

Mais Henry est un enfant. Il marche en traînant des pieds jusqu’à son matelas et s’assoit. Une larme coule le long de sa joue. De l’autre côté du mur, ils appellent tous quelqu’un « Maman » et elles les appellent « Mon chéri », « mon cœur » ou « mon trésor » en retour. Mais lui n’a que Betty et elle l’appelle « Henry » ou des fois « mon p’tit » quand elle est de bonne humeur.

Elle se lève et s’assied près de lui.


-Mais fais pas cette tête. J’ai vu que tu avais amené à manger et je suis très fier de toi. Merci beaucoup. dit-elle en lui ébouriffant les cheveux.
-C’est du saumon ! Et il est super bon ! lui répond l’enfant en retrouvant sa bonne humeur.
-J’en doutes pas une seconde. Mais là, j’ai encore un peu de travail avec deux monsieurs. Tu veux bien attendre dehors ? Reviens d’ici une demi-heure, okay ?
-Hmmmm. Bougonne-t-il. D’accord…

La mine basse, il retourne s’asseoir sur la petite pierre. Il lève la tête et la tourne vers la mer. C’est impossible qu’il n’y ait pas mieux que ça ailleurs. Perdu dans ses rêves d’évasion, il remarque à peine l’homme qui entre furtivement chez lui et referme la porte derrière lui.

Et les bruits recommencent.

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Les premiers flocons sont tombés la veille. La misère et la pauvreté sont recouvertes d’un magnifique manteau blanc uniforme pour le plus grand plaisir des habitants de l’intérieur de la cité qui peuvent vivre dans l’opulence sans avoir à subir le spectacle de la décadence humaine. Étonnement, ceux de l’extérieur ne partagent pas cet enthousiasme. Les premières neiges provoquent toujours un regain d’activité dans le bidonville. Il faut consolider les murs, renforcer l’isolation, faire des réserves de nourriture (Haha, bonne blague !) et essayer de trouver des vêtements chauds. L’hiver est le meilleur moyen de régulation de la population à Luvneelpraad. Les plus faibles, les malades, les pauvres parois les pauvres ne tiennent pas le coup le premier mois. Les autres peuvent alors récupérer leurs affaires et tenir les mois suivants. Pas le meilleur système mais ils ne l’ont pas choisi alors il faut bien faire avec.

Depuis un mois, Henry vit seul. Betty l’a mis dehors car il avait prouvé qu’il pouvait très bien se débrouiller seul. Après tout, avec le saumon qu’il avait pris, il aurait pu manger une semaine entière. C’était son problème s’il avait décidé de partager avec tout le monde comme s’il en avait les moyens. « Tu es trop gentil Henry, c’est ton défaut. » lui avait-elle alors annoncé. Mais le petit considérait que si, entre eux, ils ne faisaient pas preuve de bonté, qui en aurait envers eux ? Toujours est-il que sa mère a refusé de diviser un nouvel hiver sa part en deux pour un gosse qui n’était pas le sien. Ce n’est pas l’amour et les belles paroles qui lui paieraient ses doses.

Fort heureusement, le vieux Gildas, qui avait l’habitude de raconter ses histoires de jeunesse à qui voulait l’entendre et dont Henry était l’unique auditeur, avait eu la bonne idée de calquer il y a quelques jours. Le jeune noir avait découvert son corps inanimé un matin qu’il voulait entendre une nouvelle légende à propos de ce qu’il y a derrière l’horizon. Un peu décontenancé au début, il avait vite trouvé comment tirer parti de la situation. Une fois la nuit tombée, il avait trainé son corps jusqu’à la mer et avait laissé les vagues l’emporter pour son dernier voyage. Il venait de gagner une maison. Tout le monde évitait de croiser ce vieil ermite gâteaux. Peu de gens se rendront donc compte de sa disparition et ceux-là n’en auront rien à faire.

La seule préoccupation du petit est donc de manger. Les habitants de Luvneelpraad ne dépassent jamais le stade des besoins primaires : un toit, de la nourriture. Celui qui dépasse ça, en s’offrant quoi que ce soit s’apparentant à un confort primitif, se fait vite piller et retombe à la recherche d’un toit. Henry n’a rien mangé depuis la veille. Ça va encore. Il lui reste un morceau de pain dans la poche mais il préfère le garder pour un jour où il aura quelque chose à mettre dessus. Il décide de retourner au port. C’est sa principale occupation et il ne se lasse jamais. Chaque marin a sa propre anecdote à raconter et c’est toujours passionnant. Il se dirige donc vers l’entrée de la ville afin de prendre le chemin menant au port. Il passe devant les mendiants qui tentent désespérément de vendre des colliers de coquillages merdiques aux passants. Peine perdue. Si ces breloques avaient une quelconque valeur, les riches marchands auraient déjà acheté la plage et récupéré tous les coquillages pour faire des colliers à la chaîne. Cela fait bien longtemps qu’Henry a compris que la voie honnête ne menait à rien. Ça se saurait.

Il marche la tête basse, les épaules voutées en faisant attention à ne heurter personne. Les riches peuvent être violents envers les miséreux et personne ne prendrait jamais la défense d’un être n’ayant même pas officiellement le statut d’humain. Après tout, Henry n’a même pas de nom de famille. La dernière fois qu’il a été en contact avec son père, il avait encore un flagelle.


-Monsieur. S’il vous plaît. J’ai faim. Une petite pièce pour m’aider ?
-…
-Bonne journée quand même.

Henry lève les yeux. Une petite fille se tient sur le bord de la route, tellement reculée qu’elle risque de tomber à l’eau au moindre coup de vent. La main tendue, elle alpague les passants avec un sourire radieux, comme si elle gagnait sa vie de la manière la plus agréable du monde. Son visage est lumineux, elle rayonne de bonheur. Elle est belle. Des petites couettes, certes sales, mais adorables encadrent son visage. Mais dès que le bourgeois a passé sa route sans lui accorder le moindre regard, son sourire s’effondre, ses yeux s’affaissent et ses iris se teintent de la plus grande tristesse. Pourtant, même ainsi, elle reste incroyablement jolie. Le garçon s’approche d’elle d’une démarche maladroite. Elle lève les yeux vers lui et ses yeux s’agrandissent.

-Salut.
-Salut.
-Tu as eu des sous ?
-Non, presque rien. Les gens sont si méchants.
-Je… heu… Tiens. Dit-il en lui tendant son bout de pain, le regard pointé vers le port.

La petite fille le regarde avec incompréhension. Après un certain temps, elle se saisit du morceau de pain et l’enfourne rapidement dans sa bouche avant que cet inconnu ne change d’avis. Henry la regarde manger en souriant.

-J’m’appelle Henry.
-Moi Eleanor Dulis.
-Tu as des parents ?
-Non… Plus maintenant.
-Viens avec moi. Je vais m’occuper de toi. J’ai une maison !
-Toi ? Menteur ! T’es encore plus sale que moi !
-Je suis pas sale. Je suis noir.
-Tout le temps ?
-Oui.
-C’est rigolo !

Henry lui tend la main en lui offrant par la même occasion son plus beau sourire. Il ignore pourquoi mais il veut l’aider, cette mignonne fillette à couettes. Celle-ci n’hésite pas longtemps avant de saisir cette main étonnamment noire. Du haut de ses six ans, avec la perte de ses deux parents, elle n’a pas eu beaucoup de mains tendues alors pour une fois, elle va sauter sur l’occasion. Ils partent tous les deux, discutant de leurs passés respectifs. Eleanor a vécu une enfance plutôt heureuse, ses parents étaient marchands et ils gagnaient plutôt bien leurs vies. Mais un jour, ils sont partis chercher du bois d’Adam, un matériau rare et précieux que l’on ne pouvait pas trouver sur Luvneel. Et ils ne sont jamais revenus. Après quelques temps, elle a été virées de chez elle car plus personne ne payait le loyer et elle s’est retrouvée dans la rue, à mendier comme tous les autres. Ça fait un an maintenant.

Le jeune garçon finit de lui raconter ses histoires et ses prouesses quand ils arrivent devant l’ancienne maison de Gildas. Elle écarquille les yeux, refusant de croire que cette maison lui appartenait. Elle n’a rien d’exceptionnel, mais elle est plutôt bien bâtie et dans un bon emplacement. On ne peut vouloir plus. Henry lui fait un clin d’œil et ouvre la porte, l’invitant à entrer. Il a hâte de la présenter au groupe. Paulo, Gilou, Riri bien sûr, mais aussi Pipo, Mimi et Bobby, de nouveaux venus dans la bande. La pièce est vide et sale mais elle possède un lit plus large que la moyenne constitué d’un matelas et d’un sol. Rien d’autre. Pourtant, en le voyant, la petite sautille de joie en tapant des mains. La regarder ainsi, débordante de vie et de joie, fais sourire Henry.


-Bon voilà. C’est chez toi maintenant si tu veux rester.

Eleanor lui saute au cou et pose plein de fois ses lèvres sur la joue du jeune garçon. Ce dernier recule en balbutiant, invente une excuse pour s’éclipse et s’enfuit avant qu’elle ne le voit rougir sous sa peau d’ébène.
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Royaume de Luvneel, 1604

Au milieu de Luvneelpraad, depuis près de deux ans maintenant, on peut observer une bâtisse. Pas une de ces petites cabanes branlantes comme on voit partout. Cette maison fait presque quinze mètres de long sur huit de large ! Il y a trois pièces différentes ! Henry et Eleanor ont bien compris que c’est en s’unissant que les jeunes défavorisés pourraient s’en sortir. Ils sont maintenant treize. Treize enfants de huit à douze ans vivant dans une véritable petite communauté et se serrant les coudes avec à leur tête, le couple bicolore. A défaut de posséder une véritable famille, ils se considèrent tous comme des frères et sœurs et partagent tout ce qu’ils arrivent à dénicher à parts égales. Henry est à la tête, il coordonnées actions et résous les éventuels conflits intérieurs, mais il reçoit la même chose que tous les autres.

En vérité, c’est Eleanor qui lui procure son pouvoir et son autorité sur les autres membres de la bande. En tant que « le-mec-qui-a-une-petite-copine », il est forcément le mâle dominant. Du haut de ses douze ans, Henry commence en plus à développer une certaine musculature, à force de sauter partout et de s’accrocher comme un singe pour échapper aux commerçants qui le poursuivent en permanence. Lui et Eleanor sont devenus assez connus dans toit la ville. Lorsqu’ils arrivent dans les rues, les vendeurs ont tendance à fermer boutique ou du moins à se mettre sur leurs gardes. Pouvant surgir de n’importe où, du sol comme des airs, ils déboulent et attrapent tout ce qui passent à portée de main avant de disparaître en poussant de grands cris et en riant aux éclats. S’agrippant aux gouttières, aux fils à linge où aux bords des balcons, personne ne parvient à les attraper. Pendant qu’ils sèment le désordre dans les rues, leurs camarades ont le champ libre pour vider quelques étals.

C’est ainsi que la « bande des deux singes » s’est mise à prospérer. Les preuves de leurs larcins ont toujours disparu rapidement, si bien que personne ne peut les accuser. Fort heureusement, le chef de la Marine est un bon gars et ne met aucune motivation à résoudre les plaintes des gens de bonnes familles ayant perdu un poisson ou une escalope. Il arrive même qu’ils volent plus que ce dont ils ont besoin pour manger. Dans ce cas, Henry continue à apporter de la nourriture à sa mère. Grâce à cet apport de nourriture régulier, cette dernière peut désormais économiser un peu d’argent et s’est découverte une nouvelle passion : l’alcoolisme.

Ce soir, Henry est de fort bonne humeur. Le couple a droit à une chambre personnelle dans la maisonnée. Il est tard mais il déborde encore d’énergie. Il propose plein de choses à sa petite copine mais celle-ci est fatiguée et ne rêve que d’une chose : aller dormir. La journée a été longue et elle n’a pas la même force physique que lui. Il rit et s’excuse de ne pas toujours penser qu’elle n’est qu’une faible femelle. Celle-ci, vexée, tente de lui enfoncer son doigt dans les côtes mais il saute en l’air et s’accroche avec les jambes à la planche soutenant le plafond. Il rit, bascule et lui vole un baiser.


-Je vais aller faire un tour au port alors. A toute !
-Encore le port. Tu rêves à ce point de partir…
-Bien sûr ! Pas toi ?
-Non. Je suis plutôt bien ici finalement. Avec toi.
-Ne sois pas bête, si je pars, je t’emmène avec moi ! Qui me ferait à manger sinon ?
-Allez, va-t’en sale macho ! dit-elle sans parvenir à contenir son rire.

Elle tente à nouveau de le frapper mais le singe s’échappe d’un salto à l’extérieur de la maison. Le sourire aux lèvres, il trottine sur le chemin reliant la ville au port. Eleanor a raison, il n’est pas malheureux ici. Mais son cœur est ailleurs, loin derrière cette infinie étendue d’eau qui le nargue chaque jour. Il a acquis une certaine réputation auprès de la populace qui a tendance à l’éviter et à serrer sacs et objets de valeurs. Un noir au milieu des blancs, ça ne passe pas inaperçu, forcément. Mais jamais lui ou qui que ce soit de son groupe n’a jamais volé autre chose que de la nourriture. Il y a veillé.

Arrivé au port, il se dirige vers son endroit préféré. L’auberge du goéland glaireux. Si vous cherchez « miteux » dans le dictionnaire, cet établissement sera en illustration. Vieille de plusieurs dizaines d’années, ce taudis de planches a été complètement pourri par les embruns, l’humidité perpétuelle, l’alcool renversé et non nettoyé, la vitrine a été explosée par un ivrogne ayant cherché le mauvais ivrogne sous le regard vitreux des ivrognes neutres. Dès qu’il passe le pas de la porte, des exclamations montent. Henry est connu là-bas et apprécié car c’est le seul à écouter les ragots et les histoires sans fins de ceux dont la vie est désormais plus remplies de souvenirs que de rêves.


-R’gardez qui que v’là !
-Mais c’est le p’tit singe en personne !

Henry jette trois berrys sur la table qu’il a eus lors du partage du groupe des mendiants. Certains arrivaient à soutirer quelques pièces aux visiteurs. Il grimpe sur un tabouret et s’accoude au comptoir poisseux. Son regard se perd sur les innombrables images qui recouvrent les murs, montrant des hommes exhibant fièrement leurs prises. Des articles de journaux et des pin-up dénudées complètent le tableau. Un vieux gramophone ressasse le même vieil air en boucle, encore et encore. Un tube de Brook qui a mal vieillit. Le patron lui apporte son breuvage habituel : un petit verre de rhum. Depuis qu’il a découvert l’alcool, il adore cette boisson. Il ne peut pas s’en payer beaucoup mais il parvient parfois à s’en faire payer contre des services plus ou moins légaux. Comme l’habitude, les poivrons s’approchent de lui et les conversations commencent. Le jeune homme aux bras musclés remarque trois hommes dans le fond. Ils ne sont pas d’ici, il ne les a encore jamais vus. Un des hommes lui propose un défi de boisson. Celui qui s’effondre le premier doit payer la totalité des consommations du vainqueur.

-T’es chié, Dédé ! C’est qu’un gamin !
-Hé quoi ? Je force à rien moi !
-Fais le avec moi plutôt ! T’as pas d’couilles ?
-Avec toi ? Impossible, on aura vidé le bar avant qu’une barrique comme toi ne soit bourrée !
-Okay, j’accepte.

Tous les regards se retournent vers Henry. Il n’a pas dit ça à la légère. L’homme face à lui est déjà bien éméché par les whiskys qu’il a ingurgités tandis que lui est frais comme un gardon. De plus, en tant que défié, il a le choix de l’alcool. Il annonce un défi au rhum. Même si ce n’est que de petites quantités, il en boit régulièrement et son corps est habitué. En revanche, son adversaire va devoir subir un mélange d’alcool fort à une heure avancée de la soirée. Il peut gagner et il le sait. Il remarque au passage que les trois hommes dans le fond le regardent avec intensité. Le patron apporte une bouteille et deux verres, les remplit et pose la bouteille entre les deux. L’homme et le garçon se fixent, sourient, attrapent le verre et lèvent le coude.
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La lune bien ronde irradie les environs de sa lumière blafarde, accordant aux pochards et aux filles de joies le minimum de lumière nécessaire à leurs activités. Parvenir à rentrer chez soi pour les premiers et parvenir à faire entrer quelqu’un chez soi pour les secondes. Le blanc de l’astre scintille sur le sommet des vaguelettes. La mer est calme, on n’entend à peine un murmure lorsqu’elle vient s’écraser sur les quais. Le silence est quasi total. Ou du moins il le serait en l’absence d’Henry. Ce dernier est en effet touché par le syndrome dit « de fin de soirée » qui consiste à chanter à un volume directement lié aux nombre de grammes d’alcool dans le sang. Or, il a gagné. Il a tellement bu que tout le monde a décidé de l’appeler Henry « Morgan » en référence au rhum Capitaine Morgan qu’il a descendu toute la soirée. Il beugle donc à s’en péter les cordes vocales en tournoyant autour des lampadaires et en sautant sur les bites d’amarrages.

Là-bas, au loin, la mer m’attend
Et j’irais droit devannnnnnnnnt !
Souquez, Souquez, fiers matelots,
Allons braver les floooooooots !
Il-n’y a-qu’une chose-qui pou-rrait me faire revenir AU PORT !
C’est-les ju-pons et-le cor-sage de ma belle EleANOR !

La tête à l’envers, il continue à chanter en s’inspirant des chants des marins, ceux-là même qui pestent dans leurs cales en essayant de dormir malgré ce vacarme. Dans cet état, il ne sent pas la présence derrière lui. Un morceau de verre se brise à quelques centimètres de lui, dans son dos. Le garçon se retourne vivement, chancelle à cause de la brutalité du mouvement et tombe nez à nez avec trois hommes à l’ait patibulaire. Mais alors pas du tout. Ce sont les hommes qui étaient dans le bar en début de soirée, dans le fond. Celui qui semble être le chef s’avance en souriant de toutes ses dents. Toutes les quatre. Sa barbe affreusement mal rasée, ses cheveux gras et son chapeau émacié ne l’aide pas à le rendre plus sympathique. Mais Henry a appris depuis longtemps à ne pas juger sur le physique. Et surtout, il est bourré. Il reste sur ses gardes mais ne recule pas. L’homme se présente comme un marin, Lytho, et ses deux compères, Robert et Robert.

-Une paire d’Robert ?
-C’est ça. Jolie performance tout à l’heure. Il ne se réveillera pas avant au moins après-demain.
-Ouais. Il m’a pris pour un gosse ! Mais j’suis un homme m-m-moi !
-Haha, c’est sûr, c’est sûr… On m’a beaucoup parlé de toi, tu sais. « Le singe de Luvneelpraad » ! Le chef des enfants les plus redoutables du quartier pauvre.
-Ouaip !
-Tu connais donc bien Riri, le petit rouquin ? demande l’adulte en souriant de plus belle.

Henry confirme. Sa vigilance se réveille, repoussant petit à petit les effets de l’alcool. Les trois hommes expliquent alors la situation. Ils ont un grand besoin de parler à ce jeune Riri car il possède un profil très intéressant et ils auraient une offre à lui soumettre. Une offre qui apporterait beaucoup d’argent et qui pourrait permettre au jeune garçon aux cheveux orange de quitter ce bidonville. Le singe écoute attentivement. Quitter Luvneelpraad ? Mais tout le monde en rêve ! Ça semble trop beau pour être vrai ! Ils affirment qu’il n’y a pas d’entourloupe, c’est simplement une chance qui ne se reproduira peut-être pas. Le seul problème, c’est qu’ils ont une réputation à défendre. Ils ne peuvent pas aller dans les ruines misérables pour converser avec un mendiant malodorant sans subir les quolibets de leurs amis. Henry tique en entendant cela mais ne réagit pas. Il a déjà entendu bien pire…

-Et donc ?
-Donc, on aimerait que tu fasses venir le petit Riri, ici, demain soir à une heure du matin. Comme ça, personne ne nous verra et on pourra discuter.
-Okay, je l’amènerais.
-Non, non, dis-lui simplement de venir. Notre offre est très spéciale. Nous avons promis de n’en parler qu’à lui seul. C’est top secret.
-C’est quoi cette embrouille ?
-Il n’y a pas d’embrouille, voyons ! Tu ne voudrais pas priver ton ami d’une opportunité unique par pure paranoïa ?! Et je ne t’ai pas oublié. Si tu nous rends ce service…

Un des deux hommes restés en retrait, un colosse qui serait assurément intimidant si 85% de sa masse n’était pas de la graisse, s’approche et lui tend une liasse de billets. Henry écarquille les yeux et s’empare de l’argent. Il n’en a assurément jamais eu autant entre les mains. Sans se gêner, il compte. Hé oui, on peut savoir compter sans savoir lire ou écrire. Il y a dix mille berrys ! De quoi nourrir tout le groupe pendant une semaine ! Formidable ! L’argent a un tel pouvoir sur l’esprit du garçon qu’il oublie sa méfiance et accepte quasiment immédiatement. Si l’offre est mauvaise, ou semble louche, Riri n’aura qu’à refuser, tout simplement. Les mains se serrent, les sourires hypocrites s’échangent et chacun s’en retourne de son côté.

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Eleanor ouvre les yeux et tombe nez à nez avec le fameux sourire de son cœur. Cette rangée de dents qui prodigue de la bonne humeur à quiconque le voit. Henry est particulièrement rayonnant aujourd’hui. Il s’est lavé. Lorsqu’elle lui demande ce qui le rend si guilleret, il ne répond pas, se retourne et sort un sachet de papier qu’il avait gardé dissimulé. Intrigué, la petite jette un œil dedans et voit un croissant. Un croissant ! Un vrai, avec du beurre ! Son regard virevolte entre la viennoiserie et son porteur. En riant, Henry l’incite à le prendre et à le manger. Elle ne se le fait pas dire deux fois et mord dedans à pleines dents. Comment est-ce possible ? Il ne serait pas aller tout seul faire une virée et de toute façon, le boulanger n’expose plus aucune marchandise en extérieur, sauf le jour du marché. Or, ce n’est pas le jour du marché. Riant plus encore, le petit singe aux gros bras lui explique que ce croissant, il l’a acheté ! Avec des vrais berrys ! Il sort la liasse et l’œuvre comme un jeu de cartes pour que sa copine se rende compte du nombre de billets. Cent billets de cent ! Enfin quatre-vingt-seize billets de cent maintenant. Il lui raconte alors sa soirée de la veille en faisant l’impasse sur sa victoire au concours de rhum, bien qu’il meurt d’envie de se vanter d’un tel exploit. Les femmes ont fâcheusement tendance à brimer les vocations les plus prometteuses. Eleanor semble sceptique, tout comme lui, mais arrive à la même conclusion que lui. Cela ne coûte rien de laisser Riri écouter la proposition, quitte à refuser au dernier moment s’il n’est pas intéressé. Henry passe donc dans la pièce d’à côté et réveille ses amis.


-Écoutez-moi ! Je suis désolé d’vous l’ver si tôt, mais j’ai une annonce un peu particulière à faire. C’est à propos d’toi Riri.
-M-moi ? Mais qu’est-ce que j’ai fait ?
-Hier soir, au port, un homme m’a offert dix mille berrys ! annonce-t-il en montrant le pactole à ses amis effarés. En échange, j’dois te transmettre ce message. Ces mêmes hommes ont une proposition à t’faire qui pourrait t’offrir une perspective d’avenir. Ils ont refusé de m’dire c’que c’était. Ils ne veulent parler qu’à toi.
-Mais pourquoi moi ?
- J’en sais foutrement rien. En tout cas, ils t’attendent ce soir à une heure sur le port. C’est ton avenir, tu es libre d’y aller ou pas. Je prendrai pas mal ton désir de partir, au contraire. C’est c’que j’souhaite à chacun d’entre vous.
-Mais… pour aller où ?
-Ils te l’diront. Si ce qu’ils te disent ne te plaît pas, tu n’auras qu’à dire « non » et revenir ici.
-Bon… D’accord Henry. J’irai.
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Le coq chante. Le soleil commence à peine à se montrer timidement, de l’autre côté des hauts remparts, laissant Henry et ses amis dans l’ombre. Il fait encore frais et Henry opte pour une grasse marinée le temps que la température monte un petit peu. Il gigote pour se rapprocher d’Eleanor, enfoui son nez dans le creux de sa nuque et la serre contre lui. Sa copine dans les bras, il se laisse tomber dans ceux de son amante, Morphée. Eleanor grogne un petit peu et se love contre lui, profitant de ce surplus de chaleur. Quelques heures plus tard, Eleanor se réveille en sursaut. Elle se retourne et embrasse celui qui lui sert de bouillote.

-Coucou toi.
-Hey. Ça va ?
-Je n’ai pas pu m’empêcher de m’inquiéter. Alors qu’est-ce qu’ils voulaient à Riri ?
-Ben j’sais pas, il va nous le dire.
-Quoi ? Tu n’as pas encore été le voir ? J’croyais t’avoir senti bouger tout à l’heure.
-Non, j’avais juste froid. Allons le voir.
-J’espère que tout va bien…

Henry ouvre la porte et jette un rapide coup d’œil circulaire. Certains sont déjà levés, d’autres dorment encore et certains sont déjà sortis. Riri n’est pas là. Le couple échange un regard inquiet. Le petit rouquin est plus du genre à dormir toute la journée qu’à se lever en même temps que les poules. Le chef interroge ceux levés, en chuchotant, mais personne ne l’a vu depuis son départ hier soir. Tout le monde a veillé tard pour soutenir le jeunot qui n’était pas rassuré. Mais depuis, aucune nouvelle. Une véritable panique commence à montrer le bout de son nez dans l’esprit du jeune noir. Quoique ces hommes aient pu raconter, Riri ne serait jamais parti sans leur dire au revoir.

Toute la journée durant, Henry farfouille chaque recoin de l’île, allant même jusqu’à demander aux gardes de la cité s’ils n’avaient pas vu passer un jeune mendiant aux cheveux rouges. Ceux-ci estimèrent à mille berrys le prix à payer pour se faire rire au nez. Si un miséreux dans son genre avait essayé de passer, ils se seraient fait une joie de le dégager à coup de pied dans le cul. Pesant contre ces deux connards à l’humour aussi fin que leur tour de taille, il se remet à chercher mais en vain. Il rentre à la maison sans le moindre indice, comme tous ses compagnons. L’ambiance est mauvaise. Henry va retourner au port pour s’expliquer avec les trois hommes. S’ils lui ont fait du mal, ils vont le regretter. Tout le reste de la soirée, Henry le passe à tailler des bouts de bois, les rendant le plus pointu possible. Ils vont le regretter… Ils vont le regretter… Ils vont le regretter…

Une fois la nuit tombée, Henry est debout sur le quai, là où il a rencontré les trois hommes l’avant-veille. Les deux pieux cachés dans ses manches, il est prêt à tout faire pour défendre Riri, ou au moins à le venger si jamais… Il ne veut même pas l’envisager ! Il fait les cent pas, déambulant sur le qu’ait de long en large pendant des heures. Aux environs de minuit, il craque et décide de s’offrir un bon verre à la taverne pour tenter de dénouer l’affreuse boule de tension qui lui bloquait la gorge. Il pousse la porte d’un geste rageur. La voix de Brook lui saute aux oreilles, lui arrachant une plainte exaspéré. Il claque des doigts pour attirer l’attention du barman qui comprend et se baisse pour attraper la bouteille de rhum.

Soudain, le regard du garçon se dirige vers le fond de la salle. Ils sont là ! Comme si de rien n’était !


-Hey vous !
-Tiennnnns ! Mais c’est le héros ! Viens donc s’asseoir avec nous pour fêter l’évènement !
-Qu’est c’que vous racontez ?! Où est Riri ?
-Bah viens, maintenant que c’est fait, on peut tout t’expliquer.

Henry est un peu décontenancé par l’attitude hyper relax des hommes. Il s’attendait à ce qu’ils fuient, nient ou l’agressent mais pas à ce qu’ils l’invite à boire avec eux. Le patron pose le rhum devant lui et repart sans un mot. Comme toujours. Le marin commence alors son explication. En vérité, il était missionné par un couple de bourgeois qui ne parvenaient pas à avoir d’enfant depuis très longtemps. Ils avaient donc proposé à Riri d’être adopté par le couple. Il vit à présent au sein d’une famille riche et attentionnée, il a un papa et une maman, il mange à sa faim et dort dans un grand lit. Il aura même une éducation. Il fallait garder le secret parce que les riches commanditaires ne voulaient pas que quiconque sache que leur futur enfant est un crasseux de Luvneelpraad. Mais maintenant que Riri est parti, Henry peut bien savoir, cela ne change plus rien.

-Et pourquoi spécialement lui ? questionne Henry d’un air soupçonneux.
-Le mari est roux, il voulait pouvoir faire croire à son entourage qu’il s’agit bien de son fils dont il a caché longtemps l’existence. répond l’homme sans se laisser perturber.
-Humm… Et pourquoi ne nous a-t-il pas dit au revoir ?
-Ha oui ca… C’est de ma faute, je n’y ai tout simplement pas pensé. Le rendez-vous était à une heure et le navire marquait les amarres à deux heures. Il aurait pas eu le temps de faire l’aller-retour. Si j’avais su, j’aurais donné rendez-vous à minuit. Pardon. Il a dit que tu comprendrais et il vous souhaite bonne chance à tous, notamment à toi et à Elanor.
-C’est Eleanor.
-Désolé.

Henry ne peut retenir une larme qui coule le long de sa joue pour venir se perdre au coin de ses lèvres, juste sous sa moustache naissante. En un sens, c’est une excellente nouvelle, il se sent sincèrement heureux pour lui. Adopté par des bourges. Il tente d’imaginer le petit souillon qui avait toujours la morve au nez en beaux pantalons, bien coiffé et parfumé. Il ne peut retenir un éclat de rire. C’est génial, putain ! Il lève son verre que les trois hommes s’empressent de frapper du leur. Ils boivent à la nouvelle vie du petit Riri. Tout à coup, la voix de Brook ne l’énerve plus, au contraire, il ne peut s’empêcher de fredonner l’air qu’il connaît désormais par cœur. Le destin vient de prendre un sacré coup de genoux dans les parties et cela l’emplit de joie. Ils ne sont pas tous destinés à moisir ici. Partir d’ici est possible, même pour eux, les enfants de la misère. Une fois les festivités terminées, il serra chaleureusement les mains des bienfaiteurs et partit. Avant de se quitter, L’homme aux dents pourris lui lance :

-A la r’voyure, Henry Morgan. On se reverra sûrement. Les impuissants ne manquent dans les Blues et je suis sûr que tu as d’autres amis qui rêvent d’une meilleure vie. Tu auras ta part, bien sûr, je sais être reconnaissant envers ceux qui me facilitent le travail.
-Avec grand plaisir. A la prochaine.

Une fois rentré, Henry tombe face à sa bande qui attendait avec une angoisse grandissante. Ils sont déjà soulagés de voir que leur chef rentre sain et sauf mais très vite les questions fusent. D’un geste de la main, il les fait taire tout en réceptionnant Eleanor qui se jette dans ses bras. Il s’assied alors en tailleur et leur fait face pour tout raconter dans les moindres détails. A la fin de son histoire, les réactions sont mitigées. Le petit Riri ne reviendra pas. Ils ne le reverront jamais. Comme s’il était mort. Heureux pour lui, un peu jaloux, triste de son départ, chacun réagit à sa façon mais le fait est que Riri est parti pour toujours.
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Royaume de Luvneel, 1605

Les verres se lèvent et s’entrechoquent. Tous les gamins sont réunis dans la pièce principale et il règne une ambiance de fête. Depuis que les trois hommes sont entrés dans leur vie, tout va pour le mieux. Neuf membres de la bande ont déjà été adoptés au cours des derniers mois et ceux qui restent profitent des dix mille berrys qui sont offerts à Henry lors de chaque adoption. Certes, chaque départ est un petit déchirement pour ces amis qui ont grandi ensemble et qui ont surmonté les épreuves de la vie en s’entraidant, mais chacun a fini par s’habituer. Ils ont tous conscience que ces adoptions sont inespérées et représentent leur unique ticket de sortie. Aussi, plutôt que de déprimer en pensant à celui ou celle qu’ils ne reverront jamais, les enfants ont décidé de faire la fête dans la joie et la bonne humeur pour souhaiter bonne chance à l’élu.

Chaque soir, Henry se rend au port pour voir si les marins sont là. Parfois, Lytho est là, accompagné des deux Robert et il lui décrit alors le profil qu’il recherche. L’adolescent donne alors rendez-vous à son ami correspondant le plus à la description et empoche les dix mille berrys. C’est un système qui fonctionne plutôt bien où tout le monde est gagnant. Certains obtiennent une famille tandis que ceux qui restent obtiennent un meilleur train de vie. Pourtant, dix mille ferrys, ce n’est pas grand-chose, mais pour des enfants ayant toujours vécu avec rien, c’est énorme ! A présent, ils ont des couvertures, des habits à peu près décents et même du savon ! En plus, à chaque départ, leur nombre diminue et donc la quantité d’argent répartie à chacun augmente.

Ce soir, c’est au tour de Bobby de rejoindre une famille. Il n’a pas l’air dans son assiette. Cela lui fait bizarre. Il n’a jamais rien connu que les taudis et la classe de Luvneelpraad. Ces nouveaux parents vont-ils l’aimer ? Et s’il n’est simplement pas fait pour avoir une famille ? Henry s’approche de lui et lui donne une grande claque dans le dos qui manque de lui décoller les poumons. Avec le temps et la puberté, Henry a vraiment développé des bras énormément musclé par rapport au reste de son corps. Ses biceps sont aussi larges que ses propres cuisses à force de se déplacer en se balançant comme un primate. Et il n’a que treize ans.


-Alors Bobby, tire pas la tronche ! C’est génial ce qui t’arrive, non ?
-Ouais, ouais bien sûr. C’est juste que…
-Que quoi ?
-Je sais pas, je… Non rien…

Henry pose son verre et regarde son ami droit dans les yeux. Il se lève et le tire pour l’emmener dans sa chambre. Bobby se sent bizarre. Personne n’a le droit de rentrer l’habitude, sauf Eleanor bien entendu.

-Qu’est ce qui ne va pas ?
-Ben… Tu ne trouves pas ça bizarre, toi ?
-Mais quoi, bon sang ?
-Mais tout ! Ces types sortis de nulle part qui offrent des familles à tout le monde, cet argent qu’ils te donnent, ces rendez-vous nocturnes…
-Enfin, Bobby, ils se sont déjà expliqués. Je pense que tu as juste peur du changement.
-Et ces « profils » alors ? Un garçon entre dix et douze ans, blond aux yeux verts, légèrement grassouillet et plutôt court sur pattes.
-Et ben quoi ?
-Mais enfin ouvre les yeux ! C’est ma description toute crachée ! Sans vouloir me rabaisser, j’ai du mal à croire que des parents cherchent un gosse grassouillet et court sur pattes !

Henry peste contre ces soupçons absurdes et ridicules. En vérité, lui-même a ces questions qui trottent en permanence au fond de son crâne, mais il les recouvre avec l’argent gagné, la popularité qu’il a gagnée auprès de sa bande et surtout, surtout, il y a déjà eu bien trop de ses amis qui y sont allés pour revenir maintenant en arrière. Pas question de tout remettre en question maintenant. Henry s’énerve pour masquer ses doutes et traite Bobby d’ingrat. Qu’est-ce qu’il veut ? Rester ici toute sa vie ? Grandir, vieillir et crever sur ce rebord d’île, toujours rejeté par la société qui le méprise, là, séparé de la vraie vie par trente centimètres de pierre ? Bien sûr que non ! On lui offre une occasion unique de s’en sortir ! Ces gens sont de véritables miracles pour eux ! Ce serait monstrueux de refuser une telle chance !

Bobby baisse les yeux et marmonne quelque chose qu’Henry ne peut pas entendre. Il finit par admettre que de toute façon, il n’a pas vraiment le choix, des occasions comme celle-ci de quitter Luvneel, il n’en reverra pas de sitôt. En traînant des pieds, il accepte de retourner faire la fête à côté avec les autres qui veulent profiter de sa présence au maximum avant le grand départ. Henry fait taire la voix qui lui hurle que Bobby a raison et se convainc lui-même que tout va pour le mieux. C’est vrai quoi ! Ses amis quittent l’île et lui reçoit de l’argent pour faire l’intermédiaire. Ce n’est que du positif ! Alors pourquoi se sent-il aussi mal en regardant son ami qui a la mine basse, le nez pointé vers son verre de bière ? La fête se poursuit jusqu’à l’heure du départ. Les embrassades se succèdent et les larmes finissent inévitablement par couler.

N’ayant pas sommeil, il décide d’aller rendre visite à sa mère, qui n’est pas sa mère et qu’il a fini par appeler Betty. Celle-ci a développé une cirrhose du foie qui ferait crever de jalousie n’importe quel ivrogne. Elle passe ses journées chez elle à s’occuper de ses clients et à attendre que cette putain de faucheuse daigne passer le pas de sa porte et l’emmène loin de toute cette merde. Mais elle ne vient pas. A croire que même l’ange de la mort rechigne à venir poser les pieds dans son misérable taudis d’où s’élèvent des effluves de moisi et d’alcool. Henry colle son oreille à la porte et n’entend rien. Peut-être dort-elle déjà. Cela ne lui ressemble pas de se coucher avant une à deux heures du matin mais des fois, l’alcool et l’opium aidant, il lui arrive de s’écrouler.

Henry pousse la porte et soupire. Non, elle ne dort pas, effectivement. Elle est avachie sur son matelas et fixe le plafond. Elle est complètement déconnectée de la réalité. Henry est obligé de lui mettre des petites gifles pour la faire revenir à la réalité.


-Betty ? T’es avec moi là ?
-Ha putain, Henry, lâche moi ! Ça va.
-Sérieusement Betty, t’as vu dans quels états tu te mets ? Ça fait combien de temps que t’as rien mangé ?
-Hého. J’suis pas ta mère, mais t’es ENCORE MOINS la mienne. Alors viens pas m’faire la morale.
-Tiens, je t’ai apporté du pain et du jambon et mille berrys. Essaye de les utiliser pour te faire du bien plutôt qu’en ces saloperies que tu fous dans l’corps.
-Hahaha mon pauvre chéri ! Si tu savais tout ce qui entre dans mon corps !
-Betty…
-Fous moi la paix ! Et d’où tu sors tout c’pognon toi ?!

Henry lui explique alors son système, les hommes, les gens qui accueillait les enfants et tout le reste. Au fur et à mesure du récit, le visage de la prostituée se décompose. Elle n’en croit pas ses oreilles. Elle regarde le garçon qui se trouve devant lui et a du mal à croire qu’il s’agit de celui qu’elle a recueilli et élevé il y a treize ans à peine. D’une main tremblante, elle saisit les billets, recule sans quitter Henry des yeux et sort en refermant la porte derrière elle. Il ne la reverra jamais. Ce n’est que bien plus tard qu’Henry comprendra que Betty a eu peur d’être adoptée à son tour.
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Ça y est. Paulo vient de refermer la porte derrière lui et c’est un silence pesant qui plane désormais dans la maison. C’était le dernier. Eleanor et Henry sont désormais seuls, dans une maison qui leur semble démesurément grande, bien que le commun des mortels l’aurait trouvée ridiculement exigüe. Du haut de ses treize ans, Henry se sentait un peu comme un père de famille lorsqu’il était entouré de toute cette jeunesse. A présent, lui et Eleanor se sentaient abandonnés, comme des parents qui regardent leur cadet quitter le cocon familial pour voler de ses propres ailes. Ils se tiennent serrés l’un contre l’autre, les coudes entrelacés et ils ne disent rien. A quoi bon ? Ils ressentent exactement la même chose, l’exprimer est donc totalement inutile.

Ils regardent la pièce autour d’eux. Une dizaine de matelas posés à même le sol, deux trois vêtements oubliés, toutes les affaires de Riri, qui n’a rien eu le temps d’emporter et des couvertures. Et c’est tout.


-C’est plus que nous deux maintenant.
-On dirait bien…
-Ça t’ennuie ?
-Non, bien sûr que non. C’est le mieux qu’on pouvait espérer. Ça me fait juste bizarre.

Henry l’embrasse et lui propose d’aller se coucher. Ce soir, l’ambiance ne se prête pas à quoi que ce soit de positif alors autant passer directement à demain. Eleanor acquiesce et lui emboite le pas. Ils se roulent dans les couvertures et s’enlacent, profitant de ce si agréable contact qui leur rappelle qu’ils ne sont pas seuls. Le sommeil prend son temps pour arriver, constamment repoussées par les idées noires, mais finit par les submerger tous les deux. Cette nuit-là, le garçon aux bras surdimensionnés fait un cauchemar. Il est seul dans un noir intense, compact et infini. Il a beau regarder partout, il ne voit rien d’autre que lui, debout dans l’obscurité. Pourtant, il voit ses mains, ses pieds, comme en plein jour. Soudain, il entend une voix. C’est Riri. Il le reconnaitrait entre mille.

-Henry ? Pourquoi tu m’as laissé ?

Le visage du petit rouquin apparaît alors sous ses pieds, immense. Il se met à hurler et Henry tombe dans sa bouche, glisse sur sa langue et s’accroche à sa luette comme il peut. Il voit alors Gilou, Paulo, Mimi et tous ses anciens camarades qui entrent à leur tour dans la bouche de Riri. Ils avancent lentement, la tête baissée sur l’énorme langue. Ils sont tous affreusement maigres. Bobby s’approche.

-Henry ? Tu nous as abandonné. C’était pour l’argent ?
-Mais non ! C’était pour votre bonheur !
-Mais… On était heureux tous ensembles.
-Tu t’es acheté des jolies choses avec mon départ ?
-Ho oui. Du rhum. Et puis du rhum. Et encore du rhum. Pas vrai, Henry MORGAN ?!
-Non, non, laissez moi !
-Hooo mais c’est toi qui va nous laisser, comme tu l’as déjà fait.

Paulo s’approche et écrase les doigts de leur ancien chef qui s’accroche désespérément à la glotte. Il finit pourtant par la lâcher et tombe, tombe, tombe encore le long de la gorge avant de se réveiller en criant. Il est assis sur son lot, dégoulinant de sueur et le souffle court. Eleanor se redresse à son tour et lui caresse doucement la tête en tentant de le rassurer. Ce n’était qu’un mauvais rêve, tout va bien maintenant, elle est là lui chuchote-t-elle. Petit à petit, Henry reprend son calme.

-Qu’est-ce que c’était ?

Il veut lui en parler, partager, mais plus il essaye de se souvenir, plus le rêve disparaît, comme de l’eau que l’on tente de rattraper mais qui nous coule entre les doigts.

-Je sais plus…

La jeune fille dépose un baiser sur son front et l’invite à se rendormir. Ce n’était rien.

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A son réveil, Henry ne se souvient pas de son rêve mais il ressent une sorte de gêne, quelque chose qui le dérange mais qu’il ne parvient pas à identifier. Mais, comme toujours, la vie reprend le dessus et les problèmes quotidiens ont tôt fait d’enfouir ses appréhensions au fin fond de sa conscience. Maintenant, ils ne sont plus que deux, les pillages deviennent plus compliqués et il doit élaborer une nouvelle stratégie. Habituellement le couple fait diversion pendant que les autres réalisent les stands mais maintenant, il va devoir se servir lui-même. Et pas question d’utiliser Eleanor comme appât. Pas question non plus de la laisser prendre tous les risques. Elle finirait par se faire prendre. Tôt ou tard.

La jeune fille, de son côté, doit gérer ses propres problèmes. Elle est désormais une femme. A son réveil, elle l’a découvert. Elle a d’abord cru qu’Henry était blessé mais a vite vu que seul son côté était couvert de rouge. La jeune femme a alors attendu que son ami se lève pour retourner le matelas et aller se laver, avec un irrationnel sentiment de honte. Elle avait une vague idée de la chose, mais personne ne lui avait réellement expliqué quoi que ce soit et elle se sentait sale, perdue, déboussolée. Et malgré tout l’amour qu’elle éprouve pour Henry, elle se doute bien qu’il ne lui sera pas d’une grande utilité dans le domaine de biologie féminine et d’hygiène intime. Son macho chéri a plutôt tendance à fuir ce genre de conversation. Lorsqu’elle revient de la mer, propre, elle tombe sur Henry, assis en tailleurs, la tête entre les mains.


-Quelque chose ne va pas ?
-J’en sais rien… Je sais pas comment on va faire.
-Faire quoi ?
-Hé bien pour vivre. On a de l’argent mais il ne va pas durer éternellement. Et voler devient de plus en plus difficile… Avec ma couleur et ma carrure, c’est presque une alerte qui s’déclenche dès que je passe les murs.

C’est vrai, Henry est devenu un colosse à présent. Malgré son jeune âge, il dépasse en taille la plupart des adultes et ses bras ont tellement gonflés qu’il est carrément disproportionné. Ses bras sont trois fois plus musclés que ses jambes et ses pectoraux font plus du double en largeur que sa taille. Impossible de passer inaperçu.

-J’ai peur de ne plus pouvoir t’offrir ce cadre de vie encore longtemps. Et il est déjà pas génial.
-Ne dis pas de bêtises ! Je suis très heureuse comme ça. Tant que je suis avec toi, tout va bien.
-Oui, moi aussi. Mais quand on n’aura plus rien à manger ?
-Si tu me disais sincèrement à quoi tu penses.
-Tu devrais te faire adopter, toi aussi.

A ces mots, Eleanor a un mouvement de recul. Non, pas question qu’ils soient ainsi séparés. Ils s’aiment, n’est-ce pas ? Alors hors de question de l’envisager ! Ils trouveront un moyen. N’importe quel moyen !
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Les jours qui ont suivi cette conversation ont été plutôt sombres, tant pour Henry que pour l’élue de son cœur. Depuis qu’il a exprimé cette idée à voix haute, ils savent tous les deux que c’est la meilleure chose à faire. Que tôt ou tard, ils devront faire un choix entre l’adoption et la mort par famine ou par froid, or aucun des deux n’aime avoir faim ou froid. Mais la perspective de vivre séparés est encore plus insupportable. Après tout ce qu’ils ont traversé, tout le réconfort qu’ils se sont prodigués l’un l’autre pendant les moments difficiles… Jamais aucune famille ne pourra leur apporter ça.

-Tu sais, après, je vais essayer de me faire adopter, moi aussi.
-Toi ? Mais tu es…
-Oui, je sais, j’ai peu de chance vu ma couleur mais on ne sait jamais. En baissant le prix, Lytho trouvera peut-être des parents qui s’en fichent. Et alors, on pourra se retrouver !
-Se retrouver ? Mais comment ? On ne sait pas dans quelle famille on nous envoie.
-J’y ai pensé. Je te donne rendez-vous dans deux ans, le 18 octobre 1607, devant la mairie de Shell Town.
-Shell Town ?
-Les marins parlent souvent de cette île. Elle doit forcément exister. Le 18 octobre, c’est ton anniversaire, tu pourras demander à visiter cette île. Peut-être même que c’est là-bas que tu seras.
-Et toi ?
-Je me débrouillerai. Je ferai croire que c’est également mon anniversaire. Ou au pire, je m’enfuirais. Du coup, on ne sera séparé que deux ans. C’est mieux que rien.
-Oui… Bon d’accord. J’accepte l’adoption. Je t’aime.
-Moi aussi, bébé.

Pour changer, Henry se rend donc à la taverne, bien décidé à se mettre la tête en vrac pour oublier que d’ici quelques temps, il sera complètement seul, sans personne avec qui discuter ou jouer. Il sait que les « trouveurs de famille » ne seront pas là avant au moins minuit, mais il a tout son temps. Il n’a plus aucune motivation pour faire quoi que ce soit et, l’alcool aidant, il élabore des plans d’avenir de plus en plus complexes et, au fur et à mesure que les verres se vident, de plus en plus absurdes. Les piliers de bar ont pris l’habitude de voir traîner ce jeune garçon à l’apparence inhabituelle. Ils ont même appris à leur dépend que sa descente était imbattable au niveau du rhum mais absolument ridicule pour tous les autre alcools.

Le jeune Henry Morgan pourrait partir de lui-même. Avec tout l’argent qu’il a accumulé, il a de quoi se payer un billet pour n’importe où. Mais une fois arrivé, il ne lui resterait rien et il devrait tout reprendre à zéro. Ou se procurer une petite barque, rien que pour lui. Hum… Il devrait ramer sans savoir où aller. C’est un coup à finir noyer où au fond du ventre d’un de ces fameux poissons de cent mètres, s’ils existent. Pour moins cher, il pourrait utiliser le bois de son toit pour faire un radeau. Et se faire tirer par une colonie de mouettes qu’il aurait dressées ! Très vite, les clients de la taverne se prêtent au jeu et tentent de lui apporter des idées constructives pour résoudre son problème. Malheureusement, ceux-ci sont dans un état d’ébriété au moins aussi avancé que lui. Pourquoi pas la nage ? S’accrocher discrètement à l’arrière d’un navire ? Soudoyer un mousse pour prendre sa place ? Se fabriquer un costume de poisson, se laisser prendre dans les filets d’un pêcheur et aller se faire vendre au marché d’un grand royaume comme pièce unique et rare ! A l’évocation de cette idée particulièrement absurde, tout le monde lève son verre en riant et boit une nouvelle rasade. Certains s’écroulent, achevé par cette ultime gorgée, d’autres rient de plus belles, cherchant de nouvelles absurdités à rajouter à la liste. De son côté, Henry se sent mieux. Rire lui fait du bien. Même si ces gens ne sont pas à proprement parler ses amis, ils ont réussis à lui remonter le moral.

La porte s’œuvre et l’ambiance retombe immédiatement. Les deux Robert entrent, jettent un rapide coup d’œil et font entrer Lytho. En voyant le petit singe un verre à la main, il se met à sourire. Les clients se séparent alors, sans dire un mot, s’éloignant le plus possible des trois hommes. Henry a déjà remarqué cette attitude mais sans jamais y porter réellement attention. Pourtant, cette fois, il le remarque clairement. Tout le monde les évite. Un des Robert s’approche le premier. Celui-ci ne parle presque jamais. Tout petit, d’une maigreur maladive, il a le teint cireux et le cheveu rare. Sa voix est très aiguë.


-Tiens, tiens. Ça faisait un moment qu’on ne te voyait plus petit Morgan. On craignait que tu ne veuilles plus de famille pour tes amis.
-A vrai dire, je n’ai plus beaucoup d’amis du coup. Plus qu’une en fait
-Ahhhh on peut dire que ça tombe bien. On cherche justement une fille. C’est l’unique critère demandé.  
-Ça pour une coïncidence… Vous m’excusez une minute ? Faut que j’aille vider l’excès.

Le garçon se lève et se dirige vers le bar. Les roulettes se trouvent derrière. En passant, il demande discrètement au barman pourquoi tout le monde les évite comme la peste. Tout ce qu’il comprend, c’est que ces hommes appartiennent au clan Burn. Rien de plus. Il est clair que l’homme ne veut pas en dire plus pour éviter d’être mêlé à tout ça. A son retour des toilettes, Henry s’adresse directement à Lytho.

-Cette fille, c’est ma petite amie. J’vais pas vous mentir, ça m’emmerde réellement de la laisser partir, même si je sais qu’elle sera mieux qu’ici.
-Humm oui, bien entendu, je vois. Tu sais quoi ? J’ai un cœur moi aussi et je vois où tu veux en venir.

Il farfouille dans sa veste et sort une liasse de billets, comme à son habitude. Puis une autre, une autre, encore une et une supplémentaire. Cinquante mille berrys. Le verre d’Henry tombe, rebondit sur le sol et se brise au sol dans l’indifférence générale. Ses yeux sont fixés sur les billets gris. Avec un tel montant, il sera à l’abri du besoin pendant des mois ! Sa main s’avance, tremblante, caresse la texture rugueuse de l’argent et se referme sur les liasses. Son esprit est subjugué par cette richesse. Jamais de sa vie il n’avait tenu une telle quantité d’argent entre les mains. Il ne réfléchit plus, il se contente de retourner les billets dans tous les sens pour mieux les admirer. Bahhh… Elle sera mieux là-bas après tout. C’est pour le bien d’Eleanor qu’il est là. C’est évident… Les billets disparaissent dans la poche intérieur de la veste du garçon et les deux hommes se mettent d’accord. En sortant, le jeune homme noir ne peut s’empêcher de sortir à nouveaux les liasses pour les contempler en riant à gorge déployée devant les clients du bar, horrifiés par la scène qu’ils viennent de voir.
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Le chemin qui mène jusqu’au port est long, particulièrement lorsqu’il fait aussi froid. La lune éclaire la route, la parsemant d’ombres dansantes dans le silence. Même les vagues ne semblent pas émettre le moindre son. On n’entend que les pas traînants du couple. Ni l’un ni l’autre n’a la moindre envie d’arriver jusqu’au bout. Ils veulent que le moment de leur séparation se fasse le plus tard possible. Manque de chance, c’est l’instant qu’a choisi le temps pour se mettre à filer plus vite que jamais. Les navires, qui n’apparaissaient que de manière fugace, à l’horizon, ne sont déjà plus qu’à une centaine de mètres et malgré les efforts désespérés d’Henry, ils continuent de se rapprocher à chaque pas qu’ils font. Eleanor ne parle pas, se contentant de se pelotonner dans les grands bras du garçon qu’elle aime. Son esprit n’est pas là, refusant la réalité qui s’apprête à la frapper de plein fouet.

Le moment fatidique arrive enfin, ils posent le pied sur la pierre froide du quai, ne sachant pas bien où aller. Ils restent donc là, enlacés, sans qu’aucun des deux n’ait la force de lâcher l’autre. Les yeux humides, ils ne parlent pas, les mots paraissant tellement dérisoires dans ce genre de situation. Les minutes s’écoulent mais à petite dose. Le moment du rendez-vous approche et il serait tout de même fâcheux de le manquer.

Ils décident de se séparer juste le temps de la recherche du point de rendez-vous. Cela ne devrait pas être bien compliqué, après tout, tous leurs amis ont trouvé tous seuls. Henry n’arrive même pas à réfléchir, il erre dans le port comme une âme en peine, ne désirant qu’une chose, ne pas trouver ce qu’il cherche. De son côté, Eleanor, à une dizaine de mètres de lui, a les yeux qui virevoltent dans tous les sens. Bien que ne voulant pas non plus partir, elle est surtout anxieuse à l’idée des gens qui vont la transporter et dont la vie dépendra d’ici à peine une heure. Elle veut absolument trouver pour s’assurer que tout se passera dans les meilleures conditions possibles. Elle distingue soudain une silhouette sur sa droite. Un grand homme portant un chapeau en cuir rapiécé.


-Heu… Bonsoir ? C’est vous Lytho ?
-En effet ma petite. Henry a décidément très bon goût ! Un vrai petit bout de femme !

Deux autres silhouettes apparaissent autour d’elle, un colosse et un gringalet. Ils ont le regard mauvais et une attitude agressive. Un frisson glacial parcours l’échine de la jeune fille tandis qu’elle essaye de se soustraire à leur position de domination. Mais ils se rapprochent, la coincent, l’encerclent et la piègent comme un animal blessé après une traque. Le gros sort une corde pendant que les autres se jettent sur elle pour l’immobiliser. Elle hurle ! Hurle ! Hurle à la mort ! A l’autre bout du quai, Henry se retourne et se met à courir. C’est la première fois qu’il entend Eleanor hurler de la sorte. Quelque chose a dû mal se passer. Il court, saute et s’agrippe aux nombreuses cordes qui pendent des navires. En à peine une dizaine de secondes, il se retrouve accroupi sur la rambarde d’un grand bateau de marchands. De là, il voit Lytho et les deux Robert en train de ligoter sa bien-aimée qui se débat comme une diablesse. Il reste quelques secondes sans bouger, ne pouvant assimiler autant d’informations contradictoires. Puis, son corps se remet en mouvement et il saute directement sur le petit Robert. Ses deux poings resserrés s’écrasent sur le crâne du maigrichon qui s’effondre en geignant. Les deux autres se retournent vers lui.

-Henry ? Bordel, mais qu’est ce que tu fous là ?! C’était pas notre accord !
-Que tu la maltraites non plus c’était pas notre accord, connard !

Le garçon charge mais le colosse s’interpose et encaisse l’attaque sans difficulté. Sa graisse amortit le coup et une violente gifle renvoie le singe en arrière. Mais il ne sent pas la douleur et repart immédiatement au contact, sautant en avant, moitié homme, moitié animal. Sa colère est si grande qu’il ne se contrôle presque plus. Il frappe de ses poings le visage du gros Robert qui tente de l’attraper mais qui ne parvient qu’à se faire arracher un doigt par des dents enragés. Le sang gicle et la douleur est grande jusqu’à ce que le grand vacille et s’écroule au sol, inconscient. En voyant son adversaire vaincu, Henry parvient petit à petit à retrouver son calme. Il constate alors qu’il souffre terriblement aux côtes et au tibia droit. Il sent le sang dans sa bouche et crache au sol. Lytho n’a pas bougé, ne se séparant pas de son sourire carnassier.

-Wahou ! Tout ça pour cette petite ?
-A quoi tu joues ? T’es pas censé l’amener blessée à sa famille !
-A sa famille ? Parce que tu y crois encore à ça ? HAHAHAHA ! C’est trop drôle !
-Qu’est-c’que tu veux dire ?
-Mais redescend sur Terre, bordel ! C’est un code ! Tu penses vraiment que des nobles voudraient récupérer un chien crasseux de Luvneelpraad ? Hahaha ! Je pensais que tu étais un garçon ambitieux mais t’es qu’un débile naïf !

A ces mots, le cœur d’Henry se serre. Quel con ! Evidemment que personne ne voudrait jamais d’eux ! Pourquoi ? Il y a sûrement des enfants avec bien plus de valeur au-delà des mers. Comment a-t-il pu se faire duper aussi facilement ? C’était l’espoir qui l’aveuglait ! Voilà, c’est ça ! Et l’envie d’aider ses amis ! Et… Et… Sa main se porte instinctivement sur sa poitrine et il sent les billets dans sa doublure. L’argent….

-Qu’est-ce que tu as fait d’mes amis alors ?! Et qu’est-ce que tu crois faire avec Eleanor ?! Laisse la partir tout d’suite !
-Moi ? Je ne compte rien lui faire, voyons ! Par contre je connais pas mal de gens qui payeraient cher pour pouvoir lui faire pleiiiiin de choses, hinhinhin !
-Enfoiré !

Henry hurle à pleins poumons et sent la colère l’envahir à nouveau. Cet espèce d’enfoiré a usé de sa gentillesse et cela s’est retourné contre lui. Il court vers Lytho mais s’effondre lamentablement dans une violente détonation. Le canon fumant du revolver de l’esclavagiste est toujours pointé vers l’enfant mais se déporte rapidement vers la fillette terrorisée. Elle crie en voyant Henry au sol, une balle dans la jambe et de nombreuses côtes brisées.  L’enfant rampe mais la semelle sale du pirate se pose sur son visage et le retiens. Il lui dit de laisser tomber, de comprendre. Comprendre… C’est la loi qui régit ce monde. La loi du plus fort. Les faibles ne servent qu’à renforcer les plus forts. Peu importe le système mis en place, il pourra toujours être défait par quelqu’un frappant plus fort. La justice ? La compassion ? De simples illusions qui s’évaporent en même temps que le dirigeant. Mais Henry ne l’écoute pas, il s’en fout, il ne pense qu’à atteindre Eleanor qui est là, à quelques mètres à peine de lui.

-Ecoute, t’es un brave garçon et tu m’es bien plus utile ici, à me ramener des proies qu’en esclave. Mais si tu me les brises, je t’enverrais rejoindre tes amis à fond de cale et tu finiras ta vie à te vendre dans les ruelles sales de Grey Terminal ou à céder aux moindres caprices d’un noble de mes deux ! Alors fais-toi une raison ! Trouves moi d’autres enfants et tu seras un homme riche ! Résiste-moi et tu connaîtras un sort pire que la mort !

Comme point final à son avertissement, il relève son talon et frappe d’un coup sur le crâne du garçon qui s’évanouit sous les cris de détresse de celle qu’il voulait protéger.
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Royaume de Luvneel, 1606 :

Six mois ont passé. Tout a changé. La neige commence à fondre, découvrant un peu plus chaque jour la déchéance du jeune garçon noir. Allongé à même le sol, protégé seulement par une planche posée de biais au-dessus de lui afin de le protéger de la pluie et du vent, Henry est très pâle. L’hiver a été rigoureux et la maladie l’a investi depuis quelques semaines, lui laissant à peine la force de se lever et de marcher. Durant l’hiver, il a été expulsé de la grande maison par des hommes plus nombreux et plus forts. Depuis que ses amis étaient parti, il ne pouvait plus défendre la bâtisse et avait fini expulsé comme un malpropre. De toute façon, son esprit est trop brisé pour qu’il pense à se défendre. On raconte que lors d’un deuil, l’esprit humain passe par le choc, le déni, la colère, le marchandage, la dépression et enfin l’acceptation. Pour Henry, l’étape du choc a duré six mois et il vient seulement d’entamer le déni. Il a toujours eu le cerveau lent. Ne bougeant que pour aller se nourrir afin d’éviter de crever véritablement comme un chien sur le sol, il a énormément maigri.

Seulement, ses réserves d’argent s’épuisent et il n’a pas le courage d’affronter la réalité. Il n’arrive pas à se bouger. A réagir. Revenir dans le monde réel reviendrait à accepter ce qu’il a fait. Il a vendu ses amis et Eleanor a un pauvre connard d’esclavagiste. Il a été utilisé, il a été trop gentil, il a été dupé. Il est faible et un fort l’a exploité. La seule chose qui le maintien en vie, c’est cette petite pensée, tout au fond de son esprit, qui ne veut pas s’éteindre. Il refuse de mourir du côté des faibles ! Le monde est de toute évidence séparé en deux groupes : Les faibles et les forts ! Les forts « consomment » les faibles pour devenir de plus en plus fort ! Quoi qu’il en coûte, il refuse d’être à nouveau de ce côté. Comme le dit le proverbe Luvneelien : « Ajoute de l’eau à un vase plein, tu n’auras pas plus d’eau ». Après avoir trahit et voué à une vie abominable tous ceux qu’il aimait, jamais Henry ne pourra ressentir plus de culpabilité, plus de regrets et de remords qu’il n’en ressent déjà en ce moment. Il sait donc qu’il peut faire n’importe quoi sans ressentir quoi que ce soit. Il en a déjà fait l’expérience il y a quelques jours de ça. Une femme était en train de manger dans un coin du rempart. Il s’était approché d’elle furtivement et lui avait brisé le crâne avec une grosse pierre pour lui voler sa nourriture. Cela ne lui a fait ni chaud ni froid. Seulement, il est en vie et elle non. Parce qu’il a été plus fort qu’elle. Et ça, ce sentiment, il doit bien admettre qu’il est fort agréable.

Ses « amis » de la taverne ont accepté de lui expliquer, enfin, qui était Lytho. Ils avaient gardé le silence jusque-là car ils étaient persuadés qu’Henry savait très bien ce qu’il faisait. Eux non plus ne pouvaient s’imaginer que le jeune homme aux biceps surdimensionné restait un garçon naïf et ne connaissant pas grand-chose du monde. L’esclavagiste appartient à un clan qui capture des hommes, des femmes et des enfants pour les revendre à des riches en tant qu’esclaves, serviteurs, jouets sexuels… Le clan Burn est réputé, bien que totalement insaisissable sur tout North Blue. Depuis leur altercation, Henry ne les avait pas revus dans le port. Difficile pourtant d’imaginer que le clan a peur de lui, bien qu’il ait foutu une sacrée branlée aux deux Robert.


-Ouais, ça faisait un moment nous aussi qu’on les avait pas revu. Mais justement, ils sont passés hier soir au bar.
-Sérieux ?
-Ouaip, ils sont pas restés longtemps, mais ils sont sur Luvneel.
-Putain, il faut que je les retrouve !

Henry se lève, agrippe la bouteille de rhum et sort. Depuis qu’il vit seul, cette bouteille ne quitte que très rarement sa main. Il sait déjà comment les trouver. Ils traîneront forcément dans le port, la nuit. Tout ce qu’il a à faire, c’est trouver un endroit à l’abri des regards et attendre qu’ils passent pour leur tomber dessus avec l’effet de surprise. Cette fois, il devra s’occuper des Roberts en priorité, les écarter afin de pouvoir se concentrer sur Lytho. Il n’est pas en aussi bonne capacité physique que lors de leur dernière altercation, mais il restait bien plus puissant que la plupart des gens. Grimpant au cordage d’un navire de fret, il monte jusqu’à la vigie et attend que le soleil se couche et que les lumières des habitations s’allument. Enfin, vers minuit, même les éclairages s’éteignent. C’est là qu’Henry commence à scruter le moindre mouvement. A sa ceinture, un petit couteau qu’il a fabriqué lui-même en taillant de la pierre, attendant de pouvoir prendre sa revanche sur la vie depuis ces six derniers mois.

Enfin, vers une heure du matin, une porte s’ouvre dans un bâtiment que tout le monde pensait désaffecté et trois hommes en sortent sans un bruit. Henry place le couteau entre ses dents et s’agrippe à la corde. Il n’a jamais fait ça et se lance un peu à l’inconnu, mais il a bien l’intention d’utiliser tous ses talents d’acrobates pour les avoir. Alors qu’il voit les hommes lui passer dessous, il saute, fortement accroché à la corde. Grâce au mouvement de balancier, il frappe des deux pieds le gros Robert à l’arrière de la tête, le couchant instantanément. Le visage du bras droit s’écrase contre la pierre avec une violence terrible, lui brisant le nez dans une giclée de sang. Sa conscience se volatilise dans l’instant. Sautant au sol, Henry se saisit du couteau et le lance droit dans l’œil droit du maigre qui s’effondre en silence. Le garçon se redresse et fait face à celui qui a brisé sa vie. Il vient de tuer un homme, peut-être deux, et il ne ressent rien. Lytho se retourne, affublé d’un sourire carnassier. Il s’attendait à revoir Henry, mais pas de cette manière, il doit bien l’admettre.


-Tiens, ca fait une paye ! T’as une mine affreuse, putain !
-Ta gueule. Où sont mes amis ?
-Punaise, tu lâches pas l’affaire toi, hein ?! Tes amis, je sais même pas où ils sont ! Si tu veux tout savoir je les revends un peu partout sur North Blue grâce à un intermédiaire qui trouve des clients. Je trouve des esclaves, il trouve des clients. Donc je ne sais même pas où ils vont une fois que je les lui aie donnés.
-Donc ils sont sur North Blue ?
-Il y a des chances oui, mais tu ne les retrouveras jamais. Les esclaves vivent enfermés dans une maison à faire le ménage où sont tués pour l’amusement du maître. Ils ne sont pas affichés ! Comment veux-tu les retrouver ?
-Et ça se vend combien un humain ? Comment on peut mettre un prix sur une vie ?
-Humm… Tout dépend… Entre 400 et 500 000 berrys selon l’état.

La tête d’Henry commence à tourner. La maladie et la faim le tourmentent et l’évocation d’un telle quantité d’argent lui donne le vertige. Cinq cent mille berrys pour une personne. C’est probablement plus qu’il n’en a eu dans toute sa vie. Et pourtant des gens, il y en a plein autour de lui. Des gens faibles. Des gens qui ne pourraient pas lui résister. Il ne réfléchit pas longtemps. Que risque-t-il ? D’entendre sa conscience hurler, chaque soir, avant de s’endormir ? Il y a longtemps que sa conscience est morte d’une overdose de culpabilité. Il s’avance alors vers l’homme et désigne le petit robert qui est encore agité de convulsions par moment.

-Maintenant que ce guignol est mort, je suppose que vous allez avoir besoin d’un nouvel associé. Je veux cinquante mille berrys par personne que je vous amène. Et je peux vous en amener un par semaine. A prendre ou à laisser.
-Teuh ! Tu ne manques pas de toupet , sale chiard ! Robert sera très facile à remplacer, ne t’en fais pas pour moi !
-Justement, remplacez cet incompétent notoire par moi, qui suis nettement plus fort, déjà en place et qui a la confiance du peuple. Tout ce que je veux, c’est quitter cette île et pour ça, il me faut de l’argent. Et beaucoup. Si vous gagnez cent mille berrys par esclave vendu, ca fait un million de berrys tous les deux mois et demi, juste de ma part. Et mon petit doigt me dis que vous vous faîtes plus que ça. Vous voulez vraiment manquer ça ?

Lytho regarde le jeune garçon, puis ses deux associés, l’un mort, l’autre évanoui. Après tout, il ne risque pas grand-chose à accepter. Il devra juste ajuster son emploi du temps pour passer toutes les semaines à Luvneel. Il tend alors son bras.

-Deal !
-Deal.
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