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L'entremetteuse.

ça ne ressemble pas du tout à Armada...

L'entremetteuse. 845627IleduLevain1TwinBay


Non, vraiment ?

J'ai pas besoin d'un fin observateur comme l'autre glandu d'jumeau pour savoir qu'on s'trouve pas à Armada. J'le devine comme une grande en voyant les deux blocs de roches se la mesurer pour savoir qui est la plus grande, et tous ces ponts les relier entre eux. Pour voir cette gueule, cette profondeur, noire, béante, me zieuter sombrement, comme pour me défier. Je tourne la tête vers la cabine du capitaine. Toujours silencieuse. Ça fait bien deux semaines que j'ai pas vu la tronche de Jack. Deux semaines que lui parler s'avère aussi compliquer que naviguer les deux navires. On a bien failli se perdre, d'ailleurs. Au milieu d'une tempête, avec des vagues plus grosses que des murs, qu'on s'devait de franchir quand même.

J'me racle la gorge.

J'ai perdu de la voix. A force de gueuler des ordres que j'devrais pas gueuler.

J'ai tenté de suivre la piste de Joseph et de son galion d'mes deux. Comme il fallait l'faire, j'imagine. Jusqu'au coup d'fil de l'amirauté, exigeant de Jack qu'il aille remettre ses chiens en laisse. Là, il m'a juste ordonné de presser l'allure, d'continuer tout droit, avant d'retourner s'enfermer dans sa cabine en m'disant « démerde-toi ».

Dernier ordre du Capitaine. J'suis passée au travers d'son aura de violence pour m'faire à son « démerde-toi ». C'est toujours mieux que rien...

Sauf quand on voit c'que ça donne, quand je me démerde.

Y'a pas moyen de savoir où on est. J'ai la gueule sèche, parce qu'on commence à manquer d'vivre. Les hommes tirent la même gueule que le gorille dans sa cabine. Ils ont les nerfs, tout comme moi, de ces conneries. C'est ça, hein, la vie de Pirates... Des crasses qu'on se fait dans le dos, comme des gamins. J'ai l'impression d'évoluer dans une crèche avec des mioches en pleine période d'omnipotence. Sauf que j'suis pas là pour donner le biberon. Les gueux suivent, parce que je cogne fort encore.

Mais pas Jack.

Lui, il veut pas filer droit comme je l'entends. Et même mes coups de poêle y changent rien. J'ai fini par abandonner l'idée qu'ça puisse le faire avancer. Faut croire qu'il a la tête plus dur que l'acier. Avec tout ce que ça implique. J'ai droit qu'à des regards furieux qui changent pas grand chose au problème : On s'est fait enflé par l'autre traître et on est perdu, de surcroît. Et Jack a pas l'air décidé à venir me filer un coup de main.

Alors... Là, on est toujours devant cette gueule béante. Et je suis presque sûre d'avoir trouvé le trou du cul du monde. J'ai réussi c'miracle. Y'a pas besoin d'mots pour le reste :

On accoste, et on r'fait le plein avant d'repartir...

Si les choses étaient si simples, j'serais pas là à m'demander dans quel sens se lit cette putain d'boussole...
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Non.

D'ailleurs, elle tournoie et s'agite encore sans trop savoir où aller. Et de temps en temps, elle se fixe vers le trou en s'disant que je vais comprendre. Certaine fois, à force de la fixer, j'ai l'impression qu'elle essaye de me parler. Qu'elle veut me faire part de sa philosophie de la vie, de ce qu'elle pense du monde sur lequel elle vit, ou de l'épaisseur de mon poignée. C'est sûrement aussi parce que je n'ai pas assez dormi ces derniers jours que je croirais entendre Jamie Lee me susurrer des cochonneries à l'oreille.
Quand je relève le nez vers l'île, le lopin de terre se fait de plus en plus proche. Et je croise sans savoir comment le regard furieux de mon empathie qui bondit comme un diable avant de se balancer à la mer. Ses grognements sont univoques : Quelque chose va nous tomber sur la gueule ! Alors, je hurle, je tourne violemment le gouvernail et gueule de toutes mes forces :

A BABORD TOUTE !

Ma voix porte et sort tout le monde de sa torpeur. Les uns s'agrippent, les autres s'attachent. Et le bateau vire de bord soudainement sous le regard contemplatif de mes hommes qui se tourne vers moi, circonspects :

Pourquoi on part à Tribord ?

Bonne question. Nouvelle règle de l'équipage : Ne plus poser de question.

Parce que je suis pas navigatrice, putain ! Foutez vous à couvert et fermez vos gueules !

Le gros galion craque, crisse, et évite de justesse une vague de boulets de canon qui éclabousse le navire. Les hommes comprennent le pourquoi de ma réaction. Ils ne doutent plus à force de mes élucubrations. Au début, ça semblait toujours fou. Désormais, c'est une certitude pour tout le monde et on est bien content de ça. Sans Jack pour mener la barre, c'est bien tout ce qui nous reste... On a aussi nos yeux pour pleurer, et certaines paires pour voir l'inévitable :

L'écume nous-

Crack!

...Rentre dans l'cul, madame...


Et merde.
Kiril va me tuer. Sauf si je le tue avant. Et ça, c'est une bonne idée. Les meneurs de l'Ecume gueulent à leur tour, en me disant de faire attention, en me demandant ce qu'il se passe, ou ce qu'il me prend. Les boulets reprennent leur lancée vers nous, et on tente de les éviter à nouveau. L'arrière de la Kulture souffre un peu. Et je suis sûre que le nom du navire s'écrit pas comme ça. Et très franchement, je m'en cogne. Quand les coups de tonnerres s'arrêtent, c'est pour qu'une voix lointaine nous souffle dans les bronches et qu'on contemple une petite silhouette sur sa falaise faire son autoritaire :

L'entremetteuse. 629581PerONeil

Vous pensiez aller où comme ça ?! C'est Sahl qui vous envoie ?! Cet enfant de catin n'en manque pas une pour me mettre en colère ! Il n'est pas question une seule seconde que je cède devant des pirates ! Et qu'il s'abaisse à ce stratagème... Rooouh !

De. Quoi. Elle. Me. Cause ? Carte diplomatie ! Je vais pour lui répondre, mais elle me coupe et reprend de plus belle avec une ferveur sans pareille :

Dites lui qu'il n'aura jamais mes terres, JAMAIS ! Et répétez mot pour mot à cet enflure qu'il peut toujours aller se gratter pour son invitation ! Il comprendra !

Y'a marqué « messagère » sur ma gueule ? Merde, elle voit pas le pavillon pirate, là ? Elle le reconnaît pas. Les Saigneurs des mers, bordel de merde ! On a pas zigouillé des types pour du flan !

Tirez !

Non. En plus d'être conne, elle est aveugle. A ce niveau, je peux plus rien pour elle, mise à part la rosser un coup. Promesse de Micha. En attendant, on vire de bord. Je passe les commandes à Bishop, et le laisse manœuvrer en lui demandant de se rapprocher de l'Ecume. Si on coule la Kulture, je m'en cogne bien, je le trouve moche ce navire sans parler du nom. Mais l'Ecume... Nan. Y'a ma vie là-dessus. Puis, elle est tellement plus maniable, cette bête-là... Et de toute façon, les ordres sont limpides :

On va de l'autre côté !
C'est à dire madame ? Bâbord ? Tribord ?
Bah,... à droite quoi !


Bishop me lance un regard narquois. Mais il obéit. Tandis que je prends ma forme animale, bondit sur le mât, file de voile en voile pour prendre de la hauteur et sauter sur la proue de l'Ecume. De Justesse.

On refait notre entrée. Sous des tonnerres, des hurlements et des boulets de canon.

Ce Panache...


Dernière édition par Michaela Hope le Mar 27 Jan 2015 - 9:49, édité 2 fois
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Je m'attendais pas forcément à un accueil chaleureux. Après tout, on est des pirates, je devrais avoir l'habitude de ce genre d'arrivée pour le moins extravagante. Mais on porte quand même le pavillon de Jack, et Jack a des fans bon sang ! Ils sont où, ces fans, quand on a besoin d'eux ?

Pas sur cette île, à l'évidence...

Enfin... Les boulets arrêtent de venir vers nous quand ils comprennent qu'on ne viendra pas chez eux. Si c'est ce qu'ils offrent à leur touriste, merci mais j'ai donné sur l'île maléfique. Et je vais pas le faire à chaque fois, ma patience en la matière est largement épuisée depuis longtemps. Bon. Je prends les devants avec l'Ecume, pour me diriger avec aplomb vers la deuxième partie de l'île en faisant un signe très vulgaire à la grognasse qui gouverne sa terre. Sauf que, à quelques mètres des côtes abrupts, l'accueil est aussi chaleureux que chez la voisine...

Stoooooop ! ON BRAQUE !

Et je le fais, brusquement d'ailleurs. Bishop a à peine le temps d'arrêter la Kulture en attendant quoi faire. Des ordres. Les mousses sur le pont me fixent avec de gros yeux, quand les premières balles de fusil foncent dans notre direction et éclatent le bois des rambardes, trouent les voiles, canardent mes hommes...

Mais c'est quoi leur problème putaiiiiiiin !

Je me mets à couvert aussi pour éviter de me faire tuer bêtement. Je hais cette île, alors que j'y ai pas encore posé pied. Et c'est viscéral. Je suis maintenant partagée entre deux envies profondes : L'une qui est de raser l'endroit à coup de canon. L'autre qui est d'y débarquer et de raser l'endroit à coup de pieds. Sauf qu'il y a une autre priorité prioritaire : Remplir les estomacs de tout le monde et trouver Armada.

L'entremetteuse. 858866SahlOPar

Halte là !

Halte-là ? Non mais il se croit où celui-là ?! C'est pas AVANT de nous tirer dessus qu'il fallait le dire, ça ? MERDE ! Y'a un ordre pour ces conneries ! UN PUTAIN D'ORDRE ! Je relève le nez vers un regard perçant derrière des lunettes moches. La gueule refaite par des cicatrices, l'air avarié qui va bien avec...

C'est Per qui vous envoie ! Et vous n'irez pas plus loin !

Toutes ces certitudes. C'est beau.

Si vous poursuivez, vous irez par le fond ! Il n'y a rien pour vous, pirates ! Rien ! Et rien pour Per non plus sur MES terres ! Alors déguerpissez ou c'en est fini de vous !

Non mais ça commence à bien faire les menaces, j'en soupe ! Deux fois qu'on me considère engager par dieu sait qui alors que j'en ai juste rien à foutre ! Putain, mais merde à la fin !

Je sais même pas de quoi vous parler ! Alors allez vous faire foutre, toi et ta grognasse !
Très bien !
Qu'il me rétorque furieux en me visant de son fusil. Vous l'aurez voulu ! Canardez-les, les gars !

Et ils se font pas plus prié. Je crois même qu'ils adorent ça. Les balles à nouveau qui fusent pendant que je reprends les commandes et tente d'éviter de crever la peau percée. Et habilement, je mène le navire vers l'intérieur des terres, en évitant comme je le peux de frôler les côtes et les récifs qui se cachent sous la mer. Mais on me bouscule, et un des jumeaux me crie dans les oreilles :

La Kulture ne passera pas ! Qu'il me dit en mal orthographiant le nom du navire.

Fait chier.
Bien sûr que non, ils passeront pas là-dessus. Kiril a construit un bœuf. Depuis quand on fait rentrer un bœuf dans un corset ? J'en suis au point où je m'en fous de toute façon. J'ai un autre objectif en tête. Une seule méthode pour y parvenir. Déjà que je lui ai refait l'arrière, si en plus je lui ponce le fond sur un rocher, je vais me faire décapiter par le punk. Sauf si je le décapite avant... Mh...

Qu'ils restent au large ! Nous irons seuls avec l'Ecume et nous ramènerons des vivres !

Le message passe, les voiles se tendent et ces petites mains font le nécessaire pour qu'on progresse...

Sous le bruit des balles.
Mais ça, ça fait partie du décor.
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On ira pas plus loin...

On rentre les voiles et l'écume se stoppe en plein milieu. Elle a encore la place de manœuvre, mais on est plusieurs à avoir remarqué qu'l'espace s'est considérablement réduit entre l'entrée et là où on se trouve. La lumière nous parvient qu'à peine, et on voit comme dans une pelle. De surcroît, une forte odeur de renfermée et de vase nous monte au nez et nous agrippe sauvagement les sinus. Des bulles remontent du fond d'l'eau, on étouffe un peu. J'ai la peau moite et en lâchant la barre, l'impression d'me trouver dans une sorte de four qu'a gardé un rat mort trop longtemps.

Putain.

Je m'approche du bord et regarde en bas. L'écume ne tangue même plus. L'eau est sombre, épaisse. Recouverte d'algues crevées qui dégagent une forte odeur de mort. J'aime vraiment pas ça...

J'continue en barque.
Z'êtes sûre ?


Non. J'lui lance un regard univoque sur la question. Bien sûr que non, j'suis pas sûre. Me promener dans une barque à la stabilité douteuse dans d'la flotte qui se transforme progressivement en boue pleine de croco, alors que j'sais plus nager, j'suis pas certaine d'apprécier ma propre idée. Mais eux seraient foutu de se faire croquer à peine descendu du navire. Ici, ils sont en sécurités, et j'ai plus d'un tour dans ma manche. Alors, mes yeux foudroyant bougent ces zouaves pour qu'ils équipent ma barque. Même si l'mot « équiper » est un poil poussé pour l'histoire. Juste une planche travaillée par le punk et deux rames viables. Un sac à dos avec une partie d'nos derrière vivre, et un vague regard du type pas sûr qu'on se reverra d'si tôt.

J'reviens.

J'lance ça, sans savoir si j'vais vraiment revenir. En posant l'pied dans la barque, m'installant bien au centre pour fuir la flotte, j'ai qu'une seule crainte : que ça s'retourne soudainement et que j'puisse rien faire pour m'en sortir. C'est l'pire qui puisse m'arriver. Alors je bande mes muscles et commence déjà à ramer en direction de ce trou sans lumière. J'sais pas forcément combien de temps ça m'prend. J'sais juste qu'au bout d'un moment l'écume devient qu'un point derrière moi et que j'me mets à zigzaguer comme je l'peux entre des récifs plus gros que ma barque et plus acérés qu'mes griffes. Des grognements furieux m'échappent quand le bois racle contre le bord, quand j'ai l'impression que j'suis assise dans d'la flotte.
J'me fais des peurs toute seule en sentant mon p'tit navire tanguer sans qu'y'ait rien pour le faire bouger. J'suis sûre de sentir des trucs se frotter contre les rames. Vient l'moment où j'me mets de bout en jouant avec mes bras pour continuer à progresser entre les rochers et les tas d'algues crevées. J'suis certaine de reconnaître quelques cadavres de sales bestioles dans l'lot, et croiser des yeux jaunes brillant au fond des trous plus sombres que d'autres. L'odeur devient progressivement d'plus en plus fortes, elle m'donne une foutue nausée que j'ai à un moment du mal à retenir. Par-dessus bord, évidemment. La bile me brûle la gorge.

Y'a pas qu'la bile qui m'fait cet effet. L'parfum d'ambiance m'attaque les sinus, et la moiteur ambiante m'tourne le crâne pour m'le mettre à l'envers. J'suis presque certaine que la décomposition de toute cette crasse dégage des vapeurs toxiques qui me grillent le cerveau. J'veux pas m'attarder là plus longtemps, et j'pousse encore malgré l'étroitesse du passage, qui s'réduit encore et encore et encore... Jusqu'à n'être qu'une petite ouverture où un corps peut à peine passer. Ça, j'le vois. Et j'vois surtout toutes ces barques échouées devant cette sortie particulière. Éventrées sur les rochers, retournées pour la majorité, éclatées au pire dans le lot ; j'irai pas plus loin dans mon transport. Et j'irai pas à la nage non plus. L'équilibre précaire du bois flottant sur la vase. J'veux pas toucher ça. Alors j'bondis que la première carcasse à ma droite, en plantant les griffes dans le bois qui craquent encore. Pourris jusque dans ses fondements. Les vers le dévorent. J'm'attarde pas, ma seconde plateforme m'attend et tangue quand j'la saisis. Elle manque de s'retourner quand je bondis à la troisième. Le tas d'barques se fait plus épais, plus gros. Au milieu des cadavres de navire, ceux d'animaux, peut-être bien des hommes. J'escalade sans grande peine pour m'approcher d'la sortie. Ou d'l'entrée. J'suis pas sûre de comment j'dois considérer ça, vu qu'l'autre côté ressemble à un peu tout et surtout rien. J'arrive à y passer le tronc, et les jambes suivent et m'voilà toute entière devant une sorte de jungle caché dans des gorges macabres.

Devant moi ? Une pataugeoire dans laquelle je trempe les chevilles. Ça en dit long sur la profondeur. Mais j'sens brièvement toutes mes forces me quitter alors que j'tente de faire un pas vers l'avant. Et sans comprendre pourquoi ni comment, j'me pète la gueule droit dans la bourbe qui m'éclabousse... J'sens mes tripes se serrer dans mon corps, se tordre sèchement, et mes poumons remonter vers ma bouche. C'est encore d'l'eau d'mer ici... Putain... Ma vue s'rétrécie d'elle-même, et j'essaye d'me démerder comme je peux. J'pourrais rendre mon estomac, mais y'a plus rien dedans...
On m'prévient. Le nain s'approche et m'pointe du doigt une silhouette qui s'dirige vers moi et patauge dans la même gadoue que moi. Et sa grosse main s'pose sur mon épaule et m'attrape pour me relever. Et voilà même qu'il me soulève et m'sort de cette boue immonde et salée pour s'souffler une haleine sucrée en plein visage :

He bien...


Nouvelle dans l'coin, beauté ?
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Dès que j'me retrouve sortie de cette merde, mes forces m'reviennent. J'lui renvoie bien un regard un poil vitreux le temps de reprendre mes esprits et de toucher terre. Ou ce qui y ressemble... Me semblait être dans la jungle, j'suis finalement plutôt dans un endroit improbable. Où ?

Bienvenue aux gorges de l'homme mort !

Quel nom.
Adossé à mon tronc d'arbre immense aux racines trop grosses, j'le fixe avec l'air de pas comprendre. Lui, il rit joyeusement en faisant l'tour de l'assemblée. Y'a du monde, et j'viens juste de le remarquer. Des tas d'types à la gueule patibulaire, des cicatrices en veux tu en voilà, des coquards qui mangent des visages entiers, et bien assez de doigts pour compter toutes les dents d'ces gens. On m'cogne encore sur l'épaule, en m'demandant d'me remettre vite.

Bois donc ça et suis moi ! On m'colle un goulot dans la bouche et j'avale de travers une gorgée de rhum qui me brule jusqu'au poumon. J'manque de m'étouffer en m'faisant relever à nouveau et remettre sur mes jambes, et l'grand type m'attrape par les bras pour que j'le suive maladroitement.

J'ai jamais autant eu l'impression d'être en chiffon. J'suis pas en reste, généralement, mais là... J'dois dire que j'y pige plus rien. Le contre coup de la trempette avec le fruit, sans doute. J'retrouve à peine mes marques sur terre qu'on me présente l'endroit d'une voix forte qui m'file une migraine en béton. Bill qu'il s'appelle, mais ici, on l'appelle Grand Bill. Ou G.B. Si on a la flemme. Et v'làti pas qu'il me raconte sa vie ici. Les gorges de l'homme mort sont, pour l'monsieur, l'endroit idéal. Certes, l'odeur est pas folichonne, mais les voisins sont sympas. Et pour résumer vaguement l'idée, cette cité dans un marais putride, c'est un repère d'aventuriers ou d'pirates qui se sont perdus ici, ou encore d'exclus des villes avant. Que dire ? Qu'est-ce qu'le fuck ?

Woh woh woh !

J'me dégage de son étreinte qui s'resserre toujours un peu plus à mesure qu'on avance. On est entouré de bâtisses en tout genre, sur des racines et des planches, et des rambardes à base de cordes, et Bill m'regarde l'air d'pas pigé ce qui va pas avec moi alors que j'me raccroche à ce que je peux pour l'mettre loin d'moi. J'ai rien contre un peu d'chair, mais là, j'reviens de loin et c'est absolument pas l'moment pour ça. Puis, on s'connait à peine alors j'aimerais bien qu'il me catalogue pas comme femme à peine j'ai posé pied dans l'coin.  

T'vas m'lâcher viteuf mon gars ! J'sais pas c'que t'as cru que j'faisais  ici, mais j'vais certainement pas m'y attarder trop longtemps, alors tu gardes tes distances ou j't'en colle deux pour t'remettre les idées en place !

Menace passée. Bill éclate d'rire en essayant de me signifier que j'suis une brindille comparée à lui, et qu'il pourrait m'casser en deux quand il veut. Sûr. Mais j'lui colle une mandale sur le coin du pif qui lui éclate le cartilage et lui remet effectivement les idées en place. Et ça l'calme, y'a pas à dire. Il se demande même sur quelle harpie il est tombé pour mériter ça.

Juste sur une harpie de la pire espèce :

Y'a un équipage qui m'attend. J'suis au service de Jack sans Honneur. Et on a besoin de vivre. Alors, soit t'as ça pour nous, soit tu circules parce que j'ai à faire...

Au moins, les bases sont posées. Au suivant ?
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J'ressors d'une cabane miteuse en m'étirant. Bill me talonne et m'lance un sourire équivoque, du genre qui dit qu'il attend d'pied ferme son bien.

Sûr, les négociations ont pas été des plus aisées. La faute à deux caractères de merde et quelques marchands qui savaient pas où donner d'la tête. Tout c'qu'il y a à retenir de c'te histoire, c'est que Bill et sa clique acceptent de m'fournir ce dont j'ai besoin. Mais leur faut du temps pour rassembler la chose. D'la flotte, des fruits de la jungle et des animaux qu'elle peut offrir. De même, y'a à acheminer la choucroute jusqu'au navire qu'attend encore au large... J'suis bien incapable de dire depuis combien de temps j'les ai laissé, et j'essaye de trouver un moyen de les joindre.

On m'file un escargophone et la conversation s'expédie rapidement. On m'demande si ça va, j'demande comment ça s'passe sur le navire. Bien, dans les deux cas. J'note la surprise dans la voix d'Alex, sans doute qu'il pensait pas que je pourrais le faire. J'lui file par les détails de l'expédition, parce qu'il serait foutu d'me faire suer sur des détails. Dans les faits, ils notent juste qu'il faut préparer les cales à accueillir la bouffe et la flotte, et prévenir la Kuulture que j'orthographie toujours pas bien qu'on va pouvoir repartir bientôt.

Y'a juste une question qui m'trotte :

Et Jack ? La bonne question. Celle qui nécessite une réponse pour qu'on puisse poursuivre. Pas d'Armada, mais un Jack dans sa cabine censé mener sa flotte. Censé, puisque c'est moi qui m'en charge en c'moment.
Pas d'nouvelles.

… Ouais.
Evidemment.

J'sais pas pourquoi j'suis déçue. Je devrais m'y faire, à force, mais j'peux pas m'empêcher d'espérer un changement de sa part. De l'initiative. Une envie d'avancer. J'lui sers ce qu'il veut sur un plateau et il arrive encore à tirer la tronche. Un soupir m'échappe. Je raccroche.

Ça va pas fort, beauté... Que m'lance Bill en jouant avec sa choppe de rhum. J'parie sur une histoire d'homme.

Je hoche la tête.

J'en étais sûr...

Sans doute.

Continue à mener ta barque, ça ira mieux après.
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On en a pour plusieurs jours... Souffle Bill en se servant un verre de rhum sous mon nez. Il va pour faire de même avec moi, mais je l'en empêche d'un regard univoque. Si tu vas faire un tour, fais gaffe où tu mets les pieds.

Je l'écoute d'une oreille distraite, passablement alcoolisée. Son rhum est dégueulasse, tellement que j'pourrais le comparer à du jus d'chaussette sucré. Difficile de s'dire qu'il se mine le fois avec ça tous les jours. J'en bois à contre cœur, parce que c'est l'moral qui est miné d'mon côté, et que tant que le capitaine aura pas décidé d'changer les choses, y'a pas beaucoup d'recourd à avoir. Alors, m'torcher la tronche avec son eau d'chiotte, ça  va bien un temps. Quand j'lui ai soufflé que j'pourrais peut-être aller m'changer les idées ailleurs, il m'a juste dit d'faire gaffe, avant d'ajouter :

On a dompté les gorges de l'homme mort, mais pas l'reste de la jungle.

Dompté un marais qui pue, ça devrait pas être une fierté. J'ai eu envie d'lui rétorquer ça avant d'prendre mes clics et mes clacs et d'me tirer d'ici. Mais quand on voit la gueule de la jungle après l'marais qui pue, j'comprends un peu mieux pourquoi les rebuts du monde s'gonflent d'orgueil pour c't'endroit. C'est peut-être que des planches pourries sur des racines, mais la jungle autour ressemble à un lieu où tu crèves la dalle et la soif avant d'pouvoir retrouver ton chemin. Si j'arrive à pas m'embourber ou m’emmêler les pieds dans c'te crasse qui m'monte jusqu'aux genoux, c'est vraiment parce que j'ai l'expérience et un nain pour m'guider.

L'entremetteuse. 186614IleduLevain3GreenLagoon

Il m'mène jusqu'à un navire dégueulasse abandonné au milieu de nul part, et la seule question que j'me pose c'est comment il a pu finir ici. Y'a pas d'panneaux pour me l'indiquer, rien pour m'dire ce que j'en ai à branlé finalement. J'me pose sur un caillou recouvert d'mousse pour reprendre mon souffle, après m'être trempé pour me nettoyer les guibolles. J'sais foutrement pas ce que j'branle de ma vie.

J'sais pas pourquoi j'persiste à mener la barque de Jack vu l'retour que j'en ai. J'sais pas pourquoi j'me tue à nourrir ces branques de la pire espèce. J'devrais me tirer. J'pourrais. J'lui dois aucune loyauté, et très concrètement, j'en ai rien à foutre d'savoir c'qui va pouvoir m'arriver. J'me rends maintenant compte que plus j'reste avec lui et plus j'm'éloigne de mon objectif principal. Qu'est-ce qu'il a fait, Jack, pour moi, pour que j'lui jure allégeance ? Rien. Concrètement, que dal. Il m'a bien sauvé la vie une fois où deux, avant d'me jeter dans la fosse aux lions pour rigoler. C'est c'qu'il fait avec à peu près tout l'monde en fin d'compte, j'vois pas à quoi j'm'attends. J'me disais que son titre, son rang, m'rapprocherait d'Lia. Bilan, j'me retrouve paumée au milieu d'une jungle, en face d'un galion infesté d'chauves-souris qui m'ont pas capté parce que c'est l'heure d'la sieste.  Et maudite en plus d'ça par un démon. Heureusement que l'pouvoir est cool, sinon j'aurais qu'à m'balancer à la mer en attendant qu'la mort vienne m'apporter sa bouée. C'est ce qu'je devrais faire.

Sauf que pour ça, faut du courage.

J'devrais pas m'attarder plus longtemps. J'en ai ma claque de marcher, mais j'crois que j'suis bonne à faire qu'ça. J'ai eu beau faire ma fière au denden face à Kiril, pour lui dire que j'vais lui en coller une derrière le crâne, ça change pas grand chose au fondement même de toute cette merde. Ça pue.

Mais ça pue pas plus que c'que j'fous d'ma vie.
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Mes jambes tirent, hurlent, crient. Les muscles se tendent en même temps en m'demandant d'me stopper encore. J'sais pas pourquoi j'suis d'humeur à m'torturer. L'jus d'chiotte de Bill me vrille encore l'cerveau, et la chaleur ambiante aide absolument pas à s'remettre les idées en place. Il s'pourrait qu'j'ai faim. Il s'pourrait qu'j'ai soif. Il s'pourrait qu'finalement, j'me laisse crever la dalle au milieu d'c'te jungle histoire d'en terminer pour d'bon avec cette misère qu'est mon existence.

J'ai pas b'soin de faire un point pour savoir qu'ça changera rien pour personne. J'me suis engagée sur la mauvaise voie, pas vraiment d'mon fait mais il n'empêche que c'est l'idée. J'me suis perdue en route d'puis bien trop longtemps, à croire que j'suis née avec le mauvais plan d'route. J'marche et j'y repense, en écrasant ces branches humides qui craquent sous mon pied ; du début jusqu'à la fin, j'aurais enchaîné les crasses et m'serais roulée dans la merde. D'l'itinérance du cirque où j'suis née jusqu'à m'paumée sous le pavillon du Sans Honneur. J'aurais pu être quelqu'un d'autre, d'bien mieux dans l'idée. J'aurais pu avoir une vie rangée, tranquille, à pas chercher crosse à personne. On a pris des décisions pour moi, là où j'aurais dut m'battre pour dire non. Et il m'reste quoi ? Une prime sur ma tronche, un équipage qu'attend la bouffe et une coquille vide à la place du cœur.

J'crois qu'c'est ça qui m'manque le plus. D'puis trop longtemps sûrement. Quand on m'l'a arraché, j'ai comblé l'absence par quelque chose d'autre. D'abord la boisson, avant d'finir par m'dire qu'à part m'pourrir la santé, j'en ferais pas grand chose. Puis la colère, qu'a fini par ruminer comme un fauve à l'intérieur. Enfin, j'me suis blindée contre tout ça, sans jamais cesser d'être en rogne contre ces conneries. J'ai l'impression souvent d'me battre contre du vent, et d'en oublier les muscles d'mon corps qui m'supplient d'arrêter un moment. J'ai pas l'temps pour ça... J'ai pas l'temps pour reprendre mon souffle et m'poser dans un endroit. J'sais bizarrement que si j'me stoppe, j'redémarrerai sans doute jamais. J'me poserais par terre en attendant d'me noyer dans la vase, j'peux pas me stopper.

C'pour ça que j'me mets à courir, et à m'transformer au passage pour prendre encore plus de vitesse. Mes mouvements s'fluidifient d'eux même, quand j'bondis férocement d'un tronc qui éclate à un autre. L'air chaud et humide qui fouette mon visage m'fait oublier quelques secondes ce que j'suis en train de foutre. J'sais pas moi même de toute façon. J'sais juste que mes griffes s'enfoncent dans du bois, éclatent des rochers, refont l'visage d'une statue posée là, dans un espace dégagé. Elles rippent, craquent, l'une d'elles s'retournent jusqu'à teinter le marbre d'hémoglobine.

J'éclate, j'crois. J'en soupe, bordel...

PUTAIN DE MEEEEERDE !

Hurlement d'la bête, au fin fond du cœur. Ou de c'qu'il en reste. Peut-être qu'c'est qu'un bout d'gravats finalement. C'que j'peux en dire. Ma patte saigne, et la trace marque l'oeil vide qui m'fixe comme s'il me voyait pas. Et j'lui renvoie l'même regard un peu creux qu'a rien à donner à l'autre. J'crois que j'suis con. J'suis en train de me faire une bataille de celui qui détournera les yeux en premier avec une sculpture vieille comme le monde. Une vieille face d'homme qui chiale du sang. J'souffle bruyamment pour m'reprendre, et rentre les griffes.

J'ai rien à faire ici. J'sais pas c'qui craque chez moi. Passage à vide, j'laisserais personne derrière moi si j'disparais. Et y'aura du coup personne pour m'pleurer.

Mais.

A Dawn Chest, j'y aurais laissé ma marque.
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J'crois que j'me suis faite mal.

Bizarrement, ça m'permet de m'calmer les nerfs, et de reposer pied à terre. Les idées noires sont toujours là pour m'tenir compagnie, mais à côté d'tout ça, c'est presque rien. La crise de colère est passée, il me reste juste un grand vide que je comble avec du grand rien. Je pense à droite à gauche qu'il faudrait peut-être que je fasse demi-tour, avant de me rendre compte que je saurais de toute façon pas où aller. Je sais déjà pas où je vais. Et j'me sers même pas du haki pour savoir que je divague complètement de toute façon.

Sans doute la chaleur, l'humidité, qui m'crâment le cerveau gentiment tandis que je me perds dans ces tréfonds d'plantes. Cette jungle, c'est sûrement un peu ce qu'il y a dans mon crâne. Un tas de trucs qui grandissent et prennent racine à mesure que j'les arrose de rhum. Il se pourrait bien qu'certains soient gorgés jusqu'à la substance moelle, tandis qu'd'autres se laissent crever pour faire de l'engrais. Que dire de plus ? J'avance toujours tout droit, sans trop savoir si je marche vraiment droit. La patte dans un morceau de mon T-shirt, pour faire un pansement provisoire. Je laisse ma marque par endroit, histoire de retrouver ma route lorsque viendra le moment de remonter la piste.

Je sais même pas si ça va vraiment m'être utile, de remonter cette piste. Je sais même pas si j'en aurais envie de toute façon. Il s'pourrait bien que je me laisse convaincre d'vivre comme une enfant sauvage au milieu de nul part, d'vivre de ce que la nature voudra bien m'donner. Il s'pourrait bien que je me jette dans le prochain ravin que je croiserais, si j'en croise un. Les Saigneurs viendront jamais me chercher ici, et faudra se faire une raison sur mon absence. On pleurera pas ma mort, mais je manquerais probablement à leurs estomacs. Ils feront de l'écume de ce qu'ils voudront, je crois que j'en suis à un point où je m'en cogne royalement.

Pour l'instant, je vais juste tout droit. La température baisse légèrement et l'atmosphère change. La jungle devient plus dur sous mes pieds, et il semble plutôt que je marche sur des cailloux acérés. Il y fait toujours lourd, un peu comme la vie peut l'être, en plus fluide sur mes épaules. Je saurais pas vraiment décrire ce que j'ressens, ni ce que j'en pense, car il semble plutôt que mon crâne se vide de sa substance éxistente progressivement. Le peu d'fraicheur que j'arrive à grappiller me permet d'avancer plus loin. Les gravats se transforment en montagne. Petites d'abord, puis massives ensuite. Le ravin que je voulais trouver, il est pas là devant moi. Je suis déjà au fond de celui-ci, et je remonte à travers celui ci sans savoir si c'est une bonne idée. J'm'en cogne, en finalité.

J'vois pas c'que ça pourrait changer. Les murs se rapprochent de temps à autre, et j'me rappe contre les parois de pierre quand j'fais pas gaffe où j'vais. Jusqu'à ce que le terrain s'durcisse encore et que j'me mette à gravir des rochers hauts comme moi qui s'entassent sur mon chemin. J'en suis rendue à n'plus être très curieuse sur c'qui peut y avoir de l'autre côté. J'en suis rendue à n'en avoir rien à foutre d'toute façon. J'erre. Et plus rien n'peut me surprendre, que j'me dis en montant sur la dernière pierre que j'pense devoir dévaler de l'autre côté.

Mais...

J'me fige en écarquillant les yeux. J'sais pas dans quel monde j'suis tombée, ni c'que j'fous là. Il se pourrait peut-être que j'suis en train d'halluciner. Faudrait que je me pince pour savoir... Aie ! Non, j'rêve pas. J'hallucine pas. Et j'ai qu'une chose à dire...

Qu'est-ce que l'fuck ?!

L'entremetteuse. 731630IleduLevain5AnacondaFalls
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Sur quel putain d'bordel je suis tombée ?

J'reste un moment totalement paralysée devant ce machin qui tombe au milieu de nul part comme un cheveu sur la soupe. Je m'attendais à tout un tas de chose, mais pas à tomber sur un château entouré de sculptures de serpent. Mes jambes répondent plus vraiment, parce que j'suis trop stupéfaite devant ce truc pour essaye de remettre le tout en place à l'intérieur de ma tête. Ça m'permet d'oublier pendant au moins quelques secondes la merde dans laquelle j'évolue depuis des mois, et ça met loin la sale trogne de Jack qui boude encore dans son coin.

La bâtisse est nichée au creux du ravin, comme coincée dans un cul de sac. Elle semble naître de la roche. Bordée par l'eau, reliée par un pont presque majestueux dans sa simplicité, mes yeux se posent sur les serpents géants qui ouvrent leurs gueules pour en cracher d'la flotte comme ils en cracheraient du venin. L'homme a laissé sa marque ici, comme témoin de son existence, sans pour autant que beaucoup vienne l'admirer. Je crois que je suis une personne chanceuse d'avoir trouvée l'endroit. Peut-être que c'est ça.

Je m'approche et grimpe sur ce pont pour le franchir. Guidée par la curiosité, mon corps répond à l'appel enfin. Les planches du bois grincent sous mon passage mais ne cèdent pas. Les rambardes qui le bordent sont entourées par des plantes grimpantes. J'hésite à y poser la main, tout comme j'hésite à poursuivre ma route. J'ai à peine poser pied sur une sorte de quai devant la bâtisse qu'une porte immense grince et s'ouvre devant moi. Je recule d'un pas, par méfiance comme le ferait un animal sur le point d'être surpris. Et j'ai le temps de voir une silhouette cachée sous des tonnes de tissus et une ceinture qui lui marque la taille pour la rendre humaine s'approcher de moi. Ses longs cheveux oranges sont noués en deux gros nœuds sur les côtés de son crâne. Les autres qui ne tiennent pas dans ses barrettes tombent en une cascade ininterrompu sur ses petites épaules. Lorsqu'elle s'arrête devant moi, c'est pour me sonder d'un regard perçant qui me retient en face d'elle. Ses yeux sont de la même teinte que sa tignasse parfaite, sans doute trop maquillés à mon goût.

Enfin, je dis ça, mais j'ai l'air de sortir d'un combat de catch dans de la boue. Des feuilles dépassent de mes cheveux, mes poils sont couverts de crasses, je pue la transpiration, et j'ai rarement été aussi peu présentable de ma vie. Mais je m'en fous tellement que j'ai même pas honte. Et elle, elle a l'air de s'en tamponner  d'une force qui m'en donne le vertige. Je pourrais être transparente et être le tout de son univers en même temps vu la manière dont elle me fixe depuis qu'elle est là sans avoir dit quoique ce soit. Et moi, j'ose rien, des fois que ça soit malvenu. En me demandant depuis quand j'suis du genre à m'intimider devant une nenette plus petite que moi. Michaela, seconde des Saigneurs des mers, qu'en pipe pas une devant une illustre inconnue en costume bizarre...

Sois la bienvenue à Anaconda Falls.

Elle s'abaisse noblement pour me saluer, ses mains coincées dans ses manches. Tout dans son mouvement est beau. Je me risque pas à l'imiter, parce que j'aurais l'air d'une gourde. Ma babine se retrousse, comme pour retenir des tonnes de choses que j'ai au bord des lèvres.

Pourquoi « Anaconda » ? Que je lui rétorque en premier lieu alors que y'a tellement d'autres questions à poser avant : Ce sont des cobras...

Elle se contente de me faire un sourire, et d'me désigner le chemin à suivre.
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Qui êtes vous ?
Je m'appelle Kana. Tu sembles perdue.
Bah... Les gorges de l'homme mort sont loin, c'pour ça. Mais j'sais comment rentrer, ça devrait aller.

Je ne parlais pas de ça.


Elle me fixe sans ciller. A croire qu'elle a pas d'paupière. Ça m'met un peu mal à l'aise, j'dois l'admettre.

Vous parliez de quoi ?
De la lueur dans tes yeux.
Euh ouais... Vous pourriez être plus clair, parce que des phrases creuses et pseudos mythiques, j'peux en sortir treize à la douzaine que ça f'rait pas avancer l'sujet, sans vous manquer d'respect.
La patience n'est pas ton fort.
Disons qu'elle est mise à rude épreuve en ce moment.
Pourquoi ?
Des trucs... En rapport avec ce que j'fais.
Sans honte. Tu es une pirate.
Voilà.
Tu n'as pas à en rougir, nous empruntons tous des chemins différents parce que nous sommes tous différents. La vie nous conduit où elle le veut bien, et les raccourcis qui sont souvent des détours nous font perdre ou gagner du temps sur le trajet,... Cela ne veut pas dire que je peux en juger. Je n'ai pas de carte qui me dit où tu dois aller, et encore moins si tes choix sont justes ou non.
Mouais... Disons que je suis perdue, ouais.


Elle me désigne de sa main sortant de son kimono trop large deux tasses en porcelaine :

Un peu de thé ?
Pourquoi pas.


Elle range sa mimine, sous mon regard surpris. Je comprends pas trop les règles de l'endroit. J'suis dans un salon sophistiqué, sur un fauteuil confortable, à me demander c'que je fous là. Et quand je retourne le nez vers la théière, c'est pour la voir s'faire soulever par une mèche de cheveux orange. Oh bordel, je crois que j'hallucine...

Co-... Comment vous faites ça ?!
De la patience, et du temps à me consacrer.


… Pas compris.

Si je devais prendre un shot de tequila à chaque phrase énigmatique, je serais en train de me rouler dans mon vomi, là.
Hihi...
Vous pourriez m'expliquer ?
Le retour à la vie, voilà ce que c'est.
Premier fois que j'vois ça.

C'est du contrôle de son corps poussé à l'extrême. Se connaître soit même, avec ses cinq sens, fait partie du processus d'apprentissage. Je crois comprendre que ça t'intéresse. Comme je crois comprendre que tu as besoin d'une pause sur ta route. Qui es-tu ?


Elle me connaît pas. C'est qu'elle doit pas voir le dehors très souvent, ou recevoir les nouvelles. Tant mieux, d'un côté.

Michaela.
Enchantée, Michaela.


Elle boit dans sa tasse après m'avoir tendu la mienne à l'aide de sa tignasse. C'est mégacool...

Nous sommes une école, ici. Une école de cuisine. Notre objectif est de changer le monde et d'apporter la paix sur terre, comme dans toutes les factions existantes, par le plaisir de bonnes choses. Tu as des mains de chef. Je le sais, puisque j'ai les mêmes. Ses yeux me sondent entre deux gorgées. Veux-tu t'arrêter ici quelques temps ?

C'est trop beau pour être vrai, mais...

Pourquoi pas...
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Kana m'a fait une promesse.

Mais elle dit que j'ai besoin de temps avant de pouvoir m'atteler à l'entraînement. Certes, elle m'a promis de m'apprendre le retour à la vie, mais il paraîtrait que je dois me reposer et me ressourcer avant ça. On peut pas dire que je sois des plus contentes de cette idée. J'ai un peu de mal à rester en place, et je suis inquiète pour plein de sujets. Quand j'ai voulu avoir accès à un denden pour pouvoir joindre l'équipage et leur dire que j'allais être occupé, impossible de mettre la main dessus. Selon Kana, il n'y en a pas ici. Parce qu'ils préfèrent rester isoler de tous les maux du monde pour leur art. Soit disant que la cuisine doit rester pure, ce genre de trucs. Enfin, qu'est-ce que j'en sais, moi ? De la cuisine, c'est de la cuisine...
Mais pas pour Kana. Pour elle, c'est autre chose. Ça va plus loin. C'est une manière de vivre, d'aimer, de respirer. Elle me charge de faire les repas du soir, pour tous les habitants, et elle estime mon travail par rapport au sommeil de ces membres. Comme si j'avais leur humeur entre mes mains. Qu'est-ce que j'en fais, de ça, moi ?

Plus tu attendras après moi, et moins l'entraînement pourra débuter.

J'suis assise sur mon tabouret, derrière les fourneaux éteints, et plus elle essaye d'me faire comprendre ses mots, moins j'ai l'impression d'y piger un truc. Je lui rétorque pas ma phrase fétiche sur ses propos énigmatiques, à force, elle les connaît sur le bout des doigts. Puis, c'est elle la patronne. C'est elle qui décide. Tout ce que je sais, c'est que si elle a décidé que non, bah ça sera non, et qu'il faut encore que je change des trucs. J'dois dire que je sais plus trop comment faire pour m'en sortir. Rajouter du sel ? Enlever du poivre ? Cuisiner d'autres trucs ? Je crois même que la passion de la cuisine me quitte progressivement. J'ai plus envie de faire la tambouille pour les autres. Je m'en fous moi-même d'avoir l'estomac creux.

Il faut que tu saches, Hope, que le retour a la vie a besoin de toute ta personne pour t'appartenir. Si tu es distraite par autre chose, tu n'y arriveras jamais.

Distraite ? Je suis pas distraite. Enfin, je le suis plus depuis longtemps. J'ai abandonné depuis un moment toutes mes envies. J'y ai fait une croix dessus pour continuer à avancer. Mais au bilan, j'ai atterri dans un endroit qui a aucun sens, et qui en donne pas plus à mon existence. Alors, moi, distraite ? Sérieusement... Comment pas l'être quand tout part à vau-l'eau ? Je touche le fond depuis des années, et j'suis en train de me demander pourquoi je remonte pas. Bien sûr que je suis distraite. Préoccupée, même. Mais j'y suis obligée. J'ai des responsabilités, et je les abandonne pas comme ça... Même si elles, elles se foutent un peu de tout ça.

Trouve un peu de paix. Dès que ça sera fait, je reviendrais vers toi.

Ai-je vraiment le choix ?

Promis...
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ça doit être ça, l'idée...

Lâché totalement prise.

S'abandonner.

Oublier.

Tourner le dos à ce qu'on trouve important, mais qui en fait l'est pas du tout.

S'oublier.

Au passage.

Même si la paix, en elle-même est relativement illusoire.

Y'a des fois, je me demande si c'est vraiment possible, de la trouver.

Pas faute de la chercher, là, au fond.

En me disant qu'elle est sûrement ailleurs, en fin d'compte.

Ailleurs. Mais où ?

Kana a pas ces réponses. Et moi, j'ai pas toujours les bonnes questions.
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Tu cherches la réponse comme on cherche un objet, Michaela. Ce n'est pas le propos. Il n'y a pas de carte pour te donner l'emplacement de tous tes doutes. Et il n'y a pas d'armes pour t'en défaire. Il n'y a que toi. Les réponses que tu cherches sont forcément quelque part en toi. Et ça peut prendre des années pour les trouver, les comprendre, et les utiliser.

Tant que tu n'auras pas creuser plus profond, tu ne t'en sortiras pas.


C'est un paradoxe, non ? Si je creuse, je vais pas pouvoir remonter.

Certes.

Mais tu trouveras peut-être une autre issue.
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Je crois que j'ai compris.

Ou je crois comprendre. Ça fait des jours que je cherche la réponse, en oubliant le reste. Ce matin, en me levant, j'ai eu une pensée pour l'équipage. La première depuis des lustres. J'ai tenté de me rappeler les yeux perçants d'Alex, ou ma colère contre les jumeaux. J'ai pensé à Jack, et j'étais pas inquiète de s'il ruminait encore dans son coin, ou pas. Je m'en fichais. Ça m'a pas fait de peine. Puis, j'ai songé à Lia, et je me suis rendue compte que je sais pas à quoi elle ressemble, et que mes rêves sur elle sont de plus en plus flous. Aussi, qu'ils font moins mal, à force.

Quand je suis allée voir Kana pour le lui expliquer, j'ai été incapable de trouver les mots pour ça. Il aurait fallu que je lui raconte toute ma vie, pour qu'elle comprenne ce que ça impliquait. Et puis, sur le moment, je me suis dit « quelle importance ? ». Qu'est-ce que mon passé allait pouvoir changer à mon présent ? Rien. Ça fait des lustres que je me raccroche à des souvenirs que je peux même pas retenir, et des idées qui ont plus aucun sens pour moi, ou pour quiconque. Alors, lui expliquer quoi ? Que je viens de nul part, et qu'en fin de compte, c'est aussi là où je vais. J'ai pas de cibles, pas d'objectifs, pas de biens, pas de familles, encore moins d'amis. Aucun proche à qui tenir, et aucun but à atteindre. Seulement ceux des autres. Mais ça suffit jamais pour avancer.

Je me suis rendue compte que ça fait depuis longtemps que j'ai abandonné ma propre quête. Que d'une certaine manière, je l'ai enterré il y a des années. Mon deuil, malgré le creux qu'il y a toujours à l'intérieur, même si j'ai l'impression qu'il me manque un organe, un poumon, ou un rein, je l'ai fait depuis des années. Et je me suis consacrée à m'oublier au passage. A me transformer. A devenir bien différente. Je suis dure, sèche, et vide en mon sein.

La réponse que je cherche, elle existe même pas. Et continuer à fouiner changera jamais la donne. Y'a rien à trouver, en fin de compte.

Je sais aussi qu'il y a pas non plus de questions à tout ça...

Je voudrais rester.

En fait, je veux plus me poser de questions du tout. Elles m'empêchent d'être.
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Aussi longtemps qu'il le faudra. Et si ça se compte en années, tant pis. Les années, c'est tout ce que j'ai.
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Alors bienvenue chez toi.
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