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Dégelée

Décembre 1623 : Kage Berg, Base Marine, Entrepôt des archives, près du radiateur défectueux.

Une journée sous la paperasse, c'est une lutte contre des dragons modernes. Qui te consument d'ennui, te lacèrent d'accablement, n'ont de trésors planqués sous leurs fessiers que ton p'tit salaire de lieutenant pourri, et un vague espoir de dénicher les perles rares que l'on convoite.

... Hahaha. Encore une plainte pour tapage nocturne. Ça m'rappelle les folles nuits de Luvneel... J't'ai raconté ?

Un collègue bavard, c'est un preux écuyer qui s'acharne tant bien que mal à regonfler ton courage à la souffleuse, alors qu'il est et restera misérablement raplapla. J'ai l'aileron plié contre l'dossier d'mon bureau, bondé d'fourmis carnivores qui le ronge de l'intérieur, j'le sens plus. Ça fait bien cinq ou six heures que j'suis rivé sur une chaise. A la recherche d'un fantôme dans de vieilles archives décrépites.

... Ah ! Un autre mort. 1622 aussi, celle-ci.
Pourquoi elle serait reliée aux autres ?
... cimetière. Un mec bourré retrouvé en charpie à l'entrée du cimetière.

C'est vrai que j'crois pas au coïncidences, et qu'là ça en ferait une sacrément grosse. Dans ce monde, tout est entremêlé, sifflant et vibrant, comme dans une orgie de vipères; et pour découvrir les p'tits secrets sordides des gens, faut pas avoir peur de foutre la palme dans le sac de reptiles.

Alors, d'un côté, j'me demande si ce lieutenant coincé dans son âge pré-pubère, criblé d'un acné disgracieux et le dos déjà brisé comme s'il portait le fardeau de soixante années, j'me demande s'il aurait pas eu l'instinct de chasse plus affûté qu'celui de nos supérieurs, pour une fois. Sept. Ils sont sept à être morts à Gap Island, une région paumée dans un des nombreux trous du cul de West Blue. Pas de marine, pas de réelle loi, si c'n'est celle d'une milice affable qui n'collabore avec le gouvernement mondial que sous la menace d'envoi d'une garnison sur ses terres. Une milice affable mais pas bien efficace, qu'on dirait. Sept morts, SEPT, qui restent affaires irrésolues, toujours en cours, mais un manque absolu de témoins et de circonstances.

Sept morts, alors ?
Huit, en comptant celle-là. Mais y en a p'tete eu beaucoup plus, Gap Island transmet pas la moitié de sa paperasse réglementaire à la marine. Paraît qu'ils pensent qu'ils lui doivent rien.
Ça nous fait... un clodo... un retraité... un môme... un abonné aux alcooliques anonymes... un clebs... un toxico... un autre clodo... une fermière...
Ouais ?
Bah, j'vois pas l'rapport. C'comme si on avait un spectre qui fauchait un peu n'importe qui, n'importe quand, n'importe comment. La seule constante, c'est l'cimetière. On les retrouve dépecés à l'entrée du cimetière. Pourquoi ?
... tu crois qu'le commandant accepterait qu'on fasse un tour sur Gap Island ?
Pour partir chasser le loup dans les contrées barbares ? Nan, jamais.


Janvier 1624 : Gap Island, Sleepy Hollow.

Il a accepté.
Frangin serait fier de moi s'il savait. Que j'partais à la recherche d'un tueur en série, d'un vrai de vrai. Du style charcutier, qui semble confondre le cimetière local avec une zone de non-droit, qui crée des morts juste à côté du coin où on les enterre, pour faciliter le boulot aux fossoyeurs. Bizarre, Tark, hein ? Que les locaux aient pas encore réussis à coincer c'type. Un taré sanguinaire ça doit dénoter, au milieu d'un motel pour macchabé.

Car Sleepy Hollow est l'un de ces bourgs un peu minables, mais authentiques. Mais minables tout de même. Encerclé de sous-bois hibernants, incrusté dans le creux d'une île pas bien aguicheuse, le village hors-du-temps, hors de la vie, hors d'atteinte du moindre pirate qui capitulerait rien qu'au fumet de bouse réfrigérée levé par la coquette Mère Nature en robe blanche.
J'ai l'impression d'm'être fait happer par un vieux polar couplé à un soupçon d'horreur, tant le glauque enguirlande cette cité morte-vivante. C'aurait été un coup à confondre le centre-ville avec le cimetière, ouais.

J't'ai pas souhaité la bonne année, en fait, poiscaille !
J'sais pas si c'est le moment.

Frank à mes côtés. J'suis son Watson, ou il est l'mien. J'sais pas encore.

Les glaciales caresses du vent hivernal dans la nuque, couplées aux frissons de rigueur face à un sordide patelin qui n'semble pas nous apprécier nous voir, débouler en grosses bottes de soldats mandatés sur leur gravier gluant, dans leur tanière rupestre qui doit pas compter plus d'mille âmes qui vivent, dont le tiers en bovins. M'suis fais beau, j'ai chouchouté mon affreuse enveloppe charnelle pour l'occasion. Parce que l'hybride squale humanoïde de la maison part pas gagnant dans la conquête des coeurs paysans, naturellement. J'retrouve cette bonne vieille angoisse tandis qu'les regards suspicieux des quelques lèves-tôt viennent éroder ma fine carapace de fierté. Oh non... Cette bonne vieille angoisse qui me flanque un miroir devant les globuleuses en me hurlant : "ILS T'IMAGINENT EN BOUILLABAISSE" !

Et le Frank, à la sociabilité débridée qui bouffe à tous les râteliers, est aussi peu raciste qu'il n'est rassurant. D'une légèreté craignos, qui s'adapte pas à l'atmosphère oppressante.

Le chef de leur milice était censé nous rencontrer ici.
"Censé", ouais, c'est l'mot.
L'commandant leur avait précisé pourtant, qu'tu étais un homme-requin... On devrait être plutôt reconnaissable.
Ouais, ils se tromperont pas de cible.
Dis pas ça, j'suis sûr qu'ils sont sympas. Z'ont pas l'habitude de recevoir des étrangers, voilà tout, je... Hm. On voit ton slip.
Merde...

J'comprenais pas comment le froid se faufilait jusqu'à mon entrejambe. Maintenant, je capte. J'remonte mon froc, peste un coup contre ma ceinture amputée d'sa boucle. Mon uniforme de lieutenant est une ruine, qu'a plus connu la laverie depuis bien six mois.

J'ai les écailles gercées par un thermomètre qui doit déplorer son mercure congelé. Notre taxi, le bateau postal, nous a largué ici à six heures du mat. A sept heures, on a enfin trouvé l'village après nous avoir bouffé dix kilomètres de verdure inutile, saupoudrée d'neige, bien sûr, histoire d'nous scier les pattes. Huit heures, on devait serrer la pince au gourou de la police locale sur l'unique place de la zone, devant un bar délabré aux volets couverts de planches, avec un menu tirant la gueule qui s'efforce de vanter les spécialités locales. Et là... Il est neuf heures.  

J'vais faire un tour. Aller repérer l'cimetière.
Eh... Tu vas poser un lapin à leur chef de milice ? C'est comme blouser un amiral ! ... 'fin, ça doit être équivalent chez eux...
A partir d'une heure de retard, j'appelle plus ça "poser un lapin". Et j'suis pas sûr de faire un joli panneau publicitaire pour la marine... Il risquerait de croire que c'est moi l'tueur et me flinguer à vue.
Ton den den ! Tu m'appelles quand t'as trouvé !
Ouais.
Sois prudent !
J'ai pas peur des fantômes.

J'm'éloigne d'un pas galopant, pas envie de traîner, ça limitera la proba que l'dictateur du coin ne choisisse cet instant-là pour apparaître comme par magie au coin d'la rue, le genre de rencontres en fanfare que ma poisse aime m'envoyer dans la face. Hihi. "J'ai pas peur des fantômes". C'est plutôt une jolie sortie, ça. J'écarte sans vergogne la piste surnaturelle. Ma p'tite théorie personnelle, la première connerie qui me vient en tête lorsque j'imagine quel genre de bestiau peut se farcir des proies isolées à l'orée du bois d'un trou rural ? Grand méchant loup. Et j'ai du mal à m'sentir chaperon rouge avec un museau pareil, dans ce foutu conte.

Un vieux panonceau défroqué pointe le cimetière, symbolisé par une mignonne petite croix grise. Art incompris bouffé par le moisi, moisi lui-même léché par le gel. Les prédateurs manquent pas dans la région. J'laisse pas l'temps au moteur de refroidir, j'accélère la cadence sur un sentier de terre détrempé, qui fuit le village pour partir visiter les sous-bois. Flotch, froutch, par intermittence, tandis que mes semelles se scotchent à la boue, et qu'les râles dans les pâtés visqueux que je froisse deviennent la seule trame sonore à l'horizon.

Le temps passe lentement. Les minutes se traînent, les heures ont la flemme. P'tete la léthargie de l'hiver qui déteint sur ma montre ?
Le silence fait partie intégrante du décor. C'est le sang de l'ambiance. Et mes toussotements sont comme de terribles hémorragies.

Keuf ! Keuf ! ... Eeeerk.

Sûrement un rhume.
Bon.
Grand méchant loup, j'ai trouvé ta morgue. L'entrée du cimetière, cimetière de campagne. D'une sobriété quasiment malveillante, un dépotoir de cadavres vulgairement enterrés six pieds sous terre. Et c'est une minuscule barrière de la taille d'un môme qui sépare le désert des vivants de celui des morts. J'm'appuie dessus pour souffler, un instant, les poumons réclamant une petite trêve. Ils incendient ma poitrine, mon esprit fait d'même avec ma caboche. Crapahuter trois heures en bonne compagnie, le Frank bavard et la nature froide, après une nuit de sommeil agitée d'une étrange appréhension. Déjà crevé et las, alors que la journée n'fait que commencer.

Le soleil rejoint tout juste son ciel. Il est blanc, comme le cimetière. Une fine couche de copeaux de neige, couverture sous laquelle les zombies dorment probablement. Un calme religieux, que j'me sens coupable de profaner d'mon intrusif et bruyant petit den den bicolore aux grandes dents.  

Pulu Pulu Pulu
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Gap Island, Sleepy Hollow, 1624

Tu ouvres les yeux, alors que l'aube point. Tu n'as encore dormi que quelques heures. Ce n'est guère raisonnable. Ton corps viendra bientôt à t'en tenir rigueur en t'imposant d'avantage de contraintes. De limites. Tu devrais cesser de garder cette tombe. Tu devrais cesser de tant t'en vouloir. Ce n'était pas ta faute. Tu n'as pas à porter toutes ces responsabilités. Tu n'as pas à rester là à longueur de journées. Tu devrais comprendre que tu es libre. Enfin libre. Que tu as enfin été débarrassé de tes chaînes. Que tu peux faire ce que tu veux de ta vie désormais. Alors pourquoi ? Pourquoi t'entêter ainsi ? Ne vois-tu pas l'avenir qui pourrait se dresser devant toi ? Tu as déjà commis trop d'erreurs mon ami. Alors cesse. Cesse de rester ici, en bon chien de garde. Cesse de gaspiller ton temps, l'arme à la main, à massacrer des innocents. Ne te laisse plus aveugler ainsi. Combien d'hommes, combien d'individus as-tu donc pu liquider sans raisons valables ? Sans autres prétextes que celui de les avoir vus approcher de cette tombe que tu couves ? Beaucoup. Trop même. Beaucoup au village prétendent qu'un spectre rôde dans ce cimetière, et qu'il massacre ceux qui viennent s'y aventurer. Les rumeurs courent vite. Les cadavres se sont amassés. Et tu ne t'en es jamais soucié...

Mon ami. Il va te falloir partir. Tu vas finir par être forcé de quitter ces lieux, que tu le veuilles ou non. Tu ne le sais pas, mais les bruits sont allés courir loin. Ils se sont répandus. Tu n'es pas en sécurité. Si les gens apprenaient qu'un ancien esclave, ayant perdu son maître, s'amusait à tuer les citoyens au hasard de ses coups de lame, tu ne ferais pas long feu. Les chasseurs et la marine viendraient pour toi. Et seul, que ferais-tu ? Pas grand chose. Tu te ferais capturer. Ou bien tuer. Mais tu ne le vois guère. Tu ne t'en rends pas compte, et pourtant le danger te guette. Il ne tardera pas à te tomber dessus. Et pourtant tu restes là, à méditer devant cette tombe. Tu respires doucement. Tu sens la douleur te traverser au moindre mouvement. Ta blessure récente te fait encore souffrir. Elle a dû être mal traitée. Tu aurais du être plus précautionneux de ce point de vue. Tu grimaces au moindre mouvement. Alors tu minimises tes gestes. Tu tentes de faire le moins d'efforts possibles. Mais la douleur est là, bien présente. Tu as beau t'y être habitué, tu n'aimes pas ça pour autant. Tu te rappelles du fouet, des écorchures, des plaies laissées béantes sans jamais être traitées. Tu as grandi, et vécu avec cette douleur. Elle ne te fait plus peur. Elle t'affecte, mais tu feins de l'ignorer.

Tu essaies de t'étirer. Lentement. Laborieusement. Tu fais les mouvements les plus lents possibles, grognant à cause de la douleur. On dirait presque une bête sauvage à te voir ainsi. Tu ne frissonnes pas sous le froid. Tu te contentes de soulever des petits nuages de vapeur blanchâtres à chaque respiration. Et tu finis par te lever, pour aller faire ta ronde. Tu remues tes doigts engourdis pour éliminer l'effet du froid et du gel. Tu grimpes, et prend appui sur le mur encerclant le cimetière pour te propulser vers une branche. Tu grimaces en te rattrapant. Foutue douleur. Mais tu grimpes tout de même, allant te percher là-haut, silhouette sombre et massive au milieu des branchages morts. Tu t'accroupis sur la branche, balayant la zone du regard. Rien. Ou presque. Tu retiens ta respiration. Tu fermes les yeux. Tu écoutes. Tu tends l'oreille, ayant cru percevoir un mouvement. Tu te figes, tentant de capter le moindre bruit. Et tu finis par rouvrir les yeux, te raidissant sur ton perchoir. Quelqu'un vient. Tu restes aux aguets. Tu balaies la forêt du regard. Jusqu'à le voir. Cet inconnu. Cette espèce de chose, humanoïde, sans réellement l'être. Tu as l'impression de voir une tête de requin sur un corps d'homme. Il est seul. Tant mieux. Il ne t'inspire en rien confiance. D'autant que son uniforme veut bien dire ce qu'il veut dire. La Marine est dans le coin. Les gens commencent à comprendre que ces meurtres sont perpétrés par quelqu'un.

Tu fixes le type. Tu le regardes avancer. Tu restes immobile. Tu ne veux pas faire de bruit. Tu te demandes s'il l'entendra si tu bouges. Probablement. Il n'est pas humain. Il est probablement plus. Alors tu sors doucement ta lame de son fourreau, te préparant à l'attaque. Tu sais qu'il y danger. Qu'il ne doit pas être un simple soldat. Mais tout de même. Tu ne peux pas le laisser approcher. Protéger. Tu dois protéger. C'est tout ce qui t'importe. Tu fermes les yeux. Tu te concentres. Tu cherches déjà où frapper. Tu dois être patient. Encore un peu. Tu dois le laisser approcher. Le laisser se concentrer sur autre chose. Jusqu'à entendre une sonnerie. C'est le moment. Tu t'élances sur la branche suivante, puis sur l'autre. Il a probablement entendu le son des branchages qui craquent. Mais il est trop tard pour lui. Un poil trop tard. Tu prends un brusque appui sur la dernière branche. Tu grimaces. Tu n'avais pas tout évalué. Ta blessure n'est toujours pas guérie. Ton élan n'est pas suffisant. Tu vas le rater. De peu, mais tu es trop court. Tu le sais. Et tu t'écrases à quelques pas de lui, ta lame tranchant l'air à quelques centimètres devant lui. Tu hurles en te ramassant comme une merde. Bordel. T'es mal là. T'as plus l'effet de surprise. Va falloir assurer. Alors tu hurles. Comme une bête. Comme un animal déchaîné. Et tu shootes dans la poudreuse, projetant des flocons de neige dans sa direction. Dommage que ce ne soit pas de la poussière. Mais ça devrait aller.

Et tu t'élances, le visage déformé par la rage. Tu te jettes sur lui, sans aucun contrôle sur ta personne. Tu agrippes ta lame à deux mains, pour frapper. Pour tuer.
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Ça a filé en un courant d'air sifflant à quelques poils de cul de mon cou.
Mon den den part gober la poudreuse; ses faux crocs de squale ricochant sur la glace.
Mes poings s'arment d'eux-mêmes mais mon esprit végétatif est encore englué dans ses réflexions nébuleuses. Et j'ai pas l'temps de détailler son identité qu'il est déjà sur moi, à ventiler devant moi, de son sabre, de sa hargne, d'une frénésie inexplicable, comme si j'avais buté sa famille, ses amis, son épicier, qu'est-ce que j'en sais, un clodo en haillons, aux globuleuses gonflées de rage.

J'recule et ondule, j'campe ma garde. Le temps d'penser au mot "rapide", que déjà trois estocs m'ont longés le flanc. Sa lame vient ébrécher mon manteau, qui pisse de la peluche en s'déchirant. Mon instinct me murmure que l'infime résistance à laquelle il va se heurter en perçant ma cape va lui bouffer une micro seconde dans laquelle j'pourrais m'engouffrer pour une riposte.

Mes phalanges courent plus vite que son fer, s'enfoncent grossièrement dans son épaule. Il recule, hennissant, tandis qu'mon oeil distrait constate ma chance. J'entendais ce bourdonnement, de l'épée qui se faufile à travers l'air à la recherche de la chair. Mon biceps est entrebâillé, une petite plaie commence à pleurer des perles de sang en silence, un picotement s'y prélasse. Ce taré aurait pu m'trancher le bras, je suppose, j'veux dire, ça aurait pu arriver. En y songeant, mes entrailles s'entortillent, mes crocs s'arriment à mes lèvres. Mais j'ai toujours la palme attaché, et mon sang bouillant reste au chaud sous ma viande. Tout va bien.

Il continue à hurler, une volée d'piafs paniqués s'envolent au ciel comme un seul. J'perçois moins de haine dans son cri, alors qu'il reprend son assaut désespéré. D'la douleur. D'la folie. Une soupe ignoble d'émotions violentes qui se déversent dans des torrents de décibels. Ça me frappe. Dans ses gestes, son regard, sa voix enrayée et caverneuse, jamais vu un humain aussi peu humain. L'impression qu'un tigre vient d'me bondir dessus. Sa longue griffe me voltige sous l'museau, il arrive à m'effleurer, une fois, à me tracer une ligne écarlate au-dessus des crocs, la seconde fois, mes naseaux se compriment au fumet de leur propre hémoglobine. L'a suffit d'une ou deux de ces éternelles minutes pour affoler la température.

Qui-es-tu-?

Le souffle de mes poumons crevés se perd dans ses beuglements. C'est affronter un cas d'possession, un diable enfermé dans un corps décrépit de clochard, qui bondit hors de sa boîte propulsé par un ressort de pur haine. Pourtant, il suinte la souffrance. Il a son bras moins assuré qu'avant d'se recevoir mon poing. Un tigre de verre, le briser en une pichenette.

Et ma pichenette est un genou qui s'impose dans son bide, tandis que son épaule grinçait. Ma force parle pour moi, ma force terrée en mes muscles, celle que j'oublie parfois tant qu'elle contraste avec les guimauveries qui s'accumulent dans mon coeur, et les averses de larme dans mon crâne.

Elle le fait valdinguer, ma force, et cracher un peu d'tripes. Des étoiles de sang constellant le blanc manteau. Il atterrit sur ses pattes après avoir rebondit deux ou trois fois dans la poudreuse, et dans les nuages de flocons, il se redresse comme un félin, tandis qu'ses pupilles se gorgent d'une bizarrerie primale. Une genre de crainte. Une crainte épaisse, rude, aussi brute de décoffrage que celle que devait traîner les caverneux il y a des millions d'années. La bestiole craint pour sa vie, autant qu'moi, durant un instant, j'ai eu peur pour la mienne. Il bondit, et décampe. J'arrache mon den den aux glaciales serres de la neige, tout en invoquant c'qui me reste de souffle pour repartir au quart de tour.

Bien c'que j'pensais. De la chasse. Chasser un loup, chasser un fou, peu importe. Un rapport que j'connais trop bien, qui m'entraîne dans les plus bas tourments. L'heure de jouer au funambule sur la frontière qui sépare la proie du prédateur. J'sais pas encore trop c'que j'représente, pour lui.

Craig ! Qu'est-ce que tu fou...
Je l'ai trouvé. J'le prends en chasse. Raccroche pas.
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Tu serres les dents. Tu grognes, aux aguets. Tu guettes ses mouvements. Tu te prépares pour riposter à tout instant. Mais tu n'es pas dans ton meilleur état. Tu es faible. Tu as déjà accusé un coup, et tu ne fais pas le poids. Il te suffit d'un coup. D'accuser un unique coup pour sentir la différence. Tu voudrais esquiver. Mais tu sens la douleur te traverser. Rapide. Fulgurante. Un énorme impact qui vient s'écraser contre ton estomac. Qui vient le broyer. Et tu voles. Littéralement. Tu pars t'écraser dans la poudreuse, soulevant quelques flocons. Tu sens la douleur. L'impact qui semble s'éterniser. S'étaler dans le temps. Tu grimaces. Tu tousses. Tu craches. Tu vois le parterre blanc se tacher de pourpre. Tu voudrais pouvoir te plier en deux. Hurler de douleur. Mais tu ne peux pas. Tu n'as pas le temps. Le danger est là. Ici. Maintenant. Tu dois partir. Vite. Tu te roules dans la neige, te redressant rapidement, boitant légèrement, pour partir en trombe vers les bois. Tu cours. Tu cours à perdre haleine. Tu dois t'écarter du danger. Tu dois l'écarter du cimetière. De la tombe que tu gardes. Tu sors une boite de ta poche, en jetant grossièrement le contenu dans ton gosier. Tu les mâches à peine, alors que tu continues à courir à travers les bois.

Tu sens rapidement la douleur s'estomper. Tu sens les drogues faire leur office. Tu sens la rage remonter en toi. Ta perception du danger semble s'envoler. Pourtant, il est là, cet homme poisson. Il ne t'a pas broyé l'estomac par hasard. Sa force n'est pas un fruit du hasard. S'il te frappe de nouveau, tu le sentiras passer. Tu devrais agir avec prudence. User de ruse pour le vaincre. Mais non. Tu te limites à la force. A la puissance brute et destructrice. Tu as beau dire de lui, toi non plus tu n'es guère humain. Tu es plus bestial qu'autre chose. Plus animal que lui ne peut l'être. Et pourtant, tu t'entêtes. Tu continues à t'enfoncer dans la violence irréfléchie. Et tu bondis, prenant appui sur une branche épaisse. Tu connais ces bois, à force d'y traîner. Tu te sens énergisé. Comme si la douleur et la fatigue s'étaient dissipé. Tu sais bien que ce n'est qu'une illusion. Mais tu n'as guère le choix si tu veux lui tenir tête.

Tu t'élances à travers les branchages. Tu prends un peu de hauteur. Juste un peu. C'est l'affaire d'un mètre, voire un mètre cinquante. Tu fais un dernier bond, avant de pivoter brusquement sur ton appui, te propulsant alors que tu te retournes. Tu repars en direction du danger. En direction de ton adversaire. Bête contre homme-poisson. Tu n'y peux rien. Tu ne réfléchis pas à ce que tu fais. Tu agis instinctivement. Tu as senti le danger. La menace. Mais tu as envie de t'y frotter. De l'affronter. Quitte à mourir. Quitte à y laisser ta peau. Tu es comme un animal qui défend son territoire. Comme une bête sauvage qui se jette à la gorge de l'espèce qui vient l'envahir. Alors tu cours. Tu cours vers le danger, inconscient que tu es. Tu cours vers ta perte, trop diminué pour tenir un autre échange de coups aussi violents. Mais c'est plus fort que toi.

C'est comme si ta vie n'avait plus de sens. Comme si tu n'existais plus que pour tuer. Que pour protéger ce vestige de tombe. Tu n'es plus rien d'autre que cet instinct. De destruction. De protection. Rien d'autre ne te motive. Rien d'autre ne te meut. Et tu prends à nouveau appui sur branche, te propulsant vers le sol, prêt à trancher dans le vif, alors qu'il approche. Tu veux le surprendre. Tu veux comprendre sa force. Comprendre ce qu'il est. Et tu frappes. Trop tôt. Trop vite. Tu fends l'air de nouveau, t'écrasant dans la neige. Tu as cessé de hurler. Tu accuses le choc de la réception. Seules vos respirations haletantes viennent briser le silence. Mais tu ne sens pas la fatigue. Tu ne te rends pas compte que ton état est trop déplorable pour que tu puisses te battre correctement. Et tu lui tournes autour, en garde. Comme un animal guettant sa proie. Sans réel but. Juste cette envie absurde. Ce besoin de tuer.
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Devant le cimetière, ramenez vous. Vite. Un clodo brun enragé.

Over. Pas réellement le temps d'décrire ces relents de sueur ensanglantée qui envahissent les alentours. J'raccroche, tandis que de nouveau, le forcené menace de m'écharper de près. De retour, roulant dans la poudreuse, ses mirettes injectée d'un sang nouveau, sa trouille l'a maintenant complètement désertée. Il se laisse volontiers lacérer par les griffes de la folie, il en redemande.

En pas chassé, il trace un cercle autour de moi, me tournoie autour comme une hyène hystérique contemplant sa tendre gazelle. Une rage aveugle qui lui cale de gros nuages noirs devant la vision, un orage de haine, une tempête que j'm'explique pas qui l'empêche d'entendre que sa gazelle est bardée d'crocs, d'une poigne ferme. Et d'aucune envie d'larguer son existence de cette manière.

J'préfère traiter avec les tueurs plutôt qu'avec les fous. Toi, t'es un tueur. Acharné, mortel, vif. Mais prévisible, t'es qu'une porte bien fermée. Faute d'avoir trouvé la clé, j'dois te défoncer. 'fait longtemps qu'les démons dans ton genre ne m'encrassent plus de peur. J'ai vaincu bien pire, j'ai vaincu des invisibles écarlates, des homoncules de béton et d'ferraille, des toxicos flingués par leurs amours, des défections des pires asiles des blues, j'l'ai est vaincus, parfois sans les mains, j'utilise leurs trophées pour décorer mon intérieur d'un soupçon de fierté. Alors, un tigre aux crocs limés ? Tu crois m'intimider ? J'suis pas comme tout ces pauvres types que t'as coupé en rondelles.

J'te conseille pas. Si tu sais c'qui est bon pour toi...

J'ai la confiance du survivant, qu'a, durant cinq ans, bondit d'sévices en sévices, d'humiliations en humiliations, comme une p'tite puce sur une série d'clébards enragés. Il sait pas c'qui est bon pour lui, a aucune idée de c'qu'il devrait faire pour m'éviter d'me salir atrocement les palmes ! Alors il me ressaute dessus, sa hargne cause dans sa lame, qui vrombe encore sous mon pif et devant mon torse. Comme s'il attendait quelque chose de moi, quelque chose d'hideux et rabaissant, comme s'il voulait que j'le bute, que j'bâcle la fin du bouquin d'sa vie d'un gros et baveux poing final.

Pourtant, j'aurais pas besoin d'le buter pour l'empêcher d'continuer à empiler les victimes, ce tordu. Si j'retrouve encore une faille. Dans sa. Tornade hurlante. J'pourrai à mon tour l'étaler d'une seule bourrasque. Il a les mirettes gonflées, encore plus, les veines sorties comme des canyons sur sa peau aride. Ses gestes sont moins précis qu'tout à l'heure, mais plus vifs, furieux. J'ai l'impression d'me faufiler à travers une grêle de pointes, et, plus fort que moi, un frisson me sape le courage, j'recule.

Je dois devenir artiste des phalanges dans la tronche qui peint avec du sang, et lui refaire le faciès façon cubisme. C'est bien l'abstrait, les tâches de chair et les délires tordus qui sont l'avenir de ce foutu monde, j'y suis résigné. Ah, si j'avais une putain d'arme, moi aussi ! J'aurais pas à chercher l'instant pour lui caser un pain dans son moulinet d'fer, c'qui équivaut à peu près à essayer d'rentrer un doigt dans un ventilo sans s'le faire manger.

Pourquoi tu les as tués ?

Ces innocents. Faiblards. Surpris. Errants. Proies. La chair à canon, les figurants. Ceux dont la vie n'sont que minuscules flammèches dans un univers cruel squatté par un ouragan hurlant. Faciles à éteindre, faciles à buter. Pourquoi s'en prendre à eux ? J'dis pas, y a des milliers de raisons palpables. Les lâches qui ne parviennent pas à contrôler leur existence, souvent, s'acharnent à s'emparer de celles des autres. Un inlassable cycle. Est-ce que tu fais partie de ceux qui l'alimentent, beau brun ?

Ils étaient faibles ? Ça te plaisait ? Ça t'occupait ?

J'ai un lourd poids sur le coeur qui m'empêche d'me concentrer sur une contre-attaque pas trop bancale. Alors, c'est par les mots, armes bien dérisoires face à ce pantin muet mue par la haine, que je riposte.

Quoi ? Tu as aussi peu de langue que de couilles ?

Ce lourd poids qui me pèse régulièrement, tandis qu'à chaque mission j'avale un peu plus de misère, de folie et de terreur, ces émotions noires qui s'débattent en moi comme arrivées à maturité.

Ton père te matraquait, p'tit ? Ta mère s'est faite buter par un collègue ? Ton clebs est mort de froid ?

Il reste de marbre, les artères si brûlantes que j'me demande si elles pourraient pas servir de radiateur des fois. Il se paye le luxe d'un long et prodigieux estoc, mais ce n'sont pas quelques jolies bottes qui le tireront de ce poing que j'engouffre dans sa garde, à destination d'son pif.

Alors, c'est quoi ta raison à toi, fumier ?
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Tu l'écoutes à peine. Tu ne perçois presque pas ses mots. Il a beau parler, tu ne prêtes pas attention. Tu perçois ses mouvements. Et tu frappes. Encore et encore. La rage a submergé ton esprit. La tempête gronde dans ta petite tête. Et serres les dents, pourfendant les airs de ta lame. Tu as beau frapper pour tuer, tu le manques à chaque fois. Tu ne comprends pas pourquoi. Et ta rage s'amplifie. Tu t'entêtes à vouloir le tuer. Ou au moins le toucher. Tu ne sens pas les gouttes de sueur perler à grosses gouttes sur ton visage. Tu t'élances de nouveau. Trop enragé pour le surprendre. Trop perdu dans ta colère pour l'atteindre. Il y a bien longtemps que tu as perdu ton sang froid. Que tu as perdu ce duel. Mais tu frappes. D'estoc. De taille. De toutes part. Les drogues ont endormi ta perception de la fatigue et de la douleur. Et tu frappes. Sans t'arrêter. Pour le trancher. Pour le briser. Il est une menace. Et tu dois l'éradiquer. Comme tu l'as toujours fait. Comme tu l'as toujours fait, si méthodiquement. Si mécaniquement.

Mais il t'échappe. Il glisse entre tes coups. Tu as beau t'échiner, tu n'y arrives pas. Alors tu recules d'un pas. Et tu bondis en avant. Dans cette attaque suicidaire pour tenter de le transpercer. Mais tu le rates. Encore. Tu vois la riposte arriver. Tu vois le poing qui vient s'écraser sur ton visage. Et il est déjà trop tard pour parer. Il te semblerait presque voir le temps se dilater. Tu sens ton visage bouffer cette magnifique salade de phalanges. Tu sens l'os et le cartilage grincer, gémir, pour enfin craquer. Tu recules sous le choc. Tu titubes, portant une main à ton visage. Tu te frottes la joue du dos de la main, essuyant au passage le sang qui commence à couler de ton nez. Tu sens l'odeur de fer qui envahit ta narine libre. Tu sens le liquide pourpre couler dans ton orifice nasal. Tu renifles une première fois, avant de laisser tomber l'idée. Tu n'en mourras pas. Mais tu grognes. Tu as saisi ses derniers mots. Et tu marmonnes.

    Protéger. Je dois le protéger.


Tu te parles d'avantage à toi même qu'autre chose. Mais tu serres les poings. Tu assures ta prise sur ta lame. Tu l'observes. Il semble si calme. Nettement plus que tu ne pourrais l'être. C'est pour cela qu'il te domine. Qu'il t'écrase si simplement. Le mental fait toute la différence. Mais tu ne t'en rends pas compte. Tu sais juste qu'il est une menace dans l'état actuel des choses. Une menace pour la quiétude de ton maître. Mais aussi pour ta vie. Tu dois faire un choix. Tu ne pourras pas préserver les deux. La réflexion ne te prend pas longtemps. Si tu perds. Si tu te fais capturer. Si tu venais à disparaître... Alors il n'y aurait plus rien ni personne pour le préserver. Le choix devrait être simple. Tu devrais laisser tomber cette lutte absurde pour t'enfuir tant que tu le peux encore. Tu devrais courir et tenter de sauver ta peau. Un abandon temporaire pour revenir par la suite.

Mais tu hésites. Tu t'es enchaîné à cet endroit. A ces sentiments. A cette amitié. Tu étais esclave. Et tu l'es resté. Cela fait bien longtemps que tu aurais pu reprendre ta liberté. T'enfuir. Mener une nouvelle vie. Mais il a fallu que tu t'attaches. Que tu apprécies cet homme. Que tu deviennes son ami. Son loyal serviteur. Fidèle au point de rester pour protéger sa sépulture. Pour couvrir son repos. Trop stupide pour abandonner ton poste. Trop fidèle pour partir. Tu es comme un animal. Comme un chien de garde, lié par une sorte de loyauté indéfectible à son maître. Juste une bête restée devant la porte. Une bête à qui on a dit de protéger, et qui protège. Zélé à l'excès au point de poursuivre ta besogne alors que tu ne le devrais plus. Mais incapable de prendre des décisions. Incapable de penser par toi même. Tu as été abandonné par tes maîtres, et tu n'as plus d'ordres à suivre. Alors tu t'en tiens au dernier qui te fut donné. Protéger. Mais et maintenant ? Tu es impuissant. Incapable de mener à bien cette mission qu'on t'avait confiée. Encore une fois.

La rage est retombée. La fièvre du combat s'est estompée. Mais c'est une nouvelle tempête qui souffle dans ta petite tête. Que faire ? Tu ne sais pas. Tu serres ta lame, crispant ta prise au point de sentir ta main trembler autour de la poignée. Tu n'as pas de réponse. Pas de solution. Tu voudrais hurler. De rage. De désespoir. Mais tu n'y arrives pas. Tu trembles de rage. Et tu finis par lui tourner le dos, partant en courant vers la forêt. Tu lui jettes un regard qui semble le défier. L'enjoindre à venir t'attraper, si tant est qu'il en soit capable. Mais tu te rassures simplement en faisant cela. Tu essaies de te mentir. De ne pas voir la vérité. Mais tu fuis. Tu préfères t'écarter. L'écarter. Prendre du recul. Réfléchir un peu. Aviser. Voir ce dont tu es capable. Ce que tu peux faire ou non. Si tu es vraiment capable de le protéger comme il se doit. Comme tu aurais du le faire.
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Protéger. Encore un prétexte gluant qui t'accroche au monstre que t'es devenu.

Craig !

Frank qui choisit cet instant-là pour débouler et me grappiller des secondes. Loin d'être seul, il rameute non seulement un espèce de gorille en salopette à l'air hargneux sur lequel j'pose aussitôt le rôle de leader de la milice, mais aussi une cohorte de villageois ronflants soulevant leurs fourches, leurs faux et de vieilles lames, de fusils et de tromblons a l'air aussi fiables qu'un canon bouché.

Alors, l'avez trouvé, ce salopard ?
Barrez vous, on va s'le faire !
C'est lui qu'a buté Christine !

Le ciel est blanc et nous encercle de nuages lourds. Quelques flocons se risquent à chuter parmi cette bouillante populace assoiffée de vengeance. Frank qui hausse ses épaules gênées tandis que j'le questionne du regard, puis le troupeau s'élance dans la forêt, avant même que j'aie le temps d'modeler la mélasse qui m'repeint les parois intérieures pour lui donner une forme de parole compréhensible. Lâchez les chiens. J'crois qu'avec du recul, c'était évident qu'j'allais me prendre la justice des terres sauvages en pleine poire. La vindicte populaire qui piétine à la fois sa cible et la raison. La folie de la meute face à un loup déviant.

En moins d'une heure, l'espoir d'une revanche face à ce spectre palpable a consumé les coeurs engourdis par la glace. Un malsain électrochoc qui a ranimé un village comateux. En hurlant, ils s'engouffrent dans les sous-bois, organisent une battue un peu vulgaire dont la seule stratégie se résume en un "mort ou vif". J'crains l'pire, mais j'me l'avoue pas. J'essaye d'me convaincre que le nombre les sauvera.

Est-ce que tu l'as blessé, poiscaille ?

Le gorille râblé à la fourrure humide, approchant son haleine faisandée de mes naseaux contus. Ses bottes broient la neige, et son regard furax achève de fondre ma cervelle rabougrie par les sensations fortes et les effusions de haine. Encore une fois, ma voix n'ose pas dégouliner d'ma gorge haletante.

Ho ! Tu l'as blessé, tête de squale ?
Un peu. Je l'ai cogné. Il doit être sonné.
Cassez-vous, vous deux. N'a pas b'soin de la marine. Ce fils de catin est à nous, on l'connaît, il passait à notre tripot, il côtoyait nos gosses, il foulait nos vergers, il a souillé nos terres. On va décorer l'entrée du village avec la peau d'ce mouton noir, d'cette enflure.
Hmm. J'comprends.
Merci d'nous l'avoir délogé, même si j'aurais pu l'faire moi-même.

T'aurais pu l'faire toi-même, ah ? C'aurait été bien d'le faire avant qu'il ne décime le tiers de ton patelin pouilleux, tu trouves pas ? Vaniteux autant qu'mauvais ? C'est marrant, c'est comme ça que j'imaginais le gourou velu des autochtones, sa grosse voix puante de préjugés et de suffisance. Il me mate en grimaçant un instant, me jauge, me juge. Comme s'il passait devant une poissonnerie médiocre en se bouchant l'nez. J'me cale instinctivement sur les rails de ses deux globuleuses folles, comme pour m'prouver à moi-même que j'vaux mieux que toute la perversion ambiante qui s'terrait dans les recoins de cette île de dingues. Il me ventile une nouvelle fois l'museau d'un soupir crasseux, puis s'en va en guerre, sautillant comme un môme avide de vengeance.

Tu t'en es sorti, merde... J'ai eu la trouille quand on a perdu contact, j'ai...
Il est fort, ce taré. C'pas un amateur.
J'vois ça. Il t'a ouvert le nez... et le bras ?
C'est un espèce d'animal sauvage. Qui défend un territoire. Un frappé. S'il se sent menacé, il va massacrer à la pelle. J'l'ai pas assez amoché pour que ces types aient une chance...
Chier... J'ai pas pu les retenir. Ils sont tous devenus fous de rage, dès qu'ils ont entendus dire que tu avais trouvé une piste, ils ont pas arrêté d'me coller au train... et quand ils ont eu la confirmation de qui c'était, ils ont tous pané. Ça a fait qu'les enrager encore plus, on dirait qu'ils le connaissaient tous, ton "clodo brun".
Bon, j'suppose qu'on pouvait s'attendre à une histoire tordue du genre...
Ils le trouvaient bizarre, mais... mais pas méchant.
Ça va être un carnage.
Sauf si on le choppe avant eux !

Avec quelques longueurs de retard sur une horde d'arriérés patauds, on pénètre dans les entrailles des vieux bois enneigées, moi, harcelé par de valeureux picotements dans l'bras et sur l'museau, qui s'croient de taille à me faire flancher, mais surtout par un hideux pressentiment, la conviction que ce genre de sale histoire n'se termine jamais bien, qu'elle emporte chacun d'ses acteurs dans les méandres de la folie, comme un petit théâtre organisé par le diable sur cette île glaciale qui lui paraissait probablement trop calme. Et la nature, la pauvre nature, qui s'retrouve encore simple spectratice des tragédies humaines.

Qu'est-ce que tu peux bien protéger ?
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Tu entends les voix s'élever derrière toi. Tu reconnais de nombreuses voix. La plupart sont celles des villageois. Tu continues à courir. Tu gardes les yeux clos un court instant. Tu inspires profondément. De toutes façons, ils ne t'ont jamais aimé. Même lorsque tu étais encore au service de tes maîtres, on te prenait de haut. On te considérait comme une bête. Comme l'animal de compagnie de leur enfant. Tu étais seulement craint du fait de tes capacités physiques. Du fait que tu pouvais broyer la plupart d'entre eux par la force. Que tu n'étais rien d'autre qu'une bête de combat. Un animal de bataille. Comme si tu étais né et avait été élevé dans cette optique. Mais combien savent que le chasseur isolé dans leurs bois n'est autre que le petit esclave qui vivait au manoir des années de cela ? Personne. Alors que faire ? Les tuer ? A quoi bon. Tu pourrais les déchiqueter. Les lacérer. Mais pourquoi au final ? Tu es trop faible. Bien trop faible pour le protéger.

Tu étais déjà trop faible à l'époque. Tu l'as laissé se faire tuer sans rien pouvoir faire, sinon regarder la scène, désemparé. Désarmé. Incapable de quoi que ce soit. Et aujourd'hui ? Aujourd'hui rien n'a changé. Tu es impuissant face à ce type. Tu es faible. Faible au point de fuir ton devoir. D'abandonner ton poste. Tu voudrais rester. Rester et mourir à ses côtés. C'est ce que te hurle ta tête. Mais ton instinct te pousse à la fuite. Tu dois partir. Tu dois t'entraîner. Devenir plus fort. Pour revenir. Pour le protéger comme il se doit. Tu n'as guère le choix. Tu peux bien laisser ton orgueil de côté. Tu peux bien faire ce sacrifice. Tu le dois. C'est ça ou mourir. Ca ou laisser toute ton existence être vaine, en crevant sous les fourches des villageois, massacré comme un animal sauvage. Alors tu cours. Tu cours comme tu peux, laissant tes traces dans la neige. Leur laissant une piste pour te traquer.

Et voilà la neige. La neige s'invite à la partie de chasse. Mais tu es la proie. Ils sont les chasseurs. Et tu fuis. Tu cours. Tu t'éloignes le plus possible des cris et des sons de battue. Tu finis par reprendre le chemin des branchages. Par t'éloigner de nouveau du sol. Tu te diriges vers le village. Tu dois quitter les lieux. Et tu dois te dépêcher. Tu bondis entre les branches, alors qu'ils semblent ralentir derrière toi. Tu viens de faire disparaître ta piste au milieu des arbres. Le temps qu'ils réfléchissent et comprennent où tu es passé, et tu seras déjà loin. Tu progresses rapidement de branches en branches, jusqu'à arriver à l'orée de la forêt. Tu te stoppes, sur une des dernières branches suffisamment épaisses pour soutenir ton poids. Tu observes le patelin. Les quelques toits et les petites cheminées fumantes. Tu sens un vague sentiment t'envahir. De la nostalgie. Oui, c'est ce qui s'en approche le plus. Tu revois les images de ta jeunesse. De ces hivers passés au manoir. De cette ancienne demeure, si grande, si majestueuse, s'élevant seule à l'écart du village. Et l'envie de revoir ton ancien foyer, folle et soudaine, vient te saisir à la gorge. Tu devrais partir au plus vite. Mais non. Tu tournes les talons. Tu veux au moins revoir les vestiges une dernière fois avant de partir. Tu ne peux plus retourner au cimetière. Tu ne pourras pas lui faire tes adieux. Alors tu veux au moins déposer ta promesse là-bas.

La bête semble s'attendrir. Se faire sentimentale. Et tu prends le chemin des ruines, dont personne n'ose plus approcher. Tu redescends de ton perchoir, retrouvant rapidement le chemin de terre boueuse se recouvrant petit à petit des flocons immaculés. Tu entends les cris dans la forêt, plus loin. Tu as un peu de temps avant qu'ils ne retrouvent ta trace. Le temps d'aller te recueillir un court instant. Puis tu repartiras. Tu quitteras l'île. Pour de bon cette fois.

Tu arrives finalement devant la façade calcinée. Les cris sont toujours présents. Ils retournent ce bois, alors que tu n'y es plus. Ils ne devraient pas tarder à retrouver ta trace. Mais peu importe. Tu restes là, sans rien dire. Tu franchis le pas de la porte avec respect. Tu avances prudemment au milieu des décombres, des blocs de roche écrasés au sol et des poutres noirâtres qui traînent au sol. Tu fermes les yeux. Tu inspires profondément. Tu te sens plus calme. Comme apaisé par cet endroit. Et tu te tournes vers les portraits. Tu observes les visages brûlés qui couvrent les murs de ce qui fut un hall. Tu vas t'agenouiller devant l'un d'eux, sans entendre les cris se rapprochant dangereusement. Tu fixes la toile dévorée par les flammes, murmurant quelques mots à ton ancien maître.

    Navré... Je. J'ai foiré. Dans les grandes lignes.


Mais tu es stoppé par les villageois qui font irruption. Tu te redresses en un éclair, empoignant la lame que tu avais laissé traîner près de toi durant tes instants de recueillement.

    C'est lui !

    A mort !

    Ouais ! A mort ! Vengeons ceux qu'il a massacré !


Tu entends cette sentence de mort, reprise petit à petit par tous les membres du petit groupe de villageois. Tu te mets en garde alors qu'ils affluent, véritable marée humaine, tout juste contenue par cette petite goulotte qu'est le cadre de la porte. Tu serres les dents. Tu observes les lieux, une lueur de crainte dans le regard. Ils n'auraient jamais du entrer ici. Et dans ta bêtise, tu les a menés à ce lieu qui aurait du rester inviolé. Tu serres les poings. De colère. De dégoût. Envers toi même. Envers eux. Tu refoules cette envie de hurler. Tu voudrais les voir disparaître. Quitte à mourir, tant qu'ils laissent ces lieux comme ils viennent de le trouver. Mais tu sais bien que c'est impossible. Qu'une fois le seuil franchi, un seul sort les attend. Et tu sens un frisson te parcourir l'échine. Comme si les anciens propriétaires de ce lieu t'observaient. Comme s'ils jetaient sur toi un regard de mépris et de menace. Une menace bien plus lourde que ces pauvres hères avec leurs armes de fortune. Et c'est dans ce mélange de peur, de rage, d'appréhension et de colère que tu te jettes dans leur direction. Tu tranches dans le vif. Tu taillades ce qui passe à portée. Car ce n'est pas seulement sa tombe. C'est aussi son repos. C'est aussi son souvenir que tu dois protéger. Quitte à frapper. Quitte à tuer. Quitte à sombrer. Dans la haine. Dans la colère. Dans la folie. Dans ces accès de rage meurtrière.
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Ils sont tous rentrés là-dedans...

Une grande bâtisse, une carcasse de grande bâtisse, des ruines insalubres dont les fenêtres nous scrutent comme des mirettes de spectre, creuses et froides, et à l'intérieur desquelles le passé fait des siennes. Une allure de baraque hantée qui la transforme en un monstre bien hostile à mes yeux, mais comme la bête humaine s'est réfugiée là-dedans, et que naturellement l'escouade de chasseurs fous l'a bêtement suivi, on n'a plus d'autres choix qu'à notre tour nous engouffrer dans la gorge poussiéreuse du cadavre de manoir.

... grouillons.

Frank écoute pas ses blanches gencives qui claquent, d'un froid et d'un stress conjugués, l'hiver malmenant bien mes émotions frileuses à moi, idem. C'comme fouler un pays qui m'est interdit, la mémoire ancestrale d'un vieux continent qui m'a pas invité dans son intimité. J'me sens intrus, mais, eh, on restera pas longtemps, on abusera pas de l'hospitalité des ombres glissantes au-dessus du tapis de neige. Après tout, c'matin, c'est la totalité du village qui décide de secouer la nature endormie au pied de son lit glacial. Deux parasites de plus ou de moins...

Le collègue reste un peu comme un rémora, sous mes ailerons, me laissant crapahuter à la tête d'notre fin duo de justiciers improvisés -et en retard-.

AAAAAAAAAAARRR-Tu entends ces cris ?-HAAAAAA !

Oh oui. Ils s'engouffrent en moi, ces cris, cette affreuse mélodie de souffrance, couvrant jusqu'aux hurlements saccadés du forcené, jusqu'aux sifflements de sa lame qui doit se frotter à leur chair aussi frénétiquement qu'un archet sur un violon. Et ça me cogne sur les nerfs, ça m'les tend comme des cordes de pianos sur lesquels danse, danse ce fumier tueur de masse. J'ai une pensée pour l'arrogance crasseuse du chef de la meute, une pensée pas des plus courtoises. Il les a tous entraînés à la mort, ses "protégés" à lui, il a eu l'égo plus gros qu'le ventre, et la sonate sanglante qui résonne à l'intérieur de ce grand hall criblé de souvenirs noircis en est l'amer résultat. Et moi qu'ait pas su l'neutraliser tant qu'il en est encore temps, j'arrache ma propre part de culpabilité aussi, une part plutôt grasse et dégoulinante.

Cassez-vous, semblent nous crier les gueules brisées nous surplombant depuis leurs cadres mordillés par le feu, le temps et les termites. Trop occupés à expirer leurs dernières secondes, les paysans s'contentent de morfler en silence; mais n'en pensent pas moins. Une partie étendue dans la draperie de neige, rougissant les restes de tapis de leur honte et de leur sang, l'autre brandissant quelques jouets en direction du fou furieux. Mais leur haine à eux n'est qu'un léger clapotement sur une falaise érodée comparée aux ravages des flots de hargne déployés par le dégénéré, couchant un à un chacun des pauvres types aux côtés d'leurs comparses déjà tombés dans l'matelas de poudreuse filtrant à travers la râpeuse délabrée qui sert de plafond à la salle. Il bondit, il transforme le hall en sa jungle. Les lustres survivants lui servent de perchoirs, d'autant d'branches éphémères qui s'effondrent en pleurnichements cristallins sur le parquet tandis que ce genre de tigre-charognard fond sur ses proies depuis les airs. Mais merde, quelle espèce de bestiole es-tu ?

Dégagez ! On s'en occupe !

Il prend son courage à deux mains, Frank, même s'il menace clairement de lui glisser entre les doigts. Il dégaine sa rapière. J'peux que m'faufiler avec lui dans son initiative, et l'suivre dans l'assaut. Les moins obstinés du troupeau ont déjà du décamper depuis longtemps, n'doivent rester à nos côtés que ceux décidés à faire rimer existence avec vengeance; et qui croient percevoir des failles dans ce pif éclaté en chou-fleur glougloutant, cette mine éperdue et ce regard de clébard battu qu'nous présente l'aliéné. Bref. Restent les suicidaires. Et le tocard, le gros nounours velu, le leader de la milice, qu'a mené toute sa porcherie directe sous les lames de l'abattoir. La bave aux lèvres, il aboie face à une menace qui, après avoir versé un dernier sang, s'est fondu dans les ombres agglomérées au-dessus du plafond du manoir.

LÂCHE ! LÂCHE !

Mais le monde punit pas les lâches, mon pauvre gros, il a en fait plutôt tendance à les récompenser.
On arrive à son niveau, il nous braque des deux projecteurs blancs qui lui servent désormais de mirettes.
L'accalmie est de courte durée avec ce timbré, j'le sais. Il doit s'être retranché dans une crevasse sombre, à guetter le premier qui lui tournera le dos trop longtemps.

On s'en occupe, repliez vous !
Z'avez pas compris ? Il est à NOUS ! LÂCHE !

Ça peut être qu'un pro, un ex-pro sombré dans la folie. Il est trop chirurgical dans sa bestialité. Trop fatal. Il a laissé aucun blessé derrière lui. Tout ceux qu'il a touché sont ouverts à terre, à s'vider lentement comme de vieux sachets d'sauce ketchup, à souiller la poudreuse de rouge vif, mes mirettes parcourent les corps qui jonchent le vieux hall et aucun, à vue d'oeil, n'a de perspectives de survie; à moins qu'ils n'aient envie de finir leurs jours dans le coma. Ses victimes s'entassent, et ma conscience s'agace.

Quel genre de chef laisse participer des civils furax au combat ?
Quoi ? Tu vas m'reprocher d'avoir essayé d'faire mon boulot, poiscaille ?
Et si vous le faisiez bien, sans vous servir de chair à canon ?

Il soupire par les naseaux comme un taureau devant un drap rouge, et j'espère pas vainement endosser l'rôle du toréador. C'est qu'en prenant ce genre de type par les cornes qu'ils finissent par regarder derrière eux les ravages qu'ils provoquent sans s'en rendre compte. Frank aussi se crispe, l'air d'un "ça va pas ?" peint sur la face. Quelques campagnards survivants adoptent des moues plus désespérées.

Ils sont tous là d'leur plein gré, pour se venger, tous ont la haine, et une unique raison d'vivre. Ce taré leur a, à tous, volé leurs plus aimés proches. Ceux qu'étaient pas sûrs d'eux ont fui dans la mêlée, et s'ils revenaient, j'les renverrais chez eux. Ça vous suffit ? Parce qu'à nous, ça nous suffit.

Il ramène tout le monde autour de lui d'un signe de paluche, prêts à investir le manoir.

Criez si vous l'voyez. Essayez d'signaler sa position aux autres avant de mourir.

Le silence retombe, le hall pue la mort. La mort grasse, de masse, le grand buffet d'la faucheuse qui s'empiffre de vies en mangeant avec ses gros doigts sales. Et le clodo timbré en cuistot en chef. La sueur me jaillit par tous les pores, et vient perler en gouttes glaciales sur mon front. Frank m'suit, tandis qu'j'emboîte les pas de la meute. Faute d'arriver à enrayer la folie d'un tueur, je m'acharnerai à protéger quelques illuminés... au moins.
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Tu tranches. Tu frappes. Tu sens les os craquer. Tu sens les muscles tranchés par ta lame. L'odeur de fer monte à tes narines. Les cris et les pleurs des mourants viennent chatouiller tes oreilles. Mais peu t'importe. Tu les élimines un par un. Tu bondis de mur en mur. D'appui en appui. D'un lustre à un morceau de poutre. D'un lai de papier peint brûlé à un morceau d'escalier effondré. La bête est lâchée, et les proies ont été enfermées dans sa jungle. Les rares d'entre eux qui tentent de fuir se font abattre, inlassablement. Mais la plupart semble s'enhardir des cris de rage du gros lard qui semble être leur meneur. Tu reconnais quelques visages connus. Mais ils n'ont rien à faire ici. Ils n'ont pas à fouler ce sol. Ce lieu est sacré. Ils n'ont pas à salir la mémoire de tes maîtres. La pitié n'a plus sa place ici. Alors tu attrapes cette tête qui passe à portée de ta main, en plein saut. Tu l'emportes dans ton élan, pour lui écraser le visage sur l'angle d'un bloc de pierre. Tu sens la structure osseuse se ratatiner. Tu l'entends craquer de façon sinistre, ne prenant même pas la peine de regarder l'état dans lequel tu le laisses, te jetant déjà sur la victime suivante, d'un bond vif. Tu ne sens plus vraiment la douleur émaner des blessures qu'il t'a infligé, bien trop occupé à protéger ton territoire. Tu plantes ta lame dans le crâne du suivant, transperçant un œil, enfonçant ton fer jusqu'à la matière grise du pauvre paysan. Et déjà, tu t'es déjà écarté, te dirigeant vers ta prochaine cible. Dirigé par cet instinct impitoyable. Mené par cette colère démesurée qui a depuis longtemps submergé tes émotions.

Mais le voilà qui vient. Il n'est guère de véritable menace pour toi parmi leurs rangs. Le seul que tu craignes, c'est lui. Le requin qui est venu imprimer son genou dans ton estomac. Tu sens son odeur se rapprocher. Tu sens un frisson te parcourir l'échine. Tu ne pourras pas les affronter tous en lui faisant face en même temps. Tu devrais rester défendre ce hall. Tu le sais. Ta raison te le hurle. Tu ne peux pas les laisser se disperser dans les ruines. Et pourtant, ton instinct te tire hors de la pièce, alors que tu t'élances dans un couloir, imperméable aux hurlements des villageois, et de cet ignare qui te traite de lâche. Lui qui n'a même pas encore levé son arme pour tenter de te frapper. Tu laisserais presque un sourire filtrer entre tes lèvres, alors que tu t'élances dans la demeure, commençant à préparer la défense des lieux. Tu laisses des armures en équilibre, leurs hallebardes prêtes à tomber. Tu avances le long des couloirs, passant tes doigts sur le papier calciné en de nombreux endroits, sans prêter attention à la trace rougeoyante que tu y déposes. Tu devrais y retourner. Ce sentiment vient te pendre au ventre. Perturbant. Dérangeant. Et tu finis par te diriger vers un des escaliers au bout du couloir, accélérant le pas. Tu n'as pas fini de reprendre ton souffle, et te voilà déjà reparti à cavaler. Tu grimpes les marches quatre à quatre, le sabre luisant d'un éclat sinistre alors que tu t'élances sur le plancher pourri du premier étage.

Tu avances rapidement, évitant les morceau de bois brûlés, tout en prenant garde à ne pas trop faire grincer le sol sous tes pas. Tu entends les ordres aboyés depuis le hall, alors qu'un silence de mort pèse sur le reste de la demeure. Tu entends un cri, ainsi qu'un fracas métallique. Une des armures vient de tomber sur l'un d'eux. Tu t'élances alors, commençant à courir, alors qu'on s'agite à l'étage inférieur. Tu rejoins rapidement le fameux palier, ralentissant en arrivant. Tu restes en partie dans l'ombre, pour éviter de te faire repérer. Tu vois leur chef qui continue à brailler. Mais plus pour longtemps. Tu n'as qu'à l'éliminer et à mettre les voiles. Quand les autres s'en rendront compte, ils suivront probablement ta piste. De toutes façons, il y a encore ce Marine à côté. Et... Le requin. Encore lui. Tu serres les dents, cherchant un moyen de t'en sortir. Tu n'as plus le choix de toutes façons. Tu vas devoir quitter les lieux assez rapidement. Mais tu emmèneras ce gueulard puant dans la tombe avant. Tu ne supportes pas de le voir se pavaner ainsi, comme s'il était en territoire conquis. Tu finis par serrer ta lame un instant. Tu fermes les yeux, te concentrant. Et tu t'élances. Evitant les pièges créés par le bois affaibli par les flammes, pour te jeter vers le lustre.Tu t'y suspends d'une main, alors qu'il cède, t'accordant malgré tout un mouvement de balancier, qui te propulse vers ta cible. Tu lâches alors le lustre, plongeant, lame en avant, vers leur capitaine. Tu le transperces de part en part. Le temps semble se dilater, alors que le lustre vole en éclats derrière toi, répandant acier et verre partout dans la pièce. Tu utilises le corps de ta victime pour amortir ta chute, te jetant en avant vers le requin, le poussant brusquement vers son camarade soldat. Tu le déstabilises une seconde, avant de partir en trombe vers le village. Tu espères qu'ils te suivront. Mais quitter l'île est le plus urgent pour l'instant.

HJ : Ce post est nul pardon.
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J'ai adopté l'équilibre d'un ivrogne atteint d'parkison pendant un instant, failli m'viander sur le collègue. Mais aussitôt qu'j'ai retrouvé mes guibolles, d'elles-mêmes elles ont choisi de s'élancer à la poursuite du boucher. Y a des instincts qui s'sont gravés à même ma cervelle : si ça fuit, ça devient proie; et que ça te plaise ou non, tu es prédateur. Tes phalanges ont appelé son sang, il est affaibli et apeuré. Que fait une bête sauvage acculée ? Que fait le meurtrier aux scrupules consumés par la rancoeur, lorsqu'il n'a plus rien à perdre ?

Le village ! Il vise le village ! FUMIER !

La boule de haine roule bruyamment, comme une avalanche en direction du village. La terre croustille sous nos bottes, tant absorbés par notre vorace battue qu'on en largue quelques troufions restés héberlués sur l'pallier de la ruine. Tant mieux. C'est pas moi qu'aura les mots pour leur ancrer dans la cervelle que la vie est un bien précieux, que ce fils de louve de petite vertu a chipé à leurs proches, mais qu'eux possèdent encore, et que les esprits vengeurs ne font que gonfler les cimetières, plein à craquer de familles réunies par la vendetta.

Derrière nous, ils resteront en vie. Le patron grizzly crache une broussaille de jurons étouffés par sa jungle de barbe. J'espère l'avoir jugé comme un pied, qu'il n'est pas aussi manchot qu'il n'y paraît. Qu'il évitera d'intercaler des civils entre Sa lame et Mes poings. Les furtifs jets d'oeil dont j'le bombarde espionnent cette lueur de panique envahissante son regard : il est face à un drame avec qui il n'a jamais eu l'temps de faire connaissance que déjà, il doit l'embrasser à pleines lèvres, et sans ronchonner s'il te plaît, y a des p'tites vies en jeu, du genre p'tites vies innocentes qu'enrichissent les rapports des victimes anonymes dans les tombeaux à paperasse. Boss de la milice, ou shérif, mais à peine moins éperdu qu'ses protégés. Sachant que c'est dans la trouille que les neurones perdent pied et qu'émergent les pires bourdes, j'me doute qu'à part si j'trouve une bouée à lui balancer pour qu'il se noie pas trop vite dans sa peur, Frank et moi pourrons pas compter sur lui longtemps avant qu'il nous grille un à un ses fusibles. J'ai toujours l'impression d'jouer à la roulette russe, dans ces foutues traques de détraqués. Le barillet est quasi vide, j'ai la victoire à portée de palme. Mais il suffit d'une fuite de devoir, d'un carnage d'innocents, et alors peu importe le succès et ma survie, ils deviendront aussi fade qu'un soleil d'hiver.

Pour arrêter les salopards, faut toujours avant apprendre à penser à leur place. Un jeu d'rôle macabre où, tant bien qu'mal, j'me confonds avec c'que j'sais de la personnalité du connard. Difficile pour moi qui rechignerait à casser une patte à une mouche, mais qu'on l'veuille ou non, on partage toujours deux ou trois points communs même avec la lie d'la planète, vu que sous l'écorce, on est tous faits de la même sève bouillante. Son comportement d'animal qu'on arrache de force à son territoire, à son passé... J'le comprends. Presque. Il est une épave qu'un ouragan a emporté alors qu'il n'avait pas encore relevé son ancre. Mais si j'peux comprendre l'horreur, me l'expliquer, en imaginer la source, elle n'en restera pas moins écoeurante.

Il veut fuir ou faire un massacre ?
L'un comme l'autre, il bouffera mon sabre avant !
Ou p'tete qu'il est plus fin que ça et qu'il veut nous attirer dans un coin de l'île pour se tirer à l'opposé...
Nan ! C'est qu'un maboul en pleine crise psychotique qui n'demande qu'à se faire scier les mollets ! Il a pas d'plan, comme nous ! Continuez à courir, soldats !

L'enrobage du propos est répugnant, dommage que son coeur soit cruellement juste. Si on s'creusait la tête, notre taré serait déjà tout empaqueté, colis tout chaud pour la marine. Et si on tentait d'se déployer un peu plus intelligemment, hein ?

Combien d'ports sur cette île ?
Un seul grand. Mais beaucoup d'côtes avec cabanes de pêcheurs.
Tu veux pas aller y faire un tour et refiler le signalement du suspect à tout c'qui bouge ?
Bonne idée ! J'y fonce !

Il quitte notre trajectoire essoufflée, me larguant seul en tête à tête avec monsieur Grizzly qui ronchonne sous la broussaille barbelée qui lui pend sous le menton. La cadence s'accélère d'elle-même, et c'sont nos poumons creux et incandescents qui continuent à papoter tout seuls.

On pourra protéger tout l'monde à deux ?
Il est pas si fort que ça. Il m'a échappé parce qu'il sait vraiment bien fuir. A deux, on l'en empêchera.

Au loin, par derrière les arbres, s'élèvent les monticules de briques anarchiques qu'ils nomment maisons, ainsi qu'un sinistre clocher mutilé de ses deux aiguilles. Et un calme, un gigantesque calme qui n'est rythmé que par le croustillement de la neige sous nos semelles ; avant d'être brutalement assassiné par une farandole de cris stridents pulsant du village comme un seul hurlement de banshee éplorée. C'est l'chef à mes côtés qui s'met alors à piailler sourdement, m'affligeant les esgourdes d'une terrible mélopée. Il est tout près, et on dirait qu'il compte s'attarder au village pour se livrer à de macabres retrouvailles avec ceux qui étaient autrefois ses amis...
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