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Sextorsion

Palais Grantz. Début de matinée.
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"Et c'est bien en vertu de la collaboration étroite de Loth Reich avec nos services et plus particulièrement avec Arsène Dickson, que nous avons été à même de démettre les sombres desseins d'Ashura du royaume, Sergent. "

"J'en ai en entendu ouïe dire votre Altesse, il semble avoir épaulé Arsène dans son entreprise. Le commandant Morales m'a confié qu'il l'avait même invité à Bliss pour plancher sur cette affaire compte tenu de ses actions de démantèlement d'Ashura sur Boréa.   "

"Précisément Sergent. De par son expérience, il nous a livré de précieux renseignements quant aux mécanismes de production et aux canaux de distribution de Dance powder sur le territoire. Arsène lui-même avait reconnu sa valeur pour décider de le convier à prendre part à ses investigations, vous le savez bien." asséna t'il d'un ton solennel pour balayer le moindre doute latent portant sur son protégé.
 
"J'ai lu ses exploits dans le Boréa herald et son ascension fulgurante dans les hautes sphères boréalines, un limier s'il en est. Un limier qui œuvra comme "agent royal " et se fera gratifier de la mission d'effacer de la surface du monde Ashura, votre Altesse. "  lança Conway avec une pointe de sarcasme dans le timbre. Une pointe, seulement, une pointe qui n'échappa en rien à la perspicacité de Grantz qui plissa les mirettes en écho à l'affirmation.

" Je sais que vous tenez Reich pour responsable de la démission d'Arsène, Conway. Pourtant, vous faites fausse route. Cette sombre affaire a ébranlé les valeurs de notre ami commun, les émeutes, l'affaire de Green World et les morts successives d'Alg Hor et d'Amanda Keen l'ont plus affligé qu'il ne le laissait paraître, j'en suis intimement persuadé. Ce n'est qu'une retraite momentanée, rien de plus. Quoiqu'il en soit, nous nous devons de respecter sa décision. "

"C'est notre devoir, en effet, c'est celui de tous les hommes de la dix-neuvième même, votre Altesse. "

" Le chantier de Las Atlantik bat son train et bientôt cette ville sera édifiée avec les finances exclusives et les participations frauduleuses des cellules d'Ashura dans notre économie. N'est-ce pas là paradoxal, Sergent ? Aussi, j'estime qu'à l'aune des services rendus par Loth Reich pour la nation Blissoise et sur aval de mon père Grantz premier qu'il est du devoir de la royauté de le convier à l'inauguration de cette cité. "

"Je "

"Ne répondez pas, j'ai d'ores et déjà pris les devants pour qu'un faire-part officiel en bonne et due forme lui soit parvenue.  Aussi voudrais-je, Sergent, que vous vous occupiez de l'escorte et de protection de Reich sur la fange Blissoise le temps de son escapade sur notre sol.  C'est un invité royal et il doit recevoir comme de juste les égards d'une telle condition. Qui plus est, des éléments isolés d'Ashura ou des Green seeds peuvent encore frapper de manière ponctuelle et il constitue là une cible de premier choix pour ses illuminés. Le transocéanien est censé rallier Bliss dans quatre jours, ce qui vous laisse toute latitude pour procéder aux préparatifs inhérente à sa venue."

Conway avait prit délibérément le soin de tirer une cigarette de sa poche intérieure d'uniforme entre-temps avant de l'allumer d'un tintement métallique. Une liberté bien singulière que de fumer sans que le fils d'un roi ne vous y invite, un écart à la limite de l'outrecuidance qui n'était pas au goût de Grantz II mais qu'il daignait tolérer en dépit de toute forme de bienséance en la matière.

L'aplomb, c'était bien là un trait que partageait ces deux hommes, un aplomb qui ne témoignait pas de la déférence habituelle à laquelle Dickson avait habitué son Altesse. Ils n'étaient pas du même moule bien qu'ils furent tous deux de bons éléments et c'était sans doute en cela que la régulière et l'Elite se différenciait, ces égards, cette révérence qui confinait presque à la servilité obséquieuse pour ces maîtres qui en dépit de toutes ressemblances aimaient à s'entourer des parfaits laquais qu'accouchait les écoles d'officiers de la régulière.

Conway respectait son alter-ego et comprenait l'usage des convenances, Dickson en maîtrisait l'exercice et demeurait un homme avec bien plus de cœur que Ian Conway n'en aurait sans doute jamais.    

" Très bien, à votre aise votre Altesse. Je m'emploierai à protéger Reich et à garantir sa sauvegarde mais s'il refusait de se voir adresser quelque forme d'escorte ?"


"Cela j'en fais mon affaire, Sergent. Occupez-vous du reste. "
déclama t'il d'un ton péremptoire indiquant la fin de l'audience des deux hommes.

Ils se livrèrent chacun à quelques banalités, abordant brièvement l'actualité de la dix-neuvième division de Bliss, orphelin de son état et sa réorganisation partielle sous le commandement du lieutenant colonel de Bava Aok avant que Conway ne prenne congé de son vis-à-vis royal et regagne Portgentil par une voiture laissé devant l'une des dépendances du palais royal.

Grantz deuxième du nom ne tarissait que peu d'éloges sur Reich et bien que les tribunes et autres manchettes glorieuses de la presse Blissoise l'avait encensé, l'avait porté aux nues comme "le héros du royaume " et avait jeté son dévolu sur son glorieux monarque jeune et fougueux, il comprenait bien que Loth Reich avait contribué pour beaucoup à la popularité ragaillardi de Grantz II. Est ce qu'il en avait été la pierre angulaire? Qu'est ce qui unissait pourtant deux profils qui sur le papier avaient autant de points commun que le marteau et l'enclume ?

"Jay-jay" était un fin politicien qui avait conscience que la venue en grande pompe de Loth Reich, protégé de Maximilian Nordin et héros national de Boréa, constituait un atout de poids pour mettre sur les rails cette cité dédiée aux jeux et aux divertissements de toutes sortes.  Manœuvre politicienne que toute cette entreprise songea Conway de retour au Q.G de la dix neuvième qui délayait déjà derrière son regard impérieux les scénarios concernant l'escorte de Reich et les forces qu'il déploierait pour assurer sa protection. Il n'avait jamais apprécié Grantz II et tout ce qu'il incarnait, c'était un opportuniste de la même trempe que Reich, un homme avide de gloire et de renommée qui reluquait le pouvoir solennel de la figure emblématique qu'était son père et n'hésitait pas à en éroder l'influence pour son propre compte chaque fois qu'une occasion s'y prêtait. Un père dont il avait appris à grandir dans le giron, dans l'ombre de ce roi adulé dont il ne partageait que le nom.  Reich, lui, était d'un autre tonneau mais n'en restait guère moins cupide et son éternel capacité à se retrouver au cœur du théâtre des évènements, à en tirer son épingle du jeu et en ressortir grandi, intimait Conway à la plus grande prudence avec l'olibrius.

Dickson...son départ précipité suite à la faillite de la Goliath et cette disparition mystérieuse qui s'en était suivi, ne lui inspirait rien de bon et c'était bien par respect envers cet ancien mentor que Ian Conway avait accepté la charge de cette mission sur ses épaules.  Dickson avait délibérément choisi de recourir aux services de Reich alors même que Conway et Dickson avaient démantelé le réseau de la trinité rassemblant les cellules Jade, Améthyste et Obsidienne d'Ashura, il y a presque 5 ans.  En dépit de l'aide et du soutien évident que Reich pouvait apporter sur l'affaire, il était persuadé que Dickson, en bonne "truffe" qu'il fut, avait flairé l'anguille sous roche. Une hypothèse que corroborait sa disparition et peut-être son assassinat consécutif, une hypothèse qui pourtant ne comportait aucun faisceau de preuve pouvant alimenter cette théorie. Et c'était bien en cela que Ian Conway se montrait sceptique, Arsène Dickson n'avait jamais failli ou louper une seule journée de service en quinze années d'institution mais aussi et surtout, sa science infuse et sa culture lui permettait de dénicher toujours une piste et c'est en cela qu'il avait assurément hérité de son surnom.
 

Quatre jours plus tard.

Le transocéanien était un véritable paquebot à la coque impénétrable taillée pour braver les vents et marrées dressés sur sa route, une ingénieuse machinerie à vapeur couplée à de puissantes roues à aubes lui permettait de jeter l'ancre dans chaque océan en moins d'une semaine. Les navettes du transocéanien étaient de petits bijoux de technologie et la proue caractéristique estampillé M.T en l'honneur du magnat des transports Marc Trans était si caractéristique que quiconque pouvait l'identifier de sa longue vue à plusieurs miles nautique de distance à l'instar de Ian Conway ce jour-ci. L'arrivée de Reich et des centaines de passagers s'apprêtant à fouler la fange blissoise était imminente, la navette étant dans la rade, abondant de passagers de toutes sortes et de toute catégorie sociale sur ses ponts, le tumulte de l'accostage prochain galvanisait les volontés et l'impatience à son bord comme à chacun de ses abordages, le vaisseau finit bientôt par afflanquer le flanc le long du quai avant que les passagers ne s'en extirpent avec enthousiasme.  Un comité réduit d'une demi-dizaine de personnes servirait de cortège au moine hérétique comme le surnommait les tabloids boréaliens, un comité dont la première mission fut d'accueillir le voyageur et de l'intimer à prendre la voiture affrétée spécialement à l'occasion pour se rendre à Las Atlantik, la raison même de sa venue ici bas, pour y rencontrer la famille royale et un parterre de sommités Blissoises . Le roi avait pris soin de ne pas communiquer le moindre trait quant à cette affaire auprès des journaux locaux pour faciliter les opérations de l'unité mobile qui constituerait sa garde rapprochée.

Reich posa pied dans la voiture avant d'observer l'homme qui lui fera office d'ange gardien le temps de son séjour au sein du royaume. Tapotant lentement la cendre de sa clope, l'homme le scruta à son tour quelques instants avant de prendre le soin de s'introduire alors que la voiture se mettait en branle.

"Monsieur Reich, j'ai beaucoup entendu parler de vous, vous êtes de ces hommes dont les exploits les précédent et les honorent. Rares sont ces spécimens. Conway est mon nom et cette unité qui m'entoure constituera votre garde personnelle par ordonnance royale que voici. " déclama t'il en tendant l'ordonnance cacheté des armoiries royales des Grantz.

" Je présume que vous savez d'ores et déjà où nous nous rendons ? "


Dernière édition par Ian Conway le Mar 16 Aoû 2016 - 16:34, édité 1 fois
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- Je sais. Mais dites-moi, qu'êtes-vous exactement ? Un Marine, un garde royal ou un griot ?

Sourire n'était pas mon trait de caractère le plus distinctif mais revenir à Bliss me faisait le plus grand bien. Je l'avais quitté moins d'un mois plus tôt après six mois d'une série d'enquêtes aussi compliquées que rebondissantes. J'aimais ce pays, autant que Boréa avec cet avantage climatique en plus. Le dénouement globalement heureux des enquêtes avait encore fait de moi une sommité dans ce pays, autant qu'à Boréa. La popularité. Cette drogue à laquelle j'avais pris goût alors que trois années plutôt, je ne jurais que par le silence et les ombres. Mais mieux que la popularité, c'était ce double jeu que j'affectionnais tant. Je tutoyais et repoussait les limites et cette sensation de vivre au fil du rasoir me contentait plus que je ne saurais l'avouer. Hautement fréquentable, héros, et connu sur toutes les Blues, j'étais. Et pourtant...

Je pris place dans la voiture hippomobile et le dénommé Conway se glissa à mes côtés. Il avait une vieille face semblant découpée dans un arbre centenaire. En bien des points, il me faisait penser à Godric Orbéa, Colonel de la 54e Division des Marines de Bliss. Je passai mon regard à travers la fenêtre et le perdit dans les paysages colorés des rues de Portgentil. Ma foi, ils étaient bien plus colorés quand j’atterris ici pour la première fois durant le printemps. Là, c'était l'automne et bien qu'un solide soleil éclairât de ses rais les cimes de la ville cosmopolite, de gros nuages noirs s'amoncelaient à l'horizon. J'espérai qu'il ne pleuve pas durant l'inauguration.
Las Atlantik hein... Fugacement, je me demandai s'il y aurait une statue de Dickson ou de moi. D'après ce que je compris de la missive du prince et régent Gaiden Grantz II, ce qui se faisait nommer aujourd'hui Las Atlantik était sorti de terre juste après mon départ de Bliss. Érigée autour des anciens "champ d'Asmara".

Les champs d'Asmara, un complexe titanesque, le plus gros air de divertissement de South Blue, uniquement dédié aux courses hippiques de toutes sortes. Ils appartenaient au milliardaire Don Viera, gendre du roi, époux de sa fille ainée Florence Grantz. Jusqu'au jour où notre enquête sur le réseau de blanchiment d'argent d'Ashura démontra que les paris hippiques n'étaient en fait que la plateforme de soutien du mécanisme de blanchiment. Qui plus est, Don Viera n'avait épousé Florence que dans le seul et unique but d'avoir un pouvoir certain et de ne pas être inquiété par une quelconque affaire. Mais nous le prîmes à son propre jeu et après l’enregistrement d’une conversation escargophonique entre le numéro deux d'Ashura et lui, il fut obligé d'avouer sa félonie. Couvert d’opprobre, divorcé et envoyé en prison dans la foulée, les champs revinrent de pleins droits à sa femme trahie. Le fait que la famille royale eût décidé d’agrandir les champs et d'en faire une ville dédiée aux jeux relevait surement à la fois d'une envie de passer à autre chose, de se laver de ce scandale tout en donnant un coup de neuf au pays. Après tout, ils avaient engrangé un milliard d'argent sale d'Ashura à la fin de l'enquête. De l'argent rendu propre par leurs royales mains. A cette pensée, je fus pris d'un fou rire silencieux que mon garde du corps remarqua.

- Un souci, monsieur ?

- Non rien. Juste un éphémère souvenir empreint de nostalgie. Renseignez-moi, Conway, la maire, cette bonne vieille Cassandra Woods est-elle toujours en place ?

Apparemment oui, elle l'était. Quand je partais, son mandat arrivait en fin de période et elle essayait de faire des pieds et des mains au Roi pour se le faire prolonger. La Maire de la capitale était choisie par le roi, mais d'après ce que j'avais compris des aspirations du régent Jay-Jay, il souhaitait abolir cette fonction et tout concentrer dans les mains du Roi. Donc les siennes vu que son père était alité la plupart de la journée. Ce n'était pas spécialement un tirant Jay-Jay, il avait plutôt une haute opinion de la notion de hiérarchie et semblait penser que déléguer une partie de son pouvoir était de perdre la main. Il était aussi jusqu'au-boutiste et cette qualité nous avait rapprochés durant l'enquête parce que sans son aide, jamais elle n'aurait été achevée. Il fallut prendre des mesures drastiques pour venir à bout d'Ashura, mesures qui conduisirent au chômage partiel de milliers de personnes et à des manifestations monstres qui firent des victimes durant les bousculades. C’était le prix à payer pour défaire Ashura et ce que l'ex-Colonel Arsène Dickson n'avait pas supporté de cautionner. J'étais toujours amer à cette pensée. Il était parti, Arsène s'était juste volatilisé, grade, cape et médailles sur son bureau, lettre de démission posée au sommet. Il était bien meilleur que moi, le meilleur limier qu'il me fut donné de rencontrer après Kindaichi Doyle. Notre coopération sur le long terme aurait tellement pu m'éduquer davantage ! J'avais grandi en le côtoyant durant quatre enquêtes. Où était-il à présent ? Que faisait-il ? Je me le demandais presque chaque jour.

Nous étions sortis de Portgentil depuis longtemps. L'air salé de la côte se faisait rare. Les sabots des destriers battaient le pavé d'une immense route empierrée à deux voies dans chaque sens. Sur une seule voie, au moins trois voitures passaient côte à côte. Un mois plutôt, ce n'était qu'un vague chemin de campagne qui menait vers les Champs. L'argent faisait le bonheur, le crime payait, c'était indéniable. La route était bondée de calèches et de cavaliers de tous poils. Nous y rencontrâmes énormément de chariots transportant des matières premières indispensables à l'érection de la nouvelle ville. Du travail, de la main d’œuvre. Il devait faire bon vivre à Bliss durant cet automne, notifiai-je.
Las Atlantik, d'après la carte que j'avais sous les yeux, devait se situer à la confluence du Lin Jaune et du Lin Bleu, deux des principaux cours d'eaux du pays. La ville serait donc desservie via des bateaux légers et des compagnies de taxi fluviaux. Des courses de yagara aussi étaient prévues sur les fleuves. Et ben... Alléchant c'était. Il y avait de l'argent à se faire ici, honnêtement ou non, mais bien malheureuse la mafia qui essayerait de s’approprier le coin, les Grantz étaient de violents rois guerriers qui ne toléraient ni la concurrence, ni le chantage.

Le carrosse entra dans une ville qui m'était méconnaissable. Des hôtels, des casinos avaient poussés de terre et continuaient de pousser. Des ouvriers travaillaient en hauteur, fixés sur les charpentes ; de majestueuses fontaines en marbre sculpté étaient en cours d’édification et d'autres déjà achevées éblouissaient les rares touristes ou journalistes de leurs figures d'eaux de toute beauté. C'était une belle matinée et je ne doutai pas que le soir, la ville grouillerait de fêtards en tout genre. La voiture s'immobilisa devant un édifice qui ressemblait pierre par pierre à la mairie de Portgentil. Ma garde se déploya autour de moi et je trouvai étrange d'être ainsi entouré, moi qui durant mes affaires révérais la discrétion. Aujourd'hui, j'étais là pour faire de la figuration, de l'inauguration et vendre quelques dents blanches sur des photos. D'ailleurs, les quelques trainards de journalistes présents me mitraillèrent de flashs dès qu’ils me reconnurent, et je fis l'indifférent tout en rajustant mes lunettes. Alors que ma haie de gardes m’escortait vers l'intérieur, je vis deux hommes armés fondre moi. Sur leur poitrine, je reconnus l'emblème de la feuille surfant une vague.

Les Green Seed, encore ces militants écologistes fanatiques... Je pensais qu'on les avait tous arrêtés avant mon départ...

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"Embarquez-les et bouclez-les ! " lança t'il d'un ton incisif envers les hommes qui firent aussitôt rempart et s'empressèrent de maîtriser les seeds récalcitrants par le biais de clefs de bras et autres manœuvres de rétorsion.  

Dos au mur, les énergumènes furent aussitôt fouillés et désarmés d'un attirail composite d'armes blanches et autres pistolets à silex. Tout un barda d'objets contondants fut aussitôt saisi puis inventorié alors que le coup de filet fut immortalisé par la presse locale qui était aux premières loges pour couvrir l'arrestation des seeds et relayer l'information.  La garde avait rempli son office et là où beaucoup saluerait demain sa compétence et son efficacité, d'autres y verraient d'obscures manœuvres politiques pour vanter les mérites d'une division en mal de son colonel. Conway n'était guère un homme qui aimait s'attirer les faveurs et les louanges, la popularité est là une considération triviale et bien souvent incompatible avec le devoir qui incombe aux hommes du rang.  La renommée, la postérité, Conway la laissait aux arrivistes tels Reich qui engrangeait les premières de couverture et les succès à son tableau de chasse, ces types qui se sentaient toujours au-dessus de la masse et qui caracolaient auprès des puissants pour s'attirer leur protection et tous les bénéfices qu'elle procure. Tout long-bras qu'il fut, Reich restait toutefois au fait de sa popularité dans le royaume, il n'avait cure des attaques menées à son insu et s'était rapidement engagé avec nonchalance dans l'enceinte du bâtiment sans témoigner du moindre embarras quant à cette atteinte à sa vie.  Grantz II avait écopé des lauriers et Reich n'y était sans doute pas étranger, Conway était certain que d'une manière ou d'une autre il avait contribué voire piloté l'éviction de Dickson pour faire cavalier seul auprès du prince. Reich était la face visible de la médaille là où Dickson dût se contenter de son revers.  De la renommée de Dickson, de sa réputation d'antan, il n'en restait que de maigres vestiges aux yeux des hommes et femmes de ce pays, c'était l'homme qui avait certes contribué à faire tomber Ashura mais qui demeurait celui qui avait fuit ses responsabilités dans l'acte hautement pusillanime que la démission au moment où Bliss avait le plus besoin de lui.

Les assassinats consécutifs du numéro 1 et 2 de Green World avaient eu tôt fait de déchaîner les passions et les velléités des détracteurs de Reich & consorts qu'ils tenaient pour responsables de cet état de fait. Le Bliss Bang, acquis à la solde de Green World versait régulièrement dans de copieuses diatribes sur les circonstances obscures entourant les homicides des chefs de file de l'organisation écologiste et la fuite en avant de Reich & Dickson n'arrangeait en rien leurs affaires auprès des tribunes locales.  Le cortège s'engouffra dans l'antichambre surmonté d'une verrière en demi-lune qui irradiait d'une lumière diaphane la cour de l'édifice. Un monument magistral qui fit échapper un hoquet de stupeur à Reich lorsqu'il pénétra dans le hall ouvert. Une décoration chargée pour une partition qui l'était tout autant, du tapis tissé au sol ornementé aux armoiries de la dynastie Grantz, aux tentures et autres soieries des manufactures royales qui agrémentaient la composition jusqu'au plafond peint qui retraçait la généalogie de la famille régnante au fil des siècles.  Un lieu de raffinement et de préciosité dans lequel le gotha mondain aimait à apparaître, une vitrine spacieuse et ostentatoire témoignant de la richesse du royaume et affirmant sa toute-puissance, celle du prince-régent en premier lieu avant d'être celle de Bliss.

Les journalistes furent priés d'attendre sur le parvis tandis qu'en arrière le vacarme constant de l'érection de Las Atlantik battait la mesure comme un métronome. Dans le préau central, un contingent d'hommes attendait Reich et son escorte qui se frayaient un chemin dans la démesure du bâtiment, un parterre de six serviteurs royaux faisait le pied de grue en bas d'un escalier monumental en onyx.  Il n'était que 10 heures du matin et déjà Grantz II avait décidé de bousculer l'emploi du temps et d'émietter le plan rigoureux de cette journée comme s'il eut voulut faire voler en éclats les préparatifs et mesures prévues à l'effet de cette journée singulière par Conway.  L'officier n'aimait guère cette ingérence mais il avait appris à devoir faire avec, quand bien même elle mettait à mal ses dispositions.  Il aperçut au loin le teint blême et traditionnellement grave de John Kempkins, grand intendant au prince régent. Une longue perche effilé, tirant sur le soixantaine, au port haut et à l'air altier, surmonté d'un uniforme d'apparat, d'une moustache scrupuleusement graissée et taillée dans le plus pur esprit Blissois, un homme de la "vielle garde " aux us & coutumes de la génération précédente, celle de Grantz père qu'il servit jusqu'à ce que celui-ci ne puisse plus quitter sa couche.  Un modèle d'obligeance et de bienséance comme Bliss n'en compte plus au sein de ses rangs.

"Eh bien, que se passe t'il ? Ce n'est pourtant pas ce qui avait été convenu, messieurs. "

" Sa majesté le prince, a demandé expressément à s'entretenir individuellement avec Loth Reich. "


" Pour quelle raison Kempkins ? " ajouta Conway d'un ton péremptoire, son regard planté dans celui de son interlocuteur comme pour y discerner la moindre ambigüité.

"... le prince a lui-même ses raisons à telle situation, raisons qu'il n'a pas daigné porter à mon humble connaissance, Sergent. "

"Je n'aime guère qu'on vienne piétiner ce qui avait été retenu en vertu de je ne sais quel penchant ou inclinaison de dernière minute, intendant Kempkins. Je ne suis ni le feu colonel Dickson, ni le colonel Orbéa, que cela soit bien clair et j'entends que vous lui fassiez la commission, intendant. Soit, que Loth Reich vous accompagne pour son audience avec le prince, je m'en irai interroger les Seeds jusqu'a ce que me soit notifié la fin de l'entretien.  "    

Reich ne pipa mot, poursuivit l'itinéraire avec les serviteurs et grimpa marche après marche l'escalier architectural dans le sillage des émissaires royaux.

De son côté, l'officier s'enquit aussitôt de regagner le perron où les seeds, bracelets aux pognes avaient d'ores et déjà été emmenés dans une dépendance provisoire et rudimentaire servant de point de chute aux marines de la future cité.  On lui rapporta bientôt que le caporal Jones était à la manœuvre et dieu sait que la mesure et les états d'âmes de Dickson n'étaient guère logés à la même enseigne que ceux de Jones. Molester pour tirer les vers du nez était la marque de fabrique de ce caporal zélé de la 54ième division de Bliss et rares étaient ceux qui ne crachaient pas le morceau après qu'il en eut fait son affaire.  

Conway pénétra bientôt dans l'entresol du bâtiment où les cellules de détention avaient été aménagées, saluant par la même les quelques sous-off en faction dans le bâtiment. Il déboucha bientôt sur un couloir longiligne et compartimenté autour d'une succession de pièces d'interrogatoire numérotées des plus classiques. Lorgnant au travers le judas de la première d'entre elles,  Jones grand besogneux devant l'éternel s'affairait déjà à la tâche avec un degré d'application singulier...


Dernière édition par Ian Conway le Mar 16 Aoû 2016 - 16:34, édité 1 fois
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Green World était une organisation militante écologique fondée par un riche homme d'affaire du nom d'Alg Hor. Ils luttaient sur presque tous les fronts, allant de l'urbanisation anarchique menaçant les domaines marins à la surpêche et au braconnage. Mais comme je le découvris durant mon enquête précédente ici, Green World servait en réalité d'écran pour cacher les activités d'Ashura. Son fondateur, Alg Hor était l'un des "Six Argentiers", c'est à dire, un des six fournisseurs de la cellule Blissoise du Réseau. Profitant de ses autres activités dans la photographie et le mannequinat, il s'approvisionnait le plus légalement du monde en chlorure et de nitrate d'argent, des ingrédients clés de la recette de Dance Powder personnalisée par Ashura. Dickson et moi le mîmes à jour et au moment où Hor s'apprêtait à passer à table, il fut éliminé par un autre des Argentiers -un Lieutenant-colonel ripoux de la 54e- dans les locaux même de la 19e Division. Ce meurtre fut politisé et instrumentalisé par le Numéro 2 de Green World, la journaliste Amanda Keen qui nous accusa d'avoir exécuté son mentor. De ses vilipendages sont nés les Green Seed, un noyau dur de militants écologistes paranoïaques et convaincus que la Marine désire les faire taire. Ils se livrèrent à des caillassages et molestèrent plusieurs Marines isolés. Nous en arrêtâmes la majeure partie puis quand nous prouvâmes la corruption d'Amanda Keen, également trempée dans Ashura, le reste retourna à une vie discrète. Aussi, fus-je surpris de voir certains de leurs membres toujours à l’œuvre. Toujours haineux.

Dès que la menace fut maitrisée par mon service de sécurité, je me hâtai de rejoindre le prince régent qui m'attendait. C'était plutôt agréable d'assister de loin à la bagarre, mais la renaissance de ces illuminés ne présageait rien de bon. L'inauguration de la ville était dans trois jours mais déjà, j'avais un programme chargé fait de petites apparitions publiques, de conférences sur la lutte contre la criminalité au Centre Universitaire de Portgentil et de quelques séminaires aux conscrits Marines sur le profilage, cette science naissante de l'étude du comportement humain. Je comprenais l'agacement de Ian Conway, dans moins d'une demi-heure, j'étais censé retrouver le plus célèbre journaliste d'investigation de Bliss pour lui relater les dessous de l'enquête menée par Dickson et moi. Une entrevue exclusive vu que ni ma version, ni celle du Colonel démissionnaire n'avaient été entendues. Nous avions détalé tous les deux justes après, poussés par de différents impératifs. Ce retour à la lumière m'enchantait, mon image était à vendre et plus j’apparaitrai comme quelqu'un de fréquentable, un bras droit de la justice, plus j'aurai de la marge pour mes activités souterraines. Ce que je visais, c'était la parfaite symbiose entre le criminel et le héros. Un garde devant la porte du bureau du prince m'ouvrit et je trouvai Jay-Jay à l'intérieur, les yeux rivés sur une feuille. Il se leva à mon entrée puis nous nous enlaçâmes comme des frères. Rien de tel que de magouiller ensemble, mettre en danger tout un système économique pour engranger un milliard six cent millions de Berry pour rapprocher deux individus. C'était notre histoire. Une bonne histoire.

- Conway n'est pas du tout content de ce tête-à-tête. Je ne sais pas si c'est l'accroc au programme établi qui le chiffonne, à moins qu'il ne préfèrerait prendre part à notre conversation.

- Je crois avec raison qu'il ne vous porte pas trop dans son cœur, répondit le prince de sa voix de ténor, profonde et lourde comme l'orage au loin.

- Moi ? Mais je suis adorable ! plaisantai-je pendant qu'il nous sert des rafraichissements. Regardez ce visage divin. Qui ne saurait l'aimer ? Plus sérieusement, c'est quoi son problème avec moi ?

- Il vous rend responsable de la démission de Dickson qu'il apprécie, selon toute évidence. Ils ont travaillé ensemble, sur le démantèlement des Cellules Ashura de la Trinité, je crois. Mais ce n'est pas important ça, fit-il d'un revers comme s'il chassait une mouche importune. Nous avons un problème, Loth.

- Comment ça ? Je me méfiais toujours de ce genre d'introduction qui m'englobait d'office dans le tu autem. Il a un problème ou nous avons un problème ? Mais naturellement je ne pouvais poser la question en ce sens en me dissociant d'entrée de sa difficulté.

- Juste avant que votre transocéanien n'accoste, j'ai reçu l'appel d'un maître chanteur qui m'affirmait détenir une vidéo intime de... Florence et de cette ordure de Don Viera...  

Son phrasé était haché, preuve qu'il était à un point de colère extrême. Les Grantz n'étaient pas des rois d'apparat ou de cour, c'étaient des guerriers et comme je l'avais découvert des mois plus tôt, n'hésitaient jamais à se salir les mains pour protéger leur royaume et le Gouvernement. Ils étaient très attachés -un peu trop à mon avis- à la notion d'honneur. Et de ce que je pus en juger en côtoyant Jay-jay et son père, ils étaient également extrêmement impulsifs et coléreux, partant au quart de tour, attaquant d'abord puis posant les questions après. De tels hommes d'actions ne supportaient pas qu'on prenne l'ascendant sur eux et plus que tout, abhorraient les situations où ils étaient réduits à l'impuissance. Un corbeau qui affirmait avoir des enregistrements déshonorants sur Florence Grantz, fille ainée du roi ? Voilà de quoi inciter ces fougueux à marcher sur des œufs et je comprenais le "nous avons un problème." Mais en fait... je ne voyais pas en quoi j'étais concerné.... Mais toujours, le tact m'interdisait de me désolidariser de mon très influent ami. Cette nouvelle affaire était l'occasion rêvée de cimenter nos liens. Magnifique destin qui étalait devant moi une route de miel et d'ambroisie !

- Quelle genre de vidéo intime ? Qui date de camp ? Il a des preuves ? demandai-je avec un doigté professionnel. Je me mettais déjà dans la peau du limier.

- Des preuves... marmonna-t-il en sortant une enveloppe en papier kraft d'un tiroir de son immense bureau en hévéa. Il hésitait à me la remettre.

- Ensemble, Jay-jay, nous avons fait crasher un pan de l'économie de Bliss pour faire sortir de leurs trous les derniers membres d'Ashura mais surtout pour confondre votre ex-beau-frère félon. Vous pouvez avoir confiance en moi et vous le savez sinon vous règleriez ça tout seul. Je respecterai la dignité de votre sœur.

J'aurais aussi pu lui dire que sa grande sœur, aussi princesse et de haute naissance qu'elle fût n'était en rien différent des autres femmes, rien que je n'eus jamais vu nulle part ailleurs. Mais ç'aurait été signer mon arrêt de mort. Au lieu de ça, je lui arrachai l'enveloppe et en extirpai les clichés que j'examinai toujours avec l’œil du professionnel. Ce n'était pas la première fois que je travaillais sur une affaire de chantage mais bien la première fois que les victimes étaient aussi royales. Les photographies étaient en petits formats et de toute évidence, tirées d'arrêt sur image provenant d'une vidéo. On y voyait une Florence plus jeune, plus svelte aussi assise à califourchon sur Don Viera. Ils étaient dans un parc, au bord d'un étang où paressaient des cygnes noirs. La prise n'avait rien de sexuel, ça montrait juste un couple heureux piqueniquant. Enfin... "niquant...", je me notifiai de ne pas employer certains verbes aujourd'hui... Les autres prises étaient on ne peut plus dérangeantes et avaient pour décor une chambre fastueuse, les acteurs étant aussi dénudés qu'à leur premier jour. Je souris intérieurement, Jay-jay avait pris soin de noircir les parties intimes de sa sœur au marqueur avant mon arrivée mais n'avait pas jugé l'effort nécessaire pour Viera.

- La troisième photo a été prise en 1619 si j'en crois le calendrier mural en fond, fis-je en lui montrant le cliché qui immortalisait sa sœur dans une position acrobatique des plus inédites. Il ferma les yeux et hocha du chef. La situation m'amusait pas mal sans que je sache pourquoi en fait. Le satirique en moi brûlait de faire des commentaires mais... Viera et elle se sont mariés cette année-là justement. Toutes les photos datent de cette époque ? Qu'en dit votre sœur ?

- Vous plaisantez, Loth ! Vous pensez que j'aurais pu lui montrer ces... Il ne semblait pas trouver dans son vocabulaire un mot assez fort pour qualifier ces ignominies. Rendez-vous compte qu'il y a quoi... cinq semaines, nous avons arrêté son mari corrompu qui en fait ne l'avait épousé que pour la protection que son parapluie de princesse pourrait lui apporter. Un mariage de sept ans partit en fumée, vous étiez témoin de sa réaction non ?

- Ouais, elle s'est évanouie... Un peu normal, le choc de la trahison tout ça...

- Oui, et elle est toujours alitée. Aussi fragile que mon père de 80 ans. Cette cérémonie d'inauguration de Las Atlantik, c'était pour elle, pour la faire sortir et lui faire prendre l'air. Elle devait couper le ruban symbolique avec vous.

- Je ne suis pas sûr qu'il soit avisé de lui donner un arme tranchante en ma présence...

- Elle n'a jamais pu vous remercier. Elle sait que c'était la chose à faire mais ce n'est pas facile pour autant. Donc, vous comprenez pourquoi je ne saurais bousiller sa santé avec cette nouvelle affaire ? Elle n'en saura rien, personne n'en saura rien à part vous et moi. Cette affaire, nous allons la régler et l'enterrer tous les deux. Comme nous l'avions fait pour la Goliath Bank.

- Naturellement et nous enterrerons le corbeau avec l'affaire.

- Après l'avoir écorché de mes mains, rugit-il en donnant un coup de poing qui éventra le mur de lézardes horizontales.

- Ouais, pauvre mec, je le plains déjà. Du coup, il ne bluffe pas, il a de quoi provoquer un scandale et une salissure dont la respectueuse royauté de Bliss ne se relèvera pas. Que veut-il ?

- Cent millions de Berry en petites coupures. J'ai trois jours pour les rassembler.

- Il n'hésite pas sur les zéro lui... Pourquoi ce délai de trois jours ? Cette somme, vous devez l'avoir sous votre oreiller non ?

- N'exagérons rien, nous ne chions pas l'argent non plus. Il prévoit de profiter de la masse d'invités et de journalistes qui assisteront à l'inauguration pour faire une projection des vidéos.

- Et ainsi avoir un public plus large pour diffuser le meilleur des pornos de l'histoire. Désolé, c'était plus fort que moi, m'excusai-je. Soyez rassuré, je vais le mettre hors d'état de nuire, votre maitre chanteur. Mais je le ferai seul. Pas de binôme de vous et moi.

- Quoi mais... ?

- Notre corbac a un coup d'avance sur nous. N'est-ce pas qu'il ne vous a pas dit de ne pas avertir la Marine ou je ne sais qui d'autre ? Il sait que vous n'en feriez rien parce que c'est sensible. Il doit penser que vous voudriez mener l'enquête vous-même. Mais s'il est un peu malin, il aurait pu m'inclure dans l'équation donc conclusion, vaut mieux que ce soit moi seul qui attire son attention. Le moment venu, je vous ferai signe pour que vous entriez en scène mais pour le moment, vaquez normalement à vos occupations. Quant aux miennes...  

- Toutes annulées, j'y ai déjà veillé.

- Merci. Et Conway ?

- Hmmm... Il doit rester en dehors.

- D'accord, je vais lui fausser compagnie alors.

- Vous avez déjà une piste ?

- La plus évidente. Les clichés datent d'il y a sept ans, période où Viera mettait déjà en œuvre le plan d'Ashura pour séduire votre sœur. Plan qui se termina par leur mariage. Notre corbeau n'est pas un simple voyeur, je pense qu'il a constitué un dossier complet sur Florence et Viera comme un genre... d'assurance-vie.

- Le chanteur serait un membre d'Ashura ?

- De ce que j'en sais, il serait plus probable que ce soit Viera lui-même... Mais il est enfermé au Creuset donc il a un complice. Peut-être dans les rangs des Green Seed.

- Ces fumiers tous autant qu'ils sont... Nous n'avons pas décimé l'intégralité de la bande ?

- Sur les marches, j’ai été attaqué par des Green Seed alors… La piste d’Ashura est la meilleure que nous ayons pour l’instant. J'aurais besoin d’un laisser-passer à large spectre.  

- Vous avez toutes les accréditations et autorisations. Le mot est passé depuis ce matin. Vous commencerez où ?

- Au Creuset. Je me dois de taper un brin de discussion avec notre vieil ami Don Viera. Où est la porte de derrière, histoire de fausser compagnie à Conway ?
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Les parois étaient fines,  trop ou plutôt suffisamment pour que ses congénères entendent la supplique plaintive s'étalant sur plusieurs octaves du captif, telle une douce mélopée se développant sur  la partition encore vierge que Jones s'échinait à noircir avec dévotion.   Succession de cris étouffées pour les uns, de poésie pour d'autres où rimes étouffées se faisaient l'écho d'une intensité lyrique de haute volée où timbre et intensité des voix de nos protagonistes semblaient se nouer, se lover, en canon s'il vous plait pour un ravissement auditif de toute l'assemblée des sous-sols de ce point de chute.  Dickson ne l'aurait sans doute pas permis, préférant une approche plus méthodique, plus cartésienne à la passion brute que fut celle qui déferlait le long des phalanges en acier trempé de l'officier.  La rigueur et la méthode sont bien des manières dont seuls peuvent se prévaloir quelques hommes d'exception comme La Truffe.

Le visage tuméfié de tout bords, aux boursouflures béantes plus compactes que des poings fermés, aux tempes violacées par les contusions,  il mord le bâillon humide qui lui enserre la mâchoire,  et dieu sait ce qui serait advenu de son cas si Conway n'avait guère intimé à Jones de calmer ses ardeurs délicates à poursuivre sa symphonie de cartilage et d'os. L'obstination enfiévré des Seeds les confinait à la folie , ils constituaient le noyau dur des éléments les plus rétifs à amadouer, tout inconsolables fussent t'ils depuis le trépas de leur gourou et maitre-à-penser. L'acharnement ne procurerait que des cartouches supplémentaires pour la presse sympathisante de leur petite mouvance dissidente, presse qui aurait tôt fait de dépeindre l'horreur et la cruauté sans bornes de leurs bourreaux. Évidemment.  

Il ne faudrait pas trop leur faciliter les choses.

L'oeil torve, le sergent effeuille une à une chacune des pièces retenues contre l'organisation et ses accointances avec Green World. Ignoré et laissé pour compte, notre détenu tente bien de feindre de se glorifier à travers cette pile de feuillets, d'éléments à charge, de procès-verbaux compilés en tous genre, esquissant un sourire de circonstance à mesure que les documents passent sous les doigts humectés du sergent qui ne lui adresse pas la moindre œillade. Hésitant, indécis devant la moue amorphe de son vis-à-vis, il réciterait presque le laïus réchauffé sur la nécessité de son action et la portée de son sacrifice quand bien même devrait t'il y laisser la vie, faire de lui un martyr pour un idéal plus grand, pour un dessein plus vaste, la mort rêvée en somme pour une pièce rapportée de son calibre.

La valse des feuillets s'arrête lorsqu'enfin, un rapport est extirpé du lot, est glissé presque anodinement devant ses yeux rogues. Sa moue pleine de facétie vacille subitement avant de piquer un fard et que le pauvre hère ne se courbe nerveusement sur son bâillon.

Un simple rapport, ni le sien, ni celui de Dickson et encore moins celui de Reich. Un rapport qui pourrait changer la donne s'il tombait dans les mains adéquates, une pile de documents qui sous des perspectives plus partisanes pourrait apporter suffisamment d'eau au moulin pour enterrer définitivement la dignité des divisions en charge de l'affaire Ashura. Une monnaie d'échange suffisamment opportune pour que le dédain cède le pas à la défiance graduelle, les traits se raidissent, les mains se crispent davantage et une gueule plus moribonde se fait jour devant les iris inquisiteurs du sergent d'en face.

L'autopsie d'Amanda Keen, l'ancienne rédactrice en chef du Bliss Bang, qui a trouvé la mort dans des circonstances suffisamment troubles pour que l'opinion publique verse dans l'article dithyrambique et crie à la bévue policière en agrémentant leurs prétendues analyses de détails douteux et de témoignages fabriqués.  Le suicide prononcé et corroboré à la fois par l'expertise médicale d'un colloque d'experts de Portgentil et par une enquête interne menée au sein des services de la 19ième et de le 54ième n'ont pourtant guère trouvé un écho favorable chez le blissois moyen. Figure de proue des projets d'aménagements urbain, Keen était une personnalité appréciée notamment de par son engagement indéfectible pour les laissés-pour-compte, ces petites mains que ne cesse de dénigrer une frange argentée de plus en plus encline à voir en ces gueux le terreau fertile nauséabond qu'Ashura s'est servi pour parvenir à ses fins. Les liens étroits entre ces cols blanc et la royauté n'aidant en rien à torpiller les théories conspirationnistes et cerise sur le gâteau, Reich et Dickson furent les premiers témoins du prétendu suicide de la maire éplorée.

Le captif s'interroge, se pourrait t'il qu'ils aient falsifié le rapport ? Probable et il l'espère avec une ardeur presque palpable, ce ne serait qu'une pièce de plus dans la grande mascarade que l'éviction de sa chère et tendre au profit de la main mise de Grantz fils et au détriment de tous les autres. Bien sûr, ce Conway pourrait lui vendre insidieusement l'article, faire valoir que les accidents surviennent et que nul ne peut s'en prémunir et que peut-être il serait préférable, dans cette éventualité, que ses petites copines se retrouvent à l'ombre pour les vingt prochaines années plutôt que tapiner dehors en collant des affiches.  Mais Conway n'a pas besoin de ces méthodes de pacificateur en herbe, les frimas de Boréa sont bien loin et l'homme qui lui fait face n'est pas suffisamment ahuri pour ne pas saisir les enjeux en filigrane. Celui des purges incessantes qu'exerce Grantz pour les rayer de la carte comme s'il craignait le reliquat d'influence qu'ils possédaient encore, celui de conserver une simili liberté pour  protester sans que la bride vienne serrer trop le collet, celui de choisir entre la peste et la choléra pour tenter vainement de disparaître et renaître. Car si tant est que la dix-neuvième avait ébranlé les fondations de son groupuscule, Reich & Grantz leur avait asséné le coup de grâce.

La peste et le choléra, une dualité qui emprunte presque au manichéisme,  de ces époques qui de tout temps ont fabriqué leurs monstres insatiables, grands dévoreurs bien qu'héros devant l'Eternel. Mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre et mieux vaut parfois tendre la joue qu'y laisser sa tête. Et cette histoire est comme toutes les autres, ce n'est qu'un recommencement.

On a retrouvé ses esprits, fort bien. Le jeu en vaut la chandelle, n'est ce pas Benny ?
Com
Une sombre histoire de pièces précieuses, d'améthyste je crois mais on s'en tamponne n'est-ce pas? Laissons ce genre de détail à la postérité, la tienne, lorsque tu sortiras de cette pièce pour narrer ton calvaire sordide. C'est Amanda qui serait fière.  Tu portais mieux la barbe à l'époque, tu aurais du la garder.
Son oeil lorgne les négatifs dépassant de l'épais dossier.
C'est pas comme si un petit suppôt royal vous avait fait passer pour des ahuris. Remarque, vous êtes plus à ca près.
Ca me gêne que tu dises ca Benny parce que dans cette affaire, je veux tout autant te porter assistance que de faire éclater la vérité au grand jour. La dignité d'Amanda mérite bien que tu lèves le voile sur son "suicide " n'est-ce pas?
Après tout, Reich vaut bien quelques aveux à l'aune de son rôle dans cette histoire. Qui sait, il a peut-être même orchestré finement la faillite de la Goliath également. Peut-être même a t'il évincé Arsène Dickson après que celui-ci ait découvert le pot-aux-roses ? Tu comprends ce que cela signifie Benny ?

Benny n'était en rien le péon moyen qu'il voulait laisser transparaître et sans être la clef de voûte d'Ashura sur Bliss, il était probablement au fait de certaines vérités concernant sa maîtresse et le long-bras vaniteux. Du moins suffisamment pour passer à table et éclaircir un peu plus les zones grises de l'enquête conjointe de Reich & Dickson.

Qu'est-ce que vous voulez ?
La vérité, évidemment. Quoi d'autre ?

Quant au dossier, duplicata s'il en est, nul ne sait ce qu'il en était advenu, ni même s'il fut déposé soixante-douze heures plus tard dans une boîte postale sans nom en périphérie de Portgentil.  


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La vingtaine écoulé,  son pas bat le pavé d'un rythme méthodique, machinal, militaire, lorsqu'il pénètre, conformément au planning  arrêté pour cette journée hautement cérémonielle, dans l'atrium du palais.  Un brin songeur, perplexe, presque absent comme happé par les interrogations qui se bousculent dans son esprit tumultueux, cherchant à faire le pont entre les maigres révélations de Benny et les zones d'ombre du rapport du colonel démissionnaire.  Aussi, il ne prête pas attention aux pas feutrés dans le lointain de l l'intendant au roi, encore lui, qu'il finit par remarquer lorsque enfin, il amorce sa descente solennelle de l'escalier monumental pour témoigner son embarras facétieux.

Sergent ... J'ai bien peur que...
Ne dites rien, il vous a fait faux-bond ?
Sarcasme.
...
Évidemment.  

Rictus amer.
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