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J’aime bien, cette ambiance un peu spéciale. Je suis dans l’attente et l’expectative et en même temps, j’ai à faire ! Pas le temps de m’ennuyer, y’a des marins d’eau douce à distraire. Le truc, c’est que je commence à être à court d’idées nouvelles. Alors je me creuse un peu la soupière en remplaçant temporairement la vigie dans son nid-de-pie. Mais à son retour…
Reprenons là où nous nous en étions arrêté, pour ceux qui voudraient suivre dans le fond : bonjour, je suis Narjus, Narjus Ktul’al, et je suis un pirate, quoique cela veuille dire actuellement. J’ai quitté mon île natale de Suna Land il y a une semaine environ, en embarquant incognito dans le Radeau des Vices, le navire “marchand” du capitaine Lowfeng et de sa troupe de traîne-la-patte en manque d’humour. On ne reçoit pas le journal ici alors, je ne sais pas comment j’ai pu être défini par la Marine et surtout par le colonel Chouchou à qui j’ai fais faux bond en désertant mon poste d’animateur dans le petit parc de Pooliup. Pour le reste des informations usuelles, allez donc vous renseigner à la source, parce qu’ici et maintenant, j’ai pas le temps pour un résumé plus long.
Ou plutôt, si, j’ai le temps. En réalité tout serait mieux que de me casser le cul une minute de plus à trouver des blagues à raconter à cet équipage de malheur et à leur capitaine vicelard. J’ai pourtant essayé, passé les deux premiers jours, de leur faire découvrir toute l’étendue de mon talent. Chanson, poésie, drame… J’ai même fait un duo avec leur guitariste l’beau Pit, alors que ce dernier me boudait pour lui avoir “prit sa place” dans l’équipe. Mais il faut croire que toutes les chansons ne sont pas pour toutes les oreilles. Ou autrement dit : c’est pas à des pignoufs que je vais tirer une larme en contant l’histoire dramatiquement romantique de Sasha et Ondine, ou l’amour impossible d’un éleveur de mouton et d’une sirène.
Et me voilà donc dans cette situation précaire, à seulement quelques jours de l’escale promise au royaume de la Veine. Il faut tenir encore un peu, me dis-je naïvement, sans penser une seule seconde que ma chance allait finir par tourner. Inutile de dramatiser plus que ça : ça pourrait être pire. Je pourrais, je sais pas moi, avoir à danser en claquette sur le pont tous les soirs pour amuser la galerie ! Soupire, soupire, soupire… Un visage avenant ne serait pas de trop en ce moment. Vous savez, le genre “bon gars” ou “jolie et gentille donzelle” bien sympathique, qui en un sourire vous fait relativiser votre situation, la rendant plus supportable ?
Mais j’ai beau regarder au large, en bas de la caravelle ou dans le ciel… Peut-être à la limite le visage de lapin qui se dessine dans les nuages peut-il être considéré comme avenant ? Ou mignon à la limite. Oh merde qu’est-ce que je vais faire…
Mon regard glisse discrètement de la proue à la poupe du navire : j’ai compté vingt-trois marins depuis mon arrivé. Certains sortent rarement et semblent être là pour entretenir et surveiller les “marchandises” qui se trouvent à bord. Je n’ai pas réussi à en savoir plus à ce sujet. Ce ne sont pas des esclaves, ça je l’aurais vite compris si ça avait été le cas. Il doit y avoir de la marchandise rare, ou de contrebande en dessous. Du genre que même le capitaine ne veut pas qu’on approche, au sein de son propre équipage. Si j’y suis obligé, je n’aurais aucun scrupule à me battre contre eux, si en plus il y a quelques biens à la clé. Je suis quasiment certain de pouvoir m’en sortir, à vingt-trois contre un ! Oui, oui, quasiment. Mais en attendant je préfère la ruse à l’affrontement direct, et ce pour une raison bien simple : dans l’éventualité où j’aurais à me battre, et à gagner cela va de soi, qui conduirait ce bateau jusqu’à bon port ? Et à moins de faire trimer les survivants à la force du fouet, ce qui ne me plaît guère personnellement, je devrais quoiqu’il arrive composer avec eux pour arriver à destination. Non la situation est claire : j’ai besoin d’eux, et j’ai surtout besoin d’une bonne blague ! Allez mon vieux, réfléchit, réfléchit !
Je m’en donne mal au crâne de réfléchir vraiment. Discrètement je tire une petite flasque que j’ai “subtilisé” à l’un des matelots qui lui-même l’avait volé à terre. Après une petite gorgée d’une liqueur au goût indéfinissable je jette un nouveau coup d’oeil. Aïe, voilà Samy le vigie qui revient, et moi qui vais devoir redescendre. J’inspire profondément : il faut croire en sa bonne étoile disait l’un de mes professeurs dramaturge. Alors j’y crois, de toutes mes forces.
“Hey l’comique, quelque chose en vu ? demande le sympathique Samy en grimpant jusqu’à son poste. Tu roupilles pas au moins ?”
“Oh non très cher ami à l’oeil d’aigle, répondis-je d’une voix légère, je ne dors pas. Par contre, c’est calme la mer en ce moment non ?”
“Si on veut. Il finit par atterrir dans le nid-de-pie non sans rouspéter. Pourquoi t’as mit une ombrelle ?”
“Pour projeter une petite ombre sur moi. D’où le nom d’ombrelle, je suppose.”
“Ah ouais c’est vrai, Nanar la blanche-fesse ! Bouahahah !”
Son hilarité est la bienvenue, elle me laisse encore quelques instants pour réfléchir avant de redescendre. N’empêche, c’est si bizarre que ça un homme qui prend soin de sa peau ? Du coup oui, j’ai l’arrière train tout blanc mais c’est pas plus mal ! Au moins je me démarque de tous ces abrutis. Avec leurs visages burinés par le soleil et le sel, leurs cheveux secs et rêches et leurs guenilles bonnes à jeter, ils font peine à voir et pourtant, j’ai déduis de leur comportement général qu’ils étaient loin d’être mal éduqués ! Cela en dit long sur la “réalité” de cette épopée. Mais pas question que je me laisse aller, non.
C’est la mer qui finira par se plier à ma volonté, pas l’inverse !
C’est fou comme une simple pensée, aussi orgueilleuse et irréalisable soit elle pour devenir toute autre chose, le moment venu. Comme une mauvaise blague par exemple.
Samy me transmit que le capitaine me demandait en bas : on approchait du repas de midi, il était temps de mériter mon pain, et de faire “déjeuner spectacle”. D’une main agile je retirais cette ombrelle, tirée de mes affaires personnelles, et tout en la repliant je jetais un regard à l’horizon. C’est marrant, mais mon petit doigt me dit qu’il va pleuvoir. Je me fis cette réflexion en commençant à descendre les cordes reliant les parties supérieures du navire au pont. On a eu du beau temps pendant une semaine, mais depuis hier le vent souffle plus fort. Le Radeau des Vices ne dévit pourtant pas de son cap. Sans doute un itinéraire plus rapide pour atteindre le royaume de Veine depuis Suna Land. J’ai une petite excitation à l’idée de voir un orage, en mer. Depuis les falaises de mon île natale il y avait comme, une aura mystique autour de chaque éclair, de chaque vague, comme si au loin le monde s’embrasait. Et moi, bien à l’abri je voyais ça se jouer sous mes yeux. Mais là, je pourrais vivre ce chaos naturel de visu !
“Eh Jack, appelais-je depuis le mat à un mousse en train de refaire les noeuds des voiles, tu crois qu’il va pleuvoir toi ?”
“Boh, j’pense pas m’sieur Nanar.”
Avec un dernier regard vers l’horizon j’atteignis enfin le pont tremblotant. Tout en haut on s’habituait vite aux remous des vagues, mais il fallait vite se réhabituer à celui du plancher ! Le capitaine, assit près de la porte menant aux cuisines, me fit signe d’approcher. Allez, en piste l’artiste !