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Traîtrise en haute mer

Présomptions en mer

Tenko Sozen, Yvel Surcouf

Des creux de deux mètres de haut se formaient dans la mer alors que les deux navires progressaient péniblement sur la surface d'azur. Les nuages à l'horizon laissaient prévoir qu'une tempête leur tomberait dessus avant la nuit. Tenko tenait fermement la barre pour maintenir le patrouilleur à proximité du navire marchand qu'il escortait. Derrière le jeune timonier se tenait le commandant Loug, qui remplaçait le temps d'une mission leur supérieur habituel Grag Leke. Ce dernier avait été retenu par une réunion des officiers au QG et avait donc du se séparer de ses hommes le temps d'une mission de routine.

"Mais vire à tribord crétin, on va toucher les autres!"

"Babord, commandant. La gauche c'est babord."

"Ferme la si tu veux pas finir au trou!"

"Oui, commandant."

Loug se cramponnait au bastingage en hurlant des consignes inutiles au matelot. Il n'était visiblement pas plus enchanté que ça par la haute mer, lui qui avait l'habitude d'arpenter les bureaux plutôt que les ponts. Frobb lui jeta un discret regard de dédain quand l'officier rendit son déjeuner dans la mer. Le sous-officier n’appréciait visiblement pas les autres officiers de l'état-major. Il n'admirait que Leke qui était pour lui le commandant idéal. Il s'approcha de l'officier sans daigner l'aider, et attendit qu'il se redresse pour lui parler.

"J'ai passé les cartes au peigne fin, on devrait pouvoir se réfugier dans la crique d'un îlot rocheux d'ici deux heures si on met le cap sur la zone. Qu'en pensez-vous commandant Loug?"

"Faites donc Frobb, je me retire en cabine!"

Comme une furie, il dévala les escaliers et claqua la porte en pénétrant dans ses appartements. L'ambiance se détendit un peu. Le sergent tyrannique donna les coordonnées à Tenko avant de transmettre les ordres aux mouettes dans la voilure de sa voix de ténor. Le jeune timonier repéra Yvel, le gabier avec qui il avait fait équipe au cours des dernières semaines. Les deux hommes s'entendaient bien et avaient développé ce qui semblait être un début d'amitié. Il lui fit un rapide signe de la tête avant de communiquer les ordres au second navire.

Le but de leur mission était d'accompagner un navire marchand convoyant des ressources utiles à la Marine. Ce dernier devait passer par une zone réputée dangereuse et le gouvernement préférait assurer l'escorte plutôt que de perdre une cargaison vitale. C'était un aviso, rapide et maniable, mais complètement exposé à subir de lourds dégâts en cas d'affrontement. Le patrouilleur des mouettes, bien plus lourd, avait été armé en conséquence pour remplir sa mission au mieux. Si affrontement il devrait y avoir, les cols blancs prendraient rapidement l'avantage.

Frobb avait vu juste. Les vagues se faisaient de plus en plus capricieuses quand le rocher fut enfin à portée de vue. Un immense roc émergeait de la mer, avec en son centre une crique qui semblait presque trop parfaite pour être naturelles. Des digues artificielles avaient été bâties comme caissons de protection pour éviter les remous au sein de l'abri. Les navires s'engouffrèrent dans l'anse et une fois immobilisés, les marins les amarrèrent au sol et nouèrent également des cordes entre les deux navires pour les empêcher de dériver.

"Allez les fillettes, montez moi un camp dans la grotte avant une heure ou vous rentrez à la nage!"

Les mouettes s'activèrent, pas tant pour exécuter les ordres du sergent que pour éviter de passer du temps sous les énormes gouttes qui s'abattaient avec fracas sur le sol. Trempé jusqu'aux os, Tenko alla se glisser près d'un feu au devant duquel se trouvait le seconde classe Yvel. Ils échangèrent quelques banalités avant que les rations de nourriture ne soient enfin distribuées.

"Ils sont radins sur la quantité franchement..."

"Bah au moins tu as de quoi te remplir la panse..."

"Tu as une petite panse alors!"

Ils terminaient à peine de manger qu'un visage familier à Tenko s'approcha d'eux. C'était le tout fraîchement promu Caporal Grant. Un ancien soldat qui avait servi dans la même garnison que le troisième classe, sur Poiscaille, et qui avait été réaffecté à la 8ème Division comme tout les autres anciens de la 388ème suite au naufrage de leur navire, qui avait vu leurs rangs amoindris. Le troisième classe devait monter la garde avec le caporal toute la nuit sur le pont du patrouilleur.

Sous leurs ponchos, les deux cols blancs frissonnaient. Le vent les clouaient sur place, et tout ce qu'ils pouvaient faire était de se frictionner les mains et de discuter pour se tenir éveillé. Ils avaient discuté de tout et de rien pendant une bonne partie de la soirée. Le retard dans le versement des soldes, les meilleurs bars de West Blue, les meilleures demoiselles de compagnie... Les sujets ne manquaient pas mais la discussion tourna inévitablement vers le mauvais sujet.

"Ils ont pas honte de nous laisser plantés là sous la pluie."

"Ils sont habitués à prendre des mauvaises décisions dans la 8ème."

"Tu ne fais pas référence à..."

"L'assassinat qu'ils ont commis? Bien sûr que si. Laisser les nôtres mourir pour s'occuper d'un navire pirate. Je suis certain qu'un jour ils le paieront. Leur indifférence pour leurs hommes les mènera à leur perte."

Un silence pesant s'installa. Cette discussion, Tenko ne voulait pas l'avoir. Il avait fait le deuil des morts laissés derrière à Poiscaille. Il faisait partie de la Marine avant de faire partie d'un régiment. La 8ème lui plaisait par sa dynamique et ce côté consciencieux qui se dégageait de leurs modes opératoires. Il ne restait pas fixé au passé, tout comme il ne pensait pas à l'avenir. Il s'occupait simplement de remplir ses journées du mieux qu'il le pouvait.

"Je vois pas où tu veux en venir. Faisons juste notre job Hen."

Il voyait parfaitement où le caporal voulait en venir. Cette obsession à parler du passé, à pointer du doigt les décisions de Leke, cela laissait penser à une envie de vengeance. La relève ne tarda pas, mais le troisième classe ne put fermer l’œil de la nuit. Grant allait tenter quelque chose pour se venger. Plus il retournait ses paroles dans sa tête, plus la conclusion de tout cela semblait évidente. Dès le réveil, il partagea ses doutes avec le gabier.



Dernière édition par Tenko Sozen le Mar 20 Déc 2016 - 16:13, édité 1 fois
  • https://www.onepiece-requiem.net/t18758-ft-tenko#209014
Tristes intempéries que celles venant à leur rencontre. Dans l'urgence, avant même que la pluie diluvienne qui leur pendait au nez ne s'amorce, la huitième division était sur le pied de guerre. Hors de question de pousser l'aventure en mer plus loin quand Poséidon reprenait ses droits. Alors, très vite, on monta un camp à la hâte sur un récif rocheux salutaire.

- Allez allez ! Que les rats quittent le navire et qu'on m'dresse ce foutu camp dans la seconde. J'dis ça c'est pour vous, histoire qu'vous creviez pas dans l'heure.

En cet instant, personne à bord n'aurait su dire si Frobb s'adonnait une fois de plus à l'hyperbole ou bien si les nuages chargés de foudre qui les attendaient viendraient leur rappeler à tous à quel point ils ne sont rien comparés à ce que la nature, trop souvent facétieuse, ne leur réserve. Perchés au sommet de la voilure, les quelques gabiers restants faisaient mine de s'affairer pour ne pas à participer à l'effort de guerre. Mais personne n'échappait à la tyrannie de Frobb, encore moins ce souffre douleur tout désigné que constituait Yvel.

- Smirnouf ! Toi et tes copines là-haut vous m'enlevez les voiles. Et vous serez de premier quart pour la garde de ce soir.

- Oui sergent ! Mais j'm'appelle pas Smirnouf.

- Tu t'appelleras comme j'te dis qu'tu t'appelles Pimprenelle !

- Oui sergent.

Pimprenelle, sans jamais s'abaisser à faire du zèle, se pressa néanmoins dans sa tâche. La pluie perlait déjà, et il était bien moins aisé de se complaire dans les cordages lorsque ces derniers s'imbibaient de flotte. Bien vite, une pointe de mousson les inonda tous, aussi bien dans les cordages que sur le récif. Pour une fois, Frobb n'avait pas exagéré. C'était un jour à marquer d'une pierre blanche, une pierre tombale blanche si personne ne se pressait à constituer l'abri de fortune.
Voile sur le pont, restait à descendre des cordages. Tout bon gabier qu'il était, Yvel n'en était pas moins homme, ses doigts comme ceux de n'importe qui glissaient sur les cordes humides lui échappaient parfois des doigts, les vents violents le faisaient chanceler malgré sa carrure, et les hurlements inaudibles de Frobb le crispaient davantage.

- Une minute pour passer du mât au pont ! Ma parole Surcouf, qu'est-ce que ça aurait été si vous et vos camarades n'étaient pas gabiers hein ?!

D'une personnalité peu contrariante, légèrement soumise, Yvel ne répondit pas, ce simple réflexe réactionnaire qui aurait pu prouver sa vivacité lui faisait défaut. Malgré les provocations du sergent, il essuya un sourire triste, que seul les pires damnés de la terre pouvaient sculpter sur leur visage, et répondit avec ce qui ressemblait avec une teinte d'optimisme :

- Je me disais bien que vous connaissiez mon nom, pas la peine de faire semblant de pas savoir.

Si la pluie n'avait pas été si abondante, le deuxième classe aurait alors pu voir à quel point la colère déformait le visage de Frobb.

- Contrairement à votre très chère mère Surcouf, je ne fais jamais semblant ! Je ne fais pas semblant de vous pisser à la raie chaque jour que Dieu fait, et je ne ferai pas semblant de vous botter le cul si vous allez pas me dresser le camp presto !

Le garde à vous était de rigueur, Yvel s'y plia avant de s'exécuter. Hélas pour lui, quelques relents de bon sens vinrent ébranler sa cervelle flasque.

- J'y pense Sergent, les frères Jons, faudrait pas qu'on les oublie le temps de la tempête.

Cette pensée malheureuse partait d'un bon sentiment. Ils avaient quitté Ohara suite à la capture d'une paire de flibustiers sans envergure, la mission consistait à les ramener au Q.G pour que les conditions de détention leur soit plus déplaisantes et que les perspectives d'évasion se réduisent à peau de chagrin.
Se voyant rappeler quels emmerdeurs peuplaient la cale du vaisseau agaça Frobb plus que de raison. Cela n'aurait tenu qu'à lui qu'ils n'auraient pas eu la moindre ration le long de leur séjour à bord.

- BON-SANG Surcouf ! Mais où avais-je la tête ?!

À l'intonation, le deuxième classe ressentit déjà l'arôme acide de l'ironie et du sarcasme qui ne tarderaient pas à le noyer sous un torrent de brimades auxquelles il s'était accoutumé. Résolu qu'il était, Yvel avait fini par renforcer son système immunitaire à présent imperméable aux réflexions du sergent.

- J'en oubliais cet élément ca-pi-taaaaal de notre mission ! Merci pour ce rappel à l'ordre vraiment, on devrait vous donner du galon. Comment je dois vous appeller ? Colonel ? Commodore ? Allez, va pour Amiral ! Ça sonne bien amiral Surcouf, hein ?!

Puisque l'ambition lui faisait absolument défaut, le gabier aurait pu répondre un simple "non", mais il ne fallait pas paraître plus mou qu'il ne l'était.

- Je sais pas sergent.

- Eh bah quand on sait pas on ferme sa gueule et on monte le camp !

- Oui sergent !

Que le camp soit, et le camp fut. Les tentes retenues aux parois rocheuses sur lesquelles on les avait érigées à coup de piolet se voulaient en principe imperméable. Il fallait croire que les trombes d'eau qui les acculaient avec tant d'intensité repoussait les limites même de l'étanchéité des toiles. Quelques minces filets d'eau coulaient de temps à autre à l'intérieur des abris de fortune. Il faudrait faire avec.
Le tonnerre se joignait au concert assourdissant de la pluie battante, tous étaient au cœur de la tempête, et aucun n'en voyait le bout. Yvel avait pris soin de partager ses quartiers avec Tenko. Cela était plus pratique dans la mesure où ce dernier avait déjà monté la tente à lui seul.

- Fais humide là-dedans.

- Oui Yvel... Souvent quand il pleut...

Plus imperméable au sarcasme qu'à la pluie, le gabier haussa les épaules et tenta de se sécher au mieux avec les serviettes à moitié trempées à sa disposition. Sans rien se dire, la tempête virulente les forçant à hurler pour se faire entendre, Tenko et Yvel s'occupaient chacun de leur côté. L'un bouquinait, ou faisait semblant, l'autre bricolait avec des cordes enfoncées dans ses manches. Intrigué, et surtout incapable de se concentrer après ce que lui avait dit Hen, Tenko craqua et engagea la discussion.

- C'est pourquoi les cordes ?

- Faire des nœuds.

N'importe quel badaud non averti aurait pu y voir une forme d'humour glaçant, mais la réponse du gabier avait été franche et non viciée. Il n'était pas du genre à se montrer blessant, le courage et l'audace lui faisaient trop défaut pour faire état de la moindre agressivité. Seule une lassitude passive et morne constituait les bribes de sa personnalité.

- Oui, des nœuds... Pour attacher des trucs j'imagine.

- Oui. Enfin, j'ai lu deux trois trucs à la bibliothèque de la marine sur le "Rope Action". Rien n'est fait, mais j'essaie d'utiliser ces cordes pour le combat.

Tenko, allongé sur son sac de couchage, posa son livre à même son ventre.

- Se battre avec des cordes... Mmmh... Est-ce que c'est aussi con que ça en a l'air ?

Cette dernière réplique, il l'avait lâchée avec un début de fou rire. D'un geste de la main, Yvel fit part de sa volonté équivoque de ne pas continuer cette conversation tant elle ne mènerait à rien. Il tritura ses cordes encore quelques minutes pour les positionner dans son manteau de sorte à les utiliser à l'avenir. Si tant est qu'il parvenait à les maîtriser correctement.
Ce préparatif accompli, il demeura assis en tailleur. Peu causant, peu loquace, limite amorphe, il s'ennuyait comme tout homme et relança la conversation.

- Dis, ton copain de tout à l'heure, il avait l'air de l'avoir mauvaise.

- Il avait l'air ouais.

Résolu à l'idée de lire son roman en paix, Tenko ne poursuivit pas la conversation, espérant la clôturer par son silence. Seulement, rongé par l'inquiétude de savoir Hen si amer à l'encontre de la huitième division, il cherchait un exutoire pour se confier.

- Depuis l'incident en quittant Poiscaille... Lui et les autres l'ont encore mauvaise.

Pour le coup, c'était au tour d'Yvel de ne pas répondre, le sujet qu'il avait abordé était plus sensible qu'il ne l'aurait désiré.

- Je pensais que ça leur passerait, mais ils ruminent cette putain d'histoire sans arrêt. Ils se font pas à l'idée que leur ancienne division ait été abandonnée comme ça par la marine.

Un ange passe.
Le soleil s'était couché, et malgré la pluie qui tambourinait sur la toile de chaque matelot, toute la division chercha le sommeil. Dieu seul savait quand cette tempête se clôturerait. Le plus tôt possible pensa Yvel dont le tour de garde garde s'entamait sous la flotte qui ne cessait de s'abattre sur lui.