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Bataille Navale

Spoiler:

De lourdes gouttes s'abattaient sur le pont, empêchant les artilleurs de faire feu depuis cet endroit. La poudre humide ne marchait tout simplement pas. Le patrouilleur de la Marine s'était approché à une vitesse presque déconcertante, ne laissant que peu de temps aux forbans pour se préparer au combat. Néanmoins les Chiens Fous étaient des pirates bien organisés. Sous certains aspects on aurait presque pu parler d'eux comme d'une armée, mais leur petit nombre empêchait tout raccourci de la sorte. Sur le pont inférieur, les équipes travaillaient d'arrache-pied pour faire tonner les canons. Un ballet de boulets s'échangeait entre les deux navires, certains faisant mouche au milieu de la grande majorité qui s'écrasaient dans l'eau autour des deux bateaux.

- Ils sont bons ces cons-là!
- C'est des soldats ducon, encore heureux qu'ils soient bons!
- Fermez vos gueules et continuez de tirer, sous-merdes!

Au milieu de tout ce monde se trouvait Thomas, attelé à nettoyer le fût de la pièce à laquelle il avait été affecté. Le jeune écrivain avait été assigné à ce secteur qui était réputé comme le plus dangereux dans un navire. C'était probablement une sorte de baptême du feu destiné à trier le grain de l'ivraie. Le jeune homme fut écarté d'un coup d'épaule alors qu'il s'appliquait encore au nettoyage.

- Si tu voulais faire le ménage fallait pas prendre la mer, abruti!

Le chroniqueur en devenir n'eut pas le courage de répondre à son chef d'escouade. Kopre n'était pas le genre à apprécier les audacieux. Les choses étaient sous son commandement et rien d'autre ne devait venir perturber cet état de fait. Thomas se releva et resta à l'écart, observant ses compagnons recharger l'arme et l'apprêter pour la prochaine salve. La tension était palpable entre les batteries, quelques uns d'entre eux étaient déjà tombé même si tout les canons restaient opérationnels. Sur cette pensée, un homme leur cria de se coucher et dans la confusion personne ne sut dire qui les avaient prévenus. Se jetant au sol, la jeune recrue percuta le bois avec sa tête alors même que le canon auquel il était affecté faisait feu. Thomas fut sonné par le bruit immense qui fit vibrer son crâne. Il roula sur le côté et son bras percuta quelque chose d'étrangement mou. Ouvrant difficilement les yeux, il trouva son regard plongé dans celui de son supérieur qui disposait maintenant d'un trou au milieu de sa poitrine. Le jeune homme se recula vivement contre le bois de la cale, retenant des hauts-le-cœur successifs. Il jeta un regard circulaire dans le pont. Dès gémissements de douleur se faisaient entendre un peu partout, tandis qu'une minorité d'homme seulement s'occupaient encore de l'armement.

- Relève ton cul Solomon, t'es pas blessé, tu continues!

Braxta se tenait devant lui et le releva sans lui laisser l'occasion de protester. C'était le chef des artilleurs, un vétéran qui avait suivi le capitaine depuis ses débuts et qui n'avait jamais quitté son pont d'artillerie. Il s'était naturellement hissé à la tête des artilleurs. Il empoigna les épaules du jeune homme qui était tétanisé et colla son front contre le sien, son regard dur et sévère plongé dans celui de Thomas.

- Tu as peur, c'est bien. C'est ta première fois ici, c'est normal que tu te chies dessus. Mais là c'est la merde et on a besoin de tout ceux qui sont pas claqués ou en train de passer l'arme à gauche. Compris?

Les mots du pirate permirent au jeune homme de se ressaisir. Il arriva à dominer la peur qui l'avait tétanisé et se dégagea de l'étreinte de son supérieur.

- Bien. Tara, t'es chef d'escouade sur le cinquième et sixième canon maintenant.

- Ça marche, Braxta!

Le vieux pirate se plaça au centre du pont et encouragea successivement ses hommes. Thomas se retrouvait maintenant à devoir gérer à la fois le nettoyage et le chargement du canon. Leur groupe, composé de dix hommes pour les deux pièces qu'ils géraient, avait perdu quatre personnes au moment où les boulets des mouettes avaient atteint leurs positions. Ils devaient donc redoubler d'effort pour ne pas perdre leur cadence de tir. Plus loin, trois pièces, sur les douze alignées de la bordée au total, avaient été détruites. Même si la situation pouvait sembler compliquée, les forbans avaient de la ressource.

- On passe aux boulets à chaîne, bâbord!


Dernière édition par Thomas Solomon le Lun 22 Mai 2017 - 10:06, édité 3 fois
    Les boulets à chaînes. Des projectiles qui s'étaient rapidement taillé une réputation mortelle dans le domaine du combat maritime. Ils étaient originellement déstinés à abattre les mats adverses mais on leur avait rapidement trouvé d'autres utilités. Ils s'avéraient très efficaces pour décimer les rangs ennemis à hauteur de pont. De nombreux hommes s'étaient retrouvés étêtés par ces magnifiques armes de destruction. C'était d'ailleurs, pensait le vieil artilleur, le meilleur moment pour les utiliser. Les escouades avaient envoyé un de leurs membres rapprocher les caisses des fûts pendant qu'ils continuaient de tirer avec des munitions classiques. Le navire entama un détour, exposant son flanc droit intact à l'ennemi. Les hommes de bâbord en profitèrent pour prendre un peu de repos tout en apprêtant leurs canons. Thomas essuya la sueur qui couvrait son visage, noirci par la poudre. Il passa sa tête dans l'ouverture, captant la vision du navire adverse avant que celui-ci ne disparaisse derrière leur propre bateau qui montrait tribord aux mouettes. Une main l'agrippa et le ramena à l'intérieur. Tara était comme son subordonné, couverte de poudre, et la fatigue et l'irritation semblaient l'accabler. Comme tout le monde ici d'ailleurs.

    - Passes pas ta tête dehors si tu veux pas la perdre.
    - Désolé...
    - Et arrête de t'excuser, t'es un pirate maintenant!

    La jeune cheffe tourna les talons et laissa son regard divaguer sur les hommes de tribord qui tiraient à une vitesse folle, entraînés par leurs chefs d'escouade qui redoublaient d'efforts pour galvaniser les troupes. Assez rapidement, leur ferveur porta ses fruits en dominant la bordée adverse qui était pourtant elle aussi  fraîche. Le patrouilleur sembla s'éloigner, certainement dans le but de permettre aux mouettes de reformer leurs rangs. Le navire pirate suivit plus ou moins la même trajectoire, ne voulant pas laisser aux forces de la paix le temps de se reposer. Il était essentiel d'en finir rapidement dans ce genre de situations. Un homme descendit les escaliers qui menaient au pont et se rapprocha de Braxta. C'était l'intermédiaire du capitaine, qui avait pour seule mission de coordonner la navigation et l'armement du navire. Il remonta vite et le "maître de la poudre" tourna son attention vers la bordée de gauche. Les canons étaient déjà chargés et rien ne pourrait plus les empêcher d'immobiliser leur adversaire. Thomas, placé à côté de la pièce d'artillerie, regardait par la mince ouverture la caravelle ennemie qui apparaissait peu à peu.

    - On abat ces mâts rapidement, c'est compris?
    - Oui chef!

    La tension augmenta alors que leur navire mangeait la distance qui le séparait de la zone de tir optimale. Des crépitements se firent entendre et des balles perdues traversèrent le bois. Par réflexe, les forbans s'abritèrent même si une telle offensive n'était pas en mesure de stopper leur assaut. Au moment où il se releva, le flibustier en charge de l'allumage du canon poussa un cri déchirant alors qu'un flot conséquent de sang s'échappait d'un de ses orbites. Réagissant vite, Thomas se positionna derrière le fût pour remplacer son camarade blessé qui était déjà acheminé vers les hamacs. Il fut le seul homme touché par les fameuses balles, alors qu'enfin la distance entre les deux navires permettait la mise à feu. Presque tous les canons crachèrent leurs projectiles en même temps. Tous sauf celui du jeune chroniqueur qui n'avait pas allumé la poudre.

    - Mais qu'est-ce que tu fous?!
    - Attends Tara!
    - Tire immédiatement Solomon ou je te passe par dessus bord!
    - Non pas encore!
    - Solomon!

    Le jeune homme attendit encore quelques secondes. Il avait un but précis en tête. Le navire ennemi était dépassé par sa gauche et l'angle de tir se rétrécissait. Les militaires qui s'étaient abrités pour la salve relâchèrent leur attention et se relevèrent. Le canon détonna, projetant son boulet en direction du château, la partie haute du navire où se trouvait les officiers. Des cris se firent entendre alors que le lieutenant en charge du navire tombait en deux morceaux, découpé par le boulet qui emporta au passage une voile en brisant l'un des morceaux de mât qui la retenait. Un silence court s'installa avant que des applaudissements ne fusent. Braxta se rapprocha du groupe, tout souriant.

    - Vous avez droit à la part de vos morts ce soir!

    Tara acquiesça silencieusement avant de s'accouder au canon fraîchement refroidi par un seau d'eau. Elle détailla le jeune homme qui venait d'abréger une bataille qui aurait coûté de nombreuses vie sans un tel coup de poker. Thomas était adossé à l'un des piliers central du pont, prolongement du mât qui s'élançait au dessus du plancher qui les dominaient. Il semblait exténué après les efforts fournis dans la lutte. Le chroniqueur trouva le regard de sa supérieure qui se rapprocha de lui.

    - Tu sais ce qui va se passer maintenant Solomon?
    - L'abordage?
    - Exactement. Reste-là, tu es trop fatigué pour tenir une épée ou un fusil.
    - Je peux le faire, chef.
    - Non, tu restes tranquille. Tu as déjà bien contribué.

    Sur ces mots, elle emboîta le pas à tout les autres forbans, qui comme elle se dirigeaient vers le pon supérieur. Thomas, quand à lui, toucha l'ouverture dans sa jambe mais la douleur l'empêcha de s'attarder dessus. Il passa un escalier, descendant vers les hamacs où Grimm, le médecin-intendant de bord officiait. Sur le premier pont, la bataille allait s'engager.


    Dernière édition par Thomas Solomon le Lun 22 Mai 2017 - 10:17, édité 1 fois
      Les soldats de la Marine étaient positionnés sur le pont, prêts à accueillir les forbans qui ne tarderaient pas à se jeter sur eux. Malgré leur formation militaire, les militaires étaient tout sauf en confiance après la perte de leur capitaine. Les sergents qui devaient commander la défense n'était pas spécialement connus pour leur efficacité. C'est avec ce désavantage en terme de moral et de coordination que s'ouvrit la bataille, alors que le navire des flibustiers accrochait le patrouilleur. Du côté des pirates, une soif de sang se faisait sentir et les hommes, de même que les rares femmes avec eux, bouillaient d'impatience. Les hommes chargés de la navigation et des cordages furent les premiers à charger, assistant ceux qui avaient sauté d'un navire à l'autre depuis les mats. Une salve de plombs fut tirée avant qu'un combat au corps à corps féroce ne soit engagé. Les pirates prirent le dessus du fait de leur charge avant que le combat ne se stabilise. John Philips, capitaine de son état, observait la mêlée depuis le bastingage de son navire. Matthieu Loiseau, son second, menait la charge tandis qu'Amanda Sochi, troisième dans la hiérarchie, galvanisait les troupes depuis l'arrière.

      - Massacrez les bleus et capturez les officiers et les hommes de valeur!
      - Oui, madame!

      ***

      Plus bas dans le navire, le médecin de bord faisait de son mieux pour s'occuper des blessés graves. Thomas avait proposé son aide mais la lenteur que lui avait imposé sa blessure gênait plus le praticien qu'autre chose. Il s'était donc assis, tendant l'oreille pour saisir l'écho des bruits d'affrontement. Mais se trouvant deux étages en dessous du pont de plein air, il ne pouvait pas vraiment entendre autre chose qu'une clameur sourde et des crépitements occasionnels. Grimm se rapprocha enfin de lui, tandis que d'autres forbans blessés étaient descendus depuis le pont par leurs congénères. Le soignant était un homme assez jeune, même si ses traits durs le vieillissaient d'une décade. Il portait une barbe, rousse comme ses cheveux, qui contrastait avec ses yeux bleus, à la limite du gris. Il se pencha vers la jambe du jeune chroniqueur qui avait déchiré le pourtour de sa blessure. Très rapidement, l'homme roux observa la profondeur de la blessure et plongea ses doigts dans la plaie, non sans avoir demandé au jeune pirate de se cramponner. La douleur fut d'une intensité peu commune et un voile blanc s'affiche devant les yeux de Thomas qui faillit presque perdre connaissance sous l'intensité. Néanmoins il reprit peu à peu ses esprits alors que la source de souffrance s'était évanouie. Il remarqua à peine que le docteur suturait sa jambe. Une fois la blessure refermée, il put se lever et laissa sa place aux hommes qui continuaient d'affluer. Craignant que l'équipage ait perdu l'avantage, il se hâta, du mieux qu'il put, de monter les quelques degrés qui le séparaient de la surface. La plus s'était arrêtée et les deux ponts étaient remplis de pirates. Mais sur celui des Marines, les seuls soldats qui n'étaient pas morts étaient attachés.

      - On arrive après la fête, Solomon?

      Le capitaine se tenait à mi-chemin de l'escalier du château. Il descendit sur le pont et posa une main sur l'épaule de sa recrue la plus récente.

      - Joli coup aux canons plus tôt. On dirait que j'ai le bon choix en vous gardant!
      - C'était un coup de chance, pour être honnête, capitaine.
      - Peu importe, le coup de chance est parti grâce à vous. J'attends beaucoup de vous maintenant.

      Philips s'éloignant, laissant le jeune homme avec la pression qui pesait maintenant sur ses épaules. Thomas s'approcha du bastingage et observa Loiseau qui jaugeait les sous-officiers capturés. Il décrivait un large cercle autour des sous-officier, arrachant leurs insignes de sa rapière. Les soldats essayaient de garder leur sang-froid mais leur situation s'avérait complexe. Amanda Sochi, appuyée contre le mat principal du patrouilleur, s'adressa au second qui s'était finalement immobilisé.

      - C'est des bouches en trop si tu veux mon avis.
      - Amanda... Ça ne fait jamais de mal de prendre de nouvelles recrues.
      - Ils nous seront pas loyaux.
      - La chair à canon n'a pas besoin d'être loyale. Et regarde, tu as failli refuser Thomas qui a écourté la bataille aujourd'hui. Ton flair n'est pas si aiguisé pour un quartier-maître...
      - Tu vas voir ce qu'il va te faire mon flair, Matthieu!
      - Doucement, je plaisante.

      Il se tourna alors vers les forbans qui observaient la scène et leur demanda d'emporter les soldats vers la cale. Thomas les regarda passer, pensant lui aussi au moment qu'il avait passé là-bas. Il se tourna alors vers le pont du patrouilleur alors que d'autres forbans ramenaient des caisses de l'intérieur de la coque. Il aida à la manutention en faisant passer les provisions d'un navire à l'autre. Seulement, après dix minutes, alors que le soleil perçait à travers les nuages, un avertissement résonna, donnant des frissons aux flibustiers.

      - Un patrouilleur approche par l'est! Il fonce à toute allure!
        L'humeur des pirates venait de changer du tout au tout. Très rapidement, l'essentiel avait été pillé et le reste avait été laissé. Mais    un débat faisait rage sur la manière de gérer la situation. Amanda et Braxta en étaient les principaux participants. Ce dernier était enclin à la fuite tandis que la jeune femme voulait faire des deux navires une forteresse immobile depuis laquelle ils pourraient tirer en tout sens.

        - Mais ça n'a aucun sens. Des canons immobiles en mer c'est la ruine!
        - Et fuir un navire deux fois plus rapide est insensé!
        - On pourra combattre efficacement en mer au moins!
        - Avec tant de pertes?!
        - On perd du temps pour rien.

        Thomas s'était avancé et avait coupé la parole aux deux autres qui avaient fixé leur regard sur lui, comme le reste de l'équipage d'ailleurs. Il comprit alors qu'ils attendaient la suite, si suite il y avait. Amanda se fit néanmoins incisive dans son invitation à parler.

        - Alors grand héros, quelque chose à proposer?
        - Oui mais ça ne va pas vous plaire.

        Thomas avait en effet eu une idée mais elle risquait de faire surgir des protestations. Mais c'était, en son sens, là meilleur manière de permettre au plus grand nombre de s'en sortir. Il prit une profonde inspiration et partagez sa vision de la marche à suivre.

        - Nous avons deux navires, mais  même combinés ils ne feront rien de très efficace contre l'adversaire. Alors il faut qu'on envoie un petit groupe à sa mort pour sauver le reste.
        - Mais t'es pas bien?!
        - Facile à dire mais tu vas choisir quel groupe, hein?
        - Regardez-le, à peine arrivé il prend ses libertés!

        Les contestataires, comme avait pu s'en douter le jeune chroniqueur, étaient nombreux. Rare étaient ceux qui ne les avaient pas rejoint, et ceux là restaient simplement silencieux, un regard grave sur le visage. Les figures de l'équipage, notamment, affichaient un air grave et déterminé. Ils se détachaient des autres par leur sérieux, de même que les quelques vétérans qui ńavaient pas ouvert leur bouche. Le Chien, leur capitaine, mit fin au débat assez rapidement. Il n'était pas assez fou pour fortifier les deux navires mais il se savait aussi incapable de fuir sans diversion. Le plan de Thomas, il l'avait nourri lui même pour tout dire. Il n'avait pas survécu toutes ces année sans la ruse qui lui avait néanmoins valu la réputation de fuyard. Il se racla la gorge avant début s'adresser à ses hommes.

        - On va faire ce que le gamin a dit.
        - Mais capitaine...

        Une détonation, puissante, précédant le bruit un corps inerte qui tombe au sol. Les éventuels réfractaires apprirent à garder leur langue dans leur bouche. Philips continua.

        - On va envoyer les vétérans blessés de ce navire contre les mouettes. Ils devront juste les retenir pour qu'on puisse s'échapper. Quand ils les attraperont, ils rendrons les armes.
        - C'est la pendaison qui va les attendre capitaine!
        - Peu importe.

        Un colosse s'était avancé et avait posé sa main sur l'épaule du pirate qui avait protesté. Son torse était couvert d'un tissu complétement imbibé de sang tandis que des bandages étaient visibles un peu partout sur son corps. Derrière lui, d'autres forbans s'amassaient, certains essoufflés par la simple montée des marches. Ils avaient un air déterminé, presque effrayant sous certains aspects. Le capitaine regarda leur meneur qui le dominait d'une bonne tête.

        - Louie.
        - Capitaine. On va s'occuper de ce gêneur, vous inquiétez pas.
        - On va venir vous chercher dès que possible.
        - Pas la peine, capitaine. On a fait notre temps, et si vous venez après nous on aura fait ça pour rien. Prenez la poudre d'escampette et faites en sorte de continuer votre route.
        - On va le faire en pensant à vous les gars.

        Le fameux Louie tapa deux fois sur l'épaule de son supérieur et appelle ses congénères d'un large geste de la main. En moins de dix minutes, les deux navires avaient été séparés tandis que le patrouilleur se rapprochait dangereusement. Les blessés mirent le navire du gouvernenemt en marche et prirent de la vitesse, à l'instar du navire des forbans qui mit rapidement le cap dans une direction différente, toutes voiles dehors. Appuyé contre le bastingage, Thomas ne pouvait s'empêcher de regarder les anciens foncer droit vers leur mort.
          La nuit avait fini par tomber sur le navire en fuite. Le jeune chroniqueur n'avait pas quitté l'affrontement des yeux, jusqu'à ce que la distance rende impossible de distinguer les deux bateaux. Il s'était alors retiré vers les hamacs. La victoire était amère et l'ambiance avait pris du sacré plomb dans l'aile. Sur sa route, il avait croisé Tara, son chef d'escouade qui l'avait attiré de nouveau du côté du bastingage. La jeune femme s'était adossé à la rambarde tandis que le jeune homme regardait la mer. C'était elle qui avait pris la parole la première.

          - La première fois que tu es monté sur ce bateau, j'ai cru que tu n'allais pas faire deux jours. Et une semaine après ça tu coupes un lieutenant en deux en désobéissant aux ordres.

          Le jeune homme resta silencieux, attendant qu'elle en vienne où elle voulait en venir. Elle respira profondément et reprit, comme si elle avait un effort à faire pour prononcer les mots qui suivirent.

          - On dirait que je t'ai mal jugé. Tu as du talent en tant qu'artilleur. J'ai eu ma promotion par hasard mais si quoi que ce soit dois m'arriver, je veux que tu me remplace. Braxta est déjà au courant.
          - Merci, mais je suis sûr que c'était seulement un coup de chance...
          - Mais au moins tu as tenté le coup. Comme tout à l'heure sur le pont d'ailleurs, une idée brillante.

          Une fois de plus, le jeune homme garda le silence. Il se sentait responsable pour avoir envoyé ces hommes à leur mort, même si il était conscient que cette tactique avait sauvé plus de vies encore. Alors, était-ce vraiment une idée brillante? Il n'arrivait pas à le déterminer.

          - Si tu dois te blâmer, ne laisse pas trop traîner. Sinon t'avancera plus avec le poids qui tu tirera derrière ton dos.

          Elle se décrocha du rebord et s'en alla ailleurs sur le pont, rejoignante un groupe de forbans un peu plus loin. Le jeune homme en profita pour finalement s'éclipser dans le dortoir où il prit place dans son hamac. La lumière d'une bougie plutôt proche lui permit de sortir son journal de ses affaires. Se saisissant de quoi écrire, il s'attela à la tâche.

          "J'ai laissé mon récit inachevé ce matin car nous étions attaqués. Un patrouilleur de la Marine arriva de l'est. J'était au cœur du premier combat, dans les batteries d'artillerie. Quelle effroi que de sentir la menace d'une salve qui pourrait vous emporter tout d'un coup, sans vous laisser aucune chance. Un bon nombre d'entre nous sont morts dans le premier affrontement, mais j'ai écourté ce dernier en abattant le lieutenant adverse d'un boulet à chaîne. C'était la première fois que je tuais pour la guerre. La seule fois pour tout dire. Ai-je tué sans le savoir avant? C'est probable. Mais je n'en ai pas la sensation. Tenir une arme de ce calibre ne me donne pas la sensation de vraiment tuer. Ce que je ne vois pas n'existe pas, dans un sens."

          Il s'arrêta, se préparant mentalement à écrire la suite des évènements. Mais cette tâche qu'il s'imposait était plus un examen de conscience qu'un divertissement. Aussi il était dur de se confesser, même quand c'était nécessaire.

          "J'ai tué une seconde fois. Après l'abordage, nous avons rapidement gagné la bataille. Nous vidions le son vivres ennemis quand un second navire a fait son apparition. Nous étions conscients que rien au monde ne pourrait nous sauver d'un deuxième affrontement. Alors j'ai proposé une solution, radicale mais efficace. J'ai peoposé d'embarquer des hommes sur le navire fraîchement capturé pour distraire les Marines en approche. Sacrifier un groupe d'hommes pour sauver les autres. Le capitaine avait le même projet et nous avons envoyé les blessés, qui avaient consentis. Était-ce moral? Je ne le crois pas. Mais je fais partie d'un univers où la survie prévaut sur la morale. Je ne ferai jamais partie d'un autre univers désormais. Autant m'y faire?"

          Thomas ferma le journal et le rangea sous son oreiller de plumes. Il croisa ses mains sur son ventre et fixa le plafond. La chaleur humaine ne le dérangeait pas ce soir-là, car il ne pourrai rien pas s'endormir, son esprit étant bien trop accaparé par tout ce qu'il avait pu vivre. Ses yeux se fermèrent quand le soleil dépassa de nouveau l'horizon. Personne ne vint le réveiller, sous les ordres directs de Braxta.