Le Deal du moment :
Display One Piece Card Game Japon OP-08 – Two ...
Voir le deal

Interrogatoire

Contexte:

- Faut toujours qu'il flotte quand on revient ici. On a mal choisi l'endroit...

Braxta ne pouvait pas s'empêcher de râler alors que lui et les artilleurs s'étaient réfugiés dans l'abri qui leur était dédié. Ils avaient rejoint Auba en quelques jours seulement, soucieux de disparaître des radars pour quelques temps. C'était une île ridiculement petite mais qui comportait une crique qui permettait de dissimuler le navire des forbans, Le Limier. Derrière s'étendait une forêt qui recouvrait les deux collines plutôt imposantes qui constituaient le seul relief de l'endroit. Les Chiens Fous avaient trouvé cet endroit pendant l'une de leurs fameuses escapades et avaient trouvé l'endroit idéal pour en faire leur pied-à-terre. Seulement, chaque fois qu'ils étaient revenus, une pluie torrentielle s'était abattue sur leurs crânes. Ils avaient donc construits des abris dans les grottes du promontoire ouest, qui comportait assez de cavités pour établir une base souterraine.

- C'est un sacré endroit n'empêche. Je vois mal comment on pourrait nous trouver ici...
- Bah tu sais, Solomon, ce caillou figure même pas sur les cartes. C'est pas demain qu'on voit les chevaliers de la justice débarquer, je te le dis...
- Rien que la flotte ça les repousserait.

Tara venait de rentrer dans la grotte et s'assit près des deux hommes qui discutaient près de l'entrée. Elle était trempée jusqu'aux os et elle était obligée d'essorer ses cheveux qui avaient absorbé bien trop d'humidité. Thomas remarqua qu'elle ne portait pas son pistolet à silex, inutilisable par ce temps et inutile sur une île uniquement occupée par l'équipage. Elle en vint au sujet qui avait délié toutes les langues après l'affrontement en mer qu'ils avaient menés quelques jours plus tôt seulement.

- Loiseau s'occupe des cols blancs mais ils veulent pas cracher le morceau...
- Il est doué pour ce genre de choses, il va s'en sortir. Oublie pas qui est son modèle.
- Ouais, c'est flippant, même pour nous...
- Son modèle?

Thomas ne connaissait pas vraiment le mystérieux second du capitaine mais il avait cru comprendre que c'était un individu sans foi ni loi, seulement bridé par l'influence du capitaine. Le chef des artilleurs attrapa un journal près de lui et le donna au jeune homme qui remarqua la grande photographie d'un homme au visage transpirant la cruauté. L'hebdomadaire titrait en lettres grasses:

Joe Biutag nommé Capitaine Corsaire

Le jeune chroniqueur n'entra pas dans les détails mais tourna sa tête vers ses deux compagnons qui attendaient une réaction de sa part. Quand il leur demanda qui cet homme pouvait être, ils s'effondrèrent presque de rire. La jeune femme s'enquérit des connaissances du jeune homme sur le fameux pirate.

- Tu ne connais pas le Cafard?
- Non, pas vraiment. Je ne lis jamais le journal...
- C'est l'un des pirates les plus retors que le seul mers aient engendrées. On lui impute tellement de méfaits que c'est à se demander si les archive de la Marine ne lui sont pas dédiées. Un vrai psychopathe par dessus le marché...
- Et le second est comme lui?
- J'en reverrai mais malheureusement non.

Matthieu Loiseau se tenait dans l'entrée, remettant ses gants en tissu précieux. Thomas ne put s'empêcher de se faire là-bas remarque que son air distingué contrastait fortement avec sa présumée réputation. Il fit signe au jeune homme de se lever et de le suivre, saluant au passage les deux compagnons de campement du chroniqueur. Thomas se leva et emboîta le pas à son supérieur, une boule au ventre après avoir gaffé devant lui. Le forban resta silencieux, ouvrant simplement la marche à travers le valon, en direction de la seconde colline. Après avoir quelque peu gravi cette dernière, ils tombèrent devant ce qui semblait être un ancien début de mine. Loiseau se tourna alors vers son subordonné.

- Le Capitaine t'attends là-dedans. Quelqu'un a demandé à te voir.
- Comment ça?
- Tu verras bien par toi même. Et profites en pour juger mon... travail?

Sur ces mots, il tourna les talons, laissant le jeune chroniqueur livré à lui même. Thomas s'engouffra dans le couloir artificiel, avançant dans ce tunnel en direction des seuls bruits qui parvenaient à ses oreilles: des gémissements de douleur.


Dernière édition par Thomas Solomon le Jeu 8 Juin 2017 - 7:59, édité 2 fois
    Des gouttelettes glissaient le long des parois humides, laissant penser que la motte de terre au dessus des galeries étaient plein d'infiltrations qui rendaient le lieu assez dangereux. Thomas avançait lentement dans la pénombre à peine atténuée par les flammes vacillantes des torches fixées au murs. Après avoir parcouru une centaine de mètre, il tourna sur sa gauche et se retrouva devant une vieille porte de bois qu'il poussa délicatement, pénétrant dans une sorte d'antichambre spacieuse. Il se demanda la fonction qu'avait pu remplir cette pièce quand le complexe était encore une mine. Mais il fut tiré de sa réflexion quand il aperçut la porte du mur d'en face s'ouvrir sur le capitaine Philips et Amanda, le quartier-maître de l'équipage. Cette dernière resta en retrait alors que leur chef à tout les deux s'avançait vers le chroniqueur qui ne pouvait s'empêcher d'être nerveux. Le Chien prit enfin la parole, allant droit au but.

    - Matthieu vous a dit pourquoi j'avais besoin de vous?
    - Non, pas vraiment capitaine.
    - Bon. L'un des soldats dit vous avoir reconnu et qu'il ne parlera qu'à vous. Donc j'ai fait en sorte de tester sa résistance et il n'a pas l'air de mentir. Alors vous allez entrer là-dedans et y rester jusqu'à ce qu'on ait les réponses dont on a besoin. Compris?
    - Oui, capitaine.
    - Bien. Amanda, surveille bien tout ce qu'il se passe.
    - D'accord John.

    Ayant accompli sa tâche, le capitaine s'éloigna sans jeter un regard à la jeune recrue qui allait faire son entrée dans la salle de torture. Presque pour le narguer, la jeune femme qui l'accompagnait ne put s'empêcher de lui donner une violente accolade.

    - On va bien s'amuser, tu vas voir!

    Sur ces mots, elle ouvrit la porte et poussa le chroniqueur qui se retrouva face à une vision d'horreur. Un haut-le-cœur lui vînt mais il essaya de garder la face, sans quoi il ne tirerait rien des soldats présents. Sur les cinq hommes qu'ils avaient capturés, deux d'entre eux étaient morts et deux autres étaient enchaînés dans un coin, un air de peur absolue sur leurs visages. Deux vétérans de la Marine réduits au statut de victime inoffensive, fragile. Le dernier homme, plutôt jeune, se tenait assis sur une chaise, solidement sanglé. Son corps était couvert de blessures toutes plus atroces le seul unes que les autres. Il semblait complètement déphasé, sûrement à cause des hormones que sécrétaient son cerveau pour l'apaiser. Thomas s'approcha de lui, essayant de le reconnaître. Alors qu'il s'approchait, le prisonnier sembla réagir en apercevant ce visage familier.

    - Tho... Thomas?
    - Davyn?

    La voix ne pouvait pas tromper, aussi faible et cassée qu'elle pouvait l'être. Le jeune sous-officier qui faisait face au jeune flibustier n'était autre qu'un ancien collègue des docks de Logue Town. Le seul deux adolescents avaient passé beaucoup de temps ensemble à l'époque, chacun d'entre eux devant surmonter des problèmes qui les affectaient de la même manière. Quelques mois avant qu'il ne se décide à disparaître, Thomas avait vu son ami rejoindre les rangs de la Marine. Il avait certainement dû montrer de bonne dose aptitudes par la suite et s'était lentement mais sûrement hissé dans la course au grade. Et il avail fallu qu'il se retrouve là, face au jeune homme.

    - Donc tu le connais. De Logue Town?
    - Ouais, on a bossé ensemble sur les docks pendant un bon bout de temps.
    - Le hasard fait bien les choses...
    - Ouais...

    Thomas ne pouvait pas détourner son regard malgré le sentiment de malaise, de honte, qui le rongeait. Il ne pouvait pas vraiment se trouver dans une situation plus inconfortable que celle-là. Il tira une chaise et s'assit en face du Marine. Il avait un travail à faire. Amanda sourît, surprise de l'apparente détermination du jeune homme. Serait-il donc loyal à l'équipage ou choisirait-il cet ami du passé?
      - Tu es censé me parler, Davyn.

      Même après vingts minutes, le soldat refusait d'ouvrir sa bouche. Dès le moment où il avait compris que l'ami qu'il avait connu avait accepté sa condition de criminel, l'échange avait tourné court.

      - Tu as emprunté cette voie après tout ce que ton père a fait pour lutter du bon côté.
      - Et nous voilà parti pour le drame...
      - Tais-toi flibustière! Que sais-tu de la justice?
      - Et toi gamin? Tu crois que tu sauves le monde avec ton uniforme et ta bonne volonté?
      - J'essaye moi au moins, je ne vole pas mon bonheur!
      - Naïf.

      Les échanges de ce genre n'avaient cessés de se répéter au fil des longues minutes qui passaient. N'usant pas de sévices physiques, Thomas avait ainsi permis à la mouette de se reposer, même si son état ne lui permettait que la parole. Eût-il tenté de s'enfuir, il n'aurait pas fait dix mètres avant de s'effondrer, à bout de force, vidé de son sang. Ainsi il disposait de toutes les cartes pour mener le jeu, la mort pouvant lui tendre les bras à tout moment en protégeant pour toujours les informations en sa possession. Aussi le chroniqueur devait ruser pour extorquer les mots de la bouche du marin. Il se leva et sortit de la pièce, aussitôt suivi par la jeune femme qui ne le lâchait pas du regard. Il savait très bien qu'il devait gagner la confiance d'Amanda s'il voulait mener sa tâche à bien.

      - J'ai une requête.
      - Qu'est-ce que c'est?
      - Laissez moi seul avec lui, juste le temps qu'il craque. 7
      - Non.
      - Il ne va jamais parler si vous êtes là.
      - Ecoute, je ne te fais pas vraiment confiance, surtout quand un de ces gars dit bien te connaître.
      - J'ai combattu de votre côté!
      - Ça ne prouve rien en soi! Tu n'avais pas le choix, pas d'échappatoire. Lui pourrait en être un mais je ne prends pas le risque.
      - Alors on n'en tirera rien. Si je le torture, il meurt. Si on ne le soigne pas, il meurt aussi. Vous avez vu son regard. Il ne parlera pas.
      - Ils parlent tous, il faut juste trouver le bon moyen.
      - Alors j'ai une autre idée. Si elle ne marche pas, on passe à la première.
      - Non.
      - Donc on laisse nos compagnons se faire prendre.

      La jeune femme qui avait graduellement été saisie de colère pendant l'échange attrapa le jeune homme par le col et le plaqua contre le mur. Thomas pouvait sentir l'aura meurtrière qui entourait la jeune femme. Pour autant, il n'était plus pris de peur mais plutôt d'audace. Il ne quitta pas son adversaire du regard, défiant son autorité. La pirate resserra son étreinte et siffla un commentaire acerbe.

      - Tu as pris du cran en l'espace d'une semaine. Mais ne joue pas à ça avec moi, insulte pas ceux qui se sont sacrifiés!
      - C'est moi qui les ai mis dans cette situation. Tu crois que je vais pas essayer d'arranger les choses?
      - Pourquoi tu ferai ça?
      - Parce que je vous doit la vie, aussi insignifiant que cela soit dans mon cas.

      La jeune femme le lâcha enfin et se recula, un air maussade toujours affiché sur son visage. Mais ces dernières paroles semblaient avoir calmé sa colère. Thomas ne comprenait toujours pas la rancœur que nourrissait le quartier-maître à son égard. Il se fit la promesse d'essayer de comprendre mais son esprit se focalisa rapidement sur ce qu'il devait encore accomplir. Il entra dans la salle et dépassa Davyn sans même lui jeter un regard, se dirigeant directement vers les deux autres marins qui se trouvaient enchaînés. Ils se recroquevillèrent à l'approche du forban et le chroniqueur en sépara un du mur avant de le traîner jusque devant son ami d'antan. Là, il sortit un coutelas de sa poche et le passa sous la gorge du soldat entre ses mains, pressant la lame contre la gorge de ce dernier. Quelques gouttes de sang perlèrent et la mouette fut prise de sanglot. Davyn de détourna pas les yeux quand Thomas fixa son regard sur lui.

      - Parle et je leur donne une mort rapide. Sinon je demanderai au second de l'équipage de prendre plus de temps qu'il n'en a pris avec toi et d'aller plus en profondeur dans la torture.
      - Tu es devenu un monstre en t'associant avec eux.
      - Non, j'en suis devenu un en héritant de cette foutue maladie! Tu crois pouvoir me juger mais tu as toute ta vie pour t'échapper du malheur qui a pu te hanter. Moi, il ne me reste que vingt ans à vivres, vingts pauvres années pour mettre derrière moi cette vie de misère, vingts ans à redouter la guillotine qui pend au dessus de moi! Toi tu as pu connaître le soulagement, c'est quelque chose que je n'aurai jamais!
      - Ton père était dans cette situation et il a choisi le bon camp Thomas!
      - Il a choisi l'armée pour mourir au combat. Je le voyais dans ses yeux chaque fois qu'il revenait à la maison! Mon père n'avait pas choisi de faire le bien, il avait choisi de mettre toutes ses chances de côtés pour se prendre une balle au combat. Je fais la même chose, vois-tu! Je suis tombé sur cet équipage par hasard, et ils m'ont donné une direction, sans quoi j'aurai erré sans but!

      Le soldat ne répondit plus. Il prenait véritablement conscience du poids qui pesait sur les épaules du jeune homme qu'il avait connu. Sa fuite et sa rencontre avec les pirates l'avaient libéré de cette pudeur, de cette intériorisation qui plombait autrefois sa vie. Si la menace était toujours présente, il semblait maintenant l'affronter la tête haute. Davyn s'en voulut presque d'avoir jugé son ami en ignorant ce passif qu'il connaissait vaguement. Ils avaient peu parlé de leurs problèmes, s'étaient surtout entraidés par leur simple présence. Amanda n'avait pas sourcillé, gardant son air blasé comme à son habitude. Néanmoins elle découvrait une facette du chroniqueur qui lui permettait de mieux le comprendre. Ses motivations apparaissaient plus claires, de même que sa détermination qu'elle jugeait auparavant comme fausse apparaissait maintenant sous un autre jour. Thomas relâcha son étreinte sur le soldat qui retenait ses larmes, trop effrayé par la situation. Il se tourna vers son supérieur et demanda à la jeune femme d'aller chercher Loiseau. Alors qu'elle allait quitter la pièce, Davyn intervint enfin.

      - Qu'est-ce que vous voulez savoir?

      Thomas positionna de nouveau le couteau sous la gorge du soldat et Amanda se rapprocha de la chaise sur laquelle était assis le jeune pirate.

      - Je vois qu'on devient raisonnable. Où ont été emmenés nos vétérans?
        Le jeune soldat n'avait pas tardé à donner aux deux forbans les renseignements qu'il détenait. Le lieutenant avait lancé un appel à l'aide juste avant d'être découpé par le projectile qu'avait tiré Thomas, et un navire croisant non-loin s'était empressé de rappliquer. D'après Davyn, le navire était rattaché à Torino et ne tarderait pas avant de rentrer à bon port, embarquant les pirates blessés avec eux. Néanmoins, ils devraient probablement passer par Koneashima pour se ravitailler et se reposer en chemin. Amanda regarda Thomas qui avait la même idée de la situation en tête: c'était sur cette île qu'ils devraient les récupérer, quoi qu'il en coûte.

        - On peut s'attendre à quoi comme défenses?
        - L'île est plutôt autonome mais une division de la brigade scientifique s'y trouve. Ne vous méprenez pas, ce sont des brutes...

        Thomas attrapa le soldat qu'il tenait entre ses mains par les cheveux et il fit glisser sa lame d'un geste sec, ouvrant profondément la gorge de l'homme qui ne mettrait que quelque secondes à passer de l'autre côté. Amanda s'occupa rapidement du second soldat, lui ôtant ses chaînes avant d'abréger sa peine. Le jeune chroniqueur se leva et regarda celui qui avait été son ami et s'adressa à lui.

        - Tu peux nous rejoindre, Davyn. Tu peux faire ça plutôt que de mourir ici, bêtement.
        - Tu ne penses pas ce que tu dis. Je vois dans tes yeux que je fais partie de ce passé que tu veux enterrer. Et puis ils ne l'accepteront jamais. Finis en juste vite.

        Le jeune homme ne pouvait donner tort au marin qui penchait sa tête en arrière pour se laisser achever. Il n'y avait aucun futur pour lui au milieu des Chiens Fous. Il avait obtenu de son ami qu'il achève sa vie et celle de ses compagnons en douceur. Il ne pouvait rien souhaiter de plus. Thomas raffermit sa prise sur son coutelas et effectua sa besogne, sans fermer les yeux. Il respectait cette homme qu'il avait connu et qui n'avait jamais abandonné sa cause. Il y avait peut-être une leçon à retenir de cela après tout. Il se recula et se laissa tomber sur la chaise. Pudique, le quartier-maître laissa le chroniqueur seul, profitant de l'occasion pour aller prévenir le capitaine de l'avancée de l'interrogatoire. Quelques dizaines de minutes plus tard, des hommes vinrent récupérer les corps sans que le jeune auteur ne bouge d'un pouce. Il était en pleine réflexion intérieure, centré sur ces sentiments qui le hantaient.

        Il ne s'était pas vraiment posé de questions depuis qu'il avait intégré l'équipage pirate. Il s'était contenté de s'occuper avec les tâches qui lui incombaient. Cela lui permettait de vider son esprit d'une manière qu'il n'avait jamais connue auparavant. Il avait commencé à forger des liens avec certains membres de l'équipage, chose qu'il n'avait pas fait depuis longtemps. Plus il y pensait, plus il remarquait qu'un sentiment d'appartenance commençait à se dessiner à l'horizon. La vie de forban était rude, poussait un homme dans ses retranchements. C'était ce dont avait besoin le jeune homme pour se sentir vivre. Les premiers symptômes de la maladie se montreraient un jour et il ne pourrait rien faire pour y changer quelque chose à ce moment-là. Alors il arpenterais le monde avec ces hommes et ces femmes, poursuivant leur but à défaut d'en avoir un, les aidant à réaliser leurs rêves. Cela pouvait sembler naïf, mais c'était la seule chose qui lui restait dans cette vie. La porte derrière lui grinça et des bruits de pas se rapprochèrent du jeune homme. John "Dog" Philips s'assit en face de l'artilleur.

        - Vous portez un sacré fardeau, Solomon.
        - C'est peu de le dire capitaine...
        - Alors laissez-moi vous raconter une histoire.

        Thomas leva les yeux vers l'homme blond qui lui faisait face. Ce dernier lui tendit une assiette de viande que le chroniqueur accepta, son ventre étant vide depuis bien trop longtemps pour qu'il refuse une telle offre.

        - C'était il y a sept ans si je ne me trompe pas... À l'époque je n'était encore que le second d'un capitaine médiocre mais agréable, Wyatt Beley. On était connu pour notre férocité au combat, mais aussi pour notre respect des civils. Nous ne visions que les navires ou les bases de la Marine. On s'était fait une petite réputation et il est vite devenu difficile d'échapper aux chasseurs de pirates. Et c'est là qu'on est tombé sur un os.

        Comme pour appuyer son propos, il retira de sa bouche la cuisse de poulet autour de laquelle il avait grignoté la viande jusque là. Il reprit rapidement son récit.

        - C'était un lieutenant malin, prudent quand il s'agissait de combattre en mer. Il a repoussé les assauts qu'on a lancé les uns après les autres. Quand on a pris la fuite, il nous a prudemment suivi. Et il nous a cueilli sur Las Camp, sur West Blue. Quand cet homme se jetait au combat, il n'avait jamais l'intention de s'en sortir vivant. Il a emporté le capitaine dans sa folie meurtrière. Et puis j'ai du l'affronter. Cet homme qui portait un fardeau, il cherchait à s'en débarrasser. Il m'a laissé une belle cicatrice mais j'ai réussi à m'enfuir, une fois de plus. Et ce soldat tu le connais aussi.
        - Mon père.
        - Exact. Tout ça pour dire que cet homme s'était condamné avant l'heure. Je ne savais pas ce qu'il avait, ce James Solomon. Mais quand Amanda m'a expliqué, j'ai tout de suite compris. Et j'avais envie de t'en parler. Tu dois te trouver un but, une raison de vivre. Parce que toi plus qu'un autre devra faire quelque chose de sa vie avant de passer par le trépas. Ne meurs pas plein de regrets comme ton paternel.

        Le capitaine se leva et commença à se diriger vers la porte, avant de faire rapidement volte-face, juste l'espace d'un instant.

        - Bien joué pour l'interrogatoire. On prends la mer dans une heure, prépare-toi!
          Le Limier s'avançait dans l'obscurité naissante, fendant les flots avec une facilité presque déconcertante. Sur le pont, Thomas vadrouillait tranquillement, enfermé dans ses pensées. Elles étaient focalisées sur la discussion qu'il avait eu avec le capitaine un peu plus tôt. Le chroniqueur repensa à son père, les derniers mois qu'ils avaient passé, lui et sa mère, à l'observer cherchant la mort, quel que fusse le moyen de l'atteindre. Le jeune homme ne s'était jamais imaginé que son paternel ait traversé cette épreuve avant même de se retrouver paralysé par la maladie. Avait-il essayé de disparaître dès qu'il avait apprit la nouvelle? Ne pouvait donc t-il pas essayer de faire quelque chose d'autre de son temps que d'essayer de le raccourcir plus encore? Thomas abattit son poing sur le bastingage qui se trouvait sous ses coudes.

          - Fais chier, pourquoi fallait que ça tombe sur moi?!

          Il venait d'apostropher le ciel, comme si il y avait quelqu'un là-haut pour lui répondre. Il plongea son regard dans la mer. Il faisait suffisamment sombre pour que l'eau ne ressemble plus qu'à un vaste drap noir. Il ne pensait jamais à la maladie et pourtant elle était omiprésente dans sa psyché. Tout ce qu'il était devenu au fil de ces années, c'était grâce ou plutôt à cause de l'affection encore passive dans son corps. Mais viendraient les toussotements, à l'avant-garde des symptômes qui le traîneraient dans sa tombe. Rien que d'y penser, il était pris de légers tremblements. Comment devait-il vivre avec une telle menace pesant sur ses épaules? La réponse, Philips le lui avait donné plus tôt.

          - Vivre sans regrets... C'est plus que conceptuel quand ta vie va se finir plus vite que prévu...

          Néanmoins il ne pouvait nier qu'un certain goût pour l'aventure était né chez lui depuis un certain temps. Il avait fui son foyer après ses méfaits en se convainquant que c'était pour mourir ailleurs que chez lui. Mais ne désirait-il pas, au final, découvrir le monde qui l'entourait? Sillonner les mers à la recherche d'un but, de quelque chose qui le pousse à se battre jusqu'au dernier des instants. Il sentait ce sentiment naître en lui. Plus il restait au contact des pirates, plus il prenait goût à la vie. Peut-être disposait-il d'un avantage sur les autres de par sa durée de vie raccourcie? Il ne pouvait le dire...

          - On savoure toujours plus quelque chose qu'on est sur le point de perdre, pas vrai?

          Thomas s'était enfin apaisé. L'introspection faisait du bien à son cœur et à son âme, durement éprouvées pendant la journée. Il pouvait presque se tourner serein vers un avenir pourtant incertain. Ce soir-là, il n'attrapa pas sa plume, soucieux de garder pour lui ses réflexions qui n'étaient pas encore abouties. Il s'endormit rapidement, bercé par le bateau qui tanguait doucement.