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Alliances

J’mange mes œufs brouillés dans la Taverne du Trésor Enfoui. Ils sont pas baveux pour un sou, exactement ce que j’voulais. La plupart de mes Marines sont réparés, sauf ceux qui étaient blessés vraiment sérieusement. Ça fait quelques jours qu’on a attaqué le gang de l’autre, pour lui voler ses marchandises et récupérer mes gars.

Quelques jours pendant lesquels, si j’en crois les nouvelles que Manny me donne, Erik, le chef de la bande du Phare, s’est appliqué à chopper les survivants pour les assassiner et garder la place propre. Il recrute, aussi, et s’applique à passer la côte au peigne fin, pour reprendre le business d’Hartos. Ça m’surprend pas, il m’a bien poussé dans cette direction. Mais ça m’arrange plutôt qu’il achève des gens qui pourraient garder une dent contre moi.

Il est encore tôt, à peine neuf heures, et pourtant la plupart des Marines sont déjà là, prêts à exécuter les ordres. Quels qu’ils soient, j’en ai pas donné des masses récemment. J’vois Surin descendre les escaliers d’un pas pesant, une soldat au bras. J’lui adresse un signe de la main pour qu’il se radine. Il lui lâche un mot, lui claque les fesses, esquive une baffe et m’rejoint en souriant.

« Bien l’bonjour, cap’taine. Salut, Jadieu.
- Ouais, ouais, Surin, salut. »
Jadieu marmonne un bonjour, du pain plein la bouche.
« J’vais vous la faire courte, que j’entame en baissant la voix. Maintenant que le gros du danger avec Hartos est passé, va être temps de plus ressembler autant à des Marines en mission.
- Comment ça ?
- On traine trop ensemble. On se sépare jamais. On n’a rien à voir avec des pirates en permission qui vont bientôt reprendre la mer.
- Ah. Oui.
- On n’est pas des pi…
- Ta gueule, Jadieu. Si. Bref, on va se séparer par escouades. Quatre ou cinq gars par groupe, allez faire la noce un peu. Une escouade reste toujours ici au cas où. Tavernes, bordels, salles de jeux, tripots, ou amusements plus exotiques, chacun s’démerde, mais j’veux qu’on prenne un peu plus le pouls de l’île maintenant qu’on est davantage en fonds.
- On aura une bourse allouée ?
- Ouais. Flambez pas trop vite, mais faudra essayer de dessiner qui commande quoi dans le patelin, pour plus tard.
- Faudra asseoir notre domination, aussi ?
- Evitez les trop gros morceaux pour le moment, quand même. Faut juste qu’on tienne notre réputation de mauvais coucheurs, bon bagarreurs.
- Okay, capitaine.
- J’vous laisse vous démerder pour la composition des groupes. Et arrêtez de vous lever aux aurores, putain, faites la grasse mat’.
- Je vais faire passer le mot.
- Ouais. Pour aujourd’hui, j’reste ici. Si y’a quoi que ce soit, vous m’contactez, j’me radinerai. Allez.
- A vos… Enfin, oui, se reprend Jadieu. »
Surin se contente de hocher la tête avant d’aller retrouver sa douce de la nuit.

J’écarte mon assiette d’œufs froids et j’croise les jambes sur le siège d’à côté. La thune qu’on a récupérée va nous tenir quelques jours, même en la cramant, et il sera toujours temps d’en trouver à ce moment-là. Soit en rackettant un autre équipage, soit en tissant des liens plus forts avec les gens qu’on connaît déjà trop. Un équipage de gros bras leur sera sûrement utile.

J’me note qu’on va aussi devoir commencer à chercher un bateau, histoire de pas trop ressembler à des types qui prévoient de rester. Puis ça sera toujours utile. On le volera, trop cher à l’achat. Comme des vrais pirates. Har har har. M’faut aussi un denden, blanc de préférence, pour communiquer avec les Marines qui doivent arriver bientôt. L’affaire de quelques jours maintenant. C’est important qu’on soit établi comme des clients sérieux d’ici là.

En attendant, à part attendre, finalement… J’baisse la tête et j’m’applique à somnoler.


Dernière édition par Alric Rinwald le Sam 12 Aoû 2017 - 15:28, édité 2 fois
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L’heure du déjeuner est déjà passée quand Manny descend enfin de sa piaule. J’le note, parce que c’est un des seuls clients de la taverne qu’est pas de mon équipage. J’aime pas trop le voir rôder dans le coin, on l’intéresse trop. D’ailleurs, ça loupe pas, il vient tout droit vers moi. J’le regarde en sortant puis en allumant une clope, juste pour voir si ça le met mal à l’aise.

Il se prend les pieds dans un tabouret mais continue l’air de rien. Ha.

Quand il s’asseoit en face, son teint est un poil plus rouge que d’habitude, et un genre de long duvet couvre ses joues en taches inégales. Ça m’fait un peu penser à un arbre en automne, avec la moitié des feuilles qui se sont barrées. J’souffle ma fumée droit dans sa gueule. Il fronce le nez et les sourcils, puis détend rapidement son visage pour y foutre un sourire. Il va me demander quelque ch…
« Dites, Capitaine Angus ?
- Hm ?
- Erik Highsilver voudrait vous voir.
- Okay. »

J’me radosse confortablement, et j’attrape la tasse posée à côté de moi. Le café est froid mais ça m’empêche pas de le boire d’une traite. J’ferme ensuite confortablement les yeux en croisant les bras sur ma poitrine et j’étouffe un baillement.
« Euh… »
J’ignore ostensiblement Manny.
« Vous y allez pas ? »
J’ouvre un œil et je hausse un sourcil.
« Ben nan, pourquoi j’irais ?
- Oui, enfin, quand même…
- Ca va, j’suis pas obligé de me pointer quand il envoie son larbin me chercher, quand même, faut pas déconner.
- Son larbin ? Je ne suis pas son…
- Tu transportes ses messages, tu fauches la bouteille de rhum qu’il m’envoie pour la siffler dans ta chambre tout seul, tu…
- Quoi mais pas du…
- T’inquiète, j’suis au courant pour le Black Jack, te bile pas. J’aurais bien goûté mais c’est pas grave, si j’suis au courant, lui aussi. »
J’lui adresse un grand sourire pendant qu’il devient tout rouge.
« Vous m’espionnez !
- Evidemment, tu crois quoi ? Tu crêches juste à côté de mes gars et t’as des liens avec pleins de gens qui sont pas forcément mes potes.
- Comme ?
- Erik déjà, le tavernier ensuite. On va s’arrêter à ça pour le moment. »

Y’a un léger silence avant que j’reprenne.
« Puis j’suis vachement occupé, là. »

Il observe ma pose, quasi-allongé que j’suis, les pieds posés sur le siège en face de moi, l’image de la détente.
« Ca a l’air, dit-il d’un ton acide. »
J’réponds pas et il lui faut pas long pour reprendre sur un ton nettement plus aimable.
« Et je lui dis quoi, à Erik ?
- Démerde-toi, que j’ai pas le temps, qu’est-ce que j’m’en bats ?
- Vous irez ? Plus tard ?
- P’tet. Dépend si j’ai le temps, l’envie, la motiv’, quelque chose à y gagner.
- Si vous y allez maintenant, vous avez sûrement quelque chose à y gagner, tente-t-il.
- Sinon, l’a qu’à se bouger les miches lui-même pour venir voir ma trogne. T’as qu’à lui dire ça, tiens. »

J’fais un signe de la tête pour lui signifier qu’il décarre maintenant et j’ferme les mirettes. Une p’tite sieste pour être dispo si et quand y’a besoin.

J’me réveille pour grignoter un truc à quatre heures. La salle commune est pas bien remplie, mais j’reconnais quelques têtes. D’autres non. Manny a dû partir s’amuser un peu, c’est vers cette heure-là qu’il disparaît d’habitude. Mes Marines qui sont là discutent doucement, jouent aux cartes, aux dés. Faudrait que j’me trouve d’autres capitaines pirates avec qui jouer, à l’occaz…

J’me tourne pour regarder par la fenêtre. Pluvieux. Les rues doivent être dans un sale état, avec la bouillasse que ça remue. Mais ça participe aussi à nettoyer un peu le coin, histoire que ça daube moins les déjections et les macchabées.

S’passe rien, putain.
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On est le lendemain, et les enfants sont repartis jouer en ville. Leur rythme se décale peu à peu vers celui de vacanciers. Une vraie petite colonie de vacances. J’ai le cou qui tire un peu, vu que j’ai pioncé dans la salle commune, sur un banc. Y’a un nouveau venu dans un coin de la pièce, tout seul avec un journal et un petit-déjeuner qu’il grignote lentement. J’cache un sourire dans mon baillement.

En milieu d’après-midi, un des gars fait irruption en courant dans la taverne.
« Cap’ ! »
J’me redresse brusquement et j’note du coin de l’œil l’intérêt de tous les clients. Ha.
« Allons-y. »

Au pas d’course, il nous faut à peine cinq minutes pour arriver. En chemin, j’ai droit à un topo vite fait. Mirettes s’est lancé dans une partie de cartes avec d’autres pirates en train de glander et a laissé les mises monter tranquillement avant de tricher un bon coup. Il s’est fait chopper, évidemment, mais maintiendra que ça faisait partie du plan, le connaissant.

En dix minutes, j’espère qu’ils se seront pas tous fait suriner, mais la Vingtième vaut mieux que ça. L’endroit où ils se sont fourrés fait vraiment tripot. Seul un auvent bloque la lumière de la rue, et quand on l’écarte, c’est le chaos. Les tabourets et les boissons volent, et du verre brisé tapisse le sol. Dans un crissement, j’rentre et j’fronce les narines à l’odeur de corps mal lavés et de bière bon marché.

Dans le fond, j’vois Pilier abattre rythmiquement son poing sur le visage d’un type qui ressemble maintenant davantage à du tartare qu’à un être humain. Un autre dégaine sa pétoire mais avant que j’puisse faire quoi que ce soit, Chique lui fracasse le câne avec une bouteille pleine. Elle se tourne ensuite vers un autre adversaire et le menace avec le culot tranchant, celui du verre et le sien, jusqu’à ce qu’il lève les mains en signe d’abandon.

La situation semble vachement sous contrôle, au final. J’m’adosse au chambranle de la porte et j’surveille aussi bien la rue que l’intérieur. Il faut pas long pour qu’une dizaine de gros bras armés jusqu’aux dents se pointent à l’extérieur. Le premier de la file essaie de me bousculer mais retombe bêtement en arrière quand je le repousse.
« On en a plus que pour deux minutes.
- Ca m’étonnerait, vous allez tous gentiment rester à l’intérieur et on va vous apprendre ce que ça fait de foutre le bordel dans les possessions du Gang Alpha.
- Bon, bon, j’préviens les copains alors. »

J’repasse la tête à l’intérieur et j’siffle un coup. Le son strident distrait suffisamment tout le monde pour que mes Marines finissent leurs affaires et s’préparent à partir. L’un d’eux attrape même une bouteille rescapée et s’en sert une bonne rasade avant de verser le reste sur une vilaine estafilade qu’il a au bras.

Le cliquetis du chien des mousquets se fait entendre puis les gorilles reculent un peu.
« Pour la note, c’est les autres qui vont payer. On vous les a tous laissés à l’intérieur. J’crois qu’ils doivent pas faire partie du même équipage, t’façon. Ça facilitera la recouvrance des dettes.
- Personne nous traite impunément de tricheurs, gueule Mirettes. »
J’avais pas fait gaffe mais on n’est que six. Sans le Rokushiki, va falloir la jouer fine.
« Vous voulez vraiment comparer les versions des témoins entre elles ? Déterminer qui est le coupable puis lui foutre une amende ? Et puis il passera en comparution au tribunal de l’île, heh ? Vous êtes des Marines ou des pirates ?
- Gaffe à ce que tu dis, menace le meneur.
- L’addition est sur les perdants.
- Et s’ils ont pas de quoi ?
- Fallait pas jouer, que j’ricane. »

Plus loin, j’vois Jadieu accompagné de trois soldats et quelques femmes de mauvaise vie. Chacun s’amuse comme il peut, on dirait. Il leur faut pas longtemps pour remarquer l’attroupement et sortir leurs propres armes. Le rapport de forces est subitement rééquilibré et ils sont encerclés de prime. Leur porte-parole comprend rapidement la situation et crache sur le côté.
« Décarrez pour cette fois, et vous repointez pas chez nous.
- ‘Sûr.
- Attendez. Z’êtes ?
- Les Naufragés. »
Il hoche la tête sèchement et nous laisse sortir avant de rentrer. Là, il commence à gueuler, à menacer, à malmener, histoire d’extorquer ce qui reste dans les poches des perdants. V’là la morale de l’histoire.

J’plaque un grand sourire satisfait sur mon visage et j’commence à marcher à grands pas vers la taverne. Dès qu’on arrive dans un endroit un peu à l’abri des yeux du public, j’vais leur rentrer un peu dans le lard. Ça faisait pas vraiment partie de mes plans de m’embrouiller avec les gros groupes déjà solidement établis à Alvel. En tout cas, pas encore. Nan, le but, c’est d’être les pirates un peu chauds du moment, du genre à pas emmerder, histoire qu’on puisse mener le plan de la Vingtième à bien tranquillement…

Alors qu’on parade fièrement dans les rues, j’essaie de voir ce qu’on va pouvoir en tirer. On aura enfreint les règles tacites une fois et reçu un avertissement, avant de pas recommencer, si je préviens bien mes p’tits gars. Avec ça, on montrera qu’on s’intègre, tout ça. On n’a pas besoin de faire les matadors jusqu’au bout, surtout pas vis-à-vis des tauliers. Finalement, c’est p’tet un mal pour un bien.

J’ralentis perceptiblement jusqu’à attraper Chique. J’lui passe le bras autour des épaules et j’lui souffle qu’il faut y aller plus léger dans la démolition localisée. Elle acquiesce sagement et j’la renvoie, avant de m’tourner vers Jadieu.
« Désolé si on a interrompu quelque chose.
- Pardon ?
- Avec les jeunes femmes aux élans tarifées. Les filles de mauvaise vie. Les ribaudes, les péripatéticiennes, les prostituées, bref, les putes.
- Ah. »

Sous sa moustache, j’arrive pas à voir s’il rougit.
« Nan mais j’m’en fous, ça. Si personne y allait, ça serait davantage surprenant, j’pense. Essayez juste de pas chopper de saloperie, ou pas tous en même temps, en tout cas. »
Il se gratte la joue, le regard fuyant.
« Allez, amusez-vous bien, j’retourne à la Taverne, moi.
- Oui, Capitaine. »

Ca fait un peu bizarre de le voir comme ça, en fait, mais finalement, hein…

Juste une autre alerte, un peu plus tard dans la soirée, mais tout est réglé le temps que j'arrive. Un blessé.
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Faut attendre le lendemain soir pour avoir à nouveau un peu de vraie action. Le rythme de mes soldats se décale vachement vite. Ils doivent être contents de pouvoir se lâcher au moins un p’tit peu, j’suppose, j’espère juste qu’ils vont pas merder, à se murger et gueuler qu’ils sont Marines ou quoi. Normalement, z’ont bien été prévenus là-dessus, ça devrait aller, mais quand les esprits s’échauffent…

Quand j’entre dans la taverne, c’est le calme plat au lieu du chaos d’une bonne bagarre de taverne. Tout le monde se fixe d’un air menaçant, et on est clairement en infériorité numérique. J’ai ouvert la porte un peu bruyamment, et quand elle a claqué contre le mur derrière, une partie des regards se sont tournés vers moi.

Les armes sont déjà de sortie, pas les schlass classiques du combat de taverne ou les gourdins un peu méchants, nan, les flingues, les mousquets, et les machettes un peu vicelardes. Visiblement, la tension est vachement montée. En observant l’assemblée, j’note trois groupes distincts qui se fixent tous avec circonspection.

« Hé, branlez quoi ? Que j’fais.
- Salut, cap’aine.
- La forme, Dope ?
- Quelques petits accrochages autour d’une partie de dés.
- Ah ?
- Ouaip, ils ont la sale habitude de tomber salement sur un côté, pour certains d’entre eux, et pas les autres.
- Marrant, ça.
- Jusqu’au moment où on s’est fait raser.
- Par lesquels ?
- On sait pas bien, justement.
- Pour ça que vous pointez les deux ?
- Aye.
- Et les deux, z’ont quoi à dire ? »

J’me tourne vers un grand gaillard bien trop maigrichon pour sa bonne santé, les joues creuses, le teint hâve. Mais ses yeux brillent d’une lueur un peu malade, le genre à faire frissonner les fragiles. Des doigts trop longs tiennent le manche d’un poignard à lame ondulée de mauvais augure.
« Nous avons déjà joué avec eux hier, répond-il en pointant le dernier groupe. Bizarrement, hier, les dés étaient systématiquement en notre faveur et voilà qu’aujourd’hui, c’est un troisième équipage qui subit des pertes considérables pendant que nous refaisons une petite partie de notre pot. Pour moi, il y a des choses à justifier. »

Le dernier chef est une dernière, un peu ronde avec des taches de rousseur et des faussettes aux joues. Le genre qui ferait un peu perdue dans la piraterie si elle était pas couverte des pieds à la tête de tatouages aux dessins variés, s’entremêlant presque. Ça pose l’ambiance, en tout cas, on n’est pas aux soirées de l’ambassade de Marie-Joie.
« Vous savez, la chance, aux dés, c’est très aléatoire. Si vous aimez pas perdre, faut pas jouer. »

J’fais un rapide état des lieux. Une dizaine à côté de la nana, huit avec celui que j’appelle déjà le tortionnaire. Quatre avec moi, quarante en me comptant. T’façon, le temps des mots était passé, et c’était juste ma présence qui les avait quasi-forcés à rejouer la scène pour le nouveau public. J’apostrophe à nouveau le pâlichon.
« Et du coup, pourquoi vous pointez mon équipage ?
- Simple mesure de défense.
- Entre gens floués, on devrait se serrer les coudes, non ? »
Il me fixe d’un air inquisiteur avant de se tourner vers les autres. Sur un signe de ma part, Dope et ses copains matent aussi dans la bonne direction.

« Bon bah voilà, copine. Alors, on s’fout sur la gueule ? »
Elle a l’air de sentir le vent tourner, hésite visiblement.
« Non, on va vous rendre nos gains et s’arrêter là, d’accord ?
- ‘Sûr. Donc vous rangez gentiment vos armes ?
- Si vous en faites de même. »
On hoche la tête et dans un geste commun, tout retourne à sa place, encore qu’à portée de main. Elle s’approche de la table centrale avec plusieurs bourses à la main, qui semblent bien remplies. Ses collègues en ont d’autres et j’lâche un sifflement appréciateur. C’est qu’on a dû beaucoup jouer aux dés, en fait, par ici.

Elle pose les deux premières devant nous, et les ouvre pour faire apparaître les pièces d’or qu’elles contiennent. Je hoche la tête d’un air appréciateur.
« Ca t’a l’air bon, Dope ?
- Oui cap’aine, y’a même un bonus pour le dérangement, on dirait.
- Tant mieux. Juste par curiosité, équipage ou gang local ? »
Elle grimace.
« Dayanah, des Sea Nymphs.
- Angus, des Naufragés, sans rancune. »
Je lui adresse mon plus beau sourire et elle note sèchement, les lèvres pincées.

Les cinq plus grosses bourses tombent devant le troisième acteur de cet acte de générosité pas du tout imposée. Dans un geste quasiment trop rapide pour que j’le note et intervienne, il plante sa lame vicelarde dans la paume de Dayanah, avant que son autre main ne traverse horizontalement au niveau de sa gorge.

Le sang éclabousse l’or des pièces posées devant et la pirate lève son bras avec un air surpris figé sur le visage, avant de tomber par terre. Ses camarades se reprennent vite et commencent à dégainer que le bruit de la poudre résonne. Quand les nuages commencent à retomber des mousquets, toutes les Sea Nymphs sont au sol, à tenir leurs blessures avant d’être proprement achevées.

« Carter, des Black Jackals, dit-il en me fixant. »
J’garde une moue indifférente en regardant une tache d’hémoglobine qui est tombée à quelques millimètres de ma manche.
« C’est noté, que j’réponds en haussant les épaules.
- Personne ne floue les Black Jackals, fait-il plus fort en essuyant ses lames sur une de ses victimes. »
Son visage reste totalement vide de toute expression alors qu’il parcourt une dernière fois la salle commune des yeux, avant de sortir, suivi de ses hommes.

Un sacré morceau. Juste après eux, quelques types prennent prestement la poudre d’escampette. Probablement des informateurs, encore qu’au moins un d’eux avait l’entrejambe vachement humide. J’secoue la tête, j’ramasse notre thune et on s’arrache.

Clairement, ce soir, on n’était pas les clous du spectacle.

En tout cas, j’note de m’informer. Le nom m’rappelle vaguement quelque chose, mais sans plus…
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Quelques jours plus tard, notre petite réputation dans le milieu des lieux de débauche d’Alvel commence enfin à s’faire. Heureusement, parce que la thune, elle, se fait la malle. Va être temps de trouver d’autres gens à racketter, et à donner l’air qu’on se prépare à partir. Vrai que pour des naufragés, claquer tout ce qu’on a, ça sonne pas très malin.

Faut qu’on choppe un bateau, quelques fonds, et surtout un denden blanc qui me serait rudement utile histoire d’appeler les copains et leur filer les infos sur la situation dans laquelle j’suis, et ce qu’ils pourraient jouer pour se foutre directement en bonne posture. Le navire, clairement, on va pas l’acheter, par contre. Faut juste trouver des gens suffisamment sympas pour nous filer le leur gentiment.

Les Black Jackals, de Simon Norrois. Ça fait quelques années qu’ils foutent un bon boxon bien sanglant sur les Blues, puis Grand Line. Et v’là qu’il tape son score de Supernova, le capitaine, et qu’il fête ça comme il se doit à une escale à Alvel. Un peu de relâche avant de retourner piller, tuer, violer, tous ces trucs de pirates, quoi.

Un gros morceau, une centaine de tueurs psychopathes violents et dangereux. Clairement, on fait pas le poids, donc j’ai prévenu mes hommes de pas trop les chercher, ceux-là.

Les jours se suivent et se ressemblent. J’passe maintenant beaucoup de temps posé sur mon cul à la Taverne du Trésor Enfoui, à regarder les va-et-vient. Pas vraiment d’activité, c’qui fait que j’ai les grolles qui commencent à me démanger. Dope a à peine le temps de passer la porte d’entrée que j’suis déjà debout à côté de lui.

« On va où ?
- Une taverne du côté du Phare.
- S’passe quoi ? Besoin d’moi ?
- Je pense, oui. Les types nous sont tombés dessus direct, mais juste avec les poings.
- Bizarre. Un compte à régler ?
- Peut-être. Ils sont pas bien plus nombreux que nous. Donc on a fait ça réglo, aussi.
- Hm.
- Mais comme c’était étrange, je suis venu te chercher, cap’aine.
- T’as bien fait. »

Le phare est un coin un peu moins glauque que le port, mais ça se joue pas à grand-chose. P’tet simplement à l’odeur du poisson, vachement moins présente ici. Au lieu de juste casser les gars à l’intérieur, j’vais en garder un pour l’interroger, quand même. Pleins de gens rôdent autour de la taverne. Patibulaires. On verra s’ils essaient de rentrer.

Je vérifie mes couteaux et j’pousse la porte.

A l’intérieur, d’abord, c’est l’odeur habituelle de sueur rance, de crasse ancienne et de bière éventée. Puis le bruit arrive d’un coup, la chair contre la chair, les phalanges qui claquent, les grognements et le souffle ahanant. Mon regard passe une fois sur la joyeuse assemblée, rapidement. Puis une seconde, bien plus lentement.

Sont pas là ?
« Dope ?
- Euh… »

Dans un coin, à l’écart, un homme me fait un signe de la main et un grand sourire. Erik Highsilver, tiens donc. J’fais signe à Dope de rester à l’entrée pour surveiller. J’m’approche en faisant clairement la gueule. Un des bagarreurs essaie de me flanquer un coup de poing, dans mon angle mort, mais j’l’éjecte d’une baffe qui l’assomme aussi sec. J’m’asseois en face d’Erik, et j’pose les coudes sur la table. Juste devant moi, un godet de rhum, à vue de nez.

« Bonsoir, Angus des Naufragés.
- …
- Tu vas bien ?
- Franchement, j’sais pas pourquoi, j’me sens assez irrité, là.
- Ah ?
- Ouais.
- Et pourrais-tu me dire pourquoi ?
- ‘Sûr. C’est parce que j’aime pas me faire mener par l’bout du nez, et que j’ai l’impression d’être tombé dans un traquenard.
- Ah ?
- Où sont mes gars ? »
Un surin apparaît dans ma main et j’me cure les ongles avec, les yeux fixés sur Erik. Un peu éculé mais c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.
« Tu ne veux pas boire un peu de ton rhum, avant ? Ou même trinquer ? »
J’baisse les yeux brièvement.
« Très drôle.
- Ce n’est pas empoisonné, je t’assure. Nous pouvons échanger, si tu le souhaites.
- Tu biches, hein ?
- Comment cela ?
- T’as la rage que j’sois pas venu quand t’as demandé, donc tu profites un peu de ton petit jeu. Le truc, c’est que s’il est arrivé quoi que ce soit, par ta faute ou non, j’vais démonter les pierres de ton phare une par une, à la main s’il faut, après vous avoir tous butés.
- Du calme, Angus, du calme, que diable…
- J’t’ai dit. C’est pas trop l’humeur du moment. »
Il tapote la table.
- Oui, cela me rend effectivement irritable quand un petit pirate parvenu à peine naufragé sur mes côtes ignore mes convocations, surtout lorsque c’est dans son intérêt d’y répondre.
- J’aime pas trop les convocations, et là ça y ressemble encore.
- Nul besoin d’être devin pour se rendre compte que tu envoies ton équipage établir une réputation dans les bouges d’Alvel et que tu te déplaces presque à chaque fois pour surveiller et éviter que la situation ne dégénère, ou y mettre un point d’arrêt.
- Ouais, j’ai vu tes p’tits gars à la taverne.
- Bon.
- Ca répond pas à la seule question que j’ai. Où est mon équipage.
- On ne va pas pouvoir échanger de manière constructive sans en passer par là, n’est-ce pas ? »
Mon regard lui fait clairement comprendre que non.
« Ils sont dans la cave, sous la surveillance d’amis à moi. Quand nous aurons fini notre discussion, ils pourront repartir tranquillement avec toi.
- Et si j’veux pas discuter ?
- Ils ne repartiront pas. »

J’pèse le pour et le contre. Derrière sa contenance affable, j’sens qu’Erik rigole pas pour un sou.
« Allons-y, alors. J’espère que ça vaut l’coup.
- Très bien. Tu as lu le journal, récemment ?
- Nan. »
Oui, évidemment que je l’ai lu. J’en branle pas une.
« Pourtant, on m’a dit que tu le lisais tous les matins en te levant. Plutôt le midi, d’ailleurs, du coup. »
Ouais, les informateurs. Pff. Et dire que j’ai hésité à les buter.
« Bon, accouche.
- J’ai trouvé ça intrigant que tu refuses de donner davantage d’informations sur ton passé. D’habitude, les pirates aiment exposer leurs faits d’armes, leurs plus gros coups, ce genre de choses.
- Ouais, j’suis plus discret.
- Couplé à ça, la manière très… paramilitaire dont ton équipage est géré. Cela se voit également, ne serait-ce que quand vous marchez dans la rue, quasiment inconsciemment au pas, comme à la parade.
- Ah bon ? »
J’sais qu’il a foutrement raison, mais on transforme pas des Marines en pirates en l’espace de deux semaines.
« Oui. Paramilitaire… Ou militaire.
- En fait, comme on sait tous les deux vers où tous ces points s’dirigent, on peut p’tet y aller directement ? On gagnerait du temps.
- Pourquoi ? Tu es pressé ?
- J’aime pas être ici.
- Pourtant, je me suis donné du mal. J’ai payé un gang de sous-fifres pour provoquer tes soldats dans la taverne.
- Ca, j’avais compris.
- Puis un autre rival pour leur tomber dessus ensuite et leur permettre de régler leurs affaires, pendant que je récupérais les tiens dans un coin.
- Ah, c’était le bout qui manquait. C’est aussi pour ça, les types dehors ?
- Evidemment.
- Et tu touches ta comm’, en entremetteur, c’est ça ?
- Tout à fait. Le profit est partout pour peu qu’on réussisse à le trouver. Ou à le provoquer, bien sûr.
- Mais on n’est pas là pour parler de ça, heh ?
- C’est vrai. »

Il contemple quelques instants ses mains, avant d’attraper son rhum et prendre une gorgée.
« Toujours pas soif ?
- Nan. »
Il soupire.
« Bref, votre passif de militaires de carrière crève les yeux de quiconque étant déjà allé à la parade. Cela dit, sur Alvel, effectivement, cela ne représente pas grand-monde…
- Et le journal.
- Oui, le journal. Celui d’il y a quelques jours sur une branche militaire inféodée au roi d’XXX de South Blue qui a déserté suite à une querelle de pouvoir qui…
- Ouais, bon, j’pense que j’connais l’histoire, et toi aussi si t’as lu l’article.
- Cinquante-deux millions, quand même, c’est tout à fait respectable, comme prime. Presque une supernova, dans son genre.
- Merveilleux.
- Ce qui me surprend, c’est que vous n’avez pas fait grand-chose sur Grand Line, alors que vous en avez manifestement les capacités.
- J’réfléchis p’tet pas encore comme un pirate de carrière. Mais trop attirer l’attention sur soi ressemble à un mauvais plan quand on veut pondre un gros coup.
- Un gros coup ?
- On verra. J’pense qu’on va d’abord rejoindre le Nouveau Monde sans trop faire de vagues.
- Tu prévois de t’allier à un Empereur ?
- J’sais pas encore. Clairement, j’peux pas encore creuser mon propre trou. Et si y’a bien un truc sur lequel les pirates sont comme les militaires, c’est qu’il faut soit être le plus balaise, soit être avec.
- C’est ce qui s’est mal passé à XXX ? »
J’fais la grimace.
« Ouais. »

On avait mijoté une belle histoire, avec le Cipher Pol. Une branche militaire semi-indépendante, une querelle de pouvoir entre deux généraux et les survivants qui se font la malle et se retrouvent ensuite recherchés par le Gouvernement Mondial en vertu d’accords passés. Tout ça avec une belle publication à la Gazette Mondiale. Pas en première page, bien sûr, mais suffisamment important pour attirer le regard, avec ma gueule en noir et blanc en gros.
« C’était tout ? Me dire que t’avais lu le journal ? Suffisait de donner une note à Manny, pour ça, hein…
- Non, bien sûr, ce n’était pas que ça.
- Accouche, que j’souffle. »
Il reprend une gorgée.
« C’était du beau travail, avec Hartos.
- T’en as bien profité, ouais. »
Je hausse les sourcils quand j’capte enfin ce qu’il me veut depuis tout ce temps. Avant qu’il ait le temps de refaire des ronds de jambe, j’reprends la parole.
« Tu veux qu’on bosse ensemble, pas vrai ?
- Oui.
- Ca t’arrange bien, la réputation qu’on est en train de se faire. T’as fait tes recherches sur notre passé et t’as vu qu’on était un corps d’armée, avant de devenir des pirates. Donc compétents pour certains trucs, notamment l’élimination réglo, ou pas forcément d’ailleurs.
- Exactement, acquiesce-t-il.
- Et comme on vient d’fuir notre pays natal, on pourrait parfaitement être à la recherche d’un nouveau bled où s’établir.
- Hmhm.
- Donc c’est l’moment où j’me renseigne sur les modalités exactes que tu proposes.
- Dans l’idée, au départ, cela resterait tout ce qu’il y a de plus officieux. Puis, suivant l’évolution de la situation, nous pourrions officialiser la chose et…
- Très drôle, que j’coupe. »

J’me fais moi-même couper par une choppe qui vole en plein de ma direction. J’l’attrape avant de la jeter négligemment derrière moi. Le chaos s’arrête pas, et grandit même, à mesure que le second gang arrive et fait pencher la balance dans son sens en éliminant les autres. Le vacarme rend en tout cas notre conversation difficilement audible, et j’pense que c’est exactement ce qu’Erik voulait.
« Ouais, que j’reprends. On officialise rien parce que, d’une, tu veux taper sur des gens sur lesquels tu devrais pas. J’suis pas hyper calé sur la politique d’Alvel, mais à vue de nez, j’dirais soit les grands pontes, soit des rivaux que tu veux croquer comme Hartos. Mais j’dirais plutôt les pontes, là, comme ça. Et deuzio, si jamais ça foire, t’es totalement hors du coup, sans aucun lien outrement gênant. Bref, si c’est la merde, t’es loin des éclaboussures…
- Je cherche en effet à éviter de prendre des risques inutiles, je ne le nie pas.
- Donc la carotte a intérêt à être drôlement grosse si j’dois marcher dans la combine.
- Je te propose une place de choix dans le nouvel ordre des choses.
- Pas suffisant pour foutre la pogne dans la ruche tout seul.
- Je n’ai jamais dit que tu serais tout seul.
- Ca reste pas suffisant.
- Des dédommagements plus immédiats et… sonnants, dans ce cas.
- Ca pourrait s’négocier. Faut que j’y réfléchisse et que j’en parle avec les gars. On n’est plus à l’époque où j’balançais des ordres et ils exécutaient sans pouvoir discuter.
- S’il y avait des désaccords, ultimement…
- J’prendrai en charge si j’me fais trahir, merci. Mon équipage, ma responsabilité, mes règles. Si j’apprends que t’interfères…
- Oui, les pierres de mon phare, la mort, j’ai compris.
- Mais j’vais réfléchir à ta proposition sur le principe, avant de demander des informations plus concrètes.
- C’est que… »

La conversation s’arrête quelques instants. Autour de nous, ça sort les coutelas, les lames, les hachoirs. On commence à avoir du sérieux, et l’odeur de l’hémoglobine et de la tripaille s’fait sentir.
« C’est que t’as peur que j’prenne ce que tu m’dis pour le refiler à un des grands pontes après lequel t’en veux justement, pas vrai ?
- Oui.
- En tout cas, ça mérite réflexion, y’aura réflexion, et on en recausera. Deal ?
- Deal, fait-il. »
J’commence déjà à peser le pour et le contre dans ma tête. On va de toute façon essayer de la foutre à l’envers aux patrons d’Alvel, quand les autres groupes de la Marine seront arrivés. Donc, à ce compte, autant faire bosser un peu les types déjà sur place s’ils ont les dents longues. C’est juste qu’ils savent pas à qui ils vont rendre vraiment service, sinon ils réagiraient pas comme ça.

Bref, j’flaire le bon plan.

Il descend d’un coup son verre de rhum, alors que j’laisse le mien sur la table. J’y ai pas touché. Au Cipher Pol, on apprend indubitablement la méfiance, et j’ai pas envie de me faire empoisonner ou une connerie du genre. Dès qu’il se lève, une jeune femme que j’avais déjà vue au phare se lève également, deux tables plus loin. Marrant, j’aurais pas dit que c’était elle, la garde du corps. Comme quoi… J’la note.

Elle se place immédiatement à ses côtés et empêche quiconque en pleine bagarre générale de se mettre dans son chemin ou, pire, de le menacer physiquement. On passe derrière le comptoir sans un mot avec un signe de tête au patron, qui voit son bar se faire méthodiquement réduire en miettes avec la mine placide. Il doit être chèrement indemnisé, Erik fait les choses bien. J’le note.

La porte des employés mène à un couloir débouchant sur la cuisine et un escalier qui va à la cave. Les mains dans les poches, j’descends à leur suite et ils tapent un code secret et rythmé à la grosse porte en bois pour qu’un sous-fifre leur ouvre gentiment. A l’intérieur, mes Marines attendent sagement sur des tonneaux, avec des bières à la main. Les salauds. Bel exemple de flegme, cela dit.

« Allez, les loulous, on s’arrache. »

On prend la sortie de derrière pour retourner à la Taverne du Trésor Enfoui, et j’suis d’humeur pensive.

M’faut vraiment ce denden blanc.
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On s’promène, une petite poignée, dans les beaux quartiers d’Alvel. De la pierre blanchie à la chaux, des bâtiments de deux étages au lieu d’un seul, y’a pas à dire, on sent le luxe. C’est le coin huppé, où les tauliers crèchent quand les affaires les amènent pas à régler des soucis entre les pirates qui viennent passer du temps sur leur île.

Evidemment, malgré nos gueules de touristes venus s’enjailler en haut-lieu, on est là en repérage, en fait. Préparer l’assaut quand toute la Vingtième aura débarqué et qu’on éliminera d’un coup toutes les têtes pour prendre possession du coin, et annexer cette île au Gouvernement Mondial. Bon, mon objectif personnel, c’est surtout que la Vingtième retourne se couler un peu dans le moule et arrête d’essayer de buter les gradés qui lui conviennent pas, obéisse aux ordres, tout ça.

Mais, hein, on prend les chemins qu’on peut.

Les rues sont un peu plus larges, et plus empruntées. On va douiller, si on veut faire des barricades et se retrancher dans cette partie, si jamais y’a besoin. Y’aura p’tet moyen de faire un truc avec Erik, s’il nous aide sans savoir qu’on n’est pas vraiment ses copains, ou s’il est prêt à totalement tourner sa veste. En tout cas, les avenues se coupent à angles droits, c’est propre. On se croirait pas du tout dans une cité pirate.

Tout ça mène à une grande place où trône un genre de palais. Bon, j’suis déjà rencardé, et même si ça en a la gueule, ça n’en a pas l’allure. Déjà à cause des gens qui rentrent et sortent. Et ensuite à cause des marchands qui gueulent comme des poissonniers. Il s’agit de la principale maison aux enchères de l’île. Elle s’occupe d’esclaves de luxe, de pillages artistiques, et des biens issus du marché noir qu’il est impossible de vendre ailleurs.

Le palais pourrait être un bon coin pour se planquer, à occuper tout un pâté de maisons, les étages, les grilles… Mais il est trop ouvert à tous les vents, et il suffirait de ramener des canons qu’il serait réduit en miettes en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. J’exclus cette idée du plan B. Le plan A étant qu’on tue tout le monde et que les pirates locaux sont paralysés par la terreur et notre puissance.

D’un hôtel de luxe jaillit une frimousse que j’commence à trop bien connaître. Sa veste à la main, en courant de façon effrénée, Manny passe à deux mètres de nous sans s’arrêter avant de freiner brusquement, puis de se glisser derrière moi. La fin de l’après-midi suffit pas à cacher ses pupilles dilatées par les psychotropes.

« Tiens, Angus, sympa de te voir ici.
- Manny. Ça… »
J’suis interrompu par une dizaine d’armoires à glace qui jaillissent au pas de course en époussetant des restes de mobilier. Ils pointent droit vers moi, derrière moi, vers Manny.
« Vous êtes avec lui ?
- C’est mon équipage ! S’exclame le jeune pirate.
- Ah bon ? Que j’demande.
- Steuplaît !
- C’est quoi l’embrouille ?
- Ce type derrière toi triche aux cartes. Et quand on l’a cramé, évidemment, il s’est enfui en courant après nous avoir renversé la table dessus. »
J’me tourne pour jeter un œil au p’tit jeune. Une carte dépasse un poil de sa manche, mais j’pense pas qu’ils le voient.
« Vous pouvez le prouver ?
- Prouver, mes couilles. On n’est pas au tribunal. On le prend, on lui fait passer le goût de la prestidigitation et celui de la vie au passage, et le problème est réglé. »
J’incline la tête sur le côté.
« C’est pas très juste, tout ça. »

C’est qu’on commence à gueuler et à échanger des insultes. Un p’tit attroupement se forme autour de nous, et ceux qu’en veulent à Manny commencent à se mettre sur une belle ligne. Ils sont jamais qu’une dizaine, franchement, c’est jouable… J’réfléchis juste à s’il vaut le coup que j’me décarcasse. J’veux dire, il est venu m’accoster une fois que j’étais là, il fait parfois le lien avec Erik mais est loin d’être indispensable…

De l’hôtel des ventes sort un nouveau groupe, plus nombreux. La quinzaine ou la vingtaine, à vue de nez. Ils voient ceux qui nous veulent du mal, les saluent, échangent les nouvelles. Z’ont franchement l’air bien trop copains. Ils s’expliquent rapidement la situation, et au lieu de dix pelés, on en a trente sur les bras. La confiance se fait la malle, et mon indulgence à l’égard de Manny avec.

« Bon, pas l’choix, hein. »

Alors que j’pose paternellement la pogne sur l’épaule de Manny, prêt à le pousser devant moi et le jeter en pâture aux types avec lesquels il a essayé de faire le malin, un mec sort de la foule. Il doit approcher la trentaine, le visage hâlé et un peu de barbe lui couvre les joues, lui fait une barbichette. Sa mine reste avenante, ouverte, sympathique. Il porte des pièces d’armure de cuir, ouvragées. L’idéal pour les combats en mer : résistant et qui n’empêche pas de nager.

La main sur le pommeau de son sabre, il avance de quelques pas sous mon regard méfiant, m’adresse un large sourire et me tourne le dos pour faire face au groupe de vingt.
« Un autre copain, Manny ? Que j’demande. »
Il secoue la tête. Puis hausse les épaules. L’a pas l’air de le connaître.
« Comme dit Angus, cela ne semble pas très juste d’accuser quelqu’un juste pour avoir gagné plus que vous. Je pense que les esprits se sont échauffés à force de jouer et, peut-être, boire un petit peu aussi. Mieux vaut rentrer chez soi et passer à autre chose. Tout ira mieux demain. »

Il y a un léger silence. Ça sonne pas très piraterie, tout ça.
« Et tu vas faire quoi, mon gars ? Nous chanter une berceuse, nous border puis nous faire un bisou sur le front, tant qu’on y est ? »
Ceux qui se sont fait arnaquer l’ont vraiment mauvaise, et choisissent ce moment pour entamer les hostilités. J’ignore derrière moi mon nouveau meilleur ami pour me concentrer sur ceux de devant.

J’laisse Manny planté là et j’fonce dans ceux qui nous font face, suivi de mes Marines, toujours rapides pour aller à la castagne. En cinq pas, celui tout devant a le temps de se mettre en garde, et de dégainer un beau katana qui lui sert pas à grand-chose quand mon couteau de lancer s’enfonce dans sa gorge. J’le repousse d’un coup de pied sur le pirate derrière lui et j’me baisse sous un coup de hache.

Le premier sang est pour moi, et j’rentre dans la garde d’un autre agresseur pour lui laisser un surin dans le foie. D’autres ennemis arrivent maintenant par derrière. Un coup d’empathie m’permet de capter que le bon samaritain a été rejoint par trois alliés à lui et qu’ils ont les mains pleines. En tout cas, tout ça a réveillé Manny, et il se bat maintenant contre trois personnes.

Les badauds autour gueulent, sifflent, et prennent des paris. On n’a pas une si mauvaise côte que ça. P’tet qu’ils nous reconnaissent. Ça serait pas mal. J’abandonne les pensées oisives quand une masse passe en sifflant à côté de mon nez avant de fracasser le sol sur plusieurs mètres. L’onde de choc me déséquilibre une fraction de seconde avant que j’saute par-dessus l’arme qui fait une balayette horizontale.

Mon bras file vers le visage de l’homme à la massue, un gros barraqué qui semble avoir perdu tout contrôle au-delà de la rage berserk. Un planteur apparaît d’un mouvement de poignet mais il esquive en se jetant en arrière avant de laisser échapper un cri guttural. Ouais, alors la comédie pour faire peur…

On est trop étendu, et ils sont un poil trop nombreux pour qu’on puisse se permettre de couper leurs lignes en deux et tailler la route. J’signale de resserrer la formation, et on s’retrouve rapidement dos à dos avec nos mystérieux aides. J’crois qu’il est un peu tard pour abandonner Manny, malheureusement. J’aurais mieux fait de le pousser direct, putain.

Une volée de coups de feu retentit dans la rue, derrière, et huit pirates ennemis tombent au sol dans un bel ensemble. Ça commence à les paniquer. J’profite de l’occaz pour me jeter dans leur sein et suriner dans tous les sens. Contrairement aux autres fois, j’cherche pas à tuer, juste à blesser pour mettre davantage de chaos. L’odeur de la poudre à canon me revient dans le pif, et en même temps n’est pas là. J’me jette sur le côté, prévu par mon haki, et d’autres chutent.

Enfin, leur volonté et leur soif de sang brisées, ils rompent les rangs et s’enfuient. Une partie d’cartes perdue vaut pas de perdre la vie, heh. On les regarde se frayer un chemin parmi les badauds, les tireurs s’écartent pour leur créer une avenue de retraite, et on reprend notre souffle en faisant l’inventaire des petits bobos.

Glaviot a l’air d’avoir un truc à la jambe. J’espère que c’est pas trop grave. Les autres lui font les premiers secours pendant que Pile coupe les bourses de ceux restés sur le carreau. Reste qu’à m’occuper du type qu’est venu mettre son nez. Manny est déjà à son côté, et ils se sourient tous les deux, plutôt contents d’eux.

« Salut. Merci pour le coup d’main.
- Pas de quoi. Je suis Samuel O’Connell.
- Angus, capitaine des Naufragés. J’préviens direct, j’ai pas une thune à part ce que Pile vient de ramasser. Tu veux la moitié ?
- Je n’ai pas fait ça pour l’argent.
- Ah ? T’avais une embrouille avec ces types ?
- Non plus. »

J’plisse les yeux en le fixant. Ça serait Erik qui a des types qui me surveillent ? Ou quelqu’un d’autre que j’connais pas encore mais qui s’intéresse un peu trop à ce que j’fais ? Il élève soudainement la voix, devient charismatique, éclatant, fascinant. Hypnose ?
« J’ai fait ça pour la justice. Sans preuve, même des pirates ne devraient pas pouvoir s’exécuter comme cela. C’est bien pour les cas de ce type que nous avons les Flibustiers d’Armada, pour rendre la justice.
- Ouais, j’vois le genre.
- Mais je sais que la majorité des pirates ne partage pas notre point de vue. »
Il a un petit rire gêné. J’ai dû mal à pas le trouver sympathique.
« Mais ça serait p’tet mieux si c’était le cas, hein. En tout cas, pour le coup, j’vais pas m’en plaindre. »
Il rit plus franchement.
« Je suis le capitaine des Seafarers, Capitaine Angus. Puisse le vent souffler dans vos voiles et les courants vous mener à bon port.
- ‘Chanté. Et pareil. On verra quand j’aurai un bateau.
- Ah, le côté Naufragés. »

Il adresse un dernier signe d’au revoir et un rire cristallin communicatif avant de disparaître dans le grand hôtel des ventes avec ses ouailles. Les Seafarers, ça m’dit vite fait quelque chose. Ça sent les gentils pirates, en tout cas. Le côté épris de justice est assez impressionnant, dommage qu’il se soit gouré de carrière.

Mais ils doivent être plutôt fiables, au final.
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J’ai fait passer le mot. On fait vraiment profil bas, maintenant, sauf si on nous cherche salement. Et si c’est trop salement, style traquenard téléphoné, de s’arracher suffisamment doucement pour pas avoir l’air de gros lâches, quitte à aligner les types en douce derrière, un soir, dans une ruelle obscure. Bref, on fait bien partie de la maille d’Alvel… Juste qu’on manque de maille nous-mêmes. On va finir par accepter l’offre d’Erik.

Faut juste pas avoir l’air trop intéressés, ça ferait mauvais genre pour les négociations.

Trois types, tatouages, patibulaires, regards torves, entrent en roulant des mécaniques dans la Taverne. Z’ont la démarche caractéristique des marins à terre, qui tangue pour s’adapter à un roulis inexistant. Pas des locaux d’Alvel, dans ce cas. Ils regardent autour d’eux, et s’arrêtent rapidement sur moi. Devaient savoir quoi chercher.

Quand ils avancent dans ma direction, j’soupire et j’vire mes pieds de dessus la table. Ils s’asseoient même pas, se contentent de me fixer en attendant que j’les regarde en face. J’les laisse lambiner un peu, pour le plaisir. L’un d’eux appuie ses phalanges sur le plateau, et s’penche en avant.
« Angus ? »
Sa voix est rauque et basse, et son haleine me rappelle ces ruelles avec des cadavres qui pourrissent sous les ordures. J’fronce visiblement le nez.
« Qui demande ?
- Les Black Jackals. »
Il laisse tomber ça d’un air lourd de sens. J’baille. Un des types derrière lui avance brusquement, avant d’être retenu par son collègue. Trop facile.
« C’est pour ?
- Notre capitaine veut s’entretenir avec toi.
- ‘Sûr. Quand ? Où ?
- Maintenant. Taverne du Porc Saint.
- Ouais, allons-y, j’ai rien d’mieux à foutre, t’façon. Surin, Dope, Pilier et Chique ! Avec moi. Jadieu, tu tiens la barraque. »
Ils se lèvent sans entrain et sans chichis. Mais derrière l’impression d’ennui, les yeux qui brillent et la sûreté des gestes montrent qu’ils sont prêts à parer à toutes les situations. Parfait.

La Taverne du Porc Saint pourrait tout avoir du bouge sale le long des quais. C’est plutôt l’inverse. Les bougies sont quasi-neuves et offrent un éclairage festif. Y’a même un lustre qui pend au plafond et les cuivres reluisent. Nan, le seul truc crado dans les locaux, c’est les habitants. Vu qu’ils ont tous le même tatouage, une tête de chacal, quelque part, faut pas être devin pour capter qu’ils ont privatisé, légalement ou par inertie, le coin.

A la grande table, dans un imposant fauteuil recouvert de velours rouge, le capitaine trône fièrement. En nous voyant, il écarte les simples membres de son équipage, leur dit d’aller chercher à boire puis de se faire discret. J’m’asseois juste en face de lui, avec les autres qui se répartissent sur les côtés. J’note la présence de Carter, l’égorgeur de l’autre taverne, avec ses yeux pâles. Quelques autres cadres, un gros type aux avant-bras coûturés de cicatrices, un barbu, et une nana.

J’m’attarde pas trop sur eux. Pas qu’ils sont pas intéressants, mais leur capitaine attire bien davantage l’attention. D’abord, parce que c’est manifestement le chef. Ça s’voit dans l’attitude des autres autour de lui. Mais c’est pas que ça. Ses longs cheveux noirs sont coiffés en arrière, il a la mâchoire imposante et carrée, et le nez droit et décisif. Son visage dégage une impression d’énergie.

Une main passée négligemment par-dessus le dossier du fauteuil brille à la lumière des bougies, l’or et les pierres reflètent la lumière. Il joue avec le courroie de son sabre d’abordage. Sa chemise est ouverte sur son poitrail puissant et velu. Il a un grand sourire aux dents impeccablement blanches, malgré les longues périodes passées en mer, les combats, les privations de vitamines. Ouais, il a cette espèce de charisme indéfinissable mais indéniable, un air de grand félin chasseur, tout en puissance et en souplesse.

Du coup, toute la conversation et l’attitude de ses ouailles gravite autour de lui et semble n’exister que par lui. Il a tout ce qu’un agent du Cipher Pol voudrait ne jamais avoir.

« Capitaine Angus ! »
Son élocution est distinguée, sa voix grave et agréable. Mais le salut ne cache pas la lueur de folie au fond de ses mirettes. J’doute même pas qu’il la laisse apparaître, que ce soit à dessein ou par flemme et inintérêt de la cacher. Ça se trouve, il peut pas. Il est dangereux, en tout cas.
« Capitaine Simon Norrois, heh.
- Lui-même. »
Il ponctue ça d’un grand éclat de rire, puis les pichets de vin arrivent sur la table, accompagnés de verres rehaussés d’or et d’argent.
« Auparavant, il n’y avait que des choppes en poterie, ici, reprend-il. J’ai été forcé d’amener mes propres couverts pour manger correctement.
- Ah ouais ? J’aurais pas cru.
- Sarcastique, hein ? C’est bien, c’est bien, c’est excellent, même ! »
J’le regarde sans dire un mot.
« Et flegmatique, avec ça ! Il n’y a qu’avec des capitaines d’une certaine ampleur que je peux avoir cette impression. »
Son sourire dévoile toutes ses quenottes, mais ne rejoint pas ses mirettes.
« Bon, et si nous trinquions ?
- A quoi ?
- Pour commencer, à notre heureuse rencontre. A des commencements. Aux possibilités infinies. Tu choisis.
- J’vais prendre les possibilités infinies, alors.
- Prudent ?
- Ah bon ? »
Il éclate de rire, et ça manque de secouer la table. Malgré moi, j’le trouve sympathique. Ça m’semble tellement incongru que, d’instinct, j’me méfie.

« Aux possibilités infinies ! »
Les verres sont tendus, puis avalés cul sec. Il s’essuie la bouche sur le revers de sa main.
« Bien. Que penses-tu d’Alvel, Angus ?
- Pas grand-chose. J’aurais préféré ne pas faire naufrage.
- Tels sont les risques de la navigation, surtout sur la Route de Tous les Périls. Mais à part cela ?
- Le patelin est sympa pour les pirates en escale, mais on commence p’tet bien à avoir la bougeotte.
- Bien parlé ! Tu vois, Angus, tu es un peu un mystère. Bon, évidemment, je me suis renseigné avant de te proposer de venir.
- Ouais, j’me doute.
- Tout comme tu t’es tranquillement renseigné sur moi.
- Ouais, bien sûr.
- Hahaha, pas de cachotteries entre nous, j’aime ça.
- Pas besoin, de toute façon. Au pire, quoi ?
- Au pire… »

Son expression s’assombrit, la mienne aussi ensuite. Ouais, y’a vraiment un pire du pire, en fait. Genre on ressort pas vivant de cette taverne.
« Mais pas besoin de broyer du noir, pas vrai ? Que j’dis.
- Effectivement. Cela reste une occasion joyeuse. »
Il nous ressert.
« Vous avez une petite dette envers nous. »
Ah. Le temps des demandes.
« Ah bon ?
- Oui, pour l’échaffourée dans le bar, en compagnie de mon second.
- ‘Sûr. C’était pas du tout pour récupérer sa propre thune qu’il a fait ça. Ni asseoir votre réputation. »
Il a un large sourire.
« Pas très axé sur les dettes, semble-t-il ?
- Un peu facile, comme approche.
- Je te l’accorde.
- T’y comptais pas trop, t’façon, j’me trompe ?
- Non, effectivement, tu ne te trompes pas. »

Il boit une gorgée.
« Bon, du coup ?
- Vous n’êtes pas très primés. Quelques têtes qui ressortent, la tienne, tes deux seconds, deux ou trois autres. Les primes sont basses, pas très engageantes. Cela ressemble à une petite vendetta personnelle cautionnée par le Gouvernement Mondial. »
Je hoche la tête.
« Mais si je suis arrivé jusque-là, c’est en lisant entre les lignes, tu peux me croire !
- Ouais ? Et ça raconte quoi ?
- Cela raconte que tu vaux davantage que cinquante pauvres millions. Que vous avez un vrai esprit de corps né de la trahison par tes anciens supérieurs.
- Pas la trouille de recruter des traitres professionnels ?
- Nous savons tous les deux que vous n’êtes pas des traitres.
- Tant mieux si on est d’accord là-dessus. »

Il veut se resservir, la bouteille est déjà vide. Il en appelle une autre, saisit une cuisse de volaille et mord dedans. Le temps que la recharge arrive, il jette l’os dans la coupelle et lève à nouveau son verre.
« C’est à mon tour. Je vais trinquer aux entreprises couronnées de succès. »
On trinque donc. Puis il reprend la parole.
« Il y a quelques jours, les Seafarers vous ont sauvés la mise, du côté de l’hôtel des ventes.
- Ouais. Ouuuh, je suis super connu.
- Mais tu ne considères pas de dette vis-à-vis d’eux, si ?
- Nan, m’en tape. »
Enfin, on y arrive. On verra si le travail de recherche tout ce temps aura payé.
« Tu n’es pas sans savoir que…
- Que les Jackals et les Seafarers peuvent pas se blairer, ont déjà eu plusieurs embrouilles dans moult lieux d’Alvel, et que vous êtes plus ou moins à des points opposés du grand spectre de la piraterie ? Ouais, j’suis pas sans savoir.
- Ce n’est pas le style des Black Jackals de laisser des conflits non-résolus. »

Sa mâchoire carrée prend un accent plus tenace, têtu, quand il sert les dents.
« Ouais, donc ?
- Je ne prends pas de risques inutiles. Et je paye mes dettes. Je souhaite recruter les Naufragés pour m’aider à éliminer les Seafarers. »
Bon. J’suis pas bien surpris. Reste à en tirer ce que j’peux.
« Pourquoi pas.
- Accord de principe ?
- Non. J’suis juste pas opposé à l’idée. Maintenant, c’est comme tout ce qui s’achète. Faut y mettre le prix, les conditions intéressantes, bref, le truc qui m’donne envie de rendre service à mon prochain. Et si tu veux un indice, j’suis pas très philanthrope. »
Il éclate de rire, à nouveau, mais un air de danger s’est glissé dans l’aura qu’il projette. C’est p’tet sa posture, ou son regard… Il croise les doigts sur la table, devant moi.
« Et quand il y a paiement, il y a alliance, honneur, et respect, n’est-ce pas ?
- Ca me semble être un minimum, que j’concède.
- Combien verrais-tu ?
- Hum… Si on doit se retrouver à vos côtés contre eux, sans rien d’autre, j’dirais bien vingt ou trente millions. C’est qu’ils ont une sale réputation, et que O’Connell est un supernova ou presque. Bref, loin d’être une partie de plaisir. »
Il m’observe, songeur.

J’attrape la bouteille, et j’me ressers.
« Mais bien sûr, il ne s’agit pas que d’argent. »
J’lève mon verre.
« C’est le moment où j’trinque à une alliance, c’est ça ?
- Nous n’en sommes peut-être pas encore là, mais j’apprécie le fil de tes pensées.
- Une alliance qui pourrait aller plus loin que juste un contrat pour éliminer O’Connell.
- Effectivement.
- Une alliance dans laquelle, éventuellement, les Naufragés rejoignent les Jackals. »
Son sourire réapparaît et il tape sur l’épaule de son second.
« Je te l’avais bien dit. Il comprend vite.
- J’propose qu’on fasse ça méthodiquement.
- En commençant par ?
- Le prix d’O’Connell, et, bien sûr, les conditions dans lesquelles ça va s’passer. J’suppose que y’a déjà les grandes lignes d’un plan. Ensuite, on pourra évoquer si on vous rejoint et sous quelles modalités.
- Cela dépend. Lesdites modalités pourraient être améliorées en tenant compte de votre futur statut.
- Allons-y, alors.
- Je précise tout de même que je te vois bien comme un capitaine de ma future flotte.
- Une belle flotte, ouais. J’ai pas de bateau.
- Cela pourra s’arranger, notamment avec celui des Seafarers.
- Héhé, voilà ce que je veux entendre. »

Au bout d’une bonne heure, on arrive enfin à un accord, dans lequel j’rejoins sa flotte, j’choppe un navire, et j’ai mon propre drapeau sous le sien, puis on vogue de concert jusqu’au Nouveau Monde. En échange, j’ai juste à participer à l’attaque-surprise contre O’Connell, positionné en fer de lance pour faire diversion.
« C’est marrant, mais nous foutre direct dans la position où on va subir les plus lourdes pertes alors qu’on est moins nombreux et moins puissants, ça respire pas la confiance.
- Ah ? Que proposes-tu ?
- La logique voudrait que vous attaquiez les premiers, puis que nous les prenions par surprise.
- Nous ne ferons pas comme cela. »
Il veut pas en débattre, moi si. Mais j’laisse trainer le point pour le moment.
« Puis personne n’a de dettes envers des hommes morts, que j’signale.
- Développe.
- Ca ressemble vachement, soit à un test de confiance, soit à un moyen de faire d’une pierre deux coups.
- Prends cela comme un test de confiance, dans ce cas.
- Mouais. J’vais pas envoyer mes hommes au casse-pipe. Même avec une addition plus intéressante. Faut une autre concession.
- Comme par exemple ?
- Je les amène sur place, okay. Mais ensuite je feinte. J’donne le change au début avant de me débarrasser d’O’Connell.
- O’Connell est à moi.
- Comme tu veux, Simon.
- C’est tout ?
- Et le bateau des Seafarers, ainsi que la somme promise. La moitié maintenant, l’autre plus tard. »

Il fait tourner le contenu de son verre, songeur. Puis il lève les yeux vers moi, et me fixe. J’ressens comme un choc bizarre avec une impression de peur, sauf que ça m’fait pas grand-chose. Mes voisins de table émettent un petit hoquet de frayeur, et ma bouche ouverte pour demander c’qui s’passe s’fige.
« Nous restons donc sur ces termes. Celui qui trahira s’exposera à des représailles qu’il n’est pas la peine de détailler. Et suite à l’élimination d’O’Connell, vous entrerez officiellement dans mon équipage. Il sera temps de trouver un autre nom que les Naufragés, par contre. »
J’inspire profondément.
« ‘Sûr. On tope ?
- Tope-là, et on trinque, surtout ! »

Il ressert une rasade à tout le monde.
« Aux alliances réussies et prometteuses ! »

J’lève mon verre avec tout le monde, et quand ils s’entrechoquent, le rouge déborde et coule. Ha.

Va falloir la jouer fine.
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Le lendemain nuit, on est tous sur le qui-vive. On a des indics qui surveillent les Seafarers, d’autres les Jackals. J’ai réussi à attraper Manny pour qu’il discute avec Erik, à l’occasion. Un p’tit service qui me rendrait vachement plus favorable à ses propositions, et pour lequel il sera bien entendu rémunéré au prorata de ce que j’vais moi-même sortir de tout ça.

Mirettes passe la tête par la porte et m’adresse un signe.
« C’est l’heure, tout l’monde. Ouvrez l’œil. »
On sort à la file et on enchaîne les rues jusqu’à une placette sur laquelle on s’pose. Il faut pas long pour qu’une autre troupe, considérablement plus nombreuse que la mienne, émerge sous nos yeux ébahis. En nous voyant, ils dégainent tous leurs armes, et j’me dis qu’il suffit que y’en ait un qui soit nerveux ou énervé pour que la nuit commence rudement mal. Et rudement tout court, aussi.

Mais ils se retiennent, alors j’sors une clope que j’allume tranquillement en avançant vers le chef.
« Bonsoir, Samuel.
- Angus ? Et tout ton équipage, on dirait. Je suis désolé, mais je suis un peu pressé, ce soir. »
Il a les traits tirés, un pli têtu à la bouche, et les yeux fixés sur le lointain. Y’a pas photo, Simon a mis son plan à exécution, ou en tout cas Samuel le croit.
« Ouais, j’sais. L’otage, le rendez-vous histoire de régler vos différends.
- Bon. Tu es là pour quoi ?
- Payer mes dettes. C’est dans mes habitudes, un prêté pour un rendu. »
Il a un sourire hésitant.
« Tu nous as bien sortis d’affaire l’autre jour, dans la ville haute. C’est notre tour de te filer un coup d’main.
- Vraiment ?
- Ouais. C’est pas qu’une question de piraterie, c’est aussi l’honneur, le respect, la probité…
- C’est bien. »

Y’a un p’tit silence, et juste avant qu’il recommence à marcher, j’reprends la parole.
« Mais sinon, c’est vraiment juste que ici que vous vous êtes embrouillés comme ça ? Ca paraît beaucoup pour pas grand-chose.
- On s’est croisé sur Reverse Mountain, de Blues différentes. La situation a rapidement dégénéré, ce qu’elle va faire ici aussi, si nous n’y allons pas tout de suite.
- Ouais, ouais. Qu’on en finisse. »

On se mêle à l’équipage de Samuel, vers l’arrière. Ils se méfient pas trop, font confiance au jugement de leur capitaine. J’sais que le point de rendez-vous est une grande place vers le centre-ville, mais que c’est assez mort la nuit. Pas de commerces qui favorisent en fait la présence des gens. Que des grandes barraques façon villas calmes. J’espère qu’on va pas trop les déranger, mais j’dois dire que c’est pas gagné…

Au moins, on s’choisit des endroits sympas pour la castagne, c’est bien un minimum.

A l’approche, tout le monde ralentit, et quatre groupes se forment, tous une quinzaine ou une vingtaine de pirates. Y’en a un, c’est le mien, et on est dans la trentaine. Deux parties vont par des ruelles pour faire le tour et éviter qu’on s’fasse prendre trop à revers. Ça paraît assez médiocre comme plan, d’y aller sans éclaireurs. Puis Samuel fait son entrée.

En face, au bout de la place, trois lumières s’allument soudain. A part ça, tout est calme, y’a pas un son à part les nôtres, et les quelques arbres qui parsèment les pelouses sont totalement immobiles. Les bâtiments bloquent aussi le bruit des groupes qui se sont séparés. Notre cinquantaine avance doucement, au rythme du cliquetis de nos pas et de nos armes.

J’regarde tout autour si on risque de se faire prendre dans un feu croisé, mais les façades sont toutes obscures, les volets fermés. Ça ne veut rien dire, ils peuvent parfaitement être tapis juste derrière. Je voulais pas trop de cette position, et maintenant que j’y suis, ça pue bien la merde. Les Jackals peuvent faire carton plein en se débarrassant de nos deux équipages, et ils ont la position de force. Mes Marines derrière ont l’air serein, cela dit.

Quand on arrive au milieu de la place, Simon sort enfin sur le balcon surplombé par les trois lumières. Il s’est fait beau, bijoux rutilants, barbe et cheveux soigneusement tressés et des foulards aux couleurs vives sur lui. L’image parfaite du sauvage pirate. Il écarte théâtralement les bras et nous adresse une révérence qui se teinte forcément d’ironie, dans notre position.

« Bienvenue, bienvenue ! Entame-t-il d’une voix forte.
- Où est Alain ? Demande Samuel.
- Allons, allons, il n’est pas nécessaire de se presser autant pour le moment. Nous sommes après tout enfin réunis dans ce cadre fort sympathique pour la première fois depuis bien longtemps.
- Ca ne m’intéresse pas de discuter avec toi, Simon.
- Ne t’inquiète pas, Seafarer, nous n’allons pas faire que discuter. »
A côté de moi, un type de l’équipage de Samuel écoute discrètement son escargophone. Ça doit être des informations des autres groupes, qui se sont séparés, j’suppose. Ils vont p’tet pas se faire avoir tant que ça, finalement…
« Tu veux Alain ? Je vais te le rendre, alors. »
Samuel plisse les yeux, méfiant. Simon entre dans la pièce qui se trouve derrière lui, et revient moins d’une minute plus tard. A la main, il tient une corde passée autour d’un genre de sac ? J’concentre mon regard alors qu’il fait un nœud à la balustrade du balcon et balance le paquet, pour qu’il pendouille à trois mètres du sol.

Sur un mouvement, j’me rends compte que c’est quelqu’un, et un hoquet s’échappe des lèvres d’O’Connell. Alain a été salement charchuté. Il a qu’un genre de culotte qui fait qu’on peut tout voir ou presque, et c’est pas réjouissant. Le rire du Jackal commence à s’élever, pendant qu’on note les jambes amputées, les bras pareil, avec les extrémités cautérisées pour éviter qu’il meurt d’hémorragie. Un œil est parti aussi, le nez a été coup pour ne laisser que deux fentes.

La bouche d’Alain s’ouvre sur un cri inarticulé, ses lèvres remuent mais sont incapables d’articuler le moindre mot, et un coup d’empathie confirme ce que j’craignais : le moignon brûlé de sa langue s’agite faiblement dans sa bouche. Le rire de Simon Norrois prend une teinte de plus en plus hystérique à mesure que les Seafarers assimilent l’ampleur de la situation, et l’visage de Samuel O’Connell se décompose visiblement.

J’pense pas être fragile mais j’ai un frisson.

« Je peux te rendre Alain quand tu veux. Par contre, il faut venir le chercher, parce qu’il ne peut pas partir lui-même. Et c’est un peu loin pour le lancer. Encore qu’avec une catapulte, peut-être ? Souhaites-tu que nous essayions ? »

Avec un cri d’angoisse et de douleur, Samuel dégaine son sabre et charge vers Simon, qui lance un commandement bref et inintelligible avant de sauter au sol de son deuxième étage. Il touche les pavés de la place avec un impact perceptible, épée en main, pour rencontrer son adversaire. Quelques volets s’ouvrent sur des gueules de fusils qui font feu tout de suite. Des barricades de fortune sont jetées en travers des rues qui partent de la place.

La première salve retentit et on s’jette au sol. Enfin, une partie tombe, j’suppose. On rampe rapidement, avec mes soldats, vers une extrémité de la place, en profitant du faible abri fourni par les quelques arbres. Ça va, Simon a pas l’air d’avoir prévu de nous trahir tout de suite, donc on peut s’éloigner facilement. Et son combat avec Samuel favorise pas l’appréciation de la situation.

En plus des tirs, des pirates font irruption. J’note avec intérêt qu’ils semblent faire partie des deux équipages. L’affrontement devient alors une mêlée dont personne sortira gagnant. Ou, en tout cas, pas eux. J’mets mes Marines en rang, fusil armé. Y’a une rangée un genou à terre, et l’autre debout arrière.

Les Jackals sont plus nombreux que les Seafarers. L’écart se fait rapidement sentir, avec les deux capitaines qui se neutralisent l’un l’autre. Les premiers débordent les seconds sur la gauche, et j’ordonne ma première volée. J’pense que mon p’tit jeu va pas rester discret très longtemps, maintenant, en tout cas pour Simon. Samuel, lui, doit être plutôt content et me considérer de bonne foi.

Couverts de sang et de blessure, un groupe de Black Jackals, identifiables à leurs foulards noirs, jaillit de la rue juste à ma droite. J’étais tellement concentré sur l’affrontement principal que j’ai perdu l’fil. Heureusement, Jadieu avait placé quelques hommes, et on les accueille comme il se doit. Ils gueulent, mais dans le brouhaha général, personne les entend, et j’ai une pensée pour les types qui doivent être en train d’essayer de dormir. M’est avis qu’ils ont la tête sous l’oreiller et espèrent que tout passera sans trop de souci.

Pendant que la section de Jadieu bosse un peu, j’continue de surveiller, mais cette fois avec mon empathie déployée, histoire d’être moins con. Ceux qui sont arrivés ont dû prendre en embuscade un des groupes de Simon, ceux qu’il avait envoyé sur les côtés. L’autre devrait pas tarder à faire irruption, sauf s’il est lui aussi occupé ailleurs…

Tout d’un coup, une onde de choc intangible, accompagnée d’un sentiment de peur et de folie, passe sur tout le monde. Mes hommes s’attrapent la tête, certains trébuchent, tombent au sol, et y’en a même un qui vomit sur les godasses de son voisin. Moi, ça va. Haki royal, à tous les coups, vu que les Jackals sont plutôt pris d’une furie sanguinaire encore plus intense.

Il en faut pas plus pour qu’une autre onde de choc nous traverse tous, toujours aussi intangible, elle chargée de grandeur et d’héroïsme. Putain, Samuel aussi balance son haki comme ça. Genre c’est la fête, on balance tous notre capacité super rare réservée aux élus de ce monde. En tout cas, ça explique les auras naturelles qui volaient autour d’eux et influençaient les gens qui les fréquentaient. Sûrement un effet passif, ou alors ils le laissent en permanence…

Les deux auras s’annulent l’une l’autre, à peu près en tout cas. Celui qu’a vomi, c’est Lune, mais il risque d’avoir un nouveau surnom qu’il va trouver vachement moins rigolo.

J’continue de surveiller le déroulement de la mêlée générale, et elle tourne de plus en plus à l’avantage des Jackals. J’pense qu’il va être temps d’aller nettement faire pencher la balance, et comme on n’a pas d’angle de tir sur eux, d’ici, va falloir se mettre aux travaux manuels. On s’met en ordre de charge, et on enfile la place au pas de course.

On adopte au passage une formation en coin, avec moi en pointe. Et on s’enfonce dans le flanc des pirates comme un couteau dans du beurre, en agitant nos armes et en gardant notre discipline. J’bloque un katana et j’plante un couteau dans l’œil de mon vis-à-vis, avant de déplacer le corps devant moi pour encaisser un coup de hache. J’le repousse ensuite et j’fracasse un genou d’un coup de talon, sur ma gauche, avant d’avancer encore.

Juste derrière moi, les Marines maintiennent l’ordre de bataille, et j’ralentis pour être sûr de pas me retrouver isolé. Quand j’commence à voir l’espace vide dans lequel Simon et Samuel ferraillent encore, j’repique vers la droite, pour rester au milieu du pack de gens. Tant qu’ils se neutralisent, ça m’permet d’éliminer le petit personnel.

A la faveur d’une légère pause, Simon remarque toutefois mon p’tit manège.
« Angus ! Sale traitre ! Davy Johns aura ton âme, et j’aurai tout ce qui vient avant ! Qu’il gueule. »
J’l’ignore. Samuel est de dos, mais nul doute qu’il sourit de son sourire chaleureux, amical, et confiant.

Des cris retentissent derrière moi, un peu différents. Mes soldats plient devant un assaut d’une rare violence, et j’distingue Carter qui mène la contre-attaque. Un trou se creuse rapidement dans notre formation, et j’sens qu’on va bientôt se faire séparer en deux. Devant moi, deux coups de mousquets sonnent, et j’me jette sur le côté juste à temps.

Juste à temps pour manger un coup de sabre dans la cuisse.

Un Tekkai discret empêche la plaie d’être plus qu’une égratignure, mais ça reste pas bien agréable. Avant que j’puisse reprendre mon équilibre, une autre lame fonce droit vers mon coup, mais prévenu par l’empathie, j’balance un Shigan Bacchi de l’index. Personne devrait savoir, ou p’tet qu’il sauront, mais j’compte bien qu’ils seront pas là pour en parler.T’façon, doit y avoir un milliard de techniques bizarres équivalentes.

Sorti de mon petit problème temporaire, j’peux retourner mon attention divisée vers le milieu de ma joyeuse troupe, pour voir que c’est maintenant Surin et Jadieu qui occupent le second de Simon, rapidement rejoints par Pilier. J’serre les dents et j’fais faire demi-tour aux gars encore avec moi. Si on se débarrasse de Carter, trop grand, trop pâle, trop calme, ça devrait foutre un coup au moral des Jackals.

Notre mouvement enveloppant met une bonne dizaine de minutes à revenir en arrière, mais ça se bat toujours, et c’est les miens qui donnent du terrain pour se donner de l’espace et respirer un peu. L’autre se bat comme un beau diable, et a laissé pas mal de traces autour de lui, des Marines peu chanceux qui l’ont croisé trop tôt ou ont voulu donner un coup de main.

M’sentant arriver, soit grâce au mouvement de recul de la foule autour de lui, soit avec un haki, ou juste un instinct affûté, il s’retourne juste à temps pour parer mon coup de couteau. Quelques passes d’arme plus tard, j’suis forcé d’admettre qu’il est plutôt carrément bon. Mais être bon suffit pas quand Jadieu arme un de ses fusils et lui tire une balle dans le dos.

Son rictus découvre ses quenottes, puis il se jette sur le côté, sur Lune, dans un dernier effort. Le Marine d’élite peut rien faire quand le coutelas transperce le bas de la cuisse et fracasse la rotule, à part tomber sur son agresseur, pointe du katana en avant. Carter rend son dernier souffle et Lune utilise ce qui lui en reste pour gueuler sa douleur. J’jette un regard autour de moi pour évaluer la situation.

Les Jackals ont un peu reculé et nous laissent un peu d’espace. Pareillement, les Seafarers, toujours au contact de leurs adversaires, se sont un peu éloignés. Résultat, on s’retrouve dans l’œil du cyclone, en quelques sortes, un peu au calme. Il m’reste une quinzaine de Marines en relativement bon état, quelques autres qui peuvent encore se battre un peu si c’est pas trop intense. Le reste est sur le carreau, définitivement ou pas.

On reprend notre souffle, et j’échange un regard avec Jadieu.

Il réarme ses deux fusils, vérifie son sabre. J’pointe de la tête les Seafarers. Il plisse les yeux, regarde tout autour de lui. Il acquiesce et commence à signaler qu’on va se remettre à bouger. A vue de nez, il doit rester une trentaine de chaque équipage, et tout le monde fatigue. Les ouvertures sont plus larges, les armes tombent davantage par inertie que par force, et toutes les bouches sont ouvertes pour aspirer autant d’oxygène que possible.

Heureusement, pas besoin d’avoir du souffle pour tirer. On s’met en rang, on arme nos mousquets, fusils et autres pétoires, et on tire. On touche un peu de tout, mais surtout du Seafarer. Faudrait pas qu’ils prennent trop le dessus et que j’me retrouve à devoir les gérer derrière. Dans le nuage de poudre qui s’élève, on recule gentiment de plusieurs mètres en rechargeant, un des grands classiques de tous les corps d’armée.

Eux, ils commencent à se retourner, à comprendre que quelque chose tourne pas rond. Les têtes pensantes dans leur troupe pensent qu’ils se font prendre à revers par des Jackals, mais y’a que nous. Et ces derniers profitent de l’aubaine pour, malgré les pertes, repartir à la charge sur leurs némésis. Au terme d’un grand coup horizontal, Simon éjecte Samuel à quelques mètres, et ils jettent tous les deux un coup d’œil dans ma direction.

La bouche d’O’Connell bée bêtement pendant deux bonnes secondes avant que la surprise soit remplacée par la colère sur son visage. Il va pour parler quand Simon le coupe d’un grand éclat de rire, tout aussi maniaque et fou que les précédents, et Samuel devient tout rouge.
« Alors c’était donc ça, Angus ? S’exclame Norrois. Le beurre et l’argent du beurre ? Tu penses pouvoir… »
La suite est perdue dans son caquètement et le tir de Jadieu, qui le cible, mais le capitaine esquive en inclinant simplement le buste.

Une nouvelle vague de haki des rois est émise, et à sa colère, on devine tout de suite que c’est celle de Samuel O’Connell. Les Jackals titubent, ploient, et mes gars aussi. Simon Norrois n’est pas en reste et sa propre aura, pesante, menaçante, hystérique, tombe en plus plutôt qu’en neutralisation, contrairement à la première fois.

Personne se sent très bien, et la pression sur mes tempes suffit à m’faire dire que si mes gars peinent à rester debout, c’est pas bien surprenant. Jadieu s’appuie sur son arme à feu, essuie la sueur qui lui goutte sur le front. Surin a les mains qui tremblent. Lune a des hauts-le-cœur, encore. Globalement, personne pète trop la forme.

Samuel et Simon se jettent un regard circonspect, et quelque chose a l’air de passer dans leurs yeux. Le Jackal me pointe du pouce, puis baisse celui-ci. Le Seafarer hoche lentement la tête en signe d’assentiment. Ils se mettent tous les deux à marcher dans ma direction, en gardant trois mètres entre eux. Merde. J’aurais joué mes cartes trop tôt ? Pourtant, le timing semblait pas mal…

J’suis tout seul devant la masse informe de mes soldats. La plupart tiennent plus debout et sont à quatre pattes, ou assis, à se tenir le crâne. La seule bonne nouvelle, c’est que les autres pirates sont aussi mal en point que mes gars. J’ai un rictus de défi sur les lèvres, et j’crache un glaviot  devant les deux capitaines.

Ils arrivent par la gauche et la droite en même temps, et mes poignards bloquent leurs sabres. J’recule d’un pas par réflexe avant de me rappeler qu’il faut que j’couvre la Vingtième, qu’est pas vraiment en état tant que le haki royal pulse comme ça. J’pousse mon empathie à fond pour bloquer les attaques suivantes. Et j’guette une opportunité, que ce soit pour caler quelque chose, ou même un Rokushiki discret.

Mon Kami-E m’assouplit en tout cas suffisamment pour que, couplé à ma prescience, j’me fasse pas toucher plus que quelques estafilades superficielles. Ma jambe déjà blessée commence à me tirer, et le sang séché à la jambe de mon pantalon tire sur la plaie à chaque mouvement. J’peux toujours… J’force petit à petit la raideur, la douleur, histoire de voir si j’peux pas en attirer un à s’découvrir plus que de raison.

Une dizaine d’échanges plus tard, on est toujours dans la même impasse. Aucun des deux capitaines veut trop s’avancer, de peur de s’offrir à son binôme. Ils ont pas oublié leur querelle, c’est déjà ça.

Avec mon empathie, j’esquive l’estocade de Simon en faisant un pas vers la droite, ce qui m’colle presque à Samuel. Le Kami-E m’tord autour de son attaque, de manière presque surnaturelle mais pas tout à fait. Les gens normaux ont encore des os, après tout. Mon surin vole vers sa gorge, mais ses pupilles brillent d’une lueur étrange et il a déjà bougé la tête avant que mon attaque parte. Deuxième haki ?

J’lance mon second planteur vers son bide, mais là encore il n’est déjà plus là, c’qui semble confirmer mes soupçons. D’une pirouette, j’les remets tous les deux devant moi et j’cligne des yeux pour en chasser la sueur. Cette fois, j’feinte un assaut vers Samuel, dont il doit sentir le mensonge, avant de sauter sur Simon.

J’ai bien compté que ça arrangerait O’Connell de m’laisser attaquer son petit camarade. Avec mon haki, j’suis largement assez rapide pour écarter la garde de Norrois. Un de mes couteaux va droit pour l’artère fémorale, et se brise avec un son sourd. Puis c’est son poing qui descend droit vers ma gueule, recouvert d’un fluide noir. J’m’écarte d’une roulade au sol, prolongée de manière impromptue pour pas me faire embrocher par Samuel.

Haki de l’armement, semblerait. Chiasserie.

La situation commence à bien dauber, et j’me maintiens en position défensive en attendant de voir. Maintenant que j’sais quoi chercher, le haki de Samuel me crève les yeux, comme une lumière dans la nuit. Pour le contrer, j’décide qu’au dernier moment quoi faire. Pour l’empêcher de trop prévoir.
« Jadieu, Surin ! Putain, faites un truc, là ! »
Ils me répondent qu’un borborygme un peu flou.

Puis une dizaine d’hommes arrive sur la place par la gauche, presque juste derrière Norrois. Ils ont pas l’air clairement affilié, et pourtant, ils lèvent immédiatement leurs armes pour tirer sur les Jackals, encore aux prises avec les Seafarers. C’est là que j’me rappelle que deux groupes de l’équipage de Samuel étaient partis sur les côtés. Ils ont dû rencontrer du grabuge, s’en défaire avant de pouvoir venir.

Simon évalue rapidement la situation et m’adresse un clin d’œil. Enfin, j’crois… Avec une férocité renouvelée et qui change radicalement des dernières minutes, j’me jette sur Samuel O’Connell et j’m’acharne sur son sabre. Derrière une garde de plus en plus difficile à maintenir, il essaie de reculer, mais le Jackal est là, dans son angle mort.

Le haki de l’armement le recouvre des pieds à la tête, y compris son arme, et sa bouche est ouverte sur un hurlement muet. Levant l’épée haut au-dessus de lui, il l’abat des deux mains sur sa némésis. Jusqu’au bout, le Seafarer essaie de se jeter en dehors de la trajectoire, mais j’le bloque avec pugnacité et il se fait, finalement, trancher en deux du haut du crâne à l’entrejambe.

Un des deux hakis royal disparaît aussitôt et les Jackals reprennent suffisamment du poil de la bête pour offrir plus qu’une résistance symbolique aux Seafarers. Une partie de la pression disparaît aussi derrière moi, et mes Marines remuent enfin.
« Tu vois, Norrois, j’t’avais dit que j’te laisserai buter O’Connell.
- Tu es le prochain, Angus. Je n’ai pas oublié nos promesses, y compris celle que je t’ai faite un peu plus tôt. Tu imploreras Davy Jo…
- Ouais, ouais. On verra. »

Les assauts redoublent d’intensité entre nous. Simon Norrois équilibre la situation entre les deux équipages avec son haki royal, et son armement m’empêche de le blesser fatalement. Mais il est seul. Au lieu de faire obstruction en protégeant mes Marines, j’le repousse maintenant petit à petit, pied à pied. Maintenant, j’sais que j’suis plus rapide, plus technique, plus puissant. Et ce malgré qu’il ait été éduqué et formé au combat à l’épée, manifestement. Les bénéfices d’une éducation noble, sûrement.

Il le sait aussi. Avec un grognement d’effort, il me force à sauter en arrière de deux mètres et donne de la voix.
« Seafarers ! Ecoutez-moi ! Nos deux équipages ont été trahis par les Naufragés d’Angus ! Si vous m’aidez à les éliminer, je vous laisserai partir sains et saufs, j’en fais le serment ! »
Sa voix de stentor et son haki des rois font que tout le monde ne peut que l’écouter. La pression de ce dernier s’adoucit sensiblement, en tout cas pour les pirates de feu O’Connell, et les Jackals baissent temporairement leurs armes. Ça m’paraît impossible qu’ils le croient alors qu’il vient de tuer leur capitaine, bien en traitre. Puis j’me rends compte que personne l’a vu, à tous les coups.

A vue de pif, ils doivent bien rester une bonne quarantaine, à deux groupes. Jadieu calcule déjà les routes de retraite, j’sens, et il a bien raison.
« Hé, attendez… »
Le salut vient de quelque chose que j’avais presque oublié, dans tout ce chaos. Un boulet de canon tombe littéralement au milieu de la mêlée, puis un autre, et les hommes volent. La poussière soulevée permet pas d’y voir grand-chose, mais l’empathie, si. Et les balles qui sifflent ensuite continuent de faucher les pirates les uns après les autres, avec un rythme soutenu et irrésistible.
« Qui… ? Marmonne Simon Norrois.
« On les finit ! Que j’gueule pour mes soldats. »

Le feu est maintenant croisé et j’profite de l’aubaine pour m’farcir le Black Jackal. Quand j’brise ma troisième lame contre son armement, j’laisse tomber un de mes couteaux. J’garde que celui en main gauche, pour parer son sabre, et c’est sinon mon poing ou ma paume qui s’écrase sur sa face, son torse, ses articulations. Aidé du Tekkai Kempo, évidemment.

Au terme d’un échange virulent, j’choppe son poignet armé et j’le tords sans qu’il puisse se déplacer ou m’bloquer. L’arme tombe de son bras sans force et mon coude frappe sur le sien une fois, deux fois, trois fois. La dernière est la bonne et son haki de l’armement brise, tout comme l’os. Par contre, j’mange bien son coup de talon dans les abdominaux.

La lueur folle dans son regard est de plus en plus présente et, les lèvres retroussées, il me saute dessus avec sa main valide qui essaie de m’arracher un œil. J’l’écarte du tranchant de la main puis c’est son coude retourné qui s’écrase contre mon épaule. J’imagine même pas le mal que ça doit lui fa… J’suis interrompu quand il essaie de me mordre la gorge.

J’fais un salto arrière et mon pied droit cueille la pointe de son menton. Ejecté en l’air, il tombe comme une masse au sol, sonné et probablement K.O. J’attends pas de voir si c’est vrai : dès que j’ai repris mes appuis, j’lui saute dessus et j’enfonce mon poignard dans son orbite droite jusqu’au pommeau. Quand j’me relève, tous les Marines qui le peuvent se tournent vers moi.

Du côté des Jackals et Seafarers, il reste plus grand-monde, à part ceux qu’essaient de fuir. Ils se font tirer comme à la fête foraine. Enfin, nos assistants de dernière minute approchent, et à leur tête, j’reconnais Erik, maître du phare, et ambitieux petit fils de pute. Au bout de la place, le Seafarer torturé, Alain, gueule toujours, le visage couvert de larmes, à voir son équipage réduit à néant. Une balle le fait enfin taire.
« Un peu en retard, nan ?
- J’ai fait ce que j’ai pu. Ce n’est pas facile de trimballer des canons dans la ville, tu sais.
- Vrai que tu m’as bien rendu service, ce coup-ci.
- Et j’espère que tu respecteras davantage les termes de l’accord entre nous qu’avec eux.
- On partage les gains, évidemment. Je te laisse le bateau des Jackals, trop grand pour ce qui reste de nous.
- Et les cales ?
- Pour les cales, on partagera, j’ai pas fait gaffe à qui avait vendu quoi. Pas trop eu le temps.
- Très bien.
- Il reste des choses à boucler, cette nuit.
- Comme ?
- Prendre possession des bâtiments, éliminer les survivants, si on peut. Soigner les blessés, enterrer les morts.
- C’est vrai.
- Allez, la nuit sera courte. »

Mes sections sont déjà en train d’administrer les premiers soins, d’abord aux soldats les plus touchés. Certains passeront pas la nuit. J’grimace. On a subi trop de pertes. J’espère que ça foutra pas en l’air la suite du plan. Mais y’a encore du turbin. N’empêche, deux saloperies d’équipages pirates en moins, ça doit bien compter pour quelque chose, dans la grande marche des choses.

Au fond, j’suis pas mécontent.
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