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L'utilisateur Aoi ne vous recommande pas cette île

- Je déteste cette île.

- On est deux.

Suivant une route sans véritable but, Aoi et Vilma avaient été forcés de s’arrêter sur l’île la plus proche d’elles pour faire le plein de vivre avant de repartir. Cependant, ni l’une ni l’autre ne la connaissaient et elles étaient donc entrées comme de parfaites étrangères dans cette île qui ne sentait pas bon, au sens propre du terme.
À présent couverte de boue jusqu’aux mollets, Vilma rêvait d’une bonne douche tandis qu’Aoi avait des haut-le-cœur tant l’odeur était insoutenable.

- T’es sûre que c’est de la boue au moins ?

- Je préfère pas savoir. Et avance ! Plus vite on aura nos vivres plus vite on partira !

S’arrêter dans le port de l’île n’avait pas été une option pour les deux sœurs puisqu’elle en était dépourvue. Elles avaient donc dû s’arrêter à ses abords et essayaient désormais tant bien que mal de trouver quoi que ce soit de vivant. Elles n’avaient pas eu d’autres choix que de traverser ce marais, seule chose qui s’était présenté face à elles après avoir mis pied à terre.

- Si ça se trouve, il y a rien ici... en plus l’odeur est insoutenable !

- Elle serait soutenable si tu arrêtais d’utiliser le flair d’un lynx ! Et arrête de te plaindre, je suis déjà d’assez mauvaise humeur pour que tu fasses des réflexions toutes les trente secondes !

Aoi se renfrogna et reporta toute sa rage sur le paysage environnant, seule chose plus pitoyable qu’elles en l’état.
Si un lieu pouvait décrire son propre dégoût, il ressemblerait certainement à ce marécage. Brumeux, froid, vomissant des lianes pourries des branches d’arbres morts. Le soleil n’arrivait même pas à traverser ce nuage de puanteur et d’humidité, faisant régner une ambiance sinistre. Le sol se résumait en une bouillasse infâme de boue et de roche. Vraiment un lieu paradisiaque pour passer des vacances de rêve en famille.

À force de se morfondre sur sa triste condition, la petite archère finit par se prendre les pieds dans un objet non identifié caché à moitié par la boue. S’étalant de tout son long, elle eut l’honneur de goûter le premier cru qu’était cette bouillasse.
Un silence pesant s’installa avant que les deux sœurs ne se rendent compte de ce qui venait de se passer. Vilma éclata d’un rire venant du plus profond d’elle même tandis qu’Aoi se relevait en crachant tout ce qui pouvait se trouver dans sa bouche.

- Mais c’est dégueulasse !

Vilma s’occupait d’essuyer les larmes de rire qui coulaient sur ses joues tout en tentant de se calmer avant de repartir de plus belle et voyant l’état de sa sœur.
Folle de rage, Aoi entreprit de déloger l’objet de sa honte, comme pour se prouver à elle même qu’elle avait toujours un peu de fierté. Les rires de Vilma alimentant sa haine et sa honte, elle réussit tant bien que mal à sortir ce qui lui semblait être une racine. Malheureusement, ce n’était pas ça.

En se rendant compte de sa trouvaille, elle lâcha avec dégoût ce bras qui retomba dans la boue dans un ploc assez comique.

- C’est quoi ce délire ?

- Tu vas pas me dire que t’as peur d’un petit bras de rien du tout quand même ?

- Non, pas vraiment, seulement qu’est-ce qu’un bras, encore en assez bon état fait dans un endroit comme celui-ci ?

- Vois le bon côté des choses, ça veut dire qu’il y a bien de la vie ici.

- C’est pas ce que j’appellerais de la vie là...

Aoi n’était pas à l’aise. Le bras était à moitié mangé et le reste du corps manquait à l’appel.

- Je te promets Vilma, si on tombe sur des animaux bouffeurs d’hommes je te tue.

- Te plains pas on pourrait tomber sur des cannibales.

Vilma continua sa route comme si de rien n’était, mais Aoi avait tous ses poils qui s’étaient redressés.

- Attends-moi Vilma !
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Le dos en vrac, des ampoules plein les pieds et une hygiène désastreuse. Voilà à quoi se résumait la situation des deux sœurs au milieu de cette île plus qu’inhospitalière. Après avoir marché durant plus de trois heures sans s’arrêter, elles avaient enfin trouvé un morceau de terre dur où passer la nuit.
Aoi était trempée jusqu’aux os et ses habits étaient lourds sous le poids de la boue. Elle se résigna donc à se transformer en lynx, afin de sécher naturellement sans avoir besoin de porter un quelconque vêtement. Le problème était que son odorat, qu’elle arrivait de plus en plus à canaliser depuis leur arrivée, se voyait multiplier par cent lorsqu’elle tentait une transformation.
Elle avait donc le choix entre le froid et la puanteur.

- Bon tu te décides oui ?!

Cela faisait maintenant plusieurs dizaines de minutes qu’Aoi alternait entre un état de lynx et d’humaine sans réussir à choisir. Et pendant ce temps, Vilma avait récolté des lianes mortes afin de créer des lits de fortunes et était exaspérée par le manque de prise de décision de sa sœur.

- C’est comme si j’avais le choix entre deux morts lentes et douloureuses...

- T’as pas l’impression d’en faire un peu trop là ?

- À peine.

Aoi finit par décider qu’elle resterait sous sa forme humaine afin de discuter avec Vilma et qu’elle se transformerait pour dormir, lui permettant à elle, comme à sa sœur qui se blottirait dans son épais pelage, de dormir au chaud.
Il aurait été plus simple d’allumer un feu mais le bois mouillé ne s’embrasait pas facilement et rien ne permettait de le faire de toute façon. Le pelage d’Aoi étant très dense, Vilma allait se contenter d’elle.
Après s’être assises contre un arbre qui laissa échapper un craquement sinistre lorsqu’elles s’appuyèrent dessus, elles commencèrent à se détendre.
La nuit allait bientôt tomber et sans lumière, elles n’étaient pas dans des conditions optimales pour dormir en toute sécurité. Seule Aoi avait une bonne vision, Vilma, qui s’habituait à la noirceur du ciel, ne pouvait voir que sur une très courte distance. La forêt étant désagréablement dense, seuls de très rares rayons de lune réussissaient à percer ce dôme. Elles choisirent tout de même d’opter pour un tour de garde, Aoi devant elle aussi se reposer.

- Sincèrement, j’ai connu bien mieux comme situation...

- Et moi bien pire alors arrête de te plaindre deux secondes.

- Demain on trouve ce qu’on veut et on se casse. Hors de questions de rester longtemps sur cette île pourrie.

- Ce qu’il faudrait surtout que tu fasses c’est de maîtriser ton odorat, ta vision, ton ouïe, bref tes sens, afin de nous aiguiller vers un endroit habité. Au lieu de toujours t’apitoyer sur ton pauvre sort, sur le fait que tu ne saches pas respirer autre chose que la puanteur, sur le fait que le monde entier est méchant avec toi et que tu es la pauvre, pauvre petite Aoi.

- Je me plains pas autant non plus...

- Oh que si ma belle, et ça commence sérieusement à me gonfler. Si t’as 16 ans et que tu décides de faire ta crise d’ado maintenant fait là plus loin. Je suis pas là pour faire du baby-sitting.

L’archère le prenait mal. Très mal. Depuis qu’elles s’étaient retrouvées, Vilma avait été très rarement aussi incisive et sèche avec elle. Elle avait l’impression que... sa mère venait de lui faire la morale. Et étrangement cette pensée, au lieu de l’énerver encore plus, la réconforta.

- Désolée.

- Hein ? Aoi Fujita, la gamine qui ne dit jamais pardon, vient de s’excuser ? T’es malade ?

- Oh c’est bon ta gueule, j’essayais d’être sympa...

Elle se retourna en grognant, sentant son humeur noircir une nouvelle fois. Elle sentit cependant une main attendrissante commencer à lui caresser la touffe de poil qui lui servait de cheveux.

- Tu sais, j’imagine à quel point ça a dû être difficile pour toi de grandir seule. Sans mère, rapidement sans famille, dans des lieux inconnus et inhospitalité, tu n’as pas vraiment eu une vie rêvée. Mais sache que maintenant tu n’es plus seule, alors arrête de te comporter comme telle petite tête. Tu as encore beaucoup à apprendre du monde et des autres, il te suffit juste d’arrêter de voir seulement le mauvais côté des choses.

Aoi ne répondit rien, se laissant bercer par les mots chaleureux de Vilma et par sa main dans ses cheveux. Sans avoir établi qui dormirait la première, l’archère finit par s’assoupir, se transformant juste avant de tomber définitivement dans les bras de Morphée. Et pour la première fois, elle garda ses sens d’humaine lors de sa transformation.
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La nuit c'était passée sans accroc tout du long. Les tours de gardes avaient permis aux deux jeunes femmes de récupérer de leurs longues heures de calvaire la veille. Elles avaient même l’impression d’avoir dormis pendant plus d’un an !

Quand les premiers rayons du soleil commencèrent à frémir, ce fut donc Aoi qui réveilla Vilma. Après un rapide petit-déjeuner composé des rares victuailles leur restant, elles repartirent à la recherche d’eau et de nourriture afin de quitter cette île pestilentielle. Leurs habits étaient encore moites, mais elles avaient finis par capituler devant l’île. Un peu plus de boue ou un peu moins ne les dérangeait plus le moins du monde.

- Je ne sais pas ce qui va être le plus difficile entre trouver de la nourriture ou de l’eau… On ne sait pas encore ce qui habite cette île et aucun point d’eau douce n’est à entendre à l’horizon. Je ne peux même pas sentir une présence animale ou humaine avec cette odeur de mort qui empeste à des kilomètres à la ronde.

- Tu es une très bonne chasseuse Aoi, toi aussi tu as du remarquer hier ces différentes traces sur le sol. Cette île est habitée par des êtres vivants. De la nourriture en somme.

- Alors justement, j’espérais que tu n’aurais pas vu ces traces car vu leur taille, ça ne semble pas être de simples petits sangliers faisant joue-joue dans la boue.

- Plus c’est gros, plus on aura de victuailles et moins on aura à chasser avant de partir. Tu as tout autant envie que moi de partir de cette île alors autant s’attaquer aux gros bestiaux.

Aoi ne chercha pas à la contredire, sachant très bien que la cause était perdue quand Vilma avait une idée en tête. Elles allaient devoir la jouer fine. Elles savaient que des animaux vivaient sur cette île mais ils ne connaissaient rien d’eux. D’après les traces qu’elle avait aperçues hier, Aoi avait finis par deviner la forme d’une patte de crocodile même si elle semblait bien plus grosse que la normal. D’autres traces étaient visible mais elle n’avait pas réussi à mettre un nom sur les animaux auxquelles ils appartenaient.

- Dans ce cas je propose de suivre celle-ci, dit-elle tout en montrant du doigt des empreintes de pattes entourant une ligne. Je suis sûre à 90% que l’on aura affaire à un crocodile. Si tu regardes cette ligne entre les pattes, c’est en fait sa queue qui nous laisse deviner très clairement où il a pu se rendre. Il suffit de la suivre avant que les empreintes ne disparaissent en espérant tomber sur lui. Par contre, au vu de la taille des empreintes, je dirais qu’il faudra que l’on soit très vigilante. On ne va pas tomber contre une petite espèce.

- Ça me va ! Il serait bien que l’une d’entre nous reste en hauteur tandis que l’autre restera sur la terre ferme pour observer le sol. Avec la densité de ce marécage, on ne pourra pas voir nos ennemis approcher.

- Il vaut mieux que je m’occupe d’être dans les arbres alors. Si je garde ma forme de Lynx je pourrais entendre les bruits suspects plus rapidement et donc distinguer une quelconque menace. Et puis ça sera plus simple pour moi de me balader entre les branches que toi et tes deux mètres.

- 1m90 ma petite, me fait pas complexer sur mes 10cm manquant.

Tout en souriant, Aoi ne tarda pas à se transformer, bien heureuse d’abandonner ses habits poisseux pour son, presque, doux pelage. Vilma ramassa ses affaires qu’elle lança en boule dans son sac  ainsi que son arc qu’elle garda à la main, prête à le redonner au moindre problème.

Être dans les arbres était une aubaine pour Aoi. En hauteur l’air était déjà légèrement plus respirable et elle pouvait enfin avoir une vision claire de ce qui les entourait c’est-à-dire de la boue, des arbres morts, des lianes et de la terre presque noir. Elle percevait de temps à autre des cris très étrange et glaçant au loin mais elle n’y prêtait pas attention, préférant se concentrer sur leur quête.
Elles avançaient à pas de loup, préférant faire le moins de bruit possible pour ne pas attirer quoi que ce soit sur elles. Elles devaient être les chasseuses, pas les chassés. Après plus de dix minutes de marche, Aoi commença à entendre des petits bourdonnements près d’elle. Plus elles avancaient et plus le bourdonnement devenait irritant. Vilma ne semblait pas le percevoir mais cela rendait Aoi folle, d’autant plus qu’elle n’arrivait pas à percevoir sa provenance.
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Ce fut eux qui virent, ou plutôt sentirent, Aoi en premier. Un premier de ses insectes vint la rencontrer et, de par son jeune âge et donc de sa petite taille, Aoi n’eut qu’à l’écraser contre un tronc. Mais il n’était pas seul et Aoi le sut très rapidement. D’abord de quelques centimètres, elle commençait à faire face à des insectes de plus en plus gros et nombreux. Et au vu de leur aspect, ce n’était pas de simple petits parasites volants. C’était bel et bien des moustiques de désormais plus de vingt centimètres qui l'attaquaient.
Elle les chassait tant bien que mal mais leur nombre commencait à poser un réel problème et lorsqu’elle se fit piquer, elle comprit que ces moustiques volaient bien plus de sang que leurs congénères miniatures. Le trou dans son pelage était tout de même assez large pour qu’elle se mette à saigner et en voyant que certains d’entre eux se dirigeaient vers Vilma qui était une dizaine de mètres plus loin elle comprit pleinement le danger de la situation.

Sautant par terre, elle courut vers elle, suivie de près par les vampires volants et arrivée à son niveau elle se transforma à nouveau en humaine. Alerté par le bruit Vilma se retourna vers Aoi et apercevant ses nouveaux amis, elle se mit à courir, comprenant seule qu’un gros groupe d’insecte volant semblant faire la taille de son visage n’était peut-être pas bon signe. Elle lança rapidement sa cape et son arc à Aoi pour qu’elle ne soit pas trop à nue.

- C’est quoi ?!

- Des espèces de moustiques mais légèrement plus gros. Ils sont plus rapides que nous alors il faut vite trouver une échappatoire.

En effet, la distance les séparant se faisait de plus en plus courte et il fallait trouver une solution de survie très rapidement. Les tuer un à un était impossible, il fallait qu’elles les fuient.

- La boue ! Ils ne peuvent pas voler dans la boue !

- Et s’ils nagent ?!

- Aoi franchement j’espère qu’en plus d’être des moustiques mutants ce ne sont pas des plongeurs de l’extrême alors on tente !

Heureusement pour elle, la boue n’était pas une denrée rare et elles plongèrent volontiers dans la première marre qu’elles trouvèrent. La supposition de Vilma porta ses fruits car en sortant la tête de bouillasse, les moustiques géant rebroussèrent chemin. Vilma fut la première à sortir de là tandis qu’Aoi se battait avec des racines qui se coinçaient dans sa cape, le seul habit la protégeant. Sa blessure au niveau de la cuisse qui résultait de la piqûre plus tôt la lançait vraiment et elle sut qu’elle attraperait une infection à la suite de ce petit bain.

Une fois dehors, Vilma prit soin de garder la boue sur elle, soudainement très heureuse de cette petite protection naturelle, et observa les alentours. C’était toujours le même décors de marécage sordide mais en regardant au sol elle remarqua qu’elles avaient bien suivi les traces de crocodiles qui s’arrêtaient à l’entrée de leur piscine de fortune.

- Aoi, les traces s’arrêtent ici.

- Pardon ?

Aoi s’était arrêtée net, un frisson glaçant lui parcourant l’échine.

- Le crocodile. Les traces s’arrêtent juste ici à l'entrée de la marre.

Aoi était figée, ne sachant comment réagir. Elle ne sentait aucune odeur animal, tout étant caché par la boue et elle n’entendait plus rien d’anormal. S’il n’y avait plus de traces, il était là. Elle devait sortir d’ici et vite. Se transformer en lynx ne l’aiderait pas et elle avait encore un mètre à parcourir avant de rejoindre la terre ferme.
Elle fit donc un autre pas puis un autre avant de sentir un mouvement à peine perceptible sur sa droite. Vilma l'aperçut en première. Une tête aussi longue que son torse était sorti de l’eau et ses yeux étaient rivé sur Aoi. Elle eut à peine le temps de crier :

- Aoi sauve toi !

Et l’animal plongea sur la jeune archère la gueule grande ouverte.
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