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Miser sur le bon cheval

- Un whisky garçon, et un vrai. Un qui pourra m'faire oublier à quel point cette ville pue.

   Voilà que je me retrouve à Bliss. Au Royaume de Bliss ! Ici se trouve l'une des familles régentes les plus anciennes des Blues, avec un sacré poids au sein du Gouvernement... C'est d'ailleurs l'un des chantiers navals les plus efficaces qui soit, avec ses ateliers de métallurgie et sa technique de pointe. D'ici sortent la plupart des vaisseaux à vapeur de la Marine.
   Et c'est bien là le problème : qui dit machine à vapeur et métaux dit combustion. Qui dit combustion dit fumée dans l'air. Depuis que j'ai posé pied à terre, je ne vois rien d'autre qu'un ciel gris, du brouillard à l'horizon et des cendres partout sur les pavés. C'est triste à en mourir et les gens se forcent à porter au moins un tissu de couleur pour égayer leur quotidien dégueulasse.

   Les ouvriers ont la belle vie, y a pas à dire. Mais je plains sincèrement les quelques agriculteurs à l'intérieur des terres, ainsi que les marchands des quartiers commerçants, lesquels s'efforcent de héler le passant et le touriste pour vendre leurs produits. Le tout sans perdre un poumon !
   Au moins ils ont de jolis casquettes-bérets.

- Voilà.

   Le bistrotier m'apporte le breuvage. Il a été généreux sur la dose. Tant mieux. Il a mis un glaçon... Tant pis. Je chope le verre et avale le tout d'un trait.
   Je ferme les yeux un instant, le temps que les effets magiques de la boisson aient raison de ma nausée et me réchauffent un peu. En plus, ça remet les idées en place ! Parce qu'à force de me plaindre, j'ai presque oublié les raisons de ma venue.
   Je suis en mission. Encore. Mais pas pour quelqu'un d'important cette fois : juste un parieur en escale à Rokade qui a entendu parler de moi et qui s'est dit que c'était une bonne idée d'utiliser mes services pour une vengeance...

   Le bougre est originaire de Bliss et a tenté sa chance lors d'une course menée par Don Vierra, le grand patron des courses hippiques du coin ! Et quand on apprend avec quelle facilité il a su redresser une mauvaise pente et devenir l'un des trois principaux richards du Royaume... Vaut mieux se poser les bonnes questions et réfléchir à deux fois avant de parier avec lui. Bref. Mon con a perdu, s'est fait enflé et a subi quelques moqueries par la suite. Vexé, il est parti refaire sa vie ailleurs. Et me voilà impliqué dans cette histoire contre la modique somme d'un million de berrys. Rien que ça.
   Professionnel que je suis, je n'ai pas demandé où mon employeur a réussi à dénicher l'argent pour me payer, sachant qu'il avait perdu ses biens il y a peu. La discrétion avant tout.

   Entre temps j'ai fait du repérage, d'où mes nausées. J'ai également pris l'initiative de contacter la PPK : l'agence principale de conception d'escargophones en tout genre. Pourquoi ? Parce que je travaille à mon compte et en posséder un peut être un plus. Comment ai-je su pour la boîte ? Je suis passé devant la base de la 19e Division et ais vu une affiche en faisant l'éloge... Et comme il s'agit d'une agence de Marijoa, il est logique de trouver ce genre d'information près des lieux affiliés.
   Je suis donc rentré dans la base en quémandant l'accueil et ais demandé de but-en-blanc si je pouvais appeler la PPK pour passer une commande... Vu la nature de la demande, ils ont d'abord pensé à une plaisanterie. Je leur ai fait comprendre que s'ils voulaient éviter ça, ils n'avaient qu'à retirer la publicité devant leur base et fournir des zone d'appel à la populace ne possédant pas d'escargophone.
   Après délibérations, ils ont accepté ma demande. Moyennant une taxe à la minute.

   Ma commande devrait arriver d'ici une semaine à l'adresse indiquée.

   Maintenant je me retrouve à loger dans une auberge de Portgentil, le plus loin possible des docks et des centres de construction. C'est un peu plus cher qu'ailleurs mais au moins c'est plus sain. Par contre je me retrouve voisin des gens de la 54e Division, l'autre contingent présent sur l'île. Où que j'aille, je suis coincé par les soldats.
   J'ai intérêt à redoubler de vigilance si je ne veux pas attirer l'attention sur moi en déambulant n'importe où... Et c'est malheureusement ce que je dois faire.

   On toque à la porte de ma chambre :

- Entrez.
- Excusez-moi de vous déranger...

   Waouh.
   Messieurs, secouons un peu le champagne et faisons péter quelques bouchons ! Là devant moi se présente une jeunette en habits de soubrette impeccables ! Avec des cheveux mi-longs de rouquine espiègle et des tâches sur le nez, des yeux verts et grands ouverts, une bouche souriante accompagnée d'une jolie fossette sur le coin de la joue, des petites mains de poupée et une peau de pêche à croquer ! L'appétit me vient soudainement et j'ai l'impression d'avoir chaud tout à coup. Et ça me redonne soif... J'ai bien envie de me désaltérer avec elle. J'espère qu'elle sait boire au goulot...

- C'est pour quoi ?
- Je suis Rozie, la fille de l'aubergiste. Je viens m'assurer que vous ne manquez de rien.
- Enchanté Rozie ! Moi c'est Dorian, ravi d'te rencontrer. Ma foi tout est en ordre ici j'ai pas à m'plaindre. A part peut-être du manque de compagnie...

   Innocente, la remarque la fait glousser. Que c'est mignon :

- Ahah, je doute que ça soit toujours le cas d'ici peu ! Vous n'avez pas l'air du genre à rester seul trop longtemps.

   Si tu savais à quel point ta remarque est lourde de sens petite... Dommage que ce ne sois pas fait exprès :

- Et puis vous pouvez toujours m'appelez si besoin ! C'est mon rôle de faire attention aux demandes des clients. Je me ferai un plaisir de vous tenir compagnie.

   Calme-toi Dorian. Ce n'est pas Rokade... Ce n'est pas Rokade et elle n'est pas une...

- Eh bien j'te prends au mot, Rozie ! Merci de ta sollicitude.
- C'est moi qui vous remercie monsieur Silverbreath.
- Appelle-moi Dorian, ça m'ferait plaisir.
- Dans ce cas... Bonne nuit Dorian.

   Tu m'étonnes qu'elle va être bonne après la vision de rêve que je viens d'avoir.
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Toc toc toc.

- Dorian ?

   Les coups à la porte m'ont fait sursauté. Ce n'était pas spécialement fort : plutôt timide au contraire... Mais j'ai le sommeil léger. Je reconnais cependant la douce voix de la petite Rozie.
   Je me lève en grognant légèrement, enfile un haut et m'approche pour lui ouvrir.
  C'est fou l'effet monstre que peut avoir un joli paysage de beau matin. Ça me donne envie d'être réveillé de la sorte tous les jours... Encore une chose à rajouter sur ma liste de souhaits dès que je serai roi.

- Qu'y a-t-il Rozie ?

   La mignonnette me regarde, du haut vers le bas, rougit légèrement en se triturant les doigts et bredouille :

- Je suis désolé, mais il est dix heures passées et je dois m'occuper des draps et du linge des clients... J'espère que je ne vous ai pas réveillé.
- Pas du tout ! J'suis juste un peu lent au réveil et j'avais deux-trois trucs à mettre au point pour la journée.
- Oh ! Dans ce cas allez vite prendre un petit déjeuner ! On réfléchit mieux le ventre plein, et le service cesse à la demie.
- Ma foi, c'est une bonne idée ! J'y vais de c'pas... Rozie ?
- Oui ?
- Tu viens d'me vouvoyer alors que t'peux m'appeler par mon prénom ?
- Ah ! C'est vrai ! L'habitude...
- Tséhéhé... A plus tard !

   Je m'empresse d'enfiler un pantalon pour descendre au rez de chaussée manger un morceau aussi vite que possible : en temps normal, la situation ne m'aurait pas dérangé mais l'innocence de la rouquine est telle que j'en perds mes moyens. Et plus je restais à la regarder, plus je me sentais à l'étroit dans mes sous-vêtements... Je n'ai pas eu le courage de lui infliger cette vision.
   Pas tout de suite.

   Une heure plus tard, je me retrouve à arpenter les rues de Portgentil. J'ai déjà fait le tour des quartiers commerçants et suis même passé devant la mairie. C'est là-bas que j'ai appris où trouver le stade équestre où se font les courses. Et aussi qu'une d'entre elles va bientôt avoir lieu. Me voilà chanceux.
  A l'écart des principales zones habitées, dans un espace moins sale et plus vert que le reste, avec des murs suffisamment hauts et épais pour couvrir le bruit incessant des usines et des ateliers du port, se dresse le stade appartenant à Don Vierra, celui que l'on surnomme l’Étalon. Le bâtiment de forme circulaire est entièrement fait de pierre, à l'image de ces vieux sites antiques qu'on appelait amphithéâtres. Plus une annexe à droite, haute de deux étages, qui doit être un bar si l'on en croit la devanture et les tables visibles depuis les fenêtres. Chaque étage doit accueillir une certaine clientèle, en fonction de la nature de la venue : c'est ainsi que fonctionnent la plupart des lieux de ce genre, affiliés au monde du spectacle et du business.
   En m'approchant, je constate par la porte vitrée qu'il y a un visio-escargophone monté sur un projecteur, lui-même relié au mur rejoignant le stade. Il y a même des micros et des escar-méras. De là, les clients peuvent suivre la course et les hommes de Vierra peuvent chauffer la salle histoire de faire monter les paris jusqu'à la dernière seconde.

- T'as besoin d'aide ?

   Un gorille à lunettes noires vient m'accueillir. Il devait être de garde à l'entrée du bâtiment et m'a vu jouer les curieux. Je me tourne vers lui, affichant le sourire le moins agaçant dont je suis capable et lui réponds :

- Tu tombes bien ! j'suis un amateur de courses hippiques. J'arrive tout droit de North Blue pour m'entretenir avec monsieur Vierra. J'crois savoir qu'il va y avoir de l'agitation bientôt...
- Mmh... T'as plutôt la tête d'un petit fouin... De North Blue t'as dit ? Tu serais là pour encourager Jonas McHorsey, le jockey de Luvneel ?
- Euh... Oui ?
- Fallait le dire tout de suite ! Je vais voir si Don Vierra est libre.

   ...
   Dans quelle merde je viens de me fourrer ?

[...]

- Alors c'est toi qui nous viens de North Blue ? Tu veux causer du petit McHorsey c'est bien ça ?

   Assis tranquillement dans son fauteuil, un verre d'alcool à la main, le costume impeccable et le regard dur, Don Vierra me toise depuis l'autre bout de la pièce qui lui sert de bureau. Un genre de salon luxueux avec des trophées d'un côté et des photos encadrées de l'autre. Tout ici est en rapport avec le monde hippique. Il y a même un fer porte-bonheur sur la commode à sa gauche.
   Je déglutis et reprends contenance :

- C'est exact, monsieur. J'm'appelle Dorian Silverbreath et j'arrive de Luvneel pour soutenir not' jockey.
- Je suppose que si tu voulais me voir, ce n'était pas simplement pour me dire ça, n'est-ce pas ?

   Silence. Je le regarde sans trop comprendre puis :

- Qui ne dit mot consent : tu es plus qu'un simple soutien je me trompe ? Qui es-tu donc ? Son coach ? Un représentant ? Un parrain ?

   Je saute sur l'occasion :

- Exact ! J'suis ici pour parrainer John McHorsey.
- Jonas ?
- C'est ça !

  Ouh la boulette ! Heureusement, le vieux à tête de mafieux laisse couler, plus intéressé par ce que je prétends être :

- Et qu'espères-tu ? Le faire gagner ? Jouer contre moi ? Tu dois savoir que de mon côté je prend parti pour le poulain de Bliss, Willy Boot, triple champion à domicile, accompagné de la meilleure monture née dans mes haras... Tu penses vraiment qu'un nordique et son cheval, après une traversée en mer et une semaine d'échauffements et d'entraînements ratés, vont parvenir à l'emporter comme ça ?

   Dis de cette manière, moi qui n'y connaît strictement rien comprend qu'il s'agit là d'une belle connerie. Et c'est justement pour ça que ça devient intéressant. Il m'aura suffit de venir me mêler de ce qui ne me regarde pas en prétendant le contraire pour obtenir toutes les pièces qu'il me fallait à l'élaboration d'un plan d'action.
   Je souris d'un air malicieux et réplique :

- J'vais faire mieux que ça : j'vais vous convaincre de parier sur mon poulain plutôt qu'sur ce Willy Boot.
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- Mais où est-ce que vous m'emmenez à la fin ?!

   Après avoir fait rire Don Vierra avec ma réponse, avoir suscité son intérêt et titillé son côté joueur, il m'a laissé rencontrer le fameux Jonas McHorsey, lequel séjourne dans l'hôtel privatisé des champions de la course, non loin du stade.
   Notre entrevue fut brève, car je l'ai de suite tiré par le col en lui balançant toute l'histoire à la figure sans lui laisser le temps de souffler. Et quand il eut envie de répliquer et de se rebiffer, un simple regard et le mot ''danger" écrit en lettres noires sur le front lui ont fait changer d'avis. Il faut dire aussi qu'à côté de lui, je passe pour un géant : il est à l'image de tous les bons jockeys. Ridiculement petit et malingre.

- A partir d'ce soir, tu loges à l'auberge avec moi.
- Mais je ne peux pas m'éloigner de Lucinda...
- De Lucin... Qu'est-ce que c'est qu'ce nom d'Pin-up ?
- C'est ma jument.
- Ah. Bah on la récupère aussi : y a un abri délaissé derrière. Devrait être assez grand pour ta bête.

   C'est Rozie qui me l'a expliqué quand je l'ai remarqué en sortant tout à l'heure.

   Nous arrivons finalement après quelques plaintes, deux hennissements d'un canasson récalcitrant - sans parler du coup de sabot - et d'autres explications quant à mon action pour lui. J'ai fini par le convaincre que j'allais le parrainer et que j'avais placé tous mes espoirs en lui, tant et si bien que si je parvenais à en faire l'un des favoris avant le début de la course, Don Vierra en personne pourrait le soutenir.
   Laissez briller quelques pièces dans le creux de votre main sous le nez d'un miséreux et il aura trouvé son but.
   En plus, ça lui fait fermer sa gueule.

- Oh Dorian ! Comment s'est passée la journée ?
- Plutôt mouvementée ! M'enfin c'est l'travail qui le veut... Et puis j'me sens bien mieux maint'nant que j'te v...
- Et qui est donc cette personne ? Elle me dit quelque chose...
- Enchantée mademoiselle ! Je suis Jonas McHorsey et je vais loger ici quelques temps semble-t-il.
- Jonas Mc... Oh mon dieu ! Le jockey de Luvneel !
- Vous vous intéressez aux courses de chevaux ?
- Évidemment ! Mon père et moi sommes assez fans. Il faut dire que c'est une des petites fiertés du coin. Les gens ne s'intéressent principalement qu'aux chantiers navals du royaume... Mais ce qui nous fait vivre, nous, c'est le tourisme.
- Je comprend ! Et comment vous appelez-vous ?
- Rozie, pour vous servir !
- Un bien joli prénom !
- Oh merci ! C'est gent...
- Bon ! Trêve de flatteries. Et si on te trouvait une chambre avant la nuit ?

   Vexé d'avoir été aussi vite placé sur le banc de touche, je décide de faire avancer la scène, histoire d'aller là où je le souhaite.
   Le père de Rozie donne sa clé au nabot et accepte de loger son cheval dans l'abri, reconverti à la va-vite en écurie. En déblayant un peu l'intérieur, la fameuse Lucinda, à la robe beige et tâchetée, parvient à y trouver son confort. Preuve en est qu'elle n'a pas tenté de me cogner cette fois.

   Après avoir soupé, nous montons Jonas et moi à l'étage où se situent nos chambres et je l'invite à passer dans la mienne pour que nous discutions davantage de ce qui est prévu pour la suite. Je l'invite à s'asseoir face à moi dans le fauteuil face à la table basse. Je me suis réservé le coin avec la fenêtre pour laisser les lumières du soir m'éclairer de derrière. Mon ombre ainsi projetée vient recouvrir presque intégralement sa silhouette, le faisant paraître plus petit encore.

- Écoute John...
- C'est Jonas.
- J'sais très bien que le confiance s'acquiert pas comme ça. J'suis pas stupide. Mais t'as quand même accepté d'me suivre sans trop poser d'questions. Ce qui laisse deux possibilités. Soit t'es complèt'ment con...
- Merci du compliment...
- ... Soit tu t'es dit qu'il y avait des chances que ce soit une opportunité pour toi. Et j'espère bien faire en sorte que la deuxième suggestion soit la vraie. Tu saisis ?
- Pourquoi est-ce que je suis ici ? Je veux dire : j'aurais très bien pu rester dans mon hôtel, et Lucinda dans sa...
- Allons, soyons clairs : Don Vierra est sacrément riche. T'es au courant non ?
- Oui.
- Toute sa fortune, il la doit au business autour du monde hippique. Vrai ?
- Oui, et alors ?
- Bah c'est louche. On devient pas l'une des trois plus grosses fortunes de tout le Royaume de Bliss en jouant franc-jeu. Dans les paris sportifs, y a du calcul, mais y surtout des probabilités. Et le facteur humain aussi. Et ça, ça s'calcule pas... Mais ça s'contrôle plus ou moins.
- Je ne comprend pas...
- C'que j'veux dire, c'est qu'à mon avis monsieur Vierra n'est pas réglo à tous les coups : il doit tricher pour conserver un tel niveau de rentabilité, que c'soit en jouant lui-même ou en faisant prospérer son gagne-pain dans l'ombre. Le plus simple étant de truquer les courses en sabotant ce qui la compose. A savoir les participants et leurs montures. Et devine qui vient d'arriver pour concourir avec un soutien en plein pari contre le patron ?
- Oh...

   Dis comme ça, l'autre remue sur sa chaise, la tête basse et les yeux fuyants. Pendant quelques instants il n'ose rien dire. La nervosité le submerge. Il conçoit mes affirmations et les reconnaît comme plausibles, mais la crainte l'oblige à tout nier en bloc.

- T'en fais pas : maint'nant que je t'ai à l’œil, j'vais pouvoir m'occuper d'toi jusqu'au début de la course. Et il nous reste...
- Cinq jours.
- Parfait ! Ça nous laisse largement l'temps de vous entraîner avec ta bête et de te faire une pub d'enfer. Tu verras : d'ici trois jours j'parie que t'auras un tas d'curieux et d'connaisseurs prêts à te soutenir... J'pense même que ton principal adversaire, Billy Woot...
- Willy Boot.
- ... Va s'faire dénigrer.
- Comment cela ?
- Aie confiance : j'sais exactement quoi faire, ne t'en fais pas. Profite du calme pour être au meilleur d'ta forme et bichonne ta jument du mieux que t'peux.

   Nous finissons par aller nous coucher.
   Je regarde le plafond de ma chambre, les bras sous la tête. Confiant, je me permets de lâcher un petit rire. Demain allait être une journée amusante. Je sais exactement qui voir pour tout mettre en place et qui solliciter pour venir en aide à mon "poulain". Rozie acceptera très certainement de m'aider si je lui demandais...
   Mon sourire se transforme en une moue de dépit : ce n'est pas pour moi que Rozie le fera, mais pour ce gringalet en collants qui se permet de lui faire du charme dès son arrivée. Et elle y répond bien. Beaucoup mieux qu'avec moi...

   Peut-être que je me fais des films.
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- BOUGE-TOI L'CROUPION SI TU VEUX PAS TE R'TROUVER DANS UN PLAT EN SAUCE !

   Sensible au langage humain, et surtout aux bruits menaçants, la jument de McHorsey galope de plus belle, manquant presque de faire tomber son jockey. Il ne lui connaissait pas cette énergie et j'avoue m'être laissé surprendre par sa propre capacité à ne pas choir pitoyablement. Peu importe son côté malingre, le petit Jonas a les nerfs suffisamment robustes pour monter à cheval et supporter sa course.
   Il me lance un regard outré et je lui réponds d'un bref haussement d'épaules qui pouvait très bien signifier : "Bah quoi ? Elle est motivée maintenant" comme "Si t'as l'temps d'faire la gueule, dresse-moi c'te bête sans que j'ai à perdre mon temps".

   C'est ce moment que choisit Rozie pour réapparaître. Elle apporte au duo leur casse-croûte : deux belles pommes pour Lucinda et un panier garni pour Jonas...

   Cela fait trois jours que je m'occupe de ce foutu gringalet dans l'espoir d'en tirer quelque chose. Mais le fait est que, malgré l'ébahissement devant lequel il m'a laissé la première fois que je l'ai vu monter, observer l'entraînement des autres, dont le fameux Willy Boot, m'a fait comprendre qu'il avait du retard.
   S'il veut l'emporter, il y a deux conditions à remplir : la première est de maximiser son point fort qui est la technique. En terme de vitesse pure, son cheval n'est pas aussi performant que celui du champion de Bliss. Il a tout intérêt à booster l'endurance de Lucinda et la maîtrise de ses virages pour améliorer son temps.
   La deuxième condition est l'affaiblissement de son, voire de ses adversaires. Et c'est là que j'entre en scène.

- Voilà pour toi Dorian.
- Merci Rozie ! J'ai bien cru que t'allais m'oublier.

   La rouquine me tend un sandwich, gracieusement offert par la maison pour une raison évidente : la présence d'un des participants à la course hippique à l'auberge, offrant une publicité inattendue à l'établissement et l'arrivée de nouveaux clients presque toutes les heures.

- Allons ! Comment pourrais-je t'oublier ? C'est grâce à toi si toutes nos chambres sont prises. Parce que tu nous as ramené Jonas McHorsey...

   Elle marque une pause en l'observant, rougit légèrement et continue :

- Et tu l'aides aussi à s'améliorer ! Moi j'en suis incapable.
- Dis pas d'bêtise : ton aide est primordiale ! Ton attention à son égard décourage tous les types louches prêts à lui faire du mal. Grâce à toi, il est en sécurité même quand j'suis ailleurs. Et il est nourri, reposé et détendu. Pareil pour son ch'val. Et comme si ça suffisait pas, sa présence ici passe pas inaperçu : ça attire les touristes, les vacanciers et les amoureux de l'équitation ! Vous gagnez des clients, lui gagne un public prêt à l'soutenir juste parce qu'il s'cache pas en s'enfermant dans un hôtel hors de prix à l'abri du bas-peuple. Un type populaire est un type appréciable. C'est gagnant-gagnant.

   En temps normal, j'aurais préféré vomir mon repas de la veille plutôt que de déblatérer de telles conneries sociologiques. Mais si c'est pour les beaux yeux de Rozie, aucun problème.
   Surtout qu'aujourd'hui, ils sont bien mis en avant par son décolleté...

- Merci Dorian. T'es vraiment plus adorable qu'il n'y parait !
- Allons ! C'est pas grand cho... Comment ça "qu'il n'y parait" ?!

   Mais la mignonnette s'en est déjà allé rejoindre le jockey, lequel caresse sa jument en s'épongeant le front avec un linge humide. Et voilà que la fille de l'aubergiste sourit de plus belle en lui demandant quelque chose. Il fait "oui" de la tête et s'assoit. Et... C'est elle qui lui éponge le front maintenant !
   Ennuyé par cette vision dégoûtante, je m'éloigne.

   J'ai fini par quitter l'auberge. Trop de gens au sourire intéressé, trop d'hypocrites et trop de passionnés dangereusement gentils. Un mélange infâme de mièvreries auquel je n'ai pas envie de m'habituer. Mon travail m'a toujours fourré dans des situations où les faux-culs se multipliaient comme des lapins en présence de laitue, où l'amour devenait aussi sale que beau et où la motivation rimait avec trahison et meurtre... Mais le tout mixé dans un seul et même lieu ? Non merci !
   Encore heureux que personne n'ait tenté de se débarrasser de mon poulain. Y a bien eu quelques gens douteux depuis que Jonas est avec moi, mais aucun avec les couilles suffisamment grosses pour tenter quoi que ce soit jusqu'à maintenant. Surtout que l'aubergiste et sa fille, en tant que fans, sont aussi efficaces que dix gardes du corps surentraînés ! Rien ne leur échappe. Et l'autre employé, dont je me fiche éperdument, a également été mis à contribution. Rien à craindre de ce côté-là.

   Par contre, j'ai eu le temps de faire le tour de la propriété de Willy Boot ces derniers jours et j'ai remarqué quelque chose d'évident : personne ne peut entrer, que ce soit par le portail à l'avant, laissant visible derrière un petit cent mètre carré de cour, fontaine incluse, ni ailleurs, à cause des haies immenses et des quelques hommes de Vierra postés ça et là. Et le gars possède une sacrée baraque ! Montée sur deux étages, avec balcon à ciel ouvert, portique à colonnades et terrain d'entraînement personnel avec l'écurie où doit loger son fier destrier. Quand on sait à quoi ressemble Portgentil de l'intérieur, on est presque embêté pour les habitants à faible revenu.
   Je dis bien presque.

   Avec l'approche de la course, la monture de chaque participant doit recevoir un check-up quotidien. Il en va de même pour Lucinda. Mais j'ai noté une différence notable chez certains : la provenance du vétérinaire et sa façon de faire.
   Pour presque tous les candidats, il y a un vétérinaire commun et son assistant, lesquels viennent d'un cabinet public. Mais pour Willy, il s'agit d'un spécialiste mandaté par Don Vierra, reconnaissable à sa blouse grise sans logo et à sa mallette d'hommes d'affaire.

   La première fois que je l'ai vu, c'était le premier jour, suite à l'introduction de Jonas à l'auberge. J'ai commencé mes rondes et mon travail de bouche-à-oreille en ville lorsque j'ai appris pour la visite médicale des chevaux. J'ai alors laissé traîner mon oreille dans les conversations adéquates, dans des zones précises comme les bars, les pubs et les rues commerciales, là où la discussion va bon-train et où l'on balance autant de banalités que de faits divers.
   Puis je me suis dirigé vers le cabinet concerné, lequel m'a informé avec une certaine gène qu'il n'avait pas la permission de visiter tous les candidats. Par élimination, j'ai compris où me rendre et c'est près de la demeure de Willy que je l'ai vu. Le gars qui s'occupe du champion en personne.

   Je l'ai croisé d'aussi près que possible alors qu'il triturait sa mallette en sortant de son domicile et l'ai percuté "sans faire exprès", renversant la valise au sol et la faisant s'ouvrir. J'ai juste eu le temps d'apercevoir ce qui ressemblait à une seringue avant qu'il ne la referme prestement et ne m'insulte en partant.
   Et aujourd'hui je suis là à attendre qu'il revienne, deux flacons à la main. Je remercierai l'apothicaire plus tard : il faut déjà que je parvienne à pénétrer à l'intérieur de la propriété sans créer d'histoires.
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Trouver un itinéraire sans surveillance fut compliqué : m'enfoncer dans les haies et les arbustes qui cerclent la propriété laisse des traces visibles et le portail à l'avant est toujours gardé. La dernière solution consiste donc à m'éloigner, passer devant les quelques habitations avoisinantes jusqu'à atteindre un renfoncement. Là : tout est bon pour me hisser sur les toits, que ce soit les caisses, les poubelles ou les pans de muret abîmés. Je grimpe. Je marche sur les toits, tête baissée. Je saute. Je continue d'avancer en hauteur, cette fois en direction de la propriété. Je m'en approche. Je ne trouve pas d'angle mort. Je contourne de toit en toit. Je glisse. Je me rattrape. Je souffle. Je continue.
   J'arrive finalement sur un énième toit de maison, suffisamment proche de la villa de Boot pour m'y introduire en bondissant, suffisamment haut pour que je frôle les haies et avec à l'arrivée le dessus de l'écurie et pas un garde dans les parages. Sans perdre un instant, je me jette en avant, bras et jambes repliés devant moi, et passe la barrière végétale.

   J'atterris sur l'écurie, provoquant un bruit sourd qui effraie le cheval en dessous et le fait hennir. Je descend aussi vite que possible et part me cacher à l'intérieur, sous de la paille. Mauvaise idée : ça chatouille les narines et ça gratte le reste. Affreusement !
   Quelqu'un finit par venir voir ce qu'il se passe. C'est un des gorilles du champion, lequel se retrouve bien en peine pour calmer la bestiole en constatant qu'il n'y a aucun danger apparent. Qui irait chercher sous un tas de paille sincèrement ? De toute manière, ce n'est pas une idée qu'a eu notre homme, lequel répond aux signaux d'alarme de l'équidé par de simples "Là, tout doux...", "ça va aller" et autres "Du calme mon grand !". Des mots tout à fait incompréhensibles pour l'animal qui finit par fatiguer tout de même.
   L'autre aura perdu au moins cinq bonnes minutes de son temps de surveillance, et moi à peu près trois points à l'audition.

   Un deuxième gus finit par arriver, lui demande si tout va bien et il lui répond que tout est sous contrôle. "Ben voyons !" pensé-je. A ces mots, le deuxième introduit un nouveau protagoniste : le type à la mallette.

- Tu connais la bête, tu sais ce que t'as à faire. Nous, on retourne à l'entrée.
- Je m'occupe de tout, comptez là-dessus. Jamais je ne trahirai la confiance de Don Vierra.

   Une fois partis, le vétérinaire du Don ouvre sa mallette et en sort la seringue. Sur le côté, des flacons au contenu inconnu. A la vue de l'aiguille, le cheval sait ce qui l'attend et commence à s'agiter. Mais le vétérinaire n'en a que faire et s'approche de l'enclos de la bestiole. Il est maintenant suffisamment proche pour que son bras atteigne le garrot de l'animal peu rassuré. Il me tourne le dos.
   C'est ce moment que je choisis pour jaillir de ma cachette, sous les yeux apeurés du cheval qui hennit de plus belle, se cambre et percute violemment le vétérinaire, le projetant contre une poutre de soutien. Près de moi, je vois un sceau et décide de m'en servir avant qu'il ne retrouve ses esprits.
   La dernière chose qu'il voit en ouvrant les yeux est le bas du récipient avant qu'il ne s'écrase contre son visage et l'assomme pour de bon.

   Une bonne chose de faite, mais l'autre bête recommence son numéro de damoiselle en détresse. Ce qui me laisse très peu de temps pour faire ce que je voulais à la base : remplacer le produit dopant de la seringue par ceux "généreusement offerts" par l'autre vétérinaire lors de ma dernière visite : des doses lourdes de produits calmants, plutôt mauvais pour la santé de l'animal d'après les derniers tests pharmaceutiques. Avec ça, il perdrait force, vigueur et appétit.
   Un instant je fus tenté de piquer moi-même l'équidé, mais cela ruinerait tout : il fallait que ce soit cet homme, allongé par terre, sans qu'il ne sache rien.

   Je retourne me cacher et les deux types de tout à l'heure arrivent à la charge et constatent avec embarras la situation. Ils se regardent, vont redresser l'autre andouille, demandent ce qu'il s'est passé à son réveil, ce qu'il explique par une crise de panique de la bestiole. Heureusement qu'il est con. Il récupère la seringue, essuie le bout, s'approche du cheval à nouveau et parvient à le piquer sous les yeux des deux hommes.
   Mission accomplie. Plus qu'à attendre qu'ils se cassent pour que je puisse sauter sur le toit et repasser de l'autre côté sans me faire prendre.

[...]

- Dorian ! Je me demandais si tu allais arriver à temps pour le souper ! Il est presque vingt-deux heures...
- Tséhéhé... T'en fais pas Rozie : jamais j'raterais l'occasion d'manger avec toi au service ! Faut que j'en profite tant que j'suis là.
- Voilà qui fait plaisir !
- La journée s'est bien passée ?
- Ma foi oui : Jonas m'a permis de brosser Lucinda après l'entraînement. J'ai même eu le droit de la monter ! Que c'est agréable... Tu es déjà monté à cheval Dorian ?
- C'est arrivé oui...

   Mais c'est une autre histoire. Et puis monter des bêtes n'est pas exactement ce que je préfère... Il n'y a qu'à regarder les courbes adorables de la jeunette pour comprendre où se situe le vrai plaisir. Je bois une gorgée de whisky tout en la dévorant du regard :

- Ça secouait un peu au début, mais Jonas était là pour m'empêcher de tomber ! Dieu ce qu'il est gentil... Il parait qu'il ne s'est jamais marié !

   Je tousse en avalant de travers.
   Quand une femme commence à dire ça, c'est qu'il se passe quelque chose dans sa tête. Quelque chose qui ne sent pas bon. Surtout pour moi en l’occurrence.

- C'est quand même dommage... Il a l'air attentionné, compétent, travailleur... Peut-être n'a-t-il pas la tête à ça ? T'en penses quoi ?
- J'pense surtout que ma viande va r'froidir...
- Oh ! Je suis désolé je t'empêche de manger avec mes histoires !
- C'pas grave.

   Surtout que j'en perd l'appétit.

- Je te laisse tranquille. A plus tard !

  ...
  Qu'est-ce qu'elle lui trouve au juste ?

[...]

   Le lendemain, je rend visite à Don Vierra, à sa demande : un homme est venu me chercher à mon auberge pour m'emmener jusqu'à lui. Je me retrouve de nouveau dans son bureau et il m'accueille avec un sourire étrange :

- Dorian, tu es un homme sacrément chanceux. Ou sacrément retors...
- Comment ça ?

   Je fais mine de ne rien comprendre. Lui me toise sans changer d'expression, parvenant même à me mettre mal à l'aise. Après un temps, il réplique :

- Ton poulain fait beaucoup parler de lui. Il plait aux gens, il s'entraîne dur, il semble intouchable tant par sa conduite que pour le reste...

   Le sous-entendu est flagrant mais je préfère ne pas répondre.

- Il devient populaire... Beaucoup miseront sur lui et sa jument. Ce qui signifie qu'en pariant contre lui, les mises seraient de 1 contre 100. Si je l'emporte, cela équivaut à un sacré paquet d'argent, tu t'en rends compte.
- Évidemment.
- Mais... Je vais soutenir McHorsey.
- Pourquoi cela ? Si ça n'vous rapporte rien ce n'est pas...
- Mon champion n'est plus en course. Son cheval est tombé malade. Autrement dit, il ne reste plus de candidat pour se mettre sur la route de ton poulain.
- Malade ? J'ai cru comprendre que les ch'vaux avaient droit à un check-up... C'est plutôt bizarre.
- En effet. Ça l'est. Cependant, ça n'change plus rien au fait que Willy Boot est hors-course. Tu as gagné Dorian. Nous allons jouer ensemble pour le même camp.
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- Oh mon dieu... Pourquoi as-tu fait ça ?!

   Tout a fonctionné. Tout. De A à Z. Le plan s'est déroulé comme prévu, avec le minimum d'accrocs. Mon client voulait donner une bonne leçon à Don Vierra et c'est chose faite. La prime reçue aura fini dans les consommations diverses et l'achat de l'escargophone mais au moins le travail est fait.
   Alors pourquoi ce sentiment d'insatisfaction ?

   Pour cela il faut revenir un moment en arrière : la veille de la course, la plupart des joueurs expérimentés et des connaisseurs se sont réunis pour engager leurs mises. Influents et confiants en leurs sources d'informations, ils n'ont pas hésité à gaspiller leur argent sous les yeux d'un huissier et des membres du comité des jeux équestres. Don Vierra a parié sur Jonas McHorsey, comme la majorité de ses congénères. Pendant ce temps, j'étais avec le jockey, à attendre qu'il rejoigne - avec amertume - la petite Rozie. Ceci fait, je m'approchais de l'enclos de Lucinda et versais dans son abreuvoir l'autre flacon récupéré chez le vétérinaire. Une sorte de sédatif pour nos amis à quatre pattes.
  J'attendais patiemment que l'animal s'endorme pour m'atteler à ma tâche : un sabotage en bonne et due forme. Au sens littéral d'ailleurs : je m'assurais de fragiliser la fixation des fers de la jument. J'en connaissais une qui allait avoir des soucis une fois au galop le lendemain.

   La course eut lieu et je fis mine d'entrer au bar pour suivre l'action, m'assurant d'être bien vu des escar-méras. Lorsque le coup de feu annonçant le départ retentit, je profitai de l'agitation autour de moi pour sortir. Je courus rejoindre le domicile de l'homme à la mallette, lequel devait se trouver dans une pièce sombre, en attente de l'interrogatoire et des supplices réservés aux traîtres et aux ennemis malchanceux de Don Vierra. Les soucis du destrier de Willy Boot lui retombaient dessus.
   J'entrai, cherchai un endroit où commettre mon dernier méfait et me débarrassai de mes flacons vides ainsi que d'un plan d'action, le mien en l'occurrence, et la lettre de mon client, sans aucun nom pour pouvoir me pointer du doigt. Avec ça, tout s'expliquait et je me retrouvais hors d'attente.

   La course fut un fiasco : la jument de McHorsey boitait à mi-parcours jusqu'à ce qu'un de ses fers se détache à moitié et lui fasse plier la patte au retombé, obligeant le reste du corps à suivre et son jockey par la même occasion. L'un de ses adversaires, non loin derrière, s'entrava dans le duo et s'ensuivit par effet papillon un chaos pas possible dans lequel les trois quarts des participants finirent au sol.
   Don Vierra était furieux. Je jubilai au moment de rendre mes clés de chambre tout en ouvrant un colis à mon nom : l'escargophone commandé à mon arrivée.

   La bonne humeur fut de courte durée : Jonas McHorsey fonça droit sur moi en pleurant presque. il me prit par les épaules alors que j'étais déjà dehors et me demandai de l'accompagner pour s'occuper de sa jument blessée, effondré par sa défaite honteuse. Je l'ignorai et sortis de l'auberge. Il me suivit et m'implora... Il m'énervait mais je comptais bien laisser tout ceci derrière moi et surtout ne pas penser à ce qu'il se passera une fois que je serai parti.
  Lorsque j'entendis le nom de Rozie et vis la bouille de cette dernière se rapprocher de nous, pleine de sympathie et de pitié, je n'y tins plus.
   Je baissai la tête vers le jockey et lui offrit mon regard le plus froid. Ce qui eut pour effet de lui faire fermer son clapet. D'un geste lent, presque mécanique, je sortis mon couteau et l'enfonça dans son estomac. Je tournai la lame, en prenant tout mon temps, sans le quitter des yeux. Les siens étaient exorbités, tant par la stupéfaction que par la compréhension de ce qui allait suivre. Je retirai l'arme avec la même énergie, en prenant grand soin de couper davantage de chair au passage. Le visage du nabot pâlit à vue d’œil tandis que ses lèvres remuaient, à la manière de ces poissons qui tentent de respirer à la surface. Son être tout entier semblait dire :"Je ne veux pas mourir...", et c'est pourtant ce qui allait arriver.

   C'est là que nous en sommes :

- Pourquoi j'ai fait ça ?

   Je m'approche de Rozie, laquelle fait un pas en arrière, choquée de ce qui venait d'arriver. Mon visage est neutre, mais tout chez moi transpire la froideur. Couteau en main, je ne suis plus qu'à un mètre de la jeune femme quand je me décide à m'arrêter, presque absent de la réalité. J'entrouvre la bouche :

- C'est plutôt à moi d'poser la question.
- ... Que... Quoi ?
- Pourquoi lui Rozie ?
- Comment ça... Je ne c-comprend p...
- Qu'est-ce qu'il avait d'plus que moi, ce nabot ? J'croyais que j'te plaisais bien.
- M-mais... Mais... Dorian ce n'est pas...
- Ou alors c'était du flan ? Juste un jeu pour fidéliser l'client ? Ça t'plait d'faire du rentre-dedans comme ça pour ensuite sauter sur l'nouveau venu ?
- Mais c'est faux Dorian... J'ai-j'aimais bien discuté a-avec toi... Je ne jouais pas...

   Je sais pertinemment que ce que je dis est faux : elle n'est qu'une innocente petite chose qui ne demande rien d'autre qu'un amour pur. Et je déverse la faute sur elle. Sans remord cependant. Je ne suis plus en phase avec la raison en l'état actuel :

- Ah... Si seulement l'était pas arrivé. Dommage. L'boulot en a voulu ainsi. Et son joli minois aussi. Ça m'dégoûte.

  C'est idiot. Je m'accroche beaucoup trop facilement.

- J'nous voyais déjà batifoler derrière la paille... P'têt même pendant qu'tu t'occupais du linge ! Même juste te caresser la joue...

   Ce que je tente. Mais elle recule à nouveau, par réflexe. Elle tremble comme une feuille, les larmes aux yeux. Je le vois mais ne me rends pas compte de ce que ça implique. Je ne réfléchis plus à ce genre de détails :

- Et cet abruti est arrivé.
- C'est toi qui l'a amené... Il...
- AH !

   Je cris et la fait sursauter. Je me tapote la tête avec la main qui tient le couteau, comme si je venais de comprendre quelque chose.

- En effet, je l'ai amené.
- Pourquoi tu l'as tué Dorian...
- Parce que j'pouvais plus l'voir. Pas avec toi en tout cas.

   On en revient au même problème : c'est sa faute si j'ai craqué. Elle m'a rendu fragile.

- Pardonner...
- ... Quoi ?
- Faut t'faire pardonner Rozie.
- Je... Je ne vois pas ce que tu v...
- Il est plus là Rozie... Y a que moi maint'nant. T'peux m'aimer autant qu'tu veux !

  Je commence à sourire, mais mes yeux grands ouverts rendent le tout plus effrayant qu'autre chose. La rouquine est tétanisée, osant à peine respirer. Mes paroles la terrorisent tant que répondre ou crier lui apparaissent comme des solutions dangereuses.
  J'approche à nouveau ma main et lui caresse les cheveux. Je descend au niveau de sa joue, de ses lèvres... De son cou...

   Un sursaut d'adrénaline la gagne alors que je me perd dans ma contemplation, obnubilé par ce que je prévois de faire. Elle me repousse et recule encore :

- Non ! Dorian je t'en prie... Ne fais pas ça... C'est mal !
- Mal ?

   J'avance. Elle recule toujours. Je continue. Le mur de l'auberge la retient :

- Qu'est-ce qu'est mal au juste ? D'vouloir t'rendre heureuse ? D'vouloir m'sentir bien, avec toi ?
- De l'avoir tué.

   Et là, sans prévenir, les larmes ont coulé et son corps l'a laissé choir à mes pieds, fragile et impuissante. Il a suffit qu'elle le dise à haute voix pour se rendre compte de ce qu'il venait de se produire. Ce n'était pas un mauvais rêve et, un instant seulement, un brin d'empathie faillit me rendre ma lucidité et tenter de la réconforter en marmonnant des excuses aussi fausses qu'inenvisageables.
   La pauvre n'est plus qu'un amas de larmes et de sentiments bouleversants. Incapable de se calmer, je recommence à lui toucher la joue. A fleur de peau, elle gifle mon bras et me lance un regard plein de haine.

   C'est là que je reviens à moi. Et j'en suis peiné. Je viens de me rendre compte d'une chose importante : je n'ai pas le loisir d'être fragile.

[...]

   Je soupire de soulagement.
   Plus le Royaume de Bliss s'éloigne à l'horizon, mieux je me porte. Brailler sur les mousses du navire qui m'embarque et piocher dans les réserves d'alcool au fond des cales contribuent à mon divertissement tandis que je fais route vers Rokade, où m'attend un client et la paie promise... Laquelle remboursera tous les frais de la mission. Et de mon achat.
   Je sors l'escargophone de ma poche : c'est un modèle standard, lequel me permettra de recevoir les appels d'éventuels clients. Inversement, j'aurais enfin l'occasion de prendre contact avec des personnes utiles.

   Je ne souris pas cette fois. Il n'y a aucune raison pour que je le fasse. D'habitude, tout se passe pour le mieux, c'est à dire comme je l'ai décidé... Là : une erreur du nom de Rozie est venue se glisser dans l'équation. Je n'ai pas obtenu d'elle ce que je souhaitais. Pire : j'ai dû m'abaisser à tuer une demi-portion pour ses beaux yeux. Et pour quel résultat ? Deux morts supplémentaires !
  Je sors une mèche de cheveux de ma poche. Des cheveux roux. Je les apporte à mon nez et en hume le parfum persistant, même mêlé à l'odeur du sang... Je ne me pensais pas l'âme d'un nostalgique. Pourtant je sais que le souvenir de cette fille et de son père resteraient.

   Jusqu'à ce que je trouve une nouvelle perle rare.
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