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Constrictor

-Messieurs, Mesdames, c’est ici qu’nous f’sons escale ! J’ai une p’tite cargaison à récupérer pour un client. Vous m’excuserez, hein. Pour ceux qui connaissent pas les lieux, par là vous trouverez des hôtels, bistrots par ici, c’qui faut pour passer l’temps. Et d’ce côté, maison close pour les p’tits coquins ! Hahaha ! Y’en aura pour trois-quatre heures, ‘peu près.

On peut déjà entendre les plaintes et les râles du peu de personnes qui ont embarqués à bord de ce navire afin de voyager à travers West Blue. Personne de bonne famille à en juger les accoutrements, juste des gens qui voulaient faire un voyage pas trop cher dans des conditions plus que limites. Le capitaine fait de son bateau une sorte de navire de tourisme, où chacun peut s’arrêter sur l’île où il passe. Évidemment, l’itinéraire est prévue en début de voyage, mais cet arrêt là n’était pas du tout prévu. « Tant pis », se dit Merunes, qui a passé le plus clair de son temps au fond de la cale, profondément assoupi. Une envie irrésistible l’a démangé quant au fait de sauter à la gorge de cet escroc, mais la perte de temps et l’inutilité à commettre un tel acte  n’est pas à démontrer.

Sans plus tarder, il n’écoute pas l’argumentaire complètement bidonné du capitaine gras et moustachu, vêtu du parfait uniforme d’un capitaine pirate dans les livres pour enfants. Mais il n’en est rien concernant un tel alignement, c’est juste qu’il se prend pour tel. Sacré comique. Même si l’incident ne l’excède pas tant que ça, le sauvage songe de plus en plus à se dégoter un bateau, peu importe lequel, tant qu’il parvient à le naviguer. Plus de problèmes pour ça, à force d’avoir demandé conseil à droite à gauche pour enfin savoir manier une voile. Faut dire qu’il en a marre de dépendre de quelqu’un pour se déplacer d’une île à l’autre.

Une fois pieds à terre, il prend une bonne bouffée d’air avec comme première idée d’aller étancher sa soif. « Bonne bouffée » on peut sentir d’ici les exploitations de guano, c’est loupé. Mais avant, le crasseux compte passer par le bureau de primes le plus proche, afin de voir s’il est éventuellement possible de se mettre quelque chose sous la dent. A dire vrai, ses phalanges le démangent terriblement, ça fait un petit moment que l’Amerzonien n’a pas cogné, soit quelques jours. Eh oui, c’en est trop pour ce matraqueur de l’extrême ; Qui plus est, les malfrats qui ont été envoyés à la queue-leu-leu en cellule juste avant n’étaient que du menu fretin, déception.

Merunes déambule alors lentement dans les rues pavés, toujours vêtu de son fidèle accoutrement qui attire le regard des manants avec toujours autant de ferveur : un pantalon rapiécé, et rien d’autre. Mais comme d’habitude, il n’en a que faire et s’affaire à trouver ce fameux bureau de primes. De plus, c’est avec étonnement qu’il remarque le peu de Marines protégeant les rues. Il faut dire, ce n’est qu’après une bonne trentaine de minutes qu’un bureau montrait enfin le bout de son nez. Mais pas d’annonce à l’intérieur, rien du tout.

-Que dalle, en c’moment !


Une nouvelle fois, déçu. Puis de toute manière, le Tatoué ne va pas avoir le temps de boucler une prime avant de reprendre le bateau. Souvent, le Glaiseux se met à réfléchir trop rapidement pour être vite rattrapé par la réalité des faits. Tout au plus, il aura juste avoir le temps de s’enfiler un ou deux godets avant de repartir, usant du fond de monnaie qui lui reste après s’être ruiné pour le voyage. Dans ce cas, direction un coin calme de la ville pour ruminer sa haine. A mesure qu’il s’enfonce dans le quartier des maisons-closes et compagnie, le pouilleux trouve enfin un bistrot à son effigie. Façade moisie, entouré de ruelles sombres aussi puantes les unes que les autres. Enfin, puantes, ça dépend pour qui.

L’intérieur est entièrement boisé où quelques tables rondes marqués par des coups de lames et autres objets pointus se battent en duel. Des auréoles séchées, autrefois liquides jonchent certaines parties du sol dans lesquels marchent allégrement le Glaiseux, comme un poisson dans l’eau. En fin d’après-midi, alors que le soleil commence à se coucher et à projeter son aura orangée sur toute l’île, quelques personnes sont présentes dans l’enseigne. Des travailleurs de la carrière assis à une table, à boire et à grignoter tout en riant sur tout et n’importe quoi. Des mecs seuls, réfugiés dans un coin à noyer on ne sait quoi, puis une femme, seule elle aussi.

Trop bien vêtu et au visage beaucoup trop beau comparé à la moyenne de l’île. Brune, de longs cheveux attachés lui arrivant au milieu du dos, les cils bien gâtés par la nature donnant l’impression qu’elle s’est maquillée, mais pas du tout. Elle porte une veste en laine couleur crème et semble assez préoccupée, comme si elle redoutait quelque chose.

-Whisky.
-Ouaip’, v’là pour vous.
-Double, répond Merunes, impassible.
-M’okay, lui dit le barman, un peu bredouille, en lui tendant un gobelet plus volumineux, avalé d’une traite. -Eh mais… l’est censé êt’ savouré…
-J’avais soif.
-Bon.

Avalé d’une traite, il est songeur. Rien à faire dans ce trou et, au final, pas de destinations précise. Donc pourquoi se dépêcher de prendre ce foutu navire au capitaine plus que désinvolte…  
Après un blanc quelques peu déplaisant, surtout pour le tenancier parti essuyer un peu de vaisselle et resservir des cacahuètes aux autres clients, celui-ci en profite pour lancer un semblant de conversation à la demande d’un second verre, une brune cette fois-ci.

-Z’allez vous rendre malade à mélanger, parole de connaisseur, hahaha !

-J’ai l’habitude, pas d’problèmes, lance le sauvage avant de terminer son deuxième verre à coups de grosse goulées digne d’un poltron de qualité. -Rien de plus fort ?
-J’en connais un qui veut s’mettre une grosse murge. Z’avez passé une salle journée ?
-Nan, pourquoi ?
-Bah… Personnellement, j’juge pas, un client c’est un client. Mais j’en connais qu’auraient pas servi un zig juste sapé d’un futal ! M’enfin, z’êtes ici comme chez vous.
-Bon à savoir. Il s’passe rien dans l’coin, j’me d’mandais ? Pas d’emmerdeurs ou j’sais pas quoi ?
-Euh… Non, non, pas qu’je sache. Après, vous savez, ici y’a l’bagne et les carrières, pas grand-chose. Après, si, y’a p’têt quelques groupes de types louches mais on les voit pas souv- Bah tiens, quand on parle du loup… Restez calme m’sieur, j’les connais ils f’ront rien si on fait comme s’ils étaient pas là.  

C’est alors que deux hommes entrent dans le bar, tous deux vêtus presque à l’identique, membre d’un groupe, faut croire. Veste en cuir, t-shirt blanc par dessous et une tête de rude gaillard. Le plus imposant s’approche du comptoir, près de Merunes -le dépassant de plus d’une tête- tandis que l’autre se pose lourdement face à la jeune femme. La conversation démarre immédiatement, d’une nature plutôt houleuse. Il n’est difficile pour personne présent dans la pièce de comprendre ce qui se dit. Mais l’idée ne viendrait à aucun des clients présents d’y porter un tant soit peu de curiosité. Sait-on jamais ce qui pourrait lui arriver. Des dettes, contractées par l’inconnue.

-Salut, Hermann, une bière pour moi et une pour mon pote.

-B’jour, Joey, bien r’çu. Comment ça va aujourd’hui ?
-Comme d-d’hab, qu’il répond avant de jeter un coup d’œil vers le crasseux assis près de lui, subjugué par sa délicate odeur. -Dit donc, j’savais pas que t’acceptais les clochards maintenant, t’as changé les règles de la maison ? Clochard tatoué en plus, dans quel monde on vit… qu’il lance juste avant de claquer de la langue.

Individu très sûr qui se permet de tout, profil classique et une fois décevant. Toutefois, c’est toujours à se demander si une telle assurance est justifiée. Mais Merunes reste de marbre face à cette provocation, se décidant d’user des mêmes bassesses pour le titiller. Parce qu’un coup à le frapper le premier et il risque de se mettre à braire, bien connu.

-C’est vrai, Hermann, depuis quand t’acceptes ce genre de mec chez toi ?
Demande Merunes, bien railleur en tournant la tête vers le gorille.

Et bingo, il en faut pas beaucoup pour éveiller la bestiole. C’est alors que le grand Monsieur coiffé d’une belle crête s’avance, avec autant d’assurance que le plus fameux des ours pour s’avancer à son niveau, blessé d’une telle rébellion venant de la crème des pouilleux.

-Répète un peu, pour voir ?
-Messieurs, un peu de calme... demande le gérant avant de reculer doucement vers l'arrière-salle
-Puis quoi ? Si j’ose répéter tu vas faire quoi ? Prendre ce godet et me l’éclater à la gueule, par exemple ?

Bouche-bée face à ce que venait de faire Merunes, à savoir s’éclater lui même une pinte contre le front, laissant perler le sang le long de sa gueule de sauvage, ça a fait son effet.

-Bah alors, t’fais plus rien. C’était ta seule idée ? J’te laisse réfléchir cinq minutes, s’tu veux, dit-il en restant assis, sans même prêter un regard au trouduc’ à sa gauche.

Rien de plus qu’un faux-semblant pour le faire partir au quart de tour. Le colosse rugit et brandit le poing, près à décocher ce qui semble être pour l’Amerzonien un « ÉNORME » direct. « Trop facile », c’est alors qu’il lui tire le bras tout en restant attablé pour l’attirer vers lui, plaquer son crâne contre le comptoir pour le pilonner d’un vigoureux « poing sur la table ». Son acolyte se redresse immédiatement ; L’altercation a fait fuir toute la populace, y compris la demoiselle qui en profite pour se faire la malle et échapper à ce désagréable entretien.

Très vite, Merunes se saisit du pistolet attaché à la ceinture du mastoc pour l’envoyer valser à toute blinde dans le front de son collègue. Voltigeant par dessus une table, le crasseux lui décoche un plat du pied en pleine face qui l’envoie fissa au pays des rêves.

-C’était pas mal pouilleux, rugit l’homme-crête en prenant appui sur le comptoir. -Mais j’sais pas c’qui m’a fait l’plus mal. La torgnole ou ton odeur.

Le coup porté juste avant n’a pas suffit à le mettre au tapis. Merunes s’était trompé et un large sourire malsain se dessine sur sa sale face. Les deux archétypes du « rien de le crâne, tous dans les poings » se ruent l’un sur l’autre. Le crêteux saisit fermement le rejeton d’Amerzon et l’envoie se fracasser contre un mur. Mais alors qu’il décide de riposter, des Marines font irruption dans le bar et brandissent leurs fusils.

-NE BOUGEZ PLUS !

Sympa, l’escale.
    « En cellule, manquait plus qu’ça ». Les Marines n’avaient pas pris leur temps pour rappliquer dans le bistrot d’Hermann. Le colosse à la crête, son acolyte, pourvu d’un gros pansement en croix en plein milieu du front, et le sauvage se sont fait embarquer illico. Captif pendant quelques heures histoire de « se mettre un peu de plomb dans le crâne et de dégriser un bon coup », les trois lascars ont terminés tous les trois dans la même geôle. C’en est cuit pour reprendre le navire, il doit sûrement faire nuit à l’heure qu’il est et ils ne repartiront qu’au petit-matin, avec un bon coup de pieds au cul. Toutefois, Merunes a quand même précisé aux Marines l’ayant fauché qu’il est chasseur de primes, fomentant un petit mensonge bien rodé pour ne pas mettre en jeu sa licence. « Nouveau dans l’métier, j’pensais être tombé sur des mafieux pure souche... » C’était ses mots, à peu de choses près. Il fallait donc un peu de temps aux autorités pour tout de même vérifier la véracité de tels propos en passant quelques coups de fil.

    Quand même, il est à la recherche d’individus balaises, mais ce n’est pas pour autant que le clochard va mettre sa situation en péril. C’est son unique gagne-pain, et celui-ci ne se voit pas du tout faire autre chose que casser des bouches pour s’emplir les poches et vivre dignement. Toutefois, un problème un peu plus pressant persiste en ce moment. Dans la même taule que les deux autres énergumènes, la tension est on ne peut plus palpable. Ils dardent le crasseux d’un regard des plus haineux. Rien que ça. A les voir, on peut s’imaginer les pires tortures qu’ils souhaiteraient infliger à l’Amerzonien, là, maintenant.

    Lui, reste dans son coin. Après avoir exécuté une tripotée de pompe en poirier et mimer d’intenses combats contre un adversaire imaginaire. Au bout d’un moment, forcément que le gus est essoufflé et décide de s’allonger. A même le sol.

    -Entre nous, admet qu’t’es son nouveau chien d’garde ? lance Joey, brisant un peu le silence de marbre.
    -J’vois pas d’quoi tu parles.
    -Allez, arrête de jouer à ça, ducon. Comme par hasard t’étais là en même temps qu’elle.
    -Et alors, ça veut rien dire. J’sais pas qui c’est.
    -Mon cul, ça va être une tannée d’là chopper, maintenant. On en a pas terminé, toi et moi.
    -On ira régler ça dans un coin tranquille, alors.
    -Ca peut même se régler ici et maintenant, sale troufion… rétorque la masse en se levant aussi sec, prêt à passer à l’action.

    Le Glaiseux donne simplement une impulsion avec ses jambes, se relevant sans les mains à la force des abdominaux. Tête à tête, ils étaient prêts à dûment se la donner dans la casemate terne et mal éclairée, crocs sortis et serrés. A deux doigts de passer à l’acte, le gardien déboule.

    -OH ! Vous trois, vous sortez. Que j’vous r’vois plus à foutre la merde ici, y’a un bagne pas loin j’vous rappelle. Surtout toi Joey, arrête de jouer l’mariole, tout l’monde sait qu’t’es une tafiole ici !
    -J’aurai pas aimé… Murmure Merunes, manquant de se prendre un coup de martinet sur le crâne, in extremis.

    Une fois sorti d’ici, les deux apaches conviennent d’un lieux à l’abri des regards et suffisamment tranquille pour régler leur différend une bonne pour toute. Même si la raison est purement nullissime pour beaucoup, une telle décision émane du caractère guerrier des deux briscards. Ils ont vu l’un en l’autre la fougue et l’immuable respect envers la sainte châtaigne. La fierté est trop forte pour démontrer une once de piété l’un envers l’autre, mais la pensée n’en demeure pas si loin.

    -J’pensais qu’t’allais ramener quelques flageolets avec toi, ‘cas où… Tu fais que m’impressionner depuis l’bar ! Ca m’rend FOU d’excitation...
    -On est une p’tite équipe, et j’en fais mon affaire. Tu vas voir qui c’est l’autorité, ici.

    Échauffements, étirements, craquage de phalanges et de nuques, tout ce qu’il faut pour se mettre en selle. Et sans plus tarder, c’est parti pour s’estropier.

    -Juste, une p'tite condition. Si j'gagne, tu m'racontes ton histoire, là. J'aime pas être mêlé à qui qu'ce soit. Si tu gagnes, t'pourras m'faire c'que tu veux, ça marche mon poupard ?
      Dans un petit appartement ne comportant que deux pièces. L’une contenant une médiocre salle de bain, avec baignoire et un toilette, imbibée d’humidité. Dans le carré central, juste un canapé, une cuisinière et une table entourée de deux tabourets. Sur le bureau se trouve quelques emballages de nourritures et conserves agressées par les moucherons ainsi que tout l’attirail nécessaire pour de la communication radio. Dans un coin, un grand matelas est étalé au sol, avec dessus un homme. De longs cheveux gras et noirs lui parsèment le visage, lui recouvert d’une couette et disposant d’un gant de toilette frais sur la tête. Baignant dans sa propre sueur, il est mal en point. Pour cause, une blessure par balle, au niveau du flan, près des côtes. Mal soignée, impossible, en l’état, qu’elle aille vers le mieux.

      Un bandage et des pansements ont été faits, mais à en juger de la mine désastreuse du bonhomme, on devine que les soins n’ont pas été prodigués par un professionnel. A son chevet, la jeune femme présente au bar d’Hermann, investie par le collègue de Joey, le meilleur ami -du moment- de Merunes. Le logis est plongé dans l’obscurité et les volets bien fermés.

      -J’en peux plus… Ca fait trop longtemps qu’ça dure.
      -Je sais, j’vais voir c’qui reste, dit-elle en jetant un œil dans une petite trousse à pharmacie, disposant de quelques bandes et d’une seringue, contenant un antalgique.

      Avant de se faire piquer, le blessé lui saisit instantanément le poignet, le regard empli de désespoir et d’impatience.

      -T’es au courant qu’ça pourra pas durer ?
      -Ça aussi, j’le sais pertinemment, rétorque-t-elle en se libérant vivement de la pince pour procéder à la piqûre.
      -Et on a plus un rond… Putain, dans quelle merde on s’est fourré.
      -Je vais r-
      -NAN ! Tu vois bien qu’on est dans une merde noire. On a perdu les sacs pendant l’casse, t’as emprunté à une bande de débiles, maintenant ils veulent ta peau. Et pour le guano, qu’est-ce qu’il a dit, l’acheteur ?!
      -Il… a refusé.
      -J’te d’mande pardon… ?!
      -T’as très bien compris, dit-elle calmement en se reculant pour se lever et se mettre dos au charcuté. -Il a trouvé ça trop cher, et s’est barré aussi vite. Mais le réseau est plutôt grand, sur West, j’vais continuer à passer des annonces. J’m’inquiète pas, et toi non plus, tu devrais pas. Vu la gueule du pansement, t’énerver va aggraver ton cas. T’aimerais pas devenir une boule de pus géante, hein ?
      -Très drôle, rétorque-t-il en basculant sa tête en arrière. -J’espère que la planque est sûre, cela dit. Si seulement j’pouvais bouger.
      -Mais oui, elle l’est. Puis j’veille au grain.
      -Ils savent pour... ?
      -Je crois pas, mais ça va pas tarder.
      -Du guano… Qui d’autre voudra d’un truc pareil… A quoi tu pensais quand tu t’es dis « Ah, tiens, si on allait chourer d’l’essence ? »
      -A nous sortir de ce merdier.

      ***

      La rude bataille a eu lieu entre les deux gonzes. Ça a bien rugi, ça a cogné dur comme fer contre les arcades, les côtes, le bide, tout y est passé. Toutefois, le sauvage l’a emporté. Plus vif, plus fort et plus tenace. Joey a eu du mal à l’accepter, mais c’en est ainsi. Après quelques temps à maudire à voix basse, la défaite est accepté, de bonne guerre. Mais il ne faut pas croire que le pouilleux s’en est sorti indemne, bien au contraire.

      A comparer, c’est son visage plein de crasse qui se retrouve le plus tuméfié. Une pommette gonflée, la moitié du visage violacée et les coins de la lèvre inférieure bien distendue. Pas de serrage de mains ou quoi que ce soit à la fin, mais plutôt le respect d’un accord tacite, à savoir la vérité, ni plus ni moins.

      Un genou à terre et se tenant la moitié du visage de son énorme paluche, l’homme à la crête se relève durement, lui aussi la gueule et les vêtements bien amochés. Il crache une épaisse gerbe de sang -expulsant deux-trois dents au passage- pour reprendre un peu ses esprits à coups de profondes inspirations.

      -Un putain d’sauvage, j’ai qu’ça à dire. Souple comme une araignée et fort comme un ours. Ca f’sait longtemps que j’m’étais pas fais rétamer.
      -Tu m’flattes, t’es pas mal non plus.
      -Bon, j’voudrais pas dire mais… les derniers événements m’ont rendus un peu parano. Si on allait s’rincer l’gosier dans un endroit que j’connais bien ?
      -Si c’est un piège ou j’sais pas, j’te tue toi et tes potes, on fait comme ça ?
      -Vendu, y’en a pas un qui m’arrive à la cheville, dans l’équipe, t'façon.
      -Et c’est toi qui paye, t’as perdu.
      -Hahaha. J’vais vraiment finir par croire que t’es un clochard. Un clochard taré, s’cuse moi.

      Le troquet où s’échoue le duo n’est en effet pas très loin de leur position. Très petit local, avec de fines tables toutes carrés et de vieilles lumières tamisées. Cela ressemble plutôt à une salle de jeu dissimulée plutôt qu’à un bar. « De retour dans le quartier des maisons-closes », à ce moment-là. « La ville est pas très grande, ‘facile de se déplacer et d’en faire vite le tour. » Pendant les excursions, Merunes analyse bien les environs afin de déceler le moindre traquenard de la part de Joey. Après tout, la terre et la mer ne sont que d’immenses terrains de chasse pour lui, réflexe, donc. Mais il faut croire que s’être fait casser la gueule comme il se doit lui a visiblement fait passer toute envie de rébellion. A propos, ce n’est pas comme si le Glaiseux serait déçu d’un tel acte. Plus il y en a, mieux il se porte !

      -Fais moi confiance, la bière est bonne, lance le crêteux avant de s’asseoir et de faire un signe au barman, à quelques mètres de lui. Quelques instants suffisent pour que le garçon, bien vêtu au vu de la qualité des lieux arrive à table avec une choppe dans chaque mains.
      -J’renifle quand même. J’peux parer un coup, mais pas l’poison, répond le plus simplement du monde le tatoué, les yeux lubriques et globuleux.
      -Pas bête, j’aurai très bien pu t’avoir comme ça, mon pote, réplique Jo’ en montrant les dents, suintant d’ironie. -Mais avant toute chose, y’a toujours rien qui m’dit que t’es pas de mèche avec cette garce. T’as cru quoi, que j’allais t’accueillir à bras ouverts et compagnie ? Accord, mon cul. M’en faut un peu plus, bonhomme.
      -Ca s’voit qu’tu peux pas la saquer. Et si j’avais été d’son côté, j’t’aurai buté et jeter à la poiscaille, vite fait bien fait, même pire. D’ailleurs, j’espère pour toi que tu m’fais pas perdre mon temps, elle a quoi d’si spécial ?
      -Essaie pas d’changer d’sujet. Ici, t’es chez moi, dit-il tout bas, imposant son souffle putride à la face du marmot d’Amerzone. -Tu vois les types, autour, un signe et tu t’fais cribler de balles. Là c’est pas comme les poings, hein, t’arriveras à tout esquiver ?
      -Dernière fois. Je la connais même pas. Qu’ils essaient, j’me laisse faire.

      Ce semblant de camaraderie exprimé juste avant a complètement filé pour accueillir la méfiance en grande pompe. Forcément, ils ont croupis quelques heures ensemble en cellule, juste avant ils s’en étaient mis sur la gueule, encore après, sans jamais poser les bases d’une relation un minimum « saine ». Pure logique qu’un tel revirement.

      Silence de mort, dans l’endroit étriqué comme dans la frêle assemblée. On se croirait dans un western, ou le moindre mouvement brusque va tout faire basculer. Duel de regard, les deux pôles sont stoïques. Pendant un moment, les témoins pensent avoir affaire à deux statues, jusqu’à la retombée d’adrénaline.

      -Bien, bien, j’prends l’risque. J’vais te croire, on verra bien. Si t’es un traître , ce sera pour ma gueule, j’assume, qu’il lance avant de s’enfiler une lampée, comme son interlocuteur. -Bon. On a formé ce p’tit groupe l’année dernière. A la base, c’était pas moi l’meneur, il s’appelait Marcus. Un brave gars, un ancien qui bossait dans les usines. D’ailleurs, la plupart d’entre nous bossent ou on bossés là-bas. Mais comme tu l’sais, y’a le bagne, sur cet île. L’année dernière, y’a eu une alerte comme quoi des bagnards s’étaient échappés, plutôt dangereux. Des rumeurs ont commencées à circuler, comme quoi certains rôdaient, près à détrousser n’importe qui. La vérité est que le peu de Marines présents ont bien fait leurs boulots et les ont vite renvoyés la queue entre les jambes dans leur habitat.

      Le reste des autorités, les Whipers, étant concentrés au bagne. Donc nous, c’qu’on a fait suite à ces fausses informations c’est qu’on a promis la défense des commerces, moyennant finance. Mais on a jamais violenté les proprios ou quoi que ce soit, certains ont acceptés, d’autres nan, on a pas cherché plus loin. Ils se sentaient rassurés et rouvraient leurs échoppes, on fait tourner l’économie, quoi. Depuis cet événement certains se sont rétractés, chose que j’ai pu comprendre. Ça nous a fait une p’tite source de revenus, évidemment. Quelques réfractaires nous donnaient plus de thunes, mais acceptaient plutôt de nous filer des fringues, de la bouffe et à boire à l’œil, c’qui pour certains était une aubaine. Maintenant, pour en venir à cette garce dont j’t’ai parlé.

      Y’a de ça deux semaines, Marcus a reçu un message sur sa radio pour une vente de bijoux tombés du navire pour pas cher. Pour la parenthèse, il faisait partie d'un p'tit réseau de contrebandiers, receleurs et compagnie. On l'a su que plus tard. Il faisait ses p'tites magouilles pour lui et soit disant pour nous, mon cul. Ce genre de trucs attire que des problèmes tôt ou tard... 'Fin bref. Pourquoi si peu cher ? Parce que la plupart étaient griffés, abîmés donc avaient perdus une bonne partie de leur valeur. Tu fais refondre les minerais et tu les vends bruts. En bonne quantité t’en touches pas mal. Pour le coup il avait merdé ouais, toujours attiré par la thune celui-là. Il a capté le message et s’est entretenu avec le commanditaire pour convenir d’un échange. On l’a retrouvé étranglé chez lui, broyé de chez broyé, sa thune volée. Comme par hasard, plus tard, cette meuf déboule et nous demande un prêt pour des médocs, soit disant qu’son père est malade, nous on accepte, sauf que les termes du contrat ont pas été respectés, on voulait être remboursé sous quarante-huit heures, pas plus. Sauf qu’elle a eu le culot d’nous retrouver, les mains dans les poches pour dire qu’elle avait touché du guano via une source et qu’elle pouvait nous rembourser avec des intérêts.

      J’suis persuadé qu’c’est elle qui a tué Marcus, comme par hasard un inconnu arrive sur l’île et veut refourguer des diamants, elle déboule de nul part, nous gratte de l’oseille la bouche en cœur et nous dit qu’elle va filer sa came pour nous rembourser ensuite. Elle se fout d’notre gueule, très audacieuse la p’tite. Donc on a quadrillé l’endroit où elle créchait possiblement avec des hommes, y’a trois jours et… l’un des nôtres a été retrouvé broyé lui aussi. J’dirais même pas broyé, essoré même, comme un putain d’torchon. Mais j’avais pas assez d’preuves pour lui régler son compte et on est pas des hors-la-loi, on la choppait et on l’envoyait s’expliquer auprès des bleus, c’était ça l’plan. Juste que quand j’t’ai vu dans l’bar, hier, j’ai pensé que t’étais avec elle. Elle est dangereuse et cache bien son jeu, la pute, j’en mettrai ma main à couper. Mais on a un coup d’avance pour lui mettre la main dessus, même si j’suis pas fier de ce que j’ai fais…

      Le gamin qu’elle a buté, j’l’ai laissé la où il est et j’ai fais comme si de rien n’était, bien pour ça qu’elle a repointé le bout d’son nez. Du coup la bleusaille va pas tarder à fourrer son nez, ils vont vite poser des questions. On croise les doigts pour qu'ils le trouvent pas, l'est dans un coin isolé d'la ville. Ce soir, on la choppe, elle paiera.Et l'gosse pourra être enterré.


      Histoire sympathique que voilà, une jeune femme « dangereuse », à la puissante étreinte et possiblement en cavale. Parfait, se dit Merunes qui ne peut s’empêcher d’esquisser un rictus de cinglé, tremblant d’ardeur. Encore un individu balaise et qui fuit les autorités ? Impeccable, la chasse à la prime peut démarrer.
        Le plan est alors décidé. Deux équipes vont ratisser la ville à la recherche de la brune. La première va fouiller autour de l’endroit où le corps a été retrouvé. Tous les appartements trop calmes ou inhabités seront fouillés. Les limites de la loi vont être dépassés, mais tant pis, quand il s’agit de vengeance, on agit au-delà de la raison, bien souvent. Merunes prendra part à ces effractions, du moins possible. Il entrera dans les égoûts et en sortira sans se faire repérer par les soldats. Toutefois, la bande décide d’agir de nuit, et ce rapidement. Précisément lors de la relève de la garde. Il y en a pour trois bons quarts d’heure, tout au plus. Le temps que le nouveau service arrive, prenne le café et compagnie.

        Pendant la journée, lui et Joey sont restés dans le bar, passant le plus clair de leur temps à s’entraîner et s’enseigner de nouveaux coups, l’un comme l’autre. Si Merunes pouvait vite se montrer méprisant envers ceux qu’il a vaincu, il n’en demeurait pas moins curieux de ce qu’ils pouvaient tirer d’eux en terme d’enseignements. En effet, ses techniques et sagesses martiales seront toujours perfectibles, c’est pourquoi, quand bien même la victoire est sienne, il peut pêcher sur certains points, mais met un point d’honneur à assimiler au plus vite les positions et techniques de ses adversaires, pour ne plus se faire avoir.

        Dehors, dans l’après-midi, afin de s’assurer d’aucune fuite de la part de la demoiselle, des hommes armés du baraqué à la crête sont restés près du port, la plupart en planque afin de s’assurer qu’elle ne se fasse pas la malle un peu vite. Joey est sûr de lui quant au fait de la doubler, mais qui sait ce qu’elle a en tête. Mais rien. Malgré la population dans le port, pas de nénette à l’horizon.

        Après s’être bien préparé à l’intérieur du troquet fermé au public, la clique vérifie le matériel. De quoi rester en contact, ce qu’il faut pour se défendre au cas où et des vêtements adaptés à la situation. Presque tous s’arment d’un flingue, chose que n’approuve pas le sauvage. Peu importe ce qu’ils comptent en faire, au final ce ne sera pas son problème. Il a juste entendu dire que la présumée voleuse peut se révéler être plus insidieuse qu’elle n’y paraît. Vivement.

        -Bon, tout l’monde est prêt. Abdul, Jean, Kaleel et moi, on va fouiller les appart’. Toi, Ramy et Tepan, les égouts du port. Y’a qu’un seul endroit où elle a pu planquer sa merde sans attirer les soupçons. Pas sûr qu’on trouve la cargaison en si peu d’temps, vu la taille du labyrinthe. Mais on reste optimiste, les gars. On oublie pas. Toi, l’clodo furieux, tu sais c’que t’as à faire, j’te gère pas. Les autres, on traîne pas au même endroit et on s’magne, pigé ?!
        -Ouais !

        C’est bon, le tas initial se scinde en deux et chacun fonce vers sa destination. Merunes, lui, se met à foncer directement vers le port à toute allure, quand bien même profondément soûlé de ne pas se rendre vers les appartements. Au final, il ne peut pas savoir avec exactitude où se trouve la donzelle. Certes, il fonce droit comme un fer de lance -larguant au passage les deux membres de son groupe derrière- pour arriver très vite dans la zone portuaire. Un parfait silence, on n’entends rien à part quelques rires et palabres au loin. Pas de gardes dans les environs, impeccable. Les autres arrivent un peu après, essoufflés mais trop faibles pour faire de quelconques remarques au pouilleux.

        L’un d’eux, Tepan, connait bien les lieux et les mènent à l’extrémité est du port, vers un petit escalier qui mène le trio face à une porte métallique. Elle est bloquée par un cadenas rouillé, rongé par l’humidité. De l’autre côté, juste une épaisse pénombre et de l’eau jusqu’aux genoux. Ramy sort de son sac un petit pied-de-biche et commence à forcer sur la chaîne pendant que l’autre fait le guet en haut des marches. Merunes, quant à lui, se saisit d’une torche à l’entrée des égouts.

        -Qu’est ce que ça shlingue…
        -Lui, pue encore plus ! Murmure Tepan, derrière le Tatoué, le pointant du doigt avec un air affolé.
        -J’ai entendu. Restez concentré, y vous arrive un truc qu’j’en ai rien à péter. Clair ? Sortez un’ plan, là, qu’on puisse s’y r’trouver dans c’merdier.

        A mesure que le trio avance sous les indications de Ramy, toujours un silence aussi pesant. L’heure tourne,, il va falloir sortir de là au plus vite, avant même la fin du temps imparti, si possible. Au fur et à mesure, le plan est annoté pour noter les endroits comme les impasses, les tas de caisses inutiles ou tout simplement des grilles menant à d’autres endroits de l’île, la sortie bloquée par d’épaisses grilles. Les minutes s’écoulent, jusqu’à ce que l’un des escargophone retentissent. Ils étaient tous en mode “ON” comme des talkie, pour que chacun puisse contacter qui il veut en cas de pépins ou de découverte.

        -Alors, z’avez trouvé un truc ? demande Joey.
        -Nan, rien ici, pour l’instant, et vous ?
        -Que dalle, on cherche, on cherche… On a fouillé fissa quelques apparts’ et maisons dans l’coin, mais rien.

        Du côté de Joey, pas grand chose non plus. Le jeune Kaleel, petit blondin de tout juste dix-neuf ans, sait déjà manier le pistolet comme un vrai pistolero. Un prodige de la gâchette comme on en fait rarement. Toujours l’esprit affûté, c’est partout qu’il jette les yeux pour repérer du mouvement dans les blocs. Et là, quelque chose attire son regard dans un vieil immeuble censé être en rénovation. Une silhouette, à un coin de fenêtre, en train de les épier. Au moment où l’individu est repéré, il s’écarte du vitrail.

        -Jo’, y’a un truc bizarre.
        -Attends, j’suis toujours au den den avec les autres, apparemment ‘sont sur un truc. “Suivez la piste si ça pue l’guano, y’a rien qui passe d’habitude par les égoûts….”
        -Jo’, on d’vrait p’têt al-
        -Kaleel, ferme là, vraiment, attends un peu.
        -Puis merde, j’y vais.

        Il arme son pistolet et se décide à aller seul dans le bâtiment moisi. Même si c’est elle, il sera plus vif, qu’il se dit. Tout est plongé dans la pénombre et certaines fenêtres sont condamnées. Deuxième étage, c’est là qu’il a vu quelqu’un. Devant la porte de l’appartement “11”, aucune hésitation, et d’un chassé, le verrou s’arrache.

        Sur un vieux canapé dans un coin de la pièce se tient un homme, bandé, torse nu et la tête baissé. Le jeunôt avance doucement, signifiant clairement sa présence mais, rien. Les lieux sont presque vides, juste une table, un lit, et des seringues au sol. Le type ne réagit toujours pas, et c’est d’une main timide que Kaleel lui tape l’épaule. Un cadavre, encore frais.

        -Les mecs, j’ai trouvé un truc bi-
        -Kal’ ? Kal’ ?! Bouge pas, on arrive. Son escargot est parti pioncer, j’crois.

        Joey et son fifre fonce vers la vieille bâtisse et atterrissent là où venait de se rend Kaleel. Le gamin, brûlant d’entrain jusqu’à peu, gît maintenant dans une mare de sang. Frappé à la gorge, il est en train de s’étouffer dans son fluide, les yeux exorbités.

        -Oh merde, merde, MERDE ! ELLE ÉTAIT LA ! BOUGE PAS KAL, ON EST LA, TIENS BON MON POTE !

        Et, à l’autre bout du fil, ça continue d’enregistrer et de capter ce qui se dit…

        -Hey, on a trouvé les barils de guano ! C’est la cargaison de l’autre garce, héhé. Bingo, on l’a fumée en beauté, la p’tite. Attends, quoi ? Mais si, ‘sont comme ça les barils de guano quand ils sortent d’l’usine, pleins à ras-bord en pl- Chut, z’avez entendu ? C’est quoi ce psh- OH PUTAIN ! C’EST UN PIEGE, Y’A D’LA DYNAMITE !

        Et le souffle de l’explosion est tel qu’on peut en ressentir la chaleur jusqu’à l’entrée des souterrains.
          -On l’a échappé belle… Putain, j’ai vraiment cru qu’on était cuits, là d’dans. Merci l’Tatoué…
          -Ouais, crever brûlé dans des égouts puants, merde alors, j’crois qu’j’me suis fait pissé d’ssus..
          -Des soldats vont rappliquer dans moins d'deux, faites c’que vous voulez. Moi, j’vais choper cette trainée, dit Merunes avant de fuir le port à toute allure pour stopper la folle cavale.

          Il a vite flairé le danger, dans les canalisations. Heureusement, le niveau de l’eau a sauvé le trio. Les tonneaux se trouvaient à un endroit légèrement surélevé des tunnels, les protégeant ainsi de l’eau stagnante. En voulant les manipuler, un petit système ingénieux reliait un fil, un briquet et de la dynamite. A peine un baril était déplacé que le mécanisme s'enclenche automatiquement dans un effet domino, libérant alors le liquide inflammable venant faire s’embraser la cargaison. Le sauvage eut le réflexe de saisir les deux types qui l’accompagnaient sous terre pour s’immerger avec eux sous l’eau et ainsi survivre à l’explosion. La détonation ne va sûrement pas passer inaperçue. Ils ont rampés sous l’eau croupie pour s’éloigner suffisamment de l’eau contenant de l’essence à sa surface. Toutefois, quelques poils de barbe ont péri pendant l’embrasement, fait impardonnable qui se paiera cher…

          Une troupe de soldats armés se dirigent en deux temps trois mouvements pour aller inspecter les lieux. Les flammes, fort heureusement, ne se propagent pas plus que ça au vu de l’humidité importante qui règne là-dessous. Le crasseux a entendu la conversation au Den Den et sait pertinemment que tout le monde s’est fait avoir. Un échec cuisant pour Joey et sa bande. Maligne, mais plus pour longtemps. La ville n’est pas grande et, tôt ou tard, la chasseuse va devenir la proie. Vif comme une panthère, le pouilleux Amerzonien se fond à travers les rues en tenant bien à éviter les Marines en état d’alerte qui circulent en effectif plus important que d’habitude. Bien qu’il soit du côté de la justice, les circonstances peuvent lui porter préjudice, son arrestation suivie de sa présence dans un lieu où des litres de carburant se sont enflammés constituent un motif valable pour lui attirer de plus gros ennuis.

          Son corps puant et trempé ne l’aide pas tout à rester caché. Mais tant pis, même sur la vitesse, il surpasse ces troufions. Usant de quelques méthodes dignes d’un Spuleen-Ter Sell, l’hybride, mélange ultime entre l’homme et la bête esquive la flicaille dans des acrobaties et cabrioles plus souples les unes que les autres jusqu’à arriver dans un lieu isolé de l’agitation naissante.

          Cela fait un petit moment qu’il est suivi, et en a parfaitement conscience. Elle est là, perchée sur les toits à le suivre à la trace. Mais un affrontement en centre-ville va attirer la bleusaille beaucoup trop vite pour convenir d’une bataille en bonne et dûe et forme. Rapide, trop rapide, même. Alors que le sauvageon est à bonne distance des autorités, il lui suffit d’une seconde d'inattention pour la perdre. Une ombre fuse, se torpille jusque dans son dos. Les réflexes lui manquent, pour le coup, et le temps lui manque pour y faire face. Dans cette rue muette et isolée, l’étau constricteur se resserre.

          -Salut, toi. C’est qu’tu m’as l’air costaud, dis donc.
            Jusqu’à maintenant, le Glaiseux n’a jamais subi une aussi forte strangulation. Complètement enroulée autour de lui, ses cuisses lui comprimant les côtes et ses bras autour de la nuque, impossible de respirer, de lâcher le moindre râle. Il se débat comme il peut, tente d’attraper cette folle en train de l’écraser comme jamais.

            -Quand j’en aurai fini avec toi, je m’occuperai du reste. Et quand on vous trouvera, je serai déjà loin, hihi, lui susurre-t-elle à l’oreille.


            Son doux parfum et sa beauté, antilogie la plus pure de sa perfidie, n’atteint même pas les narines de Merunes, rouge comme une tomate et au bord du malaise. Affaibli, il pose le genou à terre. Mais hors de question que le barbare déclare forfait, c’est loin d’être fini. Ne pouvant se libérer à la force de ses bras pour écarter les siens ou même ses jambes musculeuses, il tente le tout pour le tout. Il réunit ses dernières forces et prend appui de tout son poids sur le pieds en contact avec le sol.

            Plus lourd qu’à l’accoutumée, devant supporter la masse de la jeune femme, le sauvage se propulse dans les airs. A environ trois mètres du sol, voilà que celui-ci bascule vers l’arrière. Les deux zouaves se retrouvent à l’envers, et alors qu’ils se trouvent plus qu’à un mètre du sol, la stratégie opère. Le serpent humain relâche sa prise et retombe sur ses pattes, quoique déséquilibrée. Quant à l’Armezonien, lui, se réceptionne sur les mains dans une formidable position de poirier, parfaitement gainé. Tout de suite après, le chasseur profite de l’instabilité de son adversaire pour légèrement tournoyer -toujours sur ses paluches- pour asséner un coup de pieds, combinant force centrifuge et souplesse de bassin, précisément du côté gauche.

            Comme escompté, la nana pare le coup, maladroite sur ses appuis et ne désirant pas se le prendre en pleine poire. Elle esquisse une petite grimace. Eh oui, forte pour étrangler en douce mais pas au corps-à-corps, on compense comme on peut. Le fier bonhomme reprend son souffle tout en gardant son opposante à bonne distance. Celle-ci se met en position, mains recourbées, laissant ses longs ongles aiguisés briller au clair de la lune.

            -Pas mal, vouloir me briser la nuque grâce à la chute, t’es bien l’seul à avoir pensé à ça.

            -L’seul qui a su s’libérer. T’es gauchère, impossible qu’tu m’étrangles encore après c’coup. Salope.
            -J’te réserve encore mieux, chéri, pas d’panique.

            La jambe en avant de la pernicieuse forme un léger arc de cercle. Ca y est, elle attaque. Disposant de véritables rasoirs au bout des doigts, une déferlante de coups d’estocs et de taille s'abattent sur le roi des balochards. La plupart sont évités via d’amples mouvements, et les tentatives de contre-attaques avortent une par une face à la vivacité du Boa. Les entailles s’accumulent sur sa face et sa poitrine, dont certaines suffisamment profondes pour commencer à le mettre sérieusement en rogne. Sauf que la belle a pris la confiance et se conforte dans son enchaînement monotone, le crasseux profitant d’une ouverture pour se baisser, se tenir sur les mains et décocher un coup du bout du pieds en plein dans le menton.

            Un filet de sang s’échappe de sa bouche, l’impact l’envoyant s’échouer par terre, dans la poussière. Elle s’essuie avec sa manche, le regard brûlant de rage. Son faciès change du tout au tout, elle aussi voit rouge, maintenant.

            -Ça a trop duré, tu vas crever une bonne fois pour toute, cette fois.

            Elle compte porter le coup final. Sa stature change, comme prête à bondir. Merunes en fait de même, se positionnant au ras du sol, tel un jaguar sur le point d’attaquer. Les individus se jaugent, se regardent intensément, jusqu’à la propulsion fatidique. Plongeant ses deux mains vers l’avant, en direction de son cou, les émotions la trahissent. Elle tend les bras, formant un trou béant dans la défense. C’est du tout-cuit pour celle qui se mange une feinte du pouilleux, lancé à vive allure, effectuant une pirouette au dernier moment en avant, venant faire s’abattre son talon en plein sur sa tête. Le fracas est terrible, et le silence morbide qui vient juste après est criant de sens quant à l’issue du combat; La victoire revient au puant.

            Étalée, inerte, une coulée de sang dégouline le long de son visage. Dans un ultime mouvement de désespoir, elle se relève à la vitesse de l’éclair, visant encore et toujours la gorge du traqueur. Inutile, son bras est brisé sous une violente torsion, laissant émaner un son des plus sordides. Hurlement oblige, avant de tomber dans les vapes. Merunes n’a pas été épargné par la dernière action. Durant la ruse, son dos a été profondément entaillé. La douleur est palpable, mais bien moins perceptible que la satisfaction d’une belle victoire. Il lève les yeux au ciel, appréciant les premières gouttes de pluies qui commencent à tomber. Quelques instants plus tard, des soldats rappliquent. Dans le lot, un qui reconnait immédiatement la jeune femme.

            Katalina Rengeki, en cavale depuis des semaines avec son compagnon, dû au braquage d’une bijouterie de luxe. Durant le casse, des employés et des soldats de la Marine ont été tués, et son amant fût touché. Pendant la fuite, le duo décide d’abandonner les sacs, trop encombrant et le garçon beaucoup trop mal en point, soutenu par sa dame. Il a été retrouvé dans un immeuble abandonné, décédé suite à une overdose d’anti-douleurs qui l’a plongé dans un coma fatal. Ils ont atterris ici après leur vol de bijoux complètement raté, dans l’espoir de se refaire rapidement.

            Par la suite, une enquête a été ouverte où elle a été inculpée du meurtre de Marcus, l’ancien chef de bande et de plusieurs autres membres. Joey et certains de ses acolytes, eux aussi, ont dû répondre de leurs actes pour les diverses effractions survenues au cours de la fameuse nuit. Pour ce qui est du guano, peu de preuves étant donné l’explosion, mais un petit réseau au sein des usines a pu être démantelé, faisant circuler du carburant pour le revendre à bon prix suite à plusieurs témoignages incriminant des employés aux comportements plus que suspects. Merunes, quant à lui, pu récupérer la prime de la criminelle et acheter une barque avec une partie de celle-ci. Après un bon repas, c’en était fini de lui ici, il ne reviendrait pas de sitôt sur Whiperia.