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Comme un coup de froid

Jotunheim, 1627, un peu avant l'attaque de la prison secrète par la Révolution.

Dans les tréfonds du Glaçon, au fond d'une cellule anonyme, une silhouette enchaînée dodelinait lentement du chef comme pour se maintenir éveillée. La cellule était pareille à toute autre, froide, grise, sentant bon la mort. Le prisonnier qui l'occupait paraissait semblable à tout autre résident de cet enfer glacé. Il était enchaîné au fond de sa cellule par de lourdes chaines en acier et comme si cela ne suffisait pas, des menottes en granit marin se trouvaient à ses poignets. Le traitement habituel pour les pensionnaires du camp de vacances de Jotunheim.

L'homme ne se souvenait plus depuis combien de temps il était attaché à ce mur. D'ailleurs, où était-il exactement ? Il ne parvenait pas à s'en souvenir, sa mémoire était floue. Tout ce qu'il savait, de façon confuse, c'était qu'il devait bouger. L'immobilité vous condamnait à mort aussi sûrement qu'un plongeon au fond de la lave. Même les gosses du Grey T le savaient, si tu bouges pas, t'es bon pour le surin.

La silhouette s'ébroua, faisant tomber au sol les petites stalactites qui s'étaient formés dans les poils de sa barbe drue. Leur chute au sol les fit voler en éclat et ce son rompit le silence qui régnait jusqu'alors dans le boyau gelé du glaçon. Désormais réveillé, l'homme ouvrit les yeux, papillonna des cils quelques instants pour s'habituer à l'obscurité ambiante puis il laissa s'échapper un long soupir.

*Un jour de plus sans que personne ne vienne... Je vais finir par croire qu'ils m'ont vraiment oublié... Au fond, je le mérite sans doute...*

Derrière la crasse, la saleté et l'épaisse tignasse blonde du bagnard, des yeux bleu acier qui paraissaient comme éteints. Il regardait autour de lui mais sans voir réellement. Il faut dire que le décor était terne et qu'il n'y avait pas le moindre mouvement. L'homme avait là une nouvelle occasion de procéder à un peu d'introspection. Parce que bon, on va pas se mentir, en prison, à part cogiter, on a pas grand chose à faire, surtout quand on est enchaîné au mur.

Voyons voir... Comment avait-il fini ici déjà ? Il avait l'impression que cela faisait une éternité qu'il était dans cet enfer glacé... Au fond, est-ce que cela importait réellement ? N'était-ce pas tout simplement le moyen qu'avait trouvé cet enfoiré de Destin pour signifier à Joseph que nul ne pouvait lui échapper indéfiniment ? Tu es né dans les ordures, tu mourras dans les ordures. On n'échappe pas à sa condition ou à son destin.

Et lui, ce sot, il avait cru pouvoir y échapper c'est vrai. Il était devenu le Roi des Ordures du Grey T. avant que le destin ne lui ôte son trône par l'intermédiaire de l'Agent Séparou. Il avait quitté le Cipher Pol après avoir tué le-dit agent Séparou, son mentor, et il avait gravit l'échelle sociale à la force de ses poings. Il avait fait connaitre au monde entier Son Nom. Il avait marqué de son empreinte Dead End et l'Ile Maléfique. Il avait fondé son propre équipage, les Saigneur du Crack. Tout allait pour le mieux, il était enfin devenu quelqu'un, il...

Des tremblements parcoururent le corps du prisonnier. Il avait tout perdu, une fois de plus. C'était... injuste, c'était...


"RAAAAAAAAH !!! La ferme ! La ferme ! La feeeerrrrmmmeeee !"

Sans aucun signe avant coureur, l'homme se mit soudain à hurler et à frapper sa tête aussi fort qu'il pouvait contre le mur derrière lui. Ne pas se laisser abattre, ne pas se lamenter, garder espoir. Ne pas se lamenter sur son sort, c'était inutile.

"On se calme le sauvage. Cette prison a été spécialement conçue pour calmer les excités dans ton genre, alors sois un bon surgelé et tais toi."

A travers le sang qui lui coulait sur le visage, le regard du prisonnier s'anima d'une nouvelle lueur. Face à lui, de l'autre côté des barreaux se tenait un gardien à l'air goguenard. Dans sa main gauche, il tenait une gamelle remplie d'un liquide verdâtre infâme qui réveilla l'estomac du prisonnier. Le garde sourit en entendant les gargouillements qui émanaient du bagnard. Se faisant, il révéla un visage balafré qui fit comme un électrochoc au prisonnier. Il connaissait ce visage, la dernière fois qu'il l'avait vu c'était sur Bugemore. Mais... il devait être mort !

"Sakata..."

Le sourire du garde s'effaça instantanément. Ses traits scarifiés se déformaient sous la colère difficillement contenue de l'homme. Sa main droite se posa comme par réflexe sur la crosse l'arme qu'il avait à sa ceinture, son regard se fit un peu plus fiévreux.

"Alors tu te souviens de moi ? J'imagine que  c'est tant mieux.... Tu te souviens aussi des autres ? De ceux que tu as laissé pour mort sous la neige et la glace. Séparou ! Vimes ! Makino ! Tu as tué trois agents du CP5 !"

Une vague de frisson parcourut l'ex-agent Sakata qui en laissa tomber la gamelle par terre, la "nourriture" éclaboussant le sol et les barreaux qui parurent se rétracter à son contact. Le vilain gardien, il avait mélangé de l'acide à la pitance qu'il apportait au prisonnier.

"Voilà, tu vois ce que tu me fais faire ? Rien que de voir ta sale tête, je perds les pédales... J'avais dans l'idée de t'apporter un peu de soupe légèrement... épicée, histoire de commencer par attaquer tes boyaux pourris de crevure. Comme tu vois, ça a un peu raté... Pourtant je fais tout comme le psy du service a dit. Il faut affronter son passé, qu'il disait. C'est le seul moyen d'aller de l'avant qu'il disait. Il avait pas prévenu que ce serait si dur de rester calme face à son passé ! Cela dit, à titre personnel, je préfère torturer mon passé que l'affronter. Et tu veux savoir la meilleure ? J'ai tout mon temps ! T'es à Jotunheim ici, l'abruti ! Tu sais au moins ce que c'est que Jotunheim ou t'étais trop occupé à courir les putes pendant le Service pour retenir quoi que ce soit ?"

Sakata s'approcha lentement de la cellule, passant son visage aux traits déformés entre les barreaux. De près, il était encore plus moche. L'orbite de son œil gauche était aussi vide que la tête d'un homme poisson, son crâne était recouvert de balafres, un dentier occupait la place normalement attribuée à la mâchoire et les rares cheveux qui dépassaient de sa casquette de garde avait un aspect jaune filasse. Il était loin le bellâtre du CP5 que Joseph avait connu. Il n'y avait pas à dire, il avait fait du beau boulot à Bulgemore. Cette pensée ragaillardit un peu le pirate tandis que l'ex-agent Sakata lui postillonnait à la figure à travers les barreaux.

"Ce que j'regrette, c'est d'avoir mis autant de temps à apprendre que t'étais ici. Deux ans ! Deux putain d'années que tu as disparu de la surface du globe ! Alors que tu étais juste là, sous mon nez ! Tout ce temps de perdu ! On va tellement s'amuser toi et moi... Ils ont des outils de torture dont tu n'oserais même pas rêvé ! Je suis sûr de pouvoir convaincre les Gasparov de m'en prêter un ou deux quand je leur aurais expliqué notre... histoire commune."

Sur ces paroles, le garde partit d'un grand éclat de rire et recula, semblant enfin réellement regarder le prisonnier qui lui faisait face. Celui-ci n'avait pas moufté durant tout son petit discours, c'était inhabituel pour l’irascible Agent Patchett qu'il connaissait. Quelque chose avait changé en lui, il paraissait éteint mais Sakata n'en avait cure. Il tenait enfin sa vengeance.

"Allez Crack, j'te dis à bientôt. J'ai hâte de faire... craquer tes os. Bwahahaha ! Oh elle est géniale celle là !"

Jotunheim. C'était là qu'il était. La prison mythique dont on parlait à voix basse entre costards le soir au coin du feu. Le Destin ne manquait décidément pas d'ironie. Il avait laissé Séparou, Sakata et les autres agents du CP5 pour mort sous des tonnes de glace et voilà que Sakata et lui se retrouvaient sur un glaçon. Un sourire féroce apparut sous l'épaisse barbe blonde, le bagnard se secoua une nouvelle fois, faisant trembler le mur auquel il était attaché. Qu'est ce qu'il croyait ce pseudo tortionnaire à la petite semaine ? Qu'il allait lui faire peur avec son discours moisi ? C'était bien mal le connaitre.

"Je suis Crack Joe ! Et les os, c'est moi qui les craque !"

Bon... Le moral était de retour, par contre pour la verve, il allait encore devoir s'améliorer...
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