Affronter ses peurs

Cela faisait déjà une bonne heure que Nashi marchait, les yeux remplis d'un je ne sais quoi. Entre l'espoir, et la peur d'un avenir incertain.

À quatre pattes pistant la moindre odeur, il sentait les effluves du bois, de la terre, les senteurs rances des animaux et tous ces éléments qui en fusionnant ensemble, lui donnait l'impression d'un festival de couleurs. C'était comme si dans ces moments-là, il ne se sentait plus lui-même, comme si la bête avait totalement pris possession de son corps. Un bref instant, revenant brutalement à la réalité, il se demandait comment il avait pu en arriver là, regardant ses mains.

*Qui suis-je ? Toute cette tristesse, toute cette colère que je contiens depuis tant de temps, toutes ces choses m'ont rendu si ... si différent... Comment vais-je faire pour supporter le poids de ce monde... J'ai peur mais cela vaut sûrement la peine, je dois tenter le coup... je dois tenter... de ne pas me perdre en chemin.*

Serrant le poing et tremblant de tout son corps.

Ses pensées se calmèrent dès l'instant où la saveur sucrée des feuilles d'Ongakou Aeterna se diffusait dans son palais, il avait en effet pris l'habitude de mâcher les pétales séchés pour calmer les douloureuses affres qui le tourmentaient. La musique s'insufflait dans son esprit, une musique douce, les notes tintant comme les gouttes de pluie tombant sur les feuilles les jours d'averses. La mort la peur la tristesse et la haine, toutes ces pressions n'exerçaient plus sur lui. Cette plante avait en effet la capacité de s'adapter à l'humeur, d'y jouer la volonté même de son âme.

Cherchant quelconques preuves d'une humanité qu'il redoutait tant, mais qui paradoxalement convoitait, sa surprise ne fût pas des moindres quand quelque chose d'inhabituel vînt à déranger ses capacités olfactives. Des odeurs encore méconnues depuis longtemps s'étendaient sur le terrain comme des filaments.

*L'odeur de l'être humain.*

Peut-être était-ce quelqu'un de son village ?

Nashi se mit à courir, l'appel de l'inconnu se faisant plus fort que tout on ne distingua de lui plus qu’une silhouette recroquevillée naviguant entre les arbres, son large manteau se confondant presque avec le va-et-vient de leurs feuillages.

*Je me rapproche de plus en plus.*

Son élan fût vite interrompu.

Il s'arrêta brusquement, en équilibre sur une jambe, l'autre comme suspendu dans le temps dans le feu de l'action.

*Des pièges ?! Qui d'autre que moi pourrait bien fabriqué de telles choses ici ?? Cela fait quatre ans que je n'ai vu une once de vie autre que les animaux... De plus ils m'ont l'air plutôt bien confectionnés...*

Leur disposition indiquait vraisemblablement une embuscade, ils étaient placés de manière à recouvrir un large couloir, et en ce sens il fît la conclusion que cet étranger devait être un chasseur.

*Cet endroit a été minutieusement préparé, il faudra que je me méfie.*

Il reprit sa course, songeur.

Au fur et à mesure qu'il avançait, la forêt devenait de moins en moins épaisse, on aurait dit qu'un troupeau de sanglier avait frayé un passage et des lumières commencèrent à poindre au loin, comme si celles du ciel étaient descendues pour jouer à cache à cache.

La journée avait passé et finalement, en plissant les yeux, Nashi distinguait maintenant les remparts en bois qui le séparaient de ce qu'il traquait depuis l'après-midi.

*Mais... ce n'est pas mon village ? Qu'est-ce que !*

Mais un pas, puis un autre, il sentit ses muscles se relâcher complètement, jusqu'à tomber d'épuisement. Les vertus des feuilles qu'il avait ingérées tantôt avait en outre un gros désavantage, quelques heures après consommation les muscles ne se trouvait plus en capacité d'assurer le moindre effort, il avait calculé au préalable environ une bonne heure et demie d'effet indésirable en fonction du déplacement du soleil.

Adossé contre un arbre, entendant les rires et les paroles étouffés par le son de la forêt, les paupières mi-closes le sommeil vint à prendre possession du jeune garçon.

*Les humains...*

Le lendemain matin, des craquements de branches et des discussions sortirent le jeune loup de sa torpeur. En panique, il se leva et se cacha rapidement à plat ventre sous le premier buisson à sa portée.

*Qui sont tous ces gens, j’avais pas prévu de devoir me confronter à ça dès le réveil ! Et qu'est-ce que j'ai mal à la tête, il faudra que je synthétise tout ça à nouveau moi.*

Ses yeux suivaient les mouvements des pas qui défilaient devant lui, le tout semblable à une danse des plus rythmée, presque mécanique. L'un de ces hommes était pieds nus et ceci l'interpella tout particulièrement, il était également vêtu d'un ample vêtement qui lui donnait une impression de légèreté quand il se déplaçait, mais aussi qui donnait à Nashi ce sentiment, cette impression de mystère qui lui ressemblait beaucoup et qui le ramenait à cette propre interrogation sur lui-même, qui était-il ?


*C'est étrange, pourtant il ne vit pas dans la forêt je ne l'ai jamais vu auparavant, je vais les suivre, en plus... je sens la colère qui traîne dans les parages. Le chasseur... serait-ce lui ?*


Très vite, au fur et à mesure qu'ils avançaient, Nashi comprenait que le silence de ce jeune homme n'avait rien de naturel, les autres derrières avaient l'air de se méfier de tout ce qui les entourait et de temps à autre se laissaient aller à des rires presque burlesques, mais pas lui, lui il traçait son chemin le regard fixe, déterminé.

La filature allait prendre une tournure particulière, la tension était palpable et la colère prenait de plus en plus de place dans l'environnement sous forme de phéromones que seul quelqu'un qui aurait vécu la même vie que le jeune loup pouvait sentir.

D'un coup d'un seul cet homme aux pied nu se mît à courir.

*Je crois que je commence à comprendre pourquoi il n'était pas tranquille, ils veulent sa peau, et lui les amène directement là où il voulait.*

Le cœur battant au rythme de leurs courses, il s'efforçait de suivre la cadence.

*Il est rapide ce gars.*

Au bout d'une dizaine de minutes tous s'arrêtèrent, un éclat de sang dont quelques gouttes perlèrent sur le visage de Nashi marqua la fin de la cavalcade, ses yeux s'écarquillèrent, il ne pouvait croire en la violence qui se déroulait devant lui.
L'un après l'autre déchiqueté, pendu, percé, la multitude de piège posé dans le couloir qu'il avait inspecté le jour précédent se déclencha sur les assaillants, et le jeune homme à l'habit ample dans un acte de survie extrême, les tua tous. En tout cas c'est ce qu'il semblait croire.

Alors qu'il reprenait son souffle, l'un d'entre eux qui était resté tapis dans l'ombre depuis tout ce temps et qui avait attendu que les choses se calment, se profilait derrière lui. Lentement il avançait pas à pas, sortant un gigantesque couteau de son fourreau, il commençait à le brandir et allait passer à l'action.

Encore paralysé par ce qu'il venait d'arriver le jeune Nashi ne savait que faire, devait-il sauver cet homme qui venait de commettre un tel acte de barbarie ? D'un autre côté, il ne faisait que survivre, tout comme lui. Se remémorant les blessures du passé, le choix devenant pour lui de plus en plus cornélien.

*Je dois affronter mes peurs si je veux réaliser mes rêves, je n'ai pas le choix...*

C'est alors qu'il sortît à nouveau une poignée de feuilles de sa sacoche, et sous l'effet de l'adrénaline en augmenta considérablement la dose qu'il avait pour habitude de prendre.

La musique cette-fois-ci était tonitruante, tel les orchestres dans les histoires de pirates que ses parents lui narraient jadis ! Son esprit se gonflant de courage il hurla !


« Hey toi ! »

L'homme se retourna, stupéfait qu'un inconnu puisse avoir déjoué son plan


« Quoi, un gamin ??! »

Nashi profita de la surprise occasionnée. En une fraction de seconde il se rua sur son adversaire et lui bondit dessus, le bras droit armé et le gauche protégeant son visage il asséna un redoutable coup de griffe au niveau du cou de son opposant, la rotation faisant qu'à l'impact il se retrouva dos à dos avec le mystérieux étranger. Son ennemi, les cervicales brisées net s'écroulant à ses pieds.

La musique cessa de jouer pour laisser place à la mélodie de la forêt.