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Dernier ordre

Contemplation, toujours, encore. Le même paysage bleu à perte de vue et quelques îles éparpillées mouchetant l'étendue azurée, imperceptibles. Seulement car on les connaissait.

« - Fait-il encore sens de suivre une doctrine prônant la gouvernance du monde entier ? Quand on voit les résultats... »

Je me parlais à moi-même. Cette mission, je m'étais dit que je devais la réaliser seule. Ainsi, je pouvais cacher que je l'exécutais à contrecœur. Cette enflure savait dans quelle panade il me mettait et la bourde de Jotunheim résonnait encore dans nos oreilles. Mint Figura n'était pas satisfait ; le poids de la faute était sur mes épaules.

J'avançais sans guide. Il ne ferait pas bon de croiser mon chemin, même si aucun affrontement n'était à prévoir. Ma mission ne concernait pas de potentiels ennemis, mais renvoyait un écho amer de ces instants d'horreur que j'avais vécus à Arcadia. J'étais la main de la mort, à cet instant, pour une seule personne.

Que dire à Veronica et aux autres valkyries ? Si elles apprenaient la vérité, et elles s'en douteraient bien assez tôt, elles refuseraient de me faire confiance à nouveau. Cette fois-ci, à jamais. Mais lorsque sa sœur s'était engagée dans le Cipher Pol, elle savait ce que cela incombait. Pire que cela, Angelica l'avait bien vu avec Noxe... C'était son tour à présent.

Éliminer l'agent prisonnier. L'instruction était claire, limpide. Elle trônait fièrement sur mon bureau à mon retour. O'Murphy aurait pu la confier à un autre, mais s'il l'avait mise là ce n'était pas sans raison. J'aurais juré avoir vu son sourire goguenard au moment où j'ouvrais la missive. Il me jaugeait, une fois de plus, me mettait au défi de défier l'Étoile.

Ce n'était pas une grande île, Jaya. On la parcourait en quelques heures seulement et la jungle épaisse de ces débuts de Grand Line n'avait rien à voir avec la sauvagerie des dernières îles du Nouveau Monde. Ces dernières années m'avaient épuisée en lot de quêtes aussi abominables que mortelles. J'avais manqué y laisser la vie plusieurs fois, tellement que ça en devenait comique. Quelque chose en moi s'était brisé : ma volonté première, un semblant d'âme. La vengeance s'était tarie, étouffée même, avec la mort de mes parents : remplacée par une impression de vide qui m'avait dévorée petit à petit de l'intérieur. Mon corps lui-même n'en était plus un, et seules quelques connexions dans les synapses de ce dernier organe claquemuré dans mon crâne d'acier me raccrochait par un ultime filin à la condition d'être vivant.

Je n'étais pas une proie, les animaux le voyaient, ils sentaient l'odeur de l'acier à mon approche, les tissus synthétiques qui recouvraient mes rouages. Ils ne fuyaient pas, mais ne faisaient pas attention à moi. Parfois, un tigre me regardait avec un air intrigué ou un oiseau manquait de venir se percher sur mon épaule, seulement pour voir que je me mouvais encore l'instant d'après.

J'avais débarqué à l'autre bout de l'île, loin de l’œil révolutionnaire. La somme de mes dernières épopées m'avait laissé entre les mains un pouvoir démesuré que j'étais résolue à ne plus utiliser à tort et à travers, quand bien même je pourrais nettoyer une lie au moins équivalente à celle du Gouvernement Mondial. Je n'y croyais plus, à la belle histoire, à l'âge bleu de la Marine et du Cipher Pol. Mais j'étais un outil et je m'étais enfoncée dans ce rôle : ma position de Directrice m'emprisonnait plus encore que celle d'agent auparavant. Obéir était la seule solution, sinon autant me donner la mort directement.

Je ne me dirigeais pas à l'aveugle, un agent me suppléait. Il attendait mon arrivée et, pire que cela, je savais qu'il contrôlerait mes faits et gestes, car on m'avait informée de son appartenance à la police des polices. Malédiction, ce CP0 était vraiment partout, même dans l'autre camp.

Il fallait dire qu'Angelica avait été faite prisonnière il y a un bon moment désormais, ce n'était donc pas étonnant qu'un de ces rats traine dans les environs... pour bien savoir quels vers on avait pu lui tirer du nez.

« - Agent Sweetsong. »

Les bâtisses du port étaient visibles à quelques miles de là. Je l'avais retrouvé sur un mamelon boisé qui surplombait la ville ; nous demeurions à couvert ainsi mais pouvions admirer la civilisation qui s'étendait à nos pieds.

Le manque de déférence ne m'étonnait même plus à ce stade, surtout venant d'un de ces individus masqués opérant contre leur propre camp. Son timbre de voix assez grave à part, il ne laissait rien paraître si ce n'était sa grande stature et ses cheveux bouclés encadrant son visage dissimulé derrière un rictus figé. Quelque chose chez lui me faisait penser à Sloan et je devinais là un souhait de ne pas me voir finir ma mission. J'étais comme un gros poisson qu'un de ces parasites espérerait avoir dans ses filets.

« - Comment dois-je procéder ? » demandais-je sans plus de cérémonies ; son sourire s'était évanoui. Pensait-il que je devais le respecter, simplement car il possédait un moyen de pression sur moi ? Il se vit contraint de répondre cependant.

« - Attendre que la nuit tombe serait une perte de temps, leur QG se trouve sous terre. Leur garde est baissée : voilà des mois que Jotunheim a eu lieu et ils se sont fait à l'idée que personne ne viendrait secourir la cible. Elle croupit dans un cachot, au troisième sous-sol, oubliée de tous. »

Dans ce cas, peut-être que...

« - Elle est encore en vie, si c'est là l'objet de votre réflexion ; je l'ai vérifié ce matin même. »

Salopard. Je me doutais déjà qu'il s'agissait d'une énième épreuve qui m'était adressée pour jauger de ma loyauté ou d'une punition. C'était désormais avéré : l'agent du CP0 aurait aussi bien pu se charger de la basse-oeuvre si l'on écoutait ses dires. Mais non, cela m'échouait.

Angelica pardonne moi.

« - Je vous suis, » conclus-je, l'air grave. L'autre souriait, crapule.

L'astre était haut dans le ciel, mais nous n'eûmes aucun mal à nous fondre dans la masse. Une capuche à bords larges me mangeait le faciès, découvrant seulement le bas de mon visage ; mon allié, lui, opérait à découvert et dégageait une bonhommie écœurante. J'ignorais la position qu'il occupait dans l'autre camp, mais il n'éprouva aucune peine à nous amener dans les strates inférieures de la ville. Devant les cachots, ce fut une autre paire de manches ; heureusement, son esprit machiavélique avait visiblement tout prévu.

« - Salut Vernant. Comme d'habitude, ça reste entre nous. » salua mon partenaire, comme je sentais son bras se nouer autour du mien et entendais des pièces trébucher dans la main du portier auquel il s'adressait.

Je commençais à comprendre ; il avait dû prendre du plaisir à jouer le rôle de sa couverture le salaud. Le regard de l'autre homme, demeuré coi, voulait tout dire tandis qu'il déverrouillait la grille pour nous laisser passer.

La prison en question ne payait pas de mine : c'était un simple réseau de tunnels humides et terreux où défilaient à gauche comme à droite des geôles souvent vides. Parfois, un cri émanait de l'une d'elles à notre passage ou un visage émacié et sale venait se coller aux barreaux des portes en fer. Rien d'inédit, en somme, des prisons comme celle-là j'en avais vu plus d'une dizaine durant mes années de service.

Une série d'escaliers nous fit par la suite déboucher sur un second niveau de souterrains, dans un état encore plus délabré que le précédent. Les ténèbres étaient à couper au couteau et semblaient chercher à avaler la faible lueur émise par la lampe à huile que tenait l'agent à bout de bras. Avec, il éclaira tour à tour des cellules jusqu'à apercevoir, dans l'une d'elles, une silhouette recroquevillée dans un angle. Une odeur insoutenable en émanait ; celle de la mort, pourtant il me sembla voir le corps bouger en réponse à la lumière qui le baignait depuis la lucarne.

Peut-être que si j'avais un cœur, celui-ci se serait mis à tambouriner dans ma poitrine à cet instant. C'était mon amie, l'une des rares que j'avais, qui était prisonnière, je reconnaissais ses traits malgré les sévices qu'on lui avait fait endurer. Elle était pratiquement dévêtue, en haillons, et on voyait les cicatrices sur son corps. C'était comme si quelque chose avait essayé de la manger et mon imagination faisait défiler devant mes yeux tout un panel de possibilités qui me laissa interdite quelques secondes.

« - Vous venez ? Qu'on en finisse. »

En cet instant, il était la personne que je détestais le plus sur cette planète. En réponse, j'avançai timidement puis m'agenouillais devant celle qui fut jadis ma subordonnée. Son regard dans le vague peinait à me reconnaître ; elle semblait être aux portes de la mort, juste assez consciente pour rester en vie. Je pris sa tête entre mes mains et enfonçais mon regard dans son seul œil encore valide.

« - Angelica, c'est moi, Anna. »

C'était inutile, elle était totalement amorphe ; un filet de bave coulait sur son menton. Autant mettre fin à ses souffrances, là, maintenant, comme l'ordre me l'intimait. Comme l'autre derrière moi le rappelait :

« - Vite, abattez cette chienne, on n'a pas toute la nuit. »

La mâchoire crispée, je serrais davantage entre mes mains la tête de la jeune femme devant moi. Puis levais mon index et le pointais contre sa tempe. Alors, son regard sembla soudain s'éclairer et un mot, un seul, sortit de sa bouche. Au fond de moi, c'était tout ce que j'attendais, même si ma raison me dictait le contraire.

« - Sweet... song... »

Je demeurai immobile face à elle, mon doigt toujours posé sur son crâne. J'entendais taper du pied derrière moi, mais tout mon être semblait incapable d'obtempérer. Puis, quelque chose d’invraisemblable se produisit : une goutte d'eau venant de je ne sais où tomba vint humidifier la joue de la jeune femme. Suivie d'une seconde et d'une troisième.

Sans même m'en être rendue compte, j'étais en larmes. Ce n'était pas possible ; un cyborg ne peut pas pleurer, mais il fallait se rendre à l'évidence. Mes deux mains glissèrent et vinrent enserrer le visage de ma protégée à nouveau.

« - Oui Angelica, c'est moi, je suis là... »

Un soupire émana de derrière mon épaule.

« - Nous aurions dû nous douter que vous seriez bien incapable d'accomplir votre mission. Poussez-vous, je vais m'en charger.

- Non. »

C'était avec une voix grave que j'avais tonné cette réponse. Un murmure saisissant et menaçant, au point que l'homme s'arrêta net dans sa progression et me dévisagea comme je tournais le visage vers lui. Il ne comprit mon intention que trop tard.

« - Tek-

- Tobu Shigan. »

Le projectile d'air atteignit sa cible en pleine tête, traversant le crâne de part en part et finissant sa course dans le mur opposé, occasionnant une légère secousse. Le corps de l'agent, dénué de vie, s'effondra aussitôt. Je me retournai vers ma partenaire qui peinait à rassembler ses esprits et l'aidai à se relever.

« - Allez viens, on va te sortir d'ici. »

Inutile de faire dans la dentelle à présent, par cet acte je venais de signer un acte de rébellion. Mint serait probablement déçu d'apprendre que je n'étais pas à la hauteur de ses espérances et lancerait d'autres agents à mes trousses. Je serais bientôt considérée comme une fugitive, autant en faire tout un spectacle.

Angelica pouvait à peine marcher, je la récupérai sur mon dos et m'élançais dans les corridors puis à travers les escaliers jusqu'à la fameuse grille où s'étonnait le portier du grabuge à l'intérieur. Et pour cause, j'avais libéré les quelques prisonniers qui s'étaient aussitôt rués vers la sortie, m'offrant une diversion au moment de prendre la tangente. J'aurais aussi bien pu provoquer quelques secousses dans le QG des révolutionnaires avant de prendre la poudre d'escampette, mais cela n'était plus dans mon intérêt : j'avais décidé de ne plus suivre les ordres cette fois-ci, d'être libérée.

Je repensais aux conversations que j'avais jadis eu avec certains noms de la piraterie... L'homme étrange de Kage Berg ou la capitaine Aoi D. Nakajima. Valais-je autant qu'eux à présent ? Aux yeux du Gouvernement Mondial peut-être, mais pour ma part j'étais libérée ; libérée d'un fardeau qui avait contribué à faire de moi un monstre. J'avais rempli mon office, mais après une trentaine d'années passées à vivre pour les autres, il était temps de le faire pour moi.

J'enchainais les Kamisori jusqu'à mon point d'embarquement, où m'attendait mon navire : un petit voilier sans prétention. Quelle surprise alors de découvrir une frégate amarrée à côté et à son bord les silhouettes que je reconnaissais si bien !

Vasilieva était devant le sloop, elle m'attendait de pied ferme ; lorsqu'elle vit le corps que je tenais dans les bras, son expression changea du tout au tout.

« - Alors tu as fait ton choix. »

Comment avaient-elles été mises au courant ? J'avais une idée sur la question ; idée qui se confirma quelques instants plus tard lorsque Jones apparut aux côtés de Veronica. Laquelle se précipita dans ma direction pour serrer contre elle la tête de sa sœur, tombée inconsciente depuis que nous nous étions évadées.

« - Vite, nous ferions mieux de filer d'ici, » somma la prétendue agente du CP0 tout en indiquant le navire de la 346ème . « Dès que nous serons au large, je pourrai lui prodiguer les premiers soins. »

J'embarquai la première sur la passerelle, portant toujours le corps inerte de mon amie dans mes bras, suivie des trois autres femmes. Une fois à bord, je suivais Jones jusqu'à la loge du capitaine où je couchai Angelica sur le lit. Comme la rousse commençait à l'ausculter et lister tous les maux qui la rongeaient, je me décidai à rejoindre l'équipage sur le pont.

Tandis que je franchissais le seuil, une petite voix pratiquement imperceptible m'interpella :

« - Merci... d'être revenue... pour moi. »
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