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Chasse aux poulets

Les cerisiers en fleur, les pétales volant au gré du vent. Une île paradisiaque, ou presque... chacun ses goûts. J'étais ici en repérage, je regardais un peu ce qui était proposé. Visites touristiques, SPA, salons de massage et pour les plus braves, séances de chiropraxie. Braves au masculin, car plus de la moitié des services ne s'adressaient qu'aux hommes. J'en étais verte, mais de toute façon je n'étais pas là pour le plaisir.

Quelques fois, des navires de croisière abordaient le port principal de l'île pour y déposer leur chargement, le temps de quelques jours. Certaines personnes refusaient de descendre, malgré la somptuosité de l'île et tous ses avantages. Elles, ou plutôt ils, restaient à bord et se claquemuraient dans leur chambre. Il fallait dire que les « femmes » de Kamabaka n'y allaient pas par quatre chemins. Quand d'autres se rendaient compte de leur erreur, ils avaient le choix : fuir indéfiniment ou accepter leur destin.

J'étais pratiquement invisible pour la population de l'île, c'était idéal ; je pouvais opérer sous la plus efficace des couvertures. Évidemment, je n'avais pas autant de laissez-passer qu'un homme, à condition qu'il passe par certains supplice comme endurer les incontournables mains aux fesses ou les regards inquisiteurs. Ha ! Les rôles étaient inversés ici, finalement cette île me plaisait bien.

J'avais appris qu'on m'avait collé une recrue dans les pattes cependant, elle devait débarquer avec le prochain paquebot. Je n'avais pas plus d'informations à son sujet ; j'espérais juste que ce n'était pas un homme ou qu'il avait les nerfs solides.

Ma pina colada dans la main, je savourais la chaleur intense du soleil qui brillait haut dans le ciel, quand une sirène retentit à l'horizon, au milieu de la mer d'émeraude. J'étais légèrement vêtue, dans un maillot de bain saillant car, je n'avais pas peur des indiscrétions et pouvais tout autant profiter de la bronzette. Par miracle, ma peau artificielle prenait le soleil, pourquoi m'en priver, donc ?

Je revêtis un large poncho, cependant, pour aller au contact de l'agent qui devrait bientôt mettre pied à terre. Le navire mouillait dans le port, comme je m'avançais sur les quais, en première ligne. Je remarquais des paires d'yeux courant sur moi du haut du pont : ils seraient bientôt effarés en voyant ce qui me succédait, à mon avis. Les autochtones avaient bien compris, depuis le temps, qu'elles avaient plus de chances de recevoir des touristes en me laissant aller avant elles. Je faisais une belle vitrine, apparemment. Je les entendais pester de jalousie dans mon dos.

Ils furent un beau paquet à se précipiter dans ma direction, croyant que j'étais l'accueil exotique du coin. Puis une rangée de rugbymen apparut d'on ne sait où : des hommes travestis, grossièrement maquillés, épilés ou non, ne camouflant même pas leur barbe et exhibant des muscles de taureau. C'était ça, les femmes, ici.

Comme d'habitude, j'entendis des cris horrifiés et j'en vis prendre leurs jambes à leur cou, direction le paquebot. Mais pour beaucoup, il était trop tard et la mêlée avait déjà commencé. Bon, je supposais que mon contact parviendrait à s'en tirer, si c'était un homme : cela ferait un bon exercice pour mesurer ses compétences. Je fis passer le bout de ma cigarette à ma commissure droite, la tenant du bout des lèvres tout en affichant une mine renfrognée. Il s'agissait d'avoir l'air d'un Directeur du CP9 quand même.

Il ou elle saurait comment me trouver et puis nous aviserions. Sous cette étrange couverture d'île romantique pour les travestis, il y avait un vent révolutionnaire qui soufflait et que nul n'avait jamais eu le courage d'entraver.
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Un test. Voilà l’ordre du jour. C’est pas compliqué à deviner, quand on te donne moins d’infos que d’habitude et qu’on te file même pas le nom de ton contact, c’est qu’on essaie de voir si t’es suffisamment débrouillard. La flemme, mais bon, c’est comme ça.

Le trajet est long, comme d’habitude, il se passe rien, alors j’essaie de me renseigner un peu sur ma destination, et de faire ami-ami avec quelqu’un à bord du navire d’escale. Y’a un type qu’à l’air pas trop méchant, et surtout pas trop con. Il parle pas beaucoup, mais il a des histoires à raconter, ça passera le temps. Il me parle des rumeurs qu’il a entendu, sur notre destination. Et de pourquoi il y va. Un paradis, qu’il paraît. J’y crois pas un mot. Suffit de lire le descriptif de l’île pour se rendre compte que ces rumeurs, c’est un peu du flan.

Je t’épargne les détails du voyage, c’est principalement moi qui pionce, qui pisse et qui tape la discute avec l’autre. Alors je te dépose au moment où on arrive.

Bon. De loin, c’était joli, mais quand on s’approche, ça commence à puer du cul, tout ça. A peine débarqué, me voilà déjà en position de difficulté. Je savais que cette mission de reconnaissance, ça serait une tare. Heureusement que je jouis d’une imagination hors-norme et de réflexes face au danger tout bonnement incroyables. Je descends du pont, non sans devoir bousculer un peu quelques tocards qui font marche arrière, dont mon pote, tiens. J’atteins ma contacte assez rapidement. Facile à trouver, c’est la seule à mon goût à des kilomètres à la ronde. Et au pire si c’est pas elle, ça fera juste une belle rencontre. Elle m’attends un peu plus loin, au milieu du dock.

Et pour passer les obstacles mortels et à barbes qui me barrent la route, j’ai utilisé tout les muscles de mon visage pour former une grimace bien dégueulasse, vise un peu. Futé, non? C’est ça, la puissance intellectuelle au Cipher Pol.

« Bonjour, que je lance simplement. La pièce montée est-elle à votre goût? »

Me regarde pas comme ça, c’est le code qu’on m’a filé, je respecte juste la procédure, moi. Elle me jauge du regard, je suis pas sûr d’apprécier mais bon, je crois que c’est son boulot, alors je lui en veux pas trop. Puis elle acquiesce. Allez hop, premier test réussi. Elle tourne les talons. Je crois que j’ai trouvé plus taiseux que moi, tu te rends compte? Attends, c’est quand même pas à moi de devoir faire causette, si? Je pensais qu’en signant aux Bureaux, ça me laissait le droit d’être silencieux et mystérieux, comme les autres.

« Votre séjour se passe bien? Une destination à recommander, peut-être, pour commencer à… faire affaire? »

J’ai pas été formé à faire la discussion, pendant mes années d’apprentissage, alors me juge pas trop, surtout que je dois composer avec les oreilles indiscrètes qui doivent grouiller autour de nous.
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« - Ça se passe. »

L'homme au chapeau n'avait rien d'un athlète, oubliable au possible comme la vaste majorité des agents ; malgré tout, je sentais des regards envieux nous épier. C'est pourquoi je saisis sa main, pour bien laisser entendre qu'il n'y avait rien à espérer pour les autochtones. Quand bien même ils nous ficheraient la paix avec ça, nous ne pouvions pas dialoguer ici.

« - Effectivement, je connais un endroit où nous pourrons discuter calmement. »

J'espérais que mon compagnon comprenait mes motifs et ma soudaine proximité. Faisant de grandes enjambées, je le trainais pratiquement dans le sable en direction d'un recoin perdu, d'une plage où personne ne se ferait courser devant nos yeux par un troupeau de travestis. L'endroit était paradisiaque, essentiellement composé de larges bancs de sable qui faisaient tout le tour de l'île et de baraquements fleuris en son sein, au milieu d'une végétation luxuriante. S'il y avait bel et bien une base révolutionnaire ici, elle était bien cachée, car Kamabaka n'était pas grande pour deux sous.

La seconde option était que tous les habitants de l'île soient des révolutionnaires, auquel cas ils n'avaient nul besoin de se cacher et ce serait nous qui serions en danger. Lorsque nous fûmes suffisamment éloignés de la civilisation, je trainais l'agent jusqu'au bord de l'eau pour lui faire part de mes découvertes et mes soupçons, concluant :

« - Si nous voulons en savoir plus, il nous faut infiltrer la population locale. Et par nous, je parle évidemment de vous. »

Après tout, j'aurais très bien pu enquêter seule, mais il me manquait un élément et pas des moindres pour passer inaperçue. Depuis mon arrivée, ça avait été la découverte : une île peuplée d'hommes vêtus et maquillés comme des femmes. Alors, il me fallait un passe-partout.

« - J'ai un baraquement au centre de l'île où nous pourrons... échanger nos vêtements ? Peut-être aurai-je plus de chances si je me fais passer pour un homme, » dis-je tout en remontant le regard vers le couvre-chef de l'agent qui me permettrait déjà de cacher la finesse de mes traits.

Comme à l'aller, je saisis la main de mon partenaire sans attendre de réponse. Il nous fallait à tout prix apparaître comme un couple, sinon il était certain que des gorilles en nuisette lui tomberaient dessus et feraient tomber notre plan à l'eau.

« - Au passage, appelez moi Elizabeth. »
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Hahahahahahahahahahahaha. C’est énorme. Je suis mort de rire. Je suis au sol.

C’est ce que je dirai si j’arrivais pas à garder une contenance et un air de taiseux. Parce qu’il faut bien admettre que c’est vachement drôle, hein. J’ai l’air d’un con, mais vraiment d’un sacré con. Parce que l’effort fourni est minime. Juste à peine de quoi se fondre dans la masse ici, mais pas un pet de plus. Et l’effort, j’ai pas trop envie de le fournir. Tout est drôle. Ma gueule maquillée à l’arrache, la robe de ma collègue que j’ai à moitié déchirée en l’enfilant, sa tête, ma tête, bref. Un beau spectacle. Je sais déjà ce que je vais mettre dans mon rapport. « Déguisement approprié », « tout en sobriété », « une infiltration rondement menée, comme à l’entraînement ». Je vais devoir mettre tout mes talents d’écrivain à l’œuvre.

En tout cas, je suis bien content de pas tenir ma propre personne en très haute estime, parce que sinon, ça m’aurait fait mal à l’égo. Le seul point chiant, c’est d’avoir ce look à côté de la demoiselle, mais au final, ça change pas grand-chose. Elle reste professionnelle, alors j’arrive pas à savoir si elle se fout de ma gueule intérieurement, ou si elle pense juste à la mission. Quoi qu’il en soit, je suis fin prêt. Elle aussi, elle remet juste mon chapeau en place sur sa tête. Un peu grand pour elle, mais ça va. Elle a un petit style comme ça, genre garçon manqué. Ou mec vachement efféminé. Moins ridicule que moi, ça c’est sûr.

« On commence par où? »

J’ai pu le voir de mes yeux, l’île est pas vraiment grande. On va devoir nouer quelques liens, écouter quelques conversations, mais rien ne me paraît vraiment insurmontable. Surtout que ma collègue, ou plutôt mon collègue maintenant, est ici depuis plus longtemps que moi, donc pour elle, pas en terrain inconnu. En tout cas, pas complètement.

Elle me regarde, droit dans les mirettes, ses yeux brillent. Elle pointe du doigt la fenêtre derrière-moi, qui offre une magnifique vue sur le mur d’en face. Dessus, placardé tout du long, des affiches pleins de paillettes, avec des jolies dessins et une police d’écriture bien flashy.

GRANDE FÊTE DE L’OIE
JEUDI SOIR
BAL, CONCOURS, JEUX, OPEN BAR

Ça m’enchante moyen, mais si y’a bien un moyen de se mêler à la population locale, c’est bien de participer à leur bal pourri. Et puis, c’est open-bar. Par contre, pas sûr de vouloir parler de ma participation à la fête de l’oie dans mon rapport, alors garde ça pour toi, d’accord?
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Je devais avouer que je peinais à garder mon sérieux. D'une certaine façon, mes vêtements allaient plutôt bien à l'agent. Le maquillage, mêlé à sa barbe, donnait un effet des plus authentiques, si bien que n'importe qui le croisant le prendrait pour un travesti de longue date, peut-être même un habitant de l'île. Sinon... la grande fête de l'oie suffirait probablement à l'introniser.

J'ajustais mon chapeau tandis que nous quittions le bungalow, direction la grande place au centre de l'île. Une belle fontaine rose, surmontée d'une statue d'oie avec des cœurs à la place des yeux pour l'occasion, elle-même surplombée par le château le plus kitsch jamais vu. Je n'avais pas vraiment eu l'occasion de me rapprocher de l'édifice jusqu'alors, souhaitant m'en tenir à une stricte activité de touriste pour ne pas éveiller de soupçons. Quand même, quelle œuvre d'art. Le « règne du bon goût » portait bien son nom.

D'ailleurs mon illustre partenaire se faisait mater comme pas possible. Lorsque nous entrâmes dans le jardin aux haies soigneusement taillées dans des formes plus clichés les unes que les autres, tous les regards se tournèrent vers lui. Enfin, elle. Il lui fallait un nom d'ailleurs.

« - Samantha. »

Coup de coude discret. L'homme-femme se tourna dans ma direction, reconnaissant alors là son nouveau blase. Nous étions sur la même longueur d'onde. Certaines paires d'yeux demeuraient aussi fixées sur moi, mais moins : je devais avoir des traits trop féminins pour intéresser les monstres de testostérone en jupe courte. J'avais donc vu juste...

« - Je te laisse faire ami-ami, je vais profiter du buffet en essayant de capter des discussions intéressantes. »

Le bon côté des choses lorsque l'on est un cyborg c'est que l'on peut profiter des petits-fours. Je restai donc là, prétendument à me goinfrer, tout en attendant que les autres participants de la fête de l'oie viennent raconter leurs meilleures histoires en se remplissant de canapés. Rapidement, cependant, je me rendis compte qu'il y avait des détails de certaines anecdotes que je ne souhaitais pas connaître...

« - ...adore ces chaussures, mais elles me font des cors au pied monstrueux. Je crois que je vais finir avec un oignon avant la fin de la soirée.

- Olala, si tu savais, moi pas plus tard que ce matin j'ai failli me brûler avec mon fer à lisser.

- Non, c'est vrai ? Incroyable. Tu devrais demander à Jérémy de te montrer, c'est. un. vrai. pro. Dis-moi, tu es au courant pour Jessica et Greg ?

- Oh mon Ivankov ouiiiii ! J'arrive pas à y croire... qu'il ait osé la tromper avec Sibylle...

- Apparemment ils se retrouvaient toutes les semaines derrière le chalet à côté du petit lac. C'est Andrew qui les a surpris... Ça ne m'étonne pas de lui, toujours en train de tourner autour de Greg.

- Un vrai petit trublion. Ivankov soit en location, tu as vu son nouveau sac à main d'ailleurs ?! »

Et ça continuait comme ça. Encore et encore, de façon pratiquement forcée. On pouvait deviner que ces hommes passaient un temps monstrueux à se faire passer pour des femmes, selon leurs propres clichés. Après tout, l'île abritait un grand nombre d'anciens pirates et renégats, pas forcément des gaillards malins ou éduqués. Ils renvoyaient l'image qu'ils se faisaient de la femme, d'une certaine façon.

Et puis je finis par percevoir, au détour d'un plateau de canapés tomate-mozza, une discussion qui semblait pour le moins intéressante entre une silhouette voilée et un homme mince aux allures moins burlesques que les autres. Par chance, je pouvais écouter leur conversation grâce à mon mantra tout en me maintenant à bonne distance.

« - Vita a eu vent de la présence d'agents du gouvernement sur l'île.

- Elle pense qu'on a été infiltrés ?

- Elle croit : une jeune femme sur l'île. La révolution a dressé un profil de cible à abattre qui lui ressemble. Elle aurait accueilli plus tôt un autre homme sur l'île, sûrement un complice. Il nous faut les retrouver et les éliminer. »

Eh bien voilà que nous étions dans de beaux draps. Il était certain, après Parisse, que la révolution devait avoir mis ma tête à prix, mais jamais j'en avais eu la confirmation jusqu'à aujourd'hui. J'étais supposée faire profil bas et me voilà au milieu d'un nid de frelons. Toutefois, nous avions une carte à jouer désormais. Et surtout, nous avions un nom.

Vita, la Reine du coin. Ses idéaux et ses motivations pour diriger son île paradisiaque coïncidaient avec la révolution, mais j'avais désormais la preuve de son inculpation. Faisant mine de me diriger vers la fontaine pour admirer la structure, je me retrouvais dos à Lewis qui entretenait visiblement une discussion houleuse avec deux dragqueens. De ce que j'entendais, les deux se disputaient à présent pour l'accompagner au bal... décidément. Un mauvais pas dont je ne pouvais pas le tirer, mais je pouvais toutefois lui donner des indications utiles :

« - La cellule révolutionnaire sait que l'on est là. Nous ne sommes plus en sécurité. Joue le jeu, quel qu'en soit le prix. »

Et le prix, il ne tarda pas à nous assourdir, lorsque le guide touristique et organisateur de l'évènement débarqua sur scène sous les feux des projecteurs et un concert d'applaudissements. C'était un homme fin à la peau noire et aux cheveux blanc-neige en forme de canon ; tout chez lui, jusqu'à son accoutrement, criait l'excentricité.

Chasse aux poulets 789632rubyrhodsupergreenbyelephantwendigod7zicou

« - Heeeeeello les filles. Je vous avais manqué ? Je vois que vous êtes nombreuses ce soir pour faire exploser le ther-mo-mètre ! Préparez-vous, la musique va bientôt vous faire vaaaalser... Mais avant, comme prévu, il est temps d'élire la Reine de la Soirée ! Alors, quels jolis minois se cachent dans la foule, mmh... ? Oh, toi, oui, toi ! Quel est ton nom ? Dis moi tout, je veux savoir où tu habites, ce que tu fais dans la vie et qui est l'heureux élu ; tu peux tout me dire ! Viens, sur scène, oui, viens sur scène ! »

Je ne pus que rester spectatrice de la situation, à mi-chemin entre la consternation et l'hystérie. En même temps que le présentateur parlait à un rythme pratiquement impossible à suivre, je suivais des yeux la cible de ses flagorneries. Non, je n'avais même pas besoin de voir de qui il s'agissait, je le savais déjà...

« - Euh... salut. Moi c'est... Samantha. »
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Ahem. Ça n’ira pas. Allez. Je me reprends. Faut y aller à fond. C’est mon moment.

3…

Inspiration. Je prend tout l’air que je peux, je me détends.

2…

Expiration. Je me plonge dans le rôle. Je suis un acteur. J’ai été formé pour ça. Je suis bon.

1…

Inspiration. Les traits de mon personnage se dessinent, en une nano-seconde, j’ai tout un background pour lui. Une nouvelle identité, avec son histoire, ses drames, ses liens, ses rêves.

0.

« Saluuuuuuuut ! Alors moi c’est Samantha ! Je viens du soixante-sept, sur les blues, on oublie pas d’où l’on vient WINK WINK ! Mon père était charpentier, alors les grosses bûches, ça me connaît ! WINK ! Mais ma mère est partie très tôt… »

Y’a un grand Awwwwwww dans la foule, hop là j’ai gagné leur cœur, c’est ça, la manipulation by Cipher Pol.

« En tout cas je suis graaave contente d’être là, avec vous mes amis, ça fait tellement longtemps que je rêve de ce bal, mais alors jamais mais JAMAIS je me vois reine quoi, c’est trop d’honneur en plus y’a genre TROP TROP de belles filles ce soir ohlala ! J’espère que je serai à la hauteur quoi mais ça va pas être faciiiile… Mais j’ai de la chance les filles, parce que je suis accompagné de mon doudou <3 Mon chéri d’amour, mon bichon, mon chaton, mon miel en sucre, Brandon ! Viens, sois pas timide mon nounours !! »

Bien sûr que je pointe du doigt ma partenaire, c’est évident. Y’a pas de raison que je sois le seul à me faire chier, quand même, si? En plus, un beau jeune homme comme ça, il risque d’avoir du succès. Tout le monde va être jaloux. Elle grimpe sur scène, je sais pas si elle est timide, mais en tout cas ça se voit pas, elle reste parfaitement neutre. Une vraie agente, quoi. Le présentateur de la soirée l’applaudit, et bientôt c’est toutes les filles du bal qui l’applaudissent en cœur. Je vois quelques regards pleins de jalousie.

« Vous êtes tout les deux ma-gni-fi-que ! Dites… Que diriez vous de nous interpréter une petite chanson, maintenant? »

Bah putain manquait plus que ça. Faut pas se laisser décontenancer Thomas, donne tout.

« Avec mon Brandichou chéri, on va vous interpréter la chanson de notre cœur, c’est sur cette chanson qu’on s’est rencontré et qu’on s’est embrassé la première fois !
- Awwwwwwwwwwwwwwwwwwww ! »

Je suis tout simplement trop fort. C’est même trop facile. Je savais que ce module de formation de manipulation psychologique aux Bureaux servirait un jour.

« Elle s’intitule On va s’aimer, par un artiste que Brandon aime beaucoup pour sa vision du monde ! »

Y’a une petite troupe de musique qui jouait un air de fond depuis le début de la soirée, ils s’accordent entre eux, puis commencent à jouer une petite mélodie, et bien évidemment, nous, on se met à chanter.

On va s’aimer, sur une étoile ou…

Pendant qu’on chante en duo, plus ou moins synchro, je regarde la foule, puis je donne un léger coup de coude à ma/mon partenaire, discretos. Devant nous, derrière le peuple qui bougent les fesses sur le rythme de notre chanson, y’a plusieurs okamas qui nous regardent d’un mauvais œil, qui nous pointent du doigt, qui parle entre eux.

Dans un avion, sur le pont d’un bateau…

Je peux déjà deviner ce qu’ils se disent. « C’est eux, tu penses? », « J’sais pas, d’après la boss c’est possible », « Mais ils ont l’air trop mignon, nan? » « Ouais… Pas sûr que ça soit eux… » « Mais dans le doute, hein... »

A s’envoler, toujours toujours plus haut…

Déguerpir maintenant, c’est le truc le plus suspect qu’on pourrait faire. Rester plantés ici, c’est le truc le plus dangereux qu’on pourrait faire. Les gros bras s’approchent un peu de la scène.

Se réchauffer au cœur des banquises…

Je sais pas ce que ma partenaire pense, mais elle me fixe du regard. Faut que je trouve quelque chose. J’ai une idée.

On va s’aimer, j’aime que…

« Oh ! »

C’est la foule qui s’exclame, quand je tombe au sol, dans un mouvement trop théâtrale pour être vrai, mais ici, ça passe. La main sur le front, tout. Je m’écroule comme une merde. Les gens s’approchent, paniquent un peu, le présentateur essaie de calmer la foule. Les gros bras, eux, se perdent dans l’amas de gens.

« Oh non, ma chérie ! S’exclame Brandon. Il faut l’amener dans un endroit calme, vite ! »
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Un brancard ? Non, une ambulance, une charrette décorée qui aurait sûrement dû servir à quelque chose d'autre pour l'occasion, par exemple escorter un couple de mariés, mais sur lequel nous avions allongée « Samantha » pour l'emmener vers le...

« - Où se trouve l'hôpital le plus proche ? Je... je crois que ma Samantha-love va accoucher !

- Hein ?! »

Gros. Trop gros, mais suffisamment gros pour que ça passe. Il fallait oublier la logique car la logique elle-même nous oubliait sur cette île. Après tout, Kamabakka était le Royaume de tous les possibles et les prodiges existaient : on avait déjà vu des enfants naître à quatre ans. Enfin, apparemment.

« - Euh, y'a pas d'hôpital, mais Renée sait s'y prendre ! Elle habite sur la côte... »

Deux loubards qui nous avaient aidés à échapper à la scène, l'un... l'une des deux peinant à cacher ses émotions ; c'était le présentateur, on l'appelait derrière mais étrangement il n'y prêtait pas attention. Face à un individu pareil, il fallait donner dans la surenchère, je le saisis donc et, voyant du coin de l’œil que nos détracteurs se rapprochaient dangereusement, serrai mes paumes profondément dans ses épaules.

« - Écoute, je vais être papa !

- Ouiiiiiiiiiii !!!

- Alors on se grouille ! » intimai-je presque sévèrement en poussant la diva sur le devant du carrosse, l'embarquant dans l'affaire le temps de nous sortir d'ici.

Tandis que nous montions, mon regard se posa un peu plus sur l'attirail : deux chevaux blancs attelés à un char rose et blanc couvert de fleurs et surmonté d'un gigantesque cœur rose aux illuminations pulsant une seconde sur deux. C'était bien, c'était très bien. Bordel, dans quelle merde noire nous étions-nous mis ?

Cherchant la crédibilité, je jetais ma main vers l'arrière de la charrette pour apporter un peu de réconfort à ma « femme », en vérité un poignard sorti de ma manche, tandis que l'énergumène faisait fouetter les rennes de l'attelage, saisissant bien l'urgence de la situation. Un sourire niais éclairait son visage, je sentais qu'il nous casserait bientôt les oreilles avec ses questions, aussi j'avisais :

« - Écoute mon... ma belle, il faut faire vite, je crois qu'elle vient de... perdre les eaux !

- Q-quoi ? C'est pas vrai ? Oh mon Ivankov, voilà que je me retrouve maîtresse de la situation. Vous pouvez me faire confiance les petits chéris, je vais vous amener à la doctoresse en un temps re-cord. »

Wink. N-non, ne fais pas ça. Mais il réitéra, voyant mon air dégouté, comme si je n'avais pas compris la première fois. Je reportais mon attention vers Lewis qui faisait semblant d'être à l'agonie, ne retrouvant absolument pas les prémices de mon accouchement dans son petit jeu d'acteur :

« - Tu en fais trop, » chuchotais-je en me contorsionnant au-dessus de mon dossier pour ne pas être entendue par... par...

« - C'est quoi votre nom au fait ?

- Moi c'est Tiger ! Mais tous mes amis me surnomment La Tigresse.

- C'est plus long non ?

- Oui, mais c'est green. »

Il était bouillant, incandescent. Son excitation suait à travers tous ses pores, il ne faisait désormais aucun doute qu'il s'était engagé là-dedans volontairement, sûrement pas pour échapper à la foule mais plutôt pour être témoin d'un évènement hors du commun. Il nous faudrait nous débarrasser de lui à mi-chemin si nous ne voulions pas nous retrouver à devoir lui présenter notre beau bébé.

« - J'ai hâte de voir votre beau bébé, » se mit-il à chialer soudainement.

« - C'est bien ce que j'imaginais... »

La vitesse à laquelle fonçaient les étalons qui nous tractaient était démentielle ; un véritable nuage de poussière formait la traine de notre voiture. Pourtant, je pouvais apercevoir des silhouettes dans le brouillard... loin tout d'abord, puis de plus en plus proches, courant à la vitesse des chevaux sinon plus vite encore.

« - Bordel de m... Mercredi. Nous voulons l'appeler Mercredi. C'est encore loin chez le docteur ?

- Quel merveilleux nom ! Non, regardez, c'est juste là, le petit chalet rose. »

Beurk. Beurk, beurk, beurk. La fête de l'oie c'était quelque chose, mais là... Visiblement, Renée avait deux passions : le kitsch et le pain d'épice. Imaginez désormais un mélange des deux... voilà. Oubliez tout désormais, supprimez le de votre mémoire à tout jamais, comme je me forçais à ne pas reluquer davantage les détails du bois taillé en constellations de cœurs et peint en rose, les ardoises se finissant en silhouettes de petits bonhommes. Non.

En revanche, derrière la maison se trouvait le débarcadère où mouillait encore le navire de croisière par lequel était arrivé mon partenaire. Si nous parvenions à le rejoindre avant qu'il ne quitte l'île, nous pourrions oublier cet enfer sans avoir à utiliser la force. D'autant plus que j'étais incapable de jauger les okamas et que ceux-ci m'effrayaient plus par leur apparence qu'autre chose ; je ne voulais pas me retrouver paralysée au moment du combat.

« - Brandon chéri ? Je crois que l'on s'est fait des fans...

- Ta gueule. Ahem. J'ai vu m'amour, j'ai vu.  »

Le troupeau entier qui nous coursait s'était dangereusement rapproché. Je m'évertuais à garder l'attention de Tiger ailleurs pour qu'il continue à ne rien remarquer :

« - Alors euh... cela fait longtemps que vous êtes...

- Guide touristique tu veux dire ? Mon chéri, aider les gens c'est ma pas-sion. J'en rêve depuis que je suis toute petite ! Mais voilà des années que l'endroit est calme, les gens n'osent pas mettre le pied sur l'île. Alors on s'occupe comme on peut, on fait le show, on anime les fêtes. Si vous saviez comme ça me fait plaisir d'être là avec vous aujourd'hui... »

Ah non, ce n'était pas ma question, moi je voulais savoir depuis quand c'était une « femme ». Mais tant mieux, cela le gardait occupé. Il me détaillait à présent toute sa carrière, me parlait des petits tracas quotidiens, de la difficulté, tandis que la charrette se garait en double-file à côté d'une carriole plus adaptée au transport de blessés. Visiblement Renée faisait aussi ambulancière à mi-temps.

Sans perdre plus de temps en discussions inutiles, je mis pied à terre et feignis d'aider Samantha à se redresser pour se rendre jusqu'à la porte. Entre temps, Tiger avait déjà toqué et tapait la causette avec la... Oh mon dieu qu'est-ce que c'est que ce machin ?

« - Bonjouw les petits chewis moi c'est Wenée, alows comme ça on attend un heuweux évènement ? »

Un pachyderme, aussi haut que large, avec une tronche à faire pâlir un hippopotame. Peut-être était-ce le maquillage ou peut-être la fameuse Renée avait mangé un Zoan avant de nous recevoir, mais cela ne pouvait pas être humain. Cela ne devait pas. Lewis et moi demeurâmes transis quelques secondes jusqu'à ce que je retrouve mes esprits et ne force un peu :

« - Euh, oui. Rentrons d'abord et aidons ma Sammy-chou à s'allonger. Voilà... »

Traversant le vestibule et atterrissant au milieu d'un salon richement décoré, atroce, j'avisais un canapé au motif léopard et y allongeais ma « femme ». Voilà, étape un réussie, maintenant il nous fallait leurrer les deux okamas et nous échapper d'ici.
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« Brandon… Mon amour... 
- Garde tes forces ma chérie ! »

Je sue. Pour de vrai. Mon maquillage va commencer à partir, ça va être la merde, mais j’ai chaud, et je fais tellement semblant de souffrir et d’avoir des contractions que j’ai l’impression de commencer à en vraiment en avoir. Puis l’endroit me file la gerbe aussi.

« Owlala je sens que le petit awwive ! »

Ouais, le petit, ouais. J’en étais où, moi? Ah, oui. Faut aller jusqu’au bout du truc. C’est le seul échappatoire. Les types qui nous collent au cul vont pas tarder à arriver, c’est qu’une question de minutes, à peine.

« Bran...Brandon… Approche toi mon lapin…
- Quoi Samantha-chan? Qu’est-ce que tu branles?
- Je… Je sens mes forces me quitter.
- Oh non non non je wefuse ! Je ne vous laissewai pas me claquer entwe les doigts ! »

Je manque de dégueuler sur l’oreiller sur lequel on vient de poser ma gueule. Tu vois, j’ai déjà posé le pied sur des îles faites rien qu’en caillou, rien qu’en sable, des îles couvertes de bâtiments de pierres, et celle-ci, elle est faites en cliché, et en rien d’autre. C’est l’unique matière qui la forme. Renée, elle est quand même sympa, elle écoute ma respiration, dissipe un peu d’encens dans la pièce, court à droite à gauche pour aller me chercher du linge froid. Mais mon œil d’agent ne me trompe pas. Son accent provient de nul part. Tout chez cette personne est faux. Sa maison l’est sûrement aussi. Je serai même pas surpris de découvrir que c’est un atout de la révolution.

« Bwandon, enfin je veux dire, Brandon… il faut... euh... »

Mon époux se retourne, y’a Renée qui nous fixe, une pile de serviette dans les bras, et la Tigresse qui nous fait les gros yeux, dans l’encadrement de la porte du salon dans lequel on m’a déposé à la hâte.

« Je… J’ai besoin de parler à mon épouse, en privé s’il vous plait, elle… elle est… 
- Ohlala mais je vous laisse pas comme ça moi ! Hows de question !
- Alors tournez vous.
- Bon, bon… d’accowd... »

Ce qui suit relève probablement de l’invention de la télépathie, je ne vois que ça. Par un habile jeu de regard, je converse avec mon mari. Aucun mot n’est prononcé, si ce n’est des chuchotements. Qui ne veulent rien dire, on se contente de psst psster rapidement, parce que tu vois, Renée, elle a les oreilles grosses comme des patates. Et à l’ouïe aguerrie, ça se voit, ça se sent. Pas question de parler d’un plan d’attaque avec elle à côté. Brandon lève un sourcil, ses yeux se dilatent d’environ un nano-millimètre. J’interprète ça comme « t’as une idée pour nous sortir de là? ». Une idée. Oui. Je fais bouger ma lèvre du haut, je ferme à demi-moitié l’œil droit, je vois que Brandon se concentre. Nos esprits se lient. Ca doit être ça, le véritable amour. Et là, elle comprends. Puis s’écrie :

« Vite ! Iel a besoin de… d’un linge de maison rose, un rose bien pétant, et… d’une bougie parfumée à l’eucalyptus.
- Quoi? Mais mon chéwi tu pewds la tête on a pas le temps pouw tout ça…
- Il le faut ! Sinon ça ne va pas, ohlala non ! On a tout prévu, dans notre livret, on a pas pu avoir notre sage-femme attitrée, bon ça ok, mais si il manque encore… ohlala non ça ne va PAS. Notre enfant ne peut pas naître dans de telles conditions… »

Là, mon mari pose ses deux mains sur les épaules larges de Renée, il plonge son regard dans le sien, sonde son âme. Renée s’attendrie, elle comprend, une naissance, c’est sacrée, faut pas faire ça n’importe comment. Elle se rue dans le couloir, bouge des trucs, ouvre des tiroirs, renverse la moitié du contenu. Mon mari revient vers moi, me prend la main.

« M...merci… Et… maintenant… »

Ca toque à la porte d’entrée. Ca tambourine, même. On échange un regard, La Tigresse nous regarde, mi curieuse, mi paniquée par ces évènements. Ca toque encore plus fort. De loin, je vois une forme de tête qui se colle contre une des fenêtres.

Brandon prend mon oreiller et le balance de toutes ses forces contre La Tigresse, dont la tête rebondit contre un mur. Dans la pièce d’à côté, une voix parvient jusqu’à nos oreilles.

« Qu’est-ce que c’est que ce bowdel encowe… »

Le sol tremble, il faut partir d’ici. Je me relève, mon maquillage dégouline contre le pauvre canapé. Je donne un coup de coude dans la vitre derrière-moi, qui explose en mille morceaux. La porte vole en éclat au même moment.

« Eh oh on wentwe pas chez les gens comme ça voyons c’est quoi ces manièwes !
- Pardon madame, mais nous... »

Déjà loin au dehors, on parvient pas à entendre la suite de la conversation.
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Hors de portée, loin de cette île de fous, nous reprenions notre souffle. Le navire de croisière offrait une sorte de sanctuaire dans lequel d'autres passagers avant nous s'étaient réfugiés à peine après avoir posé un pied sur l'île. Nous paraissions pour être de ceux-là, quand bien même il m'avait fallu sprinter et voler jusqu'au bateau en multiples bonds aériens successifs. Je m'étais fatiguée ; voilà longtemps que je n'avais pas fait autant d'exercice.

« - Pffrrtt, regarde Charles-André, il y a des okamas à bord.

- Chut Justine, tais-toi, tu risques de les attirer... »

Bon, peut-être que nous ne nous mélangions pas aussi bien qu'escompté. Toutefois, le vaisseau avait terminé son escale et s'apprêtait à lever l'ancre. Des hommes-femmes barbus et musclés se bousculaient sur les docks, ils voulaient monter à bord. Naturellement, l'équipage s'activa d'autant plus vite pour s'assurer que cela ne se fasse pas. Pourtant, il me sembla voir, l'espace d'un instant, une silhouette se risquer à sauter à l'eau. Ils étaient tenaces, les bougres.

« - Nous voilà en sécurité, Saman... Thomas... euh, agent Lewis. »

Échange de regards étranges, le pauvre homme retira la main qu'il conservait posée sur son abdomen comme s'il mimait encore sa grossesse. Tout cela était fini. Je ne pus réprimer un petit rire. Un rire qui se mua en une violente crise de nerfs, à laquelle l'homme réagit de façon similaire. À quoi venions-nous d'échapper réellement ? Quel supplice ces révolutionnaires okama nous réservaient-ils ? Je préférais ne pas savoir, mais tout cela laissait une marque à la fois drôle et épouvantable. Des moments que je n'aurais jamais cru vivre, quand bien même la mission était un échec. Nos deux rapports ne seraient pas brillants et il était possible que Lewis se fasse passer un savon. Pas moi, j'étais le chef de mon pôle ; Figura aurait d'autre chats à fouetter que me faire des remontrances sur une mission de reconnaissance ratée à Kamabaka. Du moins, c'était ce que je pensais...

Le bâtiment de Tortuga Croisière sur lequel nous avions embarqué était imposant ; nous n'en avions exploré qu'un des innombrables ponts que nous avions rejoint par les airs. Mon coéquipier s'était d'ailleurs mangé la balustrade et arborait une marque rectangulaire sur le front. Il fallait dire que son rokushiki n'était pas au point et que j'avais dû le trimbaler jusque là, presque manu militari.

« - Je ne suis toujours pas sûr que c'était la meilleure solution.

- Non, mais c'était le seul moyen d'échapper à ces gorilles.

- Regarde papa...

- Qu'est-ce que je vais dire à mon coordinateur...

- ...il est marrant le monsieur...

- La vérité. Que dire d'autre ? Peut-être que cela vaudrait le coup d'éplucher les dossiers des autres agents qui ont dû s'infiltrer sur l'île. Je ne pense pas qu'ils aient mieux réussi que nous...

- ...il a un tuyau dans les cheveux. »

Un mauvais pressentiment m'habitait. Comme l'impression que nous n'avions pas échappé au danger, qu'il venait de nous rattraper dans la scène post-crédits. Un cliffhanger, là, maintenant pour laisser le public en haline. L'ombre d'un homme de haute stature qui laissait derrière lui une traînée d'eau sur le plancher du pont. Il ne put s'empêcher de faire une pose devant le bambin, sortant un micro de nulle part, prêt à s'en servir. Où avait-il déniché ça ? Sur le navire ?

Je poursuivais innocemment, ignorant la menace, conservant mon attention sur l'agent auquel je servais les éléments qu'il pourrait intégrer dans son rapport. Lui notait assidûment dans son petit calepin. Pas même le bruit d'un micro que l'on tapote de l'index ne nous mit la puce à l'oreille, ni le son strident qui s'en suivit lorsque le speaker le porta soudainement à sa bouche.

« - ...d'ailleurs ce n'est pas pour rien que le coin demeure un bastion de la révolution. Trop de fac-

- Alors les p'tits loups, on se fait la malle ?! Bon sang, votre fuite comme ça, toute cette aventure, c'était tellement green ! »

Mon cœur artificiel manqua un battement, Lewis faillit de peu passer par-dessus la rambarde contre laquelle il s'était adossé. Qu'est-ce qu'il fichait là lui ? Pourquoi il n'était pas sur l'île ? Puis je fis le lien, voyant sa perruque tirer la tronche, tomber mollement sur son front. Il n'en restait pas moins survitaminé, un sourire colgate tandis qu'il s'avançait dans notre direction en se dandinant et en débitant un flot continu de conneries.

« - Vous. N'êtes. Pas. Prêts les petits bichons. Vous pensiez que la Tigresse n'avait pas vu clair dans votre jeu depuis le début ? Bien sûr que je savais que vous nous faisiez marcher ! La vérité, c'est que j'avais besoin d'un peu d'air, d'un peu de nouveauté. Et puis je me suis dit : pourquoi pas les suivre hein, ma grande ? Pourquoi pas te risquer toi aussi à découvrir le monde, être un agent secret. Vous ne pensez pas que ça m'irait comme un gant, hein ? »

Micro tendu en direction de Lewis, celui-ci reste de marbre :

« - Euh...

- Eh bien si ! Une actrice comme moi, ça rêve de meilleurs rôles, ça veut se produire dans tous les royaumes du monde. Honnêtement, j'ai flashé sur vous, vous m'avez vendu du rêve. Alors s'il-vous-plaît, embarquez moi avec vous. Dites oui, dites oui, dites oui ! Dites leur, mes chéris !

- Allez dites oui !!! »

Il avait enthousiasmé les voyageurs : comment avait-il fait ça ? Le public attendait notre réponse. Cette fois-ci, le micro se pencha jusqu'à venir se coller à ma bouche. Nouveau bruit de marbrure brisée dans les enceintes du Tortuga Croisière devant mon silence, ponctué par un :

« - Non.

- Tss. Brandon, Brandon, Brandon, tu te moques de moi ?! Il va falloir être plus convaincant là, on est sur scène. Tu ne peux pas lâcher un mot comme ça, le public a besoin d'être diverti. Il a besoin d'étoiles, il a besoin de green, il a besoin de moi. Allez, c'est pas grave pour avoir une réponse aujourd'hui, on retentera demain.

- Ooooh... »

La foule se disloqua, l'homme coupa son micro. Il avisa un marin, un garçon de salle qui passait par là. Il glissa jusqu'à lui et planta ses yeux dans les siens, lui susurrant à une vitesse impressionnante des mots doux que nul autre ne pouvait entendre à part eux. J'étais sûre qu'il s'agissait de quelque chose comme : « Dans ma chambre, cette nuit, toi et moi bébé on va aller tutoyer les dieux. » Je ne voulais pas réellement en savoir plus, d'ailleurs je m'efforçais d'effacer cette pensée de mon crâne. Quinze secondes avaient suffit pour faire fondre le groom et le faire déguerpir en vitesse, au bord de la pâmoison.

Lewis me dévisageait avec des yeux de merlan fris : tout cela n'était pas prévu dans le plan. L'okama voulait rejoindre les rangs du gouvernement ? Il lui faudrait sûrement passer une batterie de tests et d'examens pour prouver sa loyauté et sa... stabilité. Par chance, le drôle d'oiseau ne me suivrait pas au CP9, toutefois je n'hésitais pas une seconde à le pousser dans les bras de mon partenaire :

« - Nouvelle mission pour toi, Lewis : occupe-toi de la nouvelle recrue, surtout ne le quitte pas des yeux. Moi, je vais aller me dorer la pilule sur les transats du pont supérieur. Si tu me cherches, ne me trouve pas. Bon courage ! »

Restait le pauvre agent du CP4, hagard, avec son carnet et son stylo, que Tiger rejoignit en s'étonnant de la disparition de sa partenaire. Il ne répondit rien car il n'y avait rien à répondre : il venait de se faire avoir comme un bleu.

« - Alors, monsieur l'agent, par quoi on commence ? Est-ce qu'il y a, par exemple, des entrainements que je dois faire chaque matin avant le petit déjeuner ou bien un état d'esprit à adopter ? Peut-être que certains clients à bord sont des criminels, est-ce que l'on ne devrait pas enquêter ? Dites-moi tout, je serai votre élève, je boirai vos paroles. Aaah, tout ça, toute cette excitation, c'est tellement... green ! »
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