Le royaume de Bliss était l’un des plus grands états membre du gouvernement mondial. L’île sur laquelle il se trouvait était la plus grande, et de loin, de tout South Blue : deux royaumes s’en disputaient la domination, chacun de ces deux colosses rendant n’importe quel autre partie de ce quart du monde négligeable en comparaison, au point que certains penseur réfléchissait à donner à cet endroit le statut unique de « continent ». Mais comme la plupart des élites vivaient sur Red Line, le seul continent actuellement reconnu, il était peu probable qu’un titre similaire lui soit jamais accordé. Après tout, chacun veut garder ce qui le rend unique. De toute façon, même dans ces mesures, Red Line restait immense.
Sur cette moitié de pseudo-continent, donc, se tenait le royaume de Bliss, longtemps champion incontesté de la construction navale. Cet état de fait avait depuis longtemps conduit les habitants à se concentrer dans la mégapole tentaculaire et cœur économique et politique de l’endroit qu’était la capitale. Le chantier avait pendant des siècles fait plier l’île et l’île avait nourri le chantier de son travail, de ses talents et de son sang. Dans un large rayon autour de ce monstre avide, tout n’existait que pour la nourrir. Des réseaux de fermes, d’élevages et de paysans en formaient la première ligne tandis que, plus loin, des exploitations de bois, de pierre et de métaux plus sporadiques, la plupart de ces matières premières arrivant par la mer. En s’éloignant encore, on finissait enfin par tomber sur d’autres villes qui existaient que pour elle-même, et non plus pour servir la bête. C’était là de petites bourgades qui atteignaient difficilement quelques milliers d’âmes. Eloignées physiquement du pouvoir autant que de ses intérêts, l’endroit avait eu à plusieurs reprises dans son histoire subis de profondes incursions de pillards en tout genre.
En réponse, les villes s’étaient resserrées et fortifiées. Qu’un voleur entre dans l’enceinte, il y était piégé. Qu’une bande se présente aux portes, elle devait être prête à en tenir le siège. Les enceintes de pierres et de bois faisaient, depuis plus de trois générations, un travail d’intimidation des plus efficace. Ces hommes des petites villes ne connaissaient bien souvent des bandits que ce que leur en avaient raconté leurs grands-parents. Dans les greniers et les râteliers des tours de garde, les lames avaient perdu leur fil face aux assauts infinis de la rouille et les arcs même, qui avaient fait perdre le sommeil à plus d’un téméraire, avaient aujourd’hui des cordes détendues.
Mais les hommes de la troisième couronne n’étaient pas les seuls à perdre de leur superbe. Depuis plusieurs années maintenant, les chantiers de la capitale perdaient lentement en vitesse, dépassés par la compétition et par le temps. Le pays de Bliss tout entier entrait lentement dans la deuxième partie de la descente de son apogée : celle qui montre au monde que les problèmes ne sont pas de simples revers mais que la gloire s’en était allé, ne laissant que des arcs de triomphe recouverts d’une fine couche d’or. Arrivé à ce point de son histoire, un pays ne pouvait que sombrer, plus au moins rapidement, jusqu’à ce que le peuple lui-même ne puisse plus refuser de voir l’évidence quand l’édifice commencerait à s’effondrer tout entier. Il ne resterait alors comme option que de tout reconstruire, ou de partir vers un meilleur ailleurs.
Ewen n’était pas une fine politique et encore moins une maitre historienne. Mais elle savait écouter, et voir. Et, sur sa route à travers les landes, elle avait parlé avec les hommes, écoutée les femmes, accompagnée les plus jeunes à la chasse. Tous les maîtres voleurs savaient inspirer la confiance par leur seule présence aussi les gens finissait-il toujours par leur en dire plus que ce qu’il voulait. Et bien souvent, pour qui savait lire les corps et les silences, bien plus que ce qu’ils ne pensaient avoir dit. Elle n’était pas de ces derniers mais, même ainsi, avait appris beaucoup sur l’endroit.
Si elle était assez certaine de la qualité de ses observations sur l’état actuel du royaume, ses conclusions étaient plus branlantes, se reposant principalement sur son intuition et le peu dont elle se rappelait de ses cours d’histoire. Beaucoup de spéculation mais peu de certitudes, donc.
Cette étape de son voyage s’achevait bientôt alors que les contreforts des montagnes qui formaient la deuxième couronne étendaient leur ombre sur les villages qu’elle traversait. Le paysage s’escarpait rapidement et elle allait devoir compter sur une carte qu’elle avait récupérée, pour une fois de manière légale, pour se diriger et trouver les cols sans attendre d’être au sommet des monts déchiquetés pour voir le chemin qu’elle aurait pu prendre.
En fait, les gens des steppes n’étaient pas souvent riches, aussi s’était-elle abstenue de récupérer sur eux sa dîme de passage, vivant de son travail et de ses maigres économies ; elle avait somme toute vécu comme une aventurière classique. Dans les couronnes intérieures ou l’hospitalité était bien moins de mise, son travail ne serait plus suffisant et ses économies trop faibles pour la supporter. Riches ou pas, elle allait devoir reprendre les bonnes vieilles habitudes.
Sur cette moitié de pseudo-continent, donc, se tenait le royaume de Bliss, longtemps champion incontesté de la construction navale. Cet état de fait avait depuis longtemps conduit les habitants à se concentrer dans la mégapole tentaculaire et cœur économique et politique de l’endroit qu’était la capitale. Le chantier avait pendant des siècles fait plier l’île et l’île avait nourri le chantier de son travail, de ses talents et de son sang. Dans un large rayon autour de ce monstre avide, tout n’existait que pour la nourrir. Des réseaux de fermes, d’élevages et de paysans en formaient la première ligne tandis que, plus loin, des exploitations de bois, de pierre et de métaux plus sporadiques, la plupart de ces matières premières arrivant par la mer. En s’éloignant encore, on finissait enfin par tomber sur d’autres villes qui existaient que pour elle-même, et non plus pour servir la bête. C’était là de petites bourgades qui atteignaient difficilement quelques milliers d’âmes. Eloignées physiquement du pouvoir autant que de ses intérêts, l’endroit avait eu à plusieurs reprises dans son histoire subis de profondes incursions de pillards en tout genre.
En réponse, les villes s’étaient resserrées et fortifiées. Qu’un voleur entre dans l’enceinte, il y était piégé. Qu’une bande se présente aux portes, elle devait être prête à en tenir le siège. Les enceintes de pierres et de bois faisaient, depuis plus de trois générations, un travail d’intimidation des plus efficace. Ces hommes des petites villes ne connaissaient bien souvent des bandits que ce que leur en avaient raconté leurs grands-parents. Dans les greniers et les râteliers des tours de garde, les lames avaient perdu leur fil face aux assauts infinis de la rouille et les arcs même, qui avaient fait perdre le sommeil à plus d’un téméraire, avaient aujourd’hui des cordes détendues.
Mais les hommes de la troisième couronne n’étaient pas les seuls à perdre de leur superbe. Depuis plusieurs années maintenant, les chantiers de la capitale perdaient lentement en vitesse, dépassés par la compétition et par le temps. Le pays de Bliss tout entier entrait lentement dans la deuxième partie de la descente de son apogée : celle qui montre au monde que les problèmes ne sont pas de simples revers mais que la gloire s’en était allé, ne laissant que des arcs de triomphe recouverts d’une fine couche d’or. Arrivé à ce point de son histoire, un pays ne pouvait que sombrer, plus au moins rapidement, jusqu’à ce que le peuple lui-même ne puisse plus refuser de voir l’évidence quand l’édifice commencerait à s’effondrer tout entier. Il ne resterait alors comme option que de tout reconstruire, ou de partir vers un meilleur ailleurs.
Ewen n’était pas une fine politique et encore moins une maitre historienne. Mais elle savait écouter, et voir. Et, sur sa route à travers les landes, elle avait parlé avec les hommes, écoutée les femmes, accompagnée les plus jeunes à la chasse. Tous les maîtres voleurs savaient inspirer la confiance par leur seule présence aussi les gens finissait-il toujours par leur en dire plus que ce qu’il voulait. Et bien souvent, pour qui savait lire les corps et les silences, bien plus que ce qu’ils ne pensaient avoir dit. Elle n’était pas de ces derniers mais, même ainsi, avait appris beaucoup sur l’endroit.
Si elle était assez certaine de la qualité de ses observations sur l’état actuel du royaume, ses conclusions étaient plus branlantes, se reposant principalement sur son intuition et le peu dont elle se rappelait de ses cours d’histoire. Beaucoup de spéculation mais peu de certitudes, donc.
Cette étape de son voyage s’achevait bientôt alors que les contreforts des montagnes qui formaient la deuxième couronne étendaient leur ombre sur les villages qu’elle traversait. Le paysage s’escarpait rapidement et elle allait devoir compter sur une carte qu’elle avait récupérée, pour une fois de manière légale, pour se diriger et trouver les cols sans attendre d’être au sommet des monts déchiquetés pour voir le chemin qu’elle aurait pu prendre.
En fait, les gens des steppes n’étaient pas souvent riches, aussi s’était-elle abstenue de récupérer sur eux sa dîme de passage, vivant de son travail et de ses maigres économies ; elle avait somme toute vécu comme une aventurière classique. Dans les couronnes intérieures ou l’hospitalité était bien moins de mise, son travail ne serait plus suffisant et ses économies trop faibles pour la supporter. Riches ou pas, elle allait devoir reprendre les bonnes vieilles habitudes.