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Baptême du feu

La forteresse d'Hexiguel:
Dans les épisodes précédents:

Fente ! Parade, riposte. Blocage… Pas de retrait. Charge ! Pivot, contre-attaque !

Dans l’une des salles d’armes de la forteresse troglodyte, les deux sous-lieutenants de la section Alpha, Rachel Syracuse et Mark Severn, se livraient à un duel d’entraînement des plus acharnés. Mark se battait avec un bâton censé être une lance, le bout peinturluré de rouge symbolisant la pointe, tandis que Rachel se dépatouillait avec une réplique de sabre d’abordage en bois. L’imposante albinos rendait cinquante centimètres de plus au lancier, ce qui lui permettait de compenser partiellement le manque d’allonge du sabre sur la lance. Techniquement, elle avait ses chances. Une manière polie de dire que le match n’était pas résolument à sens unique, vu qu’elle en chiait quand même nettement plus que son homologue…

Cela faisait bien deux bonnes minutes que le duel avait commencé et Rachel était déjà en nage. Elle était trop contrainte à la défensive et cela l’épuisait plus vite que son adversaire. Elle n’arrivait à tenir tête à Mark qu’en sacrifiant constamment sa position et le jeune lieutenant ne cessait de la faire reculer encore et encore et encore. Elle avait bien dû faire déjà deux fois le tour de la salle sous ses assauts. La jeune femme sentit la moutarde commencer à lui monter au nez. Pas question de continuer à se faire gentiment bouffer sans rien faire. Il était temps d’envisager des solutions moins orthodoxes si elle voulait l’emporter.

Nouvelle fente de son adversaire. Rachel attrapa son arme à deux mains et frappa la "pointe" de la lance de toutes ses forces. Celle-ci se décala d’à peine dix centimètres. Mark avait une force peu commune : essayer de dévier son arme équivalait à tenter de repousser un mur. L’intervalle fut néanmoins suffisant pour que Rachel esquive l’attaque et parvienne à changer sa prise de main sur son sabre par la même occasion. Fini la prise classique : l’imposante albinos tenait maintenant l’arme à l’envers, pouce sur le pommeau, garde sous le poignet et lame courant jusqu’au coude dans le prolongement du bras.

Mark lança une nouvelle série de piques qui furent prestement contrés par de rapides mouvements de bras de l’imposante albinos. Mieux, beaucoup mieux, songea la jeune femme. Cette prise la rapprochait nettement plus de son style de combat naturel : la tatane à main nues. Elle pouvait maintenant pleinement s’appuyer sur ses réflexes issus de sa longue expérience du combat. Peut-être même que… Oui, ça se tentait même carrément, en fait !

Le lancier chargea, lançant une nouvelle estocade tout en puissance. Rachel para d’un geste du bras et la hampe de l’arme racla sur la lame du sabre. Dans le même temps, l’imposante albinos avait bondi sous l’axe d’attaque et planta un solide crochet du gauche dans la poitrine de Mark.
Ou peu s’en fallut, puisque le jeune homme eût le réflexe de bondir prestement sur le côté pour éviter l’attaque, nullement décontenancé par les différents développements de la situation : ancien homme de rang comme Rachel, le sous-lieutenant Severn possédait lui aussi une solide expérience des duels couplé à un sens du combat particulièrement affûté.

« Hééééé ! Ça vaut pas, se plaignit joyeusement Mark. Si tu commences à boxer, c’est plus de l’escrime !
_ La faute à qui ? Rétorqua gentiment Rachel dans un sourire. Ce n’est pas moi qui ait apporté une lance sur le terrain.
_ Boah, ça reste une arme, c’est civilisé. Alors que les poings, ça fait surtout bataille de chiffonniers, hein…
_ Bouge pas, j’m’en vais t’en donner, moi, du chiffonnier. »

Rachel chargea. Mark plaça consciencieusement sa pique en plein sur sa trajectoire pour qu’elle s’y empale d’elle-même. L’imposante albinos plaqua sa lame contre la hampe tout en tournoyant sur elle-même, se servant de la lance comme d’un rail pour suivre à l’aveugle son chemin. Exploitant la force centrifuge au mieux, elle lança un puissance coup de coude retourné dans la tête du Lieutenant. Surpris par la manœuvre, ce dernier parvint à se baisser in extremis pour éviter l’impact, roula sur le côté et tenta de balayer les jambes de son adversaire. Rachel déporta tout son poids sur sa jambe d’appui et encaissa le choc sans même vaciller, tout en armant un puissant coup de poing au niveau de l’épaule. La fraction de seconde plus tard, elle abattant un tonitruant crochet sur la position de Mark, qui se jeta désespérément en arrière pour l’éviter.

Une série d’applaudissements retentit de la part des quelques spectateurs présents dans la salle d’arme : après deux minutes à enchaîner retraites et reculades sans interruption, Rachel venait enfin de mettre un terme à l’implacable pression de son adversaire et même à le contraindre à reculer !

« Joli, commenta le lieutenant Severn. En comparaison, c’est vrai que l’épée et toi, ça fait deux !
_ Je t’avais pourtant bien dit que le sabre, c’était pas mon truc.
_ Ben j’ai cru que c’était juste de la fausse modestie. Genre comme pour l’Arène… On sait jamais avec toi.
_ Maieuh…
_ Bon, hé bien, puisque tu es maintenant bien à l’aise, on va pouvoir passer aux choses sérieuses ! S’enthousiasma Mark.
_ Les choses sérieuses ? Appréhenda Rachel. Quelles choses sérieuses ?
_ Les techniques spéciales, évidemment ! S’exclama joyeusement le lancier.
_ Ah oui. Les techniques spéciales… Grimaça l’imposante albinos. Les fameuses techniques spéciales…
_ Attends… T’as rien en stock ?
_ … Nop.
_ Mwohohoho, ricana Mark. C’est dommage si tu ne vas pas pouvoir suivre. Mais c’est tant mieux : tu m’as peut-être battu dans l’Arène, mais le roi des duels, ce sera moi ! »

Le lieutenant Severn se campa solidement sur ses pieds, jambes légèrement fléchies. Ça ne disait rien qui vaille à Rachel, qui se mit en garde, les yeux rivés sur les épaules de son adversaire pour ne pas perdre le moment où il allait passer à l’action. Les yeux de Mark s’étrécirent légèrement…

« L’Art de la lance : la Grande Mousson !! »

Un véritable mur d’estocs fondit sur l’imposante albinos. Un mélange flou de rouge et de marron. Une succession de frappes horizontales à grandes vitesses, mélangeant coups de pointe et coups de pommeau de la lance. Rachel recula d’un demi-pas pour se placer de profil – et offrir ainsi une cible moins large – et tenta de parer vaille que vaille la déferlante qui s’abattait sur elle.

Mark était doué, mélangeant de simples piques légères avec de violentes estocades, multipliant les feintes, alternant des coups létaux et des frappes plus bénignes. Il fallut à la jeune femme toute sa capacité de concentration et de sang-froid pour tenir le choc, se concentrant uniquement sur les coups létaux rouges au détriment de tout le reste. Et ça en faisait un paquet. Et, bénin ou pas, pommeau ou non, ça faisait mal. Rapidement des esquilles de bois se mirent à pleuvoir dru dans le sillage de sa propre lame. Bloquer les frappes létales, c’était bien gentil pour la théorie, mais dans la pratique, son sabre était en train de se faire pulvériser morceau par morceau. Rachel songea avec stupéfaction qu’avec une vraie lance, il n’était pas impossible que Mark soit en fait capable de perforer tout simplement l’acier– ainsi même que son bras ! – pour lui planter sa pointe dans la tête, la gorge ou le cœur.

L’imposante albinos serra les dents sous le déluge de coups et, oui ! On y était ! La pression implacable de la technique du lancier impliquait qu’il devait maintenir un élan et donc constamment avancer. Et il était maintenant à portée de frappe de la jeune femme. Sa ténacité avait payé : à cette distance et dans cette configuration, impossible de le louper ! Rachel arma son poing gauche, qu’elle avait gardé en réserve depuis le début de l’assaut, et frappa brutalement dans la tourmente.
Sauf qu’elle ne faucha que du vide.
Severn avait disparu !

Son regard balaya la scène en une fraction de seconde. Les spectateurs ! Ils regardaient le plafond !

Rachel leva les yeux au ciel, juste à temps pour apercevoir Mark prendre appui sur le plafond et…  

« L’Art de la lance : le Coup de Tonnerre !! »

… se jeter sur elle afin de l’embrocher d’un seul coup sauvage d’une violence titanesque.

La jeune femme ne chercha pas à fuir : avec cet angle et cette allonge, le lancier n’aurait eu aucun mal à adapter sa frappe pour la coincer. Au lieu de ça, elle attendit l’ultime moment et évita d’un cheveu la pointe par l’entremise d’un vif demi-pas circulaire.

Le bâton percuta violemment le sol, disloquant les tatamis d’entraînement et pulvérisant purement et simplement celui qui eut le funeste honneur de subir l’impact de plein fouet. Au bruit sonore qui retentit, il n’était pas impossible que Mark eût même endommager le sol de pierre de la forteresse troglodyte. Mais Rachel ne perçut rien de tout ça. Toute sa concentration, toute son attention était pleinement focalisée sur son adversaire, à moins de dix centimètres d’elle.
Une occasion inespérée.
Sa proie venait de creuser sa propre tombe d’elle-même.

Mark cilla en croisant le regard triomphant de sa partenaire. À une distance aussi courte, il ne pouvait pas faire grand-chose. Mais elle non plus, pas vrai ? C’est donc avec une certaine sidération qu’il perçut l’épaule droite de Rachel qui s’affaissait légèrement, annonciateur d’un coup de poing. Ridicule : avec à peine dix centimètres d’amplitude, qu’est-ce qu’elle pouvait bien rassembler comme puissance ?
Heureusement, ses réflexes de survie forgés dans maints affrontements serrés réagirent sans attendre que son esprit déconnecté ne réalise pleinement l’ampleur de la menace. Oui, un simple coup de poing n’avait aucune latitude pour porter un coup sérieux sur dix centimètres. À moins de ruser. À moins d’exploiter au maximum tout son potentiel corporel.
En un instant, Rachel pivota sur elle-même, un mouvement de rotation complet qui partait du bout de ses doigts de pieds jusqu’au hanche, remontant le long du dos pour atteindre les épaules. Alors que son poing amorçait son mouvement, son corps se recroquevilla, se tassa sur lui-même à la manière d’un ressort, avant de pousser fortement sur le sol et de se détendre d’un seul coup, produisant une puissance explosive incroyable.

Alors que son cerveau de Mark en était encore à tenter d’intégrer ce qu’il se passait, ses bras réagirent à la vitesse de l’éclair, interposant la hampe de sa lance en travers du poing de l’albinos. En une fraction de seconde l’arme se retrouva plaquée contre son propriétaire, mais cette fraction fut suffisante pour que ses bras se raidissent et que sa garde se fige d’un seul bloc. Malheureusement, ses jambes n’avaient pas eu le temps de suivre le mouvement et ne purent absorber le choc. Elles furent arrachées du sol sous la violence du coup et le lieutenant Severn se retrouva projeté plusieurs mètres en arrière, ne devant qu’au mur de la salle d’armes de ne pas voler bien plus loin.

Encore groggy par l’impact, son esprit tentant vainement de démêler l’impossible contre-attaque qu’il venait de subir, Mark aurait bien eu besoin de deux bonnes secondes pour rassembler sa concentration et revenir dans le combat.
Rachel ne lui en laissa même pas une.

« COMMANDO !! »

Braillant son inévitable cri de guerre, autant pour se donner le courage de bouger malgré la douleur que dans l’espoir d’effrayer et tétaniser son adversaire, l’imposante albinos venait de bondir sur le lieutenant Severn, les mains jointes au-dessus de sa tête pour lui asséner un coup aussi puissant que dévastateur.
Avec l’énergie du désespoir, le lancier tenta de faire face vaille que vaille. Il releva les bras devant lui, afin de se servir de toute la longueur de sa lance comme d’un bouclier. Ou presque : l’idée n’était pas de tenir bêtement son arme et d’encaisser l’intégralité du choc. Trop dangereux dans cette situation. Son axe de défense était donc penché de quarante-cinq degrés sur le côté. Absorber et dévier la frappe. Les attaques amples ont pour elles leur effet dévastateur, mais elles laissent aussi de larges ouvertures propices aux contre-attaques. En canalisant l’attaque plutôt qu’en la bloquant, Severn se ménageait une parfaite opportunité de riposte. Et c’est tout ce dont avait besoin un lancier de sa trempe pour reprendre la main sur l’affrontement !

Les énormes battoirs de l’albinos déferlèrent. Le lancier para l’attaque, forçant des bras pour dévier l’axe de la frappe et commença en même temps à mouliner pour planter un vicieux coup d’estoc dans les tripes de son adversaire.
Tout du moins était-ce ce qu’il aurait voulut faire. À la place, il y eût surtout un choc titanesque suivit d’un craquement sinistre.

L’énorme maillet de chair constituée des deux mains jointes de Rachel s’était arrêté à quelques centimètres du visage de Mark, après avoir littéralement pulvérisé la hampe de l’arme du lancier sans même être ralenti le moins du monde.

« … Égalité ? Proposa l’imposante albinos après un court instant de silence.
_ T’es sérieuse, là ? S’étonna le lieutenant Severn, incrédule.
_ Ben tu manies une lance d’acier, d’ordinaire, non ? Fit remarquer Rachel tout en se redressant. Je ne crois pas être capable de pulvériser le métal de cette façon. Le tordre, éventuellement, j’dis pas, mais… Bref, une victoire dans ces conditions, ça n’a pas vraiment de sens non plus.
_ Avec une vraie lance, la question ne se poserait même pas, je t’aurais massacré avec ma technique de la Grande Mousson, soupira Mark en jetant un regard dépité aux deux tronçons qu’il avait en main. Ta façon de parer à ce moment-là était franchement pitoyable, si tu veux mon avis.
_ C’est bien ce que je pensais mais je ne suis pas gentille au point de reconnaître volontairement une défaite, fit remarquer l’imposante albinos d’un sourire. ’faut pas déconner, non plus, hein ; j’ai ma fierté ! Alors ? Égalité ? Répéta Rachel en tendant une main vers son adversaire.
_ Va pour cette fois, égalité. » Lui concéda le lancier.

Mark lui serra la main en affichant son grand sourire franc. De son avis, la vie devenait toujours plus amusante chaque fois qu’on se dégottait de nouveaux rivaux auxquels se mesurer.

*
*     *

Assise dans un coin de la salle d’arme, Rachel regardait sans les voir deux officiers d’une autre section s’entraîner sans grande inspiration. Après la prestation de Mark et la résistance que la jeune femme lui avait opposé, personne n’osait plus y aller sérieusement de peur de pâtir de la comparaison.

L’imposante albinos secoua la tête, dépitée. Ses cheveux étaient encore humides de la douche qu’elle venait de prendre. L’eau brûlante avait détendue ses muscles douloureux, mais elle avait encore mal des innombrables chocs qu’elle avait encaissé lors de la rafale monstrueuse du sous-lieutenant. Elle en serait vraisemblablement quitte pour une belle collection de bleus pendant quelques jours.

En y songeant à tête reposée, ils y étaient quand même allés un peu fort pour un simple duel d’entraînement. Si sa défense avait flanché à ce moment-là, si elle n’avait pas proprement esquivé son monumental coup d’estoc d’après, si Mark n’avait pas non plus su gérer sa contre-attaque surprise, si elle-même n’avait pas réussi à stopper son ultime frappe au dernier moment… En toute franchise, ils étaient quand même passés à deux doigts de la catastrophe à de multiples reprises.

Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas battue comme ça. Et jamais pour un "duel d’entraînement". L’un et l’autre s’étaient laissés entraîner par la force de leur adversaire, s’émulant  réciproquement dans une dangereuse surenchère mortifère. Ça ne lui ressemblait pas de se comporter ainsi. Ou plutôt, si, cela ne lui ressemblait que trop bien, à elle, celle qu’elle avait longtemps été auparavant. Et dire qu’elle pensait avoir pourtant évolué depuis cette époque…
Mais Mark était indubitablement fort. Pour parler franchement, elle n’était vraiment pas certaine de pouvoir le vaincre en combat réel et ça, ça la tracassait énormément.

« Ben alors, c’est quoi cette tête d’enterrement ? Se signala Mark tout en lui tendant une canette. Allez, tiens, bois, ça va te remonter le moral.
_ Tu pousses carrément les gens à l’alcoolisme ?
_ Meuhnon, c’est un jus de fruit. Faut bien s’hydrater après s’être dépensé ! Allez, fait risette, c’est quoi le problème ? S’enquit joyeusement le jeune homme en ouvrant la sienne. Il était plutôt chouette, notre petit combat, non ?
_ Le problème, c’est que tu es fort, maugréa Rachel.
_ Heu… Merci ? ’fin je crois. … C’était un compliment, non ?
_ Les autres officiers de la section aussi, hein ? Voulut savoir l’imposante albinos.
_ Sûr ! Affirma Mark. Plus que moi, même ! Le vice-lieutenant Tolosa se bat carrément avec un canon. Je ne l’ai jamais affronté mais je l’ai déjà vu en action : il te pilonne à distance et si tu te figures que tu vas être en sécurité en te rapprochant, il se sert de son canon comme d’une grosse massue.
_ Sérieux ?
_ Il est pas juste énorme, il est vachement costaud, en fait… Le lieutenant Jaeger… Bon, lui, je n’en ai aucune idée, je ne l’ai jamais vu se battre et il fuit les entraînements comme la peste. Mais comment une dilettante comme lui est devenue lieutenant ?
_ Je me le demande aussi, parfois…
_ Quant à la commandante de Castelcume, reprit le jeune homme. Pfff… Elle aussi, elle prétend n’être que très moyenne à l’épée, mais en vrai, elle joue quand même clairement dans le haut du tableau. Mais le pire, c’est sa façon de combattre : c’est comme quand elle t’a affronté avec ses hommes dans l’Arène. De l’inattendu, des coups fourrés, des tactiques auxquelles t’aurait jamais pensé… à mon avis, la commandante serait capable de nous affronter tous ensemble et de nous écraser sans difficulté ! Elle est juste tellement monstrueuse. Je me demande si c’est la condition sine qua non pour devenir commandant… »

La tirade du sous-lieutenant arracha un nouveau soupir dépité de la part de sa collègue albinos.

« T’es pas contente de travailler avec des gens forts ? Voulut savoir Mark en fronçant les sourcils de perplexité – lui trouvait justement ça on ne peut plus génial, pour tout dire.
_ Ce n’est pas ça, balaya Rachel. C’est juste que… Jusqu’à ce que je quitte mon île natale, je me considérais moi-même comme quelqu’un de fort, en fait. Je veux dire, là-bas, je n’avais pour ainsi dire personne qui m’arrivait à la cheville et j’étais littéralement invaincue, tu vois ce que je veux dire ?
_ Carrément, je pensais pareil quand je me suis engagé dans la Marine.  Je m’étais même dit bêtement que ça irait tout seul et que les Empereurs n’avaient qu’à bien se tenir…
_ À ma première affectation, reprit la jeune femme, je me suis battue contre un agent du CP, M. Fletcher…
_ Tu t’es… battue contre un agent du CP ?
_ Non mais c’était un malheureux quiproquo : j’avais kidnappé son collègue sans le savoir.
_ Kidnappé ?
_ Longue histoire… Bref, pour faire simple, il m’a flanqué une dérouillée dont je me souviendrais longtemps. Ce jour-là, j’ai bien compris la différence entre une bagarreuse comme moi et un vrai combattant.
_ Ahan, opina un Mark très incertain de comprendre où tout cela les emmenait.
_ C’était un spécialiste du close-combat et il m’a complètement défoncé sur ce point, expliqua Rachel. Du coup, je me suis entraîné comme une folle pour pouvoir lui rendre la monnaie de sa pièce si on se recroisait.
_ Ah ouais, d’où le coup de poing de malade que tu m’as sorti…
_ Je pensais m’être sortie d’affaire et là-dessus, je tombe sur toi, poursuivit l’albinos avec un pâle sourire. Et en plus, tu m’apprends que les autres officiers de la section sont tous encore plus fort… Jaeger aussi, je pense. T’as pas vu sa façon de bouger dans l’Arène ?
_ Ben et alors ? Demanda le jeune homme. Oukilé, le problème ?
_ Le problème, c’est que je pensais être un gros poisson alors que je ne suis finalement qu’un simple têtard perdu dans une mare immense, résuma sombrement l’imposante albinos.
_ Ouais, c’est plutôt génial, non ? S’exclama Mark avec enthousiasme. C’est comme ces alpinistes qui découvrent toujours un nouveau sommet plus haut après en avoir gravit un autre. Moi, ça m’excite de me dire qu’il me reste encore tous ces échelons à gravir un par un ! Ça n’aurait pas été amusant si j’avais pu me tenir aussi facilement au sommet ! Bon, du coup, j’admets que ça va me prendre plus de temps que prévu mais je persiste : la prochaine génération d’Empereurs n’a qu’à bien se tenir !
_ Non, ce n’est pas génial, rétorqua doucement Rachel en secouant la tête. Jusqu’alors, j’avais la certitude de pouvoir me charger des pires menaces toute seule si nécessaire. Mais maintenant, je réalise que je n’ai pas du tout la force de protéger mes hommes en cas de pépin. Et ça… Ça, ça craint… Ça craint même carrément… »

Rachel reporta son attention sur ses pieds tout en lâchant un nouveau soupir. Ces histoires de commandement étaient tout de suite beaucoup moins amusantes maintenant qu’elle réalisait à quel point la survie de ses hommes dépendait uniquement de ses décisions et qu’elle ne disposait finalement d’aucun joker pour rattraper le coup en cas de soucis. Une prise de conscience aussi effrayante que démoralisante…

De son côté, Mark fit la moue. Il n’avait jamais songé à toutes ces questions et de tout ce que cela impliquait. De son propre avis, il était un officier exécrable et sa collègue albinos le lui prouvait indirectement encore une fois : lui, tout ce qui l’intéressait, c’était de meuler ses adversaires ! Et ses hommes… bah, ses hommes faisaient de leur mieux pour le suivre et prendre exemple sur lui au combat, voilà tout, non ? Mais maintenant que Rachel l’avait souligné, le jour où il tomberait sur un adversaire trop fort pour lui, il se ferait écraser et toute sa compagnie avec lui. Pas cool.

« Naaaan, mais tu te fais du mouron pour rien ! Asséna subitement le jeune homme.
_ Pardon ?
_ J’veux dire que le jour où je tombe sur quelqu’un de plus fort que moi… Hé bien, déjà, ça sera le moment où jamais de me surpasser pour lui poutrer la gueule ! Non parce que les entraînements, c’est bien gentil, mais rien ne vaut une bonne baston pour progresser, pas vrai ? Mais quand bien même, s’il devait advenir que je perde, j’espère bien que mes hommes ne sont pas suffisamment cons pour tenter leur chance après moi au lieu de s’enfuir se mettre en sécurité le plus vite possible !
_ Mais on est la Marine, protesta Rachel, on ne fuit pas devant le danger ! Sinon, qui lui fera face ?!
_ Bien dit, c’est exactement ça ! Souligna le lancier d’un air triomphant.
_ Gné ?
_ On est la Marine, reprit Mark, on a le devoir de risquer notre vie pour les autres, alors on a pas le droit de se permettre de la gaspiller inutilement ! Donc si moi, le plus fort de ma compagnie, je ne peux pas abattre un adversaire, mes hommes ont le devoir de ne pas se laisser massacrer inutilement sans raison. Et donc de fuir se mettre en sécurité. Faudra juste que je pense à le leur dire à la prochaine réunion, histoire que ce soit bien clair pour tout le monde. »

Le raisonnement arracha un sourire Rachel. Elle-même ne réfléchissait pas du tout comme ça, mais l’argument se tenait d’une certaine façon. Mark voyait juste.

« Tu as raison, approuva l’imposante albinos. Puisque je ne peux pas avoir la certitude d’écraser tous mes adversaires, charge à moi de m’assurer que mes hommes aient toujours une voie de repli au cas où les choses tournent mal.
_ Heu… Non mais attends : moi aussi, faut que je me soucie de ça pour mes hommes !?
_ Sûr, c’est pour t’occuper d’eux que tu es officier.
_ Roooh merde, c’est peut-être moi qui devrait broyer du noir, en fait… »

Les deux officiers restèrent un instant silencieux, à siroter leurs boissons. Mark jeta un coup d’œil à l’albinos et fronça les sourcils. Ça continuait quand même à n’aller pas fort, visiblement.

Le lieutenant Severn n’était pas encore un bon officier, même s’il était loin d’être aussi incompétent qu’il se plaisait à se l’imaginer. Il lui manquait simplement une certaine maturité en la matière, mais le colonel Trevor et la commandante de Castelcume ne s’inquiétaient guère à ce sujet : cela viendrait en son temps et probablement bien plus vite que ne le pensait le jeune homme. Mais bien qu’il ne soit donc pas encore un bon officier, il était déjà un excellent supérieur de l’avis de ses hommes. Tout simplement parce que Mark était quelqu’un d’attentif et de particulièrement sensible aux humeurs des autres.

Le jeune homme sentait bien que sa collègue continuait à se tracasser. Probablement pour rien, de son point de vue : elle se débrouillait déjà très bien avant sa prise de conscience, il ne voyait donc pas bien ce que celle-ci changeait réellement. Mais il l’aimait bien, la Rachel. Au début, il lui en avait un peu voulu quand elle l’avait battue dans l’Arène, mais vu qu’elle avait remporté le tournoi par la suite, ce n’était finalement pas trop la honte de s’être faire rétamer par la bleue. Et puis, ça faisait du bien d’avoir enfin une collègue normale dans la section, avec qui il pouvait discuter tranquillement : le vice-lieutenant Tolosa était beaucoup trop rigide, le lieutenant Jaeger vraiment trop frivole et la commandante de Castelcume bien trop inaccessible. Bref, son affectation à Hexiguel était bien plus supportable depuis que Rachel était là. Alors il n’avait pas envie de la voir de triste humeur.

C’était comme la commandante qui semblait toujours si tourmentée, songea-t-il. Sûrement l’inconvénient des gens trop futés : ils sont géniaux pour trouver toutes sortes de solutions à tous les problèmes qui pouvaient se présenter, mais visiblement, quand ils n’avaient rien à se mettre sous la dent, ils s’en créaient inutilement de toute pièce là où il n’y avait pas lieu.
Mais qu’à cela ne tienne ! S’il ne pouvait rien faire pour sa supérieure, au moins pouvait-il tenter quelque chose pour sa collègue. Si elle avait tant besoin d’un os à ronger, alors la solution était des plus simples : il lui suffisait de l’orienter sur des problèmes autrement plus intéressants !

« Bon, alors ? Demanda subitement le lancier. Ta prochaine technique spéciale ?
_ Pardon ? Tenta de comprendre Rachel.
_ Ça va être quoi ta future technique spéciale ? Insista Mark. T’as bien dit que t’en avais pas, alors il va falloir y remédier ! Avoue que c’est quand même carrément la classe, nan ?
_ Certes, mais… Pourquoi j’aurais besoin d’une technique spéciale ? S’inquiéta l’imposante albinos.
_ Mais c’est obligatoire, voyons ! Tu te dois d’avoir une technique spéciale, enfin ! La rabroua immédiatement le lancier. Et ton esprit shônen, alors !?
_ Hein ? Mais j…
_ Un truc qui dépote et dont tu peux brailler le nom à pleins poumons pour impressionner les foules ! Insista l’officier avec enthousiasme. Un mouvement finish qui te permet de mettre un point final à un combat avec suffisamment de classe pour que personne n’ait la mauvaise idée de vouloir t’affronter derrière parce que t’as l’air diminué !
_ J’…
_ Une technique spéciale, c’est o-bli-ga-toire dans la panoplie de tout officier qui se respecte. Crois-moi, tu te dois de t’en dégotter une ! Appuya Mark.
_ …
_ …
_ Fini ? J’peux en caser une ?
_ Roooh, ça va, j’me suis juste un peu enflammé, ç’arrive à tout le monde, hein…
_ Dis-moi, ça t’as pris combien de temps pour maîtriser ton festival d’estocs de la Moisson ? Demanda l’imposante albinos.
_ Mousson !! Pas moisson, ça voudrait plus rien dire sinon ! Ben, ch’ais pas trop… Quelques mois, peut-être un an, je dirais. Mais ça valait carrément le coup, t’as vu comme ça en jette !?
_ C’est exactement là où je veux en venir, pointa gentiment Rachel. Comment veux-tu que je trouve le temps de développer un truc comme ça ? Ça va me prendre une éternité…
_ Boah, ça va, on a plein de temps libre, ici, à Hexiguel, rigola Mark.
_ Tout le monde ne fait pas l’impasse sur la paperasse administrative. » Rétorqua l’imposante albinos avec un sourire indulgent.

Ni Mark ni le lieutenant Jaeger ne s’occupaient des papiers que la direction d’une compagnie de Marines leur imposait, prétextant que ça ne servait à rien puisque tout fonctionnait au poil malgré tout. Ce qui n’était pas tout à fait faux mais ne se vérifiait qu’uniquement parce que les trois autres officiers de la section Alpha, Rachel, le vice-lieutenant Tolosa et la commandante, s’occupaient d’administrer aussi les compagnies des deux hurluberlus et se partageaient donc la surcharge de travail ainsi occasionnée.

« Nan, mais t’as pas forcément besoin d’un truc trop élaboré, éluda Mark. Ce qu’il te faut, c’est un outil qui dépote. Tiens, regarde le mien ! »

Le sous-lieutenant se dirigea joyeusement vers un coin de la salle où reposait une longue lance emmailloté dans un drap blanc. Il en retira le tissu avant de lancer nonchalamment l’arme à Rachel, qui l’avait suivit docilement.
Bien qu’elle réceptionnât la lance à deux mains, l’impact fit vaciller l’imposante albinos. Bigre, sans en avoir l’air, cette arme était méga lourde ! La force hors norme du sous-lieutenant s’expliquait soudainement beaucoup mieux…

« Alors, alors ? Kess’t’en penses ? S’enthousiasma Mark.
_ Elle pèse carrément son poids !
_ Ouais, hein !? S’exclama fièrement le sous-lieutenant. On dit qu’il faut être neuf fois plus fort pour manier une lance qu’un sabre. Un vrai, hein, pas un de ces sabres d’abordage tout léger et fragile. Hé bien cette beauté est vingt fois plus lourde qu’une lance classique ! »

Beauté. C’était effectivement le mot, songea Rachel en détaillant l’arme sous toutes les coutures. Elle n’y connaissait rien en lance et sa science des armes se limitait à savoir que le bout pointu et tranchant servait à faire mal aux méchants, et pourtant même elle pouvait voir combien cette arme était magnifique. Il n’y avait pourtant aucune fioriture, mais l’objet était inexplicablement doté d’une esthétique saisissante en dépit de son apparent dépouillement. Simple, fonctionnel, avec seulement quelques détails discrets réhaussant ses formes parfaites. L’œuvre d’un maître-artisan, cela ne faisait aucun doute même pour une néophyte comme elle.

Quant au poids, il semblait provenir en grande partie de l’énorme garde qui enserrait la lame de lance. Une gangue de métal chromé présentant d’énigmatiques ondulations et dont deux étranges tiges émergeaient pour courir le long de la nervure centrale de la lame.

« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? S’étonna Rachel.
_ C’est le cœur de mon arme, pavoisa Mark. C’est le système RAGE pour … heu… Ah, merde, ch’ais plus ce que ça veut dire… Bidule Amélioré… Générateur de heu… Énergie ? Bref, on s’en fiche du nom, mais c’est ça qui rend la lance si spéciale !
_ Pourquoi ?
_ Avec ça, j’ai juste à taper comme un bœuf avec et au bout de quelques échanges, le système RAGE est chargé ! Expliqua joyeusement le lancier. Et là, avec une petite manip’, je peux libérer un gros arc électrique ! C’est trop cool, non ! Tu vois ? Pas besoin d’entraînement de folie : avec le bon outil, tu peux improviser facilement des techniques spéciales !
_ C’est dingue, c’est hyper-lourd, et pourtant le poids à l’air bien répartie, n’en revint pas Rachel – elle venait de trouver comment la faire tenir en équilibre sur une seule main.
_ En fait, expliqua diligemment Mark, comme le système RAGE pèse son poids et implique en plus de taper très fort, il a fallu renforcer le manche par une épaisse gaine de métal pour le lester. Du coup, là, bon courage pour le casser, lui.
_ Et pourquoi la lame a ces étranges motifs moirés ?
_ Je connais pas les détails, avoua le lancier. C’est de l’acier damassé, y’a des histoires de qualités du métal avec plus ou moins de bidules dedans selon les couches. Si ça t’intéresse vraiment, je peux demander à ma tante de me réexpliquer tout ça…
_ Ta tante ? Elle est forgeron ?
_ Nan, mais elle bosse à la Brigade Scientifique, révéla Mark avec un grand sourire. Alors elle connaît des types qui savent faire. Le RAGE, c’était un prototype qu’elle a développé, mais ce n’était pas concluant, alors ils ont abandonné le projet. Elle l’a intégré dans une super-lance et me l’a offerte. C’était pour mes dix-huit ans. C’est trop cool comme cadeau, non ?
_ Ta tante bosse à la Brigade Scientifique ? Tu m’intéresses carrément, là ! Fit Rachel en lui rendant son sourire.
_ Aha, je l’savais ! T’as qu’à demander, ch’uis sûr qu’ils peuvent te construire ce que tu veux : un fulguro-ceste, un power-lighting-glove, un… oh non, je sais : un mega-thunder-metallo-manique !!
_ Non mais t’alignes juste des mots random totalement au pif, là ! Non, non, non, ne le prends pas mal mais je me fiche d’avoir une arme spéciale, révéla l’imposante albinos. Sérieusement, ça serait juste du gâchis entre mes mains… Mais je me demandais si tu pourrais lui poser quelques questions de ma part… ?
_ Sûr, acquiesça Mark. Qu’est-ce que tu veux savoir ?
_ Est-ce qu’il existe des passerelles entre la Marine Régulière et la Brigade Scientifique ? Demanda la jeune femme.
_ Oh mais non, Rachel, ça serait du gâchis ! Se lamenta le lancier. T’as carrément ta place dans la Régulière, pourquoi tu voudrais t’enterrer dans la Scientifique ? Tu veux fuir Hexiguel à ce point-là ?
_ Non mais c’est pas pour moi, c’est pour un ami.
_ Ouais, ils disent tous ça…
_ C’est pour mon adjudant. Edwin Marlow. Tu vois qui c’est ? »

Le sous-lieutenant Severn hocha la tête. Bien sûr qu’il voyait qui c’était. Toute la base d’Hexiguel savait qui c’était.

Lors du dernier affrontement entre la compagnie de Rachel et celle de la commandante de Castelcume, l’emploi exagéré de moyen pyrotechnique avait conduit à la destruction de la moitié de l’Arène et d’une belle partie des gradins. Les Parieurs, le groupe en charge de l’exploitation et de l’organisation de l’Arène, s’étaient donc mis en tête de la reconstruire. Sauf que les Parieurs avaient la mauvaise habitude de tout savoir sur tout le monde. Et ils savaient que l’adjudant Marlow était un bricoleur de génie. Ils étaient donc venus le supplier de les aider à concrétiser leur nouveau projet pour l’Arène.

De l’avis de Rachel, ç’avait été doublement stupide. Déjà, parce qu’Edwin était l’une des personnes les plus timides qu’elle ait jamais rencontré. La vision des Parieurs se prosternant à ses pieds devant tout le monde l’avait surtout poussé à s’enfuir se cacher très loin dans un trou de souris. Ce qu’il aurait probablement fait si Rachel n’était pas intervenue. Ensuite, parce qu’Edwin était tout simplement un type bien : il aimait aider les gens autant qu’il aimait bricoler, alors aider les gens à bricoler… Pas besoin de lui promettre la lune, une prime ou la reconnaissance éternelle de toute la Base, le jeune homme aurait immédiatement dit oui si les Parieurs le lui avait simplement demandé comme ça en passant.

L’histoire avait fait le tour de la Base : ce n’était pas tous les jours que les Parieurs estimaient avoir besoin de l’aide de quelqu’un. Elle charriait aussi son lot de rumeurs avec : on racontait que sous l’impulsion de l’adjudant, l’Arène allait être transfigurée. Auparavant, elle n’était qu’un vaste quadrillage dont les espaces étaient délimités par des cubes en bois. Maintenant, Edwin supervisait l’installation de cloisons pivotantes et même de rails. Ce ne serait plus un quadrillage, ç’allait devenir un labyrinthe. On racontait même que les Parieurs envisageaient un système permettant de modifier l’Arène en cours de bataille. Bref, les spéculations allaient bon train et tout le monde essayait de tirer les vers du nez à l’adjudant et à ses équipiers.

« Tu veux le muter à la Scientifique ? Réalisa Mark.
_ Ben il gâche carrément son talent parmi nous, avoua Rachel. Non mais t’inquiètes, on attendra que l’Arène soit finie d’être retapée.
_ Mmmh… Bon, moi j’y connais rien, mais je peux toujours demander à ma tante, fit le lancier. De toute façon, ça prendra un peu de temps, l’Arène serra probablement finie avant…
_ Merci beaucoup ! S’exclama l’imposante albinos. Tu me rendrais un fier service !
_ De rien, je… »

Mark n’eût pas le temps de finir sa phrase que la porte de la salle d’entraînement s’ouvrit brutalement à la volée, dévoilant un petit sous-officier blond arborant les insignes d’adjudant. Lewis, l’aide de camps personnel du colonel Trevor.

« On a une urgence !! S’exclama le nouveau venu. Lieutenants Severn et Syracuse, veuillez vous présenter immédiatement au bureau du Colonel ! »

Rachel acquiesça. Il n’y avait qu’une seule sorte d’urgence possible à Hexiguel.

« Bien reçu, adjudant Lewis. Pouvez-vous dire à mes hommes de se présenter immédiatement à l’embarcadère ? Vous trouverez l’adjudant Marlow à l’Arène et le sergent-chef Krieger à la salle de tir numéro quatre. »

Jürgen Krieger supervisait la remise à niveau d’une partie du contingent de Rachel. Ce dernier provenait du Piton Blanc, une garnison de seconde zone, chiche en équipement, notamment en ce qui concernait les fusils. Aussi, beaucoup de ses hommes n’étaient que des spadassins se battant au sabre et n’ayant reçu qu’une formation toute théorique au maniement des armes à feu. Cependant, Hexiguel était une vraie garnison et son arsenal permettant d’équiper tous les hommes d’un fusil, aussi le sergent-chef s’assurait donc que chacun sache s’en servir convenablement.

« Bonne idée, renchérit Mark. Adjudant, prévenez aussi mes hommes pour les mettre en état d’alerte. Rendez-vous à l’embarcadère !
_ Bien reçu, lieutenant, acquiesça Lewis. Où puis-je les trouver ?
_ …
_ …
_ Rah merde… »





Dernière édition par Rachel le Sam 25 Juin 2022 - 22:43, édité 1 fois
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« Pffiooou, merci Rachel, tu m’as carrément sauvé la mise ! »

Le duo de sous-lieutenant de la section Alpha avançaient à grand pas dans les couloirs parfaitement taillés de la forteresse troglodytes.

« C’est pour ça qu’on remplit des plannings, lui signala gentiment l’imposante albinos. Si tu l’avais rempli toi-même, tu aurais su où se trouvaient la plupart de tes gars.
_ D’accord, d’accord… Maintenant je m’occuperai sérieusement, affirma Mark.
_ Tu n’avais pas déjà promis ça à la commandante, y’a quelques jours ?
_ Si, mais là ch’uis vraiment passé pour un con, alors c’est la bonne, promis-juré. »

D’un coup d’œil, Rachel repéra le sigle de la porte du Colonel. Tous les couloirs d’Hexiguel se ressemblaient parfaitement et seule une discrète gravure près du linteau signalait qu’est-ce qu’était quoi. L’imposant albinos ignorait d’où provenait ce curieux choix esthétique, loin d’être pratique : elle avait passé ses deux premières semaines en poste à se perdre dans tous les recoins de la forteresse. Mais il était vrai qu’une fois qu’on avait pris le pli, c’était un jeu d’enfant de se repérer. Elle n’y faisait même plus consciemment attention, maintenant. La jeune femme toqua rapidement à la lourde porte en bois et la voix grave du Colonel l’invita à entrer.
Rachel s’exécuta.

*
*     *

00:02

La main de l’imposante albinos fit pivoter la poignée et repoussa dans le même mouvement la porte.  Toujours en pilotage automatique, Rachel commença à s’avancer sans même prêter attention au décor qui commençait à se dévoiler sous ses yeux. Elle avait une parfaite vue de toute la partie gaucje du bureau du Colonel, un enchevêtrement d’étagères surchargée de livres, de cartes et de rouleaux en tout genre, empilés au petit bonheur la chance.

00:11

Pivot de la porte à quatre-vingt-dix degré sur ses gonds. Le regard de Rachel capta l’énorme ours tapit au fin fond de sa tanière. Comme toujours, cette vision provoqua une légère hausse du pouls en réponse à l’éveil immédiat de l’instinct de survie. Instinct de survie qui fut impitoyablement étouffée par le centre de la raison après un traitement approprié de l’image transmise par les yeux. En effet, cette énorme masse velue et poilue, tout en muscles et dents, qui trônait gaiement derrière son bureau aussi surchargé de bricoles que les étagères de la pièce n’était autre que le colonel Trevor, quand bien même sa vue évoquait immanquablement celle d’un ours à tous ceux qui le croisaient.

00:26

Pivot de la porte à cent-trente-cinq degré. Des signaux d’alarmes commencèrent à fuser sous le crâne de la jeune femme alors que sa vision périphérique enregistrait la présence sur la droite d’une masse discordante au regard des informations topographiques retenues par le centre de la mémoire. Quelque chose était là. Anticipant le besoin imminent de solliciter davantage de puissance d’analyse, le centre de la mobilité décida de lever le pied. Ou en l’occurrence, de basculer en douceur du mode "avance toute" à une pose stable à l’arrêt, jusqu’à ce qu’on en sache plus sur cette perturbation dans la pièce.

00:34

Pied qui s’arrête prématurément sur un demi-pas. Transition d’un état de déplacement vers un état d’arrêt. Mouvement rapide des yeux pour focaliser directement sur l’anomalie.

00:36

Le centre de la vision signala à qui voulait l’entendre qu’il ne s’agissait pas de quelque chose mais de quelqu’un. Une tête, un tronc, deux bras, deux jambes. C’était subtil : l’individu se tenait adossé à l’une des étagères, les bras et les jambes croisés si bien qu’on aurait pu croire un peu vite qu’il n’avait qu’une jambe et pas de bras. Mais après vingt-trois ans d’expérience en la matière, on ne la lui faisait pas, à la Vision.
Un tantinet impatient, les centres de la mémoire, de la raison et des prises de décision réclamèrent un peu plus d’informations tangibles. Tout au plus, la Raison maintint la bride à l’instinct de survie : on était dans le bureau du Colonel, ce dernier semblait à son aise comme d’habitude, il n’y avait donc vraisemblablement pas de danger immédiat.

00:39

Le centre de la vision continua à traiter et interpréter aussi vite que possible l’avalanche de détails que lui communiquait les yeux. L’individu était grand. Plus grand que Soi, ce qui n’était pas une mince affaire, soit-dit en passant. Et un poil plus fluet que Soi, par contre. Couleurs dominantes : Gris ardoise en majeur, blanc argile en mineur, quelques touches de rouge carmin en fioriture. Morphologie masculine. Redingote grise à coupe large, ornée de chevrons rouges aux épaules et au bout des manches, chemise blanche, ceinture de cuir avec deux énormes colts à grip noir, pantalon gris à coup large, épaisses bottes de cuir parfaitement cirées.
Le centre de la mémoire signala une correspondance possible et exigea un focus immédiat sur le visage là maintenant tout de suite s’il-vous-plaît !
Sommet du crâne caché par un genre de fedora gris cerclé d’une bande de tissu rouge – j’ai toujours une correspondance ! – visage légèrement baissé, cascade de cheveux châtains mi-long, fins et lisses – correspondance toujours ! – une paire de lunettes de soleils masquant son regard – correspondance ! – il n’était possible de distinguer que deux traits caractéristiques : un nez saillant, mince et allongé, légèrement aquilin – j’ai ! – et une vilaine cicatrice se devinant plus qu’autre chose au niveau de l’œil gauche, à peine distinguable entre le verre fumé et les mèches de cheveux.
Une cicatrice que seul  la Mémoire était réellement capable de discerner.
Une cicatrice faite par un ours Xodiak des forêts du Royaume d’XXXX, sous les yeux de Soi.

00:49

Des alarmes et des alertes commençaient à sonner un peu partout dans le complexe réseau de neurones du cerveau.

« Victor ! »

Le centre des prises de décision voulut savoir pourquoi le centre de la parole était passé à l’action de son propre gré. Il se vit opposer une fin de non-recevoir parce que "ta gueule, c’est nostalgique". Le centre de la mémoire décida d’ouvrir les vannes et de repasser au hasard et dans le désordre des morceaux choisis de plus de quinze ans de souvenirs communs. Dans le doute, le centre de l’homéostasie décida d’augmenter le rythme cardiaque et la ventilation, on ne savait jamais, hein, ça pouvait toujours servir. Le centre de la raison enjoignit en vain à tout le monde de garder son calme.
Le centre de l’audition décida d’interrompre ce programme parce qu’il venait de capter quelque chose : « Rachel ? », proféré d’une voix grave, forte et grondante, au timbre à la fois chaud et puissant.
Une merveilleuse voix aussi chaleureuse qu’envoûtante, si prompte à faire chavirer le cœur, jugea opportun de rectifier la Mémoire.

Le centre de l’émotion décida de s’activer tout azimut : joie, surprise, colère, plaisir, nostalgie, ressentiment, inquiétude, timidité, amour, hargne… la totale ! Dérouté par toutes ces consignes contradictoires mais désireux de bien faire, l’Homéostasie se fit donc un devoir de relâcher un cocktail détonnant d’hormones et de messagers en tout genre à travers tout l’organisme, parce que pourquoi pas… Le centre du mouvement et de l’équilibre accusa réception du risque "chavirer", totalement interprété au premier degré, et prit l’initiative de s’accrocher fermement à la poignée de porte et de camper solidement les deux pieds au sol.
La Raison beugla de lui laisser cinq dixième le temps qu’elle processe tout ce qui se passait, tout en tenant en vain d’endiguer le flot de molécules chimiques que l’Homéostasie venait de lui balancer à tout crin.

00:92

Le centre de l’équilibre rapporta un choc venu de l’arrière mais rien qu’il ne puisse gérer. La Raison en PLS parvint tout de même à déduire que ce devait être l’entité Mark qui venait de percuter Soi suite à son arrêt inopiné, mais bazarda l’information parce que c’était juste vraiment pas le moment, là. Parallèlement, Mémoire, Émotion et Homéostasie s’en donnaient à cœur joie dans un maelstrom abominable de signaux contradictoires et concurrents, mais qui s’amplifiaient et s’émulaient de façon totalement anarchique. La Prise de Décision exigea une action, n’importe quoi, qu’on lui donne une raison d’agir !

Le centre de l’audition capta une émission de la part de l’entité Ours mais c’était dur à dire avec tout ce sang qui battait les tempes et les oreilles. Techniquement, ça donnait : « Ouuuugnouuuuhanaassssé ». Probablement traduisible par « vous vous connaissez ? ». Vu le champs de bataille qu’était devenu le reste du réseau de neurones, l’Audition décida de faire passer l’information à la trappe : de toute façon, plus aucun centre n’était en état de gérer cette donnée, alors à quoi bon…

Le centre de la raison, complètement intoxiqué par l’impitoyable tir de barrage chimique dont il faisait l’objet de la part de l’Homéostasie, se roula métaphoriquement en boule sous une couverture pour sangloter piteusement.

Désormais en roue libre, soumis à la pression croissante du centre de la prise de décision qui exigeait que se passe quelque chose, le délicat réseau de neurones explosa en une tempête pyrotechnique alors que toutes les synapses traitaient dans le désordre un millier d’opération différentes à la fois. Plus qu’une course, une fuite en avant éperdue pour que quelque chose, n’importe quoi, se produise et qu’on se stabilise autour d’une émotion précise, d’un sentiment particulier, d’une action concrète et qu’on sorte de ce black-out infernal !

01:28

Des dizaines et des dizaines de signaux convergèrent simultanément en direction du centre de la parole. Mise sous pression par la Prise de Décision, la Parole renonça à savoir qui, quoi ou comment. Tous les garde-fous étaient tombés avec la Raison : le premier arrivé serait donc le premier servi.

01:30

Rachel ouvrit la bouche…

*
*     *

À peine eût-elle commencé à ouvrir la porte que Rachel le repéra immédiatement. Lui. Victor. L’Élu de son cœur.

« Victor ! Hoqueta la jeune femme sous le coup de la surprise.
_ Rachel ? » N’en revint pas l’intéressé.

Rachel ne perçut même pas Mark venir s’écraser dans son dos sans parvenir à la faire bouger d’un pouce. Elle ne perçut pas non plus la question que posa le colonel Trevor. Un torrent d’émotions refoulés la submergea, une cascade de sentiments contradictoires l’engloutit, tandis qu’un flot de paroles irrépressibles se bouscula dans sa bouche : elle avait tant de choses à lui dire, à lui demander, à lui reprocher, à lui avouer, à…

« Mais bordel, qu’est-ce que tu fous-là ?! »


Bon, a posteriori, la jeune femme conviendrait qu’effectivement, il ne s’agissait pas là de la meilleure des entrées en matière. Ce n’était même pas la question qui lui brûlait les lèvres, en fait, loin de là. Si elle avait pu prendre le temps de la réflexion, au calme, elle aurait sûrement choisi tout autre chose. Oui mais voilà : elle n’avait eu ni temps ni calme. Sa bouche avait donc tout simplement formulé la première pensée consciente qui avait traversé son esprit en surchauffe…
Malheureusement, les paroles, c’est comme le dentifrice : une fois sorti, impossible de les faire rerentrer.

« Je pourrais te retourner la question ! Lui rétorqua automatiquement un Victor aussi surpris que complètement prit de court – lui aussi conviendrait a posteriori qu’il aurait pu faire bien mieux comme entrée en matière. Les paroles, le dentifrice, tout pareil…
_ Trop tard, je l’ai dit la première ! Répliqua Rachel, fermement décidée à ne pas céder.
_ Ok, donc oui, vous vous connaissez…
_ Hé ho, moi c’est légitime : je suis ici pour affaire, asséna le chasseur de prime.
_ Mais moi aussi, j’suis légitime ! Je suis officier de la Marine et c’est ma forteresse ! Signala la jeune femme.
_ Oui, alors, techniquement, en tant que colonel, c’est plutôt MA forteresse, hein…
_ T’as rejoint la Marine ? Et depuis quand !? S’étonna le pistolero.
_ Depuis le début de l’année ! Répliqua l’imposante albinos.
_ Première nouvelle ! T’aurais pu prévenir !! L’accusa Victor.
_ Ah oui !? Se récria Rachel. Et comment, Monsieur j’file-par-monts-et-par-vaux-sans-jamais-donner-de-nouvelles !?
_ Heu… Vous ne voudriez pas vous calmer un peu, les enfants ?
_ Hé, je bosse, moi ; c’est pas ma faute si je bouge tout le temps ! Se défendit le chasseur de prime avec une évidente mauvaise foi – mais plutôt mourir que reconnaître le moindre tort.
_ Hé ben on a pas de boulot ici pour des chasseurs de prime, va voir ailleurs !! Explosa la jeune femme.
_ Dites, vous m’écoutez ?
_ Ha ! C’est bien justement parce que vous faites mal votre boulot que je suis ici ! La provoqua Victor, totalement gratuitement – après tout, la meilleure défense, c’est l’attaque, c’est bien connu.
_ Pardon !? Non mais ça veut dire quoi, ça !? Réagit illico Rachel.
_ Ohé, les enfants ?
_ Rien qui n’intéresse une bleusaille, de toute façon ! Laisse les vétérans travailler ! Rétorqua le pistolero.
_ Tu te fous de ma gueule !? Je…
_ SILENCE LES ENFANTS !! » Beugla le colonel Trevor de toutes ses forces.

Et le silence se fit. Toute penaude, Rachel lança un regard contrit à son supérieur : obnubilée par Victor, elle en avait oublié jusqu’à sa présence. Pas mieux du côté du chasseur de prime, qui sentait bien que, pour le coup, son aura de professionnalisme venait sûrement d’en prendre un coup aux yeux du client.
Les deux jeunes gens en rejetèrent aussitôt mentalement la faute sur leur alter ego, sans qui, bien évidemment, rien de tout cela ne serait jamais arrivé s’il n’était pas stupidement réapparu, là, comme ça, par surprise et sans prévenir.

« Bon, Rachel, sois gentille de te placer à gauche de mon bureau, décréta le colonel. Victor à droite et Mark se mettra au milieu. Voilà, si vous voulez vous comportez comme des gosses, y’a pas de soucis, je vais vous traiter comme tels, moi. »

Tout le monde obtempéra de mauvaise grâce. Mark encore plus que les autres : malgré son mètre quatre-vingt, il avait l’air d’un nain, encadré comme il l’était par les deux colosses du Royaume d’XXXX. Il se sentait tout petit, ce qui ne lui était plus arrivé depuis des lustres et devait bien admettre qu’il n’appréciait que fort peu la blague.

« Je disais donc : "alors comme ça, vous vous connaissez ?" Recommença le colonel.
_ … s’enfermèrent fermement dans le mutisme les deux intéressés.
_ J’attends une réponse, sous-lieutenant, insista Trevor.
_ Oui, mon colonel, se sentit obligé de répondre Rachel. On… On est originaire de la même ville. Des amis d’enfance, on va dire. »

Furtif coup d’œil vers Victor. Juste à temps pour le voir faire la même chose. Les deux jeunes gens détournèrent immédiatement le regard en laissant échapper un reniflement dédaigneux.

« Ouuaaaiss… des amis d’enfance, hein… Marmonna le gradé. J’vois le genre, gamine. Le vieux singe et les grimaces, tout ça. Bon, bon, bon… Ah ben voilà qui rebat quelque peu les cartes, du coup. C'est ennuyeux, ça...
_ Mon colonel, vous nous avez appelé pour une urgence, rappela une imposante albinos un tantinet encline à changer de conversation. Quelle est-elle ? Et pourquoi nécessite-t-elle la présence de chasseurs de prime ?
_ Hé bien, parce que la situation est grave et… commença Trevor.
_ Des plus graves, confirma Victor, alors pourquoi vouloir déployer deux sous-officiers débutants ?
_ Continue comme ça et tu va voir s’il débute, mon poing !
_ Ha ! Parce que tu crois pouvoir être plus rapide que mon flingue ?
_ Hé, du calme vous deux, ch’uis au milieu, moi, hein !
_ SILENCE ! Beugla Trevor. Je vous préviens, le prochain qui m’interrompt, je m’en sers pour frapper les autres avec !
_ Désolée, mon colonel.
_ Bon. Il s’agit de Gianza Barbe-de-fer, annonça le colonel. Tout le monde voit qui c’est ? »

Hochements de tête de la part des sous-lieutenants. Barbe-de-fer sévissait dans les confins depuis quelques mois, assaillant une partie des convois marchands qui alimentaient la zone. En dépit des efforts d’Hexiguel, la Marine n’avait encore pu lui mettre la main dessus : il semblait littéralement s’évaporer dans la nature une fois ses forfaits commis.

« Depuis le début, nous recherchons sa cachette parmi les innombrables bouts de terres sauvages des Confins, en vain. Et pour cause : ce bougre se cachait sous notre nez depuis le début. Il a pris ses quartiers sur une île habitée ! Il se trouve plus exactement sur la petite île de Rocbrume, où se situe le village de Havre-jonc.
_ Attendez une seconde, remarqua Rachel en fronçant les sourcils. Ce nom me dit quelque chose : c’est dans les cercles de patrouille proximaux, ça, non ? » Vérifia la jeune femme en attrapant la carte des Confins qui traînait sur le bureau du colonel.

Les Confins étaient bien trop étendus pour que la base d’Hexiguel puisse assurer des patrouilles régulières partout. Néanmoins, toutes les patrouilles partaient et revenaient au même point, aussi plus une zone était proche de la forteresse et plus elle était quadrillée par la Marine par la simple force des choses. Pas fous, rares étaient les pirates à s’approcher des zones trop mitoyenne d’Hexiguel. Jusqu’ici, Barbe-de-fer n’avait pas fait exception, cantonnant ses rapines les plus téméraires aux cercles de patrouilles médians.

« On s’en serait aperçu si des pirates campaient en ville à deux pas de chez nous, quand même, non ? Insista l’imposante albinos.
_ Il s’avère que non, et pour deux raisons, expliqua Trevor. En premier lieu, il y a une grotte près de Havre-jonc, c’est là que Barbe-de-fer cacherait son navire, qui ne serait donc pas visible depuis l’extérieur. Et en second lieu, ses hommes tiennent le village sous leur coupe. Si les villageois vendent la mèche à la Marine, ils exécuteront tout le monde sur-le-champ. Et ils ont visiblement été suffisamment convaincants pour que les civils ne tentent pas le diable. Ceci n’étant que l’une des deux faces du problème, l’autre étant Gianza et son équipage lui-même.
_ En quoi est-ce un problème ? S’amusa Mark – fracasser du pirate, c’était un peu sa spécialité.
_ Et encore un qui lit pas les mémos, tiens… Pour deux raisons, détailla le colonel. D’abord, son équipage est particulièrement nombreux. Barbe-de-fer est du genre méthodique : il aurait pu se lancer à l’assaut de GrandLine depuis un bout de temps déjà, mais il n’a visiblement pas l’intention d’y aller sans s’être assurer de solides appuis. Il a donc recruté un vaste équipage et est venu se terrer dans les confins pour les y aguerrir patiemment. Ils ne sont pas forcément des pointures – tout du moins, pas encore – mais ils ont le nombre pour eux. Et puis, il y a Barbe-de-fer lui-même. Sa force n’est pas à prendre à la légère. Honnêtement, si j’avais le choix, j’aurais préféré envoyer la commandante de Castelcume s’en charger, je pense que c’est la seule d’entre vous à pouvoir s’en occuper sans risque.
_ Eeeet… qu’est-ce que vous attendez pour allez la chercher ? Voulut savoir Victor.
_ Elle patrouille actuellement en zone distale, heu… hum… à la recherche de Gianza, justement…
_ Putain, la Marine… Si vous n’existiez pas, ‘faudrait vous inventer… Hé bien, attendons tout simplement qu’elle revienne, alors, proposa le chasseur de prime.
_ Impossible, elle va mettre plusieurs jours avant de revenir, répliqua derechef Rachel.
_ C’est toujours mieux que de tenter sa chance avec des bleus ! Rétorqua vivement Victor.
_ Hors de question ! On est la Marine, on abandonnera pas des gens sous le joug des pirates ! Proclama l’imposante albinos.
_ N’importe quoi ! C’est…
_ Stoooop, un peu de concentration, c’est ici que ça se passe ! Recadra illico Trevor. Certes, la commandante aurait pu s’occuper du danger seule, mais fort heureusement, nous ne sommes pas dénués de ressources. À vous trois, vous devriez pouvoir gérer.
_ J’ai une question ! Signala aussitôt Rachel.
_ Moi aussi, ajouta immédiatement Victor après un bref regard vers l’imposante albinos.
_ Ben moi aussi, du coup, fit Mark. Mais moi, c’est pour de vrai, hein…
_ Kess t’insinue, là, bonhomme !?
_ Très bien, acquiesça Trevor. Commençons par toi, Rachel.
_ Si les villageois ne vendent pas la mèche, comment se fait-il que nous ayons obtenu l’information ? Pointa la jeune femme. Est-on sûr que ce n’est pas un piège tendu par Barbe-de-fer lui-même ?
_ Victor, vous voulez répondre ? Demanda le colonel. Sans vous emporter, j’veux dire.
_ Allons, je suis un professionnel, je vous rappelle. Camilla Fandango habite actuellement à Havre-jonc, détailla le chasseur de prime. Il se trouve qu’elle est la cousine de Charlotte Fandango, l’une de mes collègues. Quand elles étaient enfants, elles s’étaient amusées à développer un langage codé pour communiquer à l’insu des adultes. C’est ce même langage que Camilla a utilisé pour nous contacter. Je ne pense pas que les pirates aient pu être au courant et l’utiliser pour nous piéger. Surtout si leur but est de rester discret.
_ Oh, fit Rachel, songeuse. Alors on va vraiment prendre les pirates par surprise…
_ Question suivante : Mark, désigna Trevor.
_ Oui, alors le prenez pas mal, Victor, s’excusa le lancier, mais visiblement tout le monde sait qui vous êtes, sauf moi…  Dooonc : qui êtes-vous et pourquoi êtes-vous là ?
_ D’autant que c’est exactement ce que je t’ai demandé en entrant et que tu m’as pas du tout répondu, d’ailleurs !
_ Alors pas du tout, c’est absolument pas ça que t’avais demandé, d’abord, j’te ferai dire ! Il n’y a pas grand-chose à savoir, éluda Victor d’un haussement d’épaule. Je suis juste un chasseur de primes et moi et d’autres voyageons ensemble et liquidons du pirate. On est là suite au message qu’à reçu Charlotte : Barbe-de-fer et sa clique sont un un peu trop gros morceau pour nous, donc on est venu demander l’appui de la Marine.
_ Victor fait son modeste, grommela Trevor ponctué d’un sourire amical. Le groupe de Victor est une petite force d’élite de chasseurs de primes spécialisée dans la traque de puissants Pirates : c’est pour ça qu’ils voyagent en groupe. Dans la pratique, ils travaillent souvent en étroite collaboration avec la Marine pour éliminer des cibles que les garnisons locales ne pourraient gérer. C’est un atout de poids pour nous dans cette affaire !
_ Sérieux ? Sourit gaiement le sous-lieutenant. Hé, Victor, ça vous dirait un petit duel d’entraînement ? Avant ou après la mission, comme ça vous chante !
_ Mark, c’est pas du tout le moment !
_ En tout cas, salua joyeusement le lancier, enchanté de faire votre connaissance Victor… … huù, c’est quoi votre nom, déjà ? Au passage, le mien, c’est Severn, si le colonel ne vous l’a pas déjà dit.
_ Pas de nom, juste Victor, asséna sèchement le chasseur de prime.
_ Beuh… c’est vrai ce mensonge ? »

Mark se tourna vers Rachel pour obtenir confirmation : après tout, ils avaient l’air de bien se connaître, hein. Celle-ci se contenta de balayer la question d’un haussement d’épaule. Certes, la jeune femme connaissait le nom de famille de Victor, mais elle savait aussi qu’il refusait obstinément d’utiliser le patronyme de son père depuis qu’il était tout gosse. Le lancier devrait donc se contenter d’un simple prénom.

« Bien, Victor, vous aviez aussi une question ? Fit remarquer Trevor.
_ Oui, acquiesça l’intéressé. Si j’ai bien compris, votre plan, c’est d’aligner mon groupe et deux compagnies de Marines pour faire sa fête à Barbe-de-fer…
_ Pis assurer la protection d’Havre-jonc durant l’affaire, accessoirement.
_ Sauf que vous n’avez que deux sous-lieutenants sous la main, donc… Qui va commander ? Pointa Victor.
_ Ne vous inquiétez pas, ça ne posera aucun problème, assura Trevor. N’est-ce pas, Mark ?
_ Pardon, mon colonel ?
_ Lieutenant Severn : félicitation, vous êtes temporairement promu au grade de vice-lieutenant le temps de cette mission, affirma le colonel. Charge à vous de vous assurer que tout se passe bien.
_ Heu… C’est une blague, mon colonel ?
_ Du tout, affirma Trevor.
_ Maismaismais c’est pas possible, mon colonel ! Paniqua Mark. Ch’uis une catastrophe en tant que chef, on peut pas se permettre de…
_ Tatata ! Réfuta le colonel. La commandante a toute confiance en toi et moi aussi. Tu verras, ça se passera bien !
_ Mais c’est Rachel qui déchire tout dans l’Arène ! C’est à elle qu’il faut confier les rênes de la mission ! Insista le lancier.
_ Certes, mais ce n’est qu’une expérience théorique, expliqua le colonel. C’est toi le vétéran, ici, Mark.
_ Mais ch’uis arrivé à peine trois mois avant elle !!
_ Ce qui fait donc de toi le plus ancien, CQFD.
_ Ô mon dieu, c’est un véritable cauchemar !
_ Allons, vice-lieutenant, calmez-vous, tenta de le rassurer Rachel d’une voix apaisante. Moi et mes hommes vous soutiendrons de notre mieux dans cette tâche.
_ Facile à dire mais… Hé, attendez ! S’exclama subitement Mark. Si c’est moi le chef, je peux donc donner des ordres !?
_ Ben c’est un peu le principe, oui, gamin.
_ Rachel, je t’ordonne de me concocter un plan béton pour délivrer Havre-jonc !
_ À vos ordres, mon lieutenant ! Confirma l’imposante albinos avec un grand sourire.
_ Heu… Nononon, Mark, intervint Trevor. Je crois que t’as pas bien compris le rôle d…
_ C’est moi qui commande, c’est moi qui décide, non, mon colonel ? Demanda ingénument le lancier.
_ Oui, certes, mais…
_ Ben voilà ! Triompha Mark. Et puis, le lieutenant Jaeger dit toujours qu’un bon officier doit savoir bien déléguer.
_ Le lieutenant Jaeger est une grosse feignasse, sois gentil de ne pas prendre exemple sur lui, tu veux.
_ Bien, alors maintenant que la hiérarchie est fixée, laissez-moi mettre les choses au point, Mark, signala Victor. Moi et les miens, nous ne sommes là que pour éliminer Barbe-de-fer. Nous obéirons à vos ordres tant que nous pensons que cela nous permet d’avance dans la bonne direction. Pour autant, cette obéissance n’est pas un dû : nous ne sommes pas vos larbins. Si vous ne faites pas preuve du minimum de courtoisie élémentaire dans vos demandes, nous vous laisserons en plan pour faire cavalier seul. Sommes-nous bien d’accord sur ce point ?
_ Heujebenmeje… Oui, bien sûr, pas de soucis, m’sieur Victor. … Dites, vous pourriez arrêter de me toiser comme ça ? Ça me fait carrément flipper, en fait.
_ Désolé, le prenez pas mal, c’est pour en imposer direct à ceux qui veulent se la jouer petit chef avec nous.
_ Oui ben c’était pas mon intention alors arrêtez ça ! … Siouplé, j’veudx dire…
_ Mon lieutenant ? Demanda Rachel toujours penchée sur la carte. Puis-je vous poser une question ?
_ Bien sûr, j… Hé minute, depuis quand tu me vouvoies, Rachel !? S’alarma subitement Mark.
_ Depuis votre promotion, mon lieutenant.
_ Ah. Hé ben je t’ordonne de me tutoyer comme avant, décida le lancier.
_ Négatif, ça serait irrespectueux de la hiérarchie, rétorqua derechef l’intéressée.
_ Raah zut, j’espérais que ça marcherait pour tout. Heu… Bon, qu’est-ce qu’il y a ?
_ Je ne m’y connais pas assez en navigation, expliqua Rachel en pointant la carte. Avons-nous moyen d’attendre Rocbrume entre trois heures et quatre heures du matin ?
_ Heu… oui, si on tarde pas trop, réfléchit rapidement le lieutenant Severn. Mais pourquoi cet horaire précis ?
_ Hé bien, les fêtards poussent rarement jusqu’à à cette heure-ci et les boulangers ne sont pas encore levés non plus, expliqua l’imposante albinos. Cela nous permettrait de débarquer et de nous mettre en position sans craindre de témoins accidentels.
_ Mmmh, pas con, approuva Mark. Très bien, alors partons immédiatement ! On verra le reste du plan pendant le voyage. Allez-y, je vous rejoins, j’ai un dernier truc à régler avec le colonel avant qu’on parte.
_ À vos ordres, mon lieutenant ! Affirma Rachel en se mettant en route.
_ Bien reçu, opina Victor en faisant demi-tour.
_ Un instant ! Fit Trevor. Rachel, veuillez prendre le livre marron avec les trois post-it rouges qui dépassent, sur l’étagère, là, sur votre droite. »

La jeune femme obtempéra, identifiant sans peine ledit bouquin dans le fatras bordélique qui ensevelissait toutes les étagères de la pièce. Les indications du colonel était étonnamment précises puisqu’il n’y avait qu’un seul objet qui y correspondait. Toute la pièce ressemblait à un vaste bordel pour le profane, mais visiblement, Trevor savait non seulement parfaitement où se trouvait quoi mais aussi comment le décrire de façon succincte pour que ses interlocuteurs voient tout de suite de quoi il était question.

« Vous trouverez à partir de la page douze un plan du village de Havre-jonc et des cartes des environs, expliqua le colonel. Tout ça date d’il y a quatre-cinq ans, mais ça pourrait vous aider pour votre mission, expliqua le gradé.
_ Merci, mon colonel ! Sourit Rachel. J’en ferai bon usage.
_ Oh, ça, je n’en doute pas, petite. À nous deux, Mark, reprit Trevor en reportant son attention vers le lancier qui n’avait pas encore bougé. Vous vouliez discuter d’un truc ?
_ Oui, mon colonel. Heu… Vous êtes vraiment sûr de vous, là ? Demanda le lieutenant Severn en baissant d’un ton. J’veux dire… on sait tous les deux que c’est Rachel qui devrait commander, pas moi. J’vais carrément lui laisser les rênes de la mission et vous le savez ! Ça rime à rien de faire de moi le chef, là.
_ Je sais, je sais, c’était même ça, le plan de départ, avoua le colonel sur le même ton. Mais j’ignorais qu’elle et Victor se connaissaient et entretenaient une relation visiblement tumultueuse. Bon sang, tu as bien vu comment ç’a tourné dès qu’ils se sont vu ? Non, non, non, il faut quelqu’un pour les cadrer et faire la médiation entre eux deux, sinon on court droit au désastre.
_ Et c’est sérieusement à moi que vous avez pensé !? S’étrangla Mark.
_ Ben faut dire que j’avais personne d’autre sous la main, non plus…
_ Ah super ! Merci ! Pour le coup, c’est vachement encourageant, ça, tiens…
_ Roooh, allez, c’était juste une boutade.
_ Ouais, genre…
_ Rassure-toi, tout va bien se passer, affirma Trevor. Ce sont des bons, laisse-les donc s’occuper du boulot : tout ce que tu as à faire, c’est de les canaliser dans la bonne direction.
_ Tout bonnement génial. Moi je dis, c’est maintenant qu’on court au désastre, grommela Mark.
_ Mais non, souviens-toi donc un peu de pourquoi on t’a promu officier et tout se passera bien, tu verras ! Assura Trevor avec conviction. T’inquiètes, tu vas gérer comme un chef, mon petit champion !
_ Mouais, si vous le dites… » soupira le lancier.

Sans enthousiasme, le lieutenant Severn salua pour prendre congé et se retourna, résigné, justement pour constater que Rachel et Victor étaient encore tous deux en train de se chicaner, coincés devant la porte du bureau, chacun refusant de laisser passer l’autre parce que c'était à lui de passer le premier, qui au prétexte de la courtoisie, parce qu’il était un invité, qui au prétexte de la galanterie, parce qu’elle était une femme.

« Non, non, je maintiens : on court vraiment au désastre, là… »
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Tandis que le soleil se couchait paresseusement à l’horizon, le Chasseur Blanc, croiseur de la Marine de son état, fendait prestement les flots pour rallier Rocbrume le plus rapidement possible. Les deux compagnies de Marines embarquées préservaient leur force pour la nuit agitée qui s’annonçaient, tout n’était donc que calme et quiétude à bord. Tout ? Non ! Car le mess des officiers bruissait d’une irrépressible agitation alors que l’état-major du navire planifiait son modus operandi.

« … Ouais, ben je te ferai dire que mes gars surclassent largement vos troufions, et que ça, ça, c’est un fait, d’abord ! Était en train d’affirmer haut et fort Victor avec beaucoup de diplomatie.
_ Hé ben c’est justement pour ça qu’on garde ta bande d’empaffés en réserve pour l’assaut final, répliqua derechef Rachel avec non moins de tact. On voudrait surtout pas que vous vous blessiez stupidement pendant la phase préliminaire de l’opération ! Tu devrais carrément m’en être reconnaissant, même ! »

Le malheureux vice-lieutenant Severn se tenait coi mais n’en pensait pas moins intérieurement. Il sentait confusément qu’en tant que plus haut gradé, c’était son rôle de mettre un terme à cette énième chamaillerie entre les deux natifs du Royaume d’XXXX, mais il ne savait pas comment s’y prendre. Avec ses hommes, ç’aurait été facile, il les aurait pris entre quatre yeux, poussé une gueulante et bam, ils se seraient tout de suite sentis intimidés ! Mais là, c’était pour le moins râpé.
Déjà, parce qu’en dépit de son propre mètre quatre-vingt, les deux bourrins lui rendaient bien une tête et demie – voire deux – chacun et qu’il était étonnamment difficile d’avoir l’air furieux et intimidant lorsqu’il faut se casser la nuque pour regarder les gens dans les yeux. Ensuite – et surtout ! – parce que c’était même plutôt lui qui se sentait impressionné par les deux zigues. Rachel, parce qu’il l’estimait et qu’elle incarnait à ses yeux son idéal d’officier qu’il souhaitait pouvoir devenir. Il ne se voyait juste pas l’admonester. Victor, parce qu’il avait une de ces façons de vous dévisager lorsqu’il le voulait qui vous faisait vous sentir tout drôlement misérable, négligeable et vulnérable. Un truc de chasseur de primes, sûrement. M’enfin, dans tous les cas, les tentatives pour en imposer, c’était mort, il fallait qu’il trouve autre chose.
Sauf qu’il ne voyait pas du tout quoi.
Et que la réunion n’avançait pas d’un pouce pendant ce temps-là.

« Nous blesser ? Tu veux rire !? Aucun chance : on est des pros, nous, je te rappelle ! Rétorqua vertement le chasseur de primes.
_ On est d’accord : z’êtes des pros de la castagne ! Souligna l’imposante albinos qui refusait d’en démordre. Sauf que là, c’est une opération de sauvetage, alors on a pas besoin que vous nous mettiez stupidement des bâtons dans les roues !
_ Pardon !? Non mais c’est carrément le roquefort qui dit au camembert qu’il pue, là ! Fulmina Victor. Les seuls qui peuvent se montrer une gêne, ici, c’est vous !
_ Parce que t’as souvent libéré des villages, toi, peut-être !? Le contra Rachel.
_ SILENCE !! Beugla soudainement Mark. Je vous préviens, le prochain qui gueule, je m’en sers pour frapper l’autre avec ! »

Les deux XXXXiens s’interrompirent pour lui adresser un coup d’œil irrité, haussant chacun un sourcil interrogateur. Mark se sentit immédiatement se décomposer sous le regard scrutateur des deux colosses.

« Heu… hum… se racla désespéramment la gorge le vice-lieutenant. Désolé. Ch’ais pas trop… J’essayais de me la jouer comme le colonel, en fait, et… hum… Bon, bizarrement, j’ai comme l’impression que ça n’a pas trop marché, hein…
_ Ben venant de la part de l’Ours, c’était carrément crédible, mais là…
_ Merci Rachel, ça m’aide vraiment beaucoup, ça… Victor, annonça Mark, je dois vous dire que je suis d’accord avec Rachel : nous ne pouvons pas utiliser vos hommes pour tout.
_ Mais bien sûr que si, vous pouvez : on sait tout faire ! Assura le chasseur de primes avec morgue. Kess’z’avez pas compris dans "on est les meilleurs" !?
_ Je n’en doute pas, assura le vice-lieutenant en faisant de son mieux pour ignorer le regard outré que lui décocha immédiatement l’imposante albinos. Mais comprenez que nous devons aussi penser à notre image.
_ Votre image ? S’étonna Victor, prit de court.
_ Quelle image ? Surenchérit Rachel, tout aussi larguée.
_ Hé bien, c’est déjà vous qui allez défaire Barbe-de-fer et rapporter sa tête, souligna Mark. Si en plus on vous laisse prendre le beau rôle pour la libération d’Havre-jonc, on va avoir l’air de quoi, nous, la Marine ?
_ Les relations-publics ? C’est sérieusement ça votre argument, mon lieutenant ??
_ Aaah, très bien, je vois le tableau, affirma le chasseur de primes en hochant la tête d’un air entendu. La population, c’est un peu votre employeur, alors vous voulez vous faire mousser un chouïe. Nan mais je comprends, pas de soucis, c’est de bonne guerre. ’fallait le dire tout de suite plutôt que de laisser Rachel se perdre dans son argumentaire débile !
_ Le débile, ici, c’était clairement pas mon argumentaire !
_ Merci, je savais qu’un professionnel comme vous comprendrait de suite de quoi il en retourne, passa généreusement la pommade Mark. Sur ce, Rachel, est-ce qu’on peut en revenir à l’élaboration du plan ?
_ Sûr, mon lieutenant, affirma l’imposante albinos.
_ Non mais sans crêpage de chignon, je veux dire.
_ Hé, ho, c’est lui qu’a commencé, d’abord ! »

Le trio se repencha sur la carte d’Havre-jonc que leur avait fournit le colonel. C’était un petit tour de force qui avait laissé les trois jeunes gens pantois lorsqu’ils l’avait découverte : d’abord, la carte du village ainsi que des environs de l’île était manuscrite. C’était le colonel qui l’avait faite lui-même. Il était visiblement bien plus adroits et minutieux de ses mains que son apparence de grosse brute épaisse ne le laissait songer. Ensuite, parce que pour ce qu’ils en savaient, Trevor ne quittait jamais sa forteresse. Et il ne demandait jamais spécialement de détails topographique à ses officiers qui lui faisaient les rapports de mission. Et pourtant, d’une façon ou d’une autre, il avait collecté et compilé suffisamment d’informations pour dresser cette carte. Et vu le fouillis que constituait son bureau, il ne faisait aucun doute qu’il devait avoir fait de même pour toutes les îles des Confins. Mark et Rachel se demandaient ouvertement si tous les colonels de la Marine disposaient de super-pouvoirs de ce genre.
En attendant, c’était tout de même fort pratique pour monter l’opération, vu que personne sur le navire n’avait jamais mis les pieds à Rocbrume ces dernières années.

« Bon, on profitera donc du couvert de la nuit pour débarquer un petit contingent ici, à l’est, expliqua Rachel en pointant du doigt la carte. Le repaire des pirates se trouvant à la pointe sud, le Chasseur Blanc contournera l’île par le nord pour éviter d’être vu puis débarquera un second contingent sur la plage, là, à l’ouest.
_ On utilisera quelle troupe ? S’enquit Mark.
_ Ma compagnie, affirma la jeune femme. Ne le prenez pas mal, mon lieutenant, mais mes hommes sont davantage rodés à ce genre de déploiement minuté que les vôtres.
_ Y’a pas de mal, on sait tous qui c’est qui domine dans l’Arène.
_ Nous n’avons aucune idée de ce qui nous attend dans le village, ni du dispositif mis en place par les pirates pour menacer la vie des villageois, reprit Rachel. Donc l’idée, c’est d’approcher jusqu’à la lisière du village par les deux côtés.
_ Tu ne crains pas de te faire griller ? Fit Victor. Z’êtes quand même pas des Marines d’élite, à la base, hein…
_ Non mais vas-y, prends-nous pour des ploucs aussi, j’te dirais rien ! Je pense que ça ne craint rien, affirma l’imposante albinos. Les pirates sont là depuis un petit moment, or on ne peut pas se maintenir en état d’alerte indéfiniment. Leur surveillance s’est donc probablement émoussée. Par ailleurs, plusieurs patrouilles de la Marine sont déjà passées sans rien entrevoir de leur subterfuge, ce qui joue en notre faveur : ils doivent vraisemblablement s’être mis en tête qu’ils sont en sécurité et ne devraient donc plus se méfier.
_ "Probablement", "vraisemblablement", "devraient", releva le chasseur de primes. Ça fait un gros paquet de suppositions très aléatoires pour baser toute une stratégie.
_ Parce que t’as mieux, comme plan, peut-être !? Gronda immédiatement Rachel.
_ Un peu, oui ! On…
_ Autre que foncer bêtement dans le tas, je veux dire ! Lui cloua aussitôt le bec l’imposante albinos.
_ Hé, c’est un plan parfaitement fonctionnel ! On investit le village, on liquide les pirates et le tour est joué, maintint Victor.
_ Oooh non, z’allez pas recommencer, quand même ?
_ T’es débile !? Ça prendrait trop de temps et les pirates se retourneraient contre la population ! Lui signala Rachel.
_ Ça vous prendrait trop de temps, rectifia derechef Victor. Sois gentille de ne pas nous mettre dans le même sac que les bons-à-riens dans votre genre !
_ Siouplé, on se calme et on en revient au plan !
_ Bon-à-riens !? Bondit la jeune femme. Dis-donc voir, rappelle-moi donc un peu qui est l’andouille qui est venu quémander de l’aide à la Marine parce qu’il était trop nul pour gérer la situation tout seul !?
_ C’était juste par courtoisie ! Minora aussitôt le chasseur de primes. Et si j’avais su que j’allais devoir bosser avec une telle bande de boulets, j’aurais effectivement géré ça tout seul à ma manière !
_ Allez, quoi, vous vous êtes déjà engueulés pendant une heure y’a même pas cinq minutes…
_ Ha ! J’vois d’ici la scène, railla Rachel. Une bande de pieds nickelés qui chargent en gueulant, à découvert et en plein jour. Non, non, riche idée, bonhomme !
_ Oui alors d’abord, on aurait attendu la nuit, signala Victor, pis en plus, je te ferai dire qu’on en serait surtout pas là si toi et ta garnison vous faisiez correctement votre boulot ! Parce qu’aux dernières nouvelles, c’est quand même pas moi qu’ait laissé un dangereux capitaine pirate s’installer à deux pas de ma forteresse !
_ Hé ho…
_ Alors primo, j’ai jamais foutu les pieds sur cette connerie d’île alors c’est pas ma faute à moi s’il est passé entre les mailles du filet, répliqua vertement l’imposante albinos. Et secundo, on l’a cherché partout dans les Confins, nous, le Barbe-de-fer, alors on a rien à se reprocher !
_ Sauf qu’il était sous vos yeux et que vous, vous regardiez ailleurs, pointa implacablement le chasseur de primes. Oh, mais je suppose que c’était parce qu’il pouvait "probablement" pas être là, qu’il se cachait "vraisemblablement" ailleurs et qu’il "devrait" être un peu plus loin d’Hexiguel ! Bien joué, les stratèges du dimanche ! Grosse réussite, ma foi…
_ Stoooop, un peu de concentration, c’est ici que ça se passe ! » Recadra illico Mark en s’inspirant une nouvelle fois du colonel.

En pure perte, tant les deux XXXXiens ne lui prêtèrent pas la moindre attention et continuèrent à s’invectiver avec ardeur.

Le vice-lieutenant délaissé se mit à broyer du noir, songeant amèrement que ce devait être parce qu’il n’avait pas une grosse voix caverneuse comme Trevor qu’il n’arrivait pas à s’imposer comme lui. Sûrement un autre super-pouvoir de colonel : quand ils ouvrent leur gueule, les gens avisés les écoutent, eux.
Sauf qu’il ne disposait pas de ce super-pouvoir. Moralité, le briefing était partie pour s’allonger encore une heure de plus sans la moindre avancée décisive. C’était la réunion la moins constructive de toute de sa vie. Et pourtant, il bossait dans la Marine, donc les réunions improductives, ça le connaissait…
Mais si d’ordinaire il pouvait juste pester contre la hiérarchie et l’administration, là, cette fois-ci, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. C’était lui le gradé, c’était à lui de s’assurer de faire avancer les choses et il n’y arrivait pas.

‘fallait voir les choses en face, il ne méritait pas du tout son rang – même temporaire – de vice-lieutenant. Quoiqu’en pense Trevor ou la commandante, il n’avait pas du tout l’étoffe d’un officier.
Et toute cette mission allait tourner au fiasco.
Il allait être la risée de la base.
Peut-être même qu’on allait le dégrader…
Peut-être même qu’on allait le radier de la Marine !?

« GYYYAAAAAAAHHHHHHHAAHHHHHHAHHHHHHHHAAAAAAAAH !! »

Dans un hurlement d’angoisse terrifiant, le vice-lieutenant se jeta en arrière sur sa chaise avec tant de force qu’elle se renversa et qu’il se retrouva les quatre fers en l’air, les mains plaqués sur le visage.
Mais pour le coup, il venait de capter l’attention de ses deux comparses.

« Tout va bien, mon lieutenant ? S’enquit immédiatement Rachel avec sollicitude.
_ M’enfin, qu’est-ce qui t’arrive, bonhomme ? S’inquiéta Victor.
_ On va jamais y arriver ! Se lamenta Mark. Je ne vais jamais y arriver ! Faut qu’on fasse demi-tour, on peut pas gérer ça tout seul, on court tout droit à la catastrophe !! Jveupa-jveupas-jveupaaaaas !!! Ouiiinnn, pouuur~kwa moaaa…
_ Mais non, mais non, calmez-vous, tout va bien, assura l’imposante albinos en l’aidant à se relever. Je sais que c’est beaucoup de pression de commander mais il ne faut pas vous angoisser comme ça, mon lieutenant.
_ Ouais, ‘faut pas abandonner alors que les jeux ne sont même pas encore fait, abonda le chasseur de primes. Et pis tout va bien, pour l’instant, non ? Oukilé, le problème ?
_ C’est foutu, j’vous dis : on arrive même pas à monter un plan d’action, souligna Mark. À ce rythme-là, on aura atteint Rocbrume et on saura toujours pas quoi faire !
_ Roooh, mais non, ‘faut pas se mettre dans des états pareils, voyons ! l’houspilla Victor. Ok, j’ai bien compris que t’es une vraie bille en stratégie…
_ Victor !
_ … mais faut pas t’inquiéter : Rachel est là pour ça.
_ Pour la stratégie ou pour s’inquiéter ?
_ Ben les deux.
_ Victor n’a pas tort, mon lieutenant…
_ J’ai même carrément raison, tu veux dire.
_ Pas du tout ! C’est pas du tout ce que je veux dire ! Je vous promets qu’on aura un plan d’attaque aux petits oignons avant d’arriver sur Rocbrume, assura Rachel. Et même si ça devait mal tourner, n’oubliez pas que nous avons Victor et sa clique en cas de pépin. Ils sont habitués aux coups durs et sauront comment inverser la vapeur.
_ Ouais, faites-nous confiance, on est des pros, affirma le chasseur de primes. Alors rasseyez-vous sur votre chaise, mettez-vous à l’aise et laissez-nous gérer ça.
_ Mais… Hésita Mark.
_ Faites donc comme il dit, mon lieutenant, soutint l’imposante albinos. C’est normal de ne pas êtes le meilleur partout, alors concentrez-vous plutôt sur ce que vous savez faire et nous, nous assurerons le reste.
_ Ben oui, mais ch’sais rien faire, moi, en fait…
_ Allons, mon lieutenant, ça n’est pas vrai du tout et vous le savez très bien. Ne vous inquiétez pas inutilement, ça va très bien se passer, vous verrez, affirma Rachel en dédiant un sourire apaisant à son supérieur. Bon. Heu… On en était où ?
_ Prise en étau du village avec ta compagnie, rappela Victor.
_ Ah oui, merci… Hum ! Non mais j’le savais, d’abord.
_ Ouais, genre…
_ C’était pour voir si toi tu suivais. Bref, reprit la jeune femme, je prendrais le commandement sur place et j’aviserai en fonction de la situation. Sans plus d’information, notre priorité sera de mettre progressivement un maximum de villageois en sécurité. On tachera de les exfiltrer par petit groupe jusque sur la plage ouest : en cas de pépin, on les fera directement embarquer sur le Chasseur Blanc.
_ Super, et nous, dans tout ça ? Voulut savoir le chasseur de primes.
_ Lieutenant Severn, avec votre autorisation, j’aimerais maintenir la moitié de vos hommes sur le croiseur.
_ Heu… Ok, pourquoi pas, acquiesça Mark. Mais pourquoi faire ?
_ Blocus devant l’entrée de la grotte, mon Lieutenant, expliqua l’imposante albinos. Si le navire de Gianza devait quitter son abris, il le ferait en ligne droite, face à nos batteries et on l’engloutirait alors sous un déluge de feu. D’autant que les canonniers auront largement eut le temps de faire l’appoint avec l’entrée de la grotte et devrait pouvoir viser directement la ligne de flottaison de Barbe-de-fer. Si on perce l’étrave, l’eau s’engouffrera dans le nez du navire, l’empêchant de prendre de la vitesse : il coulera sans même pouvoir s’extirper de la grotte.
_ Wow… Carrément moche, bien vu !
_ Je vous avais promis un plan aux petits oignons, mon lieutenant.
_ Je suis contre, lâcha abruptement Victor.
_ Vous ne voulez pas qu’on plombe le navire de Barbe-de-fer ? S’étonna Mark. Relax, vous toucherez quand même la prime s’il était dedans, hein…
_ Non, non. L’idée du blocus ne me dérange pas, bien au contraire, expliqua le chasseur de primes. Mais si la compagnie de Rachel s’occupe du village et que la moitié de vos hommes restent sur le rafiot, il ne vas pas rester bien lourd pour prendre d’assaut le repaire des pirates. Son équipage est vachement populeux, je vous rappelle. Navire mis à part, il vaudrait mieux grouper toutes nos forces pour nettoyer la grotte.
_ On s’en fiche, il n’y aura pas d’assaut lors de la phase une de l’opération, affirma l’imposante albinos.
_ Pardon !? Gronda Victor.
_ Toi et le reste de la troupe du vice-lieutenant, vous formerez un cordon de sécurité entre le repaire des Pirates et Havre-jonc, détailla la jeune femme en soutenant le regard furieux du chasseur de primes. Notre opération vise avant tout à sécuriser le village et ses habitants. Barbe-de-fer n’est qu’un objectif secondaire.
_ C’est une blague !? N’en revint pas le jeune homme.
_ Non, maintint sèchement Rachel. Nous sommes la Marine et ces civils sont sous notre responsabilité, je te rappelle.
_ Severn, vous n’allez quand même pas la laisser merder comme ça ? En appela Victor au vice-lieutenant.
_ Ben…
_ Tu vois ! Lui aussi trouve que c’est n’importe quoi !!
_ Hein ? Mais non mais j’ai pas…
_ Rien du tout ! S’exclama la jeune femme. On y va pour protéger les habitants et ça n’est pas négociable ! Pas vrai, mon lieutenant ?
_ J…
_ Voilà, il a dit oui !
_ Hé !
_ Conneries ! Balaya le chasseur de primes. Si on ne bute pas Barbe-de-fer, tout ça n’aura servi à rien. Et pour optimiser nos chances de succès, il faut exploiter l’effet de surprise : on ne peut pas surseoir l’assaut sur le repaire de Gianza.
_ C’est toi qui raconte n’importe quoi ! Réfuta rageusement Rachel. Pourquoi tu crois que les villageois vous ont contacté et vous on donné autant de détails !? Ils vous ont confié leur destin pour que vous les sauviez ! C’est de sécurité dont ils ont besoin, pas d’une vengeance posthume !
_ On est des chasseurs de primes, rétorqua Victor sur le même ton. Ils nous ont contacté en connaissance de cause !
_ Mais comment tu peux dire ça !? Explosa la jeune femme. T’as pas dit que la cousine d’une de tes membres habitait sur place ? Avec toute sa famille ? Tu les sacrifierais vraiment sans hésiter !?
_ Je me moque pas mal de ce qui peut arriver aux civils ! Je… »

Choc sourd. Chasseur de primes qui s’écrase lourdement contre la paroi du mess. Paire de lunettes de soleil qui glisse au loin sur le sol.
Le vice-lieutenant Severn cligna trois fois des yeux. Non, il ne rêvait pas. Rachel venait de planter un pain dans la mâchoire de Victor. Comme ça, là, sans prévenir.
Mark s’était déjà demandé si la gentille et attentionnée sous-lieutenante pouvait se mettre en colère et à quoi ça ressemblait si tel était le cas. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il était servi. L’imposante albinos irradiait d’une telle fureur qu’elle semblait prendre toute la place dans la pièce et surplomber tout un chacun. Plus probablement parce que tout un chacun se recroquevillait sur place en se demandant dans quel trou de souris se cacher. Enfin, les tout un chacun comme lui en tout cas. Parce que le Victor, lui, il avait surtout l’air bien sonné, du coup. Ou par le coup. ‘fin bref. Il n’était clairement pas trop en état de réagir.
Ce qui était fort dommage pour lui vu que Rachel n’en avait visiblement pas fini.

« Non mais est-ce que tu t’entends, espèce d’abruti ! Hurlait à plein décibels la jeune femme tout en s’avançant vers son interlocuteur. Tu te moques pas mal de ce qui peut arriver aux civils !? Sérieusement !!? Dis-moi voir où est passé le gamin qui jouait constamment les justiciers ? C’est vraiment à ça que t’aspirait à devenir depuis tout ce temps !? Putain, Victor, mais qu’est-ce que t’as foutu ces dernières années ?! Réponds-moi ! Tu crois pas que t’as perdu de vue quelque chose de fondamental, là !? Tu vas me répondre, bon sang !? »

Rachel, hors d’elle, attrapa vigoureusement le chasseur de primes en état de choc par le col et le souleva d’un seul geste pour le secouer comme un prunier. Tout du moins l’aurait-elle fait si Mark n’avait pas vivement fait irruption pour s’interposer entre elle et Victor.

« Ok, ok, c’est cool, Rachel, affirma le vice-lieutenant en levant les bras dans un geste apaisant. C’est bon, je crois qu’il a bien compris ton point de vue, là. Cool, calme. Ça serait dommage de s’entre-tuer avant les pirates, hein…
_ Mais je… Commença la jeune femme toujours fulminante.
_ Ouais, ouais, ouais, j’en doute pas, la coupa derechef Mark. Mais maintenant que j’y pense, ch’uis drôlement inquiet de savoir si nos hommes sont bien installés. Tu ne voudrais pas aller voir ce qu’il en est ?
_ Mais…
_ C’est un ordre, lieutenant, insista l’officier.
_ Vous… Vous me chassez de la réunion ?
_ Meuuuhnon ! Tout de suite les grands mots… C’est juste que Victor et moi, on… hum… on a des trucs à se dire. Heu… Entre mecs. Ouaip. Voilà.
_ Genre…
_ Non mais c’est pas ma faute si ch’uis nul pour trouver des excuses bidons, moi, hein ! Bref, c’est un ordre alors exécution, lieutenant, commanda Mark. Et prenez bien votre temps, surtout. Je vous ferai appeler lorsqu’on pourra reprendre la réunion. Quand les esprits se seront un peu calmés, tout ça… »

Rachel hésita, jeta un coup d’œil rageur à Victor, toujours prostré contre la cloison, puis revint à Mark, qui faisait de son mieux pour avoir l’air aussi imperturbable que sûr de lui. Le temps sembla suspendu un instant, dans l’attente de la décision de la jeune femme. Et puis le sens de la discipline de l’imposante albinos l’emporta enfin sur la colère et elle prit sèchement congé de son supérieur avant de quitter les lieux, non sans claquer furieusement la porte derrière elle.
Le lieutenant Severn laissa échapper un soupir de soulagement, ayant l’impression de se vider comme une baudruche. Finalement, il préférait mille fois affronter la sous-lieutenante en duel que de devoir s’imposer entre elle et l’objet de son ire. Il avait d’ailleurs bien failli se faire emporter à la place de Victor, à s’interposer brusquement comme ça. Bordel, c’était une chose de meuler la face des gens en combat, mais c’en était une toute autre que de devoir désamorcer un conflit sans rajouter de l’huile sur le feu. Heureusement, Rachel avait parfaitement répondu à ses attentes : un officier modèle comme elle n’avait pas tendance à désobéir à un ordre direct. Un bon point, ça.

Rasséréné, l’apprenti leader alla donc ramasser la paire de lunettes du chasseur de primes avant de reporter son attention sur lui. Victor avait toujours l’œil hagard, massant machinalement sa mâchoire traumatisée sans même s’en rendre compte, toujours secoué. À plus d’un titre.

« Heu… Ça va, Victor ? Demanda Mark. Je me suis permis d’intervenir parce que vous aviez l’air méchamment atteint. … Elle a tapé dans le mille, pas vrai ?
_ Ouais, marmonna le chasseur de primes d’une voix lointaine tout en se frottant la mâchoire. Son discours aussi était pas mal, d’ailleurs.
_ C’est justement de ça dont je parlais, gros malin ! Hum… Ça va aller ?
_ Ouais, ouais, laissez-moi juste un peu de temps, grommela Victor en entreprenant de se redresser.
_ Pas de soucis, affirma l’officier. C’est pour ça qu’on fait une pause, prenez le temps qu’il vous faut. »

Le chasseur de primes se releva sans dire un mot, attrapa ses lunettes de soleil au passage avant d’aller se planter devant l’un des hublots de la pièce, son regard se perdant vers l’horizon. Mais Mark n’était pas dupe : il sentait bien que Victor était surtout en train de ressasser ce qui venait de se passer. Il fallait juste attendre qu’il digère.

N’ayant rien de mieux à faire, le vice-lieutenant s’en retourna au bureau et compulsa le bouquin qui contenait la carte de Rocbrume tout en gardant un œil attentif sur le chasseur de primes. C’était dingue, s’aperçut-il : tout le manuscrit fourmillait d’informations sur l’île. Nombre estimé d’habitants, liste de noms et de fonctions, estimation des capacités de productions annuels, impacts des aléas climatiques sur l’économie locale ces dernières années. Un véritable guide couvrant l’île sous tous ses aspects. Bon sang, y’avait même des commentaires quant à la qualité gustative des deux gargotes d’Havre-joncs ! Trevor était un monstre. Ou avait beaucoup trop de temps libre. Ou un peu des deux. Sûrement les deux, en fait.

« Vous croyez qu’elle a raison ? Demanda subitement Victor dans un murmure, sans se retourner.
_ Qui ? Rachel ? Fit Mark.
_ Non, la princesse de Luvneel ! Cracha hargneusement le chasseur de primes. Bien sûr que je parle de Rachel ! Qui d’autre ? Bon sang mais suis donc un peu, bonhomme !
_ Bon, ben visiblement, reprendre du poils de la bête, c’est fait, j’m’inquiétais juste pour rien… Hé bien, commença diplomatiquement le vice-lieutenant, elle n’a pas tort quand elle dit que les civils sont notre priorité et que…
_ Pas ça, balaya Victor. Quand elle dit que… que j’ai peut-être perdu de vue quelque chose d’important. … Selon elle.
_ Je suis le plus mal placé pour le dire, esquiva Mark. J’ignore comment vous étiez avant. Alors que Rachel et vous êtes amis d’enfance, alors…
_ On… on était plus que des amis d’enfance, avoua le chasseur de primes, gêné.
_ Ouaiiis… Bon, en vrai, ça, j’m’en doutais un peu, hein, sans vouloir vous décevoir…
_ Mais votre avis vaut bien le sien : elle est elle-même trop partiale pour pouvoir en juger, lâcha Victor.
_ Quoi, parce que vous êtes proche ? Tenta de comprendre le vice-lieutenant.
_ Non : parce qu’elle a l’impression de se voir en moi…
_ Heu… Pardon ? Moi y’en a perdu, là. »

Victor daigna enfin se retourner, un air de profonde lassitude plaqué au visage. Pour la première fois depuis leur rencontre, le chasseur de primes ne semblait plus aussi implacable et inébranlable qu’il l’avait constamment été, nota Mark. Lui aussi était humain, finalement. D’une certaine manière, l’officier trouvait que ç’avait un côté rassurant.

« Est-ce qu’elle vous a raconté un peu son passé, au Royaume d’XXXX ? Demanda Victor.
_ Pas vraiment, répondit le vice-lieutenant. Les Marines ne parlent que très rarement de leur vie d’avant l’engagement et, tacitement, personne ne cherche à en savoir plus sur le passé des autres. Ça favoriserait l’esprit de corps de ne pas évoquer le passé, d’après la commandante.
_ À l’époque, commença lentement le chasseur de primes, quand on était encore ado, Rachel et moi, on s’est institué justicier de notre secteur. Je ne sais plus trop comment ç’a débuté. On a commencé par mettre au pas les caïds du bahut. Puis ceux des alentours. Les petites frappes. Les voyous de bas-étages. Les gangs. Le crime organisé.
_ Le cr… C’était pas carrément dangereux, ça ? Objecta Mark.
_ Pas vraiment, avoua Victor en haussant les épaules. Les gens vraiment forts ne sédentarisent pas sur les îles. Donc on était les plus forts, il n’y avait personne à notre mesure, alors on a roulé sur tout le monde, rien de plus normal.
_ Non, non, les ados normaux ne font pas du tout ce genre de chose.
_ C’est bien là où je voulais en venir, acquiesça le chasseur de primes.
_ Quoi, vous n’étiez pas normaux, alors ? S’inquiéta le vice-lieutenant.
_ Bien sûr que si ! C’est juste que… Bon, à l’époque, je n’étais qu’un ado chétif, si vous voulez tout savoir.
_ Je crois qu’on doit pas avoir la même définition du mot chétif…
_ J’ai eu une croissance tardive. Mais j’étais animé d’un fort sens de la justice, expliqua Victor. Je sais que c’est un peu con quand on a pas les moyens de ses ambitions mais je ne pouvais pas m’empêcher de vouloir défendre la veuve et l’orphelin face à la brutalité, la méchanceté ou la cruauté.
_ "Le Mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien pour prospérer", cita Mark.
_ Exactement, acquiesça le chasseur de primes. Je refusais de rester sans rien faire ou de baisser les bras.
_ Du coup, vous avez du bien vous trouver avec Rachel, devina le vice-lieutenant.
_ Oui, mais probablement pas comme vous l’imaginer, confia Victor. Elle, tout ce qui l’intéressait, c’était la bagarre. Le reste, elle s’en fichait. Je pense qu’elle m’a rejoint uniquement parce que les méchants étaient plus nombreux, donc que ça faisait plus d’adversaires et donc plus de combats. Des fois, je me dis que si la situation initiale avait été inversée, elle aurait fini reine du crime du Royaume, en fait…
_ Heu… On parle bien de notre Rachel qui s’en fait toujours pour tout le monde et veut sauver tout un chacun à tout prix ? Vérifia Mark.
_ Auparavant, c’était bien le cadet de ses soucis…
_ Attendez, attendez, attendez ! Donc vous êtes en train de me dire qu’avant, Rachel était une grosse brute qui voulait juste foncer dans le tas pendant que vous vous préoccupiez de défendre la veuve et l’orphelin… Et que maintenant, c’est totalement l’inverse !? Réalisa le vice-lieutenant.
_ Pas du tout ! Ch’uis pas une grosse brute qui veut juste foncer dans le tas !
_ Non mais c’est complètement con, on est bien d’accord ? Pointa Mark. J’veux dire : quitte à faire tous les deux le chemin jusqu’à la position de l’autre, vous pouviez pas juste vous arrêter chacun au milieu du gué pour rester sur la même longueur d’onde ? Comment vous avez fait pour pas vous rendre compte que vous vous influenciez l’un l’autre !?
_ … Parce qu’on a pas fait ce chemin ensemble, soupira Victor. On s’était séparé et on a évolué chacun de notre côté.
_ Donc, t’es devenu comme Rachel, qui elle-même est devenue comme toi, tout ça sans que vous vous en aperceviez… Résuma un vice-lieutenant incrédule. Non mais rassure-moi, mec, t’es bien conscient de ce que ça veut dire, hein ?
_ Je n’ai rien à voir avec ce qu’elle était ! Cracha le chasseur de primes. C’en a peut-être l’apparence parce que je donne l’impression de ne vouloir que me battre, mais ce n’est pas par amour du combat ! Ma seule motivation, c’est l’éradication complète, immédiate et sans concession du Mal, quoi qu’il advienne !
_ D’accord, d’accord. Tu ne recherches certes plus que la castagne, mais pour d’excellentes raison, rien à voir avec Rachel qui, elle, ne cherchait que la castagne, mais pour de mauvaises raisons, synthétisa lourdement Mark.
_ Oui, voilà, c’est exactement ça, abonda Victor. Absolument rien à voir, donc !
_ Du tout, effectivement. Ok, c’est subtil mais je vois le tableaux… Mais du coup, tu permets que je te pose une question indiscrète ? S’enquit le vice-lieutenant.
_ Essaye toujours, répliqua le chasseur de primes en haussant les épaules.
_ Rachel et toi, vous en êtes où, là, maintenant ?
_ Qu’est-ce que c’est que cette question ?
_ Mettons qu’on adore les petits potins, dans la Marine.
_ C’est compliqué, soupira Victor.
_ Hé ben simplifions : toi, tu l’aimes ou tu l’aimes pas ? Insista Mark. On peut difficilement faire plus binaire, là !
_ C’est compliqué, maintint le chasseur de primes. On a accumulé trop de divergences, elle et moi. On a plus grand-chose en commun.
_ Oui, c’est vrai, convint le vice-lieutenant. Sorti de votre amour immodéré pour la Justice, de votre volonté de ne jamais rien céder à vos idéaux, de votre côté tête de mule qui refuse d’en démordre ou de votre improbable capacité à vous prendre la tête pour des bricoles sans aucuns intérêts, je ne vois vraiment pas ce que vous pouvez bien avoir en commun.
_ Tu te crois drôle, bonhomme ?
_ Franchement ? Je crois surtout que quelqu’un ici à bien besoin qu’on le décille un peu… »
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*     *

« … dit n’importe quoi ! Crachait Rachel. Bien sûr que la priorité, c’est de sauver les civils, non !? C’est évident, quand même ! Qu’est-ce qu’il croit, cet imbécile ! J’ai bien fait de lui remettre les idées en place, d’abord ! Quand je pense que le vice-lieutenant a pris sa défense ! N’importe quoi ! C’est moi qu’ai raison, c’est évident, y’a juste rien à discuter ! »

La jeune femme tempêtait et vitupérait depuis son arrivée, faisant les cents pas dans l’antichambre qui menait à l’un des dortoirs improvisés des Marines. Devant elle se tenaient son adjudant, Edwin Marlow, griffonnant diverses croquis étranges comme à son habitude, ainsi que son fidèle sergent-chef, Jürgen Krieger, reconnaissable entre mille à son indéboulonnable casque à cornes subtilement caché sous la très réglementaire casquette de Marine. Les deux compères observaient sans mot dire leur supérieure exaspérée. C’était la première fois qu’ils la voyaient dans cet état.

« J’en reviens pas que ce soit moi qui soit punie alors que j’ai rien fait de mal ! Ronchonna tant et plus la sous-lieutenante. C’est lui qu’il aurait fallu virer de la réunion : il comprend rien et il dit n’importe quoi ! Aux dernières nouvelles, c’est quand même moi la dauphine de l’Arène : Severn a besoin de moi pour monter un plan d’attaque potable ! Ne me dites pas qu’il fait confiance à ce parvenu qu’a plus aucune jugeote, quand même !?
_ Mon lieutenant ? Intervint Krieger – qu’aucune colère tapageuse de sa supérieur ne parviendrait jamais à contraindre au mutisme – J’ai peut-être pas tout suivi mais c’était pas pour vous calmer que le vice-lieutenant Severn vous a écarté de la réunion ?
_ Mais je suis calme, rétorqua derechef Rachel, les yeux lançant presque des éclairs. Pis en plus, c’est l’autre, là, qui fait rien que m’énerver, d’abord. Non mais j’ai l’air d’être énervée, tu trouves ?
_ Ben…
_ C’est vrai que d’habitude, on est plus habitué aux meubles qui volent quand vous vous énervez, cru bon de concéder Edwin.
_ Là, tu vois, approuva l’imposante albinos. Zéro colère, tout baigne, c’est Marlow qui le dit.
_ Ah non, non, j’ai pas du tout dit ça, en fait…
_ D’accord, fit Jürgen, mais alors du coup, si vous n’êtes pas en colère, c’est quoi qui vous perturbe à ce point ?
_ Qui me… Balbutia Rachel, prise de cours. Non mais qui a dit que j’étais perturbée, d’abord !?
_ Le fait que vous ronchonniez sans discontinuer depuis bientôt vingt minutes ? Proposa Edwin.
_ Meuhtropas : j’ronchonne pas, je vous fait un compte-rendu circonstancié de la situation ! Se vexa la sous-lieutenante.
_ Ah, un compte-rendu circonstancié. Mes excuses, au temps pour moi, alors… fit l’adjudant.
_ Hé, ch’uis pas encore assez troublée pour ne pas reconnaître de l’ironie, j’te signale ! Avertit Rachel.
_ Donc vous vous sentez troublée ? Releva Jürgen. Ah ben on progresse…
_ Pas du tout !! C’est juste ma langue qu’a fourché, ça comptait pas ! »

On toqua discrètement à la porte. Beric, l’adjudant du vice-lieutenant Severn, passa la tête par l’entrebâillement pour signaler à Rachel que la réunion reprenait et qu’elle était attendue au mess de toute urgence.

« Aha ! On reprend les choses sérieuses, s’enthousiasma immédiatement Rachel. Deuxième round, c’est parti ! On va voir ce qu’on va voir !
_ Heu… Mon lieutenant ? S’enquit Edwin juste avant que sa supérieure ne sorte.
_ Oui, adjudant Marlow ? Qu’est-ce qu’il y a ? Demanda l’imposante albinos.
_ Je… heu… … Non, rien, désolé, se ravisa finalement timidement le jeune homme.
_ Allez-y, je ne vais pas vous manger, l’encouragea d’un sourire Rachel. Vous devriez le savoir, depuis le temps, non ?
_ Non, non, rien du tout, désolé, marmonna l’adjudant, tout contrit.
_ … Tout va bien, Marlow ? s’inquiéta subitement Rachel en fronçant les sourcils, soucieuse. Vous vous comportez bizarrement, aujourd’hui.
_ Non, non, c’est rien, assura Edwin. C’est juste… Heu… L’appréhension de la bataille : c’est notre première mission, alors je suis un peu anxieux, voilà tout. Désolé.
_ Ne vous inquiétez pas, le rassura gentiment l’imposante albinos. Procédez comme dans l’Arène et tout se passera bien, vous verrez ! Et puis je ne serai pas loin en cas de pépin, alors tout ira bien, je vous le promets.
_ Si vous le dites, mon lieutenant, opina l’adjudant avec un pâle sourire.
_ Sûre, alors courage ! Le soutint Rachel. J’y vais, gardez un œil sur la troupe pour moi. »

Les deux subalternes eurent à peine le temps de saluer leur cheffe qu’elle avait déjà filé d’un pas décidé vers le mess. Edwin hasarda un coup d’œil à son comparse.

« Hum… Tu trouves que c’est vraiment moi qui me comporte bizarrement ?
_ Pas toi, non, opina Jürgen en jetant un regard éloquent vers la porte par où avait disparu la jeune femme.
_ Ça craint un peu, non ? S’inquiéta l’adjudant. Elle n’a pas l’air dans son état normal…
_ Nan, ça va aller, décida le sergent Krieger – un sergent-chef breveté se devait de soutenir son officier en toute circonstance, après tout – Et puis, elle a raison sur un point, ajouta le Nordique. C’est comme pour l’Arène.
_ Comment ça ? Fit Edwin.
_ Elle se met dans tout ses états avant que les choses sérieuses ne commencent, mais une fois qu’elle est dedans, elle est concentrée. T’as pas vu la tête qu’elle avait quand Beric lui a annoncé la reprise de la réunion ? Souligna Jürgen. Ça va le faire.
_ Mouais. Je m’inquiète un peu, quand même…
_ Ben tu t’inquiètes tout le temps, ‘faut dire… Elle continue à se faire du soucis pour nous et le reste de la troupe, rappela le sergent. Rien que ça, c’est la preuve que ça tourne toujours rond là-haut. Alors notre job à nous, c’est de lui faire confiance. »

*
*     *

« Et nous voilà donc reparti pour la seconde mi-temps de notre réunion stratégique ! Annonça le vice-lieutenant Severn à la cantonade. Nous retrouvons dans le coin gauche notre habituée de l’Arène, Rachel Syracuse, qui est parvenue à redescendre dans les tours et a promis de ne plus cogner personne. Nul doute qu’elle va tout faire pour mener un dialogue posé et constructif avec son adversaire dans cette deuxième période de jeu ! Et dans le coin droit, une ovation pour notre challenger : Victor, qui a repris ses esprits et a maintenant bien intégré qu’on ne laisserait aucun civil sur le carreau lors de cette opération. Il est dorénavant prêt à discuter avec son adversaire de toutes les alternatives possibles incluant cette contrainte ! Mesdames et messieurs, êtes-vous prêt pour la rencontre du siècle !?
_ Un peu de sérieux, mon lieutenant, le rabroua gentiment mais fermement Rachel. Cette présentation des choses est complètement ridicule.
_ Ouais, on a pas le temps de faire le clown, bonhomme, approuva Victor. Si tu veux faire le mariole, va faire un tour dans le couloir pendant que les grandes personnes discutent de comment sauver l’île et stopper Barbe-de-fer.
_ Allez, c’était juste pour détendre un peu une atmosphère trop crispée, quoi…
_ Hé bien ce n’est ni le lieu ni le moment, bonhomme.
_ Exact, mon lieutenant. Un peu de concentration, je vous prie.
_ Pffff…
_ Résumons, fit Rachel. Nous profiterons du couvert de la nuit pour débarquer mon contingent aux deux extrémités de l’île afin de prendre le village en sandwich. Je prendrai la tête des opérations sur place et m’occuperait de la libération des villageois et de la gestion des imprévus afférents. Notre priorité et de neutraliser la menace que les pirates font peser sur la bourgade et de mettre la population en sécurité. Pendant ce temps, le Chasseur Blanc manœuvré, par la moitié de la troupe du vice-lieutenant, se mettra en position devant la grotte pour empêcher toute tentative de sortie du navire de Barbe-de-fer. Le reste du groupe du vice-lieutenant formera un cordon défensif entre le village et la grotte pour empêcher une sortie terrestre des pirates.
_ Et nous, dans tout ça ? Voulut savoir le chasseur de primes.
_ Ton groupe sera en renfort sur le cordon de sécurité, détailla la jeune femme. C’est là qu’on risque d’avoir le plus de grabuge et qu’il nous faudra la plus grosse densité en puissance de frappe. Parmi nous, toi et les tiens concentrez la plus grande force de combat sur le plus petit nombre d’éléments, ce qui devrait jouer en notre faveur.
_ Mouais, acquiesça Victor. Je n’aime pas trop être mis sur la touche comme ça.
_ Hé ! Objecta subitement Mark. On ne pourrait pas plutôt déployer Victor et les siens en renfort de ta troupe, Rachel ? Comme ça, on serait certain de pouvoir protéger les civils lors de l’évacuation sans s’inquiéter des pépins qui pourraient se présenter. Paire de choc, tout ça…
_ Ça va pas la tête ! S’exclama le chasseur de primes. On constitue la troupe d’élite de lu contingent, vous n’allez quand même pas nous utiliser pour faire du baby-sitting, quand même !
_ Oui, c’est complètement ridicule, approuva Rachel. D’autant que si le cordon de sécurité n’est pas suffisamment solide, l’ennemi fondra sur nos arrières avant qu’on puisse se réorganiser et il ne sera pas possible de protéger le village dans ces conditions !
_ Non mais je disais juste ça parce que je pensais q…
_ Non, non, mon lieutenant, je vous assure, c’est mieux si je m’occupe du plan.
_ Ouais, souviens-toi que t’es une bille en stratégie, bonhomme : si tu proposes des trucs, vaut carrément mieux qu’on applique l’inverse, hein…
_ Dites, c’est une impression ou bien les seuls moments où vous vous entendez, c’est pour me pourrir, en fait !?
_ Bref, va pour la phase une, protection du village, concéda Victor. Maintenant, la phase deux : comment on défonce Barbe-de-fer ?
_ La phase deux ne concerne pas Barbe-de-fer, répondit Rachel en secouant la tête.
_ Pardon !? Bondit aussitôt le chasseur de primes. Et je peux savoir ce qui est plus important que de tataner Gianza ?
_ Du calme, Victor, elle…
_ Les habitants de Rocbrume, bien évidemment, rétorqua illico la jeune femme. T’as déjà oublié pourquoi on est là, peut-être !?
_ Rachel, tout doux, il…
_ On a été envoyé coffrer Barbe-de-fer, répliqua Victor. C’est toi qu’est en train d’oublier les ordres de ton colonel ! L’obéissance est devenue à géométrie variable, dans la Marine ?
_ La mission primordiale de la Marine, c’est la protection des civils ! Riposta Rachel. C’est notre préoccupation première en toute circonstance ! Les gens comptent sur nous, on a pas le droit de leur faire défaut !
_ Un instant, tous les d…
_ Ha ! Tout d’un coup, je comprends mieux pourquoi la Marine a été infoutue de régler le problème Pirate en plus d’un siècle d’effort ! Railla le chasseur de primes.
_ Ah ouais ? Parce que les Chasseurs de Primes ont fait mieux, peut-être !? Cracha la jeune femme.
_ Ben nous au moins on se casse le cul à essayer d’éradiquer la menace au lieu de faire de la figuration avec les civils ! Signala très diplomatiquement Victor.
_ De la figuration !? Se récria Rachel. Je te sign… ! »

L’imposante albinos s’interrompit alors qu’un avion de papier fila sous son nez, voletant paresseusement jusqu’à la cloison opposé qu’il percuta mollement. Les deux XXXXiens cessèrent un instant leur dispute pour adresser un coup d’œil surpris au vice-lieutenant Severn, qui sifflotait tranquillement tout en pliant une autre feuille de papier.

« Je… Qu’est-ce que vous faites, mon lieutenant ? Voulut savoir la jeune femme.
_ Mmmmh ? S’enquit nonchalamment l’intéressé. Rien, je fais juste un avion de papier. Les grues, c’est encore trop dur pour moi…
_ Tu crois vraiment que c’est le moment, bonhomme, le fustigea Victor.
_ Nop, du tout, convint Mark en continuant son pliage.
_ Mais enfin, pourquoi vous faites ça ? Demanda Rachel, perplexe.
_ Hé bien, pour passer le temps, évidemment, expliqua innocemment le vice-lieutenant Severn. C’est pour ça que ça s’appelle un passe-temps, d’ailleurs.
_ En pleine réunion stratégique ? Souligna le chasseur de primes, non moins perplexe.
_ Oui. Et vous voulez savoir pourquoi ? Demanda Mark. Hé bien je vais vous le dire : parce que je m’ennuie. Vous êtes reparti pour vous engueuler stérilement pendant une heure, ça va être atrocement long et chiant et j’aurais rien à faire pendant tout ce temps, alors en attendant, moi, je me trouve une occupation. Et il se trouve justement que j’aime l’origami.
_ On était pas du tout en train de s’engueuler, voyons ! Se défendit la jeune femme.
_ Vraiment ? Se demanda le vice-lieutenant.
_ Oui, on… on échangeait simplement nos points de vue, fit Rachel, mal à l’aise. De façon peut-être un tout petit peu trop véhémente, cela dit, c’est vrai…
_ … ? Interrogea Mark le chasseur de primes d’un haussement de sourcils dubitatif.
_ Ouais, parfaitement, soutint Victor avec un aplomb inébranlable. Elle nous expliquait justement son plan pour la phase deux, alors si t’écoutes pas, faudra pas venir après te plaindre que tu comprends pas, bonhomme.
_ Tsss… Vous manquez vraiment pas d’air, vous deux, hein ! Très bien, très bien, mea culpa, j’ai mal interprété la situation, capitula ostensiblement le vice-lieutenant. Désolé, on peut reprendre, du coup ?
_ Ouais, donc, la phase deux et les civils, c’est pour faire quoi ? Voulut savoir le chasseur de primes.
_ Dans la phase deux, on fait monter les civils sur le Chasseur Blanc, expliqua Rachel. Si les choses se corsent sur l’île, le navire devra filer les mettre en sécurité ailleurs.
_ Minute, objecta Victor. Je cerne pas bien le truc. Comment tu fais pour les canots ?
_ Les canots ? Releva bêtement Mark.
_ Lors de la phase une, on débarque les troupes en deux temps, rappela le chasseur de primes. La moitié des canots seront du mauvais coté de l’île. Qu’on transfère les villageois avec ceux qu’ils nous reste ou qu’on prenne le temps d’aller chercher et rapatrier ceux de la première vague, on va perdre un temps fou.
_ Je sais, dans les deux cas, c’est inenvisageable, acquiesça Rachel, le visage fermé.
_ Ben pourquoi ? Voulut savoir le vice-lieutenant. Arrêtez de parler comme si tout était hyper-évident !
_ Parce que plus on perd de temps, plus Barbe-de-fer pourra planifier minutieusement une contre-attaque, expliqua la jeune femme. Nous ne sommes pas sur notre terrain, nous sommes mal préparés et nous n’avons aucun support défensif : nous n’avons pas les capacités d’encaisser une véritable contre-attaque correctement réfléchie.
_ Oh, comprit Mark. Mais alors du coup, qu’est-ce qu’on va faire ?
_ Il faut raccourcir le temps d’embarquement, annonça Rachel. Si on ne peut pas disposer de la flottille de canots complets, alors il faut rapprocher le Chasseur Blanc de la plage le plus possible. Moins de distance égale plus d’aller-retour sur le même laps de temps.
_ Ah ben ça me paraît super, ça, s’enthousiasma le vice-lieutenant.
_ Non, c’est n’importe quoi, tacla derechef Victor.
_ Oh non, pitié, pas encore…
_ C’est l’option la plus sûre, soutint fermement la jeune femme.
_ C’est sûr, la fuite est toujours l’option la plus sûre, accusa le chasseur de primes. Mais on ne peut pas viser la victoire si on ne prend pas un minimum de risque !
_ Fuite ? Victoire ? Quelqu’un peut m’expliquer ? Demanda un Mark tout perdu.
_ Réfléchis un peu, bonhomme, cracha Victor. Si on rapproche le Chasseur Blanc pour embarquer au plus vite les civils, quel navire s’occupe de bloquer l’entrée de la grotte !? »

Le vice-lieutenant Severn cligna des yeux alors que la compréhension se fit. Il jeta un regard hésitant à sa collègue, qui ne quittait pas des yeux le chasseur de primes.

« Okaaay, fit Mark. Mettre les gens en sécurité sur le navire compromet le blocus. Mais en quoi ça nous coûte la victoire ?
_ Barbe-de-fer ne manquera pas cette occasion de faire une sortie avec son navire, pointa Victor.
_ Le Chasseur Blanc n’est pas désarmé pour autant, rétorqua Rachel. S’il sort de sa tanière, nous pourrons le plomber quoi qu’il arrive.
_ Mais ça ne sera pas aussi efficace, balaya le chasseur de prime. On pourra l’endommager mais on a aucune chance de l’immobiliser comme avec le dispositif du blocus !
_ Si on parvient à le démâter ou à briser son gouvernail, il sera tout aussi bien immobilisé ! Répliqua Rachel.
_ Au détail près que tout son artillerie restera à disposition, contrairement à quand il était coincé dans la grotte ! La contra Victor. Sans même parler de la précision de tels tirs : il va falloir engager une véritable bataille navale pour espérer un tel résultat.
_ Oh ben ça va, fit joyeusement Mark. On est la Marine, quand même, on devrait pouvoir gérer une petite bataille navale, non ?
_ … resta muette Rachel.
_ … non ? Répéta le vice-lieutenant avec un peu d’hésitation.
_ Avec les cales pleines de civils ? S’enquit le chasseur de primes. Il n’y aura aucun espace dispensable sur le navire, chaque coup au but de l’ennemi provoquera un drame ! Tu penses vraiment pouvoir livrer bataille dans ces conditions ?
_ Putain, non, réalisa Mark. On a pas le choix, il faudra rompre le combat pour éviter les pertes civils.
_ Bref, vous fuyez, résuma Victor. Toujours d’accord avec ça, vice-lieutenant ?
_ Ben… ça dépend, hésita le gradé. Rachel, c’est quoi le plan dans son ensemble ?
_ On embarque les civils, détailla la jeune femme, Barbe-de-fer effectue sa sortie. On lâche une bordée avant de rompre immédiatement le combat pour filer mettre les civils à l’abri sur l’île la plus proche possible le plus vite possible. L’objectif du tir de bordée n’est pas de démâter Barbe-de-fer : trop complexe à mettre à œuvre et on a le droit qu’à une seule tentative. On concentre le feu sur le cœur du navire pour s’assurer d’y faire un gros trou, c’est dans les cordes de nos artilleurs. Plus le trou sera gros et proche de la ligne de flottaison et moins Barbe-de-fer pourra naviguer vite : une fois les civils à l’abri, on le prend en chasse, on le coince en pleine mer et on lui règle son compte.
_ Ça paraît jouable, convint Mark.
_ C’est débile, oui ! S’emporta le chasseur de primes. Barbe-de-fer est un type rusé : lui offrir une option de sortie sur un plateau, c’est courir à la catastrophe. Si on le quitte des yeux, on ne le retrouvera pas !
_ Bien sûr que si, il ne pourra pas aller bien loin avec un navire endommagé ! Rétorqua la jeune femme.
_ Sous réserve qu’on l’endommage ! Et qu’il ne fasse pas de même sur nous ! Souligna Victor.
_ Même si on le rate, on sait d’où il part, la zone de recherche ne sera pas si grande ! Réfuta Rachel.
_ Tu le sous-estimes beaucoup trop ! S’emporta le chasseur de primes. Il est déjà parvenu à leurrer la Marine plus souvent qu’à son tour, qu’est-ce qui te fait croire qu’on pourra faire mieux !?
_ Quand bien même, il aura alors toutes les patrouilles d’Hexiguel à ses trousses ! Éclata la jeune femme. On quadrillera la zone et on finira bien par le coincer !
_ Ah ouais !? Quand ? Et où !? Explosa Victor. Combien d’autres îles aura-t-il le temps de frapper avant que ne vous l’arrêtiez ? Combien de victimes supplémentaires !? C’est pas toi qui prétend que le but ultime de la Marine, c’est de protégez les gens !? Tu parles d’une hypocrisie : finalement, tout ce qui compte, c’est ce que t’as sous les yeux ; ce qui peut arriver aux autres, ailleurs ou plus tard, tu t’en contrefiches ! J’ai peut-être perdu de vue quelque chose d’important, mais moi au moins, j’ai toujours la sincérité de mes convictions ! Je ne cache pas mon égoïsme derrière des justifications morales à deux balles !! »

Rachel recula d’un pas, livide, éberluée. Puis, en une fraction de seconde, sa mâchoire se contracta, son poing se serra et elle s’av…
Une énorme masse de métal passa en trombe entre elle et Victor avant de se ficher violemment dans la cloison opposée, laissant un bruit de métal vibrant envahir la pièce.
La lance du vice-lieutenant Severn.

« Oups, désolé, désolé ! Fit Mark en faisant le tour du bureau et s’interposant tout naturellement entre les deux XXXXiens. Je nettoyais mon arme et le coup et partit tout seul, v’savez ce qu’c’est, hein…
_ Ouais, fous-toi de ma gueule, bonhomme.
_ Mais dites-donc, Victor, je m’aperçois qu’on accapare beaucoup trop de votre temps depuis tout à l’heure, poursuivit le vice-lieutenant. Ch’uis sûr que vous avez besoin de vous rafraîchir, vous dégourdir les jambes, rassurer votre équipe, des trucs comme ça…
_ Pas du tout, j…
_ Non, non, ça ne nous dérange pas du tout, je vous assure ! Affirma Mark. Allez-y et prenez tout votre temps, surtout. Pas d’inquiétude, je vous ferais appeler quand on reprendra !
_ …
_ … La porte est juste là, hein.
_ T’essaye de me mettre dehors, là ?
_ Meuuuhnon ! Tout de suite les grands mots… C’est juste que Rachel et moi, on… hum… on a des trucs à se dire. Heu… Entre Marines. Ouaip. Voilà.
_ Bizarre, j’ai comme une sensation de déjà-vu…
_ Super, alors tu sais déjà comment ça se termine, fais-toi donc pas prier, tu veux. »

Mi-accompagnant, mi-poussant, Mark était en train de raccompagner Victor jusqu’à la porte. Le chasseur de primes hésita un instant, jeta un dernier regard à Rachel qui se tenait toujours immobile et muette au milieu de la pièce, puis décida finalement de suivre le mouvement sans opposer de résistance.

Le vice-lieutenant referma la porte derrière. Il envisagea vaguement de reprendre sa lance, mais fichée comme elle l’était dans le mur, ça laisserait un gros trou et n’importe qui dans le couloir entendrait tout ce qui s’échangerait dans le mess. Tant pis, il la récupérerait une fois que la réunion serait belle et bien finie.
S’en retournant auprès de Rachel, il put constater que la jeune femme était toujours aussi livide – ce qui était un peu flippant chez une albinos : encore un peu et sa peau risquait carrément d’en devenir translucide – et continuait à trembler de rage. Mark hocha tout doucement la tête.

« Désolé, je me suis permis d’intervenir, signala le vice-lieutenant. J’ai senti que tu allais encore lui en coller une.
_ …
_ J’aurais vraiment pas cru devoir te dire ça un jour, Rachel, mais tu sais, ‘faut que t’arrêtes de cogner les gens comme ça, plaisanta Mark. Le blabla, c’est bien aussi pour régler un conflit, hein… »

Brusquement, la jeune femme inspira un grand coup avant d’expirer aussi longuement que doucement, puis de reculer s’adosser à la cloison, se passant la main sur le visage.

« Désolée, mon lieutenant. Je n’arrive pas à gérer, murmura Rachel avec une mine défaite.
_ Ouais, j’ai cru comprendre, opina Mark. J’essaierais bien de vous mettre de part et d’autres de la table, mais j’ai peur que tu la fasses voler pour aller lui en coller une. Z’auriez pas pu être des gringalets ? Ç’aurait été vachement plus simple…
_ …
_ Oh, allez, risette, je blaguais, quoi ! Insista le gradé.
_ Je n’y arriverai pas, répéta tout bas la jeune femme.
_ Mais si, c’est facile, faut juste activer tes zygomatiques comme ça, regarde !
_ Je ne parlais pas de ça, mon lieutenant !
_ Qu’est-ce qui te fait croire que tu ne peux pas y arriver ? demanda Mark.
_ Victor.
_ Hmmm, opina le gradé.
_ …
_ Nan mais va falloir me détailler plus, en fait.
_ Victor et moi, on… on était ensemble. Avant, avoua Rachel.
_ Oui, je sais, opina Mark. Il me l’a déjà dit.
_ Chaque fois qu’il est là, je n’arrive pas à garder la tête froide, expliqua le jeune femme. C’est plus fort que moi. Je voudrais pouvoir faire la part des choses, que ça se passe bien, mais quoi qu’il dise, je vais immédiatement le prendre à cœur. Tout s’embrouille dans ma tête, je me sent acculée et…
_ Tu l’aimes toujours, devina le gradé.
_ Oui.
_ C’était pas une question. Et tu lui en veux parce qu’il t’a plaqué…
_ Il ne m’a pas plaqué, objecta Rachel.
_ Que… Alors c’est toi qui… ?
_ Bien sûr que non !
_ Non pl… Nan mais minute, là ! Fit Mark. Vous êtes ensemble ou vous êtes pas ensemble, du coup ?
_ On… Je… C’est compliqué, grimaça la jeune femme.
_ Et vous vous êtes pas dit que ça pourrait l’être vachement moins si vous preniez le temps d’en discuter calmement ensemble cinq minutes !? Lui reprocha le gradé.
_ Parce que vous trouvez qu’on a l’air capable de discuter calmement ensemble, justement !? Se défendit rageusement Rachel.
_ Oh. … Ouais, pas faux, reconnut Mark. Ok, là, tu marques un point.
_ Victor et moi, on a juste accumulé trop de différences, soupira la jeune femme. On ne se supporte plus ; quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, ça ne fait jamais qu’empirer les choses…
_ Meuhnon, ‘faut pas voir tout en négatif comme ça, affirma le vice-lieutenant. ‘faut juste trouver une situation, un terrain d’entente, qui vous permette d’avoir une discussion calme et apaisée. Un truc sans aucun enjeu sur lequel vous puissiez vous bouffer le nez.
_ Si c’était aussi simple, on l’aurait déjà fait, mon lieutenant.
_ Naan, ch’uis sûr qu’on peut trouver quelque chose. Hé bien, si on m’avait dit ce matin que j’allais devoir jouer les conseillers conjugaux…
_ Peu importe, balaya hargneusement la jeune femme. Pour en revenir à notre mission, c’est vous qui aviez raison, mon lieutenant. On ferait mieux de faire demi-tour pour en être dessaisi. On y arrivera pas, on en est pas capable. Je n’en suis pas capable !
_ Aaah, mais c’est quoi cette crise de défaitisme que tu nous fais, là ? Allez, t’inquiètes, va, je sais ce que ça fait, je suis aussi passé par là, opina Mark avec compassion. Et justement, de bons amis sur qui je peux compter m’ont donné un super-conseil à ce propos : "c’est normal de ne pas êtes le meilleur partout, alors concentre-toi plutôt sur ce que tu sais faire et moi j’assurerai le reste".
_ Sauf que là c’est pas pareil, mon lieutenant, objecta la jeune femme. Je suis juste… tout bonnement incapable de communiquer avec Victor ! Comment voulez-vous qu’on tienne une réunion stratégique dans ces conditions !?
_ Qu’est-ce qu’on s’en fiche, que t’arrives pas à communiquer avec Victor : moi, je peux le faire ! Signala joyeusement le gradé. Je commence à prendre le pli de comment vous réagissez, je peux désamorcer vos engueulades, fais-moi donc confiance : la réunion va aller de mieux de mieux et être de plus en plus constructifs.
_ C’est ridicule, réfuta Rachel. Le colonel serait horrifié de nous voir fonctionner dans ces conditions.
_ Mais non, c’est tout le contraire, c’est exactement ce qu’il avait prévu ! S’enthousiasma Mark. Écoute, Rachel, on va pas se mentir : à la base, c’est à toi qu’aurait du échoir le commandement. C’est au dernier moment qu’il a changé ses plans, quand il a senti la dynamique foireuse qu’il y avait entre toi et Victor. Et c’est pour ça qu’il m’a refilé le commandement : pour que je fasse tampon entre vous deux.
_ …
_ Vrai de vrai, promis-juré, certifia gaiement le gradé. Tout se passe comme l’avait prévu le colonel. Alors, ça va pas mieux, là ?
_ Non, j’ai juste envie de pleurer, maintenant, avoua Rachel d’une petite voix en baissant la tête.
_ Heu… Ok. Alors j’avoue que c’est pas du tout la réaction à laquelle je m’attendais, confia Mark, perplexe.
_ Vous m’avez fait confiance dès le début, je le sais bien, et moi, j’en ai profité pour vous tromper, confessa misérablement la jeune femme.
_ D’accoooord… Hum, pourquoi j’ai la méchante impression que l’un de nous deux est encore en train de se prendre la tête pour une bricole sans aucune importance ? Et quelle est donc cette grosse trahison visiblement totalement et absolument impardonnable ? Plaisanta le gradé.
_ La phase deux, murmura Rachel. J’ai fait exprès de vous en cacher les détails parce que je savais que vous n’en déduiriez pas tous les tenants et aboutissants par vous-même. Que vous n’y penseriez même pas. Je voulais vous forcer la main pour procéder à l’évacuation complète de l’île de tous les civils ainsi que du corps expéditionnaire.
_ Mais je sais que tu n’aurais jamais fait ça sans une bonne raison et puisque j’ai confiance, je ne vois pas où est le problème : bien au contraire, c’est particulièrement aimable de ta part de ne pas m’embêter avec tous les menus détails, affirma gentiment Mark. Mais bon, puisque ça te pèse visiblement autant sur la conscience, pas de soucis, vas-y, explique moi. Mais avec des termes simples, hein, parce que moi, la stratégie…
_ Je n’ai pas agi par hypocrisie ! S’enflamma brusquement la jeune femme.
_ Hé ho, m’engueule pas, j’ai jamais dit ça, moi.
_ Je… On ne peut pas gagner contre Barbe-de-fer, lâcha Rachel. C’est pour ça qu’il faut évacuer l’île avec les civils ! Notre défaite impliquerait qu’il se venge ensuite sur eux. On a pas le choix !
_ Je te trouve vachement pessimiste, là, objecta Mark. Je ne sous-estime pas Barbe-de-fer, mais faut pas déconner, on a Victor et sa clique, toi et moi, ainsi qu’une polymégachié de Marines. Ça se tente, non ?
_ Non.
_ "Non" ?
_ Non. À cause de la grotte, pointa Rachel.
_ Qu’est-ce qu’elle a, la grotte ?
_ C’est un goulet d’étranglement, expliqua la jeune femme. Si on se lance à l’assaut dedans, on court droit au massacre. Même en imaginant qu’on lance toutes nos forces dans la bataille au mépris de la protection des civils, on arrivera à rien : c’est un couloir, il canalisera la masse en faveur des défenseurs. On accumulera des pertes astronomiques. Le seul moyen de faire sauter ce verrou, ce serait d’envoyer Victor et ses hommes à l’avant-garde, mais même eux n’en sortiraient pas sans dommage. Et s’ils sont blessés, ils n’auront plus la capacité de faire face à Gianza, or personne d’autres chez nous ne peut s’en occuper à leur place. On ne peut pas gagner cette bataille, mon lieutenant. C’est impossible.
_ Ooookay… Hum, ouais… D’accord. J’l’avais pas vu venir, celle-là, concéda le gradé, pris de court.
_ …
_ Mais note que je suis totalement d’accord avec ton raisonnement, du coup ! S’empressa d’ajouter Mark. J’avais donc bien raison de te faire confiance et tu ne m’as pas du tout trompé ou forcé la main ou que-sais-je. Alors, il va pas mieux le moral, maintenant ? Allez, une petite activation des zygomatiques pour me faire plaisir, peut-être ? »

*
*     *

Au fond de la cale du Chasseur Blanc, Victor gisait sur une caisse de va-savoir-quoi. Son bras tendu vers le plafond – ou quelque soit le nom barbare que les marins jugeaient bon d’utiliser sur un rafiot – tenait en main une fine chaînette habituellement portée autour de son cou, cachée sous sa chemise. Et au bout de la chaînette balançait au gré du gîte un fin anneau d’argent qui enchâssait un si minuscule fragment d’émeraude qu’il ne pouvait le distinguer qu’en le tenant à moins de dix centimètres de ses yeux.

« Oooh, s’exclama une voix féminine et enjouée, je m’étais toujours demandé ce que tu cachais au bout de cette chaîne ! Rien que pour ça, ça valait le coup de rester pour une mission de plus ! »

Le chasseur de prime sursauta et revint instantanément au présent. Il remit chaînette et anneau à leur place, bien à l’abri des regards indiscrets, avant de reporter son attention sur la jeune femme blonde au regard pétillant qui transportait une énorme double hache dans son dos comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Charlotte Fandango, l’un des six chasseurs de primes qui l’accompagnait.

« Rester une mission de plus ? Releva Victor.
_ Ah ! Oui, avec tout ce qui s’est passé, je n’avais pas encore eu l’occasion de te le dire : j’ai reçu une offre de la Baroque Works ! Ils me proposent d’intégrer les Bronzes !
_ Félicitation, Charlotte. » Répondit sincèrement le chasseur de prime.

Le groupe de Victor n’était pas un groupe fixe. Les gens allaient et venaient au fil du temps, le rejoignant pour leurs propres motivations, le quittant pour d’autres. Entre les blessés, les décès, ceux qui en avaient trop vu et ceux qui voulaient passer à autre chose, le turn-over au sein du groupe était particulièrement important. En moyenne, ses compagnons ne tenaient que trois traques. Ce dont Victor se contre-fichait totalement : lui n’avait jamais demandé à ce qu’on le suive, cela s’était simplement fait comme ça. Du reste, il n’aurait pas hésité à continuer seul si cela devait advenir, comme à ses débuts.

Avec déjà six traques à son actif, Charlotte faisait donc partie des vétérans. En effet, Victor s’était fait une spécialité, celle de traquer des proies trop grosse pour un seul chasseur de prime de son calibre. Beaucoup trop grosse, même. On ne survivait pas aussi longtemps face à de tels dangers sans un minimum de talents. Et du talent, Charlotte en avait largement à revendre. Raison pour laquelle la Baroque Works lui avait fait une offre.

Elle en avait déjà fait une à Victor, aussi, d’ailleurs. Plusieurs fois, même. Qu’il avait systématiquement décliné. Il ne chassait pas pour les primes. La mission qu’il s’était fixé, c’était de poursuivre et d’abattre les cibles que la Marine locale n’était pas à même de gérer. Il ne voyait pas l’intérêt de rejoindre une organisation qui ne partageait pas ses vues sur le sujet. Mais si la Baroque Works avait finalement cessé de l’importuner, elle gardait tout de même un œil sur lui, et pour cause : son groupe formait un formidable vivier de recrutement d’où émergeait ponctuellement des recrues très alléchantes pour l’organisation.
Du reste, c’était d’ailleurs devenu l’une des motivations majeurs des chasseurs qui le rejoignaient : certes, traquer de grosses proies constituait un risque majeur dont bien peu sortaient indemnes, mais c’était aussi indéniablement le chemin le plus court pour se faire remarquer très vite auprès de ceux qui comptent…

Pour Victor, le départ de Charlotte n’était donc ni une surprise, ni une première.

« Tu comptes traquer en bande ou faire cavalier seul ? S’enquit-il.
_ En bande, affirma la jeune femme. Auparavant, je pensais me la jouer en solo, mais s’il y a bien un truc que j’ai appris en rejoignant ta clique, c’est à quel point s’associer pouvait véritablement démultiplier les possibilités de chacun ! P’t-être pour ça que les pirates forment des équipages, tiens…
_ Heureux de voir que tu ais considéré ça comme une expérience positive.
_ Ouais, mais passons : je ne te laisserai pas changer de sujet aussi facilement, tu sais ? Signala Charlotte avec un sourie espiègle.
_ Je n’étais pas en train de chang…
_ Ce qui m’intéresse, c’est la bague !
_ … Tu l’auras pas, pas question que je te la donne !
_ Pas dans ce sens-là, crétin !
_ Pourquoi ça t’intéresse ? Voulut savoir Victor, suspicieux.
_ Parce que j’ai la sensation qu’elle constitue une importante pièce manquante pour te comprendre, signala Charlotte.
_ Qu’est-ce qu’on s’en fiche ? Y’a rien de spécial à comprendre, grommela le chasseur de primes.
_ Oh, alleeez, quoi ! Fais pas ton timide comme ça ! L’houspilla la jeune femme. Ça fait plusieurs mois qu’on traîne ensemble et t’as encore jamais parlé de toi. J’veux savoir, moi ! Les commérages, c’est ma vie !
_ Pipelette.
_ Totalement ! Bon, d’accord, si tu veux faire ton gros timide, on a qu’à procéder comme ça : je fais des suppositions, et tu me dis si je chauffe ou pas ! T’es d’accord ?
_ Non.
_ Allez, on a rien d’autres à faire jusqu’à ce qu’on arrive à destination, on va s’ennuyer, sinon.
_ J’ai dit non !
_ Bon, je commence ! Alors, je dirais que… c’est une bague de fiançailles ! J’avoue, je prends pas trop de risque pour commencer.
_ Kess’t’as pas compris dans "Non" ?
_ Je peux répéter en boucle de plus en plus fort si tu réponds pas, hein !
_ Oui, c’est ça, soupira Victor.
_ Raaaah, j’le savais ! S’enthousiasma Charlotte. Ça explique tout !!
_ Tu parles, y’a rien à expliquer.
_ Tu te souviens de Brunhilde ? Elle est partie peu après mon arrivée…
_ Brunhilde… Ah oui, elle maniait un boomerang d’acier de deux mètres d’envergure, se remémora le chasseur de primes. C’était sacrément impressionnant de la voir le manier aussi magistralement.
_ On s’était saoulé ensemble la veille de son départ et elle t’en voulait à mort, révéla malicieusement Charlotte.
_ Je lui ai pourtant rien fait, fit Victor en fronçant des sourcils.
_ Ben justement : elle a passé des mois à essayer de te séduire et tu l’as juste jamais calculé. Mais genre vraiment pas. T’imagine pas à quel point ça l’a vexée. Je lui avait dit que c’était sûrement parce que ton cœur était déjà pris. Je suis ravie de voir que j’avais raison. Mais la pauvre, quand même, elle avait juste aucune chance face un fantôme. On s’souvient que des qualités des morts, elle pouvait pas lutter.
_ Voyons, Rachel n’est pas un fantôme, c’est juste une albinos ! C’était méchant et insultant, ça.
_ Ouais, ouais, fantôme, albinos, c’st du pareil au m… Attend-tend-tend, t’es en train de me dire que ta fiancée est toujours vivante !?
_ Je ne vois pas ce que ç’a d’étonnant. Pis c’est pas ma fiancée, c’est mon ex.
_ Mais tu regardais cet anneau avec tellement de nostalgie… Oh mais oui, j’ai compris : elle a rompu ! C’est pour ça que t’es tout timide et renfermé maintenant : tu ne veux plus jamais être blessé par l’amour ! Halàlà, pauvre choux… Mais t’inquiètes, va, ça te passera !
_ Arrête de te faire des films, tu veux ! Elle n’a pas rompu.
_ Oh. C’est toi alors ?
_ C’est… Compliqué.
_ Ben pourtant tu l’aimes, non ?
_ Je viens de te dire que c’était compliqué !
_ Ouais, genre.
_ N’insiste pas, je ne veux plus en parler !
_ Mmmh… Dis, l’officier albinos qui nous accompagne, là… Elle ne s’appelle pas Rachel, justement ?
_ Oh pitié, tu ne voudrais pas aller embêter quelqu’un d’autre, un peu ?
_ Et du coup, si elle ne t’intéresse plus, j’ai le champ libre, moi, non ? Ohohoh, je vais lui sortir le grand jeu ! Ma cousine pourra sûrement me prêter des vêtements plus appropriés.
_ Non mais ça va pas la tête !! Bondit immédiatement Victor.
_ Aaaah, relax, relax, je plaisantais, rigola Charlotte en lui tapotant affectueusement le torse. Mais tu as ta réponse, non ?
_ Ma réponse ?
_ Même si c’est tout embrouillé dans ta tête, ton cœur, lui, a déjà fait son choix, pointa la jeune femme. Tu pourrais peut-être juste te contenter de l’écouter, tu ne crois pas ?
_ Je… hésita le chasseur de prime.
_ Naaan, inutile de te sentir redevable, c’est ma façon de te remercier de m’avoir supportée ces derniers mois !
_ Supporter, le mot est faible…
_ Pas dans ce sens-là, crétin !
_ Hé, Victor ! Beugla soudainement l’un de ses compagnons près de l’écoutille. Y’a un adjudant qui veut te voir, ç’a l’air important ! »

*
*     *

« Et nous nous retrouvons donc après cette petite coupure pub pour le troisième tiers-temps de notre réunion stratégique ! Proclama le vice-lieutenant Severn. Les épreuves se sont accumulées sans le moindre répit et la fatigue commence à se faire sentir. Nos valeureux participants seront-ils capable de relever les nouveaux défis qui les attendent ? Ou bien vont-ils encore se crêper lamentablement le chignon ? Restez donc avec nous pour avoir la réponse en direct !
_ Vous êtes vraiment obligé de faire ça, mon lieutenant ?
_ Ouais, c’est juste ridicule et puéril, en fait, bonhomme.
_ Maieeeuh, j’ai pas de formation en tenue de réunion, moi, alors j’improvise comme je peux ! Hum… Bref, Victor ? Rachel a quelque chose a t’avouer. Rachel, on t’écoute.
_ J’ai essayé de nous forcer la main pour procéder à l’évacuation complète de l’île parce que j’estime que nous n’avons pas les capacités pour déloger Barbe-de-fer de la place, expliqua la jeune femme d’une voix atone. Nous subirons trop de pertes à tenter de nous forcer un passage à travers la grotte jusqu’à lui, ce qui nous laisserait démunis pour l’affrontement final.
_ Ouais, je sais, fit le chasseur de prime.
_ Tu le sais ? Comment ça, tu le sais ? S’étonna Mark.
_ ‘faudrait être aveugle pour pas voir que le rapport de force et la disposition des lieux ne joue pas en notre faveur, explique Victor.
_ Maiiieuh, j’avais pas vu, moi !
_ L’équipage de Barbe-de-fer est trop nombreux et retranché dans une place qu’il a eu la possibilité de fortifié à l’envie depuis un petit bout de temps, souligna le chasseur de primes. On ne part pas gagnant, c’est un fait.
_ Heu… Mais alors, pourquoi tu t’es énervé quand Rachel a proposé son plan ? Tint à savoir le vice-lieutenant.
_ Parce que rien n’est joué tant qu’on a pas tenté le coup, affirma Victor comme si c’était une évidence. Si la probabilité n’est pas nulle, il faut le tenter !
_ Mais si on échoue, on… objecta Rachel.
_ AVION DE PAPIER NO JUTSU !! Hurla le vice-lieutenant en lançant un nouveau projectile.
_ …
_ T’es juste ridicule, bonhomme.
_ M’en fiche tant que ça marche ! Bon, changement de règle, les amis, annonça Mark. Maintenant, quand vous voulez parler, vous me faites signe et c’est moi qui décide qui qui parle et qui qui parle pas.
_ Pardon !? S’exclamèrent en même temps les deux XXXXiens.
_ C’est comme ça, c’est moi qui commande, je fais ce que je veux, soutint le vice-lieutenant.
_ C’est de la dictature !
_ Je tiens à signaler ma vive opposition à votre décision, mon lieutenant !
_ M’en fiche, c’est moi le chef, nananè~reuh ♪ Plus de réponses au tac-au-tac, comme ça, non mais. Allez, Rachel, vas-y, décida Mark.
_ Je disais donc que si on échoue, on sacrifie les villageois en plus de la perte de deux compagnies de Marines, expliqua la jeune femme. Je veux dire, en plus du fait que Barbe-de-fer sera toujours libre de ses mouvements et pourra donc causer plus de victimes à l’avenir. Alors qu’une évacuation permettra à tous le moins de sauver les villageois et d’épargner des forces qui pourraient nous être utiles plus tard pour affronter Barbe-de-fer.
_ Ouais, très bien, bien dit, salua le vice-lieutenant. Victor, quelque chose à ajouter ?
_ Inversement, si on l’emporte, on fait d’une pierre deux coups : on sauve les villageois, on neutralise Barbe-de-fer, ce qui assure qu’il n’y aura plus aucunes autres victimes dans le futur. Par ailleurs, cette victoire de la Marine enverra un message fort et clair aux pirates qui seront moins enclins à rappliquer dans les environs après ça, ce qui protégera par ricochet les populations alentours de leurs déprédations.
_ Ok, donc si je résume, synthétisa Mark, on a deux options sur la table. La première est peu risquée, avec d’excellentes chances de succès mais des gains limités voire nuls, tandis que la seconde est affreusement risquée, avec de faibles chances de victoire mais pour des gains maximaux. Pas facile-facile… Comment on choisit ?
_ Non, non, bonhomme, rectifia le chasseur de primes. C’est "comment tu choisis".
_ Hein ? Mais pourquoi moi tout seul !?
_ Parce que c’est vous le chef, mon lieutenant, rappela Rachel. Nananèreuh, tout ça, tout ça.
_ Oooh, allez, c’était pour votre bien, pas besoin de vous montrer rancuniers comme ça, quoi !
_ Hé bien apprendre la responsabilité du commandement, c’est pour votre bien aussi.
_ Pffff, moi et ma grande gueule… Bon, Rachel, réexplique-moi pourquoi ça va être le foutoir dans la grotte, demanda Mark.
_ Tout d’abord, le ratio d’effectif : l’équipage de Barbe-de-fer est presque aussi populeux que nos deux régiments, détailla la jeune femme. Ensuite, nous lançons l’assaut, ce qui nous place, nous, en position vulnérable. Enfin, il y a fort à parier que l’ennemi a fortifié un minimum sa position. Si l’engagement tourne à la guerre d’usure, on perdra automatiquement. Notre seule chance de succès réside dans une attaque éclaire, où nous serions capable d’imposer une pression suffisante pour se frayer un chemin au travers du dispositif défensif ennemi avant qu’il ne se consolide. Ce qui implique de faire un maximum de dégâts en un minimum de temps. Parmi nous, seul le groupe de Victor dispose d’un tel potentiel. Néanmoins, je doute qu’ils puissent percer le front sans subir des dommages qui obéreraient drastiquement leurs chances de succès face à Barbe-de-fer.
_ Ok, merci. Victor, un avis sur cette analyse ?
_ Elle me paraît correcte, fit le chasseur de primes. Dans ce type de manœuvre, l’enjeu crucial, c’est la capacité à neutraliser l’ennemi le plus vite et le plus massivement possible.
_ Heu… Hésita le vice-lieutenant.
_ Hé bien, imaginons que Rachel mène l’assaut, explicita Victor. Elle est capable d’écraser toute opposition qui lui fera face… Mais seulement dans la limite de portée de ses poings. Dans le même temps, elle devra faire face à un feu nourri, dont il n’est pas certain qu’elle puisse se protéger. Sachant que si elle décide de se mettre à couvert, elle marque un pas dans son élan et risque de faire glisser progressivement l’affrontement dans une guerre d’usure, qui nous sera forcément préjudiciable. Maintenant, si moi je devais m’en occuper, ma portée devient celle de mes flingues. De même, j’ai une certaine aptitude à parer les balles avec mes armes, donc je serais un peu mieux protégé. Mais je n’ai que deux pistolets, ce qui limite malgré tout mes possibilités.
_ Oooh, d’accord, hocha Mark. Mais du coup, si on imaginait un instant que tu avais plus de bras et plus de flingues, ça irait donc encore mieux ?
_ Mais c’est quoi l’intérêt d’imaginer ça, bonhomme ?
_ Cela augmenterait son efficacité de manière exponentielle, intervint Rachel en prenant de force la parole. Plus de flingues égale plus de tirs, donc plus de pertes opposées, ce qui réduirait la puissance de feu en riposte alors qu’il aurait justement plus de capacité à bloquer les balles. Mais pourquoi cette question, mon lieutenant ? Vous avez une idée particulière en tête ?
_ Ben, c’est pas vraiment une "idée particulière", mais je me disais juste que je pourrais mener l’assaut frontal, tout simplement, expliqua le vice-lieutenant.
_ Toi !?
_ Vous !?
_ Hééé, dites pas ça comme si c’était aussi délirant ! Ben oui, moi : vous avez pas oublié ma lance ? Demanda Mark en désignant d’un geste l’arme toujours fichée dans le mur. C’est une dynamo-lance : avec ça, je peux balancer des explosions d’éclairs, des arcs électriques, ce genre de chose. Tu l’as dit, Rachel, c’est un goulet d’étranglement et l’ennemi se sera fortifié donc y’aura une grosse concentration de types au mètre carré ! J’vais faire un malheur ! Je ne vaux peut-être pas Victor sur un duel contre Gianza, mais meuler en masse de la troupaille pour nous frayer un chemin jusqu’au chef pirate, c’est carrément dans mes cordes !
_ Oooh, pas mal, apprécia le chasseur de primes.
_ Très bien, alors quelle est votre décision, mon lieutenant ? Demanda Rachel avec un sourire.
_ Voilà mes ordres, décida le vice-lieutenant. On applique la phase une comme prévue ; Rachel, tu auras la charge de la protection des villageois, je compte sur toi. Une fois les villageois en sécurité, on maintient le blocus avec le Chasseur Blanc pour étouffer toute velléité de fuite de l’ennemi. Puis moi et ma compagnie lanceront l’assaut sur le repaire de Barbe-de-fer. Rachel, tu établiras un filet de sécurité pour t’assurer que personne ne nous échappe. Victor, toi et tes hommes me suivrez en retrait. On vous tracera un chemin jusqu’à Barbe-de-fer où vous prendrez le relais : charge à vous de l’abattre.
_ Bien reçu, mon lieutenant ! Approuva vivement la jeune femme.
_ Ça me va carrément, acquiesça le chasseur de primes avec un sourire féroce.
_ Oh et une dernière chose, les amis ! Pendant la phase une, Victor, tu débarqueras du côté Est, moi du côte Ouest et on se retrouvera au milieu pour faire le cordon de sécurité.
_ Heu… Vous êtes sûr, mon lieutenant ? S’inquiéta Rachel. Parce que c’est aussi par là que je vais débarquer, vu que vous accompagnerez le Chasseur Blanc
_ Ben oui, justement, Victor peut pas rester avec moi, ça mettrait tous nos œufs dans le même panier, affirma Mark avec un grand sourire.
_ Mais ça n’a aucun rapport, mon lieutenant ! Objecta la jeune femme.
_ Ouais, c’est complètement débile, je ferais mieux de rester sur le Chasseur Blanc jusqu’au bout, au cas où, affirma le chasseur de primes.
_ Non mais j’m’en fiche, c’est moi qui commande ♪
_ C’est de l’abus de pouvoir, mon lieutenant !
_ Putain, si j’avais pas besoin de toi pour coincer Barbe-de-fer… !
_ Tatata, j’veux rien entendre, vous pouvez disposer. »

Les deux XXXXiens quittèrent la pièce en maugréant à propos des petits chefs et que vas-y, tu leurs donnes ça et ils te bouffent tout ça. Mais sans se chamailler entre eux, par contre. Ce qui était déjà un très net progrès du point de vue du vice-lieutenant Severn. Comme il l’avait remarqué tantôt, s’il y avait bien un moment où les deux compères semblaient s’entendre à merveille, c’était pour ronchonner ensemble. Tout ce dont ils avaient besoin, c’était qu’un brave type se dévoue pour jouer les paratonnerres afin qu’ils puissent faire front commun. Et ça aussi, c’était dans ses cordes.

Mark se cala plus confortablement dans son fauteuil et soupira d’aise alors que la tension retombait. Ça n’avait pas été sans heurts, mais finalement, il avait obtenu son plan de bataille et commençait à piger comment amener Rachel et Victor à bosser ensemble. C’était finalement pas si mal, pour un officier à la manque comme lui. Certes, il ne disposait d’aucuns des points forts de Rachel ou de la commandante de Castelcume, mais il avait ses propres atouts et force était de constater que, finalement, ça l’aidait bien à tirer son épingle du jeu dans cette affaire.
Peut-être bien que le colonel n’avait pas si tort que ça, songea-t-il.
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La nuit était bien avancée au-dessus de la petite bourgade d’Havre-jonc. Et sous couvert de l’obscurité, ainsi que de la brume qui donnait son nom à l’île, la Marine s’activait.

Suivant le plan établi, Rachel avait débarqué avec la moitié de ses hommes par la côte Est. Victor et sa troupe l’avait accompagnée, mais les deux jeunes gens avait pris prudemment soin d’embarquer sur des chaloupes différentes. Tacitement, ils avaient décidé de ne pas échanger la moindre parole. L’opération était lancée, le professionnalisme devait prévaloir, le plus simple restait donc de s’ignorer superbement pour éviter le moindre faux-pas.

La troupe de Rachel progressa sans encombre dans les sous-bois jusqu’à l’orée du village. Pas âme qui vive, pas de veilleurs pirates, pas de patrouilles, tout était parfaitement calme. Le village n’avait même pas été réaménagé pour faciliter la défense non plus que la surveillance : aucun mur ne ceignait la bourgade et, par endroit, la forêt léchait les jardins au pied des habitations.

Rachel déploya ses unités en un arc allant de l’Est jusqu’au Nord puis attendit que le reste de sa troupe, menée par l’adjudant Edwin Marlow à l’Ouest, fasse la jonction. Le Sud était l’affaire de Victor et du vice-lieutenant Severn. Ils ne devraient avoir aucun mal à isoler le village de la grotte des pirates mais cela n’empêchait pas de se hâter. Sans toutefois faire n’importe quoi. Il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation.

Lorsqu’Edwin arriva enfin, elle ordonna à la troupe de rester en stand-by, sous la supervision de son sergent-chef, Jürgen Krieger, pendant que l’adjudant et elle iraient tenter une première approche.
Raison pour la quelle les deux Marines se faufilèrent jusqu’à la maison la plus proche. Rachel essaya d’activer la poignée de la porte d’entrée, mais, comme de juste, celle-ci était verrouillée.

« Adjudant, pourriez-vous m’ouvrir ça ? Chuchota l’imposante albinos.
_ Sûr, mon lieutenant, affirma Edwin sur le même ton. Mais… heu… C’est pas illégal de s’introduire chez les gens par effraction ?
_ Vous trouvez vraiment que c’est le meilleur moment pour pinailler ?
_ Ben oui, mais…
_ La Marine est habilitée à entrer chez les gens en cas de périls imminents, affirma Rachel. Les Pirates ont promis de raser la ville si les villageois prévenaient la Marine, ils nous ont prévenu, la destruction de la ville est donc imminente, CQFD. Pis on est pas obligé de préciser dans le rapport comment j’ai pris contact avec les gens, hein…
_ Je vous fais ça tout de suite, mon lieutenant. »

Le bricoleur de génie sortit une paire d’outils tordus de sa poche et commença à trifouiller dans la serrure. Moins de dix secondes plus tard, un discret déclic se fit entendre. La porte était ouverte, Rachel réprima un sourire. Enfin, c’était bon, on y était, c’était à elle de jouer !
Mais elle s’était trompée : Edwin insista pour badigeonner un truc sur les gonds de la porte, juste pour s’assurer qu’ils ne grincent pas quand on ouvrirait. Ce qui lui prit une bonne minute de plus pendant que Rachel rongeait voracement son frein.

Finalement, lorsque tout fut bon du point de vue de l’adjudant, il donna enfin son feu vert pour la suite. Rachel le pria de retourner auprès de la troupe, à l’abri des regards indiscrets. Même si elle doutait fortement que les pirates aient pris la peine de mettre en place des rondes nocturnes, mieux valaient ne pas tenter stupidement le diable en laissant le bricoleur faire le pied de grue à l’attendre au beau milieu de la nuit.

L’imposante albinos entrouvrit ensuite la porte et se coula à l’intérieur de la maison. Ses yeux mirent un petit moment à s’habituer à la faible clarté environnante. Il n’y avait pas de lumières allumées, ni dans la maison, ni même dans le village. Et seulement un petit quart de lune dans le ciel, qui ne fournissait guère de lueur. Mais la brume ambiante dans la rue captait et diffusait la moindre luminosité et les lieux baignaient donc dans une luminescente fantomatique, suffisante pour distinguer les formes, à défaut des détails.

Sans faire de bruit, Rachel progressa en douceur, faisant attention à ne rien percuter, tendant l’oreille à l’affût du moindre bruit. Elle ne fut pas longue à identifier ce qu’elle cherchait : un doux ronflement la guidait vers la chambre des maîtres des lieux.
Redoublant de prudence et d’attention, elle traversa le couloir de la maison, puis progressa en tapinois dans l’escalier pour atteindre l’étage. Trois portes l’attendaient en haut. Deux entrouvertes. Les ronflements provenaient de celle de gauche. Rachel suivit la piste sonore.

La chambre parentale était un peu exiguë, notamment en raison de l’énorme lit qui y prenait la majeure partie de la place. Deux personnes y dormaient paisiblement, dont le gros monsieur responsable des ronflements.
L’imposante albinos inspira un grand coup pour se donner du courage. C’était le moment crucial, ça passe où ça casse…

« Réveillez-vous. » Murmura Rachel en secouant gentiment le couple endormit.

La femme entrouvrit les yeux, aperçut la masse de l’imposante albinos penchée au-dessus d’elle, écarquilla les yeux, mais n’eût pas le temps de crier : Rachel venait de plaquer ses mains sur la bouche de la femme et du mari.

« Chut ! Intima la lieutenante. Ne criez pas, ne hurlez pas. Je suis de la Marine, nous sommes venus libérer Havre-jonc, il ne faut pas alerter les pirates. Si vous m’avez comprise, je vais enlever ma main, poursuivit Rachel en joignant le geste à la parole.
_ C’est vraiment vrai !? N’en revenait pas la femme. Je ne rêve pas ? Vous êtes venus nous sauver ?
_ Vous ne rêvez absolument pas, lui garantit l’imposante albinos en affichant un sourire rassurant. Je suis la sous-lieutenant Rachel Syracuse, de la base d’Hexiguel. Nous avons été alertés de ce qui se tramait par l’entremise de Charlotte Fandango, elle-même contactée par l’une des vôtres, Camilla Fandango.
_ Oh oui, oui, s’enthousiasma l’hôtesse des lieux. Elle nous a prévenu de ce qu’elle allait tenter de faire. Enchantée de faire votre connaissance, Rachel. Je m’appelle Béatrice Tapioca. Et voici mon mari David. David ? Hé, debout, David-chou, on a de la visite ! Allez, hop, hop, hop, on se réveille ! Poursuivit la femme en secouant son mari sans ménagement.
_ Mmmh ? Kékiss’passe ? C’est déjà le matin ? Émergea laborieusement le dénommé David.
_ David-chou, voici Rachel Syracuse, l’officier de la Marine chargée de délivrer le village et de botter le cul à Barbe-de-fer !
_ Alors en fait, c’est un peu plus compliqué que ça, madame.
_ Ah. Enchanté, mam’zelle, moi, c’est David, salua l’homme.
_ Heu… Tout le plaisir est pour moi, hésita Rachel qui ne s’était pas du tout attendue à ce que les gens prennent son irruption aussi sereinement.
_ Allons, David-chou, n’embête pas l’officier, elle a beaucoup à faire, le morigéna Béatrice. Rends-toi plutôt utile et va donc chercher la valise.
_ Bien sûr, bibiche.
_ Non mais attendez, il n’y a pas le temps pour que vous fassiez vos bagages, s’alarma l’imposante albinos.
_ Oh, ne vous inquiétez pas, fit Béatrice. Nos valises sont prêtes depuis longtemps.
_ Depuis… Que… Mais… Ok, non, là, je suis complètement paumée, avoua Rachel.
_ Hé bien, nous avons tout préparé à l’avance, bien entendu, expliqua la villageoise. Lorsque Camilla nous a expliqué son plan, toute la ville s’est préparée pour une évacuation immédiate.
_ Sérieux ?
_ Bien sûr ! Affirma fièrement Béatrice. Nous sommes de véritables Havrèjonnais, on n’allait pas attendre sans rien faire qu’on nous prenne en charge de A à Z, tout de même ! On ne pouvait certes pas s’occuper des pirates, mais on pouvait au moins planifier nous-même notre évacuation pour ne pas rester au milieu des combats !
_ Heu… J’avoue que je ne m’attendais pas du tout à cela, confia l’imposante albinos Étrangement, je me sens un peu spoliée, pour le coup…
_ Nous avons même convenu d’un code, ça va vous servir, affirma Béatrice. Si vous toquez à la porte des gens par trois coups rapides et un coup long, ils sauront que vous n’êtes pas pirate et viendront vous ouvrir en toute confiance ! Comme ça : pa-pa-pa-paaam ! C’est facile, non ?
_ Wow, vous avez pensé à tout. J’vais plus servir à rien, à ce rythme…
_ On est prêt à partir, bibiche ! Se signala David en revenant, tenant une grosse valise au bout d’un bras et un petit bout-d’chou de trois-quatre ans encore endormi dans le creux de l’autre bras.
_ Très bien, alors ne perdons pas de temps, décida Rachel. Nous allons tout de suite vous mettre à l’abri. Par ailleurs, Béatrice, toutes les informations que vous pourrez nous donner sur le dispositif pirate nous sera particulièrement utile. »

Quelques minutes plus tard, planqués dans le sous-bois proche, Rachel, Edwin et Jürgen se rassemblèrent autour de la carte de la ville du Colonel. La famille Tapioca avait été orientée vers la plage ouest, comme prévu. Pleine de bonnes volontés, Béatrice les avait inondés d’informations sur les pirates. La plupart étaient totalement non-pertinentes au vu des paramètres de la mission (« Ils boivent comme des trous et ils ne paient jamais leurs consommations, ces sales parasites ! »), mais quelques unes s’étaient avérées être de véritables pépites.

Les pirates en garnison dans la ville étaient répartis sur quatre sites distincts. Trois maisons formant grossièrement un triangle et, au centre, le quatrième : l’hôtel de ville et son beffroi, attenant aux appartements de fonction du Maire. La menace était claire : en cas de pépin, les pirates exécuteraient probablement l’édile sur-le-champ.
Néanmoins, cela laissait aussi pas mal de champ libre : le champ de vision des trois sites était plutôt limité, il serait donc facile d’évacuer la majeure partie des habitants sans que les pirates locaux s’en rendent compte.

Ce qui n’était pas plus mal, puisque Béatrice ignorait comment les pirates avaient prévu de raser la ville en cas d’urgence. Rachel avait bien caressé l’idée que ce ne soit qu’une métaphore : après tout, on pouvait considérer qu’abattre le Maire, c’était abattre symboliquement Havre-jonc, non ? Mais non : d’après les propos rapportés par Madame Tapioca, les pirates avaient l’air de parler de façon on ne peut plus littéral.

Pour autant, les pirates ne semblaient pas être des fous furieux fanatiques : il était peu probable que les garnisons soient prêtes à se sacrifier pour appliquer la sentence. Rachel estimait qu’il n’y avait pas à craindre un cataclysme instantané tant que les quatre sites ne seraient pas acculés. Le plan était donc des plus simples : évacuer un maximum de civils au nez et à la barbe des pirates, juste au cas où, puis lancer un assaut simultané sur les quatre sites pour neutraliser la menace avant que les forbans n’organisent la destruction de la ville.

« Ok, voilà qui simplifie grandement les choses, murmura Rachel. Très bien, je vois comment on va gérer… Sergent Davenport !? Approchez, je vous prie, je vais avoir besoin de vous aussi. Bien, voici comment nous allons procéder, les gars : chacun d’entre vous, vous prendrez vingt hommes et cinq musiciens de la Fanfare et vous vous mettrez en position auprès de chacun des trois sites. Assurez-vous bien de rester en dehors de leur champ de vision, surtout ! Soyez prêt à lancer l’assaut à mon signal ou sitôt que les choses tournent au vinaigre. Mais pas de risque inconsidérés, compris !? Chaque garnison n’est composée que d’une demi-douzaine d’hommes, mais s’ils ont choisi ces bâtisses, c’est parce qu’elles sont aussi les plus faciles à défendre. Donc si vous pouvez l’emporter, c’est super, mais sinon, les fixer en attendant des renforts, c’est bien aussi, compris ? »

Hochements de tête appuyés de la part des intéressés. Rien qui ne sortait de l’ordinaire, tout cela était dans leurs cordes, ils n’auraient pas de mal à gérer. Ils manquaient peut-être d’expérience du terrain, mais l’Arène les avait aguerris sur le plan tactique et ils savaient maintenant tous comment gérer une escarmouche.

« Bien ! Pendant ce temps, je serai avec le reste de la troupe et on va se disperser sur les différents secteurs pour évacuer la ville quartier par quartier. Si nécessaire, les hommes aideront à transporter les enfants ou les vieillards. Voire les valises, parce qu’y’en a qu’auront forcément prévu trop large et que ce sera plus rapide de les déplacer que de les convaincre de s’en séparer. Une fois qu’on aura évacué tout ce qu’on peut, je regrouperai les hommes pour prendre d’assaut l’hôtel de ville.
_ Et en cas de pépin ? S’inquiéta Edwin. On aura personne pour intervenir de ce côté.
_ Je sais, acquiesça l’imposante albinos. Si on en arrive là, je chargerais directement dans le tas pour occuper l’ennemi et protéger autant que faire se peut la famille de l’édile. Je vais briefer le sergent Graham pour que lui et son escouade rapplique en soutien le plus vite possible. Concernant les combats, faites un maximum de prisonniers, si possible : on aura peut-être besoin de les interroger sur la nature de la menace qu’ils font planer. ’fin, si on la prend pas directement en pleine tronche pendant l’assaut… Pendant le combat, nous utiliserons la Fanfare pour communiquer, comme dans l’Arène. Si vous venez à bout de votre site, renforcez les autres sites s’ils ont besoin de soutien. Sinon, repliez-vous directement sur la plage et assurez la protection des civils quoi qu’il arrive. Le premier arrivé là-bas devra mettre en place un système d’estafettes avec le cordon de sécurité du vice-lieutenant Severn. Vous transmettrez ensuite ces infos à la Fanfare pour me tenir au courant du déroulé de l’opération. Des questions ? Des remarques ?
_ Non, tout est clair, mon lieutenant ! » Affirma Jürgen avec assurance.

Ses deux collègues opinèrent de concert pour marquer leur approbation, puis tout ce petit monde s’égaya immédiatement pour rassembler leurs forces.
La phase une de l’opération de sauvetage d’Havre-jonc commençait tout de suite.

*
*     *

Les choses se déroulaient plutôt bien, décida Rachel. En une demi-heure, déjà un bon tiers des habitations avaient pu être évacuées. Béatrice avait raison, les Havrèjonnais avaient bien planifié les choses : pas de bagages disproportionnés, des équipes de volontaires déterminés à l’avance par quartier pour aider à l’évacuation des plus impotents, des responsables avec des listes de noms qui s’assuraient qu’on oubliait personne. Pour un peu, on aurait pu oublier qu’il s’agissait d’une opération de la Marine !
Les choses auraient peut-être même pu progresser encore plus vite si la sous-lieutenante avait lâché davantage la bride aux civils, mais l’imposante albinos n’avait pas démordu sur ce point : tous les mouvements de populations devaient se faire sous la garde des Marines. On était jamais trop prudent et le risque qu’un pirate déboule inopinément dans cette affaire comme un chien dans un jeu de quilles n’était pas nul. Si cela devait advenir, Rachel préférait qu’il y ait des hommes entraînés présents pour gérer la menace. Après tout, les civils étaient sous sa responsabilité, il était hors de question de leur faire courir le moindre risque.

L’imposante albinos était en train de remonter la rue des Cinq Faisans, en cours d’évacuation. Une poignée de Marines et une dizaine de civils s’affairaient dans la rue, silhouettes indistinctes au-delà d’une dizaine de mètres à cause de la brume qui recouvraient la ville. Il restait néanmoins facile de deviner qui était quoi : les silhouettes traînant-portant des trucs étaient généralement les civils tandis que celles arborant une longue hampe trahissaient les fusiliers de la Marine.

Un tintamarre métallique retentit brusquement derrière Rachel. Elle se retourna d’un bloc juste à temps pour voir filer comme l’éclair une petite forme à ras de terre ainsi qu’…

« Halte au feu, Marin ! » Intima l’imposante albinos d’une voix ferme.

Le fusilier prit en flagrant délit suspendit son geste in extremis, hésita et bafouilla une excuse inaudible. En se rapprochant, Rachel reconnut Laurent, l’un des soldats qu’elle supervisait depuis qu’elle était sergent.

« Du calme, Laurent, ce n’était qu’un chat, lui sourit l’imposante albinos pour le rassurer.
_ Désolé, mon lieutenant, j’ai cru que… ‘fin…
_ Gardez votre sang-froid et rappelez-vous de l’Arène ou des leçons du sergent Krieger. Quoiqu’il arrive, on ne tire pas, on ne tire jamais sans s’être assuré de la cible. Manquerait plus qu’on commette une bavure pendant l’opération de sauvetage…
_ J’aurais jamais… ‘fin, pas… hum, mes excuses, mon lieutenant, je vais être plus attentif, je vous le promet, bredouilla Laurent.
_ Je n’en doute pas, Marin, l’encouragea Rachel. Maintenant, détendez-vous, ça vous aidera à ne pas sursauter au moindre bruit suspect. Pis écartez votre doigt de la gâchette, ce serait dommage de trahir notre présence ici tant que les pirates ignorent qu’on se trouve là, pas vrai ?
_ À vos ordres, mon lieutenant !
_ Vous vous occupez de la maison suivante ? S’enquit l’imposante albinos. Je vais vous accompagner. »

Les deux Marines se rendirent jusqu’à la porte de ladite maison, une modeste demeure en pierre qui donnait directement sur la rue, et Rachel tambourina le code Havrèjonnais. Elle avait à peine fini que la porte s’ouvrit à la volée, révélant un jeune couple tout sourire, un petit sac chacun à la main.

Rachel fronça intérieurement des sourcils. Elle avait commencé à remarquer que les habitants étaient prêt de plus en plus vite, mais là, c’était le pompon. Les gens étaient maintenant sur le qui-vive et attendaient qu’on vienne les chercher. Passe encore qu’ils guettent à la fenêtre ce qui se passait dehors, mais cela signifiait surtout qu’ils ne dormaient plus. L’opération n’était donc pas du tout aussi discrète qu’elle se le plaisait à penser. Il n’y avait plus qu’à espérer que le remue-ménage ne se remarquait pas du côté des enclaves pirates…

« Monsieur et madame Brügenbaum ? Vérifia Rachel. La Marine fait évacuer le village, nous allons vous escorter jusqu’à la plage ouest. Si vous voulez bien nous suivre ?
_ Bien sûr, madame ! »

La petite troupe se mit en marche, l’imposante albinos devant, le couple à la suite et Laurent qui fermait la marche, lorsqu’un bruit de trucs qui se renversent retentit dans l’une des venelles latérales. Encore une bestiole en vadrouille…
Sauf que les bestioles en vadrouille n’émettent pas un genre de hoquet aviné pour marquer leur surprise.

Oh merde !

Rachel se retourna d’un seul bloc et aperçut immédiatement le pirate. Un spécimen du genre bien alcoolisé, qui tenait d’ailleurs encore une bouteille de gros rouge à la main. Et dans l’autre, un énorme pistolet à trois canons.
Maladroitement pointé vers le jeune couple.
Avec une telle arme et à cette distance, peu importe le degré d’alcool qui inondait les veines du forban, il était assuré de faire mouche. Derrière le couple, Laurent venait de commencer à épauler son arme, mais il n’aurait jamais le temps de prendre de vitesse le pirate…

Il fallu moins d’une fraction de secondes pour que Rachel réalise avec horreur qu’elle n’avait que deux solutions. Se jeter sur le pirate en priant très fort pour l’atteindre avant qu’il n’ait le temps d’appuyer sur la gâchette. Estimation cinquante-cinquante. Ou bien faire obstacle aux balles. Blessure assurée. Et même potentiellement mortelle, à vrai dire.

L’instant d’après, l’imposante albinos se jetait sur le couple, les ceinturant au passage pour les plaquer à terre, jouant à plein de son imposante carcasse pour ne laisser aucun espace possible aux balles pour atteindre les civils.
Les détonations retentirent alors même qu’elle percutait lourdement le sol.

Deux munitions frappèrent la façade de la bâtisse, brisant une vitre et faisant voler des copeaux de l’un des montants de la fenêtre. Rachel ressentit l’impact de la troisième balle qui se ficha miraculeusement en terre à un cheveu de son manteau. Son esprit cogitant à toute vitesse enregistra l’information mais ne perdit pas de temps à s’appesantir là-dessus. À la place, son bras se tendit immédiatement vers la jardinière de granit qui agrémentait la fenêtre et, d’un seul mouvement, elle roula sur le dos et la balança sur l’agresseur.
Bris de mobilier urbain, glapissement de douleur univoque, Marine 1 – Pirate 0.

« Ça va ? Vous n’avez rien ? S’empressa de demander l’imposante albinos aux jeunes couples tout en les aidant à se relever. Sûr ? Très bien, Laurent, dépêchez-vous de les escorter jusqu’à la plage. Mais avant ça, bouchez-vous bien tous les oreilles, juste un instant ! »

Rachel dégaina son sifflet, inspira un grand coup, et…

*
*     *

Samuel se releva brusquement de sa chaise, dédaignant un instant le nettoyage de son fidèle sabre d’abordage. Son regard parcourut la petite pièce, au rez-de-chaussée du beffroi, où il était de garde. Quatre de ses compagnons tapaient le carton sans grande inspiration à la table d’à côté, tandis que le dernier larron du groupe bouquinait un illustré qu’il avait piqué à la bibliothèque municipale.

« Z’avez pas entendu, les gars ? Demanda le forban à la cantonade.
_ Quoi donc 
_ On aurait dit des coups de feu ! Là, juste à l’instant !
_ J’ai rien entendu, t’as du rêver…
_ Non, j’t’assure, je… »

*Trrrrrrrriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii*

« Un sifflet ?
_ À c’tt’heure-ci ?
_ Putain, c’est louche ! Prenez vos armes, on va voir ! Boris, occupe-toi du Maire ! »

Les cinq pirates se précipitèrent jusqu’à la porte et l’ouvrirent à la volée. Ils s’arrêtèrent sur le pas de la porte, indécis, lorsque qu’un tintamarre du diable se mit à retentir de tous les coins de la ville en même temps. Des tambours frénétiques, des fifres pernicieux, d’étranges vagissements inhumains et totalement maléfiques. Les forbans échangèrent des regards indécis.

« Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Résuma Samuel.
_ Un cheval volant !
_ On dit pégase et j’vois pas c’que ç’… Wooohputain !! Un cheval volant ! »

Un gros cheval de pierre venait de choir du ciel pour venir se fracasser à leur pied, causant un vif mouvement de retraite paniqué au sein des pirates. Samuel, éberlué, dévisagea un instant la tête fracassée du cheval, qui ressemblait à s’y méprendre à celle de la statue de la fontaine, sur la grand-place, mais qu’était forcément un genre de coïncidence, obligé, vu qu’elle était quand même putain de lourde et particulièrement bien fixée et que c’était juste pas possible que…

« COMMMANDO !! »

Rachel jaillit brusquement de la brume et chargea dans le tas, éparpillant sans ménagement à grand renfort de coups de coude et d’épaule le nœud défensif, piétinant littéralement un malheureux pirate dans l’affaire. Elle s’engouffra dans la salle de garde sans ralentir, perçut l’escalier et fonça. Le plan, c’était de mettre la main sur la famille du Maire le plus vite possible pour assurer leur protection.

Des escaliers, des escaliers, encore des escaliers. Bon sang, mais ils étaient où, les appartements de fonction ?
Un cri suraiguë retentit derrière le mur. Rachel percuta alors qu’elle s’était gourée de bâtiment : c’était celui attenant, le bon.

Boris était entré quelques instants plus tôt dans la chambre du Maire. Depuis que Barbe-de-fer avait pris possession des lieux, la famille de l’édile avait pour ordre de dormir tous dans la même pièce, afin de faciliter les mesures de rétorsion. Outre la Maire se trouvait donc son mari et leur fille.

« Qu’est-ce qui se passe ? S’exclama le mari en s’interposant entre le pirate et sa famille, tandis que la fillette se réfugiait dans les bras de sa mère.
_ Il se passe qu’on vous avait prévenu de pas jouer au plus malin avec nous ! Gronda Boris en levant son arme. Ch’ais pas ce que vous avez branlé, mais vous allez nous le payer cher ! »

La fillette aperçut l’arme et hurla.
Le forban releva le chien de son arme dans un déclic funeste.
Et la cloison de la chambre explosa.

Rachel attrapa la tête du pirate et l’encastra sans plus de cérémonie dans le mur d’en face, le laissant groggy pour le compte. Là, une bonne chose de faite !

« Madame la Maire, fit l’imposante albinos en se retournant. Je suis officier de Marine et… et… Ouch, j’m’excuse pour les murs. Hum… Je vous assure que la Marine a une très bonne assurance.
_ La Marine ? Mais alors… Camilla a réussi ? N’en revint pas la Maire.
_ Oui, nous allons mettre un terme aux agissements de Barbe-de-fer, affirma Rachel. Mais le plus urgent, c’est de vous mettre en sécurité ! Pour ce… »

L’imposante albinos s’interrompit et fit signe à tout le monde de se taire. Oui, du bruit dans les escalier. La jeune femme sortit d’un pas vif dans le couloir, attrapant l’une des commodes au passage, avant de sortir du champs de vision de la Maire. Il y eût un grondement rauque, suivit d’une série de chocs sourds et de multiples piaillements de douleurs. Et l’officier de la Marine revint, un grand sourire satisfait plaqué sur le visage.

« Ça va nous faire gagner un peu de temps, affirma Rachel.
_ Ma commode…
_ Heu… Désolée. J’vous jure que la Marine a une excellente assurance. Bref, on évacue tout le monde sur la plage Ouest. Je vais vous y emmener !
_ Hein ? Mais… et les pirates !? S’inquiéta le mari. Ils doivent grouiller au rez-de chaussée et…
_ Faites-moi confiance, je m’occupe de tout ! »

Sans plus de cérémonie, Rachel attrapa l’homme et le cala sous le bras, en fit autant avec la Maire et sa fille, puis chargea tête baissée à travers la vitre de la chambre. Au dernier moment, elle tournoya sur elle-même pour que les plis de son manteau de la Justice protège ses passagers.
Une chute et quelques cris terrifiés plus tard et l’imposante albinos se réceptionnait lourdement sur le plancher des vaches, deux étages plus bas.

Rachel remit sur pieds les villageois et s’assura qu’ils n’étaient pas trop secoués. Non, tout allait bien de ce côté, il fallait juste leur laisser un peu de temps. Tendant l’oreille, l’imposante albinos en profita donc pour analyser la situation stratégique.

D’après les signaux de la Fanfare, le détachement de Jürgen avait neutralisé la menace. Connaissant le bonhomme, il avait du lancer un assaut impétueux pour prendre l’ennemi de vitesse. Du côté d’Edwin, l’affrontement était en cours, tout était sous contrôle. Le timide adjudant était aussi prudent que méthodique, ça prendrait un peu de temps mais Rachel ne doutait pas un instant de l’issue. Enfin, le dernier groupe mené par le sergent Davenport était dans l’impasse et demandait des renforts. Le brave sergent n’avait pas l’habitude de gérer autant d’hommes et devait se sentir un peu dépassé par la situation. L’imposante albinos jugea qu’il avait du fixer correctement l’ennemi mais qu’il n’osait pas lancer l’assaut par manque de confiance. Pas grave, Jürgen allait bientôt lui apporter son soutien et décanterait la situation.

Restait donc l’hôtel de ville : Rachel avait briefé le sergent Graham pour qu’il rapplique dare-dare avec son escouade en cas de pépin, mais aucune trace du bonhomme. Et comme il n’était pas accompagné par un morceau de la Fanfare, impossible d’avoir des informations sur sa position.

Mauvais ça, songea l’imposante albinos. Si on laissait les pirates libres de leurs mouvements, ils pourraient mettre en œuvre la menace qu’ils avait fait peser sur les villageois, quelle qu’elle soit.
Pas le choix, ça serait à elle de les gérer.

« Écoutez, madame la Maire, l’interpella Rachel. Je vais devoir rester m’occuper des pirates. Rendez-vous à la plage le plus vite possible. Je vous promets que le village est sécurisé, vous ne serez pas attaquer en chemin !
_ Très bien, assura l’édile, vous nous avez déjà sauvé, alors je vous fais confi…
_ LÀ ! LA MAIRE EST ICI !! VENEZ VIIIIITE ! »

Un forban venait d’apparaître à l’angle de l’hôtel de ville et hélait ses compagnons à cors et à cris. Ni une, ni deux, Rachel réagit au quart de tour et lui balança le premier projectile qui lui tombait sous la main pour le catapulter au loin.

« Ma porte !
_ Ah flûte, j’ai pas… Mince… Non mais je vous promets que la Marine a une assurance en béton. Allez-y, je les retiens !
_ Bien compris, bonne chance, officier ! »

Tandis que la petite famille se mettait vivement en route, deux forbans jaillirent de nouveau à l’angle de la Mairie. Rachel les chargea aussitôt.

« COMMANDO !! »

Pas fous, les deux pirates détalèrent sur-le-champ dans la direction opposée, sous les cris indignés de leur poursuivante albinos qui leur sommait de revenir immédiatement pour la baston.
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*
*     *

Ça commençait à en faire, du monde, sur la plage. Tous les villageois étaient présents, deux douzaines de prisonniers pirates aussi, ainsi qu’une compagnie complète de Marines, pour faire bonne mesure.

Rachel se tenait près des pirates, les tenant à l’œil des fois qu’un petit rigolo tente quelque chose de stupide. Mais il n’y avait aucun velléité de rigolade : les autres pirates ayant bien noté que leurs malheureux compagnon de garde à la Mairie n’étaient plus que plaies et bosses et aucun d’entre eux n’était chaud pour subir le même sort.

L’évacuation du village s’était globalement bien passée, songea la jeune femme. Les Marines comptabilisaient une douzaine de blessés légers dans leur rang suite aux assauts sur les quatre enclaves pirates. Edwin les avait incorporés dans sa demi-troupe et commencé le transfert de celle-ci vers le Chasseur Blanc pour relever Béric, l’adjudant du vice-lieutenant Severn. L’autre moitié de la troupe de Rachel resterait avec elle sur l’île pour établir un filet de sécurité pendant que Mark et Victor prendrait d’assaut le repaire de Barbe-de-fer.
Bref, la phase une de l’opération était finie et on se préparait à basculer sur la phase deux.

L’imposante albinos remarqua d’ailleurs le vice-lieutenant qui s’approchait d’elle, bien visible dans la masse avec son énorme lance qui dépassait. Son cœur bondit dans sa poitrine quand elle s’aperçut que Victor était sur ses talons, non moins visible du fait de sa grande taille qui le faisait dépasser tout court. Et derrière eux venait la miss Fandango, trimballant toujours son énorme double haches avec le plus grand naturel.

« Mon Lieutenant, salua Rachel. Tout va bien ? Vous ne deviez pas rester avec le cordon ? Tout comme les chasseurs de primes.
_ Nan, c’est bon, tout baigne, assura Mark. L’équipage de Barbe-de-fer a tenté deux-trois petites sorties, mais c’était juste des coups de sondes pour estimer notre dispositif défensif. Ils viennent juste de se replier, donc on a un peu de temps avant qu’ils ne décident d’un plan. J’espérais vaguement que Gianza tente une sortie avec son navire, mais il a du repérer le Chasseur Blanc malgré la brume, dommage…
_ Mais du coup, quelle est la raison de votre présence ici ? Demanda la jeune femme s’en pouvoir s’empêcher de jeter un regard nerveux en direction de Victor – heureusement, celui-ci se contenta de l’ignorer et de regarder droit devant lui. Le professionnalisme avant tout, hein.
_ Ben je me disais que vu que je suis le chef, je me devais de passer voir comment ça se passe ici aussi, me tenir au courant, ce genre de chose, expliqua le vice-lieutenant d’un ton incertain. J’veux dire, c’est mon rôle, quand même, non ? J’ai pas bien fait, du coup ?
_ Si, si, au contraire, mon lieutenant. Vous voyez que vous commencez à prendre le pli. Hé bien, tout s’est déroulé comme sur des roulettes, résuma Rachel. Nous avons pu évacuer la ville en un temps record grâce à la solide préparation en amont des Havrèjonnais. Les quatre enclaves pirates ont été neutralisées sans pertes de notre côté. Le village est donc sain et sauf.
_ Nyahahaha ! "Sain et sauf", ça c’est vite dit, la grande asperge ! Ricana Samuel, l’un des pirates de l’enclave de la Mairie.
_ Non mais chut, le mur et la porte ne comptent pas d’abord !
_ Un mur ? Une porte ? Mais qu’est-ce que…
_ Badabadabada, mon lieutenant ! Il affabule, c’est rien que des mensonges, c’est évident. L’écoutez pas !
_ Dans moins de dix minutes, reprit le forban, votre beau petit village, là… Hé ben couic, il ne sera bientôt plus qu’un triste souvenir ! Nyahahaha !
_ De quoi !? S’enflamma aussitôt Rachel. Qu’est-ce que vous avez manigancé !? Réponds ! Hurla la jeune femme en soulevant le pirate de terre par le col.
_ Nyahahaha ! Vous nous avez peut-être coffré mais vous allez quand même tout perdre ! Et pas la peine de m’interroger, j’dirais rien même sous la torture ! Clama Samuel.
_ Absurde : on est la Marine, on ne torture pas les gens.
_ Du coup… comment ces grosses traces de semelles sont-elles apparues sur son visage ?
_ Non mais ça n’a rien voir, mon lieutenant ! Fallait que je sauve la Maire au plus vite et lui, il était sur le chemin !
_ En ce cas, heureusement que je ne suis pas de la Marine, s’avança Victor en faisant tranquillement craqué ses phalanges.
_ Nan, il est mon prisonnier, donc sous la responsabilité de la Marine ! Pas de tortures ! S’interposa derechef Rachel. Pas touche, recule !
_ Super, alors dis-moi comment tu comptes lui faire cracher le morceau, toi qu’es si maligne !? Grogna le chasseur de prime.
_ Nan mais on s’en fout, du village ! Clama brusquement le vice-lieutenant Severn.
_ Que… pardon, mon lieutenant ? S’étonna l’imposante albinos.
_ Heu… T’es sûr de toi, bonhomme ? Renchérit Victor.
_ Aaaah, si simple à désamorcer… Le principal, c’est que tout le monde soit en vie, décida Mark. Ils veulent raser les maisons ? Laissons-les faire : on n’aura qu’à les reconstruire, encore plus grandes, plus belles et plus neuves, et dans leur face, la vengeance mesquine.
_ Quoi !? S’étrangla Samuel. Non mais attendez, z’êtes la Marine, si vous défendez pas le village, c’est carrément un échec !
_ Ben non, soutint le vice-lieutenant. Après tout, si on le reconstruit, c’est comme si qu’i s’était juste rien passé. Coup d’épée dans l’eau, tout ça, non ?
_ Mais… Mais… Putain ! Sérieux, c’est dégueulasse de ruiner notre plan comme ça ! »

Le regard de Rachel oscilla entre le vice-lieutenant et le forban. Le forban et le vice-lieutenant. Une moue boudeuse se forma sur ses lèvres.

« Sergent Krieger !? Appela l’imposante albinos en se retournant. Je vous confie le commandement de la troupe dix minutes. Assurez-vous que tout le monde reste en sécurité sur la plage ! »

Dans un silence de mort, la jeune femme commença à s’éloigner à grand pas en direction du village, sous le regard interdit du vice-lieutenant qui avait peur de comprendre ce qu’elle avait en tête.
Victor fut nettement plus rapide et se précipita à la poursuite de Rachel, la rattrapant par le bras.

« Qu’est-ce que tu crois être en train de faire, là ? Lui demanda abruptement le chasseur de prime.
_ Je vais stopper tout ça, bien sûr ! Rétorqua la jeune femme sur le même ton.
_ T’as pas la moindre idée de ce qui se trame ! Rappela Victor.
_ Et c’est pas en restant ici à se tourner les pouces qu’on le trouvera ! Rétorqua Rachel.
_ Ils vont raser le village, tu te crois plus solide qu’une maison ? Tenta de la raisonner le chasseur de primes.
_ Y’en aura pas besoin parce que je vais tout empêcher, S’entêta la jeune femme.
_ Mais bon sang, qu’est-ce que t’as besoin de risquer ta vie inutilement comme ça !? Éclata Victor. T’as pas entendu ton chef ? On laisse couler et vous reconstruisez, c’est pourtant simple, non !? Kess’tu comprends pas, bordel !?
_ C’est pas inutile ! Explosa Rachel. "Reconstruire après" ? C’est une blague !? Et les Havrèjonnais, tu crois qu’ils en pensent quoi, eux ? C’est chez eux, ici ! C’est là qu’ils ont leurs vies, c’est ici que résident leurs souvenirs ! Et ça, on peut pas les reconstruire !! Et qu’est-ce qui va se passer pendant la reconstruction ? On éparpille tout le monde en attendant ? Mais c’est ensemble qu’ils vivent, qu’ils forment une communauté ! Rien à foutre de ce que pense Mark sur ce point : ces gens nous ont confié leur vie ! Et la protéger, c’est pas juste s’assurer qu’ils respirent encore à la fin, c’est tout faire pour qu’ils puissent reprendre le cours de la vie comme si de rien n’était après tout ça ! Alors vous faites ce que vous voulez, mais moi, je file sauver leur village, un point c’est marre ! »

D’un geste de l’épaule, Rachel se libéra de la prise du chasseur de primes et s’en fut en courant en direction du village. Le jeune homme hésita.

« Victor, l’interpella vivement le vice-lieutenant Severn. On a encore besoin de vous pour la phase deux, contre Barbe-de-fer, alors pas de risques inutiles, soyez gentils de res… »

Il n’en fallut pas plus pour que le chasseur de primes file comme le vent à la poursuite de Rachel.

« …-ter avec nous… Ben ça, c’est réglé.
_ Heu… Je suis vraiment désolée, s’excusa Charlotte. D’habitude, il est nettement plus obéissant pour tout ce qui concerne la cible prioritaire. J’aurais p’t-être pas du lui dire d’écouter son cœur, en fait…
_ Non, non, pas d’inquiétude, la rassura Mark. Je me sens beaucoup plus serein à l’idée qu’il accompagne Rachel là-dedans, en vrai.
_ Hein ? S’étonna miss Fandango. Mais vous venez de lui dire… Héééé, mais je vois qu’on a affaire à un vrai petit manipulateur, en fait !
_ Ben oui mais c’st de leur faute, aussi, à pas savoir régler leurs affaires comme des adultes ! Se défendit le vice-lieutenant. Mais j’ai bien l’intention de les amener à résoudre ça avant qu’on en finisse.
_ Ah mais je ne critique pas, bien au contraire, assura Charlotte. Vous avez un plan ? J’peux vous aider ? Ç’a l’air rigolo ! »

Lorsque Victor parvint enfin à rattraper Rachel, elle était déjà arrivée sur la grande-place du village et regardait tout autour d’elle, à la recherche d’un indice, d’une idée, n’importe quoi. Elle ne savait pas exactement quel était le timing restant, il ne lui fallait donc pas perdre de temps. Une idée. Une idée, vite !

« Alors, qu’est-ce qu’on cherche ? Demanda le chasseur de primes en tâchant de reprendre son souffle.
_ J’en sais fichtrement rien, avoua l’imposante albinos. Si c’était moi, je pilonnerais la ville de loin pour la raser, mais les seuls canons dont disposent les pirates sont solidement coincés sous une épaisse gangue de pierres.
_ Un incendie ? Proposa Victor.
_ Trop lent, trop sujet aux aléas climatiques, trop facile à contrer, réfuta Rachel. Et on verrait déjà la fumée. Une bombe ?
_ Avec une mèche lente, c’est possible de l’activer et déguerpir avant que ça ne pète, acquiesça le chasseur de primes. Cachée dans des caves ?
_ Non, réfléchit l’imposante albinos. La puissance cinétique de l’explosion serait absorbée par le coffrage de terre, ça ne ferait sauter que la maison elle-même.
_ Et rez-de-chaussée ou étage, nous ou les habitants les aurions déjà vu, écarta Victor. Reste les greniers ?
_ Impact trop limité, les maisons attenantes absorberaient le gros de l’explosion et protégeraient les autres. On ne peut pas raser un village comme ça, affirma Rachel.
_ Est-ce qu’on ne fait pas fausse route, alors ? S’inquiéta le chasseur de primes. Peut-on seulement raser un village avec une bombe ?
_ Peut-être pas… Attends, si ! S’exclama l’imposante albinos. Edwin m’a déjà expliqué que le mieux pour optimiser les dégâts d’un explosif, c’est d’arriver à le faire détonner avant qu’il ne touche le sol. Si je me souviens bien, l’enjeu consiste à positionner l’épicentre de l’explosion au-dessus du plus haut sommet de ce qu’on vise. Ainsi, il n’y a plus rien pour absorber la détonation et, en plus, la force d’expansion sphérique plaquera les obstacle au sol, les faisant s’effondrer sur tout ce qui se serait abriter derrière.
_ Vicieux, ça. On le croirait pourtant pas, à le voir comme ça, le bonhomme. Le beffroi, conclut Victor. Il domine tous les bâtiments de la ville, il serait désintégré par l’explosion initiale et, avec suffisamment d’explosifs, ses murs ne doivent pas être assez épais pour étouffer la puissance explosive.
_ Bien vu ! Allons-y ! S’exclama Rachel en piquant des deux.
_ Attends, l’entrée du beffroi n’est pas de l’autre côté ?
_ Non mais c’est bon, y’a un raccourci dans le mur entre la Mairie et le Beffroi ! Pis la porte est déjà ouverte alors ça serait dommage de ne pas en profiter… »

Les deux jeunes gens s’engouffrèrent en trombe dans le complexe et filèrent à en perdre haleine dans les escaliers menant au sommet du beffroi. C’était quitte ou double, songea l’imposante albinos. Si jamais ils avaient fait fausse route, il n’y aurait pas le temps pour un plan B.
Quoique s’ils ne se grouillaient pas, il n’y aurait peut-être même pas le temps pour un plan A non plus, à vrai dire.

Rachel serra les dents et força comme une folle sur ses jambes. Elle fut la première à atteindre le dernier étage du beffroi, où trônait une impressionnante montagne de tonneaux de poudres et de caisses d’explosifs. Bon sang, même le Chasseur Blanc n’en avait pas autant en stock !
La jeune femme ne fut pas longue à repérer les deux mèches qui se consumaient rapidement par terre, filant inexorablement vers leur destination funeste. Sans ralentir, Rachel se propulsa sur celle de gauche dans l’espoir de l’atteindre avant qu’il ne soit trop tard.

« Victor, à droite ! »

Le chasseur de primes déboula sur le seuil et fit légèrement choir ses lunettes sur son long nez pour jeter un coup d’œil par-dessus ses carreaux fumés. Car s’il ne les enlevait jamais d’ordinaire, pas même en intérieur ou de nuit, c’était pour une raison fort simple : Victor possédait l’Œil Absolu. Il ne disposait pas de vision périphérique : tout lui était parfaitement visible dans son champs de vision. Il n’avait pas non plus besoin de se concentrer sur les détails, c’étaient les détails qui lui sautaient littéralement aux yeux, qu’il le veuille ou non. Ses lunettes de soleil lui apportaient donc confort et repos en voilant sa vision et limitant la quantité de détails que son cerveau avait à traiter.
Inversement, en s’en passant… Il ne lui fallut qu’un rien de temps pour saisir l’ensemble des éléments du tableau. La salle bourrée ras-la-gueule de divers contenants explosifs. La mèche qui s’était séparée en deux. Rachel en train de sauter sur l’une des deux flammes. La distance qui le séparait de la seconde, trop loin pour qu’il puisse seulement songer à faire de même. Le fait qu’elle soit déjà en train de remonter le long d’un tonneau, empêchant un tir direct.

Néanmoins, le jeune homme n’hésita pas la plus petite seconde. Contrairement à Rachel, il avait passé ces dernières années à mettre sa vie en jeu dans des combats ardus, face à de puissants adversaires. Il avait combattu plus souvent qu’à son tour dans des conditions tendues et avait donc plus l’habitude que la jeune femme de se sortir de situations délicates.
D’un seul mouvement fluide, le chasseur de primes dégaina ses flingues et fit feu, coup sur coup.

La première balle fila en biais vers le plafond, ricocha sur la tocsin communal puis redescendit en miroir vers le sol, en direction du tonneau de poudre. Cible justement visée par la seconde balle, savamment tirée en décalage, et qui filait en ligne droite depuis le chasseur de primes. Les deux projectiles se heurtèrent brutalement, la seconde balle déviant à pic pour s’enfoncer inoffensivement dans le sol, tandis que la seconde partant quasiment à angle droit en trajectoire latérale, sectionnant net la mèche avant de filer par la fenêtre sans danger.
Victor s’autorisa un petit soupir de soulagement. Ce n’était pas ici qu’ils rencontreraient la Faucheuse.

« C’est bon de mon côté ! Signala Rachel qui avait étouffé la flamme entre ses deux mains.
_ Plus rien à craindre ici non plus, confirma Victor.
_ Youhou ! Exulta la jeune femme. Trop fort, on l’a fait, on a sauvé le village ! Pirate zéro, justice un ! Dans ta face, Barbe-de-fer !
_ C’était quand même une grosse prise de risque injustifiée, grommela le chasseur de primes.
_ Meuhnan, on a tout bien géré. Ça s’est passé comme sur des roulettes, minimisa Rachel.
_ Tu te rends bien comptes que tu m’as demandé de tirer dans une poudrière ? Pointa Victor. J’peux savoir à quel moment ça t’a semblé une bonne idée !?
_ Oui ben tu te la pètes constamment aussi, se défendit la jeune femme, alors je me suis dit que tu saurais gérer, c’est tout ! T’aurais eu l’air bien minable si t’avais pas été au moins capable de ça, quand même.
_ Comment t’as pu te dire ça alors que je ne t’ai jamais dit que je savais faire des tirs ricochets ? S’insurgea le chasseur de primes.
_ De quoi tu te plains !? Je t’ai permis de te la péter avec ta quincaillerie, tu devrais plutôt me remercier ! Contre-attaqua derechef Rachel.
_ Je me plains que c’était complètement stupide ! À cause de ton insouciance, on a bien failli crever, l’accusa Victor. Et tout ça pour sauver une poignée de bâtiments décrépits ! Merde, dans le genre sacrifice inutile, ça se pose là, quand même…
_ Oh, ça va, ça te tuerait de te montrer un peu honnête pour une fois !? Se récria la jeune femme.
_ Honnête ? Je… Pardon !?
_ J’t’ai pas forcé à me suivre, moi ! T’es venu de ton propre chef la sauver, c’te foutue poignée de bâtiments décrépits, je te ferai dire ! Souligna Rachel.
_ Hein ? Mais non, c’est pas… J’veux dire, ch’uis venu parce que… ’fin, heu… Tu sais… Hum… Bref, ben voilà, quoi…
_ Kess’tu marmonnes, là ? T’es pas clair !
_ Oui ben, t’as qu’à mieux écouter, voilà tout !
_ Hé !
_ YOUHOUU ! MON LIEUTENANT ? OÙ ÊTES-VOUUSS ? »

Les deux jeunes gens interrompirent leur engueulade pour s’approcher de la fenêtre. En contrebas, Jürgen se baladait sur la grand-place en appelant sa supérieure à plein poumon. Et en bon sergent-chef, il en avait, du coffre. On devait sûrement l’entendre depuis la plage, songea Rachel.

« Sergent Krieger, on est là-haut ! Lui hurla l’imposante albinos tout en lui faisant de grands signes. C’est bon, on a neutralisé la menace !
_ Super ! Victor est avec vous ? J’ai un message de la part du vice-lieutenant Severn pour vous deux.
_ Ouais, ch’uis là aussi, bonhomme, se signala le chasseur de primes en s’approchant de la fenêtre. Vas-y accouche.
_ Ok, opina Jürgen. Le vice-lieutenant me fait vous dire que quand vous aurez fini de vous disputer, vous êtes toujours attendus sur la plage pour la suite des opérations, alors soyez gentils de vous calmer et de ne pas trop traîner !
_ Nous disp… Commença Rachel. Mince, mais comment il a su !?
_ On était pas du tout en train de nous disputer, d’abord, signala Victor.
_ Si, si, c’était carrément ce qu’on était en train de faire, en fait !
_ Et alors ? On va quand même pas donner à l’autre zigoto la satisfaction d’avoir raison, non ? Hors de question !
_ Oooh, ouais, bien vu, il pourra jamais le savoir ! Tout à fait, affirma Rachel. On était juste en train de faire l’inventaire de la puissance de feu entreposé ici !
_ Hohoho, bien joué, ça va lui apprendre à vouloir se la jouer monsieur je-sais-tout !
_ Ah ok, acquiesça le sergent Krieger. D’accord, je vais lui dire. Mais dépêchez-vous quand même, on attend plus que vous pour la suite !
_ Pas de soucis, on arrive ! »

*
*     *

Tandis que l’aube commençait à poindre à l’horizon, sur la plage, la plus grande effervescence agitait le contingent Marines. Chacun vérifiait une dernière fois son arme, son stock de munitions ou, pour les plus pieux, recommandait son âme à une quelconque divinité personnelle.
La troupe du vice-lieutenant Severn se préparait à lancer l’assaut dans la grotte. Et on allait pas se mentir, ç’allait être tout sauf une partie de plaisir.

En comparaison, le groupe de Victor paraissait étrangement détendu. Les chasseurs de primes plaisantaient, se charriaient entre eux ou poussaient des soupirs d’exaspérations ostentatoires devant la lenteur de la mise en place du dispositif Marine. Contrairement à la masse de troufions rassemblés ici, eux étaient des pros de la castagne, des spécialistes de la confrontation et, en cet instant, la différence sautait clairement aux yeux de tout un chacun.
Rachel fit donc de son mieux pour les ignorer purement et simplement.

« Mon lieutenant ! Beugla la grosse voix de Jürgen, la tirant de ses pensées. Le vice-lieutenant Severn vous cherche !
_ Bien reçu, j’y vais. »

L’imposante albinos se faufila adroitement entre les différentes grappes de Marines agités pour rejoindre Mark, qui se tenait quasiment en première ligne.

« Ah, Rachel ! S’exclama le lancier en l’apercevant. Bon, ben je crois que là, on y est. Je te confie le commandement de l’arrière-garde.
_ Compris, mon lieutenant, confirma l’imposante albinos. Veuillez noter que je persiste à penser que je serais plus utile à vous accompagner.
_ Hé, c’est pas gentil : t’as déjà pondu tout le plan de bataille à toi toute seule, pis t’as empêché en plus le village d’être réduit en poussière. Laisse-donc un peu de gloire pour les autres, tu veux, plaisanta Mark en ponctuant sa tirade d’un grand clin d’œil – c’est que la Rachel était un peu à cran, en ce moment, il voulait être certain qu’elle ne loupe pas le second degré.
_ Je ne pense pas que rester derrière à me tourner les pouces soit une utilisation des plus judicieuses de nos forces, tenta une dernière fois l’imposante albinos.
_ Aaah, dit pas ça, fit le lancier. On a besoin de toi pour s’assurer qu’aucun pirate ne passe sur nos arrières et n’aille dégommer du civil pour s’offrir une petite vengeance mesquine en passant. C’est hyper-important et tu le sais.
_ Ça m’étonnerait fort que vous en laissiez passer un seul, mon lieutenant, soupira Rachel.
_ Détrompes-toi, lorsque les choses vont mal, les rats trouvent toujours le moyen de quitter le navire, affirma gaiement Mark. Et je peux t’assurer que là, ça va aller très mal pour eux.
_ Très bien, mon lieutenant, je jouerai les dératiseurs, capitula l’imposante albinos. Mais faites bien attention, de votre côté.
_ Pour sûr ! Mais ça va, j’ai eu le temps de charger ma lance en vous attendant alors je suis pleinement opérationnel, assura l’officier avec confiance. Bon, hé bien si tout est réglé…
_ Attendez, mon lieutenant ! Je… Heu… Bredouilla Rachel. Je… Je… »

La jeune femme se tut, hésitante. Mais pas besoin d’être télépathe pour savoir ce qu’elle voulait dire, s’amusa Mark. Ses doigts tricotant en vain dans son giron, son air affreusement gênée ainsi que les regards furtifs qu’elle jetait par-delà l’épaule du vice-lieutenant en direction d’une certaine personne étaient on ne peut plus éloquents.
L’officier sourit et lui tapota gentiment le bras.

« T’inquiètes, Rachel, assura le lancier. Je te promets que je vais amener Victor jusqu’à Barbe-de-fer en un seul morceau. Je ne sais pas trop si je pourrais leur être utile ensuite pendant leur combat, mais je garderai un œil sur la situation et je ferai ce qu’il faut pour te le ramener sain et sauf. T’as ma parole.
_ Merci, mon lieutenant, bafouilla la jeune femme avec reconnaissance.
_ Putain, comment que j’ai juste trop la classe ! C’est que je vais finir par m’y faire, à ce rôle d’officier supérieur… Ok, tout le monde, on va s’y mettre ! S’époumona Mark. Unité Alpha, Beta et Gamma, vous ouvrez le chemin jusqu’au contact. Et si vous voulez pas le coup de foudre de votre vie, je vous rappelle que c’est interdit de me passer devant une fois que je commence à faire joujou ! – concert d’approbations des principaux concernés – Victor ? On ouvre la voie, alors vous et votre groupe, restez bien derrière moi et je vous fraierai un chemin jusqu’à Barbe-de-fer en un clin d’œil.
_ Offre-le nous sur un plateau d’argent et tu seras pas déçu du résultat, promit le chasseur de prime avec un sourire carnassier.
_ J’espère bien parce que nous on est pas de taille, hein… Très bien, compagnie ? À l’assaut ! »

Comme un seul homme, toute la troupe se mit en branle et chargèrent en direction de la grotte. Rachel les suivit des yeux jusqu’à ce qu’ils disparaissant derrière les reliefs. Il ne fallut pas bien longtemps pour que les premiers coups de feu claquent. La jeune femme tressaillit et sera ses bras contre elle, morte d’inquiétude.

« Tout va bien, mon lieutenant ? Demanda le sergent Krieger qui s’était rapproché doucement.
_ Absolument pas. Je suis une ancienne des commandos d’assaut, rappela Rachel. Mon rôle, c’était d’être le fer de lance. Bon sang, je n’ai jamais appris à rester à attendre derrière ! J’en suis carrément malade d’angoisse… Merde, c’est avec eux que je devrais être plutôt que de rester coincée ici comme une conne !
_ C’est comme dans l’Arène, fit Jürgen. "Souvenez-vous que tant que chacun tiendra son rôle, aussi bénin puisse-t-il paraître, alors ensemble, on formera la plus puissante des machines de guerre". Et je vous cite, hein…
_ Sérieux, j’ai dit ça, moi ?
_ Juste avant l’affrontement contre la commandante de Castelcume.
_ Ouais, on peut pas dire que ça nous ait spécialement portés chance, pour le coup. Plus facile à dire quand on est pas celle qui doit rester sur le banc de touche, soupira Rachel. Mais c’est bon, j’ai compris le message. Interdiction de courir les rejoindre…
_ Après, si vous tenez vraiment à y aller, je vous accompagne, hein, mon lieutenant.
_ Commencez pas à me tenter, voulez-vous. Qu’est-ce que je dois faire, sergent ? l’interrogea l’imposante albinos.
_ Ce que vous voulez, mon lieutenant, rétorqua le Nordique. C’est vous le chef, après tout.
_ Je parle sérieusement, Krieger…
_ Mais moi aussi, confirma Jürgen. Faites ce que vous voulez, du moment que vous faites quelque chose. Ça ne vous apportera rien de bon de rester ici à vous faire un mauvais sang.
_ … Se tint coi Rachel tout en dévisageant Jürgen avec de grands yeux abasourdis.
_ Ben quoi ?
_ Rien, c’est juste que d’habitude tes suggestions sont tellement plus… ‘fin beaucoup moins… ‘fin, tu sais…
_ Bah, j’ai l’habitude de gérer les recrues en stress, alors je sais de quoi je parle, affirma le Nordique. Après, si vous y tenez, je dois pouvoir vous dégotter des corvées à faire.
_ Sans façon, grimaça Rachel. Je crois que je vais plutôt passer en revue notre dispositif défensif.
_ Excellent choix.
_ Quoi que je décide, ç’aurait été un excellent choix, pas vrai ?
_ Tout à fait.
_ Merci Jürgen, fit l’imposante albinos avec gratitude. Merci beaucoup. Je ne sais pas ce que je ferais, sans toi…
_ De rien, c’est à ça que servent les sergent-chefs, mon lieutenant, rétorqua le Nordique en souriant. À tous les coups, vous auriez désobéi et foncé dans le tas.
_ Mais tellement. »

S’en tenant aux bons conseils du Nordique, Rachel s’ébroua et passa voir les différentes unités de son cordon défensifs. Cinq unités couvraient le sud, de la plage ouest jusqu’aux falaises est, couvrant la petite bande de caillasses qui reliait la grotte au reste de l’île. L’imposante albinos jeta son dévolu sur l’Est pour commencer sa revue, notamment parce que leur position plus élevée permettait de garder un œil sur la grotte tout en étant le point le plus éloigné de l’entrée, ce qui atténuerait pas mal les bruits de combats.

« Sergent Bowman, héla la jeune femme en s’approchant. Au rapport ?
_ Rien à signaler, mon lieutenant, affirma le Marine. On a un super position en surplomb, si quoi que ce soit tente de passer, impossible qu’on le loupe.
_ Je doute que ça advienne, mais mieux vaut se tenir prêt, sourit Rachel.
_ J’espère bien, avoua Bowman. Ça m’ennuierait que les gars de Severn soient les seuls à pouvoir se la péter quand on rentrera.
_ Vous m’en direz tant, s’amusa l’imposante albinos. Gardez l’œil et… Hé ! Mais qu’est-ce que vous faites-là Laurent ? S’exclama brusquement Rachel.
_ Hmm ? Fit l’intéressé en se retournant. M’enfin, mon lieutenant, ça fait depuis que vous êtes passée adjudant que je suis sous les ordres du sergent Bowman.
_ Non, non, je veux dire : qu’est-ce que vous fichez au bord de la falaise !? Reformula l’imposante albinos en le rejoignant vivement. Dois-je vous rappeler que vous avez le vertige ?
_ Meuhnan, pas du tout.
_ Vous voulez vraiment qu’on reparle de la façon dont vous avez géré l’expérience aérienne de Marlow ? »

Fragment mémoriel:

« Roooh mais non mais là c’est pas pareil, mon lieutenant, signala Laurent. Là on est sur la falaise, pas dans le vide, alors ça n’a absolument rien à voir, voyons !
_ Genre…
_ Ben si, v’voyez bien, quand même.
_ Bon, très bien, je n’ai rien dit, admit gentiment Rachel. Mais faites bien attention et ne vous approchez pas trop du bord, on est d’accord ?
_ Oui-mô-man, ânonna docilement Laurent, provoquant l’hilarité général.
_ Moquez-vous, n’empêche que si vous ne m’écoutez pas, j’écrirai pour de vrai à votre mère.
_ Oh non, siouplé, mon lieutenant ! »

L’imposante albinos s’en retourna auprès du sergent, tandis que les autres Marines charriaient Laurent à voix basse.

« J’espère que vous allez vous en sortir avec des zigotos pareils, soupira Rachel.
_ Ne vous inquiétez pas, je peux gérer, gloussa Bowman. Vous avez bien fait de passer, ils étaient tous stressés et inquiets, mais vous les avez détendus. Maintenant ils vont être plus sereins. ‘faudrait que j’apprenne à faire pareil.
_ Effectivement, j’ai bien fait de passer, je me sens plus calme, moi aussi, maintenant, avoua l’imposante albinos.
_ Pardon ?
_ Non, rien. Jürgen est un génie.
_ Re-pardon ??
_ Bref, se reprit Rachel. Je vais vous laisser. N’hésitez pas à donner l’alerte s’il y a quoi que ce soit.
_ Bien reçu, mon lieutenant ! »

L’imposante albinos commença à s’éloigner sur le chemin lorsque la voix de Laurent retentit derrière elle.

« Sergent, venez voir ! On dirait qu’y’a quelque chose qui sort de derrière les rochers ! »

Rachel se retourna immédiatement. Bowman s’était déjà précipité jusqu’à la falaise pour jeter un coup d’œil.

« Mais… Bordel, c’est un navire ! On dirait… une caravelle » S’exclama le sergent.

Le monde se figea un court instant pour l’imposante albinos. Une caravelle ? À l’arrière de la grotte ? Impossible. Invraisemblable ! Barbe-de-fer ne disposait que d’un seul gros navire. Et les villageois avaient tous confirmés que la grotte ne disposait que d’une seul entrée !
Mais pire que tout…

« Repliez-vous tous, vite !! » Hurla Rachel en se précipitant vers ses hommes.

Bowman et Laurent se retournèrent immédiatement, mille questions lisibles sur leur visage, mais obéirent avec diligence. Ils n’eurent pas fait trois pas qu’un maelstrom de terres et de gravats les engloutit avant de se jeter au visage de Rachel et qu’un souffle puissant ne la soulève de sol avant de l’envoyer bouler au loin.

Encore chancelante sous le choc, l’imposante albinos se releva tant bien que mal en toussant, crachant de la terre. Des canons. Putain de merde ! Ses hommes n’étaient pas du tout équiper pour…
Ses hommes !

« Sergent Bowman, au rapport ! Laurent ? Quelqu’un ! »

L’écho de l’explosion s’estompait dans ses oreilles. Elle commençait à percevoir les râles des blessés. La poussière se dissipa à son tour.

« Non… » Souffla Rachel.

Le corps déchiqueté de Bowman reposait à quelque mètres d’elle. Un peu plus loin se trouvait le matelot Laurent, immobile.

« Laurent, répond-moi ! L’interpella l’imposant albinos tout en courant jusqu’à lui. Tiens bon, je suis là, accroche-toi ! »

Mais il n’y avait plus rien à accrocher, comme s’en aperçut désespérément Rachel en l’atteignant. Les yeux grands ouverts du jeune homme ne fixait plus rien, sa poitrine restait inerte, nul souffle n’émanait plus de lui.

« Uuuuuh… »

La jeune femme ne s’entendit même pas gémir. Elle avait l’impression que quelque chose s’était cassé dans sa tête. Son esprit tournait à vide, incapable de se fixer sur quoi que ce soit, d’émettre seulement une pensée consciente. Le désespoir la tenaillait. Et puis quelque chose apparut. Un bouillonnement intérieur, montant du plus profond de son être, renversant tout sur son passage. Colère… Rage. Fureur !
Destruction !!

On ne saura jamais à quoi s’attendait les pirates après avoir mouché les Marines au canon. Mais vraisemblablement pas à ce qu’une furie albinos fasse le saut de l’ange depuis le sommet dévasté de la falaise dans le seul but de les aborder.

L’équipage, une demi-douzaine de forbans à la mine patibulaire, tenta tant bien que mal de réagir et plusieurs pistolets et fusils pointèrent en direction de cet opposant violent non identifié. Malheureusement pour eux, Rachel avait pour elle l’effet de surprise, la gravité, l’angle de tir ainsi qu’une irrépressible pulsion nihiliste qui guidait son bras sans faillir. C’est avec une joie malsaine que l’imposante albinos aperçut une gargousse de poudre négligemment posée près du canon du flanc opposé. Son propre pistolet entra en action et l’explosion éventra le plat-bord du navire, bousculant les tireurs.

Rachel atterrit lourdement sur le pont en désordre. Elle eût à peine le temps de se relever qu’un grand gaillard au chapeau gigantesque – le capitaine des fuyards ? – se jeta sur elle tout en plaçant un vicieux coup de taille. La lame lacéra profondément le flanc de l’imposante albinos, tandis que son propre poing rageur pulvérisait la mâchoire de l’escogriffe. La jeune femme déplia immédiatement la main et saisit le pirate par le col avant qu’il ne puisse reculer puis pivota instantanément sur ses talons, se servant du malheureux comme bouclier humain pour parer la première salve des tireurs pirates. Dans le même mouvement, elle dégaina le pistolet passé à la ceinture du forban, cherchant avidement des yeux sa prochaine cible.
Et elle la trouva.

Au-delà du pont, derrière une forêt de jambes, après la porte ouverte du château arrière, s’extirpant d’une trappe au sol. Un type en train de remonter avec une dose de poudre pour le canon qui venait de tirer. Lui aussi l’avait vu. Il agitait une main affolée – « non, non non ! » – tout en essayant précipitamment de redescendre dans la poudrière.
Trop tard.

Sans perdre ne serait-ce qu’une seconde à réfléchir à des trucs aussi vains et accessoires que les éventuelles conséquences, Rachel visa et pressa immédiatement la détente. Et un énorme flash tonitruant engloutit tout le reste.

*
*     *

Orange pastel.
À l’infini.

La voûte céleste la surplombait, immense, démesurée, intégralement et désespérément pleine d’une multitudes de nuances orange pastel. Ça lui tapait sur les nerfs, songea Rachel. Cette couleur la prenait de haut, la toisait avec un mépris infini. Et aucun moyen de lui échapper. Ça lui fichait le bourdon. Et lui donnait mal au ventre. Qu’est-ce qu’elle n’aurait pas donné pour que ce ciel intimidant ne change de couleur…

Rachel flottait. Elle n’était pas trop sûre de pourquoi et encore moi d’où. De toute façon, elle s’en fichait pas mal. Elle se sentait vidée et complètement apathique. Elle avait mal au crâne. Elle ne se souvenait de rien. Pas même de depuis quand elle contemplait cette immense ciel immondément orange pastel. Un bruit de ressac allait et venait dans ses oreilles. C’était agréable. La fatigue montait. Elle était tellement lasse. Elle devrait peut-être simplement fermer les yeux. Ça mettrait un terme à cet horripilant orange pastel.

Quelque chose percuta son épaule. Ou inversement. Ce qui percuta clairement son esprit, par contre, ce fut une rafale de souvenirs récents. Putain de merde, les pirates !! Elle était en pleine baston, elle n’avait pas le temps de somnoler bêtement !

Rachel se redressa, ignorant la migraine qui fusa aussitôt sous son crâne, et balaya d’un revers du gauche le quoi que ce soit qui avait bien pu la toucher. Son esprit nota confusément qu’elle avait pied mais la seule conclusion qu’elle en tira fut qu’elle pouvait donc asséner plus facilement un solide direct du droit dans la silhouette qui lui faisait face. Alors qu’elle frappait, une vive douleur la cassa en deux. Oui, maintenant elle s’en souvenait aussi : elle s’était faite taillader le bide par un adversaire, tantôt.

La silhouette en face intercepta le coup de poings. Rachel se maudit de n’avoir pas réussi à y mettre de force et se prépara à… Une minute, cette paire de cornes lui disait vaguement quelque chose… Jürgen ! C’était ce bon vieux Jürgen !

Le Nordique se pencha vers elle et lui parla. En tout cas, ses lèvres bougèrent. C’est alors que Rachel s’aperçut que ce n’était pas du tout un bruit de ressac qui lui vrillait ses oreilles. Elle n’entendant qu’à peine ce que lui disait Jürgen et il lui fallut s’aider du mouvement des lèvres pour comprendre, en dépit de la migraine qui tentait de lui fendre le crâne en deux.

« Vous n’avez rien, mon lieutenant ? »

Rachel papillonna des yeux. C’est alors qu’elle commença à percevoir ce qui se passait autour d’elle.
Ils étaient proches de la plage Est. Autour d’elle, dans l’eau, des débris de toutes sortes. Des pirates plus ou moins blessés et hagards s’approchaient de la rive, où des Marines les réceptionnaient et leur passaient les fers. Plus haut sur la falaise, un petit contingent de Marines tenaient tout le monde en joue, probablement prêt à plomber les petits malins qui voudraient se faire la malle.
De nouveaux flashs mémorielles sautèrent à la tête de Rachel. Le navire. L’explosion. Elle devait être en état de choc, songea-t-elle. Pas étonnant qu’elle ait du mal à recoller les morceaux.

« Je… Je vais bien, sergent. Je suis juste secouée, répondit-elle laborieusement d’une voix pâteuse.
_ Mais vous êtes blessée !? » S’exclama le Nordique en jetant un coup d’œil à son ventre.

Rachel opina du chef mais refusa obstinément de regarder ce qu’il en était, intimement persuadée que ça ferait encore plus mal si elle constatait l’étendu des dégâts de visu.

« Venez, on va vous soigner ! »

L’imposante albinos se fit la réflexion qu’elle entendait mieux son sergent. Parce que ses oreilles allaient mieux ou parce qu’il gueulait plus fort ? Le mystère restait entier, conclut la jeune femme en fixant longuement son subordonné.

Nullement déconcerté par l’absence de réactions de sa chef, le Nordique l’aida à se mettre en marche et soutint ses pas mal assurés. Rachel suivit docilement, satisfaite de laisser à d’autres le soin de prendre des décisions. Maintenant, elle en était sûre, elle développait la migraine du siècle. Réfléchir était juste trop dur.

Jürgen l’escorta jusqu’à la plage et l’aida à s’allonger sur le sol. Son grand manteau de la justice la protégeait du sable. Rachel songea stupidement qu’elle devait mettre du sang partout avec sa blessure. Comment est-ce qu’elle allait bien pouvoir nettoyer ça ?

Le Nordique héla à grands cris un médic – ça, la jeune femme l’entendit très bien – et rapidement, un jeune homme de la troupe déboula à leurs côtés. Il s’agissait de… de… Zut, elle l’avait pourtant sur le bout de la langue ! Le nouveau venu lui agita un truc lumineux sous les yeux, l’éblouissant à mort et ravivant sa migraine. Rachel bazarda tout ce beau monde tout en les agonisant d’injures.
En tout cas, c’était son intention, mais force lui fut d’admettre que la mise en œuvre n’était pas vraiment à la hauteur de ses espérances. Le médic ignora ses grommellements étouffés et ses faibles gesticulations pour adresser un signe rassurant à Jürgen qui sembla à son tour visiblement très soulagé.
Humpf, attends que je retrouve ton nom et mes forces et tu vas voir ce que je vais en faire de ta saloperie de loupiotte, petit bonhomme !

Le médic farfouilla dans son matériel et en ressortit du fil et une aiguille. Ok, c’était le moment de regarder à l’opposé pour ne plus rien voir, décida Rachel. Tandis que des sensations de tiraillements lui provenait de son ventre, la jeune femme décida de se concentrer sur les fameuses cornes du casque de Jürgen.

« Sergent ? Appela-t-elle faiblement. Comment ça se fait que vous soyez là ? Z’étiez en poste de l’autre côté.
_ … … … … … … répondit l’intéressé – mince, il avait baissé d’un ton. Il valait mieux qu’elle fixe ses lèvres, plutôt – … seconde explosion, on a compris qu’il se passait quelque chose et on était déjà en route. Et la troisième nous a semblé si cataclysmique qu’on a accouru aussi vite qu’on a pu et c’est là qu’on vous a tous trouvé.
_ Attendez, attendez, attendez, temporisa laborieusement Rachel. Comment ça, une seconde et une troisième explosion ?
_ Vous ne vous souvenez pas ? Demanda le sergent Krieger. Au début, on a cru à une canonnade et … … … … …  »

Un canonnade ? Mais qu’est-ce qu’il racontait avec sa canonn…
Canon.
Ô mon dieu, Bowman !

« Sergent, s’agita Rachel. Quel est l’état de nos pertes ? »

Le brave Nordique essaya d’éviter le regard de sa supérieure, mais pas assez vite pour que Rachel n’y distingue une profonde expression désolée.

Non. Ça ne pouvait pas être vrai. Sa mémoire lui jouait des tours. Forcément. Non, non, non !

Sans plus se soucier de sa blessure ou du médic qui officiait, Rachel se redressa brusquement, folle d’inquiétude, et attrapa son sergent par le col pour le forcer à la regarder.

« Je dois savoir, Jürgen ! Quelles sont nos pertes ?! »
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La nuit tombait tout doucement sur l’île de Rocbrume et les étoiles s’allumaient les unes après les autres dans le ciel nocturne. Le village d’Havre-jonc flamboyait de mille et une couleurs chaleureuses sous l’effet de divers feux de joie, bûchers et lampions, tandis que les villageois fêtaient sans retenue leur libération en compagnie des Marines. La Fanfare s’en donnait à cœur joie, et habitants et Marines dansaient, sautaient et tourbillonnaient en tout sens dans les rues, enivrés par la joie pure et simple des gens qui n’ont plus aucun soucis. C’était la fête et tout à chacun était bien décidé à profiter de l’instant présent jusqu’au bout, rejetant les petits tracas de leur vie quotidienne au lendemain. Pour tous les festivaliers, nul ombre au tableau ne ternirait cette nuit de bonheur.

À la lisière des feux de joie et du tintamarre festif se tenait pourtant une silhouette solitaire qui tournait résolument le dos à toute cette débauche d’énergie positive. Emmitouflée dans les pans de son manteau de la Justice, Rachel se tenait obstinément à l’écart de l’agitation du village. Un gros bandage ceignait encore sa tête, mais elle avait parfaitement bien récupéré de sa commotion cérébrale. Quand le médic avait appris qu’elle avait été prises dans deux explosions coup sur coup, il s’était un peu alarmé d’éventuels séquelles, mais la jeune femme avait retrouvé sa mémoire récente et n’avait plus de troubles de la concentration ou de coordination. Comme l’avait fait remarquer Mark, elle avait vraiment la tête dure. On ne pouvait pas en dire autant de son flanc gauche, contre lequel elle pressait encore sa main droite. Trente-deux points de suture. La blessure la tiraillait un peu à chaque mouvement. Le medic avait dit que la plaie était propre et ne devrait laisser qu’une cicatrice à peine visible. Ce dont Rachel se contrefichait éperdument.

Ces blessures lui avaient value d’entrer dans les statistiques des blessés légers. Une parmi les soixante-dix-huit blessés de la Marine au cours de cette opération. Quinze de sa compagnie, elle incluse, et soixante-trois dans celle de Mark, résultant de l’assaut sur les positions retranchées de Barbe-de-fer. À ce décompte s’ajoutait huit blessés graves, tous de la compagnie de Mark. Leurs jours n’étaient plus en danger, mais ils ne réintégreraient pas les rangs de la Marine avant plusieurs semaines, voire quelques mois. Enfin, la Marine comptabilisait huit pertes, morts au champ d’honneur. Trois pour Mark et cinq parmi ses hommes.
Leurs dépouilles avaient été mises en terre en fin de matinée, en grande pompe. Tout le village s’était rassemblé pour rendre un dernier hommage aux héros qui avaient donné leur vie pour protéger celle des habitants. Le vice-lieutenant Severn avait organisé et supervisé la cérémonie, en tant que plus haut gradé présent. Il s’était fendu d’un petit discours où il avait loué l’héroïsme des disparus et rappelé que même si le prix à payer était parfois amer, la Marine n’hésiterait jamais lorsqu’il s’agissait de défendre les gens dans le besoin, car telle était sa raison d’être. Un très beau discours, très inspiré. Mark avait proposé à Rachel d’ajouter quelques mots. Elle avait décliné. À quoi bon ? Ce n’était pas comme si de belles paroles pouvaient faire revenir les disparus…

Une fois la cérémonie terminée, tout le monde s’était retiré pour préparer la fête. Certes, ces pertes humaines étaient tristes, mais il fallait passer à autre chose. Et d’après le vice-lieutenant, la meilleure façon d’honorer les morts, c’était encore de croquer la vie à pleine dent en faisant une fête de tous les diables.
Sauf que Rachel n’arrivait tout simplement pas à passer à autre chose. Elle était restée là, dans le cimetière, à contempler les tombes de défunts. Parce qu’à ses yeux, ils n’étaient pas qu’un chiffre théorique, non plus que des pertes anonymes. Il s’agissait du sergent David Bowman, du caporal Zacharie Grandbois, de la première classe Amanda Jeppesen et des secondes classes Maria Freitag et Laurent Cluzet. Ils étaient ses Marines. Les siens. À elle. Bien plus que de simples subordonnés : de véritables compagnons.
Des amis.

Rachel renifla misérablement. Ses yeux la piquaient. Ses lèvres se mirent à trembler.

David s’était marié l’été dernier. Originaire d’une île pauvre, il n’avait guère reçu d’éducation et la Marine constituait à ses yeux sa meilleure chance de s’élever dans la société. Il ambitionnait d’intégrer au plus vite le corps des officiers subalternes pour pouvoir assurer une aisance financière à sa famille.

Zacharie venait d’une dynastie de militaire. Tout le monde intégrait la Marine de père en fils d’aussi loin que remontait la mémoire familiale. Il n’aimait pas les responsabilités et prétendait les fuir, mais il se comportait comme le parfait grand-frère pour tous les matelots de son unité. Il avait à cœur que chacun se sente à sa place dans la grande famille que formait la Marine.

Amanda était une délinquante. Enfin, un ex-délinquante. On lui avait laissé le choix entre le bagne ou un service de cinq ans dans la Marine. Par pure esprit de contradiction, elle avait choisi le bagne mais personne n’avait respecté son choix. Pendant ses classes, elle s’était découverte une passion pour la cuisine et rêvait d’ouvrir son propre restaurant à l’issue de son service.

Maria avait du abandonner ses études pour intégrer la Marine lorsque son père était tombé malade. Elle n’était ainsi plus une charge pour sa famille et pouvait même les aider financièrement. Elle se débrouillait toujours pour pouvoir travailler sous la férule d’Edwin. Le brave bricoleur était intarissable sur de nombreux sujets techniques et abreuvait volontiers de ses connaissances ceux qui avaient soif de savoir.

Laurent avait rejoint la Marine parce qu’il avait vu une affiche de recrutement et s’était dit "pourquoi pas ?". C’était un type simple qui se laissait porter par la vie. Mais sous ses airs naïfs et nonchalant se cachait un cœur gros comme ça. Il trouvait son plaisir dans le simple fait d’aider les gens et, à ce titre, faisait partie des Marines les plus en phases avec Rachel.

Chacun avait eu des rêves, des envies, une famille, des amis. Ce matin-même, chacun était encore bien vivant et tenait des projets pour la suite. Et ce soir, ils étaient définitivement morts et enterrés.
C’était tellement horrible. Ne restait plus d’eux qu’une tombe. Un nom, deux dates.

Il n’y avait pas eu assez de place pour leur écrire une épitaphe. Cela ne changeait rien pour Rachel qui pouvait parfaitement la distinguer malgré ses yeux embués : « Ci-gît un valeureux Marine, tué par l’incompétence de son sous-lieutenant ».

La jeune femme retint à grand-peine un gémissement dévasté d’échapper de sa gorge noué. Ils étaient morts. Et leur seul tort était d’avoir fait confiance à leur cheffe. Elle avait carrément merdé. Dans les grandes largeurs. Et c’était les autres qui en avait payé le prix.

Rachel s’en voulait férocement. Comment avait-elle pu être stupide à ce point ? Son rang de Dauphine de l’Arène lui était monté à la tête. Elle avait fait n’importe quoi. Elle s’était contentée de poster ses hommes comme ça, sans y réfléchir plus que ça. Elle n’avait pas monté de position défensive, pas envisagé de fortifier leur dispositif. Elle n’avait rien préparé, rien fait.
Ce n’était pourtant pas faute d’avoir été prévenue ! Le vice-lieutenant Severn lui avait pourtant dit et répété qu’il y aurait forcément des fuyards. Elle ne l’avait tout simplement pas cru. Elle avait été tellement sotte.

Elle n’avait même pas envisagé un seul instant qu’il puisse y avoir un bateau. Sans même parler d’une porte dérobée. Tu parles d’une Dauphine : jamais la commandante de Castelcume n’aurait laissé passer ça, elle. Bien évidemment que les fuyards n’allaient pas filer à la nage. Ni non plus s’enfoncer à pieds dans une île tenue par les Marines et habitée par une population qui leur était franchement hostile. La fuite par le large était la seule option réellement viable, c’est tout. Et elle ne l’avait pas envisagée la plus petite seconde.

C’était pourtant elle la plus gradée. C’était sa tâche d’assurer la protection de ses hommes en toute circonstance. C’était son rôle. Sa responsabilité. Et c’était d’ailleurs bien pour ça qu’on l’avait fait monter en grade. Parce qu’elle pouvait faire la différence. Qu’elle se devait de la faire. Et ses hommes, eux, lui avait aveuglément confiance pour cela. Elle avait trahi leurs attentes !
Non.
Elle les avait trahis tout court…

Et le pire était qu’elle n’avait même pas eu la décence de partager leur sort. Elle-même s’en était sortie comme une fleur, laissant à d’autres le soin de payer l’intégralité de la note à sa place.
Pouvait-on imaginer comportement plus répugnant de la part d’un officier ?

Elle aurait tout donné pour pouvoir échanger leur sort avec le sien. Mais on ne pouvait pas revenir en arrière. Si tel était le cas, elle n’aurait même eu besoin d’échanger quoi que ce soit. Elle avait passé la journée à tourner et retourner tous les évènements dans sa tête, trouvant des dizaines de solutions différentes qui auraient chacune permis de gérer les choses de façon bien plus sûre et efficace. Mais ça ne servait plus à rien, maintenant. C’était ce matin qu’elle aurait du y penser.
Cela ne faisait que nourrir davantage sa haine et sa rancœur à son propre égard. Car en définitive, c’était bien ça le pire : leur mort n’était absolument pas une fatalité ou un coup du sort. Seulement la résultante de sa propre défaillance.

La vérité, c’est qu’elle les avait tués. Elle-même. Aussi sûrement que si elle leur avait logé une balle dans la tête chacun de ses propres mains.

Un bruit trancha soudainement dans le léger écho du brouhaha festif qui provenait de la ville, sortant Rachel de ses pensées mélancoliques et la ramenant à la réalité. Quelqu’un s’approchait.
L’imposante albinos relégua ça au second plan de ses préoccupations. Que les gens aillent et viennent, peu lui importait.

« Les villageois vont finir par se poser des questions si tu ne te joins pas à leur fête. » Signala avec douceur la voix si caractéristique de Victor.

Mince. Retour au premier plan. C’était lui. Victor !
La seule personne devant qui elle ne voulait surtout pas pleurer.

« Qu’est-ce que tu viens faire là ? » Cracha violemment Rachel – elle n’était pas absolument pas d’humeur à se quereller avec lui. Ce n’était vraiment ni le lieux ni le moment. Avec un peu de chance, il allait s’en aller.

« Un homme, un vrai, se doit d’être au côté de ses amis lorsqu’ils vont mal. » Cita le chasseur de primes tout en continuant de s’approcher.
C’était une maxime de Papy Coriace, le grand-père de Rachel. Orphelin de père, Victor avait très tôt trouver une figure paternel en la personne de l’ancien. Gamin, ses paroles avaient eu force d’évangile à ses yeux. Et même maintenant qu’il avait grandi, nombres d’entre elles constituaient le socle inébranlable de ses principes et convictions personnels.

« Hé ben va voir ailleurs, je vais très bien ! » Rétorqua la jeune femme avec hargne.

Victor retint de justesse la réplique acerbe qui faillit franchir ses lèvres. Ce n’était certes pas toujours flagrant, mais Rachel n’était pas la seule à avoir fait un gros effort de travail sur soi ces dernières années. Et même s’il devait bien reconnaître que ces dernières vingt-quatre heures avaient démontré qu’il était loin d’avoir fait autant de progrès qu’il se l’était plu à l’imaginer, là, ce n’était pas pareil : il avait eu amplement le temps de se préparer mentalement. Cette fois, il saurait gérer.  Sûr.
‘fin, normalement.
En tout cas, il avait de bonnes chances.

Bon, au moins, il était déterminé à faire de son mieux.

Surtout qu’abstraction faite du contenu des paroles, il n’était pas difficile de noter que tout chez la jeune femme était en total contradiction avec ses propos. Son timbre de voix cassé, sa respiration lourde et irrégulière, sa posture affaissée, son langage corporel en détresse… Non, ça n’allait pas très bien. Ça n’allait pas très bien du tout, même.

« Donc pas d’objection à m’accompagner rejoindre les autres ? demanda Victor sans cesser de s’approcher.
_ Si. Je veux rester seule. Va-t-en ! » Rétorqua Rachel.

Sa voix s’était brisée sur les derniers mots, ce qui n’échappa nullement au chasseur de primes qui persista à avancer.

Parmi tous les énergumènes qui avaient été de passage dans le groupe de Victor, l’un de ceux qui avait le plus marqué le jeune homme avait été un dresseur.
Déjà, parce qu’il fallait qu’il se trimballe avec une ribambelle de bestioles de diverses tailles et régimes alimentaires : la logistique en était devenue une horreur !
Mais aussi, parce qu’en une occasion mémorable, l’espèce d’énorme lion qui l’accompagnait s’était retrouvé blessé et qu’il avait fallu le chercher pendant des plombes dans la pampa. Victor avait été le premier à le trouver et avait bien failli se faire arracher le bras par la sale bestiole par la même occasion. Même le dresseur avait eu le plus grand mal à s’approcher du fauve pour le soigner. Ça, par contre, ç’avait étonné le jeune homme : un lien fort unissait le dresseur et le fauve, et pis c’était quand même la main qui le nourrissait, non ? Bonjour l’ingratitude !

Le dresseur lui avait alors expliqué que les animaux blessés – a fortiori ceux élevés pour le combat – se montraient très agressifs avec le monde extérieur. Ce n’était pas par méchanceté. Simplement, comme ils étaient blessés, ils se sentaient vulnérables et avaient peur. Et comme ils souffraient, ils ne laissaient rien ni personne les approcher de crainte d’avoir encore plus mal. Un simple mécanisme d’auto-défense, en somme.

Ç’avait été une véritable épiphanie pour Victor. Quand Rachel et lui étaient plus jeunes, ils s’étaient impliqués de façon très récurrentes dans de nombreux combats. C’était souvent le jeune homme qui les commençait, poussé par un sens de l’éthique et de la justice très prononcé. Mais étant ce qu’il était à l’époque, il était régulièrement mis KO en cours de route et Rachel terminait bien souvent les combats toute seule. Et peu importe la violence des coups ou la gravité des blessures, elle ne lâchait rien et continuait, encaissant et endurant sans jamais se plaindre ni s’avouer vaincue. Aux yeux de Victor, elle était une implacable force de la nature, quasiment insensible à la douleur, quelle qu’elle soit.
Sauf qu’en dépit – ou peut-être était-ce à cause ? – de cette résistance physique hors norme, la jeune femme était en fait terriblement vulnérable aux blessures intérieures. Il s’était toujours étonné – et souvent énervé – que Rachel soit capable de se montrer aussi agaçante et désagréable par moment. Alors qu’in fine, c’était juste qu’elle souffrait intérieurement, qu’elle se sentait désemparée et qu’au lieu de se confier à son entourage, elle prenait peur de sa vulnérabilité et faisait le vide autour d’elle pour ne plus rien laisser l’approcher et ne pas risquer de souffrir encore plus.
Comme un animal blessé, finalement.

Et tout comme pour les animaux blessés, même avec la meilleure volonté du monde, mieux valait  l’approcher avec prudence et circonspection si on voulait éviter de se faire mordre accidentellement en voulant l’aider.

C’est donc sans hâter le pas que Victor arriva jusqu’à la hauteur de la jeune femme, à quelques mètres sur sa droite, pénétrant enfin dans son champ de vision.

Comme toujours, le jeune homme était tiré à quatre épingles. Pour quelqu’un qui l’aurait croisé avant l’opération puis après, il aurait presque pu ignorer que le chasseur de primes s’était battu entre-temps. Il n’en était évidemment rien : Victor était sorti bien amoché du combat contre Barbe-de-fer – ce dernier s’était constitué une petite garde prétorienne d’élite et les combats avaient été particulièrement rudes – mais le chasseur de primes était simplement très soucieux de son apparence. C’était bien connu, les employeurs avaient toujours plus confiance en quelqu’un qui présentait bien que dans des hippies débraillés. Certes, le combat contre Gianza avait ruiné son costume, mais, fort heureusement, il en avait plusieurs exemplaires en stock dans ses bagages. À ses yeux, rester présentable en toute circonstance, c’était aussi ça, la marque d’un vrai professionnel.
Mais même ce changement de vêtements ne pouvait cacher le fait qu’il boitait terriblement. Il avait aussi trois côtes cassées, d’ailleurs, mais tant qu’il n’essayait pas de rire, ça se devinait nettement moins facilement.

« Besoin d’une épaule pour pleurer ? Proposa le chasseur de primes en notant les yeux larmoyants de la jeune femme.
_ Absolument pas !! » Affirma l’imposante albinos d’une voix rauque, esquissant un pas de recul.
Mais sans le finir.

Victor ne répondit rien. Il pressentait que ça ne ferait que mettre de l’huile sur le feu. Il avait du mal avec ça mais, parfois, le silence restait la meilleure option.

Le regard des deux jeunes gens se croisèrent. Plusieurs sentiments bataillaient pieds à pieds dans les yeux de Rachel. Colère, chagrin, frustration, amertume, hésitation, angoisse…
Espoir ?

Le chasseur de primes n’était sûr de rien mais décida de faire confiance à son intuition. Il ouvrit ses bras et fit gentiment signe à la jeune femme d’approcher. Il n’avait même pas fini son geste que Rachel se réfugiait déjà contre lui pour pleurer à gros sanglots.

Victor. La seule personne devant qui elle ne voulait surtout pas pleurer.
La seule personne devant qui elle pouvait se le permettre sans crainte.

*
*     *

Combien de temps était-elle rester à sangloter dans les bras de Victor ? Rachel n’aurait su le dire. Elle avait pleuré toutes les larmes de son corps pendant un long moment, tandis que le chasseur de primes l’avait gentiment bercé tout en lui murmurant inlassablement des paroles apaisantes pour la calmer.

À un moment, Victor les avait faits s’asseoir – il avait sentit que son genou traumatisé menaçait de le lâcher d’un instant à l’autre. Le chasseur de prime en avait habilement profité pour leur faire tourner le dos au cimetière, histoire que la jeune femme n’ait plus constamment sous les yeux ce rappel funeste. À la place, le panorama chatoyant et chaleureux du village en fête s’étendait devant leurs yeux. Une vision bien meilleure pour le moral, selon le jeune homme.

Rachel était maintenant blottie contre Victor, sa tête reposant sur le creux de son épaule tandis que le bras du chasseur de primes l’enveloppait et la serrait tout doucement contre lui. Les pleurs s’étaient éteints, même si elle reniflait encore peu de temps en temps. Elle se sentait vide. Mais aussi un peu mieux. Ça lui avait fait du bien de tout lâcher sans retenue.

« Merci, chuchota la jeune femme d’une voix encore rauque. Désolée.
_ De rien, affirma le chasseur de primes. Personne ne t’as jamais demandé de tout garder pour toi, tu sais ? »

Rachel ne répondit rien. C’était vrai, personne ne le lui avait jamais demandé. Mais un officier de la Marine digne de ce nom ne devait pas faire preuve de faiblesses ni devant ses hommes, ni devant les civils. C’était son rôle de les inspirer et de les rendre confiants, pas de les inquiéter. Elle était intimement convaincue qu’elle n’avait pas le droit de flancher devant eux.

« Première pertes en mission ? Demanda Victor.
_ Oui, hocha faiblement Rachel. Je me sens tellement coupable.
_ Je compatis, assura le chasseur de primes.
_ Comment tu fais ? Voulut savoir l’albinos.
_ Ben ch’ais pas, c’est naturel. L’empathie, tout ça…
_ Toi aussi, ça doit t’arriver, non ? Insista Rachel. D’avoir des pertes. Dans ton groupe.
_ Oh. Ouais… »

C’était vrai que l’inconvénient d’affronter systématiquement des gars puissants, c’était que les pertes s’accumulaient dans son sillage. Comparativement, les combats d’aujourd’hui s’étaient même plutôt bien passés. Jade et Karrero avaient certes gagné un séjour longue duré pour l’hôpital et il faudrait probablement un miracle pour que Tôsen récupère un jour l’usage de son bras dominant mais, au moins, personne n’était resté sur le carreau, cette fois.

« … Mais nous, c’est différent, soupira Victor. Pour commencer, je n’ai demandé à personne de me suivre : tout le monde est là par sa seule volonté et ses seuls intérêts. Certes, je choisis la cible principale mais chacun décide s’il veut m’accompagner ou non, je ne force personne. En définitive, chacun est responsable de soi. Bien sûr, ça ne veut pas dire qu’on restera les bras croisés si on peut empêcher l’un d’entre nous de se faire avoir, mais on ne se sent pas non plus responsable si quelque chose arrive.
_ Mais c’est…
_ … froid ? Un peu oui, reconnut le chasseur de primes. Mais nous, tout ce qui nous importe, c’est d’abattre du pirates. Si on voulait en plus de la responsabilité d’autrui, on aurait tout simplement rejoint la Marine d’Élite.
_ Je vois. » Soupira Rachel.

La jeune femme se renfonça dans un mutisme désespéré, broyant de nouveau du noir. Victor grimaça intérieurement. Il s’y prenait mal. Son groupe et la Marine fonctionnaient trop différemment, ce n’était pas là que Rachel pourrait trouver des solutions pour passer le cap. Le jeune homme réfléchit un instant à la situation et passa en revue les différents évènements de la journée. Là, oui. Il tenait peut-être quelque chose… … Ouais, ça valait le coup d’essayer.
Bon, ben changement de stratégie, alors.

« Tu sais, je t’ai suivie quand tu étais en train de procéder à l’évacuation des villageois, révéla Victor.
_ Uh ?
_ Ouais, je sais, j’aurais du rester au cordon de sécurité, mais Mark m’a tancé jusqu’à ce que j’accepte de rester en stand-by dans le village, avoua le chasseur de primes.
_ Je le savais, signala Rachel.
_ Tu le savais ? S’étonna le jeune homme. Comment ça, tu le savais ? J’ai pas cessé de faire le mariole sur les toits exprès pour que personne ne me voit !
_ Le pirate bourré, pointa l’albinos. À cette distance, avec son triple canons, c’était impossible qu’il me loupe. Et puis, en y repensant, je me suis aperçue qu’il y avait eu quatre détonations et non trois. Tu es intervenu pour dévier le tir.
_ Heu… ouais, admit Victor. Mince, j’aurais pas cru que t’avais fait attention à ça. Je me suis fait griller direct, du coup.
_ Et c’est pour ça que j’ai pensé que tu pouvais gérer la mèche dans la poudrière. Je suis désolée, je ne t’ai même pas remercié d’être intervenu à ce moment-là non plus.
_ En même temps, je pensais avoir réussi à te le cacher… Pis bon, on venait de se revoir, ça m’aurait fait mal de prendre le risque que le premier couillon venu t’abatte, hein… Bref, ce que je veux dire, c’est qu’à ce moment-là, tu étais prête à défendre ce couple, même au péril de ta vie, non ? Demanda le chasseur de primes.
_ Bien sûr, je suis la Marine, c’est mon devoir, rappela Rachel comme si c’était une évidence.
_ Et pourquoi tu considères que ta vie vaut moins que celle d’un civil ? L’interrogea Victor.
_ Ce n’est pas que ma vie vaut moins que la leur, hésita la jeune femme en cherchant ses mots. Mais la raison d’être de la Marine, c’est de protéger les gens. Alors si quelqu’un doit risquer – voire perdre – sa vie, mieux vaut que ce soit moi que eux. Parce que c’est mon rôle, tandis qu’eux n’ont rien demandé à personne. En intégrant la Marine, j’ai fait le choix de mettre ma vie en jeu pour que d’autres puissent vivre sereinement la leur.
_ Et c’est aussi le cas de tes hommes, pointa le chasseur de primes. Ils ont donné leur vie pour protéger le village, tu n’as pas à te sentir coupable pour ça.
_ Non, ça n’a rien à voir ! Réfuta Rachel. Eux sont morts pour rien et c’…
_ Écoute, princesse, la coupa fermement Victor. Je ne doute pas un seul instant que tu ais rejoué mentalement tous les évènements pour trouver un moyen d’obtenir une autre issue, mais est-ce que tu as pris trente secondes pour te demander ce qu’il se serait effectivement passé si les choses ne s’étaient pas déroulées comme ça ?
_ Que… Comment ça ? Hésita la jeune femme, perdue.
_ J’ai discuté avec les survivants de l’unité Bowman pour me faire une idée de première main, signala le chasseur de primes. Et le timing ne colle pas, c’est flagrant si t’y réfléchis.
_ Je ne comprends pas.
_ Le navire sort des rochers, décrivit Victor, vous le repérez, réciproquement… et boum, un coup de canon ? Sérieusement ? Avant même que vous ne puissiez réagir, ils auraient eu le temps de changer l’angle du canon, faire l’appoint et mettre à feu ? Tes hommes en seraient capables, eux ? Sur un laps de temps aussi court ? Non parce qu’ils ont pas votre entraînement, les forbans du cru, hein…
_ Non, bien sûr que non, concéda Rachel. Mais alors…
_ Exact, opina le chasseur de primes. Le canon était déjà en position et le canonnier était prêt avec son boute-feu à la main avant même que le bateau n’apparaisse.
_ Mais c’est absurde : ça voudrait dire qu’ils étaient déjà parés à faire feu en l’air. Qu’est-ce qu’ils auraient pu v… Le beffroi ! Réalisa soudainement l’albinos.
_ Une dernière vengeance mesquine avant de tirer leur révérence, acquiesça Victor. Avec le potentiel explosif qu’ils y ont stocké, un seul coup au but leur aurait permis de raser le village. Ils ont paniqué en voyant les Marines au sommet de la falaise et ont finalement fait feu sur vous. Bien sûr, je ne te dis pas de te réjouir que ç’ait été le cas, néanmoins le sacrifice de tes hommes n’a pas été vain : sans eux, le village ne serait plus qu’une ruine.
_ Mais c’est ma faute… se plaignit Rachel.
_ Hé oui, par ta faute, cette nuit, le village est intact et les villageois sont heureux comme jamais, souligna le chasseur de primes. C’est la meilleure issue possible au vu des objectifs de la Marine : "défendre les gens, même au péril de vos vies".
_ Et je suppose que là, devina Rachel, tu vas me ressortir qu’en intégrant la Marine, mes hommes ont "fait le choix de mettre leur vie en jeu pour que d’autres puissent vivre sereinement la leur" et donc que je ne devrais pas me sentir coupable…
_ Sûr, acquiesça Victor. Ça serait manquer de respect à leur engagement et à leur mémoire.
_ Ça reste rude…
_ Tu te souviens de la statue de l’allégorie de la Justice, devant le tribunal, à Bourg Céleste, enchaîna subitement le jeune homme. Celle qui brandit un glaive et un gros bouclier rond ?
_ Oui. Et celle dans le hall, avec les yeux bandés et la balance ? Elle est encore plus impressionnante, non ?
_ C’est vrai mais comme elle servirait vachement moins mon propos, je préférerais qu’on reste concentré sur la première… Cette statue représente les deux voies possibles de la Justice, expliqua le chasseur de primes. La première est la voie de l’Épée, elle représente à merveille mon groupe. Nous nous sommes dévolus uniquement à la chasse aux criminels et nous sommes l’assurance que le châtiment de la Justice des Hommes s’abattra sur eux tôt ou tard. Qu’en définitive, personne n’échappe à la Justice.
_ Tandis que la seconde représente la Marine, la voie du Bouclier, l’égide qui protège les innocents, compléta Rachel.
_ Oui, opina Victor. Et c’est là que ça te concerne, princesse. Tu n’es pas une déesse : tu n’es ni omnisciente, ni omnipotente. Tu ne pourras pas sauver toujours tout le monde. Tu feras des erreurs et des gens mourront. Mais si tu laisses cette crainte te paralyser, tu ne pourras jamais tenir ton rôle. Et le malheur touchera alors encore plus de monde. C’est normal que tu veuilles limiter les pertes parmi tes hommes, mais ça ne doit pas t’entraver. La Marine est le bouclier qui protège le peuple, mais songe-z-y : si ce bouclier t’est trop précieux au point que tu ne puisses le brandir de crainte de l’abîmer, alors il ne pourra jamais protéger personne. Si tu estimes avoir fait une erreur, alors prends-en acte et tâche de faire mieux la prochaine fois. Mais en tant qu’officier, tu n’as pas le droit de laisser tes échecs te paralyser, tu as l’obligation d’en sortir par le haut. Parce que c’est là ta seule et unique responsabilité vis-à-vis des morts, ainsi que la façon la plus appropriée d’honorer leur mémoire. »

Plusieurs secondes de silence suivirent la tirade du chasseur de primes.

« Tu as toujours su parler aux gens, se remémora Rachel dans un pâle sourire. Mais tu as raison, je ne devrais pas me laisser enferrer par mes échecs. Merci.
_ À ton service, princesse, sourit le jeune homme. J’ai toujours raison.
_ Je suis bien contente que tu sois là aujourd’hui… » murmura la jeune femme en se pelotonnant un peu plus contre Victor, soulagée.

Le chasseur de primes reporta un instant son attention sur les étoiles qui constellait le ciel. Il lui fallut un petit moment pour rassembler son courage : les mea culpa, ce n’était vraiment pas son truc. Mais finalement, il se lança.

« Tu sais, je ne m’étais pas du tout attendu à te croiser au sein de la Marine. Mais j’ai été vraiment content de voir que tu les avais rejoints. Tu gâchais ton potentiel à rester terrer dans les mines et ça me rendait malade de frustration. Et puis, cette voie te convient beaucoup mieux : ainsi, contrairement à moi, tu as pu conserver ta préoccupation envers autrui intacte. … Parce qu’en vérité, tu avais vu juste. Je… tu… En définitive, on ne peut passer son temps à abattre les criminels sans amputer et anesthésier à répétition son sens de l’empathie. Et je… Je ne m’étais pas rendu compte d’à quel point ç’avait réellement affecté mon sens des valeurs. Ce qui fait que, de nous deux, c’est maintenant toi la boussole morale capable de fixer le bon cap. Et je me disais… ensemble… hum… »

Victor s’interrompit en reportant son attention sur Rachel. Les yeux clos, la jeune femme dormait maintenant à poings fermés, le visage apaisé, la respiration calme et posée.

Le chasseur de primes soupira. Il avait loupé le coche. Il avait beau persister à voir la jeune femme comme un implacable force de la nature, le fait était qu’elle était effectivement humaine et avait toutes les raisons d’être épuisée. Elle n’avait probablement pas fermé l’œil depuis trente-six heures, s’était mangée deux violentes explosions, avait perdu pas mal de sang dans son dernier accrochage, et ce, sans compter les innombrables chocs émotionnels à répétition qu’elle avait encaissé depuis le début de l’opération. Ça faisait somme toute beaucoup, même pour une brave fille comme elle.
Pas grave. Il aurait d’autres occasions dans le futur.

Victor embrassa tendrement le front de la jeune femme puis se cala de sorte à trouver une position plus confortable. Il allait probablement rester coincé ici pour la nuit. Mais ça ne le dérangeait guère : même pour tout l’or du monde, il n’aurait échangé sa place avec personne.
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Le coin des bonus RP

Cupidon manie la lance:

Steve Waring, sort de ce coffre !:
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