Il doit être vingt heure, peut-être vingt et une, et Vesel attend que le temps passe, ennuyé au possible. Cela fait un peu plus d’un mois qu’il possède sa carte de Chasseur de prime. Contrairement à ce qu’il a cru – enfin, cru… – la criminalité est loin d’avoir explosé à Jalabert.
Comprenez bien : il n’est pas stupide au point de croire que la cité des savants allait devenir un repère des pires criminels de North Blue. Loin. De. Là.
Il espérait juste que, sous le coup du destin, un pirate un peu trop zélé apparaîtrait, qu’un Marine un peu trop bête trahirait les siens, ou même qu’un civil un peu trop fort mettrait une gifle à un officiel ! Rien de bien fou, juste assez pour pimenter son existence de chasseur de prime fraîchement arrivé sur le marché.
Mais non, il ne se passe rien. Rien de rien.
Les étudiants étudient, les professeurs professent et les ennuyés s’ennuient.
Alors Veselje observe son verre non sans une certaine lassitude. Comme il n’ose même plus retourner à son ancien lieu de travail, la Froiderie, il se trouve relégué à arpenter des échoppes à la qualité douteuse et à la clientèle misérable. Le vin n’est pas bon ici. Les cocktails non plus.
Ce qu’il a devant lui, c’est un genre de bière blonde – les moins goûtues normalement – qui lui laisse un arrière-goût d’envie de suicide à chaque fois qu’il en prend une lampée.
Il finit par abandonner son verre, laisse le compte directement sur le comptoir et sort du bar. Il a la même question qui tourne en boucle dans son esprit depuis une semaine : comment trouver des problèmes ? N’y a-t-il réellement que de bonnes âmes à Jalabert ?
C’est impossible. Absolument impossible.
Le jeune chasseur regarde vers le ciel nocturne qui, sans nuage, dévoile des myriades d’étoiles comme on en voit que dans le nord.
« Putain… »
Vesel’ remonte sa capuche sur sa tête et croise les bras tout en rentrant vers chez lui. Si cela continue ainsi, il devra sûrement reprendre un travail alimentaire pour maintenir ses économies à un niveau acceptable. Et, vous vous en doutez, l’idée ne lui plaît pas.
Pas le moins du monde. Ce serait comme faire trois pas en arrière et il n’oserait plus jamais regarder Maître Levilia dans les yeux si d’aventure il la recroisait un jour.
Il fronce les sourcils à cette idée, la chasse de son esprit avant qu’elle ne puisse réellement y éclore. Il reverra Maître Levilia, dût-il se couper un doigt pour cela. Tsss… Lui qui espérait un peu plus de liberté en devenant chasseur se trouve plus limité encore que lorsqu’il ne faisait que shaker des alcools et couler des pressions.
« Oh oui, j’ai l’air tellement sérieux quand j’ai les sourcils froncés ! Un vrai adulte, comme ma mère ! »
La voix d’homme, juste derrière Vesel’, le surprend. La tension explose en lui.
D’un mouvement fluide, il pivote sur ses appuis et dégaine son bâton pour frapper l’homme au niveau du plexus. Il ne veut pas faire mal, seulement repousser.
Il s’arrête lorsqu’il réalise que le rouquin barbu devant lui, mains en l’air, grand sourire et yeux rieurs n’est autre que Boris Hladno, un éminent professeur de l’académie de Jalabert et, accessoirement, son père.
Boris approche du bâton et le touche du buste.
« Tu m’as touché, j’ai perdu !
— Papa je… »
Vesel’ va pour s’excuser, mais son père ne lui en laisse pas l’occasion et se met à chercher dans les poches intérieures de son manteau de velours bordeaux.
« Je t’ai trouvé un travail mon fils ! » Le jeune chasseur fronce les sourcils, va pour rétorquer qu’il ne veut plus être barman… « HA ! » Boris sort une feuille pliée de son manteau et la tend à son fils, son regard d’or empli d’autant d’étoiles que le ciel. « C’est nouveau, ça vient de sortir.
— Tu sais que… »
Mais face au sourire de son père, Vesel’ ne peut que soupirer, clipser son bâton aux attaches dans son dos et se saisir de ce qu’il croit être une petite annonce pour la déplier… La première chose qu’il lit est une succession de zéros.
Il lève les yeux en direction de son père.
« Papa, tu…
— On a reçu ça à l’académie pour nous mettre en garde et… »
Boris s’interrompt. Vesel’ ne l’écoute pas : il détaille l’avis de recherche d’un certain Yoruld le mal-aimé, un homme laid comme un pou couvert de crasse et de pustules. La prime n’est pas très élevée – un petit million de berries – mais c’est la première qu’il tient entre ses mains depuis qu’il est officiellement chasseur.
« Qu’est-ce qu’ils t’ont dit d’autre ?
— Eh bien…
— Papa ! » Vesel’ se reprend : le ton est peut-être un poil trop impérieux. Il inspire, fixe son père avec conviction. « S’il te plaît, dis-m'en plus.
— D’accord, d’accord. Tout ce que l’on nous a dit, c’est que ce Yoruld aurait la fâcheuse manie de tomber amoureux de femmes mariées et, lorsqu’elles lui disent non, de tuer leurs époux.
— Tu sais comment il procède ? Est-ce que c’est un combattant ? Il les empoisonne ? Il…
— Calme-toi Vesel, je suis juste un professeur. Tout ce que je sais, c’est qu’il traîne à Bocande et qu’il fuit les autorités locales en fuyant vers les bois. Rien de plus.
— Ah… » La déception se lit sur Vesel’, il aurait aimé en savoir le plus possible tout de suite pour évaluer sa proie et imaginer des plans d’action. Il sait au moins que c’est un fuyard, donc un vrai faible. « Bon, c’est déjà ça, merci P’pa !
— Qui t’a dit que j’avais fini ?
— Hein ?
— Tiens. Attends je l’ai perdu. »
Vesel observe alors son père chercher de nouveau dans l’intérieur de son manteau, puis l’extérieur, puis son pantalon, puis de nouveau l’intérieur avant d’en sortir un billet rectangulaire.
« Tu pars demain matin à 6h pour Bocande. Je t’ai pris un billet de Winterblade. » Et Vesel’ se jette dans les bras de son père. Il n’aurait jamais pu s’attendre à un tel soutien de celui qui s’opposait le plus à son choix de carrière. Son père, comme s’il lisait dans ses esprits, ajoute : « C’est tout ce que je peux faire pour toi. Montre-moi que j’ai bien fait de demander à Levilia de s’occuper de toi. »
L’étreinte dure quelques secondes de plus avant que Vesel’ ne lâche son père. Il inspire, se tient aussi droit que son bâton de combat : « Je ne te décevrai pas ! » avant de partir en courant vers l’intérieur de la maison.
Il salue sa mère qui, penchée sur un coquillage bleu et jaune, grommelle qu’on ne crie pas dans une maison où des scientifiques sont en pleine étude. Mais Veselje ne l’a pas entendue. Il a gravi les marches de l’escalier quatre par quatre pour préparer ses affaires : demain commencera la traque.
Demain commencera sa vie.
Comprenez bien : il n’est pas stupide au point de croire que la cité des savants allait devenir un repère des pires criminels de North Blue. Loin. De. Là.
Il espérait juste que, sous le coup du destin, un pirate un peu trop zélé apparaîtrait, qu’un Marine un peu trop bête trahirait les siens, ou même qu’un civil un peu trop fort mettrait une gifle à un officiel ! Rien de bien fou, juste assez pour pimenter son existence de chasseur de prime fraîchement arrivé sur le marché.
Mais non, il ne se passe rien. Rien de rien.
Les étudiants étudient, les professeurs professent et les ennuyés s’ennuient.
Alors Veselje observe son verre non sans une certaine lassitude. Comme il n’ose même plus retourner à son ancien lieu de travail, la Froiderie, il se trouve relégué à arpenter des échoppes à la qualité douteuse et à la clientèle misérable. Le vin n’est pas bon ici. Les cocktails non plus.
Ce qu’il a devant lui, c’est un genre de bière blonde – les moins goûtues normalement – qui lui laisse un arrière-goût d’envie de suicide à chaque fois qu’il en prend une lampée.
Il finit par abandonner son verre, laisse le compte directement sur le comptoir et sort du bar. Il a la même question qui tourne en boucle dans son esprit depuis une semaine : comment trouver des problèmes ? N’y a-t-il réellement que de bonnes âmes à Jalabert ?
C’est impossible. Absolument impossible.
Le jeune chasseur regarde vers le ciel nocturne qui, sans nuage, dévoile des myriades d’étoiles comme on en voit que dans le nord.
« Putain… »
Vesel’ remonte sa capuche sur sa tête et croise les bras tout en rentrant vers chez lui. Si cela continue ainsi, il devra sûrement reprendre un travail alimentaire pour maintenir ses économies à un niveau acceptable. Et, vous vous en doutez, l’idée ne lui plaît pas.
Pas le moins du monde. Ce serait comme faire trois pas en arrière et il n’oserait plus jamais regarder Maître Levilia dans les yeux si d’aventure il la recroisait un jour.
Il fronce les sourcils à cette idée, la chasse de son esprit avant qu’elle ne puisse réellement y éclore. Il reverra Maître Levilia, dût-il se couper un doigt pour cela. Tsss… Lui qui espérait un peu plus de liberté en devenant chasseur se trouve plus limité encore que lorsqu’il ne faisait que shaker des alcools et couler des pressions.
« Oh oui, j’ai l’air tellement sérieux quand j’ai les sourcils froncés ! Un vrai adulte, comme ma mère ! »
La voix d’homme, juste derrière Vesel’, le surprend. La tension explose en lui.
D’un mouvement fluide, il pivote sur ses appuis et dégaine son bâton pour frapper l’homme au niveau du plexus. Il ne veut pas faire mal, seulement repousser.
Il s’arrête lorsqu’il réalise que le rouquin barbu devant lui, mains en l’air, grand sourire et yeux rieurs n’est autre que Boris Hladno, un éminent professeur de l’académie de Jalabert et, accessoirement, son père.
Boris approche du bâton et le touche du buste.
« Tu m’as touché, j’ai perdu !
— Papa je… »
Vesel’ va pour s’excuser, mais son père ne lui en laisse pas l’occasion et se met à chercher dans les poches intérieures de son manteau de velours bordeaux.
« Je t’ai trouvé un travail mon fils ! » Le jeune chasseur fronce les sourcils, va pour rétorquer qu’il ne veut plus être barman… « HA ! » Boris sort une feuille pliée de son manteau et la tend à son fils, son regard d’or empli d’autant d’étoiles que le ciel. « C’est nouveau, ça vient de sortir.
— Tu sais que… »
Mais face au sourire de son père, Vesel’ ne peut que soupirer, clipser son bâton aux attaches dans son dos et se saisir de ce qu’il croit être une petite annonce pour la déplier… La première chose qu’il lit est une succession de zéros.
Il lève les yeux en direction de son père.
« Papa, tu…
— On a reçu ça à l’académie pour nous mettre en garde et… »
Boris s’interrompt. Vesel’ ne l’écoute pas : il détaille l’avis de recherche d’un certain Yoruld le mal-aimé, un homme laid comme un pou couvert de crasse et de pustules. La prime n’est pas très élevée – un petit million de berries – mais c’est la première qu’il tient entre ses mains depuis qu’il est officiellement chasseur.
« Qu’est-ce qu’ils t’ont dit d’autre ?
— Eh bien…
— Papa ! » Vesel’ se reprend : le ton est peut-être un poil trop impérieux. Il inspire, fixe son père avec conviction. « S’il te plaît, dis-m'en plus.
— D’accord, d’accord. Tout ce que l’on nous a dit, c’est que ce Yoruld aurait la fâcheuse manie de tomber amoureux de femmes mariées et, lorsqu’elles lui disent non, de tuer leurs époux.
— Tu sais comment il procède ? Est-ce que c’est un combattant ? Il les empoisonne ? Il…
— Calme-toi Vesel, je suis juste un professeur. Tout ce que je sais, c’est qu’il traîne à Bocande et qu’il fuit les autorités locales en fuyant vers les bois. Rien de plus.
— Ah… » La déception se lit sur Vesel’, il aurait aimé en savoir le plus possible tout de suite pour évaluer sa proie et imaginer des plans d’action. Il sait au moins que c’est un fuyard, donc un vrai faible. « Bon, c’est déjà ça, merci P’pa !
— Qui t’a dit que j’avais fini ?
— Hein ?
— Tiens. Attends je l’ai perdu. »
Vesel observe alors son père chercher de nouveau dans l’intérieur de son manteau, puis l’extérieur, puis son pantalon, puis de nouveau l’intérieur avant d’en sortir un billet rectangulaire.
« Tu pars demain matin à 6h pour Bocande. Je t’ai pris un billet de Winterblade. » Et Vesel’ se jette dans les bras de son père. Il n’aurait jamais pu s’attendre à un tel soutien de celui qui s’opposait le plus à son choix de carrière. Son père, comme s’il lisait dans ses esprits, ajoute : « C’est tout ce que je peux faire pour toi. Montre-moi que j’ai bien fait de demander à Levilia de s’occuper de toi. »
L’étreinte dure quelques secondes de plus avant que Vesel’ ne lâche son père. Il inspire, se tient aussi droit que son bâton de combat : « Je ne te décevrai pas ! » avant de partir en courant vers l’intérieur de la maison.
Il salue sa mère qui, penchée sur un coquillage bleu et jaune, grommelle qu’on ne crie pas dans une maison où des scientifiques sont en pleine étude. Mais Veselje ne l’a pas entendue. Il a gravi les marches de l’escalier quatre par quatre pour préparer ses affaires : demain commencera la traque.
Demain commencera sa vie.