Ca va jeter un froid [Ft. Yubel]

La neige tombe de manière continue au pied du grand pic de Ykhion, recouvrant les ruelles et les bâtiments d’un manteau blanc qui paraît appartenir au décors naturel de l’île. Je ne supporte que très moyennement ce temps, et je ne peux même pas sortir mon carnet pour prendre correctement des notes, car les pages finiraient trempées.

Je réajuste péniblement le col de ma veste pour me maintenir au chaud et sillonne calmement le port de la ville. La pénombre s’empare doucement de Sanderr et la plupart des gens encore présents sont des ouvriers et quelques gardes pour assurer la surveillance. Il s’agit de marines, comme dans les autres ports de l’archipel. Apparemment, le royaume possède sa propre armée, chargée des affaires internes, tandis que la Marine s’occupe des activités maritimes et portuaires.

La collaboration se déroule de manière générale sans accroc, de ce que j’ai pu voir jusqu’ici. Je craignais que la Marine soit isolée, mais il s’agissait vraisemblablement de peurs infondées. Toutefois, je ne qualifierais pas leur relation comme cordiale pour autant. Le lieutenant de la Marine locale, Gintoreno Kobold de la 555ème division, souffre d’une réputation particulièrement mauvaise. Il n’est pas rare que j’entende parler en mal de lui. J’ose espérer que la plupart des rumeurs le concernant sont fausses, sinon, il risque de vraiment mal finir.

« Doucement, c'est précieux. On vous l'a déjà dit. Aucun dommage ne sera toléré, comme vous le savez... » affirme avec irritation un homme en costume près d’un navire de transport.

« Pardon, m'sieur. J'vous assure qu’il n'arrivera rien à la marchandise. Ca manque de clous pour fermer c'te caisse, c'est tout. Ca s'ra vite régler ! » répond nerveusement un portefaix, qui n'a comme réponse qu'un soupir exaspéré.

Inutile d'appartenir au Cipher Pol depuis des années pour imaginer ce qu'il se trame. La dernière phrase de l'homme en costume trahit certainement une activité clandestine. Quelle plaie... mais je ne peux pas me permettre de m'y intéresser. Ca demanderait un effort inimaginable et un temps considérable. En revanche, je profite de cette situation pour observer les marines présents afin d'y déceler tout acte étrange, tout soutien à un potentiel trafic illégal... mais ils semblent ne pas se soucier de cette affaire, à première vue.

Quelle détresse… qui ne trouve évidemment aucun soutien de ma part. Elle est très mal tombée : mon rôle est de veiller à ce que la Marine fasse correctement son travail, non pas l’inverse. Je reste simplement face à elle alors qu’elle se fait finalement maîtriser.

« Désolé pour le désagrément, monsieur. Veuillez circuler. » dit l’un d’eux, légèrement essoufflé face à la férocité inattendue de la jeune femme. Un autre marine s’occupe de l’officier au sol, qui retrouve lentement ses esprits.

Hm… je ne compte aucunement aider une criminelle, mais le tableau qui se dessine devant moi m’apparaît comme un petit coup de pouce du destin. Ne serait-ce pas là un moyen idéal pour pénétrer la base de la Marine et observer depuis l’intérieur l’attitude du lieutenant que je recherche ? Je n’ai même pas besoin d’une fausse identité, cette fois-ci.

« Il n’y a aucun problème, je vous remercie pour vos efforts, marines. Cette femme affirme qu’il y a une erreur, n’est-ce pas ? Je travaille pour la centrale judiciaire, au cabinet Lysburg. Si vous le souhaitez, je peux m’occuper de cette affaire. »

Ils se regardent les uns les autres, sans trop savoir quoi répondre. L’officier, qui se masse délicatement la tête, finit par hocher simplement la tête. Ils n’ont aucune envie de s’occuper de ce genre de paperasse. Tout ce qu’ils souhaitent, c’est enfermer la femme jusqu’à nouvel ordre. Et ils ont raison.

Après une petite marche silencieuse, nous nous retrouvons à l’intérieur du bâtiment de la Marine. La criminelle est isolée le temps que je m’occupe des formalités administratives. Certes, ma vie de collaborateur au cabinet Lysburg est terminée depuis quatre ans, mais mon aisance ne laisse aucun doute sur le fait que je connais le métier. Au passage, je profite pour évaluer la rigueur administrative de la base - rien à signaler pour le moment non plus.

« Vous pouvez y aller, ne prenez pas toute la soirée. »

Tout en sortant mon carnet et mon porte-plume, je me dirige paisiblement vers la cellule de ma “cliente”. Ce plan impliquait en effet que je fasse ce travail, mais prenons ceci comme un petit plaisir personnel. Et puis, le lieutenant ne s’est toujours pas montré, autant gagner du temps. Mais… aussitôt devant la jeune femme, je cligne quelques fois des yeux. Ce n’est pas celle de l’avis de recherche. Il y a bien des ressemblances, mais… ils se sont trompés, sûrement à cause de l’obscurité. Bon sang, je ne peux pas relever ça, sinon ils vont me faire partir dès maintenant.

« Rebonsoir, madame. Je suis autorisé à assurer votre défense… si votre innocence est bel et bien avérée, bien entendu. Mon cabinet ne défend pas les criminels. »

J’ouvre mon carnet à une page vierge, écris quelques phrases préliminaires et dirige mon regard vers elle.

« D’après mes informations, vous êtes Morgana, une petite pirate de North Blue. Vous confirmez ? » Evidemment, elle réfute. « Très bien. Donc qui êtes-vous, dans ce cas ? Vous avez un nom ? Vous avez dit être fraîchement arrivée sur l’archipel. D’où venez-vous et que faites-vous ici ? »

Pourvu qu’elle soit coopérative, sinon je ne risque pas de rester ici très longtemps. Il ne s’agit pas de la femme sur l’avis de recherche, une fois que je signalerai l’erreur, les Marines la relâcheront aussitôt… et moi avec.