La révolution n'est pas un diner de gala

- Quand je désespère je me souviens que tout au long de l’histoire, la voix de la révolution et de la science a toujours triomphé ! Il y a eu dans ce monde des tyrans et des assassins, et pendant un instant ils peuvent nous sembler invincibles. Mais à la fin, ils tombent toujours !

Devant le spider café, comme tous les jours depuis maintenant presque une semaine, j'adresse à la foule admirative les meilleurs morceaux de mon manuel "Les grands discours des héros de la révolution" , doigt levé vers le ciel, verbe haut, discours appris par cœur, j'ai avec brio réuni tous les éléments nécessaire pour faire naitre et grandir dans le cœur de chacun la flamme de la liberté et de la révolte qui poussera les alabastiens à s'engager en masse dans l'armée révolutionnaire.

- Ils tombent TOUJOURS !
- Ouaf !
- Mais il va fermer sa gueule ! Il est 8 heures bordel !
- Jetez lui quelque chose ! Qu'il se taise !
- Dire qu'on a bouffé les coqs pour pouvoir dormir tranquille...

Une fenêtre s'ouvre à l'étage au dessus de moi, et quelques secondes plus tard le contenu d'un seau plein de débris de nourriture vient s'abattre en pluie sur le parapluie que je viens de déployer au dessus de ma tête. Pff... Ces gens sont tellement prévisibles...

- Même toi tu l'as compris hein ?

Devant moi, mon public le plus fidèle, un vieux bâtard brun ocre et tacheté, est déjà en train de manger les détritus que la cuisinière du café m'a vidé sur la tête. Je me demande comment me voit le chien, comme une sorte de génie bienfaisant capable de faire tomber du ciel de la bonne nourriture ? En tout cas ce n'est pas encore aujourd'hui que les alabastiens iront grossir en masse l'armée révolutionnaire.

Mon parapluie se range de lui même dans son logement, le chien se lèche les babines et me regarde avec de grands yeux plein d'espoirs, attendant certainement que je recommence à user de magie pour le nourrir...

- Pulu pulu pulu !
- Oui ?!
- Camarade Paul ?
- Oui ! C'est moi !
- Le présent est fait de lutte...
- Et l'avenir nous appartient ! C'est bien moi et je ne suis pas tombé aux mains de l'ennemi ! Que puis je pour vous camarade responsable des transmissions ?
- Vous savez que vous n’êtes pas obligés de m'appeler comme ça hein ? Votre journée se passe bien ?
- A merveille. Je crois que mes discours touchent de plus en plus de gens.
- Vraiment ? Et bien c'est dommage, nous avons une autre mission a vous confier.
- Une autre mission ?! Enfin ! Enfin je veux dire... Dommage, mais pour la cause je suis prêt à tout ! Que dois je faire ?
- La camarade vous savez qui vient de nous rejoindre vous savez ou.
- Je vois très bien ce que vous voulez dire.
- Mais en chemin elle est tombée dans un piège, et un de ses compagnons a été capturé ! Il s'agit d'un jeune lunarien ! Une espèce ennemie du gouvernement mondial et très recherché par les dragons célestes. Nous pensons qu'il a été enlevé par des esclavagistes ou des bandits, qui vont surement tenter de le revendre a des sbires du gouvernement mondial ! Vu le lieu de l'enlévement, ils doivent se diriger vers Rainbase, et le temps que nous mettions sur pied une équipe, vous êtes le plus proche à pouvoir agir.
- J'accepte cette mission Camarade ! Je vais retrouver ce pauvre garçon immédiatement !
- Essayez simplement de le retrouver et de le localiser et attendez les renforts !
- ...
- Camarade Paul ? Ne faites rien d’inconsidéré surtout !
- ...
- Camarade Paul ? Vous êtes la ?
- Ouaf !

J'avais deux avantages sur les éventuels kidnappeurs, d'abord je savais que je les cherchais, alors qu'ils devaient se croire tranquille. Et ensuite je savais a peu prés ce qu'ils voulaient. Et ensuite, dans le Rainbase pas encore vraiment remis de l'attaque et du pillage organisé par les pirates de l'équipage des sandstorms, il n'y avait finalement pas tant d'endroit que ça pour vendre un esclave globalement illégal a des gens ne valant guère mieux

Une enquête rapide ou je m'étais fait habilement passer pour un scientifique en quête de cobaye destinés à d'horribles expériences, m'avait, parmi un certain nombre de réactions violentes, conduit vers les sous sols du casino Tam Tam, dont l'abandon pour cause de vastes travaux de réparation, l'avait transformé en marché noir clandestins, tant tout ceux qui ont des chose à cacher aiment le faire dans les endroits délabrés que le reste du monde évite soigneusement.

Et embusqué à proximité, il ne me restait plus qu'a me projeter dans l'esprit des bandits, pour imaginer le subterfuge qu'ils utiliseraient pour amener leur proie jusqu'au lieu de vente.

Cette caravane de nomades encapuchonnés ?

Ce groupe de vendeurs de glace ?

Ce chariot chargés de tonneaux de vin ?

Cette bande de types à l'air louche, manifestement lourdement armés sous leurs djellaba ?

Le coin n'est peuplé que d'une faune de gens louches et suspect, nombreux, et tous susceptible d’être ceux que je cherche. La tache s'annonce ardue, voire parfaitement impossible dans le temps bien trop court qui m'est imparti. Que faire ? Continuer à observer en prenant le risque de plus en plus probable de louper ma cible ? Me rabattre sur les entrailles du Tam Tam, une position plus risquée mais avec moins de gens a repérer ? Attendre les renforts à l'extérieur ?

En pleine réflexion sur les tactiques à adopter, je remarque soudain une incohérence dans le tableau que j'ai sous les yeux.

Un coup de pied... Qui irait donner un coup de pied sur un tonneau plein de vin ?

A moins, qu'il n'y ait pas du tout du vin dans ce tonneau....

Déjà je suis descendu d'un bond dans la rue pour me mêler à la cohue, profitant de ma petite taille et de ma solitude pour prendre le chariot en chasse, et gagner rapidement du terrain sur lui, bien plus gêné que moi par la densité de la foule dans la rue. Que faire maintenant ? D'abord, gagner du temps !!

Me collant à l’arrière du chariot, je m'attaque aux rayons de la roue, utilisant l'outillage qui ne me quitte jamais pour un sabotage en règle visant à provoquer sa destruction.

Un tonneau qui bouge ! C'est plutôt une bonne chose pour confirmer mes soupçons, mais ça manque de me faire griller quand les kidnappeurs se retournent pour s'occuper de leur cargaison, et que je n'ai que le temps de m'éloigner précipitamment du chariot pour me fondre a nouveau dans le groupe de passant le plus proche. Il faut croire que les cours de discrétion de la cellule infiltration de Skypeia ont étés efficace, ou que les deux brutes ne sont pas très attentives. En tout cas je passe inaperçu, et dés que les deux hommes se remettent à la conduite, je peux me remettre à la tache.

Et quelques minutes plus tard, je replie le chalumeau jaillit de mon pouce amovible, et donne un grand coup de pied dans la roue, lançant le début d'une série de processus tout à fait irrémédiable.

La roue fragilisé cède sous le poids du chariot qui bascule sur le coté, précipitant au sol les deux conducteurs. Heurtant le sol, le panneau qui ferme le charriot et dont j'ai retiré l'attache s'ouvre en grand, et comme j'ai coupé la corde qui tient liés ensemble la cargaison de tonneaux, tous les barils saisissent l'occasion de s'échapper et de partir en roulant dans la rue. Et pendant que le premier des truands se reléve et se prend un coup de sabot vicelard de la part du cheval de trait qui visiblement n'attendait que ça; je me jette à la poursuite du tonneau que j'ai repéré comme étant celui contenant quelqu'un.

J’espère que le môme ne va pas être trop secoué en sortant de la...

Le point positif, c'est que mon raisonnement s’avère juste, tant il est improbable qu'il y ait plusieurs mômes lunariens actuellement kidnappés dans ce coin du monde, j'ai trouvé le bon tonneau, dupé les ravisseurs, et mon potentiel camarade est quasiment libre.

Le probléme, c'est qu'il est tellement libre qu'il semble prêt à en découdre, qu'il est armé, et que les ailes qu'il vient de déployer à la vue de tous manquent clairement de la discrétion nécessaire à une disparition sans histoire dans les ruelles.

Enfin, au moins il a l'air en forme. Reste à le calmer.

- Du calme Egao ! Je suis avec toi ! Je suis envoyé par l'Armée révolutionnaire, par Tempérance, pour te récupérer, depuis que tu t'es fait enlever tout le monde te cherche.

Moment d'hésitation qui m'évite un coup de sabre, mais il faut faire vite parce qu'on manque de temps. Derrière moi la triplette de brigands est déjà en train de se remettre de ses émotions et ne va pas tarder à nous tomber à nouveau dessus, et les passants commencent à se demander si le jeune sabreur est un ange ou un oiseau, et c'est le genre de trucs qui va vite faire du bruit si on ne fout pas le camp.

Et pour pousser la décision sans me manger un coup de sabre, je fais basculer ma main en position de tir, et picotant vers le bordel qui règne encore autour du chariot, je tire dans le bois une demi douzaine de balles qui font se jeter a couverts nos ennemis. Si avec ça le jeune ange n'est pas convaincu, je ne sais pas quoi faire de plus...

- Parfait ! Alors suis moi et cours !

Attrapant le mome à l'épaule je l'oriente vers la ruelle la plus proche, et j'entreprends de filer à toute jambe dans cette direction, courant dans le labyrinthe de ruelles obscures aussi vite que possible, ne ralentissant que brièvement a chaque intersection pour être sur que mon protégé suive bien le mouvement.

Et pour le coup, il suit, hélas, il n'est pas le seul.

Nous nous éloignons rapidement de la cohue et du brouhaha de la rue principale, pour nous enfoncer de plus en plus dans ce qui se fait de pire dans le quartier, ruelles glauques, sombres, louches, globalement désertes et montrant tous les signes de délabrement qui indiquent que la population du coin aurait bien besoin de la révolution, ou d'ailleurs de n'importe qui, le tout  formant un dédale ou je m'aperçois très vite que nous sommes complétements paumés, mais toujours poursuivis !

- Ils ont tournés la !

Malgré nos efforts nous n'arrivons pas à lâcher nos poursuivants, et il faut vite se rendre à l'évidence, si on ne peut pas les semer, alors il faut se battre avant d’être épuisé ou acculé.

Avisant une maison dont un mur s'est effondré et qu'on a seulement commencé à rebâtir en y installant un échafaudage de bambous, je désigne l'endroit à Egao.

- On va leur tendre une embuscade ici ! Aide moi, dés qu'ils tournent le coin de la rue on leur fait tomber l’échafaudage sur la gueule, et après on leur saute dessus, sauvagement !

Comme le disait le manuel du parfait combattant révolutionnaire, même les meilleurs plans ne résistent que rarement à leur mise en pratique. Et si j'ai correctement créé un élément de surprise valable en préparant la chute de l'échafaudage sur nos poursuivants, j'ai complétement sous évalué la capacité d'adaptation des méchants.

Heureusement que de leur coté, les truands sont si obnubilés par leur cible qu'ils en oublient qu'au sein de la révolution nous travaillons en équipe. Le temps que je m'assure que le premier des brigands ne sortira pas tout seul de l'avalanche de débris, et je me tourne vers le suivant qui est en train d'étrangler le pauvre gosse tout en le frappant contre le mur, tout en commettant l'erreur de me tourner le dos.

Ma main bascule le long de mon bras pour dévoiler le canon qui y est caché, et je n'ai qu'a braquer le tout sur le crane de mon adversaire avant de tirer, lui expédiant en pleine tête un projectile gros comme le poing qui l’assomme sur le coup, et le fait s'effondrer au sol en libérant l'ange qui s'empresse de reprendre péniblement sa respiration.

Quelques instants de plus, et pendant qu'il ramasse et sangle ses sabres, j'ai attaché et bâillonné nos deux adversaires, avant de tendre l'oreille a l'écoute d'une éventuelle autre poursuite. Mais rien ! Pour l'instant nous semblons tirer d'affaire.

- Victoire pour la révolution ! Maintenant filons de cette ville avant que tu ne te fasses encore kidnapper. J'ai un char a voiles garé un peu plus loin. Je propose qu'on ne s’arrête pas jusqu’à être de retour à la base !

Et hop, mission accomplie !