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Le festival de la pêche. Ile de l'aboncance. An 1622.

Légende:
Maïna
Archi
Heïon

VLAM. Proche de se dégonder, la porte de la chambre s’ouvre violemment faisant claquer le bois contre le mur mitoyen.

-YAHAAAA. Aller Heïon dépêches toi un peu, on va encore être les derniers !!! Tu sais quel jour on est ? Mais oui bien sûr que tu l’sais. Cette année c’est notre année, je suis en pleine forme et j’suis sûre que l’un de nous deux va gagner…surtout que papa a dit qu’il ne participait pas. C’est une première ! Aller active toi l’sous-marin…en plus cette année ça va être grandiose, on fête le centenaire…

Ca, c’est Maïna qui débarque en grande pompe, comme à son habitude, bondissante, le regard pétillant de malice. Le sourire subtilement espiègle, elle hurle sa joie de vivre à qui veut bien l’entendre. Détachée, sa longue crinière brune ondule au rythme de quelques pas de danse improvisés. Le soleil même s’incline au travers de la fenêtre pour venir réchauffer sa peau de miel et irradier son visage. Un brin aguicheuse, elle se penche de temps à autres vers moi, la poitrine légèrement en avant comme pour attirer mon attention, elle m’ébouriffe les cheveux, se dandine encore un peu puis me tire le bras. Attelé à terminer ma première marionnette, je souris…simplement. Elle a bien grandi Maïna depuis ces années passées à parcourir tous les deux les rues du village à la recherche de mauvais tour à jouer aux habitants. Maïna…ma sœur, mon amie, ma partenaire des bons jours comme des moins heureux.
Aujourd’hui c’est le festival de la pêche sur l’île de l’Abondance, comme chaque année à cette date. La centième donc cette fois. Cette journée marque, comme chaque année, l’arrivée en masse des poissons qui font la réputation de l’île, poussés là par de puissants courants marins qui convergent tous en ce point. Ici, on trouve probablement les meilleurs pêcheurs de tout South Blue et peut être même d’ailleurs. Au menu du jour, concours de pêche, puis de cuisine avec le poisson amassé, et enfin grande soirée festive jusqu’à pas d’heure, alcool et poisson à volonté, le tout dans un décor superbe où les échoppes sont foison. Evidemment, cette journée ne s’adresse pas qu’à la population de l’île. Il n’est donc ainsi pas rare d’y voir débarquer tout un monde en quête de gloire passagère qui ferait d’eux le meilleur pêcheur du moment.
Bien sûr que je n’ai pas oublié cette journée. Je ne la manquerais pour rien au monde, d’autant plus que ce sera ma dernière fête de la pêche avant très longtemps. C’est décidé, je partirais l’année prochaine, la veille de la cent unième. Mais ça, tu ne le sais pas encore Maïna et je dois bien avouer que je ne suis pas pressé de t’en faire part. Je crains trop ta réaction et je n’ai pas encore trouvé les mots justes pour te l’annoncer. Je sais aussi que papa ne participe pas cette année, place aux jeunes comme il dit. Et je comprends bien ta satisfaction et tes espoirs affichés. Après tout, il est le vainqueur des cinq dernières éditions du concours de pêche.
Comme toujours je ne résiste pas bien longtemps quand tu m’entraînes de la sorte. Debout sans que je m’en rende compte, je laisse là tout mon fatras, j’attrape ma canne et mon filet au passage et me laisse à moitié traîner sur le sol en souriant toujours tendrement du spectacle.


-Hey les marmots, vous oubliez pas quelqu’un par hasard ??!? Vous croyez quand même pas que vous allez encore me laisser tout seul alors que vous partez vous amusez !!! Hop hop hop, on attend le meilleur et oui c’est moi Archi le nettoyeur héhé…

Comme vous l’aurez deviné, lui c’est Archi. Mon pote le poisson nettoyeur. Il parle beaucoup, ce qui ne me déplaît d’ailleurs pas lorsque ça m’évite d’avoir à le faire, mais c’est quelqu’un sur qui l’on peut compter. Et puis c’est en quelque sorte un homme poisson comme moi. Ca aide pour se comprendre d’avoir quelques branchies en commun. Il nous rejoint donc et nous voilà tous les trois filant vers le lieu du tournoi. Une belle journée qui s’annonce, une de celle qui vous redonne de l’énergie pour une semaine au moins.

Comme prévu, à notre arrivée la plage est bondée. Papa et maman sont déjà là en compagnie de Kaïna. La cuisinière portative et les ustensiles qui s’y adjoignent sont déjà tous opérationnels. Comme il ne participe pas à la pêche cette année, papa a décrété qu’il mettrait tout en œuvre pour que maman remporte le tournoi des cuistots. Il a même réussi le tour de force d’entraîner avec lui l'aînée de ses filles. Certains de la perte de temps, il n’a même pas tenté avec Maïna.
Toute une foule s’amasse aux différents stands, pour faire le plein de nourriture jusqu’au midi ou s’inscrire aux différents concours. Pour celui qui nous intéresse une file humaine s’étire sur pas loin de cinquante mètres. Maïna entre en action.


-Hey, Marius, comment ça va ? Viens Heïon !

Un de ces gars, comme tant d’autres sur l’île, qui se damnerait pour lui rendre service en espérant qu’elle lui tombe dans les bras. L’avantage avec celui-ci en cet instant, c’est qu’il est en onzième place dans la file d’attente. Et voilà que Maïna se met à lui causer comme si de rien n’était, échangeant par instant avec le voisin de derrière lorsqu’il commence à s’inquiéter de s’être fait gruger. Elle fait preuve de courtoisie autant que d’astuce, juste ce qu’il faut pour le calmer. Pendant cinq minutes, elle draine l’attention alentour et sans que personne ne se rende compte de rien, nous voilà miraculeusement devant la caisse. N’ayant jamais perdu de vu son objectif principal, elle stoppe la conversation tout en douceur puis se tourne vers le guichetier en lui souriant :

-C’est pour deux inscriptions s’il vous plaît.

Elle paye, note nos noms, saisi les dossards qui nous sont attribués, puis nous nous éloignons.

-Aller salut Marius, à plus tard et bon courage pour le concours…même si c’est moi qui vais gagner…

Un sourire mutin et un clin d’œil plus tard, elle se tourne vers moi, satisfaite. Je lui rends cette satisfaction. Ce manège je l’ai vu fonctionner des centaines de fois. Je le connais par cœur mais il m’amuse toujours autant. Aucune méchanceté dans celui-ci, jamais, juste l’éclatante démonstration de la malice et de la finesse de celle qui me manquera à coup sûr.
Les billets en poche, plus qu’à attendre que tout le monde soit inscrit et déambuler dans les allées d’un festival qui s’annonce exceptionnel.
    Du repos, d'la sieste, du calme, des vacances. Le lecteur appelle ça comme il veut, toi tu le nommes « ennui ». C'est moche, ça ne sert à rien, les patrons croient te faire plaisir … Bref ce n'est pas ta tasse de thé. Pour une fois t'as quand même décidé d'profiter du repos annuel et de partit poser tes guibolles dans un endroit sans histoire. L'île de l'abondance, tu n'comprends pas très bien l'nom mais ça sonne bien. Comme une île où alcools et femmes coulent dans une rivière d'infinité. Ça fait deux jours que t'es arrivé et tes mains tremblent déjà d'un manque d'action. T'as toujours résolu ce problème par trois solutions : une bouteille de gnôle, un discours des poings ou une partie de pêche. Ça tombe bien, un concours du meilleur pêcheur est organisé. T'as même cru comprendre que c'était l'un des plus connus de South Blues. Tu t'dis quand même que c'est étrange, et qu'entre chaque concours de c'genre, il n'doit pas y avoir mirette de différence. Tu décides donc d'y participer, histoire d'voir à quoi ça peut ressembler. Pour ce faire, faut d'abord qu'tu trouves une canne à pêche, ce s'ra plus facile déjà. N'importe laquelle fera l'affaire, tant qu'elle a une corde et un am'çon, ce sera parfait. Et puis avec le peu de berrys que tu as, tu n'peux pas trop faire le difficile.

    Tu rentres dans une de ces p'tites échoppes typiques des villages de pêcheurs où les ustensiles sont mis ça et là dans un immense fatras. C'est à peine si tu peux faire le tour du magasin sans renverser d'objets. Sans faire vraiment attention tu remplis tes mains de tout le nécessaire avant de passer en caisse et de déposer la commande sur le comptoirs. Le commerçant, encore plus vieux que toi et à l'air aussi sénile que celui de Miss Blue te regarde d'un air interrogateur. Il pousse le bouchon jusqu'à tenter de comprendre la raison de ta venu, miraudant de sa voix fluette quelques mots :


    _« Oui, Monsieur, c'est pour ? »
    Là, tu t'demandes ce qu'il a fumé le vieux sénile pour te poser la question. Il croit que Tu vas lui conter fleurette ? Que c'est un hold up ? « Ah oui tiens... C'est une idée ça » que tu t'dis. 

    _Désolé papi, mais c'est un hold-up en fin d'compte.

    Sur ce, tu pars de l'échoppe avec ton nouveau materiel tandis que l'vieux continue de te mirer sans comprendre. Tu fais un pas dans la ruelle, fier de ton coup. Au bout d'deux pas tu t'dis qu'c'est bien de trop facile et à trois pas tu fais demi tour. Les billets s'mettent à tourner dans ta main et ta substance grise calcul le prix.

    _T'as d'la chance, je suis d'bonne humeur.

    Tu t'demandes bien c'qu'il te prend d'être aussi sympa. Y'a pas si longtemps de ça, t'en aurais profité pour partir avec la caisse, et aujourd'hui tu n'en profites même pas. Les remords peuvent parfois survenir bien tard. Tu maugrées contre ta gentillesse inattendue tout en partant vers la plage. Sans t'en apercevoir, tu arrives bien vite au point d'inscription où une file d'individus attend déjà. Certains patientent aux différents stands tandis que d'autres sont ici simplement pour la promenade. Le tout se laisse aller au bruit d'un capharnaüm ambulant dans les cris et joies d'enfants. Les minutes passent et tu t'impatientes d'enfin pouvoir disparaître de la file d'inscription. Ton envie de partir s'efface quelque peu lorsque tu aperçois un visage aussi angélique que le goût d'une pinte. La miss joue de son charme plutôt bien. Elle réussit à dépasser bon nombre de péquenots et heureus'ment pour elle que t'es encore devant.
    C'est ton tour.

    -Nom ?
    -Sergueï.
    -Concours ?
    -Pêche.
    L'homme assis de l'autre côté du bureau te donne un ticket en échange de quelques biftongs, et te demandes de partir d'un signe de tête. Tu t'demandes bien où est ce que ces zouaves sont allé perdre leur joie de vivre. C'est maint'nant certain qu'ici, ce n'est pas l'île d'abondance de politesse. Heureusement les enfants et participants à la fête rattrapent le tableau. Tu peux admirer autant de sourire en deux secondes qu'en deux ans sur un navire révolutionnaire. Ça pourrait presque de gonfler l'coeur si tu en avais un. T'installant au bord de l'eau, tu prépares ton matériel en attendant le feu vert. A ta gauche, tu aperçois le joli brin de femme découvert tout à l'heure, accompagnée d'un homme aux longs cheveux blonds semblant presque heureux en sa compagnie.
      -Ohé, p’pa, m’man, on est là !!! Comment ça va par ici ???

      Difficile de demeurer discret bien longtemps lorsque l’on accompagne Maïna. Elle est comme ça, tel un feu follet, sans trop de retenue. Elle agite les bras en haranguant à moitié les parents pour être sûre de ne pas passer inaperçue, heureuse d’être là et de profiter à plein de cette journée. Elle s’enquiert du bon déroulement des opérations familiales puis l’ouragan des Morgus se remet en action, prête à tout dévaster et m’entraînant toujours à sa suite. Presque larmoyante, elle m’implore de faire un détour vers le stand des confiseries pour se faire offrir une glace puis me tire une langue espiègle tout en la dégustant, histoire de bien me signifier le procédé vicieux utilisé, au cas où je ne l’aurais pas encore saisi. Nous nous arrêtons de temps à autre pour saluer une connaissance, offrir un sourire au bambin qui découvre son premier festival, rendre le ballon que deux gamins ont perché dans l’arbre voisin en improvisant un concours de grimpe, ou encore pour profiter du climat pendant qu’Archi nous fait un petit relooking épidermique en prenant le temps de nous masser un peu les épaules, comme le coach qui prépare ses champions au combat qui s’annonce. Point de combat ici certes, mais le concours de pêche a toujours donné lieu à un petit défi amical entre Maïna et moi. Sur les six auxquels nous avons participé, elle a fini trois fois devant moi tandis que j’empochais les trois autres manches. L’égalité est parfaite. Cette année déterminera donc lequel d’entre nous passera la ligne d’arrivée en tête.
      Après près de quarante-cinq minutes à emprunter les allées de l’endroit, nous regagnons finalement la plage où sera donné le départ. Alors que l’on tente de se frayer un passage au gré des égards faits à Maïna, mon regard est attiré par l’étrangeté de ce qui se déroule sous mes yeux. Deux types semblent soupçonneux de tout ce qui les entoure, sans pour autant attirer plus que ça l’attention sur eux. Après avoir fait rouler ses yeux dans leurs orbites, probablement en quête d’un quelconque curieux, l’un d’eux sort la main de sa poche, poing fermé, et la plaque contre celle de celui qui lui fait face. L’autre referme le poing et le range à son tour dans sa poche avant de passer son chemin. L’opération a été réalisée sans un mot, sans un regard l’un pour l’autre.
      Concentré sur la scène, je ne fais pas attention à l’épaule qui se présente dans mon dos et l’inévitable arrive. La rencontre est un peu brusque. Je me retourne immédiatement, la main légèrement tendue vers la victime du malencontreux méfait, et je joins la parole au geste, un sourire radieusement gêné en travers du visage.


      -Désolé monsieur, j’étais dans mes pensées…

      Pas bien éloquent mais relativement efficace en général. Pas le temps d’aller plus loin que Maïna, montée sur ressorts me tire à nouveau le bras pour finalement nous installer à la droite de cet homme. Un vieillard à la barbe drue qui semble lui aussi attendre le début du concours et l’entrée en scène de l’organisateur. Jamais rencontré dans le coin, sûrement un de ces gars qui parcoure les mers pour se faire une place au paradis des pêcheurs du sud. Je me penche un peu vers lui pour lui adresser un nouveau signe de la main, puis le moment arrive.
      Le speaker, le même depuis vingt ans, saisit l’escargophone et monte sur la scène principale, celle la même où seront invités ce soir les musiciens de tous bords pour mettre un peu d’ambiance à la fête. L’homme qui s’apprête à prendre la parole et qui approche désormais la cinquantaine, est un pêcheur comme beaucoup de monde sur l’île de l’abondance. Ce qui le différencie, c’est sa taille démesurée, bien au-delà des deux mètres et ses tendances flashy. Aujourd’hui, il est habillé d’un complet vert fluorescent laissant apparaître une chemise aux tons roses du plus mauvais effet, tandis qu’une paire de lunettes de soleil triangulaire trône sur son nez et que sa tête est surmontée d’un haut de forme jaune barré d’une bande de tissu de la même couleur que le costume.


      -Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bienvenue au concours annuel de pêche sur l’Ile de l’abondance.

      D’un mouvement de bras du bas vers le haut, la paume de la main pointée vers le ciel, il mime un mouvement qui attend les acclamations qu’il pense lui être dû, profitant du moment pour sortir de l’anonymat singulier dans lequel il est plongé tout au long de l’année. Loin de ce genre d’engouement, je tourne la tête vers Maïna qui en a fait autant, mon regard plonge dans le sien, puis nous nous sourions, autant amusés par le type qui fait son show sur l’estrade que bienheureux d’être là tous les deux. L’autre continu.

      -…cette année encore, vous êtes venus nombreux des quatre coins de la planète en espérant une petite part de gloire, en espérant être déclaré meilleur pêcheur de South Blue. Dans quelques années, ce sont peut-être vos enfants, vos petits-enfants ou même vos arrières petits enfants qui se déplaceront sur l’île de l’abondance pour participer. La question est de savoir s’ils arriveront ici pour maintenir en haut de l’affiche une longue lignée de pêcheurs reconnus ou pour essayer de rattraper les échecs de leurs ancêtres…

      Y a pas à dire, il a un sacré bagout le garçon, cela se voit qu’il fait ça depuis longtemps. Les phrases sonnent faux mais sont fluides. On sent que le ton a été travaillé jusqu’à épuisement de salive, ce qui n’en rend la scène que plus amusante.

      -…mais passons maintenant aux modalités du tournoi qui se déroulera sous la forme d’un marathon. Nous avons un peu innové et pour la première fois cette année vous concourrez par équipes de deux qui seront tirées au sort. Vous serez donc répartis en duos dans des embarcations spécialement mises à disposition pour l’occasion. Mais ne vous faites pas d’illusions, lorsque je dis embarcations, je parle de ces petites barques à rames que vous pouvez voir sur le rivage. Vous devrez pêcher dans la zone délimitée par les balises rouges placée aux quatre coins et si vous en sortez, vous serez éliminés. Toutes les trente minutes, les dix embarcations les moins prolifiques seront éliminée jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que neuf. A partir de cet instant, nous éliminerons les équipes deux par deux, toujours toutes les demi-heures jusqu’aux trois dernières qui s’éclipseront une par une, encore en trente minutes pour le troisième puis avec une heure de temps pour la grande finale. Vous avez le droit uniquement à la canne,pas de filet et interdiction de plonger au harpon. Cette année le lot offert au vainqueur restera une surprise, mais vous pouvez me croire, vous ne serez pas déçu. Voilà, tout est dit, que les meilleurs gagnent. Passons maintenant au tirage au sort des équipes…

      Au total, cent cinquante-huit inscrits, soit soixante-dix-neuf embarcations de prévues, ce qui nous promet pas moins de six heures trente minutes passées sur l’eau. Le tirage au sort me semble interminable et un petit pincement me serre le cœur en pensant à une possible association avec Maïna pour mon dernier festival. Les noms sortent les uns après les autres jusqu’à ce qu’enfin le mien soit tiré du chapeau.

      -Heïon Morgus…

      C’est le premier d’une future embarcation. La main de l’organisateur plonge une fois de plus dans le chapeau tandis que Maïna serre sa main sur mon épaule, apparemment tout aussi excitée que moi par la perspective de naviguer ensemble. L’attente prend fin quelque seconde plus tard alors que le type se complait à faire s’éterniser le suspense entre chaque tirage.

      -…et donc pour accompagner le jeune Heïon que nous connaissons bien par ici, j’ai nommé…
        Il y a de ces personnes qui manquent bien plus que d'un poil de politesse. C'sale blondinet par exemple, il n'a jamais appris à regarder devant lui lorsqu'il marche ? Comment ça c'était toi qui marchait ? Mmmh, oui peut être... De toute façon, tu n'te vois vraiment pas foutre en l'air tant d'bonne humeur, toi si habitué aux tirages de trognes vers le bas. Tu assistes à un arc en ciel de joies où chaque gamin concoure au titre du plus beau sourire. Alors quand le jeunot s'excuse poliment, tu lui réponds par un hochement de tête entendu. Le bon côté aussi, c'est que grâce à ça, tu peux t'rincer les globes en mirant le joli brin de femme qui suit l'blondinet, et parfois ça fait du bien de simplement admirer quelqu'chose de beau.

        Ce qu'il y a d'moins attrayant, c'est le speaker. Tu n'as jamais vu quelqu'un se fagoter aussi mal depuis plusieurs printemps, et pourtant t'es loin d'être une référence vestimentaire. Debout sur une grande estrade de bois, le bonhomme porte une chemise d'un rose tape à l’œil et au col ouvert laissant apparaître une toison plus qu'impressionnante. Le pire, c'est quand même son cabochard qui ne lui va que d'une fesse et lui donne l'air d'un homme voulant jouer au nobliau sans y arriver. Malgré son air de vieux pataud, il réussit à motiver la foule grâce à un discours soigneusement préparé. Mais quand on a entendu Tonton Barbie discourir, des hommes comme celui de cette île donnent vraiment l'air de cabotiner. C'est vrai que tu dois lui reconnaître qu'au contraire de toi même, les autres participants ont aimé, et ils en redemandent. Ça chahute et tape dans les mains en attendant la suite. Le gars connait son travail, ça ne sert à rien de viser juste ou d'utiliser les bonnes paroles. Il suffit que les gens sentent la joie, la gaieté dans ses mots pour qu'ils en soient satisfaits. Et ce bonhomme, il en a à revendre, de la gaieté.

        Vient maint'nant le moment d'expliquer le règlement. Cette partie là, tu l'oublies, parce que tu sais t'servir d'une canne à pêche, et qu'il n'y pas besoin de plus. A quoi bon créer des règles pour une simple histoire de concours de pêche ? Tu as déjà assez avec les cabots ferrés et toute cette marine, alors s'ils se sentent obligés de légiférer sur des choses aussi simples qu'un concours... Tandis que la grand dada énumère tous les points censés être appris et connus par les participants, tu regardes une drôle d'affaire. Un homme semble vouloir se débarrasser de son sac tout en discrétion. Assis à une table, il l'éloigne de lui, vers un autre homme possédant une sacoche tout à fait similaire. Tu t'dis que ce doit être dans la culture locale, que de faire des transactions aussi louches que ça, mais tu n'es pas là pour t'attirer une branquignolité sur la trogne. Alors tu ne réagis pas et te contentes d'observer.

        Sauf que le déluré de présentateur te réveille en criant ton nom au micro. Tu sors de tes pensées histoire d'comprendre qu'est ce c'est que cette histoire.

        Félicitation à vous deux Heïon et Sergueï, vous pouvez dorénavant rejoindre la barque numéro 1 et attendre le feu vert !

        Là tu te demandes où est ce que t'as atterris. La pêche, tu l’apprécies pour son calme, pour la non-obligation de parler, pour le temps passé seul dans un silence réparateur, et ces foutus réglementaires ont osé obliger les participants à un binôme!

        Je vous rappelle qu'il est strictement interdit de garder les poissons que vous pêcherez, et vous risquez la disqualification si vous ne les redonnez pas tous à Mr Ping ici présent. Celui ci contera votre récolte afin de vous attribuer un nombre de points !

        Le présentateur accompagne ses paroles d'un pointage du doigt tout ce qu'il y a de plus impoli, montrant de l'index l'homme à la mallette. Celui ci est maint'nant debout, l'air de rien et un grand sourire aux lèvres. Cette affaire sent l'histoire pas nette à dix kilomètres que tu t'dis, y'a comme une odeur de hareng frits. Alors ça t'remotive, parce que tu n'es pas là pour chercher des histoires, mais tu espères bien qu'des histoires seront là pour te chercher. Ça rajouterait un peu d'piment à la sauce sans goût de tes vacances, parce que t'as toujours aimé l'épicé. En attendant, il n'te reste plus qu'à aller te mettre dans la coque au chiffre 1 et voir comment le concours se passe.

        Tout en commençant à déballer tes affaires, tu regardes qui sera ton coéquipier d'un jour.
          J’ai donc tiré la barque numéro une. Faut-il y voir comme le signe prémonitoire d’une possible victoire finale ? Peut-être, mais là n’est pas l’essentiel à dire vrai. Déjà l’idée d’un duo pour pêcher n’est pas du meilleur aloi, mais le sort en a décidé, je ne concourrais pas avec Maïna. En pointant mon regard dans sa direction je peux vite remarquer la déception qui marque son visage. Je lui souris, en lui indiquant que ce septième face à face nous permettra finalement de nous départager, et elle retrouve rapidement ses bonnes dispositions. Elle m’adresse sur les côtes une petite touche du coude et d’un air un brin taquin.

          -Aller, va vite voir à quoi ressemble ce Sergueï, il te permettra peut-être d’être devant cette fois-ci…et pas de triche sous-marine hein…

          Cette dernière remarque me rappelle une autre difficulté à participer avec un inconnu. Car si, comme la famille se plaît à me le répéter, je ne crains pas grand-chose avec les gens de l’île, ma condition d’homme poisson m’oblige à ne pas trop me faire remarquer au-delà de cette frontière. Il me faudra donc redoubler de vigilance et oublier mon habitude à profiter de l’instant pour quelques plongeons improvisés. A cet effet, j’enfile les gants de laine tricotés par maman et prend soin de vérifier si rien de suspect ne dépasse. Puis, je me dirige enfin vers la première barque de la rangée en souhaitant bonne chance à Maïna, tandis qu’Archi se glisse sous ma toge.
          Coup du sort, mon partenaire du jour n’est autre que ce vieil homme barbu à l’allure un peu bohème bousculée il y a quelques instants. Alors qu’il déballe son matériel, je m’approche doucement et lui adresse un sourire bienveillant sans vraiment savoir s’il me prête la moindre attention, avant de lui emboîter le pas en dépliant ma canne. Un petit regret m’étreint un court instant en pensant à mon habituelle gaule à quatre lignes que je ne peux utiliser dans le cadre du tournoi, mais le speaker ne tarde pas à me ramener à la réalité lorsque le nom Maïna Morgus résonne au travers des deux enceintes géantes installées pour l’occasion. Autre coup du hasard, c’est Marius qui l’accompagnera. Tout heureux de l’annonce, il se rue dans sa direction la langue pendante et la suit jusqu’à la barque numéro vingt-neuf en ne la quittant pas des yeux. Dans le meilleur des cas c’est pour lui six heure trente passées avec Maïna sur une coque de noix. Sûrement y voit-il là le moment idéal pour tenter sa chance.
          Les noms suivants défilent sans que je n’y prête une réelle attention. Lorsque le dernier sort du chapeau, l’organisateur reprend la parole en braillant ses dernières indications.


          -A partir de maintenant vous avez donc trente minutes avant les premières éliminations, et rappelez-vous bien, les poissons seront donnés à monsieur Ping qui vous attribuera les points avant de redistribuer la moitié de la pêche pour le concours de cuisine et l’autre moitié à la coopérative des pêcheurs du sud. Attention, trois…deux…un…goooooooooooooooooo…Ready for glooooooorrrryyyyyyyy…

          Cette centième a vraiment une saveur particulière, comme un goût de surprise. Un sentiment que j’ai du mal à définir me fait frissonner.

          Comme à chaque fois, certains n’hésitent pas à jouer des coudes pour être les premiers à faire filer leurs embarcations. Ils s’essoufflent en courant dans l’eau, avant de bondir sur leur flotteur pour ramer comme si leur vie en dépendait afin d’atteindre en tête les meilleurs bans. Papa m’a toujours expliqué que le meilleur poisson n’est jamais celui qui se jette dans tes filets en te proposant de le déguster. La qualité supérieure est rare et nécessite une passion acharnée pour la dénicher. Cette vision me convient bien et c’est donc avec cette idée en tête que je grimpe tranquillement dans le petit deux places sans oublier de jeter un œil au comportement de mon coéquipier. Ou plutôt colocataire momentané, car en terme d’équipe, l’histoire ne semble pas forcément bien embarquée. Lui ne m’a toujours pas adressé le moindre mot. Quant à moi, de nature plutôt discrète et observatrice, je ne fais pas grand-chose pour l’aider.


          -Bon les gars, faudrait p’têt voir à faire bouger c’te barque si vous voulez avoir une chance. Ca va aller papi pour ramer ou tu veux que j’prenne ta place ? Mais t’inquiètes, on fait ça discret pour pas s’faire griller…griller…ahah…pour un poisson, ce s’rait con quand même…bwahahaha…

          Archi, homme poisson nettoyeur haut de vingt centimètres et compagnon de fortune, fait des siennes. Je lui ai pourtant répété de rester planquer mais le voilà tout de même planté au sommet de mon crâne, le doigt tournoyant dans les airs pour accentuer la mine moralisatrice qu’il se donne.
          Le sourire toujours accroché aux lèvres, je m’excuse pour Archi auprès de l’autre type en lui expliquant qu’il est plus maladroit que mal intentionné.
          La barque ondule maintenant tranquillement au fil de l’eau, se laissant aller de temps à autres au gré des flots. Le concours est bel et bien lancé. Je jette ma ligne à l’eau pour attraper ce que je peux pendant notre déplacement. Rien ne se perd. Dans un mouvement fluide et sur un rythme régulier, je sors un à un des poissons d’espèces différentes afin de les entasser dans les seaux mis à notre disposition. De son côté, Archi, impossible à arrêter, continue ses exercices de sociabilisassions entre un vieil homme et un homme poisson, plantant ses yeux globuleux dans les nôtres comme pour nous hypnotiser dès qu’il en a l’occasion, puis nous encourageant de la voix et des nageoires. Un véritable calvaire auditif pour tout pêcheur qui se respecte.
          Les deux premières heures passe relativement rapidement. Quarante équipes sont désormais éliminées tandis que nous caracolons en dix-huitième position virtuelle sans trop forcer, juste deux places devant Maïna qui n’hésite pas à nous saluer dès que nos déplacements respectifs lui en offre la possibilité. Il est temps d’essayer de passer à la vitesse supérieure. Me fiant à mes instincts d’homme poisson, je me tourne vers Sergueï en pointant du doigt un dégradé de couleurs, plusieurs mètres plus loin sur l’eau.


          -Je pense que nous devrions nous diriger vers cet endroit. Quelque chose me dit que nous ne serons pas déçus !


          Dernière édition par Heïon le Ven 6 Jan 2012 - 13:17, édité 2 fois
            C'est avec le blondinet que tu feras équipe. Pas plus gros qu'une brindille, mais à l'allure plus dynamique qu'une sauterelle. Tu réponds à son sourire par un bref signe de tête réellement peu sympathique. Sympa...Sympaquoi ? » que tu t'dis. Rien n'empêche que le concours est maint'nant lancé. La longue tige a fini son discours et certains participants se mettent déjà à courir vers le large. Ils n'ont pas l'air d'avoir compris l'principe d'un marathon, on croirait les voir partir pour un sprint de quelques mètres. Toi tu préfères aller à une allure de grand père pour une fois et tu es bien heureux de voir que le dénommé Heïon est du même avis. Vient le moment du premier lancé. Le fil s’envole et tes pensées le suivent. Tes nerfs se décrispent et tu retrouves enfin un peu de calme, de sérénité. Tu crois revivre ces moment d'une époque lointaine où tu aspirais ta première bouffée de tabac. C'était comme un poids qui s'envolait. La pêche te permet aujourd'hui de retrouver ce bonheur. Simple et non violent, le seul des plaisirs de ta vie n'étant pas encore taché de sang.

            A côté de toi, le jeunot semble aussi peu bavard et vous formez l'une des rares équipes totalement silencieuses du concours. Certains discutent entre deux lancés, d'autres vont jusqu'à piaffer de rire, faisant du même coup fuir tous les poissons aux alentours. Quelques uns des pêcheurs font des signes au blondinet, toujours amicales. Cet homme semble avoir trouvé en ces personnes ce que l'on appelle des amis, une des étrangetés de la vie pour toi.

            Ce silence se fait brusquement détruire par l'arrivée d'une étrange petite bête. Pas plus haut que trois pommes mais à la langue aussi affûtée que la commère du village, il ne semble pas d'humeur à fermer son bec. Heureusement pour lui, le blondinet s'excuse de cette tirade. C'est un p'tit gars bien éduqué celui là. Au sourire ragaillardissant et au respect bien fondé. Il sait dire les choses mais ne semble pas non plus être adepte des bavettes inutiles. C'est l'analyse que tu t'est faite du bonhomme pendant ces quelques minutes passées en sa compagnie.

            Tu tentes de te re-concentrer sur ta canne. Les poissons piaffent et se splashent. Les seaux se remplissent et les minutes se perdent tandis que la petite bête continue à te faire du grain. Mais tu restes coi. Plié sur le banc du bateau, tu continues à jongler avec le fil pour éviter qu'il ne s’emmêle avec ceux des autres concurrents. Ta barbe se fait de temps à autre remuer au gré de quelques jurons se réveillant, mais rien ne vient perturber ta sérénité retrouvée.


            -Je pense que nous devrions nous diriger vers cet endroit. Quelque chose me dit que nous ne serons pas déçus !

            Cette voix te rappelle soudain que tu n'es pas seul. Un tour s'est déjà écoulé, et une quarantaine de coques se sont fait éliminées. Ces greluchons n'avaient pêché que de pauvres petites sardines pas plus grandes qu'une main. Quant à vous, les lignes remuent souvent et les touches sont la plupart du temps bonnes. Tu commences donc à entrevoir l'idée du nom de l'île. Regardant dans la direction du doigt de l'enfant, tu crois apercevoir une étrange forme. Ce petit a l’œil, c'est sûrement un bon banc de poissons. Alors tu décides d'ouvrir ton bec.

            -T'es un bon mon p'tit. Tu l'sais sûrement déjà mais moi c'est Sergueï.

            Une fois dit, tu tends ta main vers lui avant d'empoigner les rames en direction de l'étrange dégradé. Tu relances aussitôt ton fil vers la bizarrerie.


            Dernière édition par Sergueï Suyakilo le Dim 18 Déc 2011 - 10:06, édité 2 fois
              Le vieil homme semble profiter sereinement de la paisible douceur d’un instant de pêche, pas même perturbé par Archi qui s’en donne pourtant à cœur joie. Peu à peu il se déride, et profite du changement de position pour enfin s’adresser à moi en me tendant une main amicale. Pas mécontent de la tournure que prennent les évènements, je tends la main à mon tour et la serre dans la sienne dans une poignée qui devrait sceller pour de bon l’association de cette équipe atypique.

              -Enchanté, moi c’est Heïon. J’habite un petit village du coin.

              Je me réinstalle à ma place et aggripe une rame pour accompagner le mouvement initié par Sergueï, droit vers le ban de l’abondance. Le silence reprend ses droits lorsque les deux lignes plongent à nouveau dans l’eau, presque dans le même tempo. Il ne faut pas longtemps avant que les premières prises mordent à l’hameçon. Les poissons se jettent quasiment sur la barque, les uns après les autres, comme s’ils souhaitaient eux-mêmes décider des vainqueurs du concours de pêche. A cet instant précis, peu de chance qu’une autre équipe attrape plus de poissons que nous. Je jette un œil vers mon coéquipier qui ne semble pas en reste, avant de reprendre une concentration qui n’en est pas vraiment une, tant la tâche paraît simple.

              La seconde suivante, notre bateau de fortune se met à trembler. Il se soulève de quelques centimètres puis retombe sur des flots qui s’agitent soudainement, créant quelques vagues qui se fracassent contre le bois de l’embarcation pour la faire se balancer de gauche et de droite. Archi glisse de son promontoire et manque de justesse de passer par-dessus bord. De mon côté, je tente tant bien que mal de garder la position pendant que l’une des rames se dérobe à ma vigilance. La voilà qui flotte déjà quelques mètres plus loin, plus qu’à lui dire adieu. Etourdi par la scène, j’en oublie ma canne qui me file entre les doigts, essayant à son tour de se faire la malle. D’un geste vif et précis je la saisis pleine main et l’enserre du mieux possible en lui adressant un regard comme pour lui signifier de se tenir tranquille. Plus qu’à m’accrocher solidement à la coque jusqu’à ce que tout ceci cesse. C’est ce qui arrive immédiatement après. Tout revient à l’initial. Le calme plat. Je m’enquiers rapidement de savoir dans quel état mon comparse du jour est ressorti de l’épreuve traversée.


              -Vous allez bien Sergueï ?

              Dubitatif, ma main vient s’attarder sur l’arrière de mon crâne, puis d’une moue toute aussi rassurante qu’amusée, un sourire ironique sur les lèvres, je m’engage dans une fausse explication qui ne me convainc assurément pas moi-même.

              -Ça arrive de temps en temps quand on réveille un monstre marin…

              Pas même le temps de reprendre une position correcte que l’agitation reprend, plus directe cette fois. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, me voilà renvoyé sur le dos, Archi accroché de toutes ses forces à ma toge, tandis que la barque s’affole et file désormais à une allure incroyable, zigzaguant au gré de l'étrange force qui semble la tirer. Je me tourne à nouveau vers Sergueï, la mine interrogée.

              -Que...?!?!??
                -Enchanté, moi c’est Heïon. J’habite un petit village du coin.

                _Mmh, un p'tit village du coin qu'tu dis. Moi j'pionce ci et là.

                Tu accompagnes tes paroles de grands gestes pointant du doigt les quatre Blues. Encore des mots sortis inutilement et sans réel sens. Le pauvre enfant va finir par te croire fou si tu continues. Alors tu te tais. Et tu pêches. Les prises s’enchaînent si rapidement que de toute façon, tu n'as pas le temps pour une causette inutile. Il a bel et bien l’œil cet enfant. C'est à peine si tu as besoin d'attendre quelques secondes avant de sentir l'hameçon remuer. Tu commence à te demander si ton pot de verres suffira à tenir le concours si le rythme continue ainsi. Ca t'ennuie un peu cette histoire, car c'en est si simple que ça en perd de son intérêt. Tu continues quand même ce travail à la chaine malgré que la conviction n'soit pas des plus présente. C'est une moue grincheuse comme tu sais si bien les faire que tu tires.

                Soudain, sans que tu n'comprennes pourquoi, une violente secousse fait se fracasser les vagues bleus contre votre coque de noix. C'est à peine si tu réussis à éviter le naufrage, la barque est prête à chavirer et t'es obligé de mettre tout ton poids sur le côté pour éviter la catastrophe. Histoire d'augmenter la difficulté, le minuscule monstre se sent obligé de tomber des cheveux du blondinet en direction d'un trempette mortelle. Tu t'sens dans l'obligation de tendre ta main et d'l'attraper en plein vol avant de le protéger à l’intérieur d'une de tes poches. Le tango continue un moment, faisant même tomber à la mer une rame que tu n'peux rattrapper. Puis le mouvement s’arrête tout aussi vite qu'il avait commencé. Sans comprendre, tu lances un regard interrogateur à l'enfant tout en lui redonnant son petit ami. Sans jeu d'mot. Tu réponds à sa question par un grognement. Ça va peut être bien mais cette histoire t'intrigue : subir sans comprendre ne fait partie de tes habitudes. C'est ce que tu lui ripostes.


                _-Ça arrive de temps en temps quand on réveille un monstre marin…

                Cette explication là, tu ne t'attendais vraiment pas à l'entendre, et elle te donne quand même quelques petits tics à la sueur froide. Non pas que la couardise fasse partie de tes défauts, loin de là, mais c'est d'un monstre marin que l'enfant parle. Tu ne sais trop s'il se rend compte de c'qu'il dit. Tu sens juste que son assurance n'est à cet instant pas au mieux.

                VLAAM

                Ça c'est l'bruit d'une prise de vitesse rapide, d'une canne à pêche se tendant en un dixième de seconde jusqu'à la limite du soutenable et de tes dents se percutant sous l'effet de surprise. Tu ne sais trop quel type de poisson tu as attrapé mais il semble être de ceux que l'on n’attrape pas si facilement. Ceux qui aiment à te faire souffrir le temps d'un combat dont au final il connaît déjà la conclusion.
                Une brochette de poisson.

                En attendant, l'animal te donne du fil à retorde (sans jeu d'mot) et il te faut user de tout le lest dont tu disposes pour ne pas casser ta canne. Tu commences à craindre la sortie de course. Si ça continue, la poiscaille risque de vous sortir des limitations du concours. Tu tentes de perdre en vitesse en donnant de petits à coups à ta canne. Assez faibles pour ne pas la briser et assez forts tout de même pour ralentir la bête. Mais celle ci en a sous le coffre et ne semble pas vouloir ralentir l'allure. Malgré que tu tiennes l'outil à deux mains, tes forces sont à la limite de la rupture et c'est à peine si tu arrives à contenir une grimace de douleur des plus effrayante.

                Les autres participants vous regardent sans comprendre. Tu aperçois au loin la mistinguette et ami de l'enfant qui semble s’inquiéter pour lui. C'est sur que partis comme c'est partis, les ennuis ne font que commencer.
                  Finalement pas si bourru que cela, le vieux Sergueï ne semble pourtant pas être, lui non plus, un grand adepte de parlottes en tous genres, ce qui me convient parfaitement. Pour toute réponse à mon interrogation, il me renvoie une moue de douleur qui suffit à expliquer la situation. Tout en tension, il se démène pour ne pas laisser s’échapper sa proie. Et vu l’expression du vieil homme, celui qui se balance à l’autre bout de la ligne n’a pas l’air d’être du style à sauter sur le barbecue, sans auparavant avoir eu l’amabilité d’offrir l’assaisonnement.

                  -HEIOOOOOOOOOOON !!! Mais qu’est c’que tu fous, tu vois pas qu’vous allez droit vers l’élimination…

                  Cette voix…Maïna. Debout sur le rebord de sa coque, elle tente une panoplie variée de signes et autres gestes pour être sûre que je ne la manque pas. Derrière elle, le pauvre Marius semble essayer de la dissuader de plonger tout en s’agrippant à sa barque. La scène est cocasse. Elle m’amuse. La voix laisse paraître une certaine inquiétude. Etouffée par l’agitation fluviale, elle parvient difficilement jusqu’à mes oreilles, mais suffisamment pour que j’en retire le sens. Qu’entend-elle par ceci? Aïe ! J’ai compris. Au fur et à mesure que nous sommes entraînés au large, les balises de délimitation se rapprochent et si l’on ne fait rien, nous les aurons franchies dans quelques secondes. Je comprends bien que le défi sera différent si l’un de nous est éliminé, mais en même temps Maïna, je pense qu’il y a plus important dans l’immédiat.
                  Il est temps d’aller voir si mon partenaire a besoin d’un quelconque coup de main car le poisson ne semble pas se résigner. Devant le visage de l’autre, je saisis sa canne juste au-dessus de ses mains, autant pour le soulager un peu, que pour jauger de l’ampleur de la prise. Je ne suis pas déçu. C’est du jamais vu. Que peut-il bien se tramer là-dessous ? L’ironique monstre marin de tout à l’heure commence à me faire frissonner. L’idée de plonger pour aller inspecter la bête me traverse bien l’esprit, mais je préfère me raviser en pensant au risque que comporte le déballage de mon identité.

                  Ca y est, je crois que j’ai une idée. Je ne sais pas si ça fonctionnera, mais on peut toujours tenter. Le tout dans ce genre de situation est d’avoir un ou plusieurs contrepoids suffisamment fiables pour éviter de se laisser dominer par l’animal. Sans un mot, je lâche la canne. C’est quelque part par-là, au fond de mon sac. Voilà, cette corde devrait faire l’affaire. Ne reste plus qu’à l’attacher solidement à l’arrière de notre embarcation, puis autour de ma taille, tout en invitant Sergueï à faire de même. L’étape deux consiste à relier nos cannes l’une à l’autre. Pour cela, il faut que j’arrive à faire glisser mon fil au plus proche de la prise, le long du sien. C’est là qu’Archi entre en action. Il va devoir s’accrocher à la ligne de Sergueï et se diriger le long de celle-ci afin d’attacher ensemble les deux fils. En utilisant ainsi nos deux cannes, l’idée est de répartir les forces pour que l’autre se fatigue plus rapidement pendant que nous nous distribuons la tâche de manière plus égalitaire. Non sans avoir tenté quelques négociations, Archi s’exécute finalement, mon hameçon dans une nageoire, prêt à solidement le harnacher. De notre côté, pas le temps d’attendre si le résultat escompté est au rendez-vous. Maintenant, ne surtout pas rester à l’avant.


                  -Sergueï, je pense que nous devrions faire l’effort pour aller à l’arrière de la barque si on ne veut pas piquer du nez et finir au fond de l’océan. Je resserrerais la corde et nous pourrons placer nos pieds contre les cales…

                  Tout en m’agrippant solidement à sa canne je commence à reculer de quelques pas en observant si le vieil homme est décidé à suivre le mouvement ou non. Du coin de l’œil je m’aperçois que l’on peut désormais dire adieu au concours. A présent, c’est officiel, les balises dépassées, nous sommes éliminés. Mais curieusement je n’en ressens aucune déception, concentré sur le formidable challenge qui nous attend. La barque file maintenant un peu plus au large, tout en suivant les contours de l’île.


                  Dernière édition par Heïon le Ven 6 Jan 2012 - 13:18, édité 2 fois
                    Le fan club du petit est aux abois. C'est vrai que s'faire éliminer d'la compétition parce que t'auras été trop gourmand, ce serait bête, mais ton côté de vieille charogne ressort. Cette bête t'a lancé un défi, alors tu vas le relever. Tu n'te laisseras pas faire sans avoir donné tout ce que tu as. Et t'en as à revendre sous cette caboche de vieillard. Alors tu résistes, même si tes mains se mettent à frotter dur jusqu'au sang à force de tenir la canne. Même si celle ci risque de casser à tout moment sous l'poids. Tu tiens bon. Ta matière grise est totalement absorbée par l'efforts, aucune de tes pensées, aucun de tes gestes ou rictus n'ont d'autre but que de combattre l'animal. Rien y fait, tu tiendras.

                    Des défis comme celui là, voire plus durs encore, tu en as relevé plus d'un. Toujours avec la même rage, la même haine. Souvent tu t'es fait aplatir comme une pâte à crêpe trop cuite. Mais même à moitié mort, déjà foutu, tu t'es toujours arrangé pour laisser un goût immonde à ton adversaire d'un jour. Au plus profond de la défaite, tu n'as jamais laissé l'ennemi pouvoir savourer le doux goût de la victoire. Ton côté de vieille charogne, encore.

                    Lorsque l'enfant tente de venir t'aider, tu t'demandes si il tiendra l'coup, alors t'en gardes sous le coude et observes son visage. T'en profites quand même pour lâcher un peu de lest et reposer même quelque secondes tes muscles déjà enoloris. L'est surpris le gosse, et à sa mine défaite, tu vois qu'il a compris. Ce n'est pas un petit poisson chat qui se cache sous ce couvercle bleu, c'est certain. Au moment où il lâche l'outil, la force de l'animal te revient dans l'estomac aussi vite qu'elle étais partis, et tu manques de lâcher la canne. Mais tu résistes, encore.

                    Observant un instant le gamin, tu vois qu'il mijote quelque chose, et ça te rassure un peu parce qu'à ce rythme là, tu ne tiendras pas longtemps. Pendant qu'il s'amuse avec une corde, tu continues ton bras de fer avec la bête sans en démordre un instant. Ta caboche se met à tergiverser, en se demandant ce que le gamin est en trin de préparer.

                    _*... Ca y'est, j'crois que j't'ai compris p'tit gars...*

                    Sans un mot, tu places la canne entre tes deux mâchoires tandis que tes mains ensanglantées entourent ton torse de la corde à une vitesse que tu ne te connaissais pas. Malgré que ça n'ait duré qu'une poignée de secondes, un goût amer et globuleux a déjà envahis ta gueule. Lorsque ta poigne ressaisit l'objet, de grosses traces de canines se sont formées, abîmant l'outil acheté à peine plus tôt.

                    Lorsqu'il t'adresse la parole pour t'proposer son idée, tes guibolles se sont déjà mises à reculer vers le font de la barque, pataugeants dans quelques centimètres d'eau. L'animal a bien fait son travail. A force de chambouller la coque dans tous les sens, les vagues ont avalées plusieurs fois le bateau, et tu sens bien que si ça continue encore ne serait que quelque minutes, il va te falloir user du seau.

                    Rendu sur le rebord de la coque, tu t'mets encore à réfléchir au moyen d'faire plier l'animal, lorsque tu aperçois ton harpon. T'en avais pris un dans l'après midi sans vraiment savoir s'il serait utile. Comme quoi la société d'consommation parfois c'est plutôt bien.


                    _Hé gamin, à c'rythme là on ne tiendra pas longtemps, même avec ta technique. Alors c'que je te propose c'est d'remonter ta ligne lentement. Ça obligera la poiscaille à sauter à la surface pour faire balancer l'tout. A c'moment là j'pourrai la harponner.

                    En y pensant, c'est l'instant que tu attends depuis le début qui arrive à grand pas. Celui où les adversaires se regarderont droit dans les yeux, et où la rage de chacun d'eux transpercera la trogne de l'autre. Tu vas enfin pouvoir mirer l'animal. La petite bête l'a sûrement vu en allant déposer la canne au plus près de sa gueule, mais tu ne veux pas en savoir plus. Tu veux que sa monstruosité t'apparaisse comme telle et non par les propos d'un autre.
                      En soi l’idée de Sergueï est plutôt bonne, mais elle comprend deux inconvénients non négligeables. Le premier, c’est que je n’ai jamais été un grand fan du harpon. A dire vrai j’ai toujours considéré cet objet plutôt comme une arme apte à saboter la noblesse de l’art, qu’un réel outil de pêche. Papa, qui l’utilisait fréquemment, avait tenté à maintes reprises de m’en enseigner le maniement, mais rien n’y faisait, je repoussais la chose comme un corps rejetant la greffe qui ne lui convient pas. En somme, le harpon réunit tous les ingrédients propres à me gâcher une petite partie de pêche tranquille. Mais, en y réfléchissant deux secondes, force est de constater que dans le cas présent, la petite partie de pêche tranquille semble se dérouler ailleurs qu’ici, et tant que je n’ai pas moi-même à utiliser l’aiguillon, je pense que je peux mettre mes états d’âme de côté. Le second problème, plus délicat encore est inclus dans le rôle qui m’est attribué. Si mon partenaire n’est plus tout jeune, ses muscles n’en semblent pas moins puissants. Rien ne dit que je sois capable, à l’intérieur de cette coque, de réaliser les mêmes prouesses physiques face à la bestiole qui continue son manège sous l’eau. Mais ça se tente quand même et je dois bien avouer que la ténacité du vieux à ne pas lâcher prise est plutôt motivante.

                      -Bblblb…blbl…blblbl

                      Quelques bulles remontent à la surface des eaux toujours agitées avant qu’Archi ne jaillissent hors de l’eau pour retomber sur la barque, juste à côté de moi, les yeux exorbités par une terreur certaine.

                      -BWAAAAAAAAAHHHH…han, han…han, han…LACHEZ TOUT IMMEDIATEMENT BANDE DE CINGLES…VOUS VENEZ D’HAMECONNER UN EN…

                      Non, tais-toi Archi. Sans trop savoir comment, je réussis à me libérer une main pour bâillonner le poisson nettoyeur avant qu’il ne termine sa phrase. Cependant le mouvement n’est pas sans effet puisque l’autre bras, celui encore relié à ma ligne se tend tout à coup un peu plus brusquement sous les assauts répétés de notre adversaire du jour, m’entraînant dans un vol plané vers l’avant. Refusant de lâcher, mes doigts se resserrent un peu plus autour du manche tandis que l’autre main tente d’agripper un rebord salvateur. Juste avant de basculer par-dessus bord, je parviens tout de même à me rattraper, juste avant que la corde autour de ma taille fasse son office en me cisaillant le torse, à l’instant où elle me stoppe d’un coup net. Le gant de la main libre ne supporte pas la pression et se déchiquète dans sa presque totalité, laissant apparaître les palmures. Ce n’est vraiment pas le moment de se rajouter de la difficulté. Je fais au plus vite pour resserrer les doigts les uns contre les autres en espérant que Sergueï, trop absorbé par la lutte qu’il est en train de mener, n’a pas eu le temps de remarquer. Je me redresse difficilement, en utilisant toutes les parties libres de mon corps pour m’aider, repose les deux mains sur la canne puis chuchote à l’attention d’Archi, avant qu’il ne reprenne la parole.

                      -Regarde le Archi, est-ce-que tu as l’impression de voir le visage d’un homme qui a envie d’apprendre de ta bouche ce qu’il est en train de chasser ?

                      -NON MAIS J’VOUS DIS QU…

                      -Archi, non…je ne tiens pas à savoir non plus…ça rend tout ça encore plus excitant, non ?

                      Mon visage se tord dans un sourire qui se veut apaisant mais auquel se mêle la crispation de l’effort. Aussitôt après je m’enquiers de savoir si Archi à bien rempli sa mission, ce à quoi il me répond d’un hochement de tête affirmatif. Bien. Je peux reprendre ma marche vers l’arrière de l’embarcation.
                      Tout en tension musculaire, je me positionne au mieux, debout, les jambes tendus, les pieds contre les cales, le corps un peu en arrière, la main droite solidement cramponnée à la canne et la gauche sur le double moulinet, prête à faire jouer la bête avec le fil de pêche. Le travail de sape commence lentement. Tantôt dans tous ces états, l’animal est proche de me faire lâcher prise, tendant ma ligne à son maximum, la barque chavire en tous sens, se rempli de plus en plus, craque, mais ne rompt pas. Si le matériel tient, on a une chance. Puis tantôt il se calme et nous assure un moment de répit, donnant à la ligne un mou que je comble en tournant frénétiquement le moulinet.
                      Curieusement, l’animal ne s’est pas dirigé immédiatement vers le grand large. Nous sommes désormais sur l’autre versant de l’île, éloignés des côtes d’environs trois cent mètres. Un peu plus au large encore, un navire aux allures de bateau de pêche se tient là, immobile, voguant au gré des flots et sûrement à mille lieux d’imaginer ce qui se trame non loin de lui. Etrange. Que peut-il bien faire en mer aujourd’hui, alors que le festival de la pêche est l’occasion d’une journée de repos pour tous les habitants? En parlant du festival, le concours de pêche doit être terminé à présent. Je me demande bien à quelle place Maïna a bien pu terminer?
                      Pas le temps de réfléchir à tout ça que l’autre reprend de plus belle, apparemment pas encore prêt à nous séduire de sa trombine. Perclus de crampes, mon corps se tord de douleur. Mes mains se tétanisent autour de l’engin. Les veines sur mon front s’étirent, marquant là l’âpreté du combat. Mon estomac se noue, mon dos souffre de la fatigue et mes jambes ne me supportent plus que par l’intensité du défi qui nous est proposé. Aller Heïon. Sers les dents. On n’en est pas arrivé jusqu’ici pour lâcher maintenant.
                      Je consens un dernier effort pour agiter les bras de bas en haut, dans un rythme régulier, avec sans doute dans la tête un de ces espoirs qui sied si bien à l’irréel, juste quand la raison décide de s’éclipser au profit d’une folie qui n’admet aucune limite. Peut-être allais-je ainsi hypnotiser la bête, peut-être se demanderait-elle pourquoi le mouvement a soudainement changé et qu’elle monterait à la surface pour nous énoncer son mécontentement. Toujours est-il que désormais, si salut il y a, il résultera de cette improvisation.


                      -…Sergueï…désolé…je n’en peux plus…

                      A bout de souffle, je desserre progressivement mon étreinte plusieurs fois avant de reprendre prise, plus par réflexe que par acquis de conscience. Sans ressort, je ne représente plus un contrepoids suffisant et le nez de notre embarcation pique désormais dans l’eau, nous soulevant tous les trois sur l’arrière pendant que des morceaux de charpente s’arrachent ici et là. Une fois de plus, je remonte machinalement les bras.
                      Incroyable ! Dans un fracas assourdissant, la barque retombe sur la mer alors qu’à l’avant deux énormes yeux jaunes émergent, prêts à bondir par-dessus nous. Le poisson s’invite enfin à notre table et vu la taille de ses yeux, il semble être en mesure d’assurer le festin.

                        Ça fait combien de temps maint'nant que tu persistes ? Tu n'en sais fichtrement rien, tes os ravagés par la force de l'animal, tes mains lacérés par ta canne, tes guibolles abimés par les vagues venant s'y écraser. Il n'y a que ça qui compte. L'instant présent.

                        Survivre la seconde qui s'écoule, tenir bon, toujours, sans lâcher une once de faiblesse.

                        Le blondinet tente lui aussi de donner du mal à l'animal, et s'accroche comme il peut à sa canne. Sous sa carapace de jeune homme gringalet, il cache une force que tu n'aurai pas imaginé. La vie est ainsi, il ne faut jamais se fier aux apparences bien de trop traîtres. Toi, avec ta trogne de vieillard édenté et ce petit blondinet, vous faîtes face à une poiscaille dont tu n'oses imaginer la taille et alors que nombre de gaillards aux muscles sur-développés auraient déjà lâché prise, vous continuez cette bataille d'usure sans desserrer les dents. Mais le petit se fait avoir lorsqu'il tente de faire taire le minuscule animal et tu le mires voler jusqu'à l'avant du bateau sans rien pouvoir faire pour l'aider. La guss de poiscaille a décidé de ce moment pour faire parler sa rage et tu es obligé de puiser dans tes réserves pour ne pas laisser filer ta cane. Alors aider le blondinet...

                        Sauf que ton acolyte, il tient à la vie, et il a d'la ressource, à peine que tu le croyais parti pour une baignade qu'il se cramponne et réussit à rester le bateau. Sacré bonhomme, et sacrée idée que de s'accrocher. Faudrait peut être bien que parfois tu utilises ton cerveau pour aut'e chose que foutre des roustes, ça peut être utile parfois.

                        Ce gamin t’impressionne à toujours garder son sang froid et te fait même sourire lorsque tu l'vois perdre son gant de laine et que tu crois mirer quelque chose de plus qu'inhabituel. Tu es un peu surpris c'est vrai, qu'un homme puisse avoir des palmes aux doigts, mais ça te fait surtout bien marrer qu'il le cache comme une tare. T'as déjà entendu parler d'ces hommes poissons que les humains traitent avec autant de mépris que toi avec une bouteille vide. Mais si ce petiot est un de ceux là, tu as du mal à mirer l'idée de l'cacher comme si c'était une crasse. Faut être fier de ses différences que tu t'dis, et ça te fait éclater de rire, d'un rire érodé par l'alcool, les clopes et les années. Le jeunot va encore te prendre pour un fou, mais c'n'est qu'un détail, et le plus important se trouve encore devant toi, ou dessous. Tu n'en sais fichtrement rien.
                        Les heures passent ainsi à lutter toujours et à s'user les forces jusqu'à ce que seule la volonté vous fasse tenir encore debout. Tes mains crispés sont aux aguets, prêtes à saisir le harpon à ton moment. Tes globes quant à eux ne bougent plus depuis un moment et restent figées sur le devant de la coque, là où devra surgir à un moment ou un autre l'animal que tu te réserves pour le dîner.

                        C'est au moment où ta trogne croit la partie fini, celle où tes doigts sont au point de se briser que tu mires enfin la bête. De par les vagues se brisant et l'écume apparaissant à chaque instant, tu n'aperçois que deux yeux, immenses et sauvages, de la taille de ton poing qui te font face. Horribles, affreusement dangereux, mais excitant à souhait, car cette apparition signifie que le moment est venu de saisir ton harpon. Lâchant ta canne, tu empoignes l'arme sans te soucier des ampoules et autres détails qui parsèment tes poings et tu lances le pique aussi violemment que possible entre ses deux yeux .

                        C'est par un cri de rage et des mouvements aussi vifs que dangereux que la bête répond et tu sens bien que la coque craque bien de trop fort, elle ne pourra tenir si tu ne calmes par le monstre. Mais celui ci se déchaîne, c'est au palier de la mort que les forces sont les plus nombreuses. Lorsqu'il saute en dehors de l'eau, le harpon coincé entre ses deux globes, le temps manque à l'admiration de l'animal et tes pupilles ne peuvent se permettre un instant de mirer ton adversaire. Tu l'accompagnes dans son mouvement et au plus haut que tes guibolles peuvent voler, tu hurles un Skull's Rage des plus mauvais et enfonces ta trogne dans le haut du front ensanglanté de l'animal.

                        Le choc est rude, violent et sa tête aussi dure que du métal. Lorsque tes guibolles retouchent la coque du navire, elles ne peuvent amortir la chute et tu te retrouves allongé au milieu de la barque, mi conscient, un sourire ébété aux lèvres.


                        Dernière édition par Sergueï Suyakilo le Mar 3 Jan 2012 - 11:02, édité 2 fois
                          Fourbu, haletant, c’est étendu sur le dos que j’assisterais à la scène suivante, impuissant quant au devenir de notre entreprise. En spectateur averti, je m’efforce de garder les yeux ouverts pour ne rien manquer de ce qui va suivre, ne rien manquer de ce moment privilégié où l’on découvre enfin le fruit du travail accompli, après plusieurs heures acharnées, parfois déçu de ce que l’on trouve, souvent émerveillé par la découverte.
                          Plus vaillant que moi bien que sévèrement étourdi lui aussi, Sergueï a pris le relai. Admirablement je dois dire. La tension monte encore d’un cran. Le face à face final est proche. Sur le rebord de l’embarcation, Archi hurle ses encouragements en faisant claquer ses nageoires l’une contre l’autre. J’aurais presque envie d’en faire de même, mais ce qu’il me reste de forces ne me le permet pas. Seul face à la bête, le vieil homme est tel le marathonien qui entre dans le stade et aborde la dernière ligne droite sous les clameurs d’une foule enthousiaste et admirative. Car il n’y a pas doute là-dessus, admiratif, je le suis. Sous son air grincheux et désinvolte, le vieux possède d’étonnantes ressources agrémentées d’une bonne dose de volonté.

                          L’animal s’envole enfin. J’attends impatiemment l’instant où il m’apparaîtra entièrement. Cela ne tarde pas et force est de constater qu’il répond à toutes mes attentes, et même au-delà. D’une longueur que j’estime à une bonne dizaine de mètres, il n’en est pas moins large et gros pour autant. Son corps est recouvert d’une peau écailleuse de couleur verte, parsemée ici et là de reflets argentés. Deux immenses antennes dentelées s’élèvent juste au-dessus des deux globes jaunes aperçus quelques instants avant et, singularité du monstre, le sommet de sa tête ainsi que sa queue sont recouverts d’un épais duvet de plumes multicolores. Enfin, sa bouche, de laquelle ressortent quatre canines acérées qu’il expose fièrement, est surmontées d’un bec rappelant celui du toucan. Je reste béat d’admiration devant le spectacle que m’offre l’instantané, parvenant même à me faire oublier notre objectif un court moment. Les yeux mi-clos, je tente tant bien que mal de les garder en alerte mais l’insistance de ces satanées paupières à se fermer inexorablement en devient presque pénible. Je tente de me redresser pour aller filer un dernier coup de patte à mon compagnon de jeu. Malheureusement, mes jambes sont au moins autant ankylosés que mes doigts sont perclus de crampes, tétanisés autour d’une ligne qui ballade maintenant mes bras au bon vouloir de la prise qui s’agite à l’autre extrémité.
                          Une ombre s’étend rapidement sur mon corps. D’un bond audacieux, Sergueï entre dans mon champ de vision pour finalement se situer en hauteur, à mi-chemin de notre adversaire et moi. L’autre continue sa progression en l’air. La rencontre entre les deux est désormais inévitable et l’assaut qui va suivre conclura probablement la chasse. Dans un sens comme dans l’autre. Sergueï face au représentant des océans. Le vieil homme et la mer !

                          Le choc est frontal. Violent. Bruyant même. Les vagues donnent l’impression de se figer, la mer de s’apaiser, stoppant son vacarme pour elle aussi contempler l’action. Epoustouflant, le coup de tête du barbu semble venu d’ailleurs mais le poisson y fait face de toute sa hargne. Les protagonistes restent suspendus en plein vol, sans broncher, immobiles comme pour immortaliser l’instant. Comme si le temps lui-même ne souhaitait pas les départager. Pourtant la réalité finit par reprendre son décor originel.
                          Quelques gerbes d’écailles ensanglantées viennent moucheter ma toge. La bête, sonnée, retombe en chute libre apparemment inerte tandis que Sergueï est repoussé au fond de la barque, juste à l’endroit où je me tiens. Peut-être là sa façon à lui de me faire partager la violence du coup précédent. Préservé jusqu’alors, c’est à présent mon estomac qui me fait souffrir pendant que sous mon dos la barque se fissure un peu plus. Dans un sourire ironique et crispé à la fois, la voix étouffée par une respiration suffocante.


                          -Merci, c’est gentil de me faire participer…

                          Je ne peux empêcher l’éclat de rire nerveux qui s’ensuit. Mais pas le temps de profiter de ce qui semble être une victoire que mes bras s’étirent d’un coup sec. L’animal est retombé à l’eau, vaincu, mais pesant à présent de toute sa masse, tel un poids mort. Une voix intérieure m’intime l’ordre de lâcher. Si la tentation est grande, il est hors de question que les efforts de mon partenaire restent vains. La corde autour de ma taille reste salutaire et me permet de rassembler quelques forces pour hisser le monstre jusqu’à nous.

                          -Sergueï…j’aurais bien besoin d’un p’tit coup de main s’il vous reste assez de forces…

                          Cinq minutes d’efforts supplémentaires, accompagnées des encouragements d’Archi, et la prise est à nos côtés. Je m’effondre à nouveau en arrière, les bras en croix, barbotant dans vingt centimètres d’eau qui me réchauffent le cœur, en pensant à la tête que fera Maïna en découvrant notre prise. J’observe Sergueï encore une fois puis plonge mon regard dans le sien, un sourire réconfortant aux lèvres.

                          -Merci…content d’avoir traversé cette épreuve en votre compagnie…
                            Le choc a été d'un rude, d'un effroi, entre le claquement de deux crânes plus durs l'un que l'autre, mais tu crois bien que ta caboche a fait taire le monstre t'ayant épuisé durant tant d'heures. Allongé près du gentil gringalet, tu tentes avec beaucoup de difficultés de retrouver un grain d'esprit, un grain de force pour te rehausser à hauteur d'homme. Le front déjà couvert d'un imposant hématome bleuis, tu accompagnes le blondinet dans sa boutade, plus crispée que réellement drôle, mais les nerfs épuisés par le combat y trouvent le meilleur moyen de se décrisper.

                            -Sergueï…j’aurais bien besoin d’un p’tit coup de main s’il vous reste assez de forces…

                            De la force ? T'as beau creuser tant bien qu'mal, elle se cache bien cette charogne quand elle le veut, mais ce n'est pas la demande qui te donne ce sourire las moitié amusé mi crispé.


                            _Écoute moi p'tit, les vieux cons dans mon genre, faut pas hésiter à les tutoyer. Allez donne moi un peu d'corde que je t'aide.

                            Hissant avec le blondinet le mastodonte sur votre coque de noix, tu mires une autre embarcation que tu n'avais jusque là pas remarquée. Tu hésite à leur demander de l'aide au bout d'une ou deux minutes mais ta fierté en prendrait trop dans le ventre, et puis les encouragement d'un minuscule poisson t'aident à tenir tes guibolles et à garder tes mais cramponnées à la corde.

                            Une fois le monstre installé sur la coque, il ne vous reste plus qu'à virer à coup de seaux d'eau toute l'écume ayant logé domicile entre les lattes de bois. C'est toujours ainsi la vie que tu t'dis, même lorsque tu penses avoir fini, une autre besogne vient s'y peller et tu te retrouves encore à trimer. Alors tu prends ton seau et tu commences à l'remplir et à le vider, et à recommencer, encore et encore jusqu'à ce que tu puisse poser ton derrière sur la coque sans risquer d'y finir noyé.

                            Ça valait le coup quand même, voilà bien vingt minutes que votre combat avec la bête est fini, mais ton sourire ne s'est toujours pas décidé à disparaître, et un doux goût de plaisir réussi continue à faire saliver tes babines. Au moins, ces vacances n'auront pas été aussi ennuyantes que tu l'aurai cru.


                            _Bien joué les p'tiots. Reste plus qu'à fêter ça avec une assiette brulante remplie à ras bord, d'la musique jouée par un accordéon d'passage et d'la bonne humeur comme j'en ai vu à perte d'vue au début du tournoi. Ça marche pour vous ?

                            Pour sûr que l'minuscule animal accepte. C'est à peine s'il ne piaffe pas d'impatience, tell'ment pressé de retourner dans un endroit bien plus paisible.

                            C'est une journée qui se finit bien.