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Livre d'or. Règles I et II


Un jour où l'autre, il faut trouver le courage de prendre son destin en main. A force de ne pas prendre de décision, on risque de marcher en arrière plutôt que d'aller de l'avant. J'ai dix sept années de vie maintenant, alors il est temps. Je ne resterai pas sur cette île où la seule chose à faire consiste à labourer les champs et vider des bouteilles de rhum. J'ai du courage, mais surtout de l'ambition. Celle d'être un jour respecté, tel que je suis. Celle d'être reconnu pour ce que je suis et non ce que je parais.

Alors je pars. Sans un regard en arrière. Je plonge dans l'océan en espérant pouvoir un jour arriver à Logue Town. La ville du possible, celle là même où je pourrai me construire. Mais pour cela, il me faut des billets verts, car l'argent n'est rien d'autre que l'essence du monde, et sans elle on ne peut rien. On ne vaut rien. Alors je pars pour « J'En froquais », la plus grande des fermes d'East Blue. Des rumeurs disent que l'on peut y gagner pas moins de 30 000 berrys par jour. Peut être suis je naïf d'y croire, sûrement même, mais des opportunités comme celle ci, on n'en a que trop peu dans une vie. L’appât du gain est trop fort, cette fichue monnaie attire l’œil jusqu'à rendre fou, elle pousse à prendre des décision que trop peu raisonnables. Mais la raison, je la jette, et ce depuis longtemps.

Si je suis à nager ainsi, vers un futur inconnu, c'est aussi pour cette raison. Mon organisme crie à l'action, mes mains veulent se confronter à des difficultés. Certains appellent cela le besoin d'aventure, je dirais plutôt le besoin de vie. Des années gâchées à ne rien faire de dangereux ne sont bonnes qu'à lapider d'injures. Je ne suis pas de ces hommes qui se cachent dans leur confort, dans leur lâcheté.



Mes pieds foulent enfin le sol après deux jours de nage à se nourrir de planctons et autres petits animaux. Ce fut un retour aux sources. J'observe maintenant le paysage à l'aide de mes yeux ankylosés par l'eau de mer, rougis par la fatigue. En espérant devoir rester ici le moins longtemps possible.  Un No Man's Land. Une grande plaine où un nombre incommensurablement grand de porcs broute ci et là. Des centaines, des milliers, je n'en sais rien mais je ne pensais pas un jour en voir autant au même endroit. Un amoncellement, c'est le mot. C'est à peine s'ils ne se trouvent pas les uns sur les autres, à se noyer au milieu de la bouse.  Au centre de l'île faisant plusieurs hectares, j'aperçois un grand bâtiment blanc, sans fenêtres, seule trace de vie humaine. De cette battisse je crois apercevoir une ombre s'approchant. Je suis obligé d'écarter mes pupilles à l'aide de mes doigts boursouflés. C'est bel et bien un homme, ou une femme, ou tout du moins un animal à deux pattes. N'ayant plus qu'à attendre, j'allume un cigare caché dans mon sac à dos hermétique. Cette bouffée redonne enfin des sensations à mes narines embrumées. Les minutes passent ainsi tandis que l'ombre devient peu à peu compréhensible de mes petites pupilles. L'animal est un homme âgé d'une vingtaine d'années, aux traits tirés et à la mine renfermée, il tient bien en évidence une arme à feu en bandoulière. Arrivé à ma hauteur, le soldat prend la parole d'un air très peu sympathique, voire méfiant. C'est à peine si je sens une once de respect dans sa voix. Je devrais avoir l'habitude de par ma race et pourtant...

_Salut la poiscaille, j'sais pas bien ce que tu fous ici, mais l'tourisme est interdit.


_Mmmh... On raconte que cette île offre du travail.


_Ah ouep c'est p't'être bien vrai. Mais c'est p't'être aussi vrai qu'on n'aime pas trop les hommes poisson par ici.  M'enfin suis moi.

Mes jambes se mettent alors à suivre ce drôle de petit homme à l'air si supérieur jusqu' à arriver au niveau du grand bâtiment.

Le jeune soldat me fait alors entrer dans une pièce des plus somptueuse où un homme est installé. A ma vue, celui que je prends pour le propriétaire de l'île ne peut s'empêcher de faire briller de mille et un berrys ses yeux globuleux. Les cheveux vieillis par les années et un costard passé de mode depuis bien de trop longtemps font de l'être en face de moi un petit humain bien étrange. Au bout d'une courte discussion, je me rends tout de même vite compte de l'horreur de son âme.  Assis dans un fauteuil bien de trop grand pour lui, il me tend un papier à l'écriture illisible.

_Ahahah une bête comme toi, ça va bien aider les affaires tiens. Signe là et t'es engagé.

L'observant d'un air méfiant, je ne peux m'empêcher une remarquer.

_Mmmh... Navré de vous poser cette question, mais... Quel sera mon salaire ?

_Ici, on travail avant, on pose les questions après.  Les bavettes, c'est pour les fainéants pas capables de supporter l'travail. T'es venu ici pour trimer non ? Alors signe et dégage.


Dernière édition par Ishii Môsh le Jeu 20 Mar 2014 - 11:33, édité 1 fois
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Ici, c'est la maison des regrets.

Je ne vais pas vous parler de joie. Ni de bonheur, parce qu'ici on ne connaît pas ça. Non Monsieur. Ici je vais vous parler de la labeur que nous a confié quelques coups du sort. Ici, je vais vous parler de la survie d'une poignée hommes que Madame la chance n'a jamais décidé de gâter. Oui Monsieur.

Ici, c'est la maison des regrets.

Je m'appelle John. J'ai perdu mon nom de ma mémoire, et avec, toute trace d'une vie qui aurait pu être la mienne. Je m'appelle John, et ce dont je vais vous parler, c'est la seule chose que je connaisse.

C'est la maison des regrets.

La première chose qui frappe en entrant, c'est le bruit. Il y a le son des engrenages qui frappent les uns contre les autres. Il y a les Den Den ventilateurs qui brassent leur boucan jusqu'à manquer d'écorcher les oreilles dans leurs énormes becs.

Et puis... Lorsque nos lobes commencent à peine à pleurer leur horreur, il y a l'odeur. Immonde. Et pourtant, les murs blancs lavés chaque foutue journée de labeur sont récurés, frottés, jusqu'à briller de mille lumières. Mais c'est comme si le sang, la pisse et toutes ces choses qu'on ne voudrait pas savoir avaient imbibé les pans de murs, les plaques d'acier et les outils jusqu'à couler leur odeur au plus profond des machines.

Ici, c'est la maison des regrets.

Parce qu'on ne vient pas ici par hasard. On ne vient pas ici par envie. Et parce qu'à chaque moment passé, parce qu'à chaque seconde qui coule, il y a le passé, le présent et les pensées qui inondent l'esprit de leurs regrets. Les carcasses de porc qui passent devant nos yeux, celles là mêmes que l'on doit cogner, trancher, couper, on les frappe de nos lames et l'on frappe par la même notre vie que l'on haït.

Ici c'est la maison des regrets.

Mais des regrets cachés, sournois, ceux qu'on ne dit pas. Parce qu'ici la vie est trop dur pour encore se plaindre. Alors on rie parfois, on sourie rarement, comme pour faire semblant que même ici, le bonheur pourrait venir toquer à notre porte. Mais non Monsieur. Non. Ici le bonheur n'existe pas. Parce que...

Ici, c'est la maison des regrets.

Et même si dans cet abattoir ce sont les porcs que l'on tue, c'est notre vie que l'on vient perdre ici. Il y a bien quelques uns qui rêvent encore. On le voit à des sourires qui se perdent entre deux coupes de rognons, entre deux tranchages de moelle, entre deux arrachages de tripes. Et puis la chaîne s’arrête avec les espoirs qui s'envolent en même temps que les porcs disparaissant derrière une porte réfrigéré.

Ici, c'est la maison des regrets.

Les esprits sont réglés au rythme de la chaîne. Et les gestes eux, sont comme naturels, comme si les corps n'avaient jamais fait que cela. Les muscles se crispent, se rongent et s'abîment parce qu’aucun homme ne devrait faire ça. Les esprits se bourrent, se ferment, deviennent fous. Parce qu'aucun homme ne devrait faire ça. Et pourtant ils continuent, inlassablement. Qu'importe les douleurs ! Qu'importe les maux ! Qu'importe les maladies ! La chaîne, elle, ne s’arrête que lorsqu'elle le souhaite.

Ici, c'est la maison des regrets.

Alors lorsqu'un changement vient, et il en vient peu, les cœurs se bouleversent. Ici, on n'aime pas le changement, non Monsieur. Parce qu'on a appris à ne plus croire en rien. Et à chaque fois qu'une nouvelle chose arrive, qu'une nouvelle recrue apparaît, on se dit qu'elle sera pire que la précédente. Qu'elle nous fera plus mal encore que l'on ne souffre déjà. Les nouveaux, eux, c'est le pire. Ils arrivent la bouche en cœur en braillant qu'ils ne sont que de passage. Ils chantent leur bonheur et leurs espoirs comme s'ils avaient encore une chance. Mais ici, il n'y a pas de sortie.

Non Monsieur, ici, on ne sort pas. On ne fait que rentrer pour enfermer nos cœurs et nos corps aux machineries et aux carcasses puantes de porcs. Alors la nouvelle recrue, elle nous fait bien marrer. Et même si elle change, même si elle ferait peur à n'importe qui, nous on sait. Oui Monsieur. Nous on sait qu'elle fera comme les autres. Peut être qu'elle sera plus lente, peut être qu'elle prendra plus de temps. Mais elle finira comme nous, avec le corps cassé et l'esprit plein de regrets.
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C'est la pause. Celle on l'on repose nos jambes flageolantes sur les bancs. Celle où nos guibolles peuvent enfin ne plus supporter le poids de notre corps. Celle où nos oreilles abîmés respirent enfin le calme du vent. Ce midi, le ciel nous nargue. Il nous choie d'une jolie horizon toute bleu. Il met de la couleur là où on ne voit plus que des teintes de gris. Et le nouveau, le Monstre hideux, il vient couper le silence des cœurs.

-Hmm. On ne mange pas, ici ?

J'ai toujours eu pitié de ces nouveaux. Ils ne savent pas. Ils ne savent pas comme ils se sont trompé en venant ici.

-Non M'sieur. Ici, on attend le soir pour recevoir sa pitance. Et c'est quand on a bien trimé.

-Hmm. Moi c'est Ishii.

-D'accord, M'sieur. Moi c'est John.

Et la journée reprend. Et l'effort continue. On trime comme des fous à couper, effiler, découper, tailler ces carcasses de viandes qui s’enchaînent si vite, si longtemps, que l'on ne finit par ne plus pouvoir les compter, par ne plus vouloir tenter de comprendre le temps qui s'écoule plus lentement encore au fur et à mesure qua la journée avance. 1 000 . 5 000 ? Plus sûrement 10 000 carcasses s’enchaînent ainsi les unes après les autres, passant devant nos yeux en quelques secondes avant de voir arriver une autre.

Et puis lorsque nos corps n'en peuvent plus. Lorsque nos épaules pleurent ces mouvements trop répétitifs pour n'importe quel homme, la chaîne s’arrête. Et sans un mot, sans un geste inhabituel, les hommes se mettent au ménage. Ils récurent leurs lames, frottent les murs, les sols, nettoient les machines. Une heure durant, les gants de mail sont remplacés par ceux de femmes de ménage.

Alors enfin, et seulement à ce moment, on sort dehors, profiter des derniers rayons. Un homme sort une bouteille monnayée une fortune et sert à chacun son lot de bonheur. Un autre distribue les boules de fer. La pétanque commence. C'est drôle comme chaque journée qui commence, notre cœur n'attend que ce moment. Celui où le soleil vient taper sur notre crâne, où notre gorge se brûle sous l'alcool immonde et où, sans un mot, on joue. C'est un jeu simple qui ne demande que quelques paroles pour faire les équipes. C'est un jeu simple où entre chaque fois où l'on doit tirer, nos jambes peuvent s'allonger sur la pelouse pleine de merde.

Là, quelques heures avant, les porcs s'entassaient les uns contre les autres avant de voir leur jour se terminer. Et maintenant, c'est notre tour de laisser couler les heures. Chaque gorgée d'alcool prise est comme un rêve qui s’évanouit peu à peu. On le savoure, on trempe d'abord nos lèvres dans le liquide qui vient brûler les gerçures pour ensuite laisser notre langue lécher les babines. Et puis, peu à peu, on avale en faisant bien tourner le liquide dans notre gorge pour mieux s'en délecter. Comme c'est agréable, on se sent un peu saoul. Et nos jambes ne flageolent plus seulement à cause de la fatigue du corps. Et notre esprit se vagabonde dans des pays qu'on ne connaissait pas. Alors même si l'on ne tire plus droit nos boules de pétanques, même si nos langues se délient encore moins, on savoure ce pré de verdure en oubliant les tas de merde qui l’inonde. On savoure ce bout de soleil en oubliant que ce sont les derniers d'une journée que l'on n'a pas vécu. On regarde les corps des uns et des autres et on aimerait s'embrasser en se donnant des prénoms de femmes. De celles qu'on a aimé un jour et dont parfois on a même oublié le visage.

Je me suis allongé, j'ai joué toutes mes boules. Le Monstre lui, n'a pas participé. L'est resté en retrait avec son cigare de bloqué sur les lèvres. Il vient étirer ses jambes à côté des miennes et en profite pour me questionner. Drôle comme chaque nouveau peuvent être curieux. Comme ils aiment savoir ce qu'on fout là, ,ous aussi. Mais drôle aussi comme ils n'osent jamais. Ca se voit à leurs langues qui se tournent dix fois dans leur bec sans qu'aucun mot ne sorte. Ils ont peur d'être bête, envie de passer pour plus fort qu'ils ne le sont. Mais pas lui, non. Pas le Monstre. Lui donne l'impression de s'en foutre de ce que l'on peut penser de sa grande gueule. Comme si le Monde tournait et que lui, en retrait, tentait de comprendre son fonctionnement. Alors je lui réponds. Je lui en pose même certaines.

-Et ta fille, Hmm... Tu as des nouvelles ?

-Non m'Sieur. Ici on n'a pas de nouvelles des autres. Je lui envoie juste quelques billets tous les mois. Et toi, famille ?

-Hmm. Oui j'ai une mère sur une petite île. Mais je lui donnerai des nouvelles que rendu à Logue Town.

-Oh. Héhé. M'Sieur a de l'ambition.

-Hmm. Oui. Tu pourrais en avoir aussi. Tu es là depuis 10 ans, c'est ça ?

-Yep M'Sieur. 10 années de labeur.

-Hmm. Tu sais... En dix ans. La marine a oublié, hein.

Je reste coi. Comment il sait ça ?


Dernière édition par Ishii Môsh le Lun 24 Mar 2014 - 16:03, édité 1 fois
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-Non. Je te le jure, M'Sieur. Je n'ai jamais voulu de cette vie. Mais l'armée, elle, elle m'a détruite. Elle m'a pris gosse et femme. En échange, elle ne m'a donné que le sang d'hommes que je ne connaissais pas. Elle ne m'a donné que des mains sales et un cœur lourd. Alors oui, j'ai fui, M'Sieur. J'ai fui ces guerres que je ne comprenais pas, que je ne voulais pas comprendre. J'ai fui tout ça en emmenant avec moi rien d'autre qu'un cœur déjà lourd. Mon corps lui, pouvait. Il savait se battre bien et donner la mort vite. C'est mon crâne qui ne pouvait pas suivre tout le sang que je semais sur ma route. C'est lui qui s'est refusé un soir de trêve à de nouveau frapper sur des corps en vie. Alors oui, aujourd'hui encore je saigne, mais ce que je saigne est mort. Tous ces porcs, toutes ces carcasses qui s’enchaînent ont déjà perdu la vie.

Alors non, m'Sieur, ce n'est pas pareil. Non m'Sieur, ça ne revient pas au même. Et malgré tout ce qu'on pourra dire, malgré tout ce qu'on pourra penser, je le jure. Je le jure sur mon gosse et sur ma femme que ce que j'ai fait, c'est ce que je croyais juste.

Alors oui ici c'est dur, ici je saigne mon cœur chaque jour de labeur .Mais avant... Avant c'était pire. Je me rappelle encore ces camps de rebelles qu'on attaquait. Je me rappelle encore tous ces gamins qui savaient à peine porter une arme et qui mourraient déjà. Ils se faisaient tuer pour avoir voulu défendre un autre chose sans même qu'on leur laisse comprendre ce qu'était la vie. Ce qu'était l'amour d'être avec une femme, d'avoir un gosse, de sentir l'alcool nous dégriser en même temps que les rayons du soleil. Et ces gamins là, ceux dont le sang tache encore mes mains, c'est pour eux que j'ai fui.


J'ai les jambes qui tremblent pareil que mes mains. J'ai la gorge sèche. Mais lui, il ne réagit pas. Il tire juste un peu sur son cigare qui se perd sur ses lèvres. Et puis il s'en va.


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Peut être qu'il a sû rapport à ma manie de toujours dire « M'sieur » comme au temps de l'armée. Peut être que c'est ma coupe de cheveux taillée à la militaire ou plus sûrement mon tatouage sur l'avant bras qui l'a mis la puce à l'oreille. A vrai dire je ne le saurai jamais. A vrai dire ça n'a pas d'importance. Parce qu'ici M'sieur, les souvenirs ne sont que de vagues images qu'on se trimballe dans le crâne pour oublier les longues journées qui s'écoulent. Et quand je me retrouve là, dans mon lit, quand je me retrouve au milieu de la dizaine d'hommes qui ronflent et ronflent encore. Quand je me retrouve à entendre ce vacarme avec les rats qui courent le long du plancher et les anges qui se marrent en me voyant pleurer, je pleure encore.

Oui M'sieur, je pleure.

Parce que ce foutu Monstre m'a fait revivre des choses qu'on n'aimerait pas revivre. Parce qu'il m'a rappelé à un passé qui redevient, l'espace d'un instant, réel. Et cet instant là, où je revoit les longs cheveux bruns de ma femme et ceux, plus court, plus brouillons, de cet enfant que je ne connaîtrai sûrement jamais, je pleure encore des larmes silencieuses. Et c'est une rivière calme qui coule le long de mes joues. C'est une rivière sans but qui coule et coule encore sans jamais s’arrêter. Et quand je m'endors, trop harassé pour encore ouvrir les yeux et continuer à penser à ces choses qui me font mal, je pleure encore.

Le matin, c'est la sonnerie immonde qui nous réveille tous. Elle nous hurle de nous lever et nous, qui sommes les moutons du pays des porcs, on obéit. On ne se parle pas, M'Sieur. Non, on ne se parle pas pas parce que nos langues sont trop rugueuses et fatigués de cette nuit noire pour oser s'ouvrir. Et parce qu'ici les mots se répètent trop pour oser en gaspiller. Alors on se replonge au pays des rêves en tentant de penser à de drôles de choses qui nous donneront le sourire. On s'asperge d’eau glacée pour nous réveiller le corps avant de repartir trimer. On lime nos outils sans même s'en rendre compte parce qu'ici ce n'est plus le corps qu'obéit au cœur mais le corps qui divague bien loin de l'esprit.

Et les heures, et les jours. Et les mois passent. Et le Monstre, lui, tient.

Je le vois sur la chaîne à devoir faire le travail de deux hommes. Je le vois manier l'épée, et la hache en même temps avec ses épaules qui se déboîtent pour tenir la cadence. Je vois sa langue pendante et son visage blanchâtre qu'a perdu la couleur de la vie. Je vois tout ça et je me dis qu'au final, il devient comme nous. Il parle moins. Plus. Ses épaules se voûtent à chaque fin de labeur. Son ventre gras perd en formes pour ne plus qu'être plat, carré. Et ses yeux presque à moitié fermés ont perdu en vie pour ne plus qu'être deux minuscules boules noires, tristes.

Ce n'est plus qu'un homme sans vie. Comme nous.

Je ne sais pas si ça me rassure ou si ça m'attriste. Je ne sais même pas s'il tiendra encore longtemps. A sa mine cassée, à ses gestes plus lents, à la voix du contre-maitre qui braille sur son dos, je me dis qu'il fera bientôt parti des autres. Les autres, ce sont ceux qui sont morts, qui n'ont pas tenu. Qui un jour se son cru forts et le lendemain n'étaient plus. Les autres, ce sont tous ces gens là qu'on a croisé un jour ici et qui le lendemain avaient disparu.

Je lui ai dit de partir, hier. Mais il a dit non. Je crois bien qu'il a dit non par lâcheté et pas par envie. Comme nous tous. Parce qu'ici, ce qui nous manque c'est le courage. Celui de se dire que la vie ne se résume pas qu'à ces porcs. Mais on l'oublie vite, ici. On devient lâche au fur et à mesure que les jours se passent. On se dit que faire machine arrière n'est plus possible. On se dit qu'ici c'est pas pire qu'ailleurs et qu'au moins, on gagne notre beurre.

Mais c'est faux. C'est ce qu'il a voulu me dire.

Il est 9 heure pétante. Il est 9 heure et c'est instant là que choisit le Monstre pour me dire sa manière à lui de penser.
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Arvey, c'est l'épée. Arvey, c'est celui qui dit.

Et quand Arvey dit, on fait.

Parce qu'Arvey, il ne se répète pas. Non Monsieur. Ou quand il le fait, c'est avec son bâton qu'il frappe. Sur les épaules, dans le dos, sur le crâne, sur les rotules. Partout où ça fait mal.

Arvey, il frappe avec précision, si bien qu'après le premier coup, le rythme qu'on avait perdu se retrouve en un instant.

Arvey, c'est l'épée. Arvey, c'est celui qui braille.

Et quand Arvey braille, on fait.

Parce qu'Arvey, il ne parle pas. Non Monsieur. Ou quand  il parle, c'est avec postillons, et hurlement. Aux oreilles des pauvres hommes. Avec aplomb il hurle ses ordres.

Arvey, il braille avec rage, si bien qu'après le premier cris, le rythme qu'on avait perdu se retrouve en un instant.

Et quand il ne braille pas, quand il ne frappe pas (ça arrive rarement), il observe. Il a son œil surnois qui se jette sur nos gestes. Il a son regard qui se promène dans nos dos avec ses pas qu'on n'entend pas. Parce qu'avec le vacarme des machines, ici, on n'entend plus rien. On a les oreilles qui siffles et qui souffres. Mais pourtant, on sent quand même sa présence, dans nos dos, on le sent arriver comme le lièvre sent le renard l'épier. On a les oreilles qui monte, le dos qui se tord et on agite nos bras pour retrouver le rythme de la chaîne, pour éviter le bâton.

C'est drôle d'ailleurs, parce qu'Arvey, il ne fait pas peur. Il est tout petit. Tout chétif. Et son regard de bonet se promène sur nous comme celui d'un gamin un peu perdu.

Mais Arvey, lui, contrairement aux gamins, il frappe.

Il a souvent la goutte au nez, Arvey, et lui il aurait le temps de se moucher pour éviter que la morve ne dégouline. Pas nous, non nous on n'a pas le temps. Mais lui, si. Sauf qu'il ne le fait. Et ses joues toutes pleines de taches de rousseurs finissent souvent à la fin de la journée toutes jaunis. Mais Arvey il s'en fou. Lui il est au dessus de ça.

Parce qu'Arvey, il est fou.
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Il gueulait pourtant, le Arvey. Il braillait de sa petite voix et de son gros sourire. L’avait le sourire niai de celui qu’et fier de faire ce qu’il ne comprend pas. Il braillait ses ordres avec ses mains qui se perdaient dans l’air pire qu’un chef d’orchestre.

Mais d’orchestre, Arvey, l’a jamais rien vu.

L’a jamais rien su non plus le Arvey. Et c’est peut être cette bêtise-là qui l’avait gardé en vie.

C’était le bordel comme en grand jour. Il y avait le capharme du métal contre métal, grinçant, qui s’insinuait entre les oreilles pourtant bouchonnées pour nous arracher des grimaces d’énervement. Il y avait l’enclume du gros Baril cognant contre les sabots dans une gerbe de sang, résonnant entre les quatre coins de l’usine à chaque seconde passant. Il y avait les groins de porc braillant leurs morts avec toute la force qu’il leur restait, eux qu’étaient saignés de tout le dos et qui se pissaient dessus en attendant que la faucheuse n’abroge leur douleur.

Mais ce silence là, ce n’était pas le pire.

Non le pire c’était le silence d’après. C’était le silence qu’a suivi la gueule d'Arvey percuté de plein fouet par un poing de géant. Quand la gueule d'Arvey s’est retrouvée coincée entre deux gerbes de sang, on ne savait plus si c’était le sien ou celui d’un porc. A vrai dire on se retrouvait comme ce con à ne plus savoir ni pourquoi ni comment. Pourquoi la chaine était arrêtée. Pourquoi il n’y avait plus aucun bruit. Pas même une voletée de mouches attirées par le sang. Et puis comment. Comment le Monstre allait pouvoir se sortir de cette ânerie qu’il venait de faire. Et je dis « ânerie » parce que je suis poli. Oui Monsieur. Je suis poli.

Je crois bien qu’on s’est regardé un long moment. Nos yeux filaient de gauche à droite comme ceux d’animaux en cage qui se rendent compte que le maitre est mort et qui ne savent s’ils doivent fêter la liberté ou pleurer la sécurité. A vrai dire on n’en savait rien.

Non Monsieur. On n’en savait rien.

Le géant lui non plus ne parlait pas. Mais lui, ce n’était pas qu’il n’osait pas. Ni même qu’il ne savait pas quoi faire. Non, je crois bien qu’il le savait pertinemment et je crois bien même que ça m’en donnait des frissons dans le dos qui remontaient jusqu’à la colonne. Alors quand il s’est levé et parti sans un regard en arrière je n’ai pas pu m’empêcher de le suivre. D’abord du regard. Puis du pas. Il avait à peine une dizaine de mètres d’avance. Je l’ai vu sortir de l’usine pour entrer dans les bureaux. Je l’ai vu claquer la porte et disparaitre. Et cette porte là que j’ai ouverte à peine une dizaine de secondes plus tard, je l’ai ouverte pour trouver deux corps saignants d’hommes. Et plus je continuais et plus je trouvais d’assommés. Non pas de morts Monsieur. D’assommés. Ils avaient la gueule en sang et le cœur en lambeau mais je voyais bien des petits souffles qui se perdaient pour me dire qu’ils en verraient d’autres. De jours.

Et puis je l’ai vu, le géant. L’était dans la salle des coffres à se remplir les poches. Il m’a miré d’un œil avant de me lancer une liasse.

« Ça c’est pour ton bon travail ».
Et une autre.

« Pour les jours de retard ».

Une encore.

« Les congés sans soldes ».

Une dernière.

« Les couts de transport ».
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