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Never Loved a Girl

Une fumée s’élève à la fenêtre et s’échappe, s’estompe au contact de l’air, se fond dans les limbes nocturnes. Elle s’évade, indicible, insaisissable et pourtant réelle. Ephémère inoubliable, qui s’éloigne pour disparaitre. Blanche comme la lune, un caractère sombre comme le soir. Elle n’est vue que par ceux qui prennent le temps de le vouloir. Elle n’existe que parce qu’on veut bien qu’elle existe. Elle est là, même si l’on ne le sait pas. On la devine sans la toucher. On la sent sans l’aimer. Elle est de ces choses impalpables que l’on désire pourtant voir, parce qu’elle est fragile dans sa force, belle dans sa douleur. Elle est comme ces femmes que l’on croise dans une ruelle et qui s’évapore dans la suivante. D’une beauté insoutenablement simple, qui attire l’œil l’espace de quelques secondes pour marquer à jamais. Par instant, leurs démarches gracieuses reviennent en tête, dansant sur nos rêves de ce même pas léger, pour ne rester qu’une inconnue parmi tant d’autre.
Une inconnue comme moi.
Pour lui. Pour elle.

But you didn't have to cut me off
Make out like it never happened

Adossée à ma fenêtre en regardant le soir, l’horloge de la chambre ou je loge marque l’heure avancée de la nuit. Aussi le sommeil que je ne trouve pas. Je constate. Et le constat fait mal. J’ai perdu. Beaucoup. Beaucoup trop. En trop peu de temps. Je m’essouffle. Je fatigue déjà alors que mon aventure est à peine lancée. Et ce que la vie m’a enlevé au cours de ces dernières années ; je compte les minutes que j’ai perdues sans être auprès de ma fille. Quelques mois déjà, sans avoir vent de son existence. Ce qu’elle fait, comment elle va. Je suis devenue une véritable inconnue, une personne qu’elle n’a même pas connue et après qui elle n’appelle pas. Pas faute de l’avoir voulu, ni d’avoir essayé d’en faire partie. Je suis l’intruse. Un parasite. Une plaie. Ou pire. Tout ça à la fois.
Je ne sais pas.

And that we were nothing
And I don't even need your love

Pour qui ? Pour lui. Parce que « lui ». Ni plus ni moins, lui. Qui me traite comme un monstre et qui me transforme un monstre. J’ai beau me dire que non, je le suis. Je le deviens, en tout cas. Je sens que j’ai plus la même morale, ni la même bonté. Je ne m’attendris plus facilement, faut croire qu’un coup de poignard dans le dos change vraiment l’aspect du monde. C’est laid. Les gens sont laids. Ça me donne envie de rendre les gnons, les mornifles dans la gueule qu’on se ramasse sans raison. Je constate que dire de quelqu’un le rend comme ça. Je suis donc la pirate que l’on désigne, je suis ce que l’on a envie que je sois. Et pour une fois, je m’exprime.

But you treat me like a stranger
And that feels so rough

Je me sens d’humeur poétique. J’imagine, je songe un peu. J’ai des idées qui me trottent dans la tête en rebondissant contre les parois de ma caboche.
J’ai écrit.
Une lettre.
À ma fille.
Pour qu’elle sache qui je suis et ou j’en suis. Pour voir si l’on osera me mettre dans sa vie, ne serait-ce qu’évoquer mon existence. Et si ce n’est pas le cas, qu’elle ait au moins ces lettres pour comprendre. Je ne sais toujours pas à qui l’adresser, ni ou l’envoyer. Je voudrais lui donner, je voudrais qu’elle les lise. Je voudrais tellement de chose que c’en est surréaliste. Alors j’attends à ma fenêtre qu’un miracle me tombe dans les bras, une cigarette aux lèvres qui se consument progressivement. Le silence et la nuit comme témoins de ces moments uniques de calme, de paix. De peine.

You didn't have to stoop so low
I guess that I don't need that though

Et des cris me sortent de mes pensées. Des cris, près du port ou je vis, des ordres qui tonnent, mais qui donnent rien. Des bruits, des coups qui partent, des rires qui sonnent à travers la nuit. Je me penche. Ça pique ma curiosité. Alors je me dis que je peux aller y jeter un coup d’œil, histoire de constater par moi-même que y’a sûrement des gars qui se foutent sur la gueule. Peut-être que je pourrais participer.
J’attrape mon sac que je fourre sur mon dos. Je saute par la fenêtre et atterris souplement sur le bitume de la rue. Le combat au loin couvre le bruit de mes pas. Deux rues me séparent de l’effusion. J’avance d’un pas rapide, sans savoir dans quoi je me lance. Je sais que je dois faire une connerie, que je vais probablement tomber dans la gueule du loup. Ou de la mouette, qui sait ?

Et là. J’arrive.

Now you're just somebody that I used to know

« Bordel, c’est quoi ce cirque ? »

Des gros durs qui tapent dans du moustique, des montagnes, pas bien nombreuses mais bien musclés, qui s’avancent pour péter des gueules et disloquer des mâchoires. Je relève mes lunettes et je regarde. Ça me fait rire. Et puis…

Je vois. Là. Au milieu de ce fouillis une fille qui se fait embêter. Une belle avec des cheveux longs, un minois adorable. De la viande fraiche pour des affamés. J’imagine une donzelle qui s’est un peu perdue là, qu’avait pas envie d’y être, qui a été obligé. Bonne ou mauvais, je me dois de réagir. J’ai l’esprit chevaleresque. Un chevalier avec des nibards et une coupe afro, certes, mais quand même. J’avale la distance qui me sépare des deux, je chope la fille par le bras pour la tirer loin de son ravisseur, ce qui lui permet de pas se faire attraper par l’autre morfal en face. Je la jette plus loin pour pas qu’elle gêne. Et je m’occupe du gars en face qu’à pas l’air commode. C’est le coup dans les couilles qui part en premier, avant la réflexion et la parole :

« Hé mec ! On t’a pas appris à jamais taper une donzelle ? »

Il a eu envie de rire. Il a pas eu le temps, alors il a les nerfs. Et c’est mon poing qui s’écrase dans son nez en premier, avant qu’il puisse saisir son épée à sa taille. Je sens l’arête qui se fend sous mes phalanges. Et il tombe. Et je me retourne vers la jeune fille pour voir si elle va bien. Un instinct maternel, j’imagine.

« Ça va ? »
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La faire changer d’île après une défaite, la faire quitter ce fichu endroit pour enterrer l’affaire. C’était moche mais bon, un peu logique aussi, la Marine se devait d’étouffer l’affaire. De ce fait, Adora se retrouvait sans la moindre connaissance dans cet endroit. Pour une fois qu’elle avait réussi à se créer des liens, on lui enlevait tout. Les risques du métier visiblement, c’était juste dommage. De plus ce n’était pas vraiment sa faute s’ils n’avaient pas été assez bien entraînés pour battre plus fort qu’eux. La belle serra le poing de rage, avec un peu plus d’entraînement ils auraient pu à deux la transformer un rôti ficelé juste bon à être mis au four. En plus on lui avait donné le droit à sa soirée de libre, comme si c’était utile à quelqu’un de seul, elle avait évité ses collègues en pleine séance de musculation pour aller se promener, retrouvant enfin une tenue n’étant pas d’un blanc immaculé.

Une robe, pour quitter ce fichu pantalon blanc et encombrant, en arrivant ici on lui avait reproché de l’avoir transformé en short pour être plus à l’aise, donc retour à l’horrible tenue de base obligatoire. Visiblement on voulait la faire retourner dans les rangs bien sagement. Une robe rouge comme les amaryllis lorsqu’ils sont parfaitement épanouis, quelque chose d’un peu trop voyant peut-être, mais de quoi se sentir changé, sortir de l’uniformisation blanchâtre de la Marine. Au final, cela la rendait même un peu provoquante, mais elle avait aussi le droit de jouer encore un peu à attirer le regard, elle n’avait que vingt ans après tout. Et puis on ne peut pas tout perdre de la Marine dès qu’on passe en civils, ses grosses chaussures en cuir noir restaient toujours scotchées à ses pieds.

Adora passa sa main le long du mur à ses côtés, passant ses longs doigts fins sur les pierres polis par le temps, ces ruelles sombres ne lui rappelaient vraiment pas de très bons souvenirs et ces camarades qu’elle n’avait pu sauver, elle n’avait montré aucune tristesse, mais c’était tout de même dur. Une larme perla doucement le long de ses cils et elle l’essuya rapidement, et se retourna pour voir qui faisait autant de bruit en marchant. Ils étaient quatre et ne semblaient pas spécialement ivres, donc on pouvait supposer qu’ils seraient aptes à comprendre que ce n’était pas vraiment le moment de l’embêter, à moins que ce soit de gentilles personnes. Ce qui m’étonnerait car sinon il n’y aurait pas lieu d’avoir une véritable histoire et ces loubards n’auraient pas leur rôle d’élément perturbateur dans ce récit. Evidemment ils l’avaient repérée, ce n’était pas difficile en même temps. Notre héroïne tâta sa cuisse, elle n’avait qu’un poignard sur elle, et elle ferait mieux de prendre la fuite si elle ne voulait pas finir en charpie. Mais ils étaient à quelques pas d’elle et au mieux elle ne pouvait qu’accélérer le pas en tâchant de se faire oublier.
Ils étaient déjà sur elle lorsqu’elle décida de se retourner pour leur demander d’arrêter de la suivre. Et elle n’eut pas l’occasion d’ouvrir la bouche qu’un des gros costauds lui attrapa le menton entre son pouce et son index pour lui relever le visage vers lui.

Balourd n°1 : « Et bah alors princesse, on pleurniche toute seule dans son coin ? Tu ne veux pas nous raconter tes malheurs ? »
Adora : « Excusez-moi, mais je ne crois pas que vous puissiez m’aider… »
Balourd n°2 : « Ne sois pas timide petite souris, on ne va pas te faire de mal, que du bien… »


Lui aussi s’était mis à la toucher, il avait passé une main le long de la taille de la demoiselle, l’attirant sur le côté vers le mur. Adora les écarta violemment, enfin tenta, que pouvait-elle faire toute faiblarde qu’elle était et presque sans la moindre arme pour se protéger ? Elle donna un coup de son poing dans le plexus solaire du plus proche, cherchant à se faire une ouverture pour fuir. Il n’eut que le souffle à peine coupé, elle avait faibli depuis sa blessure et certains mouvements lui étaient encore difficiles et douloureux à faire.
On lui ficha une beigne pour qu’elle se calme et l’un des quatre l’attrapa et la serra contre lui, lui passant un poignard sous la gorge afin de la calmer. Des larmes se mirent à rouler sur ses joues d’impuissance, elle s’en voulait d’avoir été si facile à attraper, de ne pas pouvoir répondre comme elle le voulait. Celui qui la tenait commença à relever sa robe, découvrant tout doucement ses cuisses fines. Les trois restants commencent à se taper dessus pour savoir qui aura l’honneur de profiter de ce qui ressemble à une vierge effarouchée. Adora ferme les yeux.

« Des marques sur ta peau
Sous la gorge un couteau
Quatre salopards...
Une nuit de cauch'mar
Tu n'as plus rien à perdre
Il te reste la haine. »

Des pas, une voix, elle n’est visiblement plus seule victime de ses gros monstres. Elle n’ose ouvrir les yeux, de peur que tout cela ne soit qu’un rêve qui va très vite s’éteindre pour mieux la replonger dans ce bout de cauchemar. Mais tout cela est bien vrai et ce magnifique prince tout aussi magnifiquement bien roulé, l’attrape pour l’entraîner loin de ces immondices. Il faut avouer que pour un prince sauveur sur son cheval blanc, ça changeait des grands classiques de dessins animés, et c’était limite mille fois mieux pour notre demoiselle, c’était une vraie et grande belle femme, qui faisait mature tout en restant parfaitement jeune. Et en plus elle avait une afro. Le pouvoir de l’afro, il n’y avait que ça de vrai et c’était aux yeux d’Adora la plus belle des sauveuses du monde entier. Et en plus elle les laminait gentiment.
Quand elle se retourna vers elle, la jeune femme était aux anges et avait l’air un peu stupide à paraître vénérer son héroïne du jour.

Magnifique inconnue : « Ça va ? »

Magnifiquement depuis que tu es là, mais Adora ne se permit pas de le dire, elle n’en avait pas le temps alors qu’un des imbéciles ne semblait pas vouloir en rester sur ce bout de défaite, la jeune femme se releva d’un coup et sortit la dague qu’elle portait à la cuisse avant de l’enfoncer dans le bras de l’homme qui se précipitait vers elles. Il sursauta et recula, étonné de voir que la petite souris semblait savoir un peu plus se défendre qu’elle ne l’avait laissé croire précédemment. Après avoir renvoyé un peu plus loin l’agresseur, elle s’inclina devant sa sauveuse pour la remercier.

Adora : « Merci ! Une contre quatre aussi peu armée je n’avais aucune chance ! D’autant plus qu’ils sont costauds ces saligots ! »

Ils étaient costauds et en plus pas si stupides que ça, l’un deux avait déjà dégainé un escargophone afin de rameuter quelques-uns de leurs collègues en train de se remplir d’alcool dans le bar le plus proche. Et ce ne fut rapidement plus quatre mecs baraqués, mais une bonne dizaine qui commença à les entourer. Adora eut un lourd regret d’avoir dévoilé qu’elle était armé, elle aurait pu feinter et en avoir d’autres plus facilement mais maintenant c’était trop tard, il allait falloir s’en sortir et ça n’allait pas être la plus facile des tâches.

HRP:

Paroles, Hélène et le sang, Berurier noir
    Putain.
    Je dois l’avouer, je la pensais plus jeune. Pas qu’elle soit vieille, qu’on s’entende bien. Mais genre, je pensais secourir une gamine de quinze piges, tout au plus. Et quand je la regarde droit dans les yeux, je constate que c’est plus une adolescente en mal d’aventure, et depuis longtemps : C’est une femme, avec tout ce qu’il faut là où il le faut. Bien formée, bien belle, genre vraiment. Et ça explique bien des choses, en y songeant. Je la détaille un instant, histoire de voir à qui j’ai à faire. Un visage adorable, de grands yeux scintillant, un nez mignon, une bouche mignonne, une fille mignonne. Ah, me voilà frustrée ! Une beauté naturelle, pure et simple, tendre et douce. Un truc qu’est pas vraiment comme moi, vu que je suis plus du genre indomptable et sauvage. Ça a son charme, qu’il parait, mais pas autant que pour la demoiselle. Sa robe rouge attire le regard : mauvaise idée d’en porter une, surtout en étant seule, dans un monde comme le nôtre. Et à part si on a les biscotos de Rambo (un vieux pote des années « grosses galères »), on évite de montrer ses gambettes en public.
    L’heure tardive n’arrange pas les choses, ni les rencontres qu’on peut faire. Je suis du genre à savoir que sous le couvert de la nuit, y’a des trucs pas nets qui se passent. Et souvent, des trucs qu’on ne veut pas voir arriver, encore moins subir, si vous suivez toujours. J’imagine que les lascars qu’elle a ameutés, sans vraiment le vouloir (parce qu’il faut être taré pour aller leur taper la discussion), sont de ceux qui font leurs petites affaires en pensant que dans l’obscurité, personne viendra les enquiquiner. Un peu comme si le monde n’était qu’une énorme autruche. C’est se fourrer le doigt dans l’œil et jusqu’au coude. Y’a toujours quelqu’un pour voir, pour juger, pour témoigner. Et personne n’y échappe.
    Et pour en revenir à nos moutons, je la regarde intensément. Elle a l’air contente de me savoir ici, sans doute soulagée de voir que quelqu’un est venu lui sauver la mise, et qu’on viendra pas lui enlever sa virginité/dignité/amour propre (barré la mention inutile). A ton service, ma grande. Quoique j’ai bien envie de lui dire que la prochaine fois, elle fera plus attention à ne pas sortir dans cette tenue, si ce n’est avec un bazooka sous le coude, au cas où on viendrait l’embêter. Certes, le Bazooka est probablement excessif et encombrant, quand on y pense, mais il faut ce qu’il faut pour veiller à sa propre sécurité. Et puis, qu’on se le dise : c’est certainement pas le coupe-papier qu’elle a à la cuisse qui va lui permettre de conserver son honneur contre quatre gus montés comme des taureaux.

    « Merci ! Une contre quatre aussi peu armée je n’avais aucune chance ! D’autant plus qu’ils sont costauds ces saligots ! »

    Elle s’incline, en mode super respectueuse. Je suis surprise de voir ça, je fronce un sourcil. Je calcule même pas le reste de sa phrase tant je suis captivé par ce qu’elle fait, là. Quelqu’un avec du savoir-vivre, du respect, une forme d’éducation j’imagine. Ça fait du bien à l’égo de voir ça. Genre, vraiment. Je sais pas quoi dire, encore moins quoi ajouter devant son dos courbé et sa frimousse souriante. J’ai fait une bonne action ce soir, une très bonne action, et qu’elle me le rende comme ça, ça me fait chaud au cœur. Rah, putain. Sur le point de verser une larmichette, l’égo gros comme un bâtiment de la marine, l’agitation derrière attire mon attention. J’ai grave envie d’aller botter des culs pour interrompre ce moment unique en son genre. Bordel, qui est le couillon qui ose brailler aussi fort après s’être fait démonter la gueule par une afro-girl ?
    Je le fixe, le couillon. Et je vois ce qu’il tient dans la main. Et je sais ce que ça veut dire. « Emmerdes en vue ». Grosses emmerdes. En prévision, des précipitations de coups sur le coin de la gueule qui s’annoncent. Ça va faire mal. Et je m’attends à de la petite frappe dans son genre, qu’est capable de se faire maltraiter par une donzelle dans mon genre qu’à pas froid aux yeux. Et je me dis que l’aide de la gamine à côté ne sera pas de trop, puisqu’évidemment, je vais pas tout faire toute seule. Je tiens fermement un de mes couteaux de cuisine en main, de l’autre, je sors ma poêle à frire pour la mettre bien en évidence.

    Ils savent que je suis une dure à cuire. Et que je suis pas du genre à reculer devant un steak un peu trop nerveux.

    Mais quand une bande de gros bras sort du bar derrière, faisant craquer phalange et cogner matraques contre les murs, j’ai une petite voix dans ma tête qui me dit très fort « tire-toi de la Micha, ça va mal tourner. Ça va finir en bain de sang et tu vas y laisser des membres. Alors cours. Très vite. »

    Alors, je me tourne vers la gamine avec un grand sourire :

    « Hahaha, Gamine, ça va être de la tarte. »

    Je dis ça, en confiance. Je range ma poêle doucement pour pas affoler les gus autour de nous. Et puis, je fais volte-face et fonce sur la gamine, l’attrapant pas les hanches pour la poser sur mes épaules, l’emporter dans mon élan et filer au pas de courses :

    « Accroche-toi ma grande ! »

    Elle a plutôt intérêt, parce que je la tiens à peine. Et les autres se ruent derrière nous pour nous faire la peau, parce que faut dire que j’ai franchement été impoli, et que la gamine est vilaine à pas être une Maryse-couche-toi-là. Rah, flute dis-donc. Et paf, dans mon élan, je prends appuie contre un mur pour tourner brusquement à un carrefour, ils me suivent à la trace. J’ai l’adrénaline qui me permet de tenir, la peur au ventre aussi, parce que je sais que ça va être la merde pour semer la petite bande sans y laisser des plumes. Je prends mon élan, encore, je remarque une poubelle rester là, qui pourrait me servir de tremplin jusqu’au premier étage d’un immeuble ou la fenêtre est ouverte. Et que connaissant le poids des loustics, ils risquent pas de pouvoir me suivre. Alors je tente, en prenant en compte la charge supplémentaire que j’ai sur l’épaule. Et je bondis, mon pied tape contre le rebord de la poubelle qui s’écroule peu après et déverse son contenu sur le sol, et je tends la main en avant, je m’accroche à la fenêtre. Et j’hurle :

    « Rentre à l’intérieur, toi ! T’es louuuurde ! »

    Et je l’attrape, la plaque contre le mur, l’aide à se hisser. Et je suis le mouvement. Et je souffle. Je m’effondre. J’entends le mur qui se prend au passage quelques gars, qui insultent à tout va, qui hurlent. Et j’ai la respiration saccadée. Et je sais pas chez qui on est.

    Et désolée du dérangement, on fait que passer.
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    Fuir… C’était juste moche comme idée et ça ne donnait pas vraiment envie à notre jeune femme de le faire. Mais bon, il suffisait de jauger vaguement la situation pour voir que rester en mode pouffiasse trop fière les mains sur les hanches ce n’était pas ce qu’il y avait de mieux à faire, loin de là, c’était même peut-être la pire chose à faire. Le prince charmant ne semblait pas se poser la même question, il avait pris une décision et cette même décision lui fit prendre Adora par la taille pour la monter sur ses épaules. Cette magnifique femme n’avait peut-être pas de cheval mais elle était le plus magnifique étalon que notre demoiselle avait vu depuis longtemps. Le tout conjugué au féminin.
    Seulement voilà quoi, s’accrocher à quoi ? S’accrocher comment ? Elle ne pouvait pas se tenir à ses cheveux tout de même, d’autant plus qu’elle portait une coupe afro la dame, ça aurait été insultant de toucher à une aussi belle chevelure. Dans sa contemplation, Adora manqua de se faire désarçonner. Il faut dire qu’elle n’était jamais monté à cheval, et encore moins sur un aussi beau destrier. Qu’un homme la porte ne l’a perturbait pas tant que cela, mais là, ce n’était pas un homme, c’était une fille d’Eve quoi ! Et puis ça devait être fatiguant de la porter, pourtant, serrant les cuisses en prenant garde à ne pas l’étouffer, la médecin ne dit rien, sage et obéissante. Elles étaient toujours poursuivies et il n’y avait visiblement pas d’échappatoire. Enfin visiblement c’était le terme car la déesse en trouva une. Peut-être avait-elle l’habitude de fuir de la sorte et donc de trouver des issues lorsqu’il ne semblait pas y en avoir.

    La marine se releva et secoua sa robe afin de faire partir la poussière qui était passée dessus, visiblement la magnifique femme avait trouvé une issue qui aurait tout aussi bien pu être une impasse, mais c’était toujours mieux de ne pas en avoir à découdre avec ceux qui hurlaient en bas. Tout le quartier ne tarderait pas à être réveillé à ce rythme, et ça c’était tout sauf bon. Déjà qu’on lui avait reproché de ne pas avoir attrapé cette garce la dernière fois, si elle créait encore des ennuis sans pouvoir s’en sortir et emprisonner les coupables, son avancement allait changer de nom pour s’appeler son reculement. Ce qui était une blague de très mauvais goût. Bon, toute seule elle n’allait pas s’en sortir et il fallait qu’elle arrête de mettre autant d’ennuis sur le dos de son prince charmant. Dans la pièce où elles avaient atterri, il y avait deux personnes, visiblement un couple, l’homme tenait dans sa main un pistolet qui n’avait rien à y faire. D’une part parce que ce n’était pas sur elles qu’il était pointé mais sur sa femme et qu’il n’avait pas pu le dégainer à une telle vitesse sans avoir reçu un entraînement, ce qui le rendait d’autant plus suspect.
    Adora soupira, dans quelle embrouille était-elle encore tombée ? Ca devenait presque lassant ces âneries. Elle s’inclina avec une politesse bateau, faite uniquement pour ne pas avoir l’air aussi menaçantes que peuvent l’être deux femmes sortant de nulle part et arrivant par la fenêtre. Là, dans tout film de Disney, elle se serait mise à chanter quelque chose d’entraînant qu’un milliard de personnes chanteraient plus tard dans d’autres langues. Seulement voilà, elle n’aimait pas chanter. Ce qui était relativement embêtant quand on a envie de tenter une approche dans ce genre. Et puis comment est-on sensé réagir face à une scène qui semble conjugale avec peut-être un dénouement sanglant ? Bref, prendre la parole, dure tâche qui s’annonçait pour être claire et concise, compréhensible par quelqu’un d’un peu hébété.

    Adora : « Excusez-nous de vous déranger en une heure aussi tardive mais, comme vous pouvez l’entendre nous ne sommes pas dans une position des plus favorables face aux hommes hululant dans la rue. Donc je vous serais reconnaissante d’appeler une autorité ou force quelconque. »

    Mais qu’elle était polie, à ce point-là ça en devenait presque navrant pour ses folles années de jeunesse. L’homme commença à pleurer et la femme garda son air perplexe sans avoir plus de réaction. Elle fixait le canon de l’arme comme s’il allait en jaillir un quelconque monstre. Adora haussa les épaules et écarta les bras, elle venait d’annoncer qu’elle risquait de perdre le peu de pureté qu’il lui restait et tout ce que cet homme trouvait à faire, c’était tomber en état de choc. Il manquait plus que cela, surtout que vu l’état de la maison, la poussière qu’il y avait un peu partout et les bouteilles au sol, personne ne venait régulièrement nettoyer. Un buveur avait probablement vécu seul ici pendant un temps certain et le peu de mobilier restant étant de maigre qualité, on pouvait s’imaginer une scène tragique des plus banales et habituelles. Un divorce qui ne réussit pas, un règlement de compte avec la divorcée et je ne sais quoi encore dans le même genre. De quoi faire un feuilleton en somme.

    La jeune femme se précipita sur l’homme pour lui prendre son arme et lui coller deux-trois baffes, à entendre les bruits dans la rue, ils avaient décidé de se faire la courte échelle pour venir attraper les impertinentes. Elle commençait à perdre patience de s’être retrouver face à deux personnes un peu paumées (mais qui ne le serait pas dans une telle situation hein ?) alors qu’elle était dans le besoin et qu’elle n’avait aucune preuve de son grade pour donner des ordres. Mais elle les donna quand même, le rôle de la vierge effarouchée de lui plaisait qu’à moitié seulement.

    Adora : « Toi, la femme-là dans le coin, tu te bouges d’appeler les autorités et TU NE ME FAIS PAS ME REPETER ! T’appelle de la part de l’agent Iraty Adora et tu demandes du renfort immédiatement ! »

    Elle attrapa l’homme par le col pendant que fébrilement la femme fouillait dans son sac à la recherche d’un pauvre escargophone qui devait être en train d’étouffer. Il avait l’air un peu moins sonné que tout à l’heure et semblait retrouver difficilement ses esprits, baragouinant quelques paroles sans logique, bafouillant à propos de sa tristesse, de sa femme, de ses ennuis, de l’argent, de… Adora commençait à vraiment, mais vraiment, perde patience avec lui, elle lui expliqua gentiment, mais avec une menace pas que sous-entendue dans la voix qu’il allait devoir se calmer, et ce plus vite que ça.

    Adora : « Je suis médecin, certes, je suis agent de la Marine, certes, mais je ne suis pas SOS JE ME SENS MAL ET J’AI DES PROBLEMES BORDEL ! Alors tu vas te reprendre, tu vas te bouger un peu et tu vas faire ton homme viril que tu es et expliquer à ses gaillards en bas qu’on n’embête pas les jeunes femmes. Ne t’inquiète pas des renforts devraient arriver. »

    Elle se releva et le releva à son tour, il avait l’air animé de nouvelles convictions qui ne sortaient pas de lui-même, mais au moins il allait faire quelque chose. Quoique se précipiter à la fenêtre en se mouvant d’une manière peu sûre n’allait pas être d’une grande aide… Il commença à agoniser des injures en se penchant de plus en plus, manquerait plus qu’il tombe cette andouille et ce serait le bouquet. Adora se tourna vers sa sauveuse avec un air désolé sur le visage, elle n’avait pas vraiment arrangé les choses en envoyant un ivrogne les défendre, surtout s’il finissait au milieu de la rue à force de s’incliner de la sorte…

    HRP:
      « Agent Iraty Adora ? »

      C’est ce qu’elle dit. Et c’est elle qui commande et qui ordonne à la va-vite, qui prend les initiatives et exige des personnes qu’on a plus ou moins dérangé au milieu d’une scène conjugale. J’hallucine complètement. Putain. Putain de bordel de foutre dieu dans ta génitrice. Je suis dans la merde. Dans la grosse merde. Je regarde la gamine qui bouge dans tous les sens et qui continue à donner et à secouer les deux zigs en mode « RESPECTE MON AUTORITE ! ». J’y crois pas. J’y crois tellement pas que j’en ai du mal à respirer. Ça me fait doucement suer, ces conneries.

      « Et merde. »

      Il n’y a que moi pour faire ça. Vraiment que moi. Pour tirer d’une galère une gonzesse qui fait visiblement partie de la marine, pour, de surcroit, me fourrer moi-même (au péril de ma vie) dans cette même galère. C’est du grand n’importe quoi. Le summum de la connerie, du « pas de bol », je remporte la palme de la grosse gourdasse qui va toujours droit dans le mur et qui n’en rate pas une en matière de merdouillage. M’adossant au mur le plus proche, penchant la tête en arrière pour la poser, je prends une grande respiration en essayant de me calmer.
      Bon, j’ai sauvé la vie et la dignité de la jeune fille. Pour l’instant, je ne risque rien. Je ne suis pas connue des services de la marine, ou très peu (malgré le dossier qu’a créé mon ex-mari contre moi), donc, pas de raisons de véritablement m’en faire à ce sujet. Suffit de rester très calme, très détendue, de surtout pas s’enfuir (histoire de pas avoir tout de suite l’air coupable) et tout se passera comme sur des roulettes.

      Ça va passer crème, comme d’hab’ Hope.
      Mais à force de te fourrer dans des galères, faut pas t’étonner quand t’y laisses des plumes. Pour l’instant, t’es faite comme un rat : en face, t’as une représentante de la marine que t’as sauvé, derrière des zigotos qui veulent te faire la peau, bientôt une armada de mouettes va se ramener pour taper sur les zigotos…
      Tranquille. Normal. Une situation tout à fait banal, t’as vécu pire. Ouais, souviens-toi, rien que le mois dernier, la méchante cuite qui t’a fait piller, voler et bruler un village entier juste parce que t’étais complètement torchée. Voilà. Remember. C’était funky. Ça va mieux, y’a forcément pire.


      « Vous êtes vraiment méchant !
      - TA GUEULE !
      - RENDS NOUS LES FILLES !
      - SI ON MONTE, ON TE DEFONCE, CONNARD ! »

      Le bruit incessant, l’arrivée des marins qui s’annonce, les insultes un étage plus bas, la connerie des gens, tout ça se bouscule dans ma tête et m’empêche de réfléchir convenablement. J’ai les nerfs à vif, je sens que je vais littéralement exploser et retapisser les murs avec le sang de quelqu’un. Je me lève comme une furie et me précipite à la fenêtre. J’ai les yeux qui luisent d’une lueur malsaine, l’envie de défoncer des machins à coups de poings. RAH.

      « VOS GUEUUUUUUUUULES ! »

      Et vas-y que j’attrape ce qui me tombe sous la main, balançant tout par-dessus la fenêtre. Le premier truc qui y passe, c’est le bonhomme à côté, qui tombe pile sur la gueule des méchants. Ensuite, le meuble à ma droite qui se trouve être une petite table d’appoint fini sa chute un étage plus bas, et j’enchaine à tour de bras, balançant tout ce qui me passe dans les mains : journaux, vêtements, meubles télés, fer à repasser, chien, lampes, cadres, tableaux, tapis et ovni. Et un meuble un peu trop lourd en entrainant un autre, je me sens partir en avant, j’arrive pas à me défaire du poids et je me défenestre purement et simplement.

      « Aaaaaaaaaah ! »

      Je tombe quelques mètres plus bas en m’écrasant dans la poubelle en-dessous qui m’avait servi de tremplin tantôt. Autour, y’a un gros silence. On se demande ce que je viens de foutre. J’en ai néanmoins assommé quelques-uns avec mes lancés, ce qui fait que y’a nettement moins de bruit dehors. Mais ma connerie laisse les autres bouche-bée. L’odeur est horrible, elle me donne la gerbe. Mais j’ai aussi l’habitude de finir dans des poubelles. Je soupire. Je me relève comme si de rien n’était. Je remets mes lunettes sur mon nez, et je lâche ce que je retiens depuis tout à l’heure :

      « Rah, et merde. »

      J’entends des phalanges qui craquent et des rires qui résonnent. Bon, ils ont prévu de me faire la peau. Mais j’entends aussi au loin les bruits des renforts qui arrivent, en vitesse, au pas de courses et qui approchent d’où on est. Je sais que dans quelques minutes, y’a un paquet de zigs qui vont débarquer et s’occuper de ces malfrats qui nous embêtent depuis tout à l’heure, je sais aussi que je vais me retrouver au milieu de tous mes ennemis, et que niveau sécurité, on a vu mieux. Alors, j’époussète mes vêtements et je préviens mes adversaires actuels avec un calme olympien :

      « Bon, les gars. On a prévenu les autorités. Vous avez deux solutions. »

      Et j’expose :

      « Ou vous vous barrez immédiatement et vous échapperez éventuellement à la justice pour la tentative de viol sur la personne d’Iraty Adora, agent de la marine. Ça va chercher dans les pas mal de temps de taule, hein ? Ou alors, vous restez là à attendre en vous disant que vous pourrez éventuellement péter la gueule à la troupe qui se ramène, et dans ce cas, vous me verrez contrainte de tous vous botter les fesses sauvagement sous prétexte que vos têtes me reviennent pas et que violer des filles, c’est mal. »

      Ils se demandent c’est quoi mon problème. Je gagne du temps. Ils m’écoutent avec beaucoup d’attention et je les fais sourire. Bien sûr, j’ai aucune chance face à tout ça en même temps, surtout des gars aussi mastocs. Mais permettre à la joyeuse troupe de venir en renfort et de gagner du temps pour éviter de finir en charpie, c’est de loin la meilleure idée que j’ai eu. Et ils ont l’air motivé pour pas me croire et faire en sorte de faire de moi une bouillie infâme. Alors, je sors ma poêle, et je menace encore :

      « Vous choisissez. »

      Et ils ont choisis. Un cri s’élève dans la ville. Un cri guerrier. D’une demi-douzaine de bonhommes réunis qu’ont les crocs. Youpi.

      « D’accord. Très bien. Préparez-vous à pleurer. »

      Et je cogne. Avec ma poêle. Dans sa gueule, au premier, à droite.
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