Fifty Shades of Grey

Des murmures, d'abord. Puis cela se transformait en vrais sons audibles et même, compréhensibles. Petit à petit, Grey revenait à la vie. Mais les sensations n'étaient pas des plus agréables. De la douleur, principalement. Au dos, et aux jambes. En ouvrant les yeux, le jeune homme ne s'attendit pas à un miracle. Comme il le pensait, il voyait flou. Signe qu'il était resté inconscient un bon moment. C'est qu'à force d'être en piteux état, il commençait à maîtriser le sujet ! Ca lui arrivait beaucoup d'être explosé dernièrement. Problème de karma, sûrement. Essyaer de bouger fut la chose qui lui vînt à l'esprit ensuite. Mais pas trop. Il sentait que son dos, c'était pas encore ça. Alors une main. Puis un bras. Mais son poignet rencontra bientôt une résistance. Une chaîne. Il avait une entrave reliée au mur. Les cliquetis métalliques firent réagir le vieil homme qu'il avait pour compagnon de cellule. Donc, il était bien de retour dedans.

- Bouges-pas trop gamin. Z'ont pas été tendres avec toi. Et toi non plus, d'après ce qu'on dit.

- Je... j'étais dans la forêt de piques...

- Oui, l'enfer écarlate.

- Et maintenant, ici...

- Oui, tu as été ramené. Mais vu tous les bandages, t'as dû prendre de sacrés coups. J'pense pas que les épines aient fait tout ça à elles seules.

En se regardant, Grey constata qu'effectivement, il était couvert de bandages. Cetains étaient teintés de rouges. Toutes les plaies n'étaient pas bien refermées.

- Deux gardes m'ont pris en chasse. J'me suis retrouvé dans une impasse. Il ne me restait que le combat. Je n'allais pas me laisser torturer gratuitement.

- Si. Du moins, c'est ce qu'ils attendaient. Au 1er Niveau, en général, les prisonniers ne sont pas de gros durs qui résistent à l'Ordre. Pas comme ces tarés du niveau 5 qui ont fait des choses atroces. Ici, les types ont juste été assez connus pour se voir enfermés, sans vraiment opposer de résistance à ceux qui les ont capturés. Alors, quand un petit nouveau arrive, on l'emmène dans la fosse, on le traque, et lui fait découvrir les joies d'être un prisonnier. Parce qu'ils ont peur, se font mal dans ces herbes lames de rasoir, quand un gardien armé surgit, ils ne pensent qu'à fuir, et quand ils sont rattrapés, parce qu'ils ne sont pas très fort, ils sont torturés.

- Ah bon ? Personne n'a jamais tenté de se battre ?

- Si, il y a toujours des cas particuliers. Mais comme je te l'ai dit, ils ne sont pas très forts. Toi, t'es une exception. Paraitrait que tu t'es frotté à un Bluegori.

- Le gros machin Bleu ? Ouais, y'en avait un. Si je n'avais pas perdu autant de sang, je l'aurais mis à terre. Mais il est quand même résistant.

- Hé ba...

- Mais comment tu le sais ?

Maintenant qu'il se posait la question, c'était étrange qu'il en sache autant. Il n'était pas descendu dans l'enfer écarlate, le vieux.

- On a beau être dans une prison, les rumeurs circulent vites. Quelques uns des gars qui étaient en-bas en même temps que toi ont vu la scène.

- Ah.

Explication plus simple que prévue. L'attention de Grey revenait à présent sur lui. Sur son état. Sur ses bandages. Finalement, ils faisaient plutôt gaffe à leurs détenus. Le vieux dut intercepter le léger sourire du rouquin.

- Te réjouis pas trop. Ils t'ont à peu près rafistoler, c'est vrai. Mais à mon avis, c 'est pour mieux te faire souffrir. J'sais pas quand. Soit ils attendront ton rétablissement complet, mais ça m'étonnerait. Soit, et c'est plus probable, ils reviendront te chercher une fois que tu seras capable de tenir suffisamment longtemps sur tes jambes pour te faire courir un peu. Et la prochaine fois, ils ne te traqueront pas pour de la torture, sois en sûr.

C'était une façon de voir les choses, en effet. Le peu de joie qu'avait eut Grey à voyant qu'on ne les laissait pas à leur sort se dissipa aussitôt. Remplacée presque immédiatement par un début de terreur. Il savait que la prochaine fois, il ne pourrait pas s'en sortir aussi bien. Car sont état ne serait pas meilleur que lors de la première descente, et il avait fini couvert de bandages, inconscient pendant des heures et des heures. Restait à savoir : quand ?

Les jours commencèrent à passer. La peur s'était atténuée. Remplacée par une forme de joie. En fait, Grey pensait à ce qui devait se dire dans les coulisses. Par coulisses, il entendait, entre gardiens, dans les salles de garde, dans les bureaux. Ils devaient être sur le cul les gardiens qu'un détenu du Niveau 1 ait rétamé deux chasseurs et ait tenu tête à un Bluegori. Bon, ça foutait le rouquin dans la mouise. Mais, si la joie faisait son chemin, c'était surtout grâce à la pensée que, peut-être, la bonne femme qui l'avait amené ici, le Commodore Garde, avait eu vent de l'incident. Un Dirigeant qui l'aurait tenu informée, parce que le gus qu'elle avait amené avait fait des siennes. Et dans ce cas, elle était obligée de reconnaître que Grey valait mieux que ce qu'elle croyait, et que par conséquent, le reste des Bloody Sorrow n'étaient pas à prendre à la légère. Soyons fous, allons même jusqu'à imaginer qu'une petite angoisse s'était infiltrée en elle. Ca, ce serait dément !

- Il est caché !

En parlant de dément... Le fou était toujours dans son coin, à marmonner des choses inaudibles. Sauf dans de rares cas, comme celui-là, où il crachait sa valda d'un seul coup, haut et fort. Enfin, même comme ça, ça restait pas très clair. Il parlait souvent d'un truc caché, quelque part. Le vieux avait dit à Grey que depuis le temps qu'ils partageaient leur cellule, jamais il n'avait entendu le fou dire clairement où était caché... ce qui était caché. Jamais. De toute façon, à quoi bon savoir ? Ils étaient dans la prison la plus sécurisée du monde. C'était pas comme si ils pourraient se lever et aller jeter un oeil dans cet endroit secret s'ils venaient à apprendre le nom du lieu.


La joie était de courte durée dans le coin. De retour à la case angoisse. Et ce n'étaient pas les cris qu'on entendait qui allaient le réconforter. La cellule de Grey se situait tout près de la porte qui menait à l'enfer écarlate. Alors fatalement, des sons s'en échappaient et remontaient aux oreilles du détenu. Les bruits d'agonie lui renvoyaient des images de son court passage en-bas. Du sang, des mecs poursuivis, torturés. Des épines qui vous lacéraient la chaire. Des araignées bondissantes des arbres. Pour tenir, résister, Grey ne pouvait que penser à ses camarades. Leur faire honneur, même à Galowyr ! Malheureusement, cette pensée avait de moins en moins d'effet sur le moral du pirate. Et le vieux ne le réconfortait pas vraiment. Depuis que Grey était arrivé, il pouvait de nouveau manger toute sa ration, et avait remercier le pirate à chaque repas. Une petite chose qui fit plaisir à Grey, mais ça n'avait pas duré, comme le reste.

- Hep ! Le rouquin ! Tu crois qu'ils vont venir demain ?

Ca non plus, ça n'aidait pas. Des détenus qui avaient, comme les autres, entendus parler du combat de l'enfer des piques. Et ils connaissaient aussi les conséquences. Alors, comme y'avait pas grand chose à faire dans le coin, se moquer était une option valable. Ce genre de remarque, Grey se les prenait trois ou quatre fois pas jour. Et comme d'habitude, les plus proches se marraient. Le pirate ne répondait pas, c'était inutile. Il fallait trouver autre chose à penser.

- Au fait, vieil homme, pourquoi t'es là ?

- J'étais un révolutionnaire.

- Etait ? Tu ne l'es plus ? Je pensais qu'on l'était dans l'âme.

- Je ne suis plus grand chose désormais... Regardes-moi.

Il leva les bras, comme pour permettre à Grey de mieux le contempler. Oui, il ne ressemblait plus à rien. Très maigre, pâle, longue barbe.

- Ils m'ont brisé... toi aussi, tu le sentiras, un jour.

Il disait "un jour" pour ne pas rappeler au pirate qu'il n'atteindrait probablement pas l'âge du vieillard. Il serait massacré avant. Quand bien même le jeune homme voulait se changer les idées, il n'y arrivait pas. Dernière tentative de la journée.

- Et lui ?

"Lui", désignait évidemment le dernier compagnon de cellule. Il était en train de gratter un barreau, marmonnant dans sa barbe. Mais c'est pour l'expression hein, il n'en avait pas de barbe.

- Je pourrais pas te dire. En fait, en arrivant à Impel Down, il a été mis dans une autre cellule.. Il n'avait qu'un seul compagnon. Et y paraîtrait qu'il avait encore toute sa tête. Mais ce compagnon a été sorti de sa cellule, puis n'y est jamais retourné. Une victime de l'enfer écarlate. Ensuite, il a sombré. Et voilà le résultat. Il était déjà comme ça quand on l'a transféré ici. Brisé aussi. Mais j'suis même pas sûr qu'il ait révélé à son ancien co-détenu quoique que ce soit sur son trésor, même quand il avait toutes ses facultés.

Brisé... Ce mot revenait constamment. Grey aurait-il le temps d'éprouver cette sensation ? En tout cas, sa bravoure pour ses camarades venait de baisser d'un nouveau cran. A cause d'un hurlement, derrière la porte pour l'enfer.

- Mné ?

Ah. Grey s'était assoupi. Ca devenait de plus en plus rare. Des troubles du sommeil tellement dérangeant que pouvoir fermer les yeux et quitter la réalité ne serait-ce qu'un heure était un cadeau. D'ailleurs, ça devait faire une heure, pas plus. Le vieux dormait paisiblement lui. Même le déglingué. enfin, ça ne l'empêchait pas de marmonner dans son sommeil. Et le pirate, même s'il ne pouvait pas entendre, était prêt à parier que c'était à propos de son trésor.

La prison était calme à cette heure-ci. Tout du moins, le 1er étage l'était. Le jeune homme ne savait pas comment ça se passait, en-dessous. Beaucoup dormaient. Et quelques gardes qui faisaient une ronde. C'était vraiment pas de bol que des terreurs nocturnes assaillent le pirate. Même s'il ne faisait rien, c'était épuisant. Bien sûr, c'était de la fatigue mentale, pas physique. C'était pire. Ca, et les cris qui continuellement provenaient de la forêt rouge. On pourrait se dire qu'on s'en accommodait avec le temps. Pas Grey. Ces cris commençaient à le rendre dingue. C'était en partie pour ça que le sommeil ne le gagnait plus. Dès qu'il fermait les yeux, il revivait son petit séjour en-bas. Et avec le temps, cette sale affaire se connectait à d'autres moments peu joyeux de son passé. Comme une réaction en chaîne quoi.

Avec tout ça, penser à rester fier et droit pour ses camarades, pour leur mémoire et leur honneur, devenait très difficile. Sa force intérieure le quittait petit à petit. Un mot résonnait constamment aux oreilles de Grey. "Brisé". Il l'avait souvent entendu depuis son arrivée à Impel Down. D'abord, le pirate avait cru que jamais il ne serait brisé. Puis, il avait pensé que de toute façon, il ne vivrait jamais assez longtemps pour subir la pression locale. Maintenant... Il n'avait toujours pas été tué, et lentement, il sentait s'insinuer en lui le terrifiant pouvoir de la prison.


Plus facile à dire qu'à faire. Récemment, Grey s'était rendu compte que, même quand les cris cessaient, ils se poursuivaient, dans sa tête. Comme une musique qu'on ne peut s'empêcher de ressasser en boucle.

- Pfff... J'ai vraiment pas de bol. J'avais posé mes congés, normalement ! Voilà que jme retrouve à faire une ronde le jour de l'An !

Un garde. Qui parlait à son collègue. Alors, on venait de passer en 1625 ? Grey n'avait même pas pensé au changement d'année. Difficile de faire de ce genre de chose une priorité dans une telle situation. Changer d'année faisait si futile à côté de la possibilité de mourir d'un jour à l'autre.

- Je sais, mais y'avait pas le choix. Avec les nouveaux qui nous arrivent en ce moment, si on se relâche niveau sécurité, on sera submergés.

- C'est pourtant la prison la plus sécurisée du monde ! On ne s'en évade pas !

- Tu sais que c'est pas tout à fait vrai...

- Une fois... C'est arrivé une fois ! Et c'était y'a quoi ? Un siècle ?

- Peu importe, ça ne doit plus jamais se reproduire.

Puis les voix se perdirent. Les gardes s'en étaient allés. Ainsi, quelqu'un avait déjà réussit à se faire la malle. C'était donc possible ! Grey sentit l'excitation le gagner. Il y avait un moyen !


Même si on ouvrait leur cage, Grey était attaché à une chaîne, au mur. Il ne pourrait pas sortir. Et de toute façon, comme l'avait précisé le gardien, ça n'était arrivé qu'une fois, bien avant que les résidents actuels de la prison ne naissent. Un éclair de joie. C'est tout. La flamme de l'espoir s'était éteinte aussi rapidement qu'elle s'était allumée. Tristement, Grey essaya de se rendormir. Mais avec ces cris qui n'en finissaient pas...

La prison était particulièrement agitée aujourd'hui. Ca gueulait beaucoup. Autant en bas, dans la forêt rouge, qu'ici, dans les cellules. C'était la façon qu'avaient les détenus de fêter la nouvelle année. Foutre le boxon et faire chier les gardes. Dans la cellule de Grey par contre, c'était calme. Le vieil homme ne prenait pas part aux "réjouissances", et l'autre... Bin fidèle à lui-même. Dans son coin, recroquevillé, à marmonner.

- Mon précieux ! Ils vont me le voler !

Oui, enfin, il marmonnait sauf quand il gueulait un bon coup. Mais il lâchait toujours pas le nom de l'objet en question. Ni son emplacement. Le vieux révolutionnaire lui avait dit un jour que certains avaient essayés de le cuisiner, mais qu'importe le moyen employé, ils n'y étaient jamais parvenus.


Le pirate ne tarda pas à comprendre pourquoi. Histoire de calmer un peu l'ambiance, les gardes avaient dépêchés quelques suppléments. Des Bluegoris. Ainsi qu'un... monstre. Grey ne le voyait pas bien d'où il était. Juste sa silhouette. Un truc encore plus massif que les Bluegoris. Un truc bestial, avec une masse à la main. Celui là, le détenu aux cheveux rouges ne l'avait jamais vu. Il devenait venir d'un autre étage. Une espèce d'occasion spéciale pour le Nouvel An ? Bien sadique comme idée. En tout cas, les prisonniers près de lui ne faisaient pas les fiers. Il passait dans quelques cages, et donnait un coup ou deux. C'est sûr, ça calmait. Les Bluegoris aussi allaient de cellule en cellule. Et évidemment, un arriva dans celle de Grey. Pourtant, ils étaient calmes ici !

Le gros gardien bleu sembla chercher sa proie un instant. Il accorda à peine un regard au fou. Il avait plus l'air d'hésiter entre le vieux et le jeune enchaîné. Et finalement, il se dirigea vers Grey. Le jeune homme essaya de reculer, de mettre de la distance ! Mais c'était impossible. Un mur le bloquait ! Et l'autre qui continuait d'avancer ! Pourquoi lui ? Pourquoi pas un autre ? Il n'avait rien fait cette fois !

- Dégages ! Approches pas !

Le pirate mit son pied en opposition, mais le Bluegori n'en avait rien à faire. Il le dégagea violemment, puis abattit son poing dans le corps de Grey. Une fois, puis une autre ! Et encore ! Et encore ! Le pirate ne pouvait rien faire d'autre qu'encaisser. Pourquoi ? Grey n'avait pas été le genre de pirate à tuer pour rien. Il en tuait d'ailleurs pas beaucoup. Pourquoi il devait en supporter autant ? Un dernier coup, porté à la tête, fit se coucher le pirate sur la pierre froide. Il était tremblant. Il sentait du sang couler. Le Bluegori était en train de refermer la cage. Des cris venant de la forêt de piques lui parvinrent. Après de nouvelles blessures, il devrait retourner dans l'enfer écarlate ? Pour être torturé ?



D'un seul coup, les cris déferlèrent. Comme si tout le monde venait crier sa souffrance directement dans la tête du pirate. Il entendait des voix, les plaintes des autres prisonniers ! Mais c'était trop pour sa tête, il ne pouvait pas recevoir autant de peine et de douleur d'un seul coup !

- AAAAAAAAAAAAAAAaaaaaaaaaaaah !

Mais qu'est-ce qui se passait ?! Trop de voix étaient en lui, toutes plus douloureuses les unes que les autres. Et dans cet enfer de voix, il l'entendit. Une qui ne souffrait pas de la même manière. Une qui souffrait d'un manque. "Mon trésor, l'île "...".


D'un coup, ce fut le silence absolu. Les voix s'étaient tues. Grey n'était plus qu'avec lui-même. Une sensation de vide merveilleuse. Mais d'un autre côté, l'épuisement l'avait gagné. Il avait mal, il ne pouvait plus bouger. Lui en voudrait-on de fermer les yeux pour quelques instants ? Peu importe, il s'en foutait maintenant. Avoir entendu ces voix ne pouvait signifier qu'une chose... Il était brisé.