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Affidavit.


Si vis justitia, para bellum.

Affidavit.

Royaume de Goa - Jour 4.

Un rai de lumière, stratégiquement envoyé par le soleil en plein dans mon œil, me tire d'un sommeil inconfortable et peu reposant. Toute la nuit, j'ai été pensif quant aux propos de Rafaelo, et à ce que je comptais faire maintenant. Ma soif de meurtre semble toujours me picoter le gosier, mais différemment : ma lame n'a pas faim, elle attend patiemment, ronronne comme un chaton qui dormirait lové dans le creux de mon cœur. Je me lève et me redresse sur la paillasse crasseuse de la chambre de l'auberge qui l'est tout autant ou j'ai passé la nuit. Par contre, si ma lame ne crie plus famine, je ne peux pas en dire autant de mon estomac, qui fait des bruits si tonitruants qu'ils pourraient même faire fuir Il Assassino en personne...

Je me mets une beigne. 'Faut que j'arrête penser à ce type. Il a joué avec moi, et puis il m'a laissé partir. Et maintenant je suis vivant, loin, et il ne me retrouvera jamais. Aujourd'hui est un autre jour et pour l'heure... Et bien... Il s'agit de celle du repas. Masque et lame en poche, je me dirige vers la porte sans être bien réveillé. C'est à ce moment là que je remarque, non loin du pas, une enveloppe cachetée.

Une enveloppe sur laquelle mon nom est inscrit à l'encre. Je sais pas pourquoi, mais je sens que ça pue, cette histoire. Je la ramasse, et rompt le sceau de cire. A l'intérieur se trouvent une lettre et un portrait.

Lettre :
Portrait :
Fabuleux, il m'a retrouvé. Mais pourquoi est-ce que j'ai autant la poisse, moi ? C'est trop demander, une simple petite traque au criminel de bas étage ? Pourquoi est-ce qu'en plus de devoir protéger quelqu'un (ce qui n'est absolument pas dans mes habitudes), je dois participer à un coup d'état révolutionnaire ? Car oui, il s'agit à mon avis bel et bien d'un coup d'état, au vu des mots que Rafaelo avait prononcé la veille et qui résonnent encore à mes oreilles toujours endormies : "Le jeu n'est pas de tuer. Le jeu est de semer le chaos. Frapper la fourmilière, mettre le feu à la souricière. Que penses-tu que je fasse ici, à Goa, sinon déclarer la guerre au Roi ?" Sans compter le mot "Révolution", qui, tel qu'il est écrit dans la lettre, ne laisse rien présager de bon non plus...

Et moi, je trempe jusqu'au cou là-dedans. Quelle vie, de devoir aider à fomenter un putsch révolutionnaire...

A tous les coups, je vais y passer, moi, dans l'histoire. Si ce prince de pacotille meurt, Rafaelo me tue sûrement. S'il vit, il y a quand même toujours plus de chance pour que j'entre dans les ordres plutôt qu'un tel coup d'état réussisse.

Le truc, c'est que je n'ai ni l'intention de mourir, ni l'intention de devenir curé.

Du coup, qu'est-ce que je fais ? Je m'enfuis, loin, tout en sachant pertinemment que celui qui me menace est un monstre intangible et qui semble tout voir et tout entendre ? Ou alors je tente quand même ma chance, dansant sur une corde au dessus du vide avec la Mort ?

Le choix est vite vu.

Si je veux pouvoir continuer à tuer et me venger de mon ancienne maîtresse, je dois à tout prix survivre. Et cela passe par la case "Réussite du coup d'état", même si je ne suis pas sûr que ça marche... Après tout, comme le dit l'adage... "Quand on veut être sûr de son coup... On plante des navets. On ne pratique pas le putsch."

Je ne vais pas m'attarder sur pourquoi je dois protéger ce Prince Eirikr. Il est très certainement un des alliés de Rafaelo, et doit de ce fait être la cible de nombreux assassins... Des assassins comme moi (bien que sûrement moins professionnels). Qui doivent donc avoir les mêmes méthodes que moi. Ainsi, en faisant mon boulot comme si c'était un contrat normal, il est plus que probable que je tombe sur mes homologues. Et si j'arrive à les débusquer avant qu'ils ne passent à l'acte... Autant dire que ce sera aussi facile que de voler une sucette à un enfant, en plus d'être complètement dans mes cordes : je préfère de loin le rôle de traqueur que celui de garde du corps.

Rôle dans lequel il faut que je rentre dès maintenant. Car ma traque commence... Ou plutôt ma collecte d'informations, à visage découvert. Je dois d'abord découvrir où se trouve ce Eirikr Von Avazel... Et à mon avis, un noble de son envergure...

Je regarde les hautes murailles qui ceignent le centre du royaume.

A mon avis... Il doit loger dans la ville haute.

Je me mets en chemin. Nom du contrat : Eirikr Von Avazel. Ou presque...
    Y'a pas à dire, escalader des toits c'est ce qui me plait le plus dans mon métier... Après tuer, naturellement. Dommage qu'en plein jour, je ne puisse pas me le permettre en raison du nombre de patrouilles sur les remparts. Il va donc falloir que je parvienne à rentrer dans High Town de façon normale... Et surtout, que je me trouve une raison valable. Voyons... Quelle excuse pourrais-je bien trouver pour endormir la vigilance des gardes... ? Et les tuer ensuite ? Non, non. Pas les tuer. Je retire ce que j'ai pu penser l'espace d'une seconde. 'Faut pas que je les tue... Dans la vision manichéenne du concept de justice de Rafaelo, c'est des gentils eux. Et vu qu'il voit et entend tout... 'Faut que je me creuse la tête. J'allume une cigarette. Les vapeurs nocives de tabac et de goudron m'aideront peut-être à y voir plus clair...

    Quinze minutes que je me retourne les idées dans la caboche sans arriver à trouver un quelconque alibi potable. Il semblerait que je sois allé un peu vite en besogne en me dirigeant vers les remparts. Oublions cette idée, et trouvons quelque chose d'autre. Bon, je me sens vraiment de tenter l'escalade.

    Mais deux problèmes se dressent devant moi. Premièrement, il semblerait que la sécurité ait été renforcée mais à la limite, avec une bonne petite diversion, ça devrait passer... La seconde difficulté et un peu plus embêtante. Si je veux tenter l'ascension (et la diversion) il faut que j'attende la nuit : plus de calme, plus de discrétion, moins de regards indiscrets... Et le bémol, c'est que je n'ai pas vraiment le loisir d'attendre que le soleil se couche. Je raye donc cette idée de ma tête... Ce qui fait qu'il ne me reste plus grand chose sous le coude...

    A moins que... Non, c'est impossible. C'est très stéréotypé qu'un truc aussi pourri puisse marcher... Un truc que même une gamine pourrait faire... Mais bon... Je me souviens d'une rumeur que j'avais entendu lorsque je chassais dans le coin, il y a deux ou trois ans : sous la ville de Goa, il y aurait des sous-terrains. Des anciens accès d’esclaves, laissés à l’abandon mais toujours en fonction. Ils mèneraient aux grandes maisons de la haute ville... Et peut-être même jusqu'à celle du roi... Si un truc pareil s'avère être exact, c'est vraiment un coup de bol pas croyable, qui manquerait presque de cohérence dans l'histoire d'un bouquin que je serais en train d'écrire.

    Heureusement que je n'écris pas.

    Bien que cette histoire de rumeur me paraisse totalement invraisemblable, je n'ai pas vraiment d'autre solution à me proposer. On va donc tenter. Je fais demi-tour et retourner m'enfoncer dans la crasse d'Edge Town, en quête d'une bouche d'égouts mal fermée où personne ne traînerait trop à côté...

    Bouche d'égouts que je finis par trouver, deux heures plus tard, après être tombé sur deux vendeurs à la sauvette, trois clochards, une meute de chiens errants, six patrouilles de la milice et quatre mendiants. Vraiment, dans le genre manque de bol, en ce moment, je pulvérise des records... Mais trêve de pensées qui seraient de mauvaise augure, car j'ai trouvé l'accès aux canalisations. Je vérifie rapidement à gauche et à droite que personne ne m'observe, et je fais sauter la grille d'un coup de dague bien placé. J'enfile mon mortel masque de mort et m'engouffre ensuite dans les noires ténèbres obscures et glauques de ce dédale labyrintheux, sombre et caverneux que promettent d'être ces égouts.

    Trop de métaphores. Vraiment, heureusement que je n'écris pas.
      La guigne continue. Les égouts sont inondés. Mais pas genre inondés jusqu'aux genoux. Inondés jusqu'à la tête, si ce n'est même plus. Et le niveau semble stable, ce qui fait que ce doit être à peu près pareil de partout dans toutes les canalisations de Goa. L'eau est froide, et étonnamment abondante en matière fécale.

      Gé-nial. Non mais sérieusement, c'est super : je fais des pieds et des mains pour infiltrer High Town sans me faire repérer, et je suis prêt à parier qu'une fois à l'intérieur des murailles on me débusquera à cent mètres à la ronde rien qu'à l'odeur. Mais bon... C'est toujours mieux que de ne rien faire et de prendre le risque de me faire trucider par Rafaelo... Je n'ai pas vraiment le choix.

      Quand 'faut y aller, 'faut y aller.

      J'inspire une grande bouffée d'oxygène, me retiens de vomir, et plonge dans les eaux marâtres et nauséabondes... Et je repense à une de mes précédents crises de pulsions où, alors que je m'apprêtais à tuer un vieillard infirme, on m'avait dit que "J'avais de la merde dans les yeux", sûrement parce que le vieux bonhomme était bien brave et surtout, innocent. Et là, je me retrouve littéralement avec de la merde dans les yeux. Ce qui me fait sourire. Mais pas trop. Parce que si j'ouvre trop la bouche, à ce niveau là, je ne réponds plus de rien. C'est marrant tout de même... Que des petites choses (ça reste à voir, au vu de la taille de certains étrons qui flottent dans l'eau) de la vie nous rappellent certains souvenirs. J'aperçois une tache lumineuse dans l'eau. L'extérieur. Je remonte à la surface, et prends une inspiration démentielle. L'odeur est insupportable.

      Je déteste vraiment ma vie. Ceci dit, la vie, elle, vaut la peine d'être vécue. Dans ta sale tronche, la Mort... Mais bon, là, à l'instant t, je ne vois pas vraiment comment les choses pourraient empirer...

      Quelque chose de gros frôle ma jambe à toute vitesse. Chouette, j'ai encore parlé trop vite.

      Si c'est un banana-croco qu'un noble a acheté comme animal de compagnie puis qu'il a relâché dans les égouts, je crois que je pars en crise de larmes... Avant de mourir déchiqueté parmi les excréments et d'être avalé par une immonde bestiole gigantesque. Sauf que le truc qui s'amuse à me faire du pied n'a rien d'immense. En fait, c'est pas si grand que ça. Juste que c'est hargneux comme un Uriko en manque de sucreries, bien que je ne sache pas qui diable peut bien être ce petit bonhomme.

      Une idée folle me traverse la tête (pour changer) : et si j'essayais de suivre cet animal ? Au ressenti, je n'ai pas l'impression que c'est un poisson, donc... Il doit forcement crécher quelque part au sec. Peut-être non loin de la sortie qui mène à High Town. Oui, tout se tient... Si c'est une sorte gros rat d'eau, il est probable qu'il traîne là où de la nourriture de qualité est souvent jetée à peine abîmée... A savoir vers les quartiers riches. Je prends une nouvelle inspiration et re-plonge, commençant à poursuivre l'animal tel un violeur psychopathe qui courserait une jeune pucelle effarouchée.

      Glamour comme comparaison.

      J'ai l'impression que ces quelques brassées dans l'eau croupie durent une éternité. Mais finalement, je regagne la "surface" et arrive à hisser mon corps trempé et malodorant sur une zone de plat qui surplombe les flux de déchets. Je parviens même à attraper la bestiole, qui s'avère effectivement être un très gros rat très laid. Sauf qu'à mon grand désarroi, et s'accordant une fois de plus avec ma malchance caractéristique, il n'y a pas que celui que j'ai entre les mains. Il y en a des dizaines, qui m'entourent et m'observent de leurs yeux globuleux injectés de sang, crocs et griffes sortis.

      Je déteste vraiment ma vie.

      Je dégaine ma dague et me prépare à trancher du rat obèse. Ce soir, ce sera ragoût du pauvre. Alors que je me sens d'attaque pour aller transformer les bestioles en nems, je suis interrompu par un bruit strident et particulièrement désagréable. Une fausse note jouée par je ne sais quel instrument diabolique mais qui semble tout de même faire reculer les rats. Un homme haut en couleurs, quasiment autant crotté que moi s'approche, traversant la nuée de vermine comme s'il en était le messie, et prenant la parole d'une voix des plus désarticulées (ce qui se traduit ici par "insupportable") que j'ai pu être donné d'entendre.

      - "Firuliruli... ♫ Mais qu'avons nous là ? ♫"
        Hamelin :
        - "Je pourrais vous retourner la question.", dis-je tout simplement. C'est qui ce guignol avec une flûte et une voix plus aiguë qu'un angle dont le cosinus serait presque unitaire ?
        - "Firuli ! ♫ !", s'exclame t-il tout guilleret à travers son instrument. C'est vraiment un nom, ça ? Oh, et puis. Comme dit l'adage, faute de grives on mange des merles.
        - "Enchanté, monsieur Firuli. Grim Reaper.", réponds-je en lui tendant une main fort peu accueillante. Sans doute parce qu'elle est recouverte de matière fécale et qu'elle pue. Oui, là, pour le coup, on peut dire que je respire la mort.
        - "Firuli ! ♫ Quel drôle de nom ! ♫ !"
        - "Eh. J'peux vous retourner le compliment."
        - "Je ne m'appelle pas Firuli ! Mon nom est Hamelin."
        - "Et je peux savoir ce que vous foutez la ?"
        - "C'est plutôt à moi de vous poser la question. Que faites vous chez moi ?"
        - "Sérieux, c'est chez vous ici ?"
        - "Ma foi, oui. Firuli ! ♫ !"
        - "Et... Niveau humidité et désagrément, ça va ? Parce que bon, sans vouloir faire de jeu de mots douteux, c'est un peu de la merde dans le coin."
        - "C'est sûr que c'est pas la vie de château mais, vous savez, c'est pas si méchant une fois qu'on a l'habitude...", commence t-il. Il change tout-à-coup de ton, accompagnant son altération d'humeur d'un son de flûte détestable : "Taralassiflut ! ♫ ! Vous ne m'avez pas répondu ! Qui êtes vous exactement et que faites vous ici !"
        - "Pourquoi devrais-je vous répondre ?"
        - "Parce que sinon, j'ordonne à mes Orang-outanpliers de vous dévorer ?", siffle t-il méchamment. Il termine : "Firuli. ♫."

        Wait, what ? Je rêve ou bien... ?

        - "Vous allez quand même pas me faire croire que ces trucs là c'est des Orang-outans !"

        Il reste silencieux quelques secondes et lâche un soupir, ce qui me laisse une noire pour rendre compte que depuis tout ces temps, les yeux rouge sang des bestioles ne m'avaient pas quittés.

        - "Non, c'est... C'est... Taralassiflut ! ♫ ! C'est compliqué comme histoire, c'est eux qui... Oh, enfin... Vous voyez bien que c'est des ragondins, quoi."
        - "Oui... Admettons."
        - "Taralassiflut ! ♫ !"
        - "Quoi encore ?!", m'écrié-je à travers mon masque.
        - "Arrêtez de changer de sujet tout le temps ! Vous êtes qui, et vous foutez quoi ici, nom d'une flûte traversière ! ... Firuli. ♫."
        - "Je suis un assassin chasseur de primes. Et je comptais aller vers High Town sans me faire remarquer, en passant par les égouts."
        - "Un chasseur de primes... ? Firula... ♫...", murmure t-il lentement.
        - "Et vous, vous faites quoi ici ?"
        - "Moi ? Vous croyez quand même que je vais vous dire que je suis de la révolution ?", lâche t-il. Il marque une pause, réfléchit, puis s'écrie en tapant du pied par terre : "Bordel, je me suis encore fait avoir ! Taralassiflut ! ♫ !"
        - "Ah ? Vous êtes un sale révo ?"
        - "Un sale révo ?!", commence t-il à s'emporter.
        - "Oui, enfin... Un révo sale, quoi... Vous m'avez compris.", bégayé-je pour me rattraper. Il n'a pas l'air de mordre. Je réessaye : "Je veux dire... On est couverts de merde, quoi..."
        - "Taralassiflut. ♫."
        - "Non mais en plus, je suis de votre côté quoi..."
        - "Comment ça ?"
        - "Actuellement, je bosse pour la révolution. Je suis envoyé par Rafaelo Di Auditore."

        Son regard se fige.

        - "Le... Le Rafaelo... ? Il Assassino ?"
        - "En fumée et en os."
        - "Firuliruli ! ♫ !", s'exclame t-il, avalant presque son instrument.
        - "Oui, comme vous dites."
        - "Pourquoi est-il ici ? A t-il entendu parler de mon plan machiavélique ?"
        - "Ça dépend de ce que c'est votre plan...", dis-je à travers mon masque. Mine de rien, la déformation de voix, ça le fait dans le genre ténébreux et mystérieux.
        - "Je vais inonder Goa sous ses propres immondices ! Grâce à mon armée de rats et de ragondins ! Firuli ! ♫ !"
        - "Sans déconner... Oui, alors non. C'est vraiment pas pour ça que Rafaelo est là, je vous rassure."
        - "Ah. Dommage... Firulorulo... ♫..."
        - "Non mais vous inquiétez pas. Son plan à l'air d'être quelque chose de bien plus gros. Au pire, vous avez qu'à me filer un coup de main. Si tous les toilettes du palais royal débordent, vous pouvez même réussir à m'enlever une sacré épine du pied en me permettant de m'infiltrer. D'autant plus que si vous me fournissez en ragondins...", lui dis-je en réfléchissant.

        Les rats c'est bien : ça fait disparaître les cadavres proprement.

        - "Firuli. ♫. Et ainsi me faire bien voir d'un homme qui est à la fois As et chouchou du Seigneur Ombre ? Et pour cela je n'ai qu'à faire déborder les canalisations du palais royal ? Marché conclu, Grim Reaper."
        - "Bien. Faisons comme ça."
        - "Prenez un escargophone pour que nous restions en contact, et ce coquillage pour comprendre et être compris par les rats. Ils vous guideront jusqu'à la sortie des égouts à High Town et vous assisteront."
        - "Comment ça marche ?"
        - "Pour les comprendre vous vous le collez sur l'oreille, et pour vous faire comprendre c'est sur la bouche."
        - "C'est quand même un peu ridicule comme système..."
        - "C'est sûr, mais au moins il marche."
        - "Bon, on garde le contact. Je vous préviendrai quand je serai prêt à rentrer dans le palais."
        - "Entendu."

        Je colle le coquillage à mon oreille. Hamelin joue un petit air marrant de flûte. Un des ragondins commence à ouvrir sa petite bouche et, au lieu d'émettre des couinements, il s'exprime d'une voix un peu nasale mais très audible :

        - "Allez, suivez moi, on va vous conduire à la sortie."

        Je m'élance derrière la meute d'Orang-outanpliers. Soudain, Hamelin m'appelle.

        - "Hé, Grim !"
        - "Quoi ?!"
        - "Hasta la revolucion siempre !"
        - "Euh... À vos souhaits !", hurlé-je avant de m'éloigner suffisamment pour ne plus entendre sa petite voix insupportable. Ce type à l'air complètement fou mais au moins, il me permet d'avoir une nouvelle carte à jouer. Allez, direction : le château de Goa !

        Finalement, c'est quand on se retrouve vraiment dans la merde qu'on trouve ses vrais alliés.
          J'aurais vraiment du tuer Hamelin. Je triture ma lame et la fait glisser entre mes doigts, tout en courant dans la partie asséchée des souterrains.

          Vraiment... Je regrette de ne pas lui avoir planté dans l’œil, après lui avoir fait avaler sa flûte par le mauvais côté. Si seulement il pourrait m'être bien moins utile et ne pas m'avoir menacé avec une armée de rongeurs... Je chasse ces pensées de ma tête : c'est triste de l'avouer, mais je vais avoir besoin de son aide pour m'infiltrer dans le palais royal. Après tout, si je dois m'abstenir de tuer des gardes et que je dois y rentrer en plein jour, les choses risquent d'être un poil plus compliquées que d'habitude.

          - "Et sinon, pourquoi vous vous faites appeler les Orang-outanpliers ? Je veux dire... Les Dragondins ou un truc du genre, ça l'aurait pas mieux fait ? En plus d'être carrément mieux représentatif...", demandé-je à tout hasard, histoire de faire un peu de conversation avec mes guides.
          - "C'est une longue histoire, une très longue histoire, que vous autres humains ne pourriez comprendre...", me répond Raberto Rastapopoulos, un des ragondins avec lequel j'ai "sympathisé" (c'est vite dit).
          - "Bon, bon, bon... J'ai compris. Je vous embête pas plus longtemps. On est bientôt arrivés ?"
          - "Il reste encore un passage sous l'eau à faire, et vous êtes rendu. Ensuite, le reste du groupe nous quittera. Je vous accompagnerai seul, pour plus de discrétion.", m'explique t-il en deux ou trois couinements. Ce petit coquillage est super ridicule et ne sied absolument pas à mon image d'envoyé de la Mort, mais il faut avouer qu'il fonctionne étonnamment bien.
          - "Entendu."

          Je passe la partie inondée sans trop d'encombres, tracté par mes alliés qui sont de bien meilleurs nageurs que moi. En tant normal, je n'aurais jamais réussi à traverser la dernière partie des égouts en apnée. Oui, j'ai vraiment bien fait de ne pas tuer Hamelin... Même si ce n'était pas l'envie de le faire qui me manquait. Nous arrivons finalement à la sortie vers High Town, et, comme prévu, Raberto reste avec moi. Il se faufile à travers une des mailles de la grille, que je fais ensuite sauter d'un coup de lame comme la première, pour passer à mon tour. Le ragondin m'agrippe la jambe et grimpe se percher sur mon épaule.

          - "Vous n'avez pas trop le vertige ? Il risque d'y avoir de la grimpette, et je n'ai pas l'habitude d'avoir de passagers...", lui dis-je en fixant le toit le plus proche.
          - "Ne vous inquiétez pas pour moi, je me débrouille. Et si je dois vomir, je le ferai de l'autre côté."
          - "Alors c'est parti.", conclus-je en me crachant dans les mains et en les frottants l'une contre l'autre. Peu hygiénique, certes, mais toujours mieux que d'avoir les mains couvertes de merdes pour escalader.


          Et j'attaque l'ascension. Prise après prise, sautant de balcon en balcon, dansant entre les étages. J'arrive finalement en haut d'un toit. Et je cours à son sommet. L'air libre m'avait manqué, décidément. L'air libre, oui. Et surtout, la foule de gens à tuer qu'il y a. Et parmi eux, pas un seul que Rafaelo me laissera occire. Maudit soit il... Ma seule et unique chance de tuer quelqu'un aujourd'hui, c'est de tomber sur quelqu'un qui en voudrait à la vie d'Eirikr, et de le massacrer proprement avant qu'il n'essaie. Plus facile à penser qu'à faire, voila l'embrouille. J'arrive en bordure du palais royal, l'endroit où devrait se trouver ma "cible".

          - "Tenez vous bien...", dis-je lentement à Raberto en prenant mon élan.
          - "Vous n'allez quand même pas...", commence t-il à dire. Il n'a pas le temps de dire la fin que...

          Je saute. Dans le fond de l'action, on entend un "Squiiiiiiiiiiiiiiiiiiik" étouffé par le bruit du vent.

          Et je m'écrase. Violemment, contre un rebord de fenêtre qui me frappe dans les côtes. Je tente de m'accrocher, mais ça glisse trop : je suis encore trempé de ma baignade forcée dans les canalisations. Je chute à l'étage inférieur et tombe sur ma jambe. Ça fait un mal de chien. C'est finalement trois ouvertures plus bas que je parviens à me stabiliser. Une bonne chose de faite.

          Merde, je crois que Raberto a vomi sur mon épaule. Remarque, à ce niveau là de crasse, je ne sais pas si ça fait une grande différence. Je m'adosse au rebord et balance un regard dans le vide. C'est haut. Mais il en faut plus pour m'impressionner. Je sors l'escargophone de ma poche pendant que le ragondin me bredouille des excuses et toussote sur la pierre. Hamelin décroche.

          - "Firuli ! Firuli ! ♫ !"
          - "Allô ? Ici Grim. Vous pouvez envoyer la sauce. Je suis en place. Me faut un gros truc pour rentrer discrètement parce que vu l'odeur que je me trimbale...", dis-je dans le combiné, évasif.
          - "Ne vous inquiétez pas, camarade. Firuli. ♫. J'ai bouché les conduits avec la dose de matière fécale et un mélange de pastilles mentholées, de cola et de chili con carne de rat. Autrement dit, c'est de la nitroglycérine pour sanitaires, ce truc ! Taralassiflut ! ♫ !", dit-il. Je ne peux m'empêcher de ricaner en imaginant le révolutionnaire scatophile tout mixer dans une grande marmite dont une simple inhalation du contenu suffirait surement à faire imploser un nasique.
          - "Comment je saurai que c'est bon ?"
          - "Oh, ne vous en faites pas pour ça... Firuli. ♫. Vous le saurez bien assez tôt...", murmure t-il en raccrochant. Je m'apprête à ranger le gastéropode quand il se remet à sonner.
          - "Allô ? Ici Grim. Qu'est-ce qu'il y a ?"
          - "C'est encore moi. Firuliruli. ♫. Vous trouvez pas que ma dernière phrase était super classe ? Elle faisait vachement bien révolutionnaire mystérieux, non ? Firuli. ♫.", s'exclame t-il tout guilleret. Je raccroche en lâchant un grognement et fourre l'escargophone dans ma veste.

          - "C'est pour quand ?", demande Raberto.
          - "Je ne sais pas, ce guignol n'a rien voulu me dire. J'espère au moins qu'il sait ce qu'il fait..."
          - "Je l'aime bien, vous savez. Il n'a pas toute sa tête ni certaines règles de propreté élémentaires, mais c'est un brave garçon."
          - "C'est vrai que maintenant que j'y pense... Vous n'êtes pas censés lui obéir que lorsqu'il joue de son horreur ?"
          - "Si. Mais moi, j'ai d'autres raisons de l'aider...", marmonne le rongeur entre ses crocs.
          - "Un ragondin sympathisant révolutionnaire ? Ce qu'il faut pas entendre... Racontez, pour voir ?", demandé-je, assez incrédule.
          - "Eh bien, c'est très très simple. En fait...", commence t-il.

          BOUM !

          Raberto ne termine pas sa phrase. Une violente détonation retentit dans le château, accompagnée d'une très forte odeur qui pique les yeux, brûle l'intérieur des narines et donne envie de vomir.

          Sans doute à cause du chili.

          Hamelin n'a effectivement pas menti... C'était vraiment du lourd, son affaire. Vraiment, j'ai rudement bien fait de ne pas le tuer...
            Des cris. Des pleurs. La panique. Non, ce n'est pas la guerre. C'est juste la merde.

            Littéralement.

            C'est le bordel dans les couloirs : les gardes courent de partout, s'affolent et surtout... Ils gerbent, pleurent et toussent tous à cause de l'odeur insupportable qui à pris possession de l'espace aérien alentour. Embusqué derrière le rebord où je m'étais lamentablement écrasé quelques minutes auparavant, je suis aux premières loges pour constater l'agitation des forces de l'ordre... Et pour attendre le moment opportun. En effet, même si là-dedans c'est le foutoir et qu'en terme de discrétion c'est pas ça, je ne dois absolument pas me faire voir. Du moins, pas encore et surtout pas ainsi : ma carrière de chasseur de primes prendrait un coup dans l'aile, si le gouvernement apprenait que je travaille pour un révolutionnaire...

            Un groupe de six gardes passe à toute vitesse dans le couloir. Je me plaque contre le mur, de façon à ce qu'ils ne me voient pas puis, m'assurant qu'ils sont partis, j'explose la vitre qui me sépare de l'intérieur du palais du poing, et rentre, Raberto étant remonté sur mon épaule.

            - "Attendez moi les gars ! Eh ?! Qui êtes vous ?", hurle un soldat solitaire qui court aveuglément en se couvrant nez et bouche et qui me rentre dedans.

            Et merde. Un retardataire. Je me disais aussi, que tout se passait trop bien (dans la moindre mesure des choses, certes)... Cela devait être une mission d'infiltration, mais il semblerait que je n'ai plus trop le choix, si je veux conserver secrète mon identité. Ce qui fait que j'ai trois personnes auxquelles je dois présenter des excuses.

            Désolé Rafaelo, car je vais tuer un "innocent". Désolé petit soldat, ce n'est pas contre toi. Et surtout désolé... Raberto, pour ce que je vais faire. Je me saisis alors du ragondin et l'envoie de toutes mes forces sur le jeune garde royal. L'animal, projeté à toute vitesse, n'a le temps de n'émettre qu'un autre "Squiiiiiiiiiiiiiiiiiiik" étouffé, tandis qu'il atterrit en plantant griffes et crocs dans la gorge du soldat. Le jeune homme commence alors à remuer dans tous les sens, paniqué, en essayant d'arracher le ragondin avant qu'il ne lui offre la trachéotomie du pauvre. Il y parvient finalement, et jette rageusement la bestiole à terre avant de se rendre compte qu'un assassin professionnel se trouve désormais en face de lui, une lame à la main, le petit sourire narquois d'un bureaucrate lambda (un disciple de Lou Trovahechnik qui vous dirait qu'il manque le formulaire 1-2673b dans le dossier de deux-cents pages que vous devez rendre pour obtenir votre licence de chasseur, et qu'il faudra repasser dans six semaines) vissé sur son visage inexpressif de métal.

            Ouais, là, la métaphore, c'est carrément ça. Et tandis que je pense à tout ce que j'aurais pu dire et qui n'aurait pas eu un aussi bon effet, je plante ma lame dans le cœur du garde, en passant par la clavicule. Il tombe au sol, raide mort.

            - "Vous étiez obligé de me balancer sur lui ?!", peste Raberto, qui crache quelques morceaux de peau au sol.
            - "Désolé, je voulais juste tester.", réponds-je tout simplement, le coquillage toujours collé à l'oreille de la plus ridicule des façons.

            Le ragondin émet un grognement médisant, puis revient vers moi et remonte sur mon épaule.

            - "Quand vous voulez. C'est bien beau tout ça, mais faudrait un peu se dépêcher avant qu'une autre patrouille n'arrive et trouve le corps... Et qu'ils règlent le problème des canalisations."

            Il a pas tort, l'animal. 'Faut que je me grouille de trouver ce prince... Car si des assassins en veulent à sa vie, la diversion que je viens de provoquer pour rentrer dans le palais saura les pousser à agir : le plan est risqué... Mais il peut-être très rentable, puisque si c'est moi qui arrive en premier, je pourrai les liquider tous d'un seul jet. Sauf qu'il y a tout de même un petit bémol, le minuscule grain de sable entre les engrenages qui pourrait éventuellement faire caler la machine, le problème qui va rendre cette tâche ardue...

            Je ne sais pas du tout comment me rendre jusqu'au prince Avazel.

            Et j'aurais vraiment du demander au garde avant de le tuer... Enfin bref, on va y aller au flingue, euh... Au feeling, plutôt. Quoi que... Le flingue, c'est pas mal aussi. Je dégaine mon pistolet pour l'avoir à portée de main, et m'élance dans les richement décorés couloirs du palais royal de Goa. Masqué par l'odeur fétide qui vient de prendre possession des couloirs je cours un peu au hasard, tournant tantôt à droite, tantôt à gauche, montant et descendant des escaliers et bien sûr, me cachant au moindre bruit de pas pour ne pas être aperçu. Soudainement, au détour d'un énième couloir, après avoir évité cuisiniers, domestiques, gardes royaux, ouvriers du bâtiment et surtout une armada de plombiers, je tombe sur une étrange troupe de dix individus. Dix gardes arborant des armures dorées étincelantes, avançant en formant un cercle.

            Je n'ai le temps de me cacher derrière la porte d'une petite pièce exiguë dans laquelle je pénètre. A travers le trou de la serrure, en jouant avec mes lentilles, je les observe. Ils sont surarmés, et affichent un regard froid, marchant en cadence en battant avec la plus stricte des mesures. Et c'est la que je le vois.

            Ils ne sont pas dix, mais onze. Eirikr Von Avazel se trouve au centre.