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Kinaya.

Pour que tu t'en rappelles...



Dis, Lana. Je veux une fille, tu sais ? Pourquoi ? Ho… Quoi, tu dis que c’est chiant les filles ? Je te remercie, je le sais. C’est avec toi que je vis après tout. Hé, fais pas la tête. Ta tête. Hn… Ton visage. J’aimerais qu’elle hérite de tout de toi. Je veux une fille, la tienne. Ce petit bout d’être qui ne serait qu’à nous, le nôtre. Ta fille, peu importe son nom, peu importe comment tu l’imagines, ce serait la tienne. Et moi, avoir deux toi à la maison… Ho, je sais que ce sera infernal. Je sais que vous allez me faire des crises pas possibles ! Qu’il faudra que je gère ça, que je prenne sur moi et que je n’arrête jamais de vous donner le même amour à toutes les deux. Cet amour beau et fort qui fait que je ne pense qu’à toi, toute la journée. Il va falloir que tu le partages avec ta fille, tu sais ? Parce que je l’aimerai autant que toi, même plus que toi.

Elle sera à moi. A toi aussi. Un peu. Rien qu’un peu, hein. Héhé, je nous imagine déjà ici. Elle, dans nos bras. Plus les miens parce qu’elle préfèrera son papa, évidemment. Toi, tu joueras le rôle de la méchante, pas moi. Elle aura peut-être les mêmes yeux que toi, et tu sais que je ne résiste jamais à ceux-là… Hé, tu sais, je la gâterai. Je lui montrerai mes maquettes d’engins qui volent, je lui apprendrai à chanter « à la claire fontaine » et on jouera à celui qui frappe le plus fort dans le ballon.

Oui, je la vois déjà, d’abord, avec son petit corps qui tiendra sur mon bras à peine. Ses cris et ses pleurs à la naissance. Je lui dirai de ne pas s’en faire et que ce n’est pas la vie qui est injuste mais le monde. Je la vois, sa main serrant de ses toutes petites forces mon index. Ses yeux s’ouvrir pour la première fois, son sourire de nouveau-né, ses pieds qui font à peine la paume de ma main. Elle aura les cheveux bouclés très foncé, je pense. Et le regard de son père. Tu sais bien, les sourcils qui font la gueule.

J’aime bien faire du sport, tu penses qu’elle aimera ? Elle va pas aller faire des trucs de mauviettes avec toi, quand même. Et puis ce sera mon petit cœur à moi. Elle viendra avec moi à la pêche à la ligne. Elle s’amusera de voir les poissons dans l’étang ou encore les gros rochers de la rivière derrière la maison. J’irai lui montrer tous ces coins où on a adoré venir, quand on s’est rencontré. Je lui raconterai pour nous, comme on s’est rencontré. Je lui raconterai comme on s’est perdu, souvent. Mais pas comment on se retrouvait… Je lui dirai à quel point je t’aime. Et que je ne cesserai jamais de t’aimer. Je lui dirai qu’elle peut être fière d’être ta fille, qu’elle a de la chance de te ressembler.

Ho, oui, Kinaya. Quand on te dira que tu ressembles à ta mère, dis merci de tout ton cœur. Car c’est la femme la plus belle, la plus forte, la plus aimante du monde. La mère que ses copains auraient rêvée d’avoir. La femme que les pères de ses copains… Non.

Je lui dirai que la vie sera dure. Surtout quand on est une jolie jeune fille. Mais n’était-ce pas difficile de gagner ton cœur, Lana ? Et regarde comme je suis heureux maintenant. Je lui dirai comme elle est précieuse, que c'est un trésor, qu'elle vaut plus que tout l'or du monde. Qu'elle ne vaut rien parce qu'elle vaut tout. Et bien plus encore. Je lui dirai de ne pas regarder les garçons par méfiance ou par jalousie. Que ma beauté ne peut être partagé. Je lui dirai comme elle est jolie, comme elle me parait diamants et rubis...

Je veux une fille. Ta fille qui te ressemble. Elle sera heureuse et sourira tous les jours. Elle rira, même à mes blagues. Elle me dira qu’elle m’aime. Et que je suis un fabuleux papa, le meilleur ! Je serai si heureux, Lana… Encore plus que je ne l’ai été quand je t’ai enfin trouvé. Elle deviendra mon amour et ma vie. Comme toi tu l’es. Je vivrai pour un de ses sourires, mourrai pour elle, ferai la guerre au Monde rien que pour qu’elle soit heureuse. J’éliminerai toute cette crasse pour qu’elle n’ait pas avoir qui sont les hommes qui peuplent ce monde…

Ce monde de noir, de souffrance et  d’angoisse. Ce monde du mal, ce paradis empoisonné, cette pomme… Ce gouffre dans lequel on plonge, cette calamité, cette horrible farce.

Ce monde de martyr, de danger, de peur. Ce monde où se réveiller le matin est synonyme de combat. Cette longue route qui mène au rien. Au rien qui fait peur quand il ne fait pas mal.

Ce monde où il y a tuerie, viol et inceste. Le monde des pêchés capitaux, de l’injustice, des lamentations de cette gent damné. Ce monde du plaisir, du vide et des mœurs. Ce monde d’escrocs, d’usurier, de parjures…

Ce monde que personne ne peut absoudre ! La Nature et son courroux contre l’Humanité et sa cupidité. Sa soif. Sa méchanceté. Son égoïsme. L’homme n’est pas bon, Lana… L’homme est le mal et j’ai peur. J’ai peur d’être responsable de l’apparition d’un ange dans un monde qui peut le rendre aveugle. J’ai peur qu’elle m’en veuille pour lui avoir infligé ça. Cette image horrible, cette vie pareille. Ce monde dégueulasse, ce monde de déchets, cette abominable sangsue qui détruit tout dans son passage. Même le meilleur des êtres.

Ce monde d’hypocrites, de faux-semblants, de mensonges, de violence… Ce monde au terrible destin. Ce monde peuplé de cons, de charognards, de brutes. De gens comme moi…

Non. Non. Je ne veux pas qu’elle vive ici. Pas dans ce monde ! Pas avec ces gens ! Ma petite poupée d’argent, mon propre cœur, mon sang… Mes gênes, le livre que j’ai fini d’écrire. Mon encre sur papier. Ma propre peau, mes sentiments, mon bonheur. C’est elle, mes pensées. Ma tête dans les nuages. C’est elle, mes étoiles. Pourquoi être terre à terre quand on peut être tête en l’air pour pouvoir en décrocher une ? Pour elle. Je ferai tout pour elle. Cette princesse, cette chose, probablement la seule, bien que je ferai dans ma vie après t’avoir épousé. Ce sourire magique. Avec ce chapeau, elle aura un chapeau, en paille. Elle courra dans les plaines et se retournera plusieurs fois en nous faisant coucou de la main. Elle ramassera des fleurs, sauvera des colonies de fourmis, salira ses vêtements dans des flaques de boue. On la grondera mais la seconde d’après elle sera sur mon dos à crier « Ouais ! Plus haut ! » Elle fera l’oiseau avec ses bras et j’avancerai vite tandis que toi tu me prieras de faire attention à ton bout de choux. On sera heureux. On mangera des cerises, elle aimera les cerises. Beaucoup. Elle aimera aussi les fraises et explosera de joie quand je lui en ramènerai. Elle… mon amour de petite fille. Elle sera bien trop pure pour vivre ici. Bien trop innocente pour voir qui est l’homme. Elle ne vivra que dans ma tête, alors ? Monde, regarde ce que tu m’infliges. Hommes, regardez à quel point je suis pitoyable. A cause de vous, le rêve de ma vie ne pourra jamais s’accomplir. Car oui.

C’est terrible, Lana.

Terrible.

Je ne veux pas d’enfant.


Quand vous serez grandes.
Papa.