Elie se remettait peu à peu des événements. Presque quatorze heures de rebondissements dans tous les sens, avec des gens qui mourraient un peu partout. Quand elle était arrivée en ville, elle avait encore vu de nombreux cadavres. Si l’odeur de poisson qu’elle avait quitté en partant dans la montagne persistait, elle était accompagnée désormais d’une désagréable odeur de cendres, de pourriture et de sang. Le nuage de fumée était toujours présent, là, au-dessus de leurs têtes. Les survivants de la catastrophe avaient de plus en plus de mal à respirer convenablement. Cette pollution naturelle allait en tuer plus d’un, il ne fallait pas rester ici. Malheureusement, la plupart des navires à quais avaient sombré, coulés par la chute de roches volcaniques. Les autres étaient inutilisables.
Elie avait réussi à faire en sorte de pouvoir dormir un moment dans un lit, malgré l’agitation qui régnait. Trouver une chambre après un tel événement relevait du miracle. Par une chance extraordinaire, l’établissement où s’était installée Kurumu n’avait pas été détruit ni trop sévèrement endommagé. Elle avait donc pu emprunter le lit de la gamine pour se reposer un peu. Au réveil, elle mangerait, s’ils avaient réussi à conserver de la nourriture potable malgré toute la cendre, et irait trouver un moyen de quitter cet endroit.
***
Bart Krammer regardait dans ses jumelles. Le petit homme rondouillard fixait le nuage de fumée depuis qu’ils étaient arrivés en vue de l’île et ne s’en lassait pas. Un sourire de joie intense occupait la moitié de son visage replet. Il trépignait d’impatience. Il lui restait encore une bonne demi-heure avant d’accoster et c’était un calvaire que d’attendre autant.
« Tu devrais faire autre chose en attendant, Barty, lui suggéra une femme allongée sur un transat. Profite du soleil tant qu’il y en a. »
Isobel Krammer bronzait au soleil depuis qu’ils avaient pris la mer, quelques heures plus tôt. Elle était plus grande que son mari, moins ronde, et sans doute moins pressée de quitter les rayons du soleil pour l’obscurité de l’île sous son nuage de cendres. Non pas qu’elle n’aimât pas son travail, mais elle savait profiter du reste.
Les deux volcanologues avaient tout de suite rappliqué dès qu’ils avaient entendu parler de l’expédition de sauvetage. Ils étaient branchés sur les réseaux Denden en permanence et étaient à l’affut du moindre « volcan », « nuage de cendres », « lave » et bien d’autres mots qui les impliquaient directement. Si les sauveteurs s’étaient montré un peu réticents à embarquer deux civils en direction de la fournaise, ils furent rapidement convaincus par les arguments du couple. Bientôt, ils arriveraient sur l’île de Haut-Pays et pourraient s’attaquer à leurs investigations volcaniques.
***
La flotte de sauvetage se composait de près de dix bâtiments de plus ou moins grande taille. Pour un sinistre de cette envergure, les sauveteurs envoyaient l’artillerie lourde. Il fallait pouvoir évacuer le plus de personnes possible en un temps record. Leur nombre était encore bien trop réduit pour l’ampleur de la catastrophe, mais faire venir autant de navires en un laps de temps si court relevait du quasi miracle. Car s’il y avait quelques officiers efficaces, on ne pouvait pas dire que c’était le cas de la majorité.
Guantanamo Panda, commandant d’un petit navire mais bien organisé,
Le Cataplasme, faisait partie des sauveteurs les plus méritants du secteur. Il avait un physique de gorille, des muscles sans doute taillés dans du béton, un air mal aimable. Et pourtant… Commandant d’un navire de sauvetage, enchaînant les missions humanitaires, son dossier était vierge, pas la moindre bavure. Et ce n’étaient pourtant pas les occasions qui manquaient de péter une durite lors d’un sinistre, mais Panda avait un self-control hors-normes.
« Apprêtez-vous à accoster ! Ordonna-t-il à ses hommes alors qu’une centaine de mètres encore les séparait de la berge. Je veux que soient prêts les brancardiers et les médecins. La priorité, je vous le rappelle, ce sont les blessés, nous nous occuperons des cadavres par la suite. Nous devons sauver le plus de gens possible et le gros de l’éruption est passé. »
Et il y en avait du beau monde à sauver. Avec la finale de Kick-Volley qui avait eu lieu plus tôt, politiciens, célébrités et autres riches bourgeois s’étaient déplacés sur l’île. Le vol de la coupe avait retardé le départ de la majorité du public ; ce qui augmentait de beaucoup la populace à sauver, et aussi probablement, le nombre de décès.
« Ah, oui ! Refusez tout pot-de-vin, je prends d’abord les blessés et je doute avoir de la place pour un petit bourgeois indemne qui souhaiterait sucrer une place à un homme dans le besoin. Si certains veulent accompagner leurs amis ou familles alors qu’ils n’ont rien, expliquez leur fermement que nous ne pouvons pas nous le permettre. Fermement j’ai dit, pas avec violence ! »
***
Elie se réveilla. Elle avait un mal de crâne infernal et toussait sans pouvoir s’arrêter. Il fallait absolument qu’elle quitte l’île avant de ne plus pouvoir respirer du tout. Ses yeux la piquaient et elle voyait flou dès qu’elle tentait de les ouvrir. Elle s’assit sur le bord du lit. Sa tête lui tournait.
« Elie, je t’ai commandé de quoi manger, lui dit Kurumu. »
Sa voix résonna dans sa tête comme si on venait de frapper sur un gong à cinq centimètres de son oreille. Elle put à peine prononcer un « merci » et pas assez fort pour que la gamine l’entende. Elle ne pouvait pas rester sans tousser plus de quinze secondes et c’en était extrêmement douloureux. La gamine l’aida à se relever, ce qui accentua ses quintes de toux. Elle tenta d’avaler un morceau de pain que lui tendait Kurumu mais sans succès. Elie recrachait invariablement tout ce qu’elle tentait d’avaler.
Petit à petit, avec l’aide de la gamine, Elie parvint à sortir de la chambre, à descendre l’escalier et à sortir prendre l’air… Qui n’était pas plus respirable dehors que dedans. Ses yeux ne lui permettaient toujours pas de voir quoi que ce soit. Sa gorge la brûlait. Sa tête était comme comprimée. Elie s’affala le long du mur, se prit la tête entre les mains en tentant d’enrayer sa toux. Elle n’en pouvait plus de tousser comme ça, sa position allongée avait permis aux cendres de se déposer, elle n’aurait jamais dû dormir.
***
À peine l’armada de bateaux de secours avait-elle accosté qu’Isobel et Bart Krammer étaient débarqués. Ou plutôt, ils avaient sauté du navire. Instruments et autres matériaux en tout genre bien calés dans des sacs à dos plus gros qu’eux-mêmes.
« Tu vois ce que je vois Isobel ?
-Pourquoi tu poses toujours des questions aussi absurdes ?
-Je vois une ville après un sinistre.
-
Pourquoi tu dis toujours des choses aussi stupides ?-Allons-y, il doit y avoir de nombreux décès en ville, commençons par-là ! Je me sens d’une humeur festive.
-Penses à ces pauvres gens qui sont morts.
-
Tu es rabat-joie. »
Les deux acolytes étaient des prospecteurs de mort. Leurs études des volcans ne se limitaient pas à une version géologique de la chose, ils étudiaient les différentes manières de tuer d’un volcan. Quelle n’était pas leur joie quand une explosion arrivait. Ils étaient certains que le bilan serait lourd, une veine !
Lorsque M. et Mme Krammer arrivèrent devant leur premier cadavre, celui-ci allait être emporté par deux gaillards bien solides. Bart intervint juste à temps pour qu’on les laisse faire, montrant aux deux messieurs sa carte de spécialiste. Les deux haussèrent les épaules et s’en furent chercher un autre cadavre à dégager des rues. Le petit homme bedonnant s’accroupit près de son objet d’étude.
« Il est mort.
-
Merci Bart, encore une fois, tes déductions sont d’une clairvoyance !-Je pense qu’on peut estimer que le décès a été causé suite à un choc violent, analysa le petit gros.
-Il a le crâne défoncé, évidemment que c’est un choc violent !
-Si tu mettais un peu plus d’enthousiasme à ton métier, on avancerait peut-être plus vite.
-
Oui, oui, et si on était partis un quart d’heure plus tôt, on serait là depuis un quart d’heure, fit Isobel narquoise.-Je crois que je préférais quand tu m’insultais directement.
-Bon, c’est pas tout, mais, faut bien commencer !
-Oui, mettons-y du cœur ! S’exclama Bart.
-
Commençons par le sien. »
Isobel Krammer posa son sac à même le sol. Elle en sortit une seringue, une aiguille qui devait bien faire une vingtaine de centimètre de long, planta la pointe dans une petite fiole, aspira le liquide conservé à l’intérieur, puis, transperçant la cage thoracique du mort, lui injecta son produit directement dans le cœur. À côté, son mari souriait toujours, regardant attentivement le corps, comme s’il allait se mettre à bouger. Mais non, celui-ci, qui était dans une position de cadavre -allongée, soit dit en passant- ne vibra pas d’un décamètre. Une étrange fumée sortait du corps toutefois, et, tandis que la bonne femme dépliait un objet qui avait tout l’air d’être un détecteur de métaux, son mari farfouillait dans la poche de sa veste.
« Attends deux secondes, je vérifie si la pulsation du cœur est suffisante, fit Bart en sortant un petit appareil. »
BIIIIP, BIIIP, BIIIP…
« C’est bon, vas-y, le corps sera totalement déshydraté dans six minutes, ce qui fait qu’on a six minutes.
-
Merci Bart, je ne m’en serais pas doutée.-Je pense à voix haute ! Tu n’as qu’à pas m’écouter !
-Tu parles, je suis la seule personne vivante et présente,
les deux à la fois, je t’écoute. Et si tu pensais intelligemment, je ne dirais rien… »
Elle abaissa sa perche métallique au-dessus du corps, passa trois ou quatre fois des pieds à la tête et de la tête aux pieds, tentant volontairement d’éborgner son mari au passage. Puis, après un premier sourire satisfait qui s’effaça bien vite, elle rangea sa perche en vitesse. Les deux volcanologues se relevèrent bien vite, se frottant les mains pour en enlever la poussière, regardant peu à peu le corps fondre, ne laissant plus que la peau sur les os. Données en poche, ils repartirent vers une nouvelle victime. Quant à savoir si la victime en question était celle du volcan ou la leur…
***
Kurumu ne savait pas quoi faire pour aider son amie. Elle était tiraillée entre l’idée d’aller chercher de l’aide et de tenter désespérément de lui apporter son soutien. Aussi, ne fit-elle rien de tout cela, et se contenta de la fixer, alors que celle-ci s’évertuait à cracher la moindre cellule de ses poumons.
L’arrivée opportuniste de deux énergumènes avec des gros sacs à dos et des tenues de scientifiques randonneurs,
sisi, ça existe, fut accueillie par la gamine avec moult questions. Enfin, une seule, mais ça faisait déjà beaucoup pour Kurumu qui n’avait pas l’habitude d’ouvrir la bouche pour adresser la parole à quelqu’un.
« Vous pourriez l'aider ? Elle est en train de clamser je crois.
-Je crains que nous dussions attendre un peu, nous ne sommes pas habilités à agir en l’état, répondit Bart Krammer.
-Pourquoi faut-il toujours que tu dramatises ?
Et pourquoi faut-il toujours que tu utilises des formulations pompeuses quand tu parles à des extérieurs ? Fit Isobel agacée. Nous allons nous occuper de ton amie, mais il faudra compter, je pense, une vingtaine de minutes avant le début de l’opération.
-QUOI ? Vingt minutes ?! C'est une blague là ?
-Bart, cette gamine est horrible…
-Mais non, je la comprends, plus son amie meurt vite, plus elle est soulagée qu’elle ne souffre pas trop.
-Euh… Tu peux pas juste la sauver ?
-Nous ne pouvons pas agir tant qu’elle n’est pas morte. »
Isobel hocha la tête de haut en bas d’un air grave. Son mari avait totalement et judicieusement raison pour une fois, et elle ne pouvait pas le blâmer d’informer la petite de la forte proportion de personnes décédées dont ils s’occupaient. Mais elle ne le manquerait pas à la prochaine connerie qu’il sortirait.
Vous savez, sur ce point-là, on peut lui faire confiance…***
Guantanamo avait laissé ses troupes s’occuper des blessés sur leur chemin et était parti, Denden en main, pour en repérer d’autres dans toute la ville, surtout vers l’extérieur, où il savait que ses troupes ratisseraient moins. Dès qu’il en avait repéré, il envoyait un message à ses hommes qui amenaient, selon le cas, médecins, brancardiers ou, dans les cas les plus graves, les deux. Pour ce genre de cas, il appliquait lui-même les premiers soins.
Lorsqu’il vit le petit groupe qui attendait juste à côté de l’hôtel, il accéléra le pas. Il avait déjà eu affaire avec deux d’entre eux, et il ne les aimait pas, mais alors pas du tout. Surtout que, pour une fois, ils n’étaient pas accroupis par terre à tripoter des cadavres, ce qui était assez louche quand même.
« Krammer ! Hurla-t-il.
-Oui ? Fit Bart, tandis que sa femme acquiesçait d’un air maussade. Ah, Panda ! Mon vieil ami, que fais-tu là ?
-
Tu dis trop de conneries Bart, tu dis trop de conneries… Il est sauveteur, il y a plein de blessés partout, tu ne devines pas ce qu’il fait là ?-Je viens voir si ta sale bobine est en règle.
-C’est pas des façons de causer à son vieux copain ça ! S’exclama joyeusement le petit gros. »
Derrière eux, Elie continuait à tousser. Le commandant l’entendit et regarda le couple avec fureur. Ils avaient tenté de lui cacher un blessé. Et les blessés, c’était à lui de s’en occuper, pas à ces deux croque-mort. Il se retint de les emplafonner. D’abord, il n’y avait pas de plafond, ensuite c’était une faute grave, de blesser des gens sains alors que d’autres se mourraient à côté.
« Bon, mademoiselle, vous pouvez me dire ce qu’a votre amie ?
-Non Panda, ce ne sont pas des manières, on ne vole pas le cadavre des autres !
-
Tu t’enfonces Bart…-Je ne t’ai pas causé à toi ! Et la demoiselle respire encore, ça ne relève pas de votre domaine abruti !
-Plus qu’une question de minutes mon cher… Rétorqua Bart en tapotant du doigt sur sa montre.
-Il n’a pas tort…
-Donc ? Qu’est ce qui s’est passé ? Demanda pour la seconde fois le commandant à Kurumu tout en ignorant les deux zigs.
-Nous étions sur le volcan quand ça a explosé. Je ne détaille pas, mais nous sommes revenus ici et Elie a piqué un somme.
-D’accord, je vois, fit Guantanamo Panda avant de s’écarter un peu en portant son escargophone à ses lèvres. Je veux deux brancardiers, et deux, non, un médecin à l’est de la ville, Hôtel de la Plage, de toute urgence.
-Vous étiez sur le volcan ? Demandait pendant ce temps Bart Krammer à la gamine tout en se frottant les mains. Mais c’est très intéressant ça… Isobel ? »
Mais Mme Krammer avait devancé son mari. Et elle avait sorti de son sac une toute petite seringue, avec une plutôt longue aiguille et une toute petite dose à l’intérieur. Et avait injecté à Elie son contenu, plantant son aiguille aux environs des poumons de la demoiselle. Ça avait été très rapide, Panda n’avait rien vu. Dans moins de cinq minutes, elle allait arrêter de tousser, de vivre aussi probablement dans les deux minutes d’après. Et le cadavre serait à eux. Le cas était trop rare pour le laisser entre les pattes salvatrices du commandant. Leur étude ne s’arrêterait pas à une simple analyse, pour un tel cas, il fallait creuser plus loin.
« Bon, maintenant dégagez d’ici bande de charognards ! Eructa le sauveteur. J’ai une équipe qui arrive et je m’occupe moi-même du cas.
-Panda, si elle meurt avant que tes brancardiers n’arrivent, elle est à nous, répondit calmement le volcanologue.
-Vous lui avez fait quelque chose ? S’emporta le commandant.
-Pourquoi tant de haine ? Nous faisons notre métier. Nous respectons le tien. Tu gardes les vivants, nous gardons les morts.
-Bart, si tu redis une connerie, je t’étouffe, le prévint sa femme. »
Isobel Krammer tira son mari par le bras, le poussant à s’éloigner de la fille et de son sauveur, qui les suivait toujours d’un regard mauvais et ostensiblement méprisant. Il n’appréciait certes pas qu’on néglige à ce point la vie des gens. Et détruire leur mort lui paraissait encore plus effroyable et inhumain, toutefois, bien obligé, il laissait faire. Mais là, leur proie était encore bien vivante. Elle prenait de temps en temps de longues et atroces respirations, entre ses quintes de toux à répétition.
Guantanamo Panda prit le poignet de la jeune fille. Dans sa main, celui-ci paraissait aussi petit et fragile que chez une enfant en bas âge. Il prit son pouls. Les battements du cœur étaient normaux. Enfin, normaux… Le cœur battait très vite, mais il s’y attendait. Il souhaitait simplement éviter que celui-ci ne s’arrête. Le cœur n’avait aucune raison de la lâcher avant qu’elle s’étouffe complètement. Mais si elle commençait à suffoquer…
Et Kurumu pendant ce temps-là ? Elle était restée en retrait. Enfin, à quelques mètres d’Elie. Au moment où la taciturne Mme Krammer avait injecté son produit, elle s’était fait harponner par le petit gros. Elle avait tout de même remarqué que celle-ci s’était rapidement approchée de la malade, sans parvenir à en voir plus. Plus elle entendait le sauveteur agresser les deux ambassadeurs de mort, plus elle avait envie de lui dire. Ce serait juste une énième façon de sauver Elie. Elle n’aimait pas discuter avec les gens qu’elle ne connaissait pas. Toutefois, là, il y avait urgence. Elle s’approcha du colosse et lui glissa quelques mots à l’oreille.
« Qu’est-ce que vous lui avez fait ?!! Explosa le colosse. Je veux savoir ! Immédiatement ! Vous avez interdiction de toucher aux blessés ! Tout comme j’ai interdiction de vous refuser un cadavre !
-D’ailleurs, en parlant de cadavre…
-
Ta gueule, Bart !-Je tenais juste à dire qu’on ne l’entend plus tousser, fit-il remarquer en pointant Elie du doigt. »
Panda attrapa Elie, délicatement. Le plus délicatement possible avant de l’installer sur son épaule. Elle ne parvenait plus à respirer et il fallait la mettre sous masque à oxygène de toute urgence, aussi, il préférait transgresser les règles et rejoindre ses médecins et tout le matériel de soins plutôt que de les attendre. Si le brancard ne venait pas à Guantanamo Panda, alors, Guantanamo Panda irait au brancard, coûte que coûte. Aussi, il attrapa les deux Krammer par le col, chacun dans une main et les emporta avec lui. Kurumu suivit, inquiète du sort de la comédienne.
***
« Mettez-lui tout de suite un masque à oxygène ! Je m’occupe de faire parler les deux zouaves, dit le sauveteur à ses hommes.
-D’accord monsieur, on lui met un tube ? Que l’air arrive directement à ses poumons. Il faut pouvoir oxygéner le cerveau au plus vite.
-Faites. Je veux juste qu’elle reste en vie. J’en fais une affaire personnelle. »
Un sourire goguenard toujours figé sur sa figure bouffie, Bart Krammer regardait son rival dans les yeux. Isobel regardait son mari avec agacement. Il était toujours trop peu subtil pour marchander avec des gens comme Panda. Il adorait parler, ça elle l’avait remarqué. Mais pour une fois qu’ils tombaient sur un cas aussi intéressant, il aurait pu la boucler, bordel ! Certes, le colosse était arrivé au mauvais moment, mais était-ce bien une raison de tout faire foirer en adoptant une attitude aussi visiblement provocatrice ?
« Bon, les deux horreurs. Maintenant qu’elle est en sécurité, vous allez me dire ce que vous lui avez fait.
-Fait ? Mais nous attendions qu’elle meure voyons…
-J’ai un témoin, Krammer, ne joue pas avec moi, vous avez interdiction de toucher un blessé !
-Bart, pour une fois, fermes ta grande gueule, ça vaudra mieux.
-Vous avez quelque chose à me dire Mme Krammer ?
-
Isobel, je suis jaloux, il te vouvoie et te donne du Madame !-Monsieur Panda, si j’ai bien compris, vous pouvez la garder dans le coma jusqu’à ce que vous trouviez un moyen de la ranimer ? Demanda la volcanologue, sans tenir compte des jérémiades de son mari.
-C’est exact. Et je le ferai. Seulement, si nous attendons, elle risque fortement d’avoir des séquelles irréversibles, et je ne garde pas en vie les gens pour en faire des légumes.
-Nous pourrions peut-être trouver un compromis dans ce cas. »
Le sauveteur n’aimait pas ça. Il savait que Bart Krammer était une immonde pourriture. Une ordure de la pire espèce. Et jusqu’ici, c’était lui qui semblait prendre les décisions dans le duo. Cependant, il se rendait bien compte, que, le cerveau dans l’affaire, c’était elle. Et il n’aimait pas ça. Parce qu’elle était la femme de Bart Krammer et parce que trouver un compromis avec elle serait sans doute une grossière erreur. Il se tourna vers Kurumu.
Cette dernière écoutait attentivement la conversation. En vérifiant toutes les trente secondes ce qui se passait derrière avec Elie. Elle n’arrivait que très rarement à tisser des liens. Elle avait énormément de mal à donner sa confiance aux autres. Ce qui en rebutait plus d’un. Mais Elie n’avait pas cherché à jouer son jeu, elle avait tenté de faire connaissance. Pour de mauvaises raisons au départ, certes. Mais au fur et à mesure que leur relation avançait, elle sentait bien que ce n’était plus le cas. Elie s’était débarrassée de ce côté intéressé qui avait poussé les deux jeunes femmes à discuter ensemble.
« Mademoiselle, en tant qu’amie, vous êtes la mieux placée pour décider de ce qu’on doit faire ou pas à propos de la jeune fille sur le brancard.
-Elle s’appelle Elie, le coupa Kurumu.
-Qu’est-ce que vous préférez ? Attendre au risque que votre amie ait des séquelles ou s’arranger avec ces deux pourritures au risque d’y laisser un bras…
-On peut au moins écouter ce qu’ils ont à proposer. »
Le petit gros ricana, l’air de dire que la gamine était plus maligne que l’armoire à glace. Sa femme tapa du poing sur sa tête et s’avança vers Panda. Une discussion à deux contre deux. Un débat entre les partisans de la vie et ceux de la mort. Bien entendu, pour Kurumu, Elie allait survivre, et c’était l’essentiel. Panda aurait préféré ne pas avoir à céder du terrain aux Krammer. Bart et Isobel allaient devoir batailler pour en obtenir le plus possible.
De terrain, je veux dire, pas de morceaux de la demoiselle…« Nous allons vous dire ce que nous avons fait à la presque-morte tout à l’heure, commença la grande gigue taciturne.
-
Déjà ? Ricana le joufflu.-Bien, j’imagine qu’il y a un mais, sinon, ce ne serait pas un compromis, commenta le colosse.
-Déjà, nous voulons que vous omettiez de mentionner nos agissements sur blessé dans votre rapport. Notre licence n’étant valable que pour les gens dont le cœur a cessé de battre.
-Vous voulez que je passe l’éponge ?! Hors de question.
-Dans ce cas, nous ne pouvons pas…
-Il accepte, intervint Kurumu.
-Petite, il me semble que là, c’est à moi de dire si je suis d’accord ou non.
-Et vous êtes d’accord, il s’agit ici de sauver Elie, et ça me parait être logique que s’ils acceptent de nous aider à la sauver…
-Ils ont tenté de la tuer… »
Kurumu faisait déjà des efforts surhumains pour discuter avec des gens sans les connaître. Mais là, elle trouvait que le colosse s’occupait plus de dégager du secteur les deux croque-morts que de sauver la vie de sa camarade. Et elle lui fit savoir. Au bout d’une intense discussion entre eux, il finit par céder.
Isobel Krammer demanda, en plus de cette immunité dont ils régleraient les détails plus tard, l’intégralité des analyses faites sur la personne d’Elie au sujet de sa toux dévastatrice. Le nom de l’ensemble des remèdes employés pour la sauver devrait aussi leur être envoyé. Elle précisa qu’une radiographie de la trachée et des poumons était attendue. Lorsqu’elle eut fini son discours, elle regarda Panda dans les yeux. Celui-ci ne put qu’acquiescer en voyant que la gamine à côté de lui était d’accord avec ce compromis. Il ne voyait pas bien ce qu’il aurait pu opposer aux arguments de la volcanologue. Elle ne demandait pas la lune, et il aurait accepté sur le champ si ça n’avait pas été eux.
« Marché conclu… Soupira-t-il.
-Très bien, mais je veux être assurée que vous respecterez votre part du contrat.
-On ne va pas se faire avoir comme ça, susurra Bart. »
Guantanamo Panda ne prit même pas le temps de réfléchir. Il asséna un coup de poing dans la face replète du petit gros qui vola sur quelques mètres. Ce dernier se releva le nez en sang, et pour la première fois, son large sourire avait disparu. Il se tenait le visage en jurant. Le commandant, quant à lui esquissa un sourire avant d’ajouter :
« Voilà, comme ça, nous avons tous les deux une raison de ne pas dénoncer l’autre et de respecter ce foutu contrat. »
Kurumu n'avait pas vraiment fait grand cas de la scène, mais ça la démangeait aussi tout particulièrement de dégommer le petit bonhomme. En voyant que c’était chose faite, elle se concentra de nouveau sur Elie. Elle se déplaça jusqu’au brancard pour voir si tout allait bien. Ils avaient inséré un tube dans la gorge de la jeune fille pour oxygéner directement les poumons. Elle trouvait le spectacle bien triste, mais le sauveteur était actuellement en train d’apprendre ce qu’Isobel Krammer avait fait, à savoir, stopper le mécanisme de respiration de la demoiselle. Elle avait paralysé les muscles inspiratoires. Une simple piqûre d’adrénaline au niveau du diaphragme suffisait à les faire repartir.
Elie fut embarquée par les brancardiers jusqu’au navire, il lui restait encore une tripotée de soins à subir, avant d'être de nouveau en pleine forme. S'ils avaient réussi à faire repartir son système respiratoire, elle était encore encombrée par les cendres. Elle avait du ramasser on ne savait quelle cochonnerie, et, n'étant pas la seule victime du volcan, elle mettrait au moins une bonne semaine à s'en remettre totalement. Kurumu regarda tout ce monde partir. Elle devrait attendre que tous les blessés soient évacués pour trouver un navire qui voudrait bien l'emmener hors de l'île. Peut-être pourrait elle utiliser ce temps pour retrouver la coupe, qui sait?
- Spoiler:
La narration s’excuse de la longueur démesurée du récit précédent, en espérant que ce soit bien quand même.