Ca fait toujours drôle de revenir dans un bled qu’on a pas fréquenté depuis onze ans. Loguetown, petite ville à des lieues de ces métropoles polluées, mais quand même assez importante pour être qualifiée de capitale d’East Blue. Bon, c’était ici que y’avait tous les grands magasins du coin, et les armureries, et les forgerons, et cætera. Héhé... Je conservais encore ces douleurs résiduelles de mes épreuves d’entrée au Cipher Pol, et tout ça je l’avais enduré pour que l’on m’envoie finalement aller m’acheter des armes, car je cite « t’es le genre de personne qui sert à rien si elle a pas un fusil dans les mains, alors bouge toi le cul et va t’en chercher un ». Du coup, j’me retrouvais plantée là, devant le panneau à côté de l’office de tourisme pour me repérer sur la carte, avec la pluie qui me tombait dessus par hectolitres. Héhéhé, la situation me donnait envie de rire et de pleurer.
- Vous êtes ici, vous êtes ici… Bordel il est où le « vous êtes ici » ? Foutue carte de merde, dans une ville de merde, par un temps de merde !
- C’est là, bourrique, à droite de ton vilain doigt, là, là… non plus bas. Lààààà, voilà.
- LA FERME ! La ferme, la ferme, la ferme ou je te jure que…
- Que quoi ? Que tu vas te frapper jusqu’à ce que tu tombes inconsciente ? T’as déjà essayé plein de fois, ça marche pas, pfeuh... T’es trop faible, gnéhéhé !
- NAN C’EST PAS VRAI, J’SUIS PAS FAIBLE D’ABORD ! J’aimerais juste que tu disparaisseuuuuuh !
Le problème quand une voix te parle dans ta tête, c’est que t’as l’habitude de lui parler, comme si de rien était, comme si le monde entier autour de toi s’en foutrait royalement qu’une jeune femme à l’air un peu gauche et faiblard parle toute seule. Alors que non. Ouaip, en fait je n’avais pas saisi au début que les gens me regardaient bizarrement. Il m’a réellement fallu quelques années pour m’en rendre compte ; et à rajouter à chaque fois, et mon teint fiévreux, et mes pupilles dilatées qui n’amélioraient pas les choses. Ben ouais, même qu’une fois, j’avais entendu un gamin demander à sa mère « alors c’est à ça qu’on ressemble quand on mange trop de bonbons ? ».
M’enfin bon, ça ne m’a jamais empêchée de lui répondre, à la voix dans ma tête, seule ou pas. De toute façon, je n’étais jamais seule, car cette entité, que j’appelais Bachibouzouk, occupait toujours mon esprit. Les crises, c’était seulement quand le schmilblick cherchait à prendre le contrôle. Et bien souvent ça se terminait comme ça :
- Passe à travers le mur !
- Non mais ta gueule, tu vois bien que j’vais me vautrer !
- M’en contrefout.
Et moi de foncer, à chaque fois, tête baissée, me prendre un mur sans raison, au beau milieu de la foule, et perdre connaissance, pour qu’à chaque fois, ensuite, je me réveille avec un pervers près de moi à me demander, avec moult insistance :
- Vous avez besoin d’aide, madame ? J’ai une maison pas loin, vous pouvez vous y reposer si vous voulez. Allez, venez… veneeeeeeeeeeez… On est bien, bien, bien, bien…
Fin bref, ça c’était rien encore, comparé à quand ça a commencé. J’vous ai jamais raconté comment cette foutue bestiole qui occupe mon esprit m’a bousillé la vie à l’âge de douze ans ? Bah j’le ferai pas. Enfin, pas dans les grandes lignes. Faut juste savoir qu’à l’époque, j’avais retrouvé confiance en moi et l’amour de mes parents, ou plutôt devrais-je dire, l’attention de mes parents pour la source de revenu que j’étais à leurs yeux. Yep, c’est pas facile d’être un gosse, surtout quand on bosse pour être aimé. Et puis j’avais une situation stable à l’époque, un CDI chez l’armurier en tant qu’apprenti, payée un peu moins que le SMIC, mais c’est déjà ça m’voyez. Tout ça pour dire que c’était la belle vie, j’avais un travail que j’aimais, j’allais sûrement devenir riche avec tous les gens qui utilisent des armes à tout bout de champs pour s’entretuer. J’aurais sûrement été habiter à Marineford, avec la crème des armuriers qui bossent pour la marine et se font des bijoux de famille en or, et trouver un mari fort et vaillant, et mourir dans mon lit et ma pisse comme tout être humain rêve de le faire.
Ouais mais ça c’était avant que j’me cogne la tête. Car oui, tout ça ne serait jamais arrivé si je ne m’étais pas stupidement cognée la tête contre un mur. Pour être plus explicite, à douze ans on aime bien tenter un peu de nouvelles choses, prendre des risques idiots et accumuler connerie sur connerie. Mon défi ce jour-là, c’était de rester sur la balançoire tandis que celle-ci tournait autour de la barre à laquelle elle était accrochée. Nul doute que j’avais déjà beaucoup de force, et que j’aurais sûrement pu tenir jusqu’à me prendre la barre dans la figure ; mais je n’aurais jamais pensé que la corde s’enroulerait autour de mes doigts, et m’enverrait balader à l’autre bout du parc, dans cette façade en béton.
Dix points de suture, ma gueule, et j’étais toujours en vie. J’m’étais réveillée dans cette antique clinique du village, où une pauvre grand-mère au regard doux et attentionné s’amusait à enlever et remettre son dentier pour me faire rire. Encore aujourd’hui, c’est un bon souvenir que je garde de cette vieille femme, quoi qu’un peu effrayant néanmoins avec le recul. Bref, j’étais en vie, mais je n’étais plus seule dans ma tête. Bon ça, ils l’ont pas deviné tout seuls, et ils m’ont pas fait faire une IRM. D’ailleurs c’est quoi une IRM ? Dans tous les cas, deux jours après, j’ai pu rencontrer mon autre moi alors que j’étais au boulot. J’étais alors en train de démonter un pistolet hors d’usage à l’aide de mon fidèle marteau-écrabouilleur, quand ma propre voix résonna dans mon crâne, comme si j’étais en train de penser, sauf que c’était involontaire et totalement imprévu. Mais pire que ça, la voix me donnait un ordre, toujours le même, et bien qu’au début c’était totalement insignifiant, à la fin j’en ressentais un mal horrible dans le crâne et une nausée insurmontable. Enfin je compris, que si je ne satisfaisais pas les désirs du machin, mon cas empirerait. Alors j’ai fait ce qu’elle demandait.
Et avec mon gros marteau-pilon, j’ai écrasé la main de mon chef qui bossait à côté de moi. Il l’a senti passer, m’a regardé dans les yeux deux longues minutes, et m’a virée derechef. C’était vraiment de l’abus de pouvoir, de me virer pour aussi peu que ça, surtout que par rapport aux autres conneries que Bachibouzouk m’a poussé à faire après, c’était rien. Puis encore aujourd’hui, j’m’en souviens de ma première mission :
- Tu vas prendre ce gros marteau et lui péter ses gros doigts qui puent !
En même temps, c’était pas faux qu'ils puaient, vu qu’il n’arrêtait pas de se les plonger dans son pantalon, ses gros doigts.
Enfin bon, pour en revenir à la réalité, une foule plutôt impressionnante était en train de se rameuter autour de moi, tandis que je me brisais les doigts et les tibias sur le panneau d’information.
- Avec tout ça j’ai perdu le « vous êtes ici » ! GNAAAAAAAAAAAA !!
- Ma-madame, vous avez un pro-problème ?
Un soldat de la Marine venait d’entrer dans mon champ de vision. Et à la vue de son expression crédule, ma colère redoubla d’intensité.
- Je cherche une armurerie, bougre de dieu ! Je croyais que y’avait que ça dans votre satanée ville ! Fustigeais-je l’inconnu bègue au regard paniqué.
- Su-surveillez votre ton, on en a bou-bouclé certains pou-pour moins que ça ! J-je vais vous mon-montrer où il y a une armu-murerie, si vous promettez de vou-vous calmer !
Reprenant mes esprits, j’acquiesçais par un hochement de la tête, acceptant d’accompagner l’individu jusqu’au magasin le plus proche. La peuplade commençait à se disperser tranquillement, car peut être les gens se sentaient plus en sécurité à présent que la folle à lier était sous surveillance.
Entre temps je me disais que c’était étrange de trouver un soldat de la marine avec autant de patience et de condescendance, quand soudain il s’arrêta – on devait même pas avoir fait dix mètres - et m’annonça en prenant l’air le plus sérieux qu’un bègue puisse avoir :
- Vous trou-trouverez probablement ce que vous cherchez ici. Il pointait du pouce une échoppe surmontée d’une enseigne gigantesque sur laquelle figuraient en lettres d’imprimeries « Armurerie Bishop ». Sinon con-continuez dans cette rue, il doit y avoir au moins cin-cinq ou six bou-boutiques. Mais plus de gra-grabuge, sinon la prochaine fois je vous co-coffre pour de bon !
- Voui monsieur l’agent. Répondis-je, l’air contrit, avant de tirer la lourde porte de l’établissement pour m’y engouffrer.
Comble de coïncidence, quelques secondes après être entrée , la pluie s’arrêta de tomber. Ville de merde !
Dernière édition par Annabella Sweetsong le Sam 8 Mar 2014 - 4:13, édité 2 fois