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[FB][Solo] Faire les courses, ça rend nostalgique




Ca fait toujours drôle de revenir dans un bled qu’on a pas fréquenté depuis onze ans. Loguetown, petite ville à des lieues de ces métropoles polluées, mais quand même assez importante pour être qualifiée de capitale d’East Blue. Bon, c’était ici que y’avait tous les grands magasins du coin, et les armureries, et les forgerons, et cætera. Héhé... Je conservais encore ces douleurs résiduelles de mes épreuves d’entrée au Cipher Pol, et tout ça je l’avais enduré pour que l’on m’envoie finalement aller m’acheter des armes, car je cite « t’es le genre de personne qui sert à rien si elle a pas un fusil dans les mains, alors bouge toi le cul et va t’en chercher un ». Du coup, j’me retrouvais plantée là, devant le panneau à côté de l’office de tourisme pour me repérer sur la carte, avec la pluie qui me tombait dessus par hectolitres. Héhéhé, la situation me donnait envie de rire et de pleurer.
- Vous êtes ici, vous êtes ici… Bordel il est où le « vous êtes ici » ? Foutue carte de merde, dans une ville de merde, par un temps de merde !
- C’est là, bourrique, à droite de ton vilain doigt, là, là… non plus bas. Lààààà, voilà.
- LA FERME ! La ferme, la ferme, la ferme ou je te jure que…
- Que quoi ? Que tu vas te frapper jusqu’à ce que tu tombes inconsciente ? T’as déjà essayé plein de fois, ça marche pas, pfeuh... T’es trop faible, gnéhéhé !
- NAN C’EST PAS VRAI, J’SUIS PAS FAIBLE D’ABORD ! J’aimerais juste que tu disparaisseuuuuuh !

Le problème quand une voix te parle dans ta tête, c’est que t’as l’habitude de lui parler, comme si de rien était, comme si le monde entier autour de toi s’en foutrait royalement qu’une jeune femme à l’air un peu gauche et faiblard parle toute seule. Alors que non. Ouaip, en fait je n’avais pas saisi au début que les gens me regardaient bizarrement. Il m’a réellement fallu quelques années pour m’en rendre compte ; et à rajouter à chaque fois, et mon teint fiévreux, et mes pupilles dilatées qui n’amélioraient pas les choses. Ben ouais, même qu’une fois, j’avais entendu un gamin demander à sa mère « alors c’est à ça qu’on ressemble quand on mange trop de bonbons ? ».
M’enfin bon, ça ne m’a jamais empêchée de lui répondre, à la voix dans ma tête, seule ou pas. De toute façon, je n’étais jamais seule, car cette entité, que j’appelais Bachibouzouk, occupait toujours mon esprit. Les crises, c’était seulement quand le schmilblick cherchait à prendre le contrôle. Et bien souvent ça se terminait comme ça :
- Passe à travers le mur !
- Non mais ta gueule, tu vois bien que j’vais me vautrer !
- M’en contrefout.
Et moi de foncer, à chaque fois, tête baissée, me prendre un mur sans raison, au beau milieu de la foule, et perdre connaissance, pour qu’à chaque fois, ensuite, je me réveille avec un pervers près de moi à me demander, avec moult insistance :
- Vous avez besoin d’aide, madame ? J’ai une maison pas loin, vous pouvez vous y reposer si vous voulez. Allez, venez… veneeeeeeeeeeez… On est bien, bien, bien, bien…

Fin bref, ça c’était rien encore, comparé à quand ça a commencé. J’vous ai jamais raconté comment cette foutue bestiole qui occupe mon esprit m’a bousillé la vie à l’âge de douze ans ? Bah j’le ferai pas. Enfin, pas dans les grandes lignes. Faut juste savoir qu’à l’époque, j’avais retrouvé confiance en moi et l’amour de mes parents, ou plutôt devrais-je dire, l’attention de mes parents pour la source de revenu que j’étais à leurs yeux. Yep, c’est pas facile d’être un gosse, surtout quand on bosse pour être aimé. Et puis j’avais une situation stable à l’époque, un CDI chez l’armurier en tant qu’apprenti, payée un peu moins que le SMIC, mais c’est déjà ça m’voyez. Tout ça pour dire que c’était la belle vie, j’avais un travail que j’aimais, j’allais sûrement devenir riche avec tous les gens qui utilisent des armes à tout bout de champs pour s’entretuer. J’aurais sûrement été habiter à Marineford, avec la crème des armuriers qui bossent pour la marine et se font des bijoux de famille en or, et trouver un mari fort et vaillant, et mourir dans mon lit et ma pisse comme tout être humain rêve de le faire.
Ouais mais ça c’était avant que j’me cogne la tête. Car oui, tout ça ne serait jamais arrivé si je ne m’étais pas stupidement cognée la tête contre un mur. Pour être plus explicite, à douze ans on aime bien tenter un peu de nouvelles choses, prendre des risques idiots et accumuler connerie sur connerie. Mon défi ce jour-là, c’était de rester sur la balançoire tandis que celle-ci tournait autour de la barre à laquelle elle était accrochée. Nul doute que j’avais déjà beaucoup de force, et que j’aurais sûrement pu tenir jusqu’à me prendre la barre dans la figure ; mais je n’aurais jamais pensé que la corde s’enroulerait autour de mes doigts, et m’enverrait balader à l’autre bout du parc, dans cette façade en béton.

Dix points de suture, ma gueule, et j’étais toujours en vie. J’m’étais réveillée dans cette antique clinique du village, où une pauvre grand-mère au regard doux et attentionné s’amusait à enlever et remettre son dentier pour me faire rire. Encore aujourd’hui, c’est un bon souvenir que je garde de cette vieille femme, quoi qu’un peu effrayant néanmoins avec le recul. Bref, j’étais en vie, mais je n’étais plus seule dans ma tête. Bon ça, ils l’ont pas deviné tout seuls, et ils m’ont pas fait faire une IRM. D’ailleurs c’est quoi une IRM ? Dans tous les cas, deux jours après, j’ai pu rencontrer mon autre moi alors que j’étais au boulot. J’étais alors en train de démonter un pistolet hors d’usage à l’aide de mon fidèle marteau-écrabouilleur, quand ma propre voix résonna dans mon crâne, comme si j’étais en train de penser, sauf que c’était involontaire et totalement imprévu. Mais pire que ça, la voix me donnait un ordre, toujours le même, et bien qu’au début c’était totalement insignifiant, à la fin j’en ressentais un mal horrible dans le crâne et une nausée insurmontable. Enfin je compris, que si je ne satisfaisais pas les désirs du machin, mon cas empirerait. Alors j’ai fait ce qu’elle demandait.
Et avec mon gros marteau-pilon, j’ai écrasé la main de mon chef qui bossait à côté de moi. Il l’a senti passer, m’a regardé dans les yeux deux longues minutes, et m’a virée derechef. C’était vraiment de l’abus de pouvoir, de me virer pour aussi peu que ça, surtout que par rapport aux autres conneries que Bachibouzouk m’a poussé à faire après, c’était rien. Puis encore aujourd’hui, j’m’en souviens de ma première mission :
- Tu vas prendre ce gros marteau et lui péter ses gros doigts qui puent !
En même temps, c’était pas faux qu'ils puaient, vu qu’il n’arrêtait pas de se les plonger dans son pantalon, ses gros doigts.

Enfin bon, pour en revenir à la réalité, une foule plutôt impressionnante était en train de se rameuter autour de moi, tandis que je me brisais les doigts et les tibias sur le panneau d’information.
- Avec tout ça j’ai perdu le « vous êtes ici » ! GNAAAAAAAAAAAA !!
- Ma-madame, vous avez un pro-problème ?
Un soldat de la Marine venait d’entrer dans mon champ de vision. Et à la vue de son expression crédule, ma colère redoubla d’intensité.
- Je cherche une armurerie, bougre de dieu ! Je croyais que y’avait que ça dans votre satanée ville ! Fustigeais-je l’inconnu bègue au regard paniqué.
- Su-surveillez votre ton, on en a bou-bouclé certains pou-pour moins que ça ! J-je vais vous mon-montrer où il y a une armu-murerie, si vous promettez de vou-vous calmer !
Reprenant mes esprits, j’acquiesçais par un hochement de la tête, acceptant d’accompagner l’individu jusqu’au magasin le plus proche. La peuplade commençait à se disperser tranquillement, car peut être les gens se sentaient plus en sécurité à présent que la folle à lier était sous surveillance.

Entre temps je me disais que c’était étrange de trouver un soldat de la marine avec autant de patience et de condescendance, quand soudain il s’arrêta – on devait même pas avoir fait dix mètres - et m’annonça en prenant l’air le plus sérieux qu’un bègue puisse avoir :
- Vous trou-trouverez probablement ce que vous cherchez ici. Il pointait du pouce une échoppe surmontée d’une enseigne gigantesque sur laquelle figuraient en lettres d’imprimeries « Armurerie Bishop ». Sinon con-continuez dans cette rue, il doit y avoir au moins cin-cinq ou six bou-boutiques. Mais plus de gra-grabuge, sinon la prochaine fois je vous co-coffre pour de bon !
- Voui monsieur l’agent. Répondis-je, l’air contrit, avant de tirer la lourde porte de l’établissement pour m’y engouffrer.
Comble de coïncidence, quelques secondes après être entrée , la pluie s’arrêta de tomber. Ville de merde !



Dernière édition par Annabella Sweetsong le Sam 8 Mar 2014 - 4:13, édité 2 fois
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L’intérieur du bâtiment était proportionnel à la taille de l’enseigne. C’était à la fois vaste et rempli. Rempli d’armes, hein, y’en avait partout : ça grouillait sur le sol, ça pendait au plafond, c’était accroché sur le mur, sur des tables ou des panneaux avec du chatterton ; c’étaient des canons, c’étaient des fusils, c’étaient des pistolets petits ou grands. Moi qui avais toujours rêvé de tenir une boutique pareille, j’aurais adoré jeter le Cipher Pol direct, aller voir le patron, et lui demander de m’embaucher. Dans une autre vie peut-être. Ouep, là je venais comme une cliente, pour m’acheter du matos, de quoi faire des trous dans les gens, de quoi faire de gros bobos. Pourtant, j’m’étais jamais entrainée au tir, sauf pour vérifier si les armes fonctionnaient bien. Alors comme ça, j’me suis avancée jusqu’au comptoir, un gros plan de travail en bois de cerisier et y ai posé, et mes bras, et mes atouts féminins, pour être bien sûre d’avoir toute l’attention que je méritais.

Mais alors que le gros bonhomme trop costaud qui tenait la boutique se tournait vers moi, je m'étais confrontée à une situation complexe : le Cipher Pol est infiltré, invisible et surtout secret ! Il me fallait une raison pas trop farfelue pour acheter des armes. Et là, comme ça, j’ai dit :
- Bonjour… Euh… Je… Je pêche beaucoup, et j’aurais voulu trouver des armes à feu pour… pour pêcher…
- La pêche ma p’tite dame ? Me demanda le vendeur, à moitié suspicieux, à moitié fasciné par mes nibards.
- Euh, non la chasse ! Pour chasser ! Des armes, je veux dire, pour la chasse hein !
- Débile.
- La ferme !
- Hein, vous avez dit quelque chose… Il marqua une pause, fixant attentivement mes seins comme s’ils allaient lui répondre, puis dérivant brusquement mon regard vers mes yeux. …ma p’tite dame ?
La situation commençait légèrement  m’irriter :
- Vous avez des armes oui ou non ?
Il resta immobile pendant une dizaine de secondes, pensif, puis me rétorqua.
- Je sais qui vous êtes ! Vous êtes une pirate ! Ne vous en faites pas, vous n’êtes pas la première, allez venez avec moi à l’étage je vais vous montrer mes plus beaux joujoux.
- Non jeuuh… Commençais-je.
- Mais si j’insiste, j’insiste ! M’interrompit-il avec un grand sourire à la limite du harcèlement sexuel.
Influençable comme je suis, vous imaginez bien que je l’ai suivi. J’aurais pu me faire violer ! M’enfin bref ! Et alors que je remontais les escaliers, tout en regardant à travers la grande baie vitrée ces pavés sur lesquels j’avais déambulé pendant quatre années, de vieilles pensées se mêlait à l’instant présent, me ramenant onze ans dans le passé.

Car du coup je vous ai pas raconté comment j’étais arrivé sur cette île, il y a onze ans ! Bwah, après que j’aie commis ma boulette avec l’armurier, mes parents redevinrent placides à mon égard. A nouveau j’avais l’impression de ne pas valoir grand-chose à leurs yeux, alors comme ce petit jeu commençait à m’énerver, et comme j’étais en pleine période de puberté – besoin de liberté, d’indépendance, tout ça - j’ai fugué. Au départ j’ai squatté chez des amis, jusqu’à ce que mon cas devienne intolérable. En effet, personne ne comprenait pourquoi je me levais la nuit pour aller jongler avec les ustensiles de cuisine, ni pourquoi il m’arrivait de sortir tout le mobilier de la maison. Et bien sûr, personne ne me croyait lorsque j’expliquais que tout était à cause d’une voix dans ma tête qui m’obligeait à faire ces choses-là. De ce fait, je me suis rapidement retrouvée sans foyer,  et sans personne avec qui parler, avec mes économies qui se rapprochaient lentement du néant. Mes parents m’avaient oublié, les gens du village me scrutaient souvent d’un regard soupçonneux, et j’étais devenue l’idiote du village, la folle, ou encore celle qui a été bercée trop près du mur.
J’avais compris qu’il fallait que je parte, et le plus vite possible, alors avec l’argent qu’il me restait, je me suis payé un voyage en bateau jusqu’à Logue Town.

Ah, Logue Town, j’ai déjà eu l’occasion de vous conter ô combien j’aime cette ville. La pluie, les murs gris délavés des bâtiments qui rappellent délicatement l’après-guerre, le port grouillant de pirates infâmes et puants qui aiment les petites filles ; tout me donne envie de vomir qu’en j’y pense. Mais moi, j’y suis allé car c’était un endroit plutôt immense, rempli de tonnes de gens, où il serait difficile pour une petite fille légèrement handicapée mentalement de se faire un nom. Hein. Mais vous me direz, puisque je suis encore là, comment que j’ai fait pour continuer à vivre sans argent ? Et à ceci je réponds : les cheveux ! Outre le commerce florissant de la piraterie, des armes et de la prostitution, Logue’ est aussi un bon coin pour refiler ses cheveux à prix d’or ! Et devinez qu’est-ce qui vaut le plus cher ? Bingo, des cheveux de petite fille, avec des reflets mauves de surcroît !
Bon, bien sûr, ça s’est pas fait tout de suite, et il m’a fallu courir vite plus d’une fois, et pour échapper aux prédateurs sexuels à moitié déglingués du cerveau qui trainaient dans les rues, et pour fuir les commerçants à qui je volais subrepticement à manger. Pas d’amour et pas d’eau fraîche, je prenais ce qui me tombait sous la main à l’époque, et je dormais sous les ponts. Je bricolais des trucs avec mes petits outils que j’avais dans mon petit sac. J’ai réussi à tenir ce train de vie là… trois jours. Puis y’a eu la longue période de disette, où j’ai dû vagabonder, à bout de force, pendant des semaines. Et c’est le jour où je pensais que j’allais m’évanouir et qu’un criminel allait m’enlever pour me faire subir des choses horribles ou qu’on allait vendre mes organes au marché noir, que j’ai rencontré Tonton Bob.

Je zieutais à tour de rôles les armes à feu que me présentait le marchand, pendant que ce-dernier zieutait indiscrètement à tour de rôle mes Riri et Loulou. Chaque commentaire qu’il faisait me déstabilisait encore plus, et me confortait dans mon indécision.
- Donc vous dites que c’est comme un canon, mais que même moi je pourrais le porter, et on peut tirer qu’une seule fois avec ? Demandais-je, les yeux rivés sur l'arme portative semi-enrobée dans un tissu rouge et posée sur la table.
- Hm-Vouiiiii.
- Mais en meme temps ces double pistolets sont magnifiques, et vous dites que c’est cent milles berries chacun ? Et le canon deux cent milles berries ?
- Vvvouiiiiiii ! Répéta le marchand.
Mon regard se détourna lentement des objets tant convoités au visage effrayant qui se rapprochait petit à petit de ma poitrine.
- Colle lui une baffe.
- NON !
Le vieil homme recula maladroitement, et s'excusa avec maladresse, pensant que je m'adressais à lui :
- Pa-pardonnez-moi mademoiselle... J-je ne voulais pas vous offenser… Pour la peine, je vous fais le tout à trois cent milles berries !
- Non c’était pas à vous que… trois cent milles ? Parfait !
- Colle lui une baffeuuuh !
Ca y est, j’allais avoir une crise. Ma tête me faisait mal, je me sentais faiblarde… Il me fallait à tout prix me retenir le plus longtemps possible. Je pris mon porte-monnaie et le collais dans la figure du marchand, à deux doigts de le giffler avec.
- Pre-prenez l’argent... s’il-vous plait, VITE !!
- D’accord, pas de soucis. Attendez, je vous rédige votre facture…
- Non… pas besoin !
- Ah oui j’oublais, vous êtes une pirate. Dit-il tout en me rendant ma bourse, soulagée des trois quarts de mon argent du mois.
- Colle lui une grosse baffe j'te dis !
- Non je ne suis pas une pira…
*SBLAF*
Je ressentis en premier lieu une importante vague de soulagement, comme quand on se retient de faire pipi pendant trop longtemps et qu’on va ensuite aux toilettes. Pis je vis l’air hébété du monsieur, et ma main profondément enfoncée dans sa joue déjà rouge.
- Il est temps de prendre la poudre d’escamprout.
- Je suis désolééééééééééée, merci pour touuuuuut ! M’excusais-je, tout en prenant la porte du magasin, filant aussi vite que le vent.

- Il me faut une clope... ah, bon sang de merde...
Il avait recommencé à pleuvoir…



Dernière édition par Annabella Sweetsong le Sam 8 Mar 2014 - 4:15, édité 1 fois
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Tonton Bob & Angela:

Ma vue était trouble et mon ventre grondait à tue-tête. Alors que la silhouette gigantesque d’un inconnu se rapprochait de moi, j’étais déjà en train de voir dans mon crâne le panel entier de morts affreuses pour une petite fille de douze ans. Mon meurtre passerait sûrement inaperçu, mon cadavre serait balancé à la mer ; triste fin pour une enfant à trois jours de son anniversaire. Et ouaip, le 1er Aout, quel dommage de mourir si jeune. J’arrivais à la limite à éructer quelques mots, du plus profond de ma désolation. C’était pas grand-chose, mais c’était au moins ça.
- Faites… ça… vite…
Et lorsque je me voyais finalement défaillir vers un profond coma, j’eus la sensation d’être soulevée, transportée vers le ciel, que mon esprit quittait enfin mon corps, avant que ma vision ne s’obscurcisse définitivement, dans ce qui me semblait être le néant.

J’eus néanmoins l’impression que mon sommeil fut de courte durée quand, par surprise, je m’éveillai au milieu d’un grand lit, dans une petite pièce éclairée par une bougie placée en son centre. Assise par terre, à mon chevet sur la droite, se tenait une fille un peu plus grande que moi, et visiblement plus vieille aussi. Elle me vit me réveiller, mais étrangement ne dit rien. Drôle de gamine, tiens. Encore sous le choc d’être en vie, je ne vis pas tout de suite une ombre inquiétante s’assoir de l’autre côté du plumard. Et à peine me retournai-je, qu’une voix grave mais étonnamment réconfortante tonna dans mes oreilles, comme un vuvuzela.
- Salut mon chou, lui c’est Bob Bagg’baba, mais tu peux l’appeler Tonton Bob ! Il parlait manifestement de lui, puisqu'il se pointait du doigt lorsqu'il parlait à la troisième personne. M'enfin bon, passons ! Il sait pas si tu te souviens de lui, il t’a trouvée à côté d’un pont, en centre-ville. T’avais l’air mal en point, alors il t’a ramenée ici, et Angela qu’est là-bas t’a soignée ! Héhé ! Et toi, c’est quoi ton petit nom ?
Mon regard alla du géant - il devait bien mesurer deux mètres cinquante - à l’adolescente qui n’avait pas dit un mot depuis mon réveil. Elle était muette ou quoi ? Des tonnes de questions se précipitaient dans ma tête et tout ce que je trouvais à dire fut :
- Annabella… Elle ne parle pas ?
L’homme répondit par la négative d’un mouvement de la tête, et en supplément la dénommée Angela ouvrit sa bouche, montrant l’espace béant qui occupait l’endroit où aurait dû se trouver sa fichue langue. Beurk ! A cette vision d’horreur, mes yeux s’arrondirent comme des soucoupes, et il s’en fallut d’un cheveu pour que je ne mouille pas ma couche provisoire !
- C’est vous qui lui avez fait ça ? Demandais-je, terrifiée.
A nouveau, le rastafari secoua son épaisse touffe de cheveux pour dire non. Je fus alors immédiatement émerveillée par ses dreadlocks, ce qui me permit d’archiver rapidement dans mon crâne ce qui venait de se passer auparavant avec Angela.

Car c’était la première fois que je voyais de tels cheveux, et je dois avouer n’avoir jamais rien vu d’aussi beau depuis. Ouep, ça avait de la classe. D’ailleurs Tonton Bob dut remarquer que je regardais ses longues tresses car il me demanda :
- Tu aimes les dreads de Tonton Bob petite ? C’est juste des rajouts. Si seulement il avait des cheveux comme les tiens, il serait le roi des rastas, héhé !
- Mes cheveux ? Demandais-je, ahurie.
- Non, ceux de la gamine muette à côté, bien sûr tes cheveux, abrutie.
- Tais-toi, tais-toi, tais-toi ! Je ne veux plus t’entendre ! Me mis-je à hurler soudainement en me frappant le crâne.
L’homme me regarda d’un air ahuri, laissant tomber la drôle de cigarette qu’il tenait au coin de sa bouche.
- Ah ok, d’accord. On va éviter de parler de tes cheveux alors...
- Non c’est pas ça… Commençais-je, d’un air désolé. C’est juste que j’ai cette voix qui me parle dans ma tête, mais vous allez sûrement pas me croire et me jeter des pierres comme…
Je vous l'dis, ce moment-là, je m'en souviendrai toute ma vie. Ce fut spontané autant qu’inattendu, je sentis deux bras frêles s’enrouler autour de mon cou. Angela venait de me serrer dans ses bras, et je restais carrément stoïque. En même temps, jamais je n’avais eu de câlin de toute ma vie, jamais je n’avais su le plaisir fou que ça procurerait, c’était la première fois. C’était comme si ce contact avait cicatrisé d’un coup bon nombre de blessures qui étaient restées à vif jusqu’à ce court moment. C’était comme quand on se roule dans la boue puis qu’on plonge dans un bain chaud… Comme quand on va aux toil… Bref vous avez compris. Bon, maintenant on ne me fait plus de câlins aussi facilement, hein.

Au bout d’une trentaine de secondes - peut-être - la jeune fille desserra son étreinte, tout en continuant à me tenir la main. Tonton Bob vit la nécessité d’expliquer le geste, devant l’expression de complète débilité que j’arborais :
- T’en fais pas, Tonton Bob comprend, Angie aussi. Angela est aussi une enfant spéciale du fait de… tu vois ce que je veux dire... Elle aussi a traversé ce que tu as traversé, et elle comprend à quel point ça a du être dur pour toi. Mmh… ah merde mon joint !
C'était la première phrase qu'il conjuguait à la première personne, et de mémoire, c'était la seule phrase en fait. Il se baissa, récupéra son « joint » et l’alluma, dégageant aux premières tafs des nuages de fumée nauséabonde dans la pièce.

Au bout d’un moment, je me mis à tousser, avant de m’y habituer finalement, les yeux légèrement piquants et le nez à vif. Je ressentais désormais une profonde honte par rapport à mon comportement d’affliction vis-à-vis de l’handicap de la fillette. Pas une honte ridicule hein, comme quand on fonce dans un mur sans raison, non là c’était de la culpabilité, et ça aussi je venais de le découvrir.
- Je suis désolée…  Mais je comprends pas monsieur Bob, pourquoi m’avez-vous aidée ? Demandais-je, encore fébrile, avec l’estomac qui commençait à me donner des coups de talons - quoi c’est pas ça l’expression ?
D’ailleurs, à ces paroles, l’homme fronça les sourcils.
- Il n’aime pas trop monsieur, il préfère Tonton, c’est plus cool. Il s’appuya au rebord d’une fenêtre dont le volet en bois fermé ne laissait transparaître aucun rayon de lumière, si encore il faisait jour au-dehors. Comme il disait tout à l’heure, il trouve tes cheveux magnifiques ! C’est d’ailleurs grâce à ça qu'il a pu te trouver quand tu étais à moitié morte de faim. Ces teintes mauves et violettes dans tes mèches sont tout bonnement ahurissantes, bébé. Quant à pourquoi, quel père, adoptif ou non, laisserait un enfant seul dans la rue ? Surtout en ces temps obscurs, avec ces sales charognes de pirates dans le coin !
Moi je connais bien des parents comme ça, héhé. Pensais-je alors, faisant référence à mes enflures de géniteurs dont la seule perspective de gagner de l’argent sur mon dos les motivait à me prodiguer de l’attention.

Soudain, je compris, en dévisageant le chaleureux géant et la fille muette, que j’avais trouvé ce qui ressemblait le plus à un foyer. Bon, j'avais douze ans, et je croyais encore aux histoires à l'eau de rose, pourtant je n'ai jamais été déçue par ces deux personnes. Bien plus tard, ils me sauvèrent la vie à nouveau. Enfin bref j’avais l’impression d’avoir quelque chose à quoi m’accrocher, et comme personne ne parlait – enfin pour Angela ça risquait pas - j’pensais que c’était à moi de faire le premier pas.
- Tonton, Angela, j’aimerais rester avec vous. Ma famille m’a abandonnée et je ne connais personne ici ; et puis qui voudrait de moi avec ma maladie de toute façon. Je sais bricoler, je peux réparer et fabriquer des armes…
L’expression de l’homme se teinta soudainement d’une incroyable sévérité, comme jamais je n’aurais cru que ça serait possible. Et c’était rare chez lui qu’il s’énerve. M’interrompant brusquement, il s’approcha de moi d’un air aussi dangereux qu’effrayant, mais dans le fond de ses pupilles rosâtres, on pouvait lire une véritable tristesse.
- Ne parle plus jamais d’armes sous son toit, petite ! Et n’en fabriques plus non plus. C’est pas à toi de faire ce sale boulot, tu sais pas à quel point c’est dangereux ces merdes-là ?! Tu sais pas ce que tu fabriques non ? Lui il va te le dire : à chaque fois que tu crées l’un de ces terribles objets, quelqu’un s’en servira pour ôter la vie à une personne, et la victime pourrait être n’importe qui, même un gosse ! Alors promets-lui d’oublier ça, promis, ma puce ? Ah, merde, mon bedo !
Walala. J’étais estomaquée et j’eus grande peine à déglutir, autant à cause de la véracité de ce qu’il venait de dire que par ce mélange d’angoisse et de colère provenant de sa voix à ces mots. Tout ce que je réussis à faire fut, d’une petite voix timide, lui répondre :
- Je lui-euh je vous promets !
Il reprit un ton plus chaud alors, s’asseyant près de moi, m’enlaçant l’épaule de son bras trop grand. Là, comme ça, il me faisait penser à un arbre tropical, et j’avais l’impression d’être allongée dessous. Mais ça je le lui ai pas dit, naturellement.
- Lui et Angie, ils sont pauvres, comme toi. Mais ils ont trouvé un bon moyen de se faire de l’argent, ils vendent leurs cheveux. Ça rapporte pas mal et grâce à ça ils peuvent vivre. Tu as des cheveux vraiment superbes Anna, si tu les vendais tu serais riche !
A ces mots Angela ôta le béret qu’elle gardait vissé sur le crâne depuis le début, pour découvrir des cheveux coupés courts, en carré plongeant. Et ça lui allait plutôt bien. En parallèle, je pris l’une des mèche de mes très longs cheveux – ils m’arrivaient jusqu’au bas du dos - qui avaient probablement été lavés et brossés pendant mon sommeil, les contemplant une dernière fois.

Ouais bah il continuait à flotter dru hein, et j’avais pas de parapluie, pas d’argent à dépenser dans des futilités. Je grognais :
- Bordel, trois cent milles boulles, c’est pas peu cher, té ! Tiens, voilà que j’avais un accent bizarre en plus.
Mon sac pesait bien lourd, avec mes nouveaux achats, si bien que je me fatiguais plus vite que je ne l’aurais pensé. Mais j’me disais, tant qu’à être à Logue Town, autant rendre visite à ma famille adoptive, prendre des nouvelles, tout ça, tout ça, voir comment ça va. Fallait juste que je traverse la moitié de la ville, et ça sous la pluie, ça allait pas le faire.
- Parapluie, parapluie à cent berries ! Qui veut un parapluie, pas cher, pas cheeeeeeeer ?! On est bien bien bien avec un parapluie ! Ouuuh under my umbrella ella ella, ay ay ay… ♫
Il était sacrément bon ce vendeur. En plus, l’eau commençait à me gouter dans le cou, et c’était ultra-désagréable. Oh et puis tant pis pour les économies !

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Ça y est, il était là, le vieux hôtel de mon enfance dans lequel j’avais passé quatre années. Par là je veux dire que j’y ai vécu ; je suis pas restée enfermée dedans pendant quatre ans, sans sortir, si c’est ce que vous pensez. Il avait pas changé : entre autres toujours aussi moche, toujours aussi délabré, avec sa fenêtre du troisième étage toujours aussi noircie par l’incendie qui y avait eu lieu y’a des dizaines d’années. Juste le temps de me débarrasser de mes trois parapluies - bah oui, y’avait une promo, et le vendeur était super convaincant - pour tendre la main vers la poignée, et la porte s’ouvrit en grand sous la sortie d’un couple en train de se bécoter sans aucune pudeur. Outre cela, ils me foncèrent dedans en plus, sans s’excuser. La colère montait. J’avais presque envie de les héler pour les insulter, et tout au fond de moi je leur souhaitais un autre hôtel pour aller cultiver leurs morpions. Héhé. Oui je sais c’est bas, mais après tout j’étais trempée, et il me fallait ma clope. Pressée de rentrer pourtant, je me disais que ça pouvait attendre. Jusqu’à ce qu’une petite voix au fond de mon crâne dise :
- Jette-leur un parapluie, et bien dans la gueule !
- D’accord, juste une  petite clope.

A l’intérieur, on trouvait généralement le vestibule en entrant, puis le hall. Ouep, à moins de prendre la porte de sortie du personnel, juste à droite - qui est exactement pareille soit dit en passant - où l’on trouvait directement le placard à balai. Ça avait l’air tellement vieux que ça ressemblait à une vieille peinture, à la caricature de la ruine et de la misère, mais en exagéré. S’en suivait une grande pièce pas très bien illuminée, à la tapisserie moisie et aux menuiseries rongées par les termites. Je sais, c’est pas le luxe, mais c’était cosy à l’époque, pis c’était déjà comme ça… D’ailleurs pour en revenir au personnel, y’avait une sorte de petit comptoir à côté de l’escalier menant aux chambres, et je fus drôlement impressionnée de voir là, accoudée sur son petit bras maigrichon et décharné, la vieille Lulu. Elle se retira brusquement de son sommeil quand elle m’entendit arriver, torchant de sa bouche un filet de bave du revers de la main droite. Elle papillota lentement des yeux, puis me fixa silencieusement tout en faisant claquer sa langue dans sa bouche édentée. Enfin, au bout d’une minute environ, elle me demanda :
- Tu veux une chamb’, mon p’tit ? Justement y’en a une, ‘vient de se libérer là.
Réprimant une moue de dégout en repensant aux deux tourtereaux qui avaient, sans aucun doute, dû s’épanouir dans le lit de la chambre nouvellement libérée, je refusais poliment d’un geste de la main.
- Ben enfin Lulu tu me reconnais pas ? Je sais que ça fait onze ans, mais quand même…
La vieille dame commença à se mâchouiller l’intérieur des joues, tout en me dévisageant à nouveau, les yeux plissés, quasiment clos.
- J’y vois rien mon p’tit. C’est toi Jean Claude ? T’as mes patates ?
- Non c’est pas Jean Claude, non. C’est Annabella, vous vous souvenez de moi, quand même, vieille peau ? Répondis-je, légèrement troublée.
Un nouveau silence s’imposa, et il parut durer éternellement, elle claqua à nouveau de la langue et sourit de toutes ses gencives roses.
- Nop.
- La sœur d’Angela ? La fille de Tonton Bob ! Demandais-je, contrariée et légèrement énervée.
- Nop. Répondit-elle à nouveau.
- Mange le comptoir, allez mange-le… s’teu-plait…
- Bordel ! Criais-je soudain, ce qui secoua brutalement la petite vieille devant moi d’un spasme de surprise et de terreur.
- Allons bon, je rigolais, pas b’soin de s’énerver ! Je t’ai r’connue dès qu’j’t’ai vue, mon p’tit ! Elle se retourna, très lentement, et continua à parler tout en ouvrant la porte derrière elle et en s’avançant dans ce qui semblait être son appartement. Allons prendre un p’tit thé, toi et moi… Sa dernière phrase sonna étrangement, comme si quelque chose s’était brisé en elle au moment où elle avait franchi le seuil.
- Ch’arrive ! Arch, ch’est dégueulach…
Les dents plantées dans le bois pourri du meuble en bois, je n’avais qu’une seule peur, c’était que j’en avale un morceau, tellement il était moisi et craquait sous la pression de ma mâchoire. Bah, au final la crise disparut rapidement, et je fus en mesure de lâcher prise et suivre la vieille dame dans son logement, comme si de rien était, crachant ça et là des minuscules copeaux de bois.

Le thé avait un goût de cendre. Hormis le fait qu’il était vraiment imbuvable, j’avais la gorge si serrée que je ne pouvais pas en avaler une goulée de plus. Au lieu de ça, je tenais la petite tasse en porcelaine ébréchée devant moi, bouche bée, probablement livide comme un linge qu’on étend au soleil. Les mots qui sortaient de la bouche ridée de mon ancienne propriétaire sonnaient creux, rendaient un son faux, vide, comme si rien de tout cela n’était vrai. Et pourtant, elle ne mentait pas, elle n’avait rien à y gagner et à y perdre, et c’était une personne de confiance.
- ...quant à Angela on n’a jamais retrouvé son corps. La pauvre, j’espère qu’elle n’a pas trop souffert avant de mourir ; ces pirates étaient vraiment sanguinaires, et elle était si belle et si jeune…
Retrouvant soudain mes esprits, je l’interrompis :
- Mais… mais… MERDEUH ! C’EST JUSTE POUR M’FAIRE CHIALER HEIN ?! C’EST UNE FARCE NAN ?!!
- Mignonne, j’sais qu’c’est dur…
- NAN ! NAN, VOUS SAVEZ RIEN ! J’ai passé des années à les chercher, puis je les ai trouvés, et j’ai dû les quitter ensuite... Il m’avait promis qu’ils iraient bien, qu’ils seraient là quand je reviendrai ! BORDEL !
Cette situation me gênait affreusement, j’étais aux bords des larmes. J’étais minable, je me tirais les cheveux pour me réveiller, je me frappais le visage comme une forcenée, sans que la pauvre dame ne puisse faire quoi que ce soit devant ma brutalité. Elle en avait déjà fait les frais, au fond, de cette violence inouïe qu’ont les voyageurs.
- J’avais mis du temps à la construire cette vie, et maintenant que j’ai trouvé un boulot, hein ! J’voulais enfin leur apporter la vie qu’ils méritent, j’touche quatre cent mille boules par mois ! Bordel c’est plus que je n’en ai gagné dans toute ma vie ! Il m’avait dit… Il m’avait dit…
Ma vue se flouta, oblitérée par les larmes qui coulaient par vagues sur mes joues, par gigantesques flots se déversaient dans mon thé. La langue pâteuse, je ne voulais plus parler, juste penser, et encore penser.

- Anna, il a une surprise pour toi ! Regarde !
Le grand gaillard venait de pénétrer dans la pièce, enroulé dans son manteau de jovialité. J’avais totalement oublié que c’était mon seizième anniversaire, en fait. Mais lui, il s’en rappelait, et Angie aussi. C’était tout le temps pareil : moi j’oubliais tout, j’m’en fichais un peu, j’ai jamais fêté les anniversaires. Car vous savez, quand on naît le premier aout, en plein milieu des vacances scolaires, on n’a pas souvent l’occasion d’inviter des amis chez soi, et alors on passe son anniversaire… en famille…
Bon du coup là c’était un peu ça, en fait. Sauf qu’on avait jamais eu les moyens de se faire des cadeaux, jusque là. Payer le loyer, pis la bouffe, ça nous vidait les poches, et il nous restait plus un sou pour se permettre quoi que ce soit. Pourtant, il semblerait qu’il y ait eu une magouille entre les deux autres zigs, et qu’au final ceux-ci aient choisi de m’offrir un présent car j’avais seize balais ce jour-là.
- Angie et lui veulent que tu ouvres ! Ils espèrent que tu seras très contente ! M’annonça-t-il, s’avançant jusqu’à moi en me tendant un emballage trop bleu avec un ruban trop blanc.
Je me rappelle encore que j’avais gardé ce ruban et l’avais attaché dans les cheveux de ma sœur adoptive.
Bref, je pris le petit paquet dans mes mains. C’était assez léger, et plutôt souple. Je devinais bien entendu le vêtement, mais je n’avais aucune idée d’à quel point il serait somptueux. Bon par contre je vous arrête tout de suite, c’était pas une robe. En porter une ne me dérange pas, mais c’est juste pas mon style ! Et ça ils l’avaient compris, c’est pourquoi ils m’avaient offert une superbe tunique de voyageuse.
Moi j’appelle ça comme ça, mais en fait c’est juste un vêtement commun et carrément pas hors de prix, au contraire. Héhé. C’est juste que peu de femmes acceptent de les porter, car ça symbolise le courage et la mobilité, mais sûrement pas la féminité, ça met pas trop en valeur Fifi et Loulou quoi.
Pour en revenir au cadeau, j’arborais, en le tenant, l’expression la plus ridicule de joie possible. Pas de « vous auriez pas dû », c’est pas le genre de la famille, mais une certaine culpabilité vis-à-vis du montant de l’achat. C’est pas comme si on pouvait se permettre une tenue complète ; les vêtements qu’on avait ils étaient rapiécés, grâce à la vieille Lulu qui les réarrangeait constamment. « Mais où vous allez trainer comme ça, vous trois. » qu’elle répétait à chaque fois.

Je m’empressais d’enfiler mes nouveaux atours pour les montrer à ma famille adoptive. Je sentais leur odeur de propreté, de neuf. C’était sobre, mais élégant : un ensemble chemise en lin et veste verte recouvrait mon buste, tandis que mes jambes étaient habillées d’un pantalon moulant noir et de bottes accordées avec le haut. Bon, c’était un peu grand, car je n’avais pas encore la taille d’une femme, autant au niveau de la poitrine que du reste ! Mais c’était confortable et incroyablement doux. Je sortis de derrière l’armoire, les bras tendus, mimant une révérence, sous un tonnerre  d’applaudissements venant de mes deux comparses.
- Tu es magnifique ! Ils sont vraiment contents d’avoir trouvé la bonne tenue. C’est grâce à Angie, tout ça ! Oh merde, mon joint.
Il n’eut même pas le temps de se rabaisser pour récupérer sa cigarette que la jeune fille muette me prenait déjà dans ses bras. Puis elle s’éloigna de quelques pas, et commença à faire de grands signes pour exprimer sa joie et tout son amour.
Cela allait faire des mois qu’elle communiquait ainsi : nous étions alors au marché, tenant la boutique de vente de cheveux, quand un vieux marchand voisin se présenta en balayant l’air de ses grands bras dans tous les sens. Rapidement, sa femme le rejoignit et s’excusa devant notre air stupéfait. Elle nous expliqua que son mari était atteint de mutisme et venait de leur demander - dans un certain langage des signes – le prix pour une mèche de mes cheveux. Apercevant qu’Angela ne pouvait, elle non plus, parler, il la prit sous son aile à partir de ce jour-là, lui apprenant les signes respectifs aux mots que tout le monde emploie.
- Tu… es aussi belle… qu’un cornichon ? C’est quoi ça ? Une tour ? Une banane ? Ah, un château ! Une princesse, c’est ça, je suis aussi belle qu’une princesse ! Waow !
- On dit que c’est comme ça que les princesses s’habillent quand elles vont chasser à courre. Mais c’est pas fini ! Maintenant que t’es toute belle, ils vont aller boire un verre !

Nous sortîmes en direction du bar où l’on pouvait trouver la bière la moins chère des bas-quartiers :  la Tortue Bourrée. C’était un endroit malfamé, mais le patron nous connaissait bien, et il nous aimait bien aussi. Plusieurs fois on se faisait payer des coups là-bas, et on rentrait à demi-saouls. La bibine, elle était pas terrible, mais j’avais jamais eu l’occasion de boire meilleur jusque là. Alors quand on y allait, c’était jour de fête, et rien d’autre. Et là, j’avais bien l’intention de vider mes poches pour ma famille adoptive.
Tonton défonça la porte de sa grande palme, la tirant quasiment de ses gonds, et faisant tomber un peu de rouille sur les pavés noircis de saleté. Ça puait comme dans le ventre d’un monstre des mers ici, mais on s’y faisait après une dizaine de minutes. Y’avait, comme à l’habitude, des sales gueules dans tous les coins, et même le tintamarre que l’on avait fait en pénétrant dans l’endroit n’avait pas perturbé les gueules cassées qui se risquaient aux dés. Héhéhé. De toute façon ça recouvrait pas l’incroyable boucan qui nous brisait les oreilles. Chansons paillardes, jurons par centaines, cris et rots ; l’incroyable cacophonie ne s’arrêtait jamais.

Vous aurez peut être aussi compris que les fenêtres ici, c’était un luxe. C’était pas un bar en fait, mais une cave, une grande pièce circulaire dardée de tables, renversées ou non, et aux murs en briques et en pavés. Y’avait, à l’opposée de l’entrée, un long comptoir en bois de chêne, et derrière tout l’attirail qu’un bar se doit de posséder. Des bouteilles, des fûts, et des armes pour dissuader ou plomber les voleurs. Jacky, le patron, était occupé à essuyer, et les verres, et les postillons d’un mec bourré et beaucoup trop bavard qui se tenait – tant bien que mal - devant lui. Si bien qu’en nous voyant nous accouder au bar, quémandant notre nectar, son sourire fut deux fois plus éclatant qu’il ne l’est à chaque fois que l’on se pointe, heureux de se soustraire de l’emprise du boulet baveux près des torchons.
- Eyh, ça fait un bail les gars dis donc. Eh ! Waow, t’es ravissante comme une grande dame, la  classe ! Trois bières comme d’hab ? Hein ? Allez hop ! S’exclama-t-il.
Il était sympa, mais avait cette sale habitude de parler vite, trop vite. On n’avait pas le temps de lui répondre qu’il nous servait déjà nos bières, et on n’avait pas non plus le temps de prendre notre monnaie qu’il était déjà ailleurs, à satisfaire l’un de ces clients pouilleux qui peuplaient le coin. Après tout, c’était mieux comme ça, car on préférait rester en petit comité ce jour-là. Un clin d’œil validant le paiement, je pris mon verre et suivis mes amis jusqu’à une petite table - l’une de celles encore debout - pas loin.
Pour ce prix-là, vous me direz que c’était pas vraiment de la bière ce qu’on buvait. Beh ouep, et à vrai dire, on en avait aucune idée, mais c’était alcoolisé, et ça se laissait boire. De toute façon au bout d’une bibine, la voie est grande ouverte pour s’en prendre une ou deux de plus. Nous restâmes ainsi pendant deux heures à blablater, à faire se rencontrer nos verres dans un « Tchin » tonitruant, tandis que la lune se pointait progressivement dehors - enfin ça on le savait pas, faute de fenêtres - et que l’endroit se désemplissait.

Nous riions, et nous amusions sans compter, fiers des âneries que je débitais constamment et qui étaient plus grosses les unes que les autres. Mais étrangement, Tonton recouvrait de plus en plus vite son sérieux, jusqu’à ce qu’il garde le regard fixé sur une tablée de gaillards douteux de l’autre côté de la pièce. Il dit soudain :
- Faut qu’ils partent. Ils sont en danger.
Brisant la cacophonie de notre petite assemblée d’un coup d’une précision chirurgicale, ma réaction n’eut pas le temps de se faire attendre. Un bras me saisit par l’épaule, et me traina jusqu’à la sortie. Embrumée par l’alcool, je me retrouvais soudain à courir, épaulée d’Angela, et suivie par Bob de très près.  Il faisait froid dehors, et le choc thermique me donna une violente nausée qui me stoppa nette. Je m’arrêtai pour reprendre ma respiration, frappée de vertiges, et d’incompréhension. J’allais même risquer un « pourquoi » à mon père adoptif. J’étais toujours plantée là, pas loin de la sortie du bar. Quand soudain je perçus une pression au niveau de l’abdomen : un poing aussi gros que gras venait de s’y enfoncer, et de me propulser dans le bas-côté de la rue.

Je souffrais, mais je n’étais capable de penser qu’à une chose : pas ma tenue toute neuve !

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- Hey, Tonton Bob est là, tu peux m’entendre ?
J’ouvrais lentement les yeux, bien que tout soit si douloureux. Il me fallut du temps pour me rappeler que c’était un puissant coup dans le ventre qui m’avait mise dans cet état. A partir de là j’avais perdu conscience. Tonton avait sûrement dû me porter sur ses larges épaules jusqu’à la maison, car j’étais désormais étendue dans le lit du petit grenier qui nous servait de domicile. Lorsque je recouvris la vue, je m’étonnai d’ailleurs de cette prouesse : l’homme était couvert de plaies et certaines saignaient encore. Jamais je ne l’avais vu aussi faible, lui qui avait tout d’un Hercule, il ressemblait maintenant à un esclave maltraité, un vieux chien galeux. Et puis, en relevant un peu la tête, je vis Angela.
Elle avait le bras en sang, et tenait un long sabre. Un sabre de pirate. Mais le sang n’avait pas l’air d’être le sien, et elle n’avait que quelques ecchymoses. Je fus soulagée de la voir en bonne santé, bien que son aspect soit beaucoup plus effrayant que celui de Bob. J’eus alors le déclic de demander, fébrilement, après avoir longuement admiré les gouttelettes de sang perler le long de la lame :
- Que s’est-il passé ?
Tonton Bob prit un air navré et secoua simplement la tête sans répondre. Angela ne bougea pas d’un cil, elle semblait transie par la peur, et ne lâchait pas son épée. Enfin, le géant brisa le silence :
- C’est de sa faute, il n’a pas fait assez attention. Il connaissait ces gens, ces pirates ; ils étaient son équipage. Tonton Bob doit de l’argent à ces hommes.

Je n’étais pas sûre de comprendre. Dans ma tête, certains rouages étaient encore bloqués. Alors je demandais, bêtement, connaissant à l’avance la réponse :
- Mais... tu as été un pirate ?
- Oui. Il y a longtemps, mais il a arrêté et il est parti, il était pas d’accord avec ce que faisait le capitaine. Il s’arrêta un moment, comme s’il hésitait à avouer quelque chose, puis lâcha soudainement. Et il est parti avec l’or aussi. Angie était au courant…
- Mais moi j’savais rien, c’est ça…
Il se posa sur le lit et m’écrasa entre ses deux grosses mains, plaquées sur mes épaules.
- Tu n’avais pas besoin de savoir ça, il pensait que vous étiez à l’abri ici. Il avait tort, mais Angela sait se battre. Quatre hommes sont morts aujourd’hui, par leur faute. Il a fait une grosse erreur… Ses grands yeux marrons étaient plongés dans les miens, j’y décelais une profonde tristesse qui ne tarda pas à se manifester sur le visage de Tonton Bob.
Je me souviens, moi, rester stoïque, et ne rien comprendre à ce qu’il se passait. Et je me remémore ceci comme si c'était hier :
- Tu dois partir, Annabella Sweetsong. Tu es en danger ici. Car ils vont revenir, jusqu’à ce qu’ils me tuent. Mais ça n’arrivera pas.
- Non. Non, non, n’importe quoi !
Je le giflai, emportée par une brusque remontée de peur, de peine et de douleur. La baffe vola sur sa joue et y laissa une empreinte rouge, mais il ne cilla pas d’un cheveu. Je m’apprêtais à refuser catégoriquement ses ordres, j’étais prête à lui désobéir, à sortir le grand discours sur l’importance d’être ensemble, avec eux, et le  « pas peur de la mort ». Et je l’aurais sûrement fait, si la jeune fille muette qui, jusque là, s’était tenue à l’écart, réalisant lentement qu’elle avait ôté la vie à plusieurs personnes, ne m’avait pas serré dans ses bras. Et ce n’était pas un câlin normal, c’était un adieu, un signe que je n’avais rien à dire, et une promesse, entre sœurs.

Quelques heures plus tard, je me préparais déjà à partir. Après avoir fait mes ultimes adieux à ma famille adoptive, non sans avoir le visage recouvert d’un masque de larmes, je recevais mes ordres de mission de Tonton Bob. Celui-ci se forçait à ne pas pleurer, ce qui lui conférait une expression ridicule.
- Il doit te dire avant de partir, que la promesse que tu lui as faite ne tient plus. Tu n’as plus à rester éloignée des armes, et si tu sais en fabriquer, fais en, mais vends-les aux bonnes personnes. Il faut gagner ta vie. Il connaît un armurier à Shimotsuki, un bon gars, il va t’apprendre plein de bonnes choses. Dis lui que tu viens de la part de Tonton Bob, et il te prendra sous son aile. Tiens, voici leur argent, pour que tu puisses voyager jusqu’à là-bas. Il marqua une pause, me dévisagea, puis me serra brusquement dans ses grands bras costauds. Ne deviens jamais un pirate, garde ton honneur. Si un jour tu dois te défendre, rappelle-toi  bien ceci...

...il y a toujours un sacrifice.


Pweuh. Je marchais dans la rue, dégoutée, déprimée, sans vraiment filer droit. La promesse avait pas tenu, la pluie avait recommencé à tomber, et j’avais oublié mes parapluies à l’hôtel. Je m’étais excusée auprès de la vieille Lulu et m’étais enfuie en courant, non sans me taper un lampadaire en passant. Car Bachibouzouk m’avait dit de le faire. Au comble de ma détresse, je reprenais la route vers le port, repassais devant le marchand de parapluie, qui ne les vendait plus aussi bien qu’avant, zieutais à travers la vitrine de l’armurier, qui n’était plus aussi lubrique qu’avant. Tout était gris, froid, et cette ville entière me donnait la chair de poule. D’une main dans mon sac, pendant sur mon épaule, je touchais tour à tour le bois gravé de mes flintlocks et de mon canon à main. Mon expression de tristesse se transforma en un semi-sourire, gardant mes dents serrées.
- Tu dois les venger. Mais gourde comme tu es…
- J’éradiquerai toute forme de piraterie de ces océans, même si je dois mourir pour ça. Haha. Et qui sait, un jour, je tiendrai probablement le coupable !
- Pour une fois que tu n’as pas une idée trop débile !
J’étais arrivée près du guichet. Le prochain bateau vers le Quartier Général de la Marine d’East Blue était dans une demi-heure. Paf, le ticket était payé, ma patience s’amenuisait et j’étais au bord de la crise de nerfs. Mais je ne devais pas pleurer, un agent secret ça pleure pas, hein. Alors je gardais tout ça au fond de moi, j’en faisais une boule d’amertume, de rancœur, qui j’espérais, allait me dévorer de l’intérieur. Ignorant mon air maussade, un homme s’assit à côté de moi et entreprit de me parler de la pluie et du beau temps.
- Qu’êtes-vous venue faire ici vous ? Moi je suis venu voir mes enfants. J’étais en permission pour quelques jours, et comme la famille c’est très important, je… Mademoiselle ? Mademoiselle vous allez bien ?
Des perles transparentes fuyaient de mes yeux, cherchaient à gagner le sol, se suicidant du haut de mon menton comme le font les désespérés du haut d’un pont. La famille, hé. Il avait bien fallu ça. C’était pas l’un de ces célibataires bouffis de testostérone qui accostent n’importe qui, non c’était pire cette fois-ci. J’avais les nerfs à fleur de peau, je contractais au maximum pour ne pas me replier sur moi-même et me morfondre.
- Oui, la famille c’est très important…
Je me levai, au bord des larmes, le bateau était prêt à appareiller.

Oui la famille, ça a toujours été important, ça l’est pour tout le monde, dès l’enfance jusqu’à la mort.

Cela l’était aussi pour moi.

Mais plus maintenant.
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